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Document 62021CJ0596

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 24 novembre 2022.
A contre Finanzamt M.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Finanzgericht Nürnberg.
Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 167 et 168 – Droit à la déduction de la TVA acquittée en amont – Principe de l’interdiction de la fraude – Chaîne de livraisons – Refus du droit à déduction en cas de fraude – Assujetti – Second acquéreur d’un bien – Fraude portant sur une partie de la TVA due lors de la première acquisition – Étendue du refus du droit à déduction.
Affaire C-596/21.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:921

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 167 et 168 – Droit à la déduction de la TVA acquittée en amont – Principe de l’interdiction de la fraude – Chaîne de livraisons – Refus du droit à déduction en cas de fraude – Assujetti – Second acquéreur d’un bien – Fraude portant sur une partie de la TVA due lors de la première acquisition – Étendue du refus du droit à déduction »

Dans l’affaire C‑596/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Nürnberg (tribunal des finances de Nuremberg, Allemagne), par décision du 21 septembre 2021, parvenue à la Cour le 28 septembre 2021, dans la procédure

A

contre

Finanzamt M,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. D. Gratsias (rapporteur), M. Ilešič, I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement tchèque, par MM. O. Serdula, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. R. Pethke et V. Uher, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 167, 168 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A au Finanzamt M (bureau des impôts M, Allemagne) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’un refus du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont au titre de l’acquisition d’un véhicule effectuée au cours de l’exercice 2011.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Selon l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/112, figurant sous le chapitre 1, intitulé « Livraisons de biens », du titre IV de celle-ci, lui-même intitulé « Opérations imposables », la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente est considérée comme constituant une livraison de biens.

4

L’article 167 de cette directive, figurant sous le chapitre 1, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », du titre X de celle-ci, intitulé « Déductions », dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

5

L’article 168 de ladite directive qui figure sous ce même chapitre 1, prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6

Aux termes de l’article 178 de la même directive figurant sous le chapitre 4, intitulé « Modalités d’exercice du droit à déduction », dudit titre X :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;

[...] »

7

L’article 203 de la directive 2006/112, qui figure sous le chapitre 1, intitulé « Obligation de paiement », du titre XI de cette directive, lui-même intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties », énonce :

« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture ».

8

L’article 273 de ladite directive figurant sous le chapitre 7, intitulé « Dispositions diverses », du titre XI de la même directive, est ainsi libellé :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

Le droit allemand

9

L’article 3, paragraphe 3, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») dispose :

« Dans le cas d’une opération au titre d’un contrat de commission [article 383 du Handelsgesetzbuch (code de commerce)], la livraison a lieu entre le commettant et le commissionnaire. Dans le cas d’une commission à la vente, c’est le commissionnaire qui est considéré comme étant le preneur, dans le cas d’une commission à l’achat, c’est le commettant. »

10

L’article 15, paragraphe 1, de l’UStG, dans sa version applicable au moment des faits en cause au principal, prévoit :

« L’entrepreneur peut déduire les taxes payées en amont suivantes :

1)

la taxe légalement due pour les livraisons et autres prestations effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. L’exercice du droit à déduction présuppose que l’entrepreneur détienne une facture établie conformément aux articles 14 et 14a. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Au cours de l’année 2011, A, commerçant et requérant au principal, a acheté à C, qui prétendait être W, une voiture d’occasion pour les besoins de son entreprise (ci-après la « voiture litigieuse »). W savait que C se faisait passer pour lui et y consentait. C a adressé à W une facture d’un montant de 52100,84 euros majoré de 9899,16 euros de TVA pour la livraison de la voiture litigieuse, tandis que W a, par la suite, adressé au requérant au principal une facture d’un montant de 64705,88 euros, majoré de 12294,12 euros au titre de la TVA. W a remis cette facture à C, qui, à son tour, l’a transmise au requérant au principal.

12

A a versé à C un montant total de 77000 euros, composé de 64705,88 euros au titre de la valeur du bien et de 12294,12 euros au titre de la TVA y afférente. C a gardé l’intégralité de ces montants pour lui. Dans sa comptabilité et dans ses déclarations fiscales, C a inscrit un prix de vente du montant de 52100,84 euros majoré de 9899,16 euros de TVA, tel que renseigné sur la facture émise par lui à l’attention de W. C s’est, par conséquent, limité au reversement de la taxe collectée afférente à ce dernier montant, à savoir 9899,16 euros. W, pour sa part, n’a inscrit la transaction ni dans sa comptabilité ni dans ses déclarations fiscales et n’a donc pas payé de taxe à ce titre.

13

A réclame, pour l’achat de la voiture litigieuse, la déduction de la somme de 12294,12 euros au titre de la TVA qu’il a payée en amont. De son côté, l’administration fiscale estime que A ne peut exercer le droit à déduction pour aucun montant payé en amont au titre de la TVA puisqu’il ne pouvait ignorer la fraude fiscale commise par C.

14

La juridiction de renvoi considère que, compte tenu de la survenance de plusieurs évènements qu’elle qualifie d’« anormaux », A aurait dû vérifier l’identité de son cocontractant. Cette vérification lui aurait permis de constater, d’une part, que C avait délibérément dissimulé son identité, ce qui ne pouvait avoir d’autre but que de commettre une fraude à la TVA due au titre de la vente de la voiture litigieuse, et, d’autre part, que W n’avait pas l’intention de s’acquitter de ses obligations fiscales.

15

Selon la juridiction de renvoi, les conditions prévues à l’article 15, paragraphe 1, première phrase, point 1, de l’UStG, relatives à la déduction de la TVA en amont, sont réunies en ce qui concerne le montant de 12294,12 euros mentionné, au titre de la TVA, sur la facture que W a adressée à A. Le consentement de W aux agissements de C ferait que ces deux acteurs sont liés par une commission à la vente atypique, en ce sens que le commettant, à savoir C, est également l’agent de W, qui est le commissionnaire. Il y a donc lieu de considérer que C a, dans un premier temps, livré le véhicule litigieux à W, et que W a, dans un second temps, livré ce véhicule à A.

16

La juridiction de renvoi observe que, selon la jurisprudence du Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), A pourrait se voir refuser la déduction du montant de 12294,12 euros bien que, premièrement, le montant de la fraude à la TVA commise par C n’ait été que de 2394,96 euros et, deuxièmement, que la différence entre la taxe effectivement payée et la taxe due si les transactions s’étaient déroulées de manière régulière s’élève précisément à ce dernier montant.

17

La juridiction de renvoi estime, cependant, que la déduction de la TVA en amont ne doit être refusée que dans la mesure où elle s’avère nécessaire pour compenser la perte de recettes fiscales causée par un comportement frauduleux. Cela étant, la juridiction de renvoi observe également que, selon l’ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf (C‑108/20, EU:C:2021:266, point 35), le refus du droit à la déduction de la TVA en amont ne dépend pas de la question de savoir si la personne impliquée dans une fraude fiscale en a tiré un avantage fiscal ou économique, mais vise à entraver les opérations frauduleuses en privant de débouché les biens et les services ayant fait l’objet d’une opération impliquée dans une fraude.

18

Dans ces conditions, la juridiction de renvoi penche en faveur d’une limitation du refus du droit à la déduction de la TVA en amont au préjudice fiscal subi par l’État. Ce préjudice devrait être calculé en comparant le montant de la taxe légalement due au titre de l’ensemble des prestations avec le montant de la taxe effectivement payée. Selon cette approche, A serait en droit de déduire le montant de 9899,16 euros au titre de la taxe qu’il a acquittée en amont. Seule la déduction concernant le surplus, à savoir le montant de 2394,96 euros correspondant au préjudice fiscal subi par l’État, devrait lui être refusée.

19

Dans ces circonstances, le Finanzgericht Nürnberg (tribunal des finances de Nuremberg, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le second acquéreur d’un bien peut-il se voir refuser le bénéfice de la déduction de la TVA en amont au titre de son acquisition, au motif qu’il ne pouvait ignorer l’existence d’une fraude à la TVA commise par le vendeur initial lors de la première vente, même si le premier acquéreur avait lui aussi connaissance de cette fraude ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question : le refus opposé au deuxième acquéreur est-il limité au montant du préjudice fiscal subi par l’État du fait de ladite fraude ?

3)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question : le préjudice fiscal subi par l’État doit-il être calculé :

a)

en comparant les montants respectifs de la taxe légalement due dans la chaîne de prestations et de la taxe effectivement fixée ;

b)

en comparant les montants respectifs de la taxe légalement due dans la chaîne de prestations et de la taxe effectivement acquittée, ou

c)

d’une autre manière ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

20

Bien que, dans la formulation de ses trois questions, la juridiction de renvoi n’ait visé aucune disposition spécifique de la directive 2006/112, ni aucun principe général du droit, il ressort néanmoins de sa demande que les interrogations de cette juridiction concernent l’interprétation des articles 167 et 168 de cette directive, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude, lequel constitue un principe général du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2021, Granarolo, C‑617/19, EU:C:2021:338, point 63).

21

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont et utilisés pour les besoins d’une activité taxable constitue un principe fondamental du système commun de la TVA. Le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait donc partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité dès lors que les exigences ou les conditions tant matérielles que formelles auxquelles ce droit est subordonné sont respectées par les assujettis souhaitant l’exercer (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 31).

22

En particulier, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 39).

23

En outre, la question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 40).

24

Cela étant, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112, de sorte que les justiciables ne sauraient se prévaloir frauduleusement ou abusivement des normes du droit de l’Union. Il appartient donc aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, point 21, et arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

25

Le bénéfice du droit à déduction doit être refusé non seulement lorsqu’une fraude est commise par l’assujetti lui-même, mais également lorsqu’il est établi que l’assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à, ou à tout le moins facilitait, une opération impliquée dans une fraude à la TVA. En effet, un tel assujetti doit, pour les besoins de la directive 2006/112, être considéré comme participant ou comme facilitant la fraude, indépendamment de la question de savoir s’il tire ou non un bénéfice de la revente des biens ou de l’utilisation des services dans le cadre des opérations taxées effectuées par lui en aval (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, points 22 et 23, ainsi que arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).

26

En revanche, n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par la directive 2006/112 le fait de refuser ledit droit à un assujetti qui ne savait pas ou ne pouvait pas savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne des livraisons, antérieurement ou postérieurement à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA. L’instauration d’un système de responsabilité sans faute irait, en effet, au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public (ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, point 25, et arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 49).

27

En vertu de l’article 273 de la directive 2006/112, les États membres ont la faculté d’adopter des mesures afin d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter la fraude. En particulier, à défaut de dispositions du droit de l’Union sur ce point, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées en cas d’inobservation des conditions prévues par la législation de l’Union pour l’exercice du droit à la déduction de la TVA (arrêt du 15 avril 2021, Grupa Warzywna, C‑935/19, EU:C:2021:287, point 25).

28

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les différentes questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur la première question

29

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167 et 168 de la directive 2006/112, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude, doivent être interprétés en ce sens que le second acquéreur d’un bien peut se voir refuser le bénéfice de la déduction de la TVA acquittée en amont, lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que cette acquisition était liée à une fraude à la TVA commise par le vendeur initial lors de la première vente, même si le premier acquéreur avait, lui aussi, connaissance de cette fraude.

30

Ainsi qu’il ressort du point 26 du présent arrêt, le simple fait qu’un assujetti a acquis des biens ou des services alors qu’il savait ou aurait dû savoir que, par cette acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA, commise en amont dans la chaîne des livraisons ou des prestations, est considéré, pour les besoins de la directive 2006/112, comme une participation à cette fraude. Le seul acte positif qui est déterminant pour fonder un refus du droit à déduction dans une telle situation est l’acquisition de ces biens ou de ces services. Cette acquisition facilite la fraude en permettant l’écoulement des produits concernés, laquelle suffit à entraîner le refus du droit à déduction de la TVA acquittée (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, points 26 et 34).

31

Il s’ensuit que, lorsqu’il est dûment établi que le second acquéreur savait ou aurait dû avoir connaissance de l’existence d’une fraude à la TVA commise par le vendeur initial, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans l’affaire en cause au principal, le fait pour le premier acquéreur d’un bien d’être également au courant et de faciliter la fraude commise par le vendeur initial ne fait pas obstacle à ce que ce second acquéreur puisse se voir refuser le bénéfice de la déduction de la TVA acquittée à l’occasion d’une opération concernée par cette fraude ou intervenant en aval de celle-ci.

32

Il y a donc lieu de répondre à la première question que les articles 167 et 168 de la directive 2006/112, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude, doivent être interprétés en ce sens que le second acquéreur d’un bien peut se voir refuser le bénéfice de la déduction de la TVA acquittée en amont, au motif qu’il savait ou aurait dû avoir connaissance de l’existence d’une fraude à la TVA commise par le vendeur initial lors de la première vente, même si le premier acquéreur avait, lui aussi, connaissance de cette fraude.

Sur la deuxième question

33

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167 et 168 de la directive 2006/112, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude, doivent être interprétés en ce sens que le second acquéreur d’un bien qui, à un stade antérieur à cette acquisition, a fait l’objet d’une opération frauduleuse portant sur une partie seulement de la TVA que l’État est en droit de collecter peut voir son droit à la déduction de la TVA acquittée au titre de cette opération refusé dans son intégralité ou à concurrence du seul montant faisant l’objet de la fraude commise ayant entraîné le préjudice fiscal, lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que cette acquisition était liée à une fraude.

34

À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112, de sorte que les justiciables ne sauraient se prévaloir frauduleusement ou abusivement des normes du droit de l’Union. Il appartient donc aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, point 21, et arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

35

S’agissant de la fraude, selon une jurisprudence constante, le bénéfice du droit à déduction doit être refusé non seulement lorsqu’une fraude est commise par l’assujetti lui-même, mais également lorsqu’il est établi que l’assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA. En effet, un tel assujetti doit, pour les besoins de la directive 2006/112, être considéré comme participant à la fraude, indépendamment de la question de savoir s’il tire ou non un bénéfice de la revente des biens ou de l’utilisation des services dans le cadre des opérations taxées effectuées par lui en aval, cet assujetti, dans une telle situation, prêtant la main aux auteurs de cette fraude et devenant complice de celle-ci (ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, points 22 et 23, ainsi que arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).

36

D’autre part, il convient de souligner que le refus du droit à la déduction de la TVA acquittée en amont par le requérant au principal doit être dissocié des sanctions que l’État membre peut prévoir conformément à l’article 273 de la directive 2006/112. Certes, c’est dans le cadre de l’application des sanctions définies par les États membres afin de dissuader les comportements fiscaux illégaux que les fraudes doivent être réprimées (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2021, Tribunal Económico Administrativo Regional de Galicia, C‑521/19, EU:C:2021:527, points 26 et 38).

37

Toutefois, conformément au régime harmonisé de la TVA, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou que l’assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, savait ou aurait dû savoir, s’il avait entrepris les vérifications pouvant être raisonnablement requises de tout opérateur économique, que l’opération à laquelle il participait était liée à une fraude (voir en ce sens, notamment, arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, points 53, 54 et 59).

38

L’ignorance de l’existence d’une fraude ayant entaché l’opération taxée ouvrant droit à déduction, malgré la réalisation des vérifications pouvant être raisonnablement requises de tout opérateur économique, constituant ainsi une condition matérielle implicite du droit à déduction, un assujetti qui ne remplit pas cette condition doit dès lors se voir refuser l’exercice de son droit à déduction dans son intégralité (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, points 24, 31 et 33).

39

Cette conclusion est confirmée par les objectifs poursuivis par l’obligation pesant sur les autorités et les juridictions nationales de refuser le droit à déduction lorsqu’un assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération participait à une fraude. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, cette exigence a notamment pour objectif d’obliger les assujettis à accomplir les diligences pouvant être raisonnablement requises lors de toute opération économique afin de s’assurer que les opérations qu’ils effectuent ne les conduisent pas à participer à une fraude fiscale (voir, en ce sens, ordonnance du 14 avril 2021, Finanzamt Wilmersdorf, C‑108/20, EU:C:2021:266, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

40

Or, un tel objectif ne pourrait pas être efficacement réalisé si le refus du droit à déduction était limité au prorata de la seule part des sommes versées au titre de la TVA due correspondant au montant faisant l’objet de la fraude, dans la mesure où, ce faisant, les assujettis seraient uniquement incités à entreprendre les mesures appropriées pour limiter les conséquences d’une éventuelle fraude, mais non nécessairement celles permettant de s’assurer que les opérations qu’ils effectuent ne les conduisent pas à participer à ou à faciliter une fraude fiscale.

41

Au demeurant, la Cour a déjà eu l’occasion de juger que le fait qu’un assujetti a acquis des biens ou des services alors qu’il savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à une opération impliquée dans une fraude commise en amont suffit à considérer que cet assujetti a participé à cette fraude et à priver celui-ci du bénéfice du droit à déduction, sans même qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un risque de perte de recettes fiscales (arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 56).

42

Il convient donc de répondre à la deuxième question que les articles 167 et 168 de la directive 2006/112, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude, doivent être interprétés en ce sens que le second acquéreur d’un bien qui, à un stade antérieur à cette acquisition, a fait l’objet d’une opération frauduleuse portant sur une partie seulement de la TVA que l’État est en droit de collecter doit se voir refuser son droit à la déduction de la TVA acquittée en amont dans son intégralité lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que cette acquisition était liée à une fraude.

Sur la troisième question

43

Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

1)

Les articles 167 et 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude,

doivent être interprétés en ce sens que :

le second acquéreur d’un bien peut se voir refuser le bénéfice de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont, au motif qu’il savait ou aurait dû avoir connaissance de l’existence d’une fraude à la TVA commise par le vendeur initial lors de la première vente, même si le premier acquéreur avait, lui aussi, connaissance de cette fraude.

 

2)

Les articles 167 et 168 de la directive 2006/112/CE, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE, lus à la lumière du principe de l’interdiction de la fraude,

doivent être interprétés en ce sens que :

le second acquéreur d’un bien qui, à un stade antérieur à cette acquisition, a fait l’objet d’une opération frauduleuse portant sur une partie seulement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que l’État est en droit de collecter doit se voir refuser son droit à la déduction de la TVA acquittée en amont dans son intégralité lorsque celui-ci savait ou aurait dû savoir que cette acquisition était liée à une fraude.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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