Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CJ0385

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 novembre 2022.
Zenith Media Communications SRL contre Consiliul Concurenţei.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie.
Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Sanction imposée par l’autorité nationale de concurrence – Détermination du montant de l’amende – Prise en compte du chiffre d’affaires inscrit dans le compte de profits et pertes – Demande tendant à ce que l’autorité nationale de concurrence tienne compte d’un chiffre d’affaires différent – Refus opposé par l’autorité de concurrence – Situation économique réelle de l’entreprise concernée – Principe de proportionnalité.
Affaire C-385/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:866

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

10 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Sanction imposée par l’autorité nationale de concurrence – Détermination du montant de l’amende – Prise en compte du chiffre d’affaires inscrit dans le compte de profits et pertes – Demande tendant à ce que l’autorité nationale de concurrence tienne compte d’un chiffre d’affaires différent – Refus opposé par l’autorité de concurrence – Situation économique réelle de l’entreprise concernée – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑385/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 1er mars 2021, parvenue à la Cour le 22 juin 2021, dans la procédure

Zenith Media Communications SRL,

contre

Consiliul Concurenţei,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. D. Gratsias (rapporteur), M. Ilešič, I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Zenith Media Communications SRL, par Mes V. Berea, R. Ionescu, P. Partene, A. I. Rusan, avocaţi, et Me A. Komives, ügyvéd,

pour Consiliul Concurenţei, par Mme C. Butacu et M. B. Chiriţoiu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par M. I. V. Rogalski et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Zenith Media Communications SRL au Consiliul Concurenţei (Conseil de la concurrence, Roumanie) au sujet d’une décision infligeant une amende à cette société pour infraction aux règles du droit de la concurrence.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 1/2003

3

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :

« Lorsque les autorités de concurrence des États membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées au sens de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] susceptibles d’affecter le commerce entre États membres au sens de cette disposition, elles appliquent également l’article [101 TFUE] à ces accords, décisions ou pratiques concertées. [...] »

4

L’article 5 de ce règlement dispose :

« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles [101] et [102 TFUE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :

ordonner la cessation d’une infraction,

ordonner des mesures provisoires,

accepter des engagements,

infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir. »

5

L’article 23, paragraphe 2, dudit règlement prévoit la possibilité pour la Commission européenne d’infliger aux entreprises des amendes pour infractions aux dispositions du droit de la concurrence de l’Union européenne. Ces amendes n’excèdent pas 10 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise réalisé au cours de l’exercice social précédent.

6

Aux termes de l’article 35, paragraphe 1, du même règlement :

« Les États membres désignent l’autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles [101] et [102 TFUE] de telle sorte que les dispositions du présent règlement soient effectivement respectées. [...] »

La quatrième directive 78/660/CEE

7

L’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l’article [50, paragraphe 2, sous g), TFUE] et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO 1978, L 222, p. 11), telle que modifiée par la directive 2003/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2003 (JO 2003, L 178, p. 16), prévoit :

« Les comptes annuels comprennent le bilan, le compte de profits et pertes ainsi que l’annexe. Ces documents forment un tout. »

8

Il ressort des articles 22 à 26 de la quatrième directive 78/660, telle que modifiée par la directive 2003/51, que le montant net du chiffre d’affaires est indiqué dans le compte de profits et pertes.

Le droit roumain

9

L’article 2, paragraphe 3, de la Legea concurenței nr. 21/1996 (loi no 21/1996 sur la concurrence), du 10 avril 1996 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 88 du 30 avril 1996), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la concurrence »), dispose :

« Lorsque des entreprises [...] participent à un groupement réalisé par voie conventionnelle par accord, entente, pacte, protocole, contrat et autres, que celui‑ci soit explicite, publique ou caché, mais sans personnalité juridique et quelle que soit sa forme – alliance, coalition, groupe, bloc, fédération et autres –, en vue des actes et faits visés au paragraphe 1, commis dans le cadre de la participation à un tel groupement, les dispositions de la présente loi s’appliquent à chaque entreprise, dans le respect du principe de proportionnalité. »

10

L’article 5, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence est ainsi libellé :

« 1.   Sont prohibées toutes ententes entre entreprises, décisions d’associations d’entreprises et pratiques concertées, qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché roumain ou sur une partie de celui-ci, notamment celles qui :

a)

fixent de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ;

b)

limitent ou contrôlent la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ;

c)

répartissent les marchés ou les sources d’approvisionnement ;

d)

appliquent à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales pour des prestations équivalentes, engendrant ainsi pour certaines d’entre elles un désavantage dans la concurrence ;

e)

subordonnent la conclusion de contrats à l’acceptation par les partenaires de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, ne sont pas liées à l’objet de ces contrats. »

11

L’article 55, paragraphe 1, sous a), de la loi sur la concurrence prévoit :

« Constituent des contraventions sanctionnées par une amende ne pouvant excéder 10 % du chiffre d’affaires total mondial réalisé par l’entreprise ou l’association d’entreprises au cours de l’exercice qui précède la sanction les faits suivants, commis intentionnellement ou par négligence par des entreprises ou associations d’entreprises :

a)

la violation des articles 5 et 6 de la présente loi, ainsi que des articles 101 et 102 TFUE [...] »

12

En annexe à l’Ordinul nr. 420, pentru punerea în aplicare a Instrucțiunilor privind individualizarea sancțiunilor pentru contravențiile prevăzute la articolul [55] din legea concurenței nr. 21/1996 (arrêté no 420, relatif à la mise en œuvre des instructions d’individualisation des sanctions pour les infractions administratives prévues à l’article [55] de la loi sur la concurrence), du 2 septembre 2010 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 638 du 10 septembre 2010), figurent des instructions adressées au Conseil de la concurrence pour le calcul des amendes (ci-après les « instructions d’individualisation des sanctions »), dont le chapitre II, point A, prévoit :

« A. Détermination du taux de base

1.   Le taux de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée des faits. Le taux de base est obtenu en additionnant les deux montants fixés ci‑après, en fonction de la gravité et de la durée :

x gravité + y durée = taux de base

2.   Le chiffre d’affaires total réalisé par le contrevenant lors de l’exercice précédant la sanction, déterminé conformément aux réglementations fiscales en vigueur, est pris comme point de départ pour la détermination du taux de base de l’amende dans le cas des contraventions visées à l’article [55] de la loi. »

13

L’Ordinul nr. 3055, pentru aprobarea Reglementarilor contabile conforme cu directivele europene (arrêté no 3055, portant approbation des règles comptables conformes aux directives européennes), du 29 octobre 2009 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 766 du 10 novembre 2009, ci-après l’« arrêté portant approbation des règles comptables »), prévoit, aux points 33, 46 et 253 :

« 33. (1)

Le chiffre d’affaires net comprend les montants issus de la vente de produits et de la fourniture de services s’inscrivant dans l’activité courante de l’entité, déduction faite des réductions commerciales et de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que d’autres taxes directement liées au chiffre d’affaires.

[...]

46. (1)

Principe de la primauté de la substance sur la forme. La présentation des valeurs dans le cadre des éléments du bilan et du compte de profits et pertes est effectuée en tenant compte du fond économique de la transaction ou de l’opération notifiée et non seulement de sa forme juridique.

(2)

Le respect de ce principe a pour but la comptabilisation et la présentation fidèle des opérations économico-financières, conformément à la réalité économique, en mettant en évidence les droits et les obligations ainsi que les risques associés à ces opérations.

[...]

(4)

Les entités sont tenues de tenir compte de toutes les informations disponibles lors de la comptabilisation des opérations économico‑financières, de manière à rendre extrêmement rares les situations dans lesquelles la nature de l’opération, déterminée sur la base du principe de la primauté de la substance sur la forme, diffère de celle qui serait établie en l’absence d’application de ce principe.

[...]

253.

[...]

(2)

Les sommes perçues par une entité pour le compte de tiers, y compris dans le cas des contrats d’agent, de commission ou de mandat commercial conclus conformément à la loi, ne sont pas des revenus de l’activité courante, même si, du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée, les personnes agissant en leur nom propre sont considérées comme des acheteurs revendeurs. Dans ce cas, les revenus de l’activité courante sont constitués par les commissions dues. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Par décision du 3 décembre 2014, le Conseil de la concurrence a constaté que, entre le 26 mars et le 17 octobre 2012, plusieurs entreprises, dont la requérante au principal, qui offrent des services de régie publicitaire, avaient commis une infraction unique et continue à l’article 5, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence et à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en participant à une entente ayant pour objet d’éliminer du marché roumain des régies publicitaires concurrentes (ci‑après la « décision du Conseil de la concurrence »). La requérante au principal s’est vu infliger une amende de 2146199 lei roumains (RON) (environ 484759 euros), représentant 2,52 % de son chiffre d’affaires, tel que celui-ci ressortait du compte de profits et pertes de ses comptes relatifs à l’exercice 2013.

15

La requérante au principal a introduit devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) un recours tendant à l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende en tenant compte de la limite maximale qui résulterait de la détermination correcte de son chiffre d’affaires. Ce recours a été rejeté par arrêt du 8 juin 2016.

16

Au soutien du pourvoi qu’elle a introduit contre cet arrêt devant l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), la juridiction de renvoi, la requérante au principal fait valoir que, en tant que régie publicitaire, elle exerce une activité d’intermédiaire entre les annonceurs et les prestataires de services de publicité, tels que les chaînes de télévision. Les régies publicitaires verseraient aux prestataires de services de publicité leur rémunération, qu’elles encaisseraient auprès des annonceurs. La rémunération des régies publicitaires prendrait la forme d’une commission perçue de l’annonceur. Seule cette commission ferait partie du chiffre d’affaires d’une régie publicitaire. Or, le Conseil de la concurrence aurait tenu compte, comme base de calcul de l’amende infligée, du chiffre d’affaires indiqué dans la comptabilité de cette requérante, qui inclurait non seulement les commissions perçues, mais également les montants versés par l’entremise de cette dernière aux prestataires de services de publicité. Ce faisant, le Conseil de la concurrence aurait méconnu le point 253 (2) de l’arrêté portant approbation des règles comptables et refusé d’appliquer les dispositions légales et la jurisprudence relatives au calcul du chiffre d’affaires dans le cas des intermédiaires, fondées sur le point 152 de ses instructions du 5 août 2010 portant sur les règles applicables en matière de contrôle des concentrations. Ladite requérante aurait ainsi été sanctionnée non pas pour l’infraction au droit de la concurrence prétendument commise, mais pour la manière dont elle tient sa comptabilité. Dans ces conditions, en rejetant le recours introduit contre la décision du Conseil de la concurrence, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) aurait, en méconnaissance du principe de proportionnalité, omis de tenir compte des revenus effectifs de la requérante au principal.

17

La juridiction de renvoi précise que, préalablement à l’adoption de cette décision, toutes les entreprises incriminées ont soutenu que, aux fins de la détermination du montant de l’amende, le Conseil de la concurrence devait tenir compte non pas de la totalité de leurs recettes, mais uniquement de leurs revenus effectifs. Or, tant ladite décision que la loi sur la concurrence et les instructions d’individualisation des sanctions viseraient, comme base du calcul de l’amende, le chiffre d’affaires total qui ressort des comptes annuels, sans opérer de distinction en fonction des composantes dudit chiffre ou des activités de l’entreprise concernée. Les instructions d’individualisation des sanctions ne laisseraient aucune marge d’appréciation au Conseil de la concurrence afin d’éviter le risque d’arbitraire. Ainsi, une entreprise incriminée ne saurait se prévaloir de la non‑conformité du chiffre d’affaires qui figure à son compte de profits et pertes avec les règles comptables s’y rapportant, dès lors que ce chiffre résulte de ses propres décisions et écritures comptables.

18

La juridiction de renvoi indique par ailleurs que, selon le point 253 (2) de l’arrêté portant approbation des règles comptables, les revenus d’un agent sont constitués par les commissions que celui-ci perçoit à titre de rémunération pour les services d’intermédiaire qu’il offre et que, dans une affaire en matière de concentration, le Conseil de la concurrence a fait sa propre évaluation du chiffre d’affaires de la requérante au principal pour tenir compte des seules commissions perçues au titre de son activité d’intermédiaire.

19

La juridiction de renvoi estime que, dans ces conditions, elle doit mettre en balance les principes de prévisibilité et de proportionnalité avec le caractère dissuasif de la sanction, afin de déterminer si le Conseil de la concurrence est tenu de prendre en compte uniquement la partie du chiffre d’affaires représentant les commissions perçues par la requérante au principal. Cet exercice devrait se faire au regard de l’obligation de coopération loyale et de l’obligation des États membres de s’abstenir de toute mesure susceptible d’empêcher l’application effective de l’article 101 TFUE.

20

En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’approche selon laquelle le Conseil de la concurrence est obligé de déterminer le taux de base de l’amende par référence au chiffre d’affaires indiqué dans le compte de profits et pertes de la requérante au principal, lequel inclut, outre les commissions en rémunération de l’activité d’intermédiaire, les montants perçus auprès des annonceurs et versés aux prestataires de services de publicité, est susceptible d’enfreindre le principe de proportionnalité. Considérer que le Conseil de la concurrence n’est pas habilité à tenir compte d’un chiffre d’affaires différent pourrait l’amener à imposer une amende qui, tout en étant prévisible et dissuasive, ne refléterait pas la situation économique réelle de l’entreprise concernée et enfreindrait, ainsi, ce principe.

21

Dans ces conditions, l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens :

1)

qu’ils imposent à l’autorité de concurrence de l’État membre l’obligation d’interpréter la règle nationale qui régit l’imposition d’une peine d’amende conformément au principe de proportionnalité, en ce sens qu’il convient de vérifier si le chiffre d’affaires total, tel qu’indiqué dans le compte de [profits et pertes] de l’exercice précédent, reflète fidèlement les opérations économico-financières, conformément à la réalité économique ;

2)

qu’ils s’opposent, à la lumière du principe de proportionnalité, à la pratique de l’autorité de concurrence de l’État membre consistant à imposer une amende en fonction du chiffre d’affaires inscrit dans le compte de [profits et pertes] de l’exercice précédent, qui comprend les sommes refacturées aux clients finals afférentes aux services relativement auxquels l’activité d’intermédiaire pour l’achat d’espace média a été exercée, et non les seules commissions afférentes à l’activité d’intermédiaire ;

3)

qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une règle de droit national en ce sens que la responsabilité de l’inscription correcte dans la comptabilité et de la présentation fidèle des opérations économico-financières conformément à la réalité économique incombe à l’entreprise sanctionnée et que l’autorité de concurrence de l’État membre est tenue par le mode d’exécution de cette obligation par l’entreprise sanctionnée ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

22

Le Conseil de la concurrence fait valoir, en premier lieu, que les questions préjudicielles sont irrecevables au motif que la juridiction de renvoi demande à la Cour, en réalité, d’interpréter la notion de « chiffre d’affaires », contenue dans une règle de droit national, et de statuer elle‑même sur les faits du litige au principal.

23

Certes, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, les fonctions de la Cour et celles de la juridiction de renvoi sont clairement distinctes et c’est à cette dernière exclusivement qu’il appartient d’interpréter la législation nationale et d’apprécier les faits du litige au principal (arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam, C‑484/18, EU:C:2019:970, point 28 et jurisprudence citée).

24

Toutefois, contrairement à ce que fait valoir le Conseil de la concurrence, la juridiction de renvoi ne demande pas à la Cour d’interpréter le droit national.

25

En effet, les questions préjudicielles posées par cette juridiction portent sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe de proportionnalité, dans le contexte d’un litige concernant la légalité du montant de l’amende infligée à la requérante au principal par l’autorité nationale de concurrence pour violation tant du droit national de la concurrence que du droit de la concurrence de l’Union. Ladite juridiction cherche, en particulier, à obtenir les éléments d’interprétation pertinents du droit de l’Union afin de déterminer dans quelle mesure, aux fins du calcul de ce montant, le chiffre d’affaires inscrit dans la comptabilité revêt un caractère contraignant.

26

Le Conseil de la concurrence fait valoir, en second lieu, que les questions préjudicielles sont hypothétiques au motif que la requérante au principal n’a pas contesté, au cours de la procédure administrative, l’exactitude des inscriptions comptables auxquelles elle avait procédé dans son compte de profits et pertes, se bornant à invoquer qu’une partie seulement de son chiffre d’affaires aurait dû être prise en compte aux fins du calcul de l’amende.

27

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C‑377/20, EU:C:2022:379, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

28

Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est ainsi possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C‑377/20, EU:C:2022:379, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

29

En l’occurrence, il suffit de relever que, ainsi qu’il a déjà été constaté au point 25 du présent arrêt, les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union. Or, d’une part, il n’apparaît nullement que l’interprétation sollicitée de ce droit n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, chacune des questions posées apparaissant susceptible d’éclairer la juridiction de renvoi afin de lui permettre de statuer sur la légalité du montant de l’amende infligée à la requérante au principal et, partant, de trancher ce litige. D’autre part, la décision de renvoi contient tous les éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre à ces questions. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que lesdites questions sont dépourvues de pertinence.

30

Par conséquent, les questions posées par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice) sont recevables.

Sur le fond

31

Par ses trois questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe de proportionnalité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle, aux fins du calcul de l’amende infligée à une entreprise pour violation de l’article 101 TFUE, une autorité nationale de concurrence est tenue, en toutes circonstances, de prendre en compte le chiffre d’affaires tel qu’il figure au compte de profits et pertes de cette entreprise sans disposer de la possibilité d’examiner des éléments avancés par cette dernière visant à démontrer que ledit chiffre d’affaires ne reflète pas la situation économique réelle de ladite entreprise et que, par conséquent, il y a lieu de prendre en compte, au titre du chiffre d’affaires, un autre montant qui reflète cette situation.

32

Conformément à l’article 35, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, les États membres désignent l’autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer l’article 101 TFUE de sorte que les dispositions de ce règlement soient effectivement respectées. Les autorités ainsi désignées doivent, conformément à celui-ci, assurer l’application effective de cette disposition du traité FUE dans l’intérêt général (arrêt du 7 décembre 2010, VEBIC, C‑439/08, EU:C:2010:739, point 56)

33

À cette fin, l’article 5 du règlement no 1/2003 prévoit que l’autorité nationale de concurrence compétente pour appliquer l’article 101 TFUE peut, notamment, infliger des amendes, des astreintes ou toute autre sanction prévue par son droit national.

34

Le renvoi qu’opère l’article 5 du règlement no 1/2003 aux dispositions du droit national prévoyant des sanctions pour la violation de l’article 101 TFUE implique que les États membres sont tenus, au titre de l’article 4, paragraphe 3, deuxième et troisième alinéas, TUE, de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité de cette disposition du traité FUE. En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation du droit de l’Union en la matière, les États membres doivent exercer leur compétence dans le respect du droit de l’Union et, en particulier, du principe d’effectivité. Ainsi, ils ne peuvent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’Union et, spécifiquement, dans le domaine du droit de la concurrence, ils doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C‑308/19, EU:C:2021:47, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée). Dès lors, tout en conservant le choix des sanctions, les États membres doivent notamment veiller à ce que les violations de l’article 101 TFUE soient réprimées dans des conditions de fond et de procédure qui confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra – Latvijas Autoru apvienība, C‑177/16, EU:C:2017:689, point 68, et du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2019:283, point 37).

35

À ce dernier égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige, notamment, en matière de sanctions, d’une part, que la sanction infligée corresponde à la gravité de l’infraction et, d’autre part, que, lors de la fixation du montant de l’amende, il soit tenu compte des circonstances individuelles du cas d’espèce (voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2018, Link Logistik N&N, C‑384/17, EU:C:2018:810, point 45).

36

Par ailleurs, s’agissant de l’infliction d’une amende pour violation de l’article 101 TFUE, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative aux pouvoirs dont jouit la Commission au titre de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003 que l’exigence selon laquelle l’amende infligée à une entreprise ayant enfreint l’article 101 TFUE ne doit pas excéder 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise au cours de l’exercice social précédent vise précisément à assurer que, conformément au principe de proportionnalité, l’impact recherché sur l’entreprise concernée soit apprécié dans chaque cas d’espèce, notamment en tenant compte d’un chiffre d’affaires qui reflète la situation économique réelle de celle-ci durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2015, LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée). En effet, la notion de « chiffre d’affaires » porte sur la valeur des ventes de biens ou de services réalisées par l’entreprise concernée, reflétant ainsi la situation économique réelle de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra – Latvijas Autoru apvienība, C‑177/16, EU:C:2017:689, point 65).

37

Il s’ensuit que, si les États membres sont, certes, compétents pour prévoir les sanctions qu’une autorité nationale de concurrence peut infliger pour une infraction à l’article 101 TFUE, une réglementation nationale ou une pratique de l’autorité nationale de concurrence selon laquelle cette dernière serait dans tous les cas obligée de calculer le montant de l’amende en tenant compte du seul chiffre d’affaires inscrit au compte de profits et pertes, en excluant la possibilité d’examiner toute justification ou donnée pertinente invoquée par l’entreprise incriminée dans le but de démontrer que le montant en question ne reflète pas la réalité économique, pourrait aboutir à imposer des amendes qui dépassent les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs de l’article 101 TFUE.

38

En effet, et sous réserve du bien-fondé, en droit et en fait, des justifications invoquées en ce sens, sur le fondement d’éléments suffisamment précis et documentés en ce sens invoqués par l’entreprise incriminée, l’amende infligée pourrait, tout en se situant en-deçà de la limite maximale établie par la réglementation nationale et déterminée sur le fondement du chiffre d’affaires indiqué au compte de profits et pertes, excéder, en réalité, cette limite, si cette dernière était déterminée sur le fondement d’un calcul du chiffre d’affaires reflétant la situation économique réelle de l’entreprise.

39

Une autorité nationale de concurrence doit donc disposer de la possibilité d’examiner le bien-fondé, en droit et en fait, de tout élément de nature à démontrer de manière crédible que le montant du chiffre d’affaires indiqué au compte de profits et pertes ne reflète pas la situation économique réelle de l’entreprise incriminée. Dans la présente affaire, il incombe ainsi à l’autorité nationale de concurrence de vérifier si la requérante au principal a effectivement agi, comme elle le fait valoir, en qualité d’agent ayant encaissé des sommes pour le compte de tiers et dont la rémunération a pris la forme de commissions, ainsi que de l’interroger sur les raisons précises pour lesquelles elle n’a pas estimé nécessaire de procéder à la correction du montant du chiffre d’affaires qui figure dans son compte de profits et pertes. Il appartiendra alors à ladite autorité de tirer les conclusions appropriées des explications fournies, afin d’assurer tant le caractère dissuasif de l’amende que la conformité de celle-ci au principe de proportionnalité.

40

Contrairement à ce que soutient le Conseil de la concurrence, la nécessité de fixer l’amende sur la base de critères objectifs et la nécessité de garantir la prévisibilité de l’amende ne sauraient justifier une interprétation différente.

41

En effet, d’une part, toute autorité nationale de concurrence est tenue d’adapter le montant de l’amende aux particularités de chaque cas d’espèce en tenant compte de critères objectifs tels que la gravité et la durée de l’infraction ainsi que des éventuelles circonstances aggravantes et atténuantes, afin de garantir le caractère effectif, dissuasif et proportionné de cette amende.

42

D’autre part, quant à la prévisibilité de l’amende, il convient de relever que celle-ci est garantie par les dispositions de droit national, permettant aux entreprises concernées de déterminer à l’avance le montant maximal de l’amende pouvant être mis à leur charge par l’autorité nationale de concurrence ainsi que les facteurs objectifs pris en compte par celle-ci pour le calcul de cette amende, ces dispositions étant de nature à encadrer l’exercice du pouvoir dont jouit cette autorité (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2015, LG Display et LG Display Taiwan/Commission, C‑227/14 P, EU:C:2015:258, point 51).

43

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe de proportionnalité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou pratique nationale selon laquelle, aux fins du calcul de l’amende infligée à une entreprise pour violation de l’article 101 TFUE, l’autorité nationale de concurrence est tenue, en toutes circonstances, de prendre en compte le chiffre d’affaires de cette entreprise tel qu’il figure à son compte de profits et pertes, sans disposer de la possibilité d’examiner des éléments avancés par cette dernière visant à démontrer que ledit chiffre d’affaires ne reflète pas la situation économique réelle de ladite entreprise et que, par conséquent, il y a lieu de prendre en compte, au titre du chiffre d’affaires, un autre montant qui reflète cette situation, pour autant que ces éléments soient précis et documentés.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou pratique nationale selon laquelle, aux fins du calcul de l’amende infligée à une entreprise pour violation de l’article 101 TFUE, l’autorité nationale de concurrence est tenue, en toutes circonstances, de prendre en compte le chiffre d’affaires de cette entreprise tel qu’il figure à son compte de profits et pertes, sans disposer de la possibilité d’examiner des éléments avancés par cette dernière visant à démontrer que ledit chiffre d’affaires ne reflète pas la situation économique réelle de ladite entreprise et que, par conséquent, il y a lieu de prendre en compte, au titre du chiffre d’affaires, un autre montant qui reflète cette situation, pour autant que ces éléments soient précis et documentés.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

Top