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Document 62021TJ0296

    Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 14 décembre 2022.
    SU contre Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.
    Fonction publique – Agents temporaires – Contrat à durée déterminée – Non‑renouvellement – Procédure de renouvellement – Prise en compte des rapports d’évaluation – Rapport d’évaluation non finalisé – Responsabilité – Préjudice matériel – Perte d’une chance – Préjudice moral – Compétence de pleine juridiction – Exécution d’un arrêt du Tribunal.
    Affaire T-296/21.

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2022:808

     ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

    14 décembre 2022 ( *1 )

    « Fonction publique – Agents temporaires – Contrat à durée déterminée – Non‑renouvellement – Procédure de renouvellement – Prise en compte des rapports d’évaluation – Rapport d’évaluation non finalisé – Responsabilité – Préjudice matériel – Perte d’une chance – Préjudice moral – Compétence de pleine juridiction – Exécution d’un arrêt du Tribunal »

    Dans l’affaire T‑296/21,

    SU, représentée par Me L. Levi, avocate,

    partie requérante,

    contre

    Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP), représentée par Mmes C. Coucke et E. Karatza, en qualité d’agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat,

    partie défenderesse,

    LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

    composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

    greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

    vu la phase écrite de la procédure,

    à la suite de l’audience du 8 septembre 2022,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, SU, demande, d’une part, l’annulation de la décision de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) du 15 juillet 2020 par laquelle celle-ci n’a pas renouvelé son contrat et, pour autant que de besoin, de la décision du 11 février 2021 par laquelle celle-ci a rejeté sa réclamation et, d’autre part, la réparation du préjudice matériel et moral qu’elle aurait subi de ce fait.

    Antécédents du litige

    2

    Le 15 janvier 2015, la requérante a été recrutée par l’AEAPP, par contrat d’une durée de trois ans, en tant qu’agent temporaire de grade AD 8 au sein du service chargé de la surveillance en tant qu’experte confirmée en modèles internes.

    3

    Le 1er novembre 2016, la requérante a été réaffectée à l’équipe « modèles internes » du département « convergence de la supervision et du contrôle », toujours en tant qu’experte confirmée en modèles internes.

    4

    Du 31 octobre 2017 au 19 mars 2018, la requérante était en congé de maternité, qui a été suivi par un congé parental jusqu’au 19 octobre 2018.

    5

    Par un avenant du 15 janvier 2018, le contrat de travail de la requérante a été renouvelé pour une durée de trois ans, jusqu’au 15 janvier 2021.

    6

    Du 1er novembre 2018 au 31 octobre 2019, la requérante a bénéficié d’un régime de travail à temps partiel (80 %) et d’un télétravail structurel d’un jour par semaine. Ces modalités de travail ont été appliquées à nouveau du 1er février 2020 au 15 juillet 2020. Le télétravail occasionnel lui a également été accordé ponctuellement.

    7

    Dans le contexte de l’exercice d’évaluation de l’année 2019, la requérante a soumis son auto-évaluation le 9 décembre 2019 et a eu un entretien avec son évaluateur le 15 janvier 2020.

    8

    Le 16 janvier 2020, l’évaluateur a remis l’évaluation de la requérante. Sous la rubrique « évaluation globale et potentiel », qui contient « l’évaluation globale de la période concernée par le présent exercice d’évaluation et, le cas échéant, un commentaire sur le potentiel du titulaire de poste », l’évaluateur a évalué la prestation de la requérante comme « satisfaisante » et a observé que la requérante « a[vait] certes le potentiel pour être un agent clé pour le travail de supervision des [modèles internes] de l’AEAPP, mais ce potentiel devra[it] se traduire par des [prestations] plus tangibles et de meilleure qualité de sa part [ ;] 2019 n’a[vait] pas été suffisant, les résultats en 2020 d[evaient] s’améliorer pour rester globalement satisfaisants ».

    9

    La requérante a refusé d’accepter son rapport d’évaluation et a formulé des observations le 21 janvier 2020.

    10

    Le directeur exécutif de l’AEAPP, qui est aussi l’évaluateur d’appel, compétent pour se prononcer en cas de refus motivé d’un rapport d’évaluation par l’agent concerné, n’a pas réagi au refus et aux observations de la requérante et n’a donc pas pris position, dans ce rapport, sur ces observations.

    11

    Le 27 février 2020, un entretien s’est tenu entre le directeur exécutif de l’AEAPP et la requérante, à la demande de cette dernière.

    12

    Le 2 juillet 2020, la requérante a reçu le rapport relatif au renouvellement de son contrat, dans lequel le chef de service ne recommandait pas un second renouvellement de son contrat.

    13

    Le 8 juillet 2020, la requérante a présenté ses commentaires et a rencontré, le 14 juillet 2020, le directeur exécutif de l’AEAPP afin de discuter de la recommandation de ne pas renouveler son contrat.

    14

    Le 15 juillet 2020, le directeur exécutif de l’AEAPP a décidé de ne pas renouveler le contrat de la requérante (ci-après la « décision de non-renouvellement »).

    15

    Le 13 octobre 2020, la requérante a formé une réclamation contre la décision de non-renouvellement et, pour autant que de besoin, contre son rapport d’évaluation de l’année 2019, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 46 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »).

    16

    Le 15 janvier 2021, le directeur exécutif a informé la requérante de son intention de rejeter sa réclamation et lui a demandé de formuler des observations, lesquelles ont été présentées le 22 janvier 2021.

    17

    Le 1er février 2021, le directeur exécutif a envoyé à la requérante un projet de décision mis à jour portant rejet de sa réclamation et lui a demandé de communiquer ses observations, lesquelles ont été présentées le 8 février 2021.

    18

    Par décision du 11 février 2021, le directeur exécutif a rejeté la réclamation de la requérante (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

    Conclusions des parties

    19

    La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal, après avoir renoncé lors de l’audience à son chef de conclusions tendant à l’annulation du rapport d’évaluation de l’année 2019, ce qui a été acté au procès-verbal de l’audience :

    annuler la décision de non-renouvellement ;

    annuler, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

    ordonner la réparation de son préjudice matériel, tel que calculé dans la requête, et de son préjudice moral, évalué ex æquo et bono à 10000 euros ;

    condamner l’AEAPP aux dépens.

    20

    L’AEAPP conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    rejeter le recours ;

    condamner la requérante aux dépens.

    En droit

    Sur l’objet du recours

    21

    Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions combinées de l’article 90, paragraphe 2, et de l’article 91, paragraphes 1 et 2, du statut, applicables par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 46 du RAA, tout agent visé par le statut n’est recevable à introduire un recours devant le Tribunal que s’il a préalablement saisi l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC ») d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, soit que ladite autorité ait pris une décision, soit qu’elle se soit abstenue de prendre une mesure imposée par le statut. La réclamation administrative et son rejet, explicite ou implicite, font ainsi partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2006, Staboli/Commission, T‑281/04, EU:T:2006:334, points 25 et 26).

    22

    Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (voir arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑205/04, EU:T:2007:346, point 27 et jurisprudence citée ; arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 75 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8).

    23

    Cependant, lorsque la décision de rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée, notamment lorsqu’elle modifie la décision initiale ou lorsqu’elle contient un réexamen de la situation de la partie requérante en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux qui, s’ils étaient survenus ou avaient été connus de l’autorité compétente avant l’adoption de la décision initiale, auraient été pris en considération, le Tribunal peut être amené à statuer spécifiquement sur les conclusions formellement dirigées contre la décision de rejet de la réclamation (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, EU:T:2011:506, point 32 et jurisprudence citée).

    24

    En l’espèce, outre l’annulation de la décision de non-renouvellement, la requérante demande, pour autant que de besoin, l’annulation de la décision de rejet de la réclamation.

    25

    Cette dernière décision n’est pas purement confirmative de la décision de non-renouvellement, puisque le directeur exécutif de l’AEAPP a pris position au regard d’éléments nouveaux. Plus précisément, le directeur exécutif de l’AEAPP s’est référé à des éléments de fait nouveaux, à savoir qu’il n’avait jamais été informé, en tant qu’évaluateur d’appel, du refus de la requérante d’accepter son rapport d’évaluation de l’année 2019 et que, d’un point de vue procédural, ce rapport n’avait pas été finalisé.

    26

    Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner les conclusions en annulation tant de la décision de non-renouvellement que de la décision de rejet de la réclamation (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 79 et jurisprudence citée).

    27

    En outre, la décision de rejet de la réclamation précise certains aspects de la motivation de la décision de non-renouvellement. Par conséquent, compte tenu du caractère évolutif de la procédure précontentieuse, cette motivation devra également être prise en considération pour l’examen de la légalité de la décision de non-renouvellement, cette motivation étant censée coïncider avec ce dernier acte (arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 80 ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 58 et 59 et jurisprudence citée).

    Sur les conclusions en annulation dirigées contre la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation

    28

    À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante soulève six moyens visant à établir l’illégalité de la décision de non-renouvellement et de la décision de rejet de la réclamation, tirés :

    le premier, du fait que le rapport d’évaluation de l’année 2019 n’a pas été dûment finalisé et que le rapport relatif au renouvellement de contrat s’est appuyé sur un rapport d’évaluation non finalisé ;

    le deuxième, d’une violation du principe d’impartialité, de l’article 11 du statut et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

    le troisième, d’une violation du droit d’être entendu et de l’obligation de motivation, d’une violation de l’article 25 du statut, de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux et des points 6.7, 6.9 et 6.10 de la procédure de renouvellement de contrat de l’AEAPP du 14 août 2017 (ci-après la « procédure de renouvellement de contrat ») ;

    le quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation, de l’absence d’une appréciation diligente de tous les aspects de l’affaire et d’une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux et des points 4 et 6.5 de la procédure de renouvellement de contrat ;

    le cinquième, d’une discrimination fondée sur le genre et sur la situation familiale, en violation de l’article 1er quinquies du statut et des articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux, et

    le sixième, d’une violation de l’obligation de diligence.

    29

    Dans un souci d’économie de procédure et dans le respect du principe de bonne administration de la justice, le juge de l’Union peut statuer sur un recours sans devoir nécessairement se prononcer sur l’ensemble des moyens et des arguments formulés par les parties (voir arrêt du 5 février 2018, Ranocchia/ERCEA, T‑208/16, EU:T:2018:68, point 57 et jurisprudence citée). En l’espèce, il convient d’examiner d’abord le premier moyen, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

    30

    Par son premier moyen, la requérante fait valoir que la décision de non-renouvellement est illégale, car elle repose sur un rapport d’évaluation, relatif à l’année 2019, qui n’a pas été finalisé.

    31

    La requérante souligne que son rapport d’évaluation de l’année 2019 est un élément essentiel de la motivation de la décision de non-renouvellement. Or, ledit rapport n’aurait pas été finalisé, la requérante n’ayant pas eu la possibilité de s’exprimer utilement à son égard. Ce rapport ne saurait donc servir de base pour l’adoption de la décision de non-renouvellement. Il s’agirait d’un vice de procédure affectant la légalité de la décision de non-renouvellement qui serait ainsi dépourvue de base juridique ou factuelle, d’autant plus que ladite décision se réfère explicitement à l’évaluation de la requérante figurant dans le rapport d’évaluation de l’année 2019.

    32

    En outre, il ne saurait être exclu que, si les commentaires de la requérante contestant son évaluation dans le rapport d’évaluation de l’année 2019 avaient été dûment pris en compte à l’époque, l’AHCC aurait pris une décision différente quant au renouvellement de son contrat. En effet, rien ne prouve que ses commentaires concernant son rapport d’évaluation de l’année 2019 ont été pris en compte et la confirmation, dans la décision de rejet de la réclamation, des observations négatives de son évaluateur n’est pas motivée. L’AEAPP ne saurait ainsi confirmer l’appréciation portée par l’évaluateur dans le rapport d’évaluation de l’année 2019.

    33

    L’AEAPP rétorque que l’exercice d’évaluation de la requérante pour l’année 2019 a dûment suivi son cours jusqu’au stade de l’appel et les observations de l’évaluateur ont été communiquées et restent valables aux fins de l’évaluation de l’évolution des prestations de la requérante en 2020 et de la décision quant au renouvellement de son contrat.

    34

    En outre, l’AEAPP reconnaît l’existence d’une omission procédurale dans l’exercice d’évaluation de la requérante de 2019, mais considère que l’appel de la requérante a été implicitement rejeté. En effet, l’AHCC a mentionné que, si elle avait été saisie de l’appel de la requérante contre son rapport d’évaluation, elle aurait confirmé ce dernier et les observations de la requérante jointes au refus de son rapport d’évaluation de l’année 2019 n’auraient pu remettre en cause la décision de non-renouvellement. L’AHCC aurait par ailleurs indiqué à la requérante, lors de l’entretien du 27 février 2020, qu’elle était d’accord avec l’évaluation faite par son évaluateur.

    35

    Afin de statuer sur ces arguments, tirés de l’absence de finalisation du rapport d’évaluation de l’année 2019, il convient d’examiner préalablement le statut juridique dudit rapport.

    Sur l’absence de finalisation du rapport d’évaluation de l’année 2019

    36

    Il résulte des dispositions combinées de l’article 43, premier alinéa, du statut et de l’article 15, paragraphe 2, du RAA que l’administration doit veiller à la rédaction périodique de rapports concernant la compétence, le rendement et la conduite dans le service de ses agents, tant pour des motifs de bonne administration que pour sauvegarder leurs intérêts. En effet, les rapports d’évaluation constituent une preuve écrite et formelle quant à la qualité du travail que l’agent a accompli pendant la période considérée (arrêts du 13 décembre 2018, Wahlström/Frontex, T‑591/16, non publié, EU:T:2018:938, points 55 et 56, et du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 60).

    37

    Selon l’article 7, paragraphe 1, de la décision de la Commission C(2013)8985, du 16 décembre 2013, relative aux dispositions générales d’exécution de l’article 43 du statut et aux modalités d’application de l’article 44, premier alinéa, du statut [ci-après la « décision de la Commission du 16 décembre 2013 », applicable à l’AEAPP par analogie (EIOPA-MB-14/018)], le refus motivé du rapport par le titulaire de poste vaut automatiquement saisine de l’évaluateur d’appel. Le paragraphe 3 du même article prévoit que l’évaluateur d’appel confirme le rapport ou le modifie en motivant sa décision dans un délai de vingt jours ouvrables à compter de la date du refus motivé du rapport tandis que le paragraphe 4 dispose que c’est à la suite de la décision de l’évaluateur d’appel que le rapport devient définitif.

    38

    L’article 7, paragraphe 4, de la décision de la Commission du 16 décembre 2013 prévoit explicitement que, à la suite de la décision de l’évaluateur d’appel, le rapport devient définitif et que « le titulaire de poste est informé par courrier électronique ou tout autre moyen, que la décision par laquelle le rapport est rendu définitif a été adoptée […] [et] aura à ce moment également accès à la décision de l’évaluateur d’appel [ ; c]ette information vaut communication de la décision au sens de l’article 25 du statut [ ; l]e délai de trois mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut pour introduire une réclamation court à partir de la communication de cette information ».

    39

    À cet égard, il convient de préciser que, en tant que disposition d’une décision formelle de la Commission, dûment publiée et mise en œuvre, l’article 7 de la décision de la Commission du 16 décembre 2013 établit une règle interne de portée générale juridiquement contraignante limitant l’exercice du pouvoir d’appréciation de cette institution ainsi que de l’AEAPP qui a décidé de l’application par analogie de cette décision en matière d’organisation de ses structures et de gestion de son personnel dont les membres peuvent se prévaloir devant le juge de l’Union qui en assure le respect (voir, par analogie, arrêts du 27 avril 2012, De Nicola/BEI, T‑37/10 P, EU:T:2012:205, point 40, et du 7 juillet 2009, Bernard/Europol, F‑54/08, EU:F:2009:86, point 47).

    40

    Il ressort clairement de ces dispositions que, lorsque le titulaire de poste refuse le rapport d’évaluation, celui-ci ne devient définitif qu’à la suite de la décision de l’évaluateur d’appel. En effet, selon la jurisprudence, lorsque l’évaluateur d’appel dispose d’un pouvoir de contrôle entier portant sur le bien-fondé des évaluations contenues dans un rapport d’évaluation et peut le valider ou le modifier, et s’abstient illégalement de l’exercice de son contrôle, le rapport d’évaluation refusé par le titulaire de poste ne devient pas définitif (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 avril 2012, De Nicola/BEI, T‑37/10 P, EU:T:2012:205, points 38, 41 et 60).

    41

    En outre, ainsi que le soutient à juste titre la requérante, rien dans la décision de la Commission du 16 décembre 2013 ne permet de déduire qu’après l’écoulement du délai pour l’adoption d’une décision par l’évaluateur d’appel, le refus motivé du rapport d’évaluation est rejeté implicitement.

    42

    En effet, contrairement à ce qu’avance l’AEAPP, la référence à l’article 90, paragraphe 2, du statut, faite à l’article 7, paragraphe 4, de la décision de la Commission du 16 décembre 2013, n’a ni pour objet ni pour effet de rendre applicable en l’espèce la règle introduite par l’article 90, paragraphe 1, du statut, à savoir que le défaut de réponse à la demande d’une personne visée par le statut invitant l’autorité investie du pouvoir de nomination à prendre une décision à son égard vaut refus implicite après l’écoulement d’un délai de quatre mois. L’article 7, paragraphe 4, de la décision de la Commission du 16 décembre 2013 introduit une règle propre à la procédure d’évaluation applicable dans le présent cas qui ne saurait être écartée au profit de la règle introduite par l’article 90, paragraphe 1, du statut. La teneur de l’article 7, paragraphe 4, de la décision de la Commission du 16 décembre 2013 ne saurait davantage être modifiée par une lecture effectuée à la lumière de la règle introduite par l’article 90, paragraphe 1, du statut, qui introduit une procédure et un délai différents.

    43

    En l’espèce, le directeur exécutif de l’AEAPP, qui est aussi l’évaluateur d’appel, a affirmé, dans la décision de rejet de la réclamation, et ce point a été aussi confirmé à l’audience, qu’il n’avait pas pris connaissance du refus motivé du rapport d’évaluation de l’année 2019 de la requérante et concédé que ce rapport n’avait jamais été finalisé. L’AEAPP, dans son mémoire en défense, explique que l’évaluateur d’appel n’a jamais reçu la notification du refus de la requérante de son rapport d’évaluation de l’année 2019 à cause d’un problème technique, sans donner plus de précisions, mis à part le fait qu’il a été demandé au fournisseur de services compétent, en novembre 2021, de mettre en place une notification lorsque le titulaire du poste refuse son rapport d’évaluation.

    44

    Toutefois, l’administration ne saurait exciper de son organisation administrative interne pour justifier le non-respect de son devoir impérieux de veiller à la rédaction périodique des rapports d’évaluation dans les délais et à leur établissement régulier (arrêt du 18 décembre 1980, Gratreau/Commission, 156/79 et 51/80, non publié, EU:C:1980:304, point 15).

    45

    Il résulte de ce qui précède que l’inaction de l’évaluateur d’appel à la suite du refus du rapport d’évaluation de l’année 2019 par la requérante, due à une erreur interne d’organisation, ne saurait être considérée comme une confirmation implicite dudit rapport qui aurait pour effet de le rendre définitif et de déclencher le délai pour former une réclamation à son encontre. Le principe de sécurité juridique, invoqué par l’AEAPP, ne saurait mettre à la charge de la requérante un devoir de diligence qui appartient à l’administration et l’AEAPP ne peut valablement soutenir que la requérante serait forclose à faire valoir l’illégalité de la procédure d’évaluation, parce qu’elle n’a pas formé une réclamation contre ce prétendu rejet implicite. L’existence d’un tel rejet implicite ne saurait, enfin, être constatée, dès lors que le directeur exécutif, qui n’avait pas connaissance de l’appel formé par la requérante contre son rapport d’évaluation, ne pouvait avoir pris une quelconque position sur cet appel.

    46

    En outre, si la requérante a retiré lors de l’audience les conclusions dirigées contre ce rapport (voir point 19 ci-dessus), elle l’a fait sans préjudice des critiques exprimées dans ses écritures relatives à l’absence de finalisation dudit rapport.

    47

    Il s’ensuit que, premièrement, le rapport d’évaluation de la requérante de l’année 2019 est un document non finalisé qui ne pouvait être pris en considération aux fins de l’évaluation des performances de la requérante et, deuxièmement, la requérante est en droit de faire valoir, de manière incidente, l’illégalité tenant à l’absence de finalisation d’un rapport d’évaluation pour ladite année (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 62).

    Sur les conséquences de l’absence de finalisation du rapport d’évaluation de l’année 2019

    48

    À titre liminaire, il convient de rappeler qu’un agent temporaire titulaire d’un contrat à durée déterminée n’a, en principe, aucun droit au renouvellement de son contrat, un tel renouvellement n’étant qu’une simple possibilité, subordonnée à la condition qu’il soit conforme à l’intérêt du service (arrêts du 6 février 2003, Pyres/Commission, T‑7/01, EU:T:2003:27, point 64, et du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 103).

    49

    En effet, à la différence des fonctionnaires dont la stabilité d’emploi est garantie par le statut, les agents temporaires relèvent d’un autre régime à la base duquel se trouve le contrat d’emploi conclu avec l’institution concernée. Ainsi, la durée de la relation de travail entre une institution et un agent temporaire engagé à durée déterminée est, précisément, régie par les conditions établies dans le contrat conclu entre les parties. En outre, une jurisprudence également constante reconnaît à l’administration un large pouvoir d’appréciation en matière de renouvellement de contrat (voir arrêt du 13 décembre 2018, Wahlström/Frontex, T‑591/16, non publié, EU:T:2018:938, point 46 et jurisprudence citée ; arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 106).

    50

    Même si l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le Tribunal, saisi d’un recours en annulation dirigé contre un acte adopté dans l’exercice d’un tel pouvoir, n’en exerce pas moins un contrôle de légalité, lequel se manifeste à plusieurs égards. S’agissant d’une demande d’annulation d’une décision de non-renouvellement d’un contrat d’agent temporaire, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à la vérification de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir ainsi qu’à l’absence d’atteinte au devoir de sollicitude qui pèse sur une administration lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur la reconduction d’un contrat qui la lie à l’un de ses agents. De plus, le Tribunal contrôle si l’administration a commis des inexactitudes matérielles (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Wahlström/Frontex, T‑591/16, non publié, EU:T:2018:938, point 47 et jurisprudence citée).

    51

    En outre, à partir du moment où l’administration a élaboré un régime spécifique, par directive interne, destiné à garantir la transparence du processus de renouvellement des contrats, l’adoption de ce régime s’analyse comme une autolimitation du pouvoir d’appréciation de l’institution, ainsi qu’il a été relevé au point 39 ci-dessus, et opère une transformation du régime initial des agents contractuels décrit précédemment, marqué par la précarité des contrats à durée déterminée, en un régime permettant un renouvellement sous certaines conditions. En effet, il est de jurisprudence constante qu’une décision d’une institution, communiquée à l’ensemble du personnel et précisant les critères et la procédure applicables dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation en matière de renouvellement ou de non-renouvellement de contrat, constitue une directive interne qui doit, en tant que telle, être considérée comme une règle de conduite que l’administration s’impose à elle-même et dont elle ne peut s’écarter sans préciser les raisons qui l’y ont amenée, sous peine d’enfreindre le principe d’égalité de traitement (voir arrêt du 7 juillet 2009, Bernard/Europol, F‑54/08, EU:F:2009:86, point 47 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 avril 2012, De Nicola/BEI, T‑37/10 P, EU:T:2012:205, point 40).

    52

    En l’espèce, la procédure de renouvellement de contrat de l’AEAPP, qui définit la politique générale de ladite agence en matière de renouvellement de contrats, constitue une directive interne au sens de la jurisprudence précitée.

    53

    Le point 4 de la procédure de renouvellement de contrat prévoit que « la décision de renouveler les contrats de travail est adoptée par le directeur exécutif (l’AHCC) selon les besoins du service et compte tenu de considérations telles que : a) la continuité du poste [...] b) les prestations du titulaire de poste [...] c) la(les) compétence(s) de l’agent [...] d) les besoins de l’autorité ».

    54

    Plus précisément, le point 4, sous b), de la procédure de renouvellement de contrat prévoit que, lorsque l’AHCC prend la décision sur le renouvellement d’un contrat en se fondant sur les prestations du titulaire de poste, ce critère est considéré « sur la base de la description du poste occupé par le titulaire de poste et des rapports annuels d’évaluation des prestations, et lorsqu’aucun rapport d’évaluation n’a encore été établi, sur la base du rapport relatif à sa période d’essai et de tout autre document pertinent ». Le point 6.5 de la procédure de renouvellement de contrat ajoute que la recommandation du chef de service sur le renouvellement d’un contrat est présentée après le dialogue prévu au point 6.4 et doit tenir compte « des rapports d’évaluation précédents du titulaire du poste et de l’adéquation des compétences de ce dernier avec le poste, tel qu’on peut envisager qu’il évoluera dans les années à venir ; [l]’unité des ressources humaines s’assure que le chef de service a accès à tous les rapports d’évaluation du titulaire du poste ». Selon le point 6.9 de la procédure de renouvellement des contrats, la décision finale est prise par le directeur exécutif qui tient compte, d’une part, de la recommandation du chef de service et des commentaires du titulaire de poste et, d’autre part, des critères énumérés au point 4 de ladite décision.

    55

    Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’une décision sur le renouvellement d’un contrat est prise sur la base du critère concernant les prestations du titulaire de poste, les rapports d’évaluation de la personne intéressée doivent être pris en compte tant au stade de la recommandation du chef de service qu’au stade de l’adoption de la décision.

    56

    En l’espèce, la recommandation du chef de service de la requérante du 2 juillet 2020 concernant le renouvellement de son contrat commençait avec la citation de la conclusion du rapport d’évaluation de l’année 2019 de la requérante. Ladite recommandation se concentrait ensuite sur les prestations de la requérante pendant la première période de l’année 2020. Elle ne faisait pas mention des rapports d’évaluation précédents.

    57

    En ce qui concerne la décision de non-renouvellement, il en ressort que, pour évaluer les prestations de la requérante, l’AHCC s’est explicitement fondée sur les prestations à compter de l’année 2019. En effet, la décision de non-renouvellement rejette les bonnes prestations de la requérante pendant ses premières années au service de l’AEAPP comme étant « non pertinentes ». En outre, l’AHCC souligne que la requérante « n’a pas été en mesure de travailler au niveau attendu d’un expert senior AD 8 déjà depuis 2019 ». Elle ajoute que la requérante avait reçu « un avertissement clair » en ce sens déjà depuis l’exercice d’évaluation 2019 et que, malgré cet avertissement, ses performances ne se sont pas améliorées. La décision de non-renouvellement ne mentionne aucun autre rapport d’évaluation que celui de l’année 2019.

    58

    La décision de rejet de la réclamation explique que les bonnes prestations de la requérante de 2015 à 2017 ont justifié le premier renouvellement de son contrat, mais que, lorsqu’il s’agit de renouveler un contrat pour une deuxième fois, et ce pour une période indéterminée, il faut se focaliser sur la période après le premier renouvellement. La décision de rejet de la réclamation souligne que, pour l’AHCC, cette période couvre essentiellement l’année 2019 et le premier semestre de l’année 2020, car les congés de maternité et parental ont conduit la requérante à être absente du bureau jusqu’en octobre 2018.

    59

    Il ressort de ces énonciations que le seul rapport d’évaluation effectivement pris en considération par l’AHCC est celui qui porte sur les performances de la requérante pour l’année 2019. Or, ce rapport d’évaluation n’est jamais devenu définitif et ne pouvait être pris en compte afin d’évaluer les performances de la requérante (voir point 47 ci-dessus).

    60

    Par conséquent, l’appréciation des prestations de la requérante a été réalisée sur la base d’un dossier incomplet en tant qu’il ne comportait pas son rapport d’évaluation de l’année 2019 définitif (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 61).

    61

    Dès lors, la décision de non-renouvellement de contrat a méconnu les dispositions de la procédure de renouvellement de contrat qui imposent la prise en considération des rapports d’évaluation précédents du titulaire du poste (voir point 53 ci-dessus).

    62

    Selon la jurisprudence, une telle irrégularité procédurale ne saurait être sanctionnée par l’annulation de la décision attaquée que s’il est établi que cette irrégularité procédurale a pu influer sur le contenu de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2013,Wahlström/Frontex, F‑87/11, EU:F:2013:10, point 58 et jurisprudence citée). Plus précisément, le seul fait que, lors de l’appréciation des prestations de la requérante, son dossier personnel était incomplet, en raison notamment de l’absence d’un rapport d’évaluation, ne suffit pas à annuler une décision de non-renouvellement, sauf s’il est établi que cette circonstance a pu avoir une incidence décisive sur la procédure de renouvellement (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 63).

    63

    Tel est le cas en l’espèce.

    64

    En effet, tout d’abord, contrairement aux allégations de l’AEAPP, il ne saurait être exclu que l’évaluateur d’appel, s’il avait dûment pris connaissance du refus de la requérante de son rapport d’évaluation de l’année 2019, qui comportait d’ailleurs une appréciation de l’évaluateur résumée par la mention « satisfaisant », et des commentaires de la requérante, il aurait pu tenir compte de ces commentaires et modifier ledit rapport ou sa motivation. À cet égard, la jurisprudence souligne que l’administration a l’obligation de motiver tout rapport d’évaluation de façon suffisante et circonstanciée et de mettre l’intéressé en mesure de formuler des observations sur cette motivation, le respect de ces exigences étant d’autant plus important lorsque l’évaluation connaît une régression par rapport à l’évaluation antérieure, comme c’est le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, DE/EMA, F‑103/13, EU:F:2014:265, point 38). Ainsi, sauf à vider l’exercice d’évaluation et la procédure prévue à l’article 7 de la décision de la Commission du 16 décembre 2013 de leur sens, l’argument de l’AEAPP selon lequel, si l’AHCC avait été saisie de l’appel de la requérante et s’était prononcée sur cet appel, elle aurait confirmé le rapport d’évaluation de l’année 2019 et selon lequel ce rapport devrait alors être pris en compte aux fins de la procédure de renouvellement de contrat doit être rejeté.

    65

    Ensuite, il convient de tenir compte, ainsi que le souligne la requérante, de la place prépondérante de l’évaluation de ses prestations au titre de l’année 2019 dans la recommandation du chef de service et la décision de non-renouvellement.

    66

    Enfin, il ne peut pas être exclu que le chef de service, valablement appelé à se prononcer sur les performances professionnelles de la requérante conformément au point 6.5 de la procédure de renouvellement de contrat, aurait pu faire valoir des propositions différentes ou autrement motivées quant au renouvellement du contrat de celle-ci et que l’AHCC aurait pu adopter une décision différente (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2013, Wahlström/Frontex, F‑87/11, EU:F:2013:10, point 58).

    67

    Dès lors, le fait que les commentaires de la requérante concernant son rapport d’évaluation de l’année 2019 n’ont pas été pris en compte et que celui-ci n’est pas devenu définitif ont pu avoir une incidence décisive sur la procédure de renouvellement.

    68

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le premier moyen de la requérante doit être accueilli.

    69

    En conséquence, la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation doivent être annulées, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.

    Sur les conclusions indemnitaires

    70

    La requérante estime qu’elle a démontré l’illégalité de la décision de non-renouvellement de son contrat et de la décision de rejet de la réclamation qui lui ont causé un préjudice matériel et moral que l’AEAPP devrait réparer.

    71

    L’AEAPP conteste l’argumentation de la requérante.

    72

    Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une demande indemnitaire formulée par un fonctionnaire ou par un agent, la responsabilité de l’Union suppose la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué (voir arrêt du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 45 et jurisprudence citée).

    73

    À cet égard, il convient de préciser que le contentieux en matière de fonction publique au titre de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, y compris celui visant à la réparation d’un dommage causé à un fonctionnaire ou à un agent, obéit à des règles particulières et spéciales par rapport à celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il ressort notamment du statut que, à la différence de tout autre particulier, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé. Cet équilibre est essentiellement destiné à préserver la relation de confiance qui doit exister entre les institutions et leurs fonctionnaires et agents aux fins de garantir aux citoyens le bon accomplissement des missions d’intérêt général dévolues aux institutions. Il s’ensuit que, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, se manifestant par l’obligation de réparer les dommages causés à son personnel par toute illégalité commise en sa qualité d’employeur (voir arrêt du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 46 et jurisprudence citée).

    74

    Le premier moyen ayant été accueilli, la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation sont illégales. La première condition d’engagement de la responsabilité de l’AEAPP, à savoir l’illégalité du comportement reproché, est donc remplie.

    75

    S’agissant des deux autres conditions, la réalité du dommage et le lien de causalité, il convient de distinguer entre le préjudice matériel et le préjudice moral.

    Sur le préjudice matériel

    76

    S’agissant du préjudice matériel, la requérante soutient qu’il comprend le montant du salaire et des avantages auxquels elle aurait eu droit à partir du moment où son contrat aurait dû être renouvelé, à savoir le 16 janvier 2021, et jusqu’à l’exécution de l’arrêt du Tribunal, majorés des intérêts pour retard de paiement et prenant en compte l’allocation de chômage qu’elle perçoit. Elle demande également le versement rétroactif des cotisations au régime de retraite. La requérante considère que l’annulation de la décision de non-renouvellement de son contrat et de la décision de rejet de la réclamation devrait entraîner le renouvellement de son contrat avec effet rétroactif et qu’une décision de renouvellement aura pour effet l’indemnisation de ce préjudice matériel.

    77

    La requérante ajoute que, si le Tribunal devait considérer qu’elle a perdu une chance de voir son contrat renouvelé, cette chance serait sérieuse et élevée. Elle évalue cette perte de chance à 90 %, taux qui devrait s’appliquer au montant qu’elle aurait perçu si elle avait été encore employée, et ce pour une durée raisonnable.

    78

    L’AEAPP répond que, même si le Tribunal devait annuler la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation, l’exécution de l’arrêt n’entraînerait pas un renouvellement de contrat ipso jure et la requérante prétendrait à tort qu’elle a un droit subjectif au renouvellement de son contrat. En outre, aucune faute ni illégalité n’aurait été commise et la requérante ne saurait prétendre à une confiance légitime dans le renouvellement de son contrat de travail.

    79

    À titre liminaire, il convient de rappeler que la compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union par l’article 91, paragraphe 1, du statut l’investit de la mission de donner aux litiges dont il est saisi une solution complète. Cette compétence vise notamment à permettre aux juridictions de l’Union de garantir l’efficacité pratique des arrêts d’annulation qu’elles prononcent dans les affaires de fonction publique, de sorte que, si l’annulation d’une décision erronée en droit prise par l’AIPN ne suffit pas pour faire prévaloir les droits du fonctionnaire concerné ou pour préserver ses intérêts de manière efficace, le juge de l’Union peut, même d’office, lui accorder une indemnisation (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Gogos/Commission, C‑583/08 P, EU:C:2010:287, points 49 et 50), Il peut faire usage de la même compétence lorsque la partie requérante ne peut tirer avantage de l’exécution des obligations découlant de l’annulation (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2015, EMA/Drakeford, T‑231/14 P, EU:T:2015:639, point 47).

    80

    Il convient de relever que le préjudice matériel allégué comprend deux chefs de préjudice distincts. Le premier, invoqué à titre principal, consiste en la perte de la rémunération à laquelle la requérante aurait eu droit si son contrat avait été renouvelé. La requérante estime que ce préjudice devrait être réparé par l’adoption d’une décision de renouvellement de contrat avec effet rétroactif, l’AEAPP lui versant dans cette hypothèse les sommes dont elle a été illégalement privée, compte tenu de l’allocation chômage qu’elle a perçue par ailleurs. Le second chef de préjudice matériel, invoqué à titre subsidiaire dans l’hypothèse où il ne serait pas reconnu que la requérante avait le droit de voir son contrat renouvelé, consiste en la perte d’une chance d’obtenir ce renouvellement. La requérante considère que ce préjudice pourrait être réparé par la condamnation de l’AEAPP à lui verser une indemnité calculée par application du taux de 90 %, pourcentage représentant la chance qu’elle estime avoir eue de voir son contrat renouvelé, aux mêmes sommes que celles mentionnées au titre du précédent chef de préjudice.

    81

    En ce qui concerne le premier chef de préjudice matériel allégué, consistant en une perte de rémunération, il convient d’indiquer à titre liminaire que la requérante ne peut pas valablement étayer ses conclusions en indemnité, introduites concomitamment à ses conclusions en annulation dirigées à l’encontre de la décision de non-renouvellement et de la décision de rejet de sa réclamation, en affirmant que l’annulation desdits actes devrait entraîner le renouvellement rétroactif de son contrat avec pour effet que l’AEAPP lui verse les sommes dont elle a été illégalement privée depuis l’expiration de son contrat précédent. Cette argumentation, si elle était suivie, priverait d’objet, au moment du prononcé du présent arrêt d’annulation, la demande en réparation du préjudice consistant en une perte de rémunération. Au demeurant, cette argumentation ne saurait être suivie. Certes, ainsi qu’il est rappelé au point 79 ci-dessus, le juge de l’Union peut faire usage de la compétence de pleine juridiction qui lui est dévolue dans les litiges à caractère pécuniaire, y compris dans le cadre de simples conclusions en annulation, si l’annulation d’une décision erronée en droit prise par l’autorité compétente ne suffit pas pour faire prévaloir les droits du fonctionnaire concerné ou pour préserver ses intérêts de manière efficace, le juge pouvant, le cas échéant, être invité à exercer cette compétence par la partie requérante qui déclare ne pas pouvoir tirer d’avantage de l’exécution des obligations découlant de l’annulation de l’acte. Cependant, en l’espèce, il ne saurait être imposé à l’AEAPP ce que demande la requérante, à savoir la réintégrer rétroactivement, puisque l’illégalité constatée au point 67 ci-dessus n’implique pas qu’elle soit automatiquement réintégrée, mais seulement que le rapport d’évaluation de l’année 2019 soit finalisé et que la demande de renouvellement de contrat soit réexaminée. Par conséquent, l’argument principal de la requérante pour soutenir sa demande d’indemnisation du préjudice matériel lié à une perte de rémunération ne peut pas prospérer.

    82

    En outre, en ce qui concerne le premier chef de préjudice matériel allégué, il convient de relever que la perte de rémunération est inhérente à toute fin de contrat à durée déterminée, étant précisé ici encore que le renouvellement d’un tel contrat n’est pas un droit, mais une simple faculté (voir points 48 et 49 ci-dessus). Ainsi, en l’absence de toute assurance précise et concrète de la part de l’AEAPP quant au renouvellement du contrat de la requérante, celle-ci ne pouvait s’attendre à continuer à bénéficier de sa rémunération au-delà de la fin de son contrat à durée déterminée (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Manéa/CdT, T‑225/18, non publié, EU:T:2019:595, point 130). Pour cette raison aussi, il ne saurait être soutenu que l’annulation de la décision de non-renouvellement et de la décision de rejet de la réclamation aurait pour effet, en vertu de l’article 266 TFUE, d’impliquer l’adoption d’une nouvelle décision, avec effet rétroactif, par laquelle l’AEAPP renouvellerait le contrat de la requérante. Par conséquent, la demande de réparation du préjudice consistant en la perte de rémunération ne peut qu’être rejetée.

    83

    En ce qui concerne le second chef de préjudice matériel allégué, consistant en une perte de chance, il est de jurisprudence constante que celle-ci, pour être constatée et donner lieu à réparation, doit être réelle et définitive (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, EU:C:2008:107, points 54 et 55 ; du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, EU:T:2004:290, point 165, et du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 110).

    84

    Il convient d’examiner, en premier lieu, la condition concernant le caractère réel de la perte de chance.

    85

    À titre liminaire, il convient de rappeler qu’afin d’apprécier le caractère réel de la perte de chance, il y a lieu de se placer à la date à laquelle la décision de non-renouvellement a été prise (voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2016, CP/Parlement, F‑98/15, EU:F:2016:76, point 82).

    86

    Selon la jurisprudence, afin de déterminer le caractère réel de la perte de chance, il convient d’examiner s’il est établi à suffisance de droit que la partie requérante a été privée non pas nécessairement du renouvellement de son contrat, dont elle ne pourra jamais prouver qu’il se serait produit, mais d’une chance sérieuse de voir son contrat renouvelé, avec comme conséquence pour l’intéressée un préjudice matériel consistant en une perte de revenus (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, Eagle e.a./Commission, T‑144/02, EU:T:2004:290, point 165, et du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 111).

    87

    L’existence d’une chance sérieuse ne dépend pas du degré de probabilité que cette chance se serait réalisée, ce dernier élément étant pris en compte ensuite, si cette existence est reconnue, pour déterminer l’étendue du préjudice matériel subi et de son indemnisation (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 119, et du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 74). Ainsi, il a déjà été jugé que la perte d’une chance évaluée à 50 % (arrêt du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 119) ou à 25 % (arrêt du 12 avril 2016, CP/Parlement, F‑98/15, EU:F:2016:76, point 83) ou même la perte d’une chance « particulièrement faible » (arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 74) était suffisamment sérieuse, au vu des circonstances de ces affaires, pour établir son caractère réel.

    88

    En l’espèce, il ressort du dossier que, en l’absence de l’illégalité dont est entachée la décision de non-renouvellement, il ne pouvait être exclu que le contrat de la requérante soit renouvelé, qui plus est pour une durée indéterminée. En effet, la requérante avait exercé ses fonctions au service de l’AEAPP pendant plus de cinq ans au moment de la décision de non-renouvellement et il ressort de l’ensemble de ses rapports d’évaluation qu’elle avait accompli ses fonctions de manière satisfaisante. De plus, la décision de non-renouvellement n’indique pas que, lors de son adoption, l’intérêt du service ou les besoins de l’AEAPP s’opposaient au renouvellement du contrat de la requérante. Il ressort de la décision de non-renouvellement qu’elle était principalement fondée sur les prestations de la requérante de l’année 2019 et sur son rapport d’évaluation de l’année 2019, sans prendre en compte les commentaires de la requérante concernant ce rapport qui n’était pas devenu définitif, éléments qui ont conduit le Tribunal à censurer cette décision. Ces considérations constituent une série d’éléments suffisamment précis et plausibles pour démontrer que la requérante disposait, en 2020, dans le cadre de la procédure de renouvellement de contrat, d’une chance concrète et suffisamment sérieuse, autrement dit réelle, de voir son contrat renouvelé pour une durée indéterminée, au regard également des dispositions de la procédure de renouvellement de contrat, nonobstant le large pouvoir d’appréciation en matière de renouvellement d’un contrat d’engagement (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 196). C’est cette chance qui a été perdue en 2020 du fait de l’illégalité liée à l’usage d’un rapport d’évaluation non définitif constatée au point 67 ci-dessus.

    89

    En deuxième lieu, il convient d’examiner le caractère définitif de la perte de chance alléguée.

    90

    À titre liminaire, il convient de rappeler que le caractère définitif de la perte de chance s’apprécie au moment où le juge de l’Union statue, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris des éléments postérieurs à l’adoption de l’acte illégal à l’origine du préjudice (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 50, où est pris en compte le fait que les emplois auxquels la requérante s’est portée candidate ont été depuis pourvus, et du 14 juillet 2021, Carbajo Ferrero/Parlement, T‑670/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:435, point 164, où ont été pris en compte des événements non encore réalisés au moment du prononcé de l’arrêt du Tribunal comme le départ imminent du requérant à la retraite).

    91

    En l’espèce, afin d’évaluer ce caractère définitif, il convient d’examiner si, au jour du prononcé du présent arrêt et au vu des mesures d’exécution du présent arrêt qu’il incombe à l’AEAPP d’adopter, la requérante a définitivement perdu la chance qu’elle avait de voir son contrat renouvelé à l’expiration de celui-ci, à savoir à partir du 16 janvier 2021 (arrêt du 14 juillet 2021, Carbajo Ferrero/Parlement, T‑670/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:435, point 164 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1994, C/Commission, T‑47/93, EU:T:1994:262, point 52).

    92

    À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 266 TFUE, l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation. L’institution défenderesse est dès lors tenue, en vertu de cette disposition, de prendre les mesures nécessaires pour anéantir les effets des illégalités constatées (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2002, Campolargo/Commission, T‑372/00, EU:T:2002:103, point 109 et jurisprudence citée). Lorsque l’acte annulé a déjà été exécuté, l’anéantissement de ses effets impose, en principe, de rétablir la situation juridique dans laquelle la partie requérante se trouvait antérieurement à son adoption (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 2004, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2004:94, point 84 et jurisprudence citée).

    93

    Toutefois, l’obligation pour l’administration de prendre les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt d’annulation n’exclut pas nécessairement que la perte de chance de la partie requérante ayant obtenu l’annulation d’une décision la concernant soit définitive. En effet, si les mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation qu’il incombe à l’administration d’adopter pour se conformer à la chose jugée ne sont pas susceptibles d’avoir un effet utile, au sens de la jurisprudence citée au point 79 ci-dessus, en ne redonnant pas à la partie requérante la même possibilité d’obtenir satisfaction que si l’illégalité constatée n’était pas survenue, le juge peut constater le caractère définitif de la perte de chance alléguée et condamner l’administration à la réparer.

    94

    Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 juillet 2021, Carbajo Ferrero/Parlement (T‑670/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:435, point 164), alors même que l’administration n’avait pas encore adopté des mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation, le Tribunal a accordé une indemnisation de la perte d’une chance d’être nommé à un poste de directeur « plus tôt », à savoir à la date de la notification de la décision de ne pas retenir la candidature du requérant et de nommer un autre candidat. Le Tribunal de la fonction publique a également accordé une indemnisation de la perte de chance d’être confirmé dans les fonctions de chef d’unité plus tôt, en reconnaissant que la nomination postérieure du requérant à un poste de chef d’unité ne saurait valoir compensation adéquate pour le passé des effets de la décision de non-confirmation annulée (arrêt du 12 avril 2016, CP/Parlement, F‑98/15, EU:F:2016:76, point 76).

    95

    Dans des litiges relatifs à des décisions de rejet de candidatures, le Tribunal a jugé que le caractère définitif de la perte d’une chance d’être recruté découlait de la protection des droits des tiers, dont les candidatures avaient été retenues pour les postes en question (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2006, Girardot/Commission, T‑10/02, EU:T:2006:148, point 49, et du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 91), et non pas de l’impossibilité pour l’administration de corriger juridiquement l’illégalité commise.

    96

    Dans une affaire portant sur le non-renouvellement d’un contrat, le Tribunal a reconnu le caractère indemnisable de la perte de chance de l’agent temporaire concerné de voir son contrat prolongé, alors même que l’administration n’avait pas encore eu l’occasion d’adopter des mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation (arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 197).

    97

    Il ressort de cet exposé de la jurisprudence que le caractère définitif de la perte d’une chance ne présuppose pas que l’administration soit dans l’impossibilité de corriger juridiquement l’illégalité de ses actes. Ce caractère peut être constaté lorsque, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce, même s’il est encore possible pour l’administration d’adopter des mesures permettant de corriger l’illégalité commise, ces mesures seraient dépourvues d’effet utile pour la partie requérante, en ne lui redonnant pas la même chance que celle dont cette illégalité l’a privée.

    98

    Tel est le cas en l’espèce. En effet, d’une part, l’annulation de la décision de non-renouvellement n’implique pas, par elle-même, la réintégration juridique de la requérante dans les services de l’AEAPP à la date de prise d’effet de cette décision. À la différence d’une décision d’éviction d’un fonctionnaire ou d’un agent sous contrat à durée indéterminée, la décision de non-renouvellement n’a pas interrompu une relation d’emploi qui se serait poursuivie en l’absence de son intervention. Il est donc loisible à l’administration de considérer que la nouvelle décision qu’il lui appartient de prendre à la suite du présent arrêt disposera seulement pour l’avenir. D’autre part, à supposer même que l’AEAPP adopte, à la suite de l’annulation de la décision de non-renouvellement par le Tribunal, une nouvelle décision qui renouvelle le contrat de la requérante à partir de l’expiration de son contrat précédent, cette décision serait dépourvue, pour la requérante, d’effet utile pour la période allant de l’expiration de son contrat précédent à l’adoption de la nouvelle décision. En effet, la requérante ne serait pas fondée à réclamer, pour cette période, le versement de sa rémunération et ne pourrait exercer des fonctions au sein de l’AEAPP qu’à partir du moment où elle serait réintégrée dans cette agence.

    99

    Dès lors, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la requérante est fondée à soutenir qu’elle a perdu définitivement la chance qu’elle avait, si l’illégalité constatée dans le présent arrêt n’avait pas été commise, de voir son contrat renouvelé à la date d’expiration de celui-ci.

    100

    Par conséquent, sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les illégalités commises par l’AEAPP ont privé, de façon certaine, la requérante d’une chance réelle de voir sa relation de travail avec l’AEAPP prolongée sans interruption dès le 16 janvier 2021 à la suite de l’expiration de son contrat (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 117). La deuxième condition de l’engagement de la responsabilité de l’AEAPP est ainsi remplie.

    101

    Ce préjudice est dû à l’illégalité du comportement de l’AEAPP qui a, de façon certaine, privé la requérante d’une chance sérieuse de voir son contrat renouvelé (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 111). La troisième condition d’engagement de la responsabilité de l’AEAPP, tenant au lien de causalité entre l’illégalité invoquée et le préjudice allégué, est ainsi également remplie et il convient, dès lors, de déterminer le montant de l’indemnité à verser au titre de la perte d’une chance.

    102

    Selon la jurisprudence, pour déterminer le montant de l’indemnité à verser au titre de la perte d’une telle chance, il convient, après avoir identifié la nature de la chance dont le fonctionnaire ou l’agent a été privé, de déterminer la date à partir de laquelle il aurait pu bénéficier de cette chance, puis de quantifier ladite chance et, enfin, de préciser quelles ont été pour lui les conséquences financières de cette perte de chance (voir arrêt du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, point 118 et jurisprudence citée).

    103

    Lorsque cela est possible, la chance dont un fonctionnaire ou un agent a été privé doit être déterminée objectivement, sous la forme d’un coefficient mathématique résultant d’une analyse précise. Cependant, lorsque ladite chance ne peut pas être quantifiée de cette manière, il est admis que le préjudice subi puisse être évalué ex æquo et bono (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2018, Fernández González/Commission, T‑162/17 RENV, non publié, EU:T:2018:711, points 119 à 121 et jurisprudence citée ; arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 199).

    104

    La requérante a donné une évaluation chiffrée du montant devant servir de base au calcul du montant de l’indemnité liée à la perte de chance. Toutefois, cette évaluation ne saurait être retenue. En effet, il n’est pas possible de quantifier correctement cette chance et de préciser les conséquences financières de la perte de chance, au motif qu’un calcul correct du préjudice matériel de la requérante dépendrait de diverses hypothèses, notamment s’agissant du sens de la nouvelle décision adoptée par l’AEAPP au vu du présent arrêt, de la durée totale de la carrière de la requérante au sein de l’AEAPP ou encore de ses promotions. Par conséquent, il y a lieu d’évaluer, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, le préjudice subi ex æquo et bono (voir, en ce sens, du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 200 et jurisprudence citée).

    105

    Dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation de l’entier préjudice matériel subi par la requérante en raison de sa perte de chance de voir sa relation de travail avec l’AEAPP prolongée sans interruption, c’est-à-dire par la perte de chance de voir son contrat renouvelé dès le 16 janvier 2021 à la suite de l’expiration de son contrat précédent, en condamnant l’AEAPP à lui verser, ex æquo et bono, la somme forfaitaire de 10000 euros. Cette estimation forfaitaire tient compte notamment du grade de la requérante, de la période entre l’expiration de son contrat jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par l’AEAPP au vu du présent arrêt, du fait qu’elle a occupé son poste pendant six ans, du fait que ses rapports d’évaluation étaient satisfaisants et de l’allocation chômage perçue.

    Sur le préjudice moral

    106

    La requérante soutient qu’elle a subi un préjudice moral résultant, premièrement, du fait que la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation lui ont causé une dépression nerveuse et une atteinte à sa santé, deuxièmement, de l’appréciation négative de ses prestations par son rapport d’évaluation de l’année 2019 et par la décision de non-renouvellement lui ayant causé une atteinte à sa dignité, à sa réputation et à son estime de soi, et, troisièmement, de l’insécurité causée par la perte de la possibilité d’accomplir dix ans de service afin de pouvoir prétendre à une pension de retraite. Son préjudice moral serait évalué, ex æquo et bono, à la somme de 10000 euros.

    107

    L’AEAPP répond que les évaluations négatives des prestations de la requérante et les décisions qui ont été prises quant au non-renouvellement de son contrat ne peuvent pas être considérées comme fondant un préjudice moral. En outre, la perte de la possibilité de recevoir une pension de retraite ne serait qu’une simple hypothèse, car même si le contrat de la requérante avait été renouvelé, il n’y aurait aucune certitude qu’elle aurait accompli les dix ans de service nécessaires à cette fin.

    108

    Premièrement, concernant le préjudice moral résultant, selon la requérante, du fait que la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation lui ont causé une dépression nerveuse et une atteinte à sa santé, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, lorsque les conclusions indemnitaires trouvent leur fondement dans l’illégalité de l’acte annulé, ce qui est le cas en l’espèce, l’annulation prononcée par le Tribunal constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que la partie requérante pourrait avoir subi (voir arrêt du 18 septembre 2015, Wahlström/Frontex, T‑653/13 P, EU:T:2015:652, point 82 et jurisprudence citée), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, CH/Parlement, F‑129/12, EU:F:2013:203, point 64 et jurisprudence citée).

    109

    Ainsi, il a été jugé que l’annulation d’un acte, lorsqu’elle est privée de tout effet utile, ne pouvait constituer en elle-même la réparation adéquate et suffisante de tout préjudice moral causé par l’acte annulé (arrêts du 15 janvier 2019, HJ/EMA, T‑881/16, non publié, EU:T:2019:5, point 60, et du 9 mars 2010, N/Parlement, F‑26/09, EU:F:2010:17, point 107).

    110

    En l’espèce, l’annulation de la décision de non-renouvellement, en raison des limites de son effet utile exposées au point 98 ci-dessus, ne saurait constituer en elle-même une réparation suffisante et les conséquences du non-renouvellement de contrat, autres que matérielles, notamment celles sur la santé de la requérante, ne pourront pas être aisément corrigées (voir arrêt du 16 décembre 2020, VP/Cedefop, T‑187/18, non publié, EU:T:2020:613, point 205 et jurisprudence citée).

    111

    À cet égard, la requérante a établi à suffisance de droit qu’elle a subi un préjudice moral et que ce dernier lui a été causé par la décision de non-renouvellement et la décision de rejet de la réclamation ainsi que par les circonstances entourant l’adoption de celles-ci qui sont imputables à l’AEAPP. En effet, elle a été en congé de maladie depuis le 16 juillet 2020, le lendemain de l’adoption de la décision de non-renouvellement, jusqu’à la fin de son contrat et elle a produit devant le Tribunal une attestation médicale qui atteste qu’elle souffrait d’angoisse et de dépression et qu’elle a suivi un traitement médical. L’AEAPP ne conteste pas la situation de stress et d’angoisse dans laquelle se trouvait la requérante et ne se prononce pas non plus sur le certificat médical produit, mais se limite à remarquer qu’il y avait suffisamment de raisons justifiant le non-renouvellement du contrat de la requérante.

    112

    Partant, la requérante a subi un préjudice moral imputable à l’AEAPP qui n’est pas susceptible d’être intégralement réparé par l’annulation de la décision de non-renouvellement et de la décision de rejet de la réclamation.

    113

    Deuxièmement, la requérante ne saurait prétendre que l’appréciation négative de ses prestations dans le rapport d’évaluation pour l’année 2019 et dans la décision de non-renouvellement lui a également causé un préjudice moral. En effet, d’une part, dans le présent arrêt il n’est pas jugé que le rapport d’évaluation pour l’année 2019 est illégal mais il est seulement constaté qu’il n’est pas achevé et, d’autre part, la requérante n’établit pas en quoi ce rapport et la décision de non-renouvellement comportent une appréciation explicitement négative de ses capacités susceptible de la blesser et de porter atteinte à sa dignité, à sa réputation et à son estime de soi excédant le cadre d’une évaluation objective d’un agent temporaire par son supérieur hiérarchique (voir, en ce sens, arrêts du 9 décembre 2010, Commission/Strack, T‑526/08 P, EU:T:2010:506, point 108 et jurisprudence citée, et du 9 mars 2010, N/Parlement, F‑26/09, EU:F:2010:17, points 103 et 104 et jurisprudence citée).

    114

    Troisièmement, la requérante ne saurait davantage prétendre à l’indemnisation d’un préjudice moral lié à l’insécurité causée par la perte de la possibilité d’accomplir dix ans de service afin de pouvoir prétendre à une pension de retraite. En effet, dès lors qu’il appartient à l’AEAPP de statuer, dans le cadre de l’exécution du présent arrêt, sur le renouvellement du contrat de la requérante, ce qui pourrait fournir à cette dernière la possibilité de continuer à acquérir des droits à pension, sa demande à cet égard est prématurée.

    115

    Partant, il sera fait une juste appréciation des circonstances particulières de l’espèce, exposées aux points 110 et 111 ci-dessus, en fixant, ex æquo et bono, la réparation du préjudice moral subi par la requérante à la somme de 5000 euros.

    Sur les dépens

    116

    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

    117

    En l’espèce, l’AEAPP ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

    déclare et arrête :

     

    1)

    La décision de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) du 15 juillet 2020 de ne pas renouveler le contrat d’agent temporaire de SU est annulée.

     

    2)

    La décision de l’AEAPP du 11 février 2021 portant rejet de la réclamation de SU est annulée.

     

    3)

    L’AEAPP est condamnée à verser 10000 euros en réparation du préjudice matériel causé à SU.

     

    4)

    L’AEAPP est condamnée à verser 5000 euros en réparation du préjudice moral causé à SU.

     

    5)

    Le recours est rejeté pour le surplus.

     

    6)

    L’AEAPP est condamnée aux dépens.

     

    Gervasoni

    Madise

    Martín y Pérez de Nanclares

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2022.

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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