This document is an excerpt from the EUR-Lex website
Document 62021CC0615
Opinion of Advocate General Rantos delivered on 2 February 2023.#Napfény-Toll Kft. v Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.#Request for a preliminary ruling from the Szegedi Törvényszék.#Reference for a preliminary ruling – Value added tax (VAT) – National legislation providing for the possibility of suspending, without any temporal limit, the limitation period for action by the tax authorities in the event of court proceedings – Repeated tax procedures – Regulation No 2988/95 – Scope – Principles of legal certainty and effectiveness of EU law.#Case C-615/21.
Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 2 février 2023.
Napfény-Toll Kft. contre Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Szegedi Törvényszék.
Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Réglementation nationale prévoyant la possibilité de suspendre, sans limitation dans le temps, le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale en cas de procédure juridictionnelle – Procédure fiscale réitérée – Règlement no 2988/95 – Champ d’application – Principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union.
Affaire C-615/21.
Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 2 février 2023.
Napfény-Toll Kft. contre Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Szegedi Törvényszék.
Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Réglementation nationale prévoyant la possibilité de suspendre, sans limitation dans le temps, le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale en cas de procédure juridictionnelle – Procédure fiscale réitérée – Règlement no 2988/95 – Champ d’application – Principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union.
Affaire C-615/21.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:65
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ATHANASIOS RANTOS
présentées le 2 février 2023 ( 1 )
Affaire C‑615/21
Napfény-Toll Kft.
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága
[demande de décision préjudicielle formée par la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie)]
« Renvoi préjudiciel – Procédure de taxation nationale – Taxe sur la valeur ajoutée – Réglementation nationale prévoyant la suspension du délai de prescription du droit de taxe, dans le cadre du contrôle juridictionnel, sans limitation dans le temps, indépendamment du nombre de procédures fiscales réitérées – Principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union »
Introduction
1. |
La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union dans le contexte de l’application de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 2 ) (ci-après la « directive TVA »). |
2. |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Napfény-Toll Kft. (ci-après la « requérante ») à l’administration fiscale hongroise au sujet de montants de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que cette société a déduit au titre de la TVA due sur différentes acquisitions de biens ouvrant droit à déduction qu’elle a effectuées au mois de juin 2010 et entre le mois de novembre 2010 et le mois de septembre 2011. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. |
L’article 1er du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ( 3 ), dispose : « 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. 2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. » |
4. |
L’article 3 de ce règlement prévoit : « 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. [...] Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. [...] La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6, paragraphe 1. 2. Le délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative est de trois ans. Ce délai court à compter du jour où la décision devient définitive. Les cas d’interruption et de suspension sont réglés par les dispositions pertinentes du droit national. 3. Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. » |
5. |
L’article 4, paragraphes 1 et 4, dudit règlement énonce : « 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :
[...] 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. » |
6. |
Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du même règlement : « Sans préjudice des mesures et sanctions administratives communautaires [...], l’imposition des sanctions pécuniaires, telles que les amendes administratives, peut être suspendue par décision de l’autorité compétente si une procédure pénale a été ouverte contre la personne en cause et porte sur les mêmes faits. La suspension de la procédure administrative suspend le délai de prescription prévu à l’article 3. » |
Le droit hongrois
7. |
Aux termes de l’article 164 de l’adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, portant code de procédure fiscale) ( 4 ), dans sa version en vigueur à la date du contrôle fiscal litigieux (ci-après l’« ancien code de procédure fiscale ») : « (1) Le droit à l’établissement de l’impôt se prescrit par cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou la notification afférente à cet impôt aurait dû être faite, ou, en l’absence de déclaration ou notification, au cours de laquelle l’impôt aurait dû être acquitté. [...] (5) En cas de contrôle juridictionnel de la décision de l’autorité fiscale, le délai de prescription du droit d’établir le montant correct de taxe due cesse de courir depuis le moment où la décision de l’autorité fiscale de second degré est devenue définitive jusqu’à celui où la décision juridictionnelle devient définitive, ou, en cas de pourvoi, jusqu’à ce qu’il soit statué sur celui-ci. » |
8. |
L’ancien code de procédure fiscale a été abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2018, par les dispositions de l’az adóigazgatási rendtartásról szóló 2017. évi CLI. törvény (loi CLI de 2017 du code de l’administration fiscale, ci-après le « code de l’administration fiscale ») ( 5 ) ainsi que de l’az adózás rendjéről szóló 2017. évi CL. törvény (loi CL de 2017 instituant un code de procédure fiscale, ci-après le « nouveau code de procédure fiscale ») ( 6 ). |
9. |
L’article 203, paragraphe 3, du nouveau code de procédure fiscale reprend, en substance, le contenu de l’article 164 de l’ancien code de procédure fiscale. En vertu de cette disposition, si le contribuable a engagé un recours administratif contentieux contre la décision de l’autorité fiscale, le délai de prescription du droit d’établir le montant correct de la taxe due est suspendu entre le moment où la décision de l’autorité fiscale de second degré est devenue ferme jusqu’à celui où la décision juridictionnelle devient définitive ou, en cas de pourvoi, jusqu’à ce qu’il soit statué sur celui-ci. |
10. |
L’article 203, paragraphe 7, sous c), du nouveau code de procédure fiscale énonce que le délai de prescription du droit d’établir l’impôt est prolongé de douze mois notamment si, dans le cadre d’un recours administratif contentieux contre la décision de l’autorité fiscale, la juridiction ordonne la conduite d’une nouvelle procédure. |
11. |
En vertu de l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale, dont le libellé est identique à celui de l’article 139, paragraphe 1, du code de l’administration fiscale, il convient d’appliquer les dispositions de cette loi, et donc y compris l’article 203, paragraphe 7, sous c), du nouveau code de procédure fiscale, aux procédures ouvertes ou réitérées après l’entrée en vigueur de celle-ci. |
Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour
12. |
La requérante a déduit de la TVA dont elle était redevable le montant de cette taxe due au titre des biens qu’elle avait acquis durant le mois de juin 2010, ainsi qu’au cours de la période comprise entre le mois de novembre 2010 et le mois de septembre 2011. |
13. |
Au mois de décembre 2011, la Nemzeti Adó – és Vámhivatal Dél-budapesti Igazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction des impôts et des douanes de Budapest-sud, Hongrie, ci-après « l’administration fiscale défenderesse ») a engagé, en tant qu’autorité fiscale de premier degré, un contrôle qui a été notifié à la requérante le 13 décembre 2011. |
14. |
À l’issue de celui-ci, cette administration a estimé qu’une partie de la TVA ayant été déduite n’aurait pas dû l’être, car les factures avancées à cette fin, pour une partie d’entre elles, ne correspondraient à aucune opération économique réelle et, pour d’autres, relèveraient d’une fraude fiscale dont la requérante avait connaissance. En conséquence, par une décision du 8 octobre 2015, l’administration fiscale défenderesse a exigé de la requérante le versement d’un arriéré de taxe d’un montant total de 144785000 forints hongrois (HUF) (environ 464581 euros) et lui a infligé une amende d’un montant de 108588000 HUF (environ 348433 euros), ainsi qu’une pénalité de retard de 46080000 HUF (environ 147860 euros). |
La première décision administrative de second degré
15. |
Par décision du 11 novembre 2015, signifiée le 14 décembre 2015, la Nemzeti Adó – és Vámhivatal Közép-magyarországi Regionális Adó Főigazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction principale régionale de la fiscalité de Hongrie centrale, Hongrie), prédécesseure de l’administration fiscale défenderesse, saisie d’une réclamation par la requérante, a, en sa qualité d’autorité administrative fiscale de second degré, infirmé la décision de premier degré en ce qui concerne la pénalité de retard infligée, tout en la maintenant quant au reste. La requérante a introduit un recours contre cette décision. |
16. |
Par un jugement du 2 mars 2018, devenu définitif le même jour, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) a prononcé l’annulation de la décision de l’autorité administrative fiscale de second degré et a enjoint à ladite autorité de mener une nouvelle procédure. Pour fonder son jugement, cette juridiction a indiqué avoir constaté que cette décision était entachée d’une contradiction de motifs. En effet, alors même que la décision de second degré faisait état de faits différents de ceux constatés dans la décision de premier degré, celle-ci énoncerait, dans le même temps, que l’autorité fiscale de premier degré avait correctement établi les faits. |
La deuxième décision administrative de second degré
17. |
Par décision du 5 mars 2018, notifiée à la requérante le 7 mars 2018, l’administration fiscale défenderesse a adopté une deuxième décision administrative de second degré confirmant, pour l’essentiel, la décision de première instance. Cette décision a néanmoins réduit le montant de la pénalité de retard infligée. |
18. |
Par un jugement du 5 juillet 2018, devenu définitif le même jour, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale), saisi d’un recours par la requérante, a annulé la deuxième décision de second degré et a ordonné à l’administration fiscale défenderesse de mener une nouvelle procédure. Pour motiver sa décision, cette juridiction a indiqué que, d’une part, la deuxième décision de second degré, intervenue le premier jour ouvrable suivant le prononcé du jugement du 2 mars 2018, reprendrait, en grande partie mot pour mot, la première décision de second degré, sans faire apparaître dans quelle mesure elle modifiait le constat établi par l’autorité fiscale de premier degré. En conséquence, l’administration fiscale ne satisferait que pour la forme aux obligations qui découleraient dudit jugement. D’autre part, la deuxième décision de second degré contiendrait toujours des constatations contradictoires en ce qui concerne la réalité des opérations concernées. |
19. |
Par un arrêt du 30 janvier 2020, la Kúria (Cour suprême, Hongrie), saisie d’un pourvoi introduit par l’administration fiscale, a confirmé sur le fond le jugement du 5 juillet 2018. D’une part, dans la mesure où la motivation de la deuxième décision de second degré reprendrait celle de la première décision de second degré, ce serait à bon droit que le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) aurait constaté que l’administration fiscale défenderesse ne se serait pas conformée aux orientations fixées de manière contraignante dans le jugement du 2 mars 2018. Certes, cette administration ne disposait, comme celle-ci l’a fait valoir, que d’un court laps de temps avant que le droit d’établir l’impôt, et, par suite, le montant de la TVA à reverser, soit frappé de prescription, mais une telle circonstance ne la dispenserait pas d’exécuter ses obligations légales. En outre, la deuxième décision de second degré était bien entachée, comme l’avait constaté le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) d’une contradiction de motifs. |
La troisième décision administrative de second degré
20. |
Le 6 avril 2020, l’administration fiscale défenderesse a adopté une nouvelle décision par laquelle celle-ci a confirmé la décision de premier degré, tout en modifiant la pénalité de retard infligée. Pour justifier sa position, cette administration fiscale a indiqué qu’elle n’avait pas constaté de faits différents de ceux établis par l’autorité fiscale de premier degré dans sa décision, laquelle aurait satisfait à son obligation d’établir les faits. |
21. |
La requérante a introduit un recours contre cette troisième décision devant la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), la juridiction de renvoi, au motif, notamment, que, en vertu de l’article 164, paragraphes 1 et 5, de l’ancien code de procédure fiscale, le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser se prescrit par cinq ans à compter du dernier jour de l’année civile au cours de laquelle la déclaration ou la notification afférentes à cette taxe ont été faites ou, en l’absence de déclaration ou de notification, au cours de laquelle ladite taxe aurait dû être acquittée. Or, le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser au titre des périodes en cause se serait éteint avant la date de la troisième décision de second degré (à savoir le 6 avril 2020). En effet, la requérante est d’avis que l’adoption répétée de décisions est contraire au principe de sécurité juridique que la prescription est censée protéger. Il en irait d’autant plus, dans l’affaire au principal, si la deuxième procédure réitérée avait eu lieu en raison du fait que l’administration fiscale ne se serait pas conformée aux orientations contenues dans la première décision juridictionnelle. Ce serait donc par la faute de cette dernière si la procédure s’est étendue sur près de dix ans à compter du début du contrôle. |
22. |
La juridiction de renvoi relève que l’article 164, paragraphe 5, de l’ancien code de procédure fiscale ne prévoit pas de limite supérieure en ce qui concerne le nombre de procédures réitérées que l’administration fiscale peut mener ou la durée totale de la suspension. Or, d’après la jurisprudence de la Kúria (Cour suprême), la prescription est suspendue pendant toute la durée du contrôle juridictionnel d’une décision de l’administration fiscale. En conséquence, il n’y aurait pas de limite dans le temps à la suspension du délai de prescription en cas de contrôle juridictionnel, de telle sorte que le droit de l’autorité fiscale d’établir les montants de TVA à reverser pourrait être prolongé de plusieurs années, voire, dans des cas extrêmes, de dizaines d’années. Pour cette raison, la juridiction de renvoi exprime un doute quant à la compatibilité de la législation nationale concernée et de la jurisprudence afférente avec les principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union. |
23. |
C’est dans ce contexte que la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : « Faut-il interpréter le principe de sécurité juridique ainsi que le principe d’effectivité, qui font partie [du droit de l’Union], en ce sens que ceux-ci ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre qui ne laisse au juge aucune marge d’appréciation, telle que celle prévue à l’article 164, paragraphe 5, de [l’ancien code de procédure fiscale], ainsi qu’à la pratique qui repose sur cette réglementation, en vertu desquelles, en matière de [TVA], le délai par lequel se prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir l’impôt est suspendu pendant toute la durée des contrôles juridictionnels, quel que soit le nombre de procédures fiscales administratives réitérées, sans plafonnement de la durée cumulée des suspensions, lorsque plusieurs contrôles juridictionnels se suivent, y compris dans le cas où la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale prise dans le cadre d’une procédure réitérée faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure constate que l’autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations contenues dans cette décision juridictionnelle, autrement dit lorsque c’est par la faute de ladite autorité que la nouvelle procédure juridictionnelle a eu lieu ? » |
24. |
Postérieurement à l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a transmis à la Cour, par courrier du 3 mai 2022, une copie de la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle, Hongrie) du 25 janvier 2022 par laquelle cette Cour a annulé la référence aux procédures réitérées figurant à l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale, ainsi qu’une copie d’une seconde décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle), également en ce sens, en date du 26 avril 2022. |
25. |
Par lettre du 30 juin 2022, la juridiction de renvoi a été invitée par la Cour, au moyen d’une demande d’informations, à confirmer, eu égard à certaines indications initialement fournies, que, à la suite de la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) d’annuler la référence aux procédures réitérées figurant à l’article 271, paragraphe 1, du nouveau code de procédure fiscale, la procédure au principal n’est pas, en tout état de cause, prescrite. |
26. |
Par lettre du 7 juillet 2022, la juridiction de renvoi a indiqué, en substance, que la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) avait uniquement eu pour effet de rendre prescrit le droit de l’administration fiscale d’établir le montant de la TVA collectée devant être reversé au titre de la période contrôlée située au cours de l’année 2010. En revanche, en ce qui concerne l’exercice fiscal 2011, le caractère prescrit ou non de l’action de l’administration fiscale dépendra de la réponse de la Cour. |
27. |
Des observations écrites ont été déposées par la requérante, les gouvernements hongrois et espagnol ainsi que par la Commission européenne. Ces parties se sont, en outre, exprimées lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 10 novembre 2022. |
Analyse
Observations liminaires
28. |
Il convient de relever, à titre liminaire, que l’affaire au principal porte non pas sur la compatibilité, en tant que telle, avec le droit de l’Union du délai de prescription dans lequel, d’une part, l’assujetti peut exercer son droit à déduction, ni celui, d’autre part, durant lequel l’administration fiscale peut remettre en cause les déclarations effectuées par un assujetti, mais sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la suspension d’un tel délai en cas de procédures judiciaires, et ce sans limitation de temps et indépendamment des motifs pour lesquels, le cas échéant, de telles procédures ont dû être réitérées. |
29. |
En l’occurrence, il y a lieu de constater que la présente affaire s’inscrit dans un contexte particulier où se sont succédé, dans le cadre du même litige fiscal, plusieurs procédures administratives et juridictionnelles, sans que cette affaire puisse être tranchée définitivement pour des motifs qui seraient, d’après la juridiction de renvoi, imputables à l’administration fiscale, et sans que la réglementation fiscale en cause prévoit un tel cas de figure et puisse y remédier. |
30. |
La juridiction de renvoi fait valoir, à cet égard, que, selon la pratique de l’État membre en question, lorsque plusieurs contrôles juridictionnels se succèdent, la durée cumulée des suspensions n’est pas plafonnée, même si la juridiction statuant sur une décision de l’autorité fiscale prise dans le cadre d’une nouvelle procédure faisant suite à une décision juridictionnelle antérieure constate que l’autorité fiscale ne s’est pas conformée aux orientations contenues dans la décision juridictionnelle précédente et que c’est par la faute de ladite autorité que la nouvelle procédure juridictionnelle a eu lieu. |
31. |
Dans un tel cas de figure, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation et de la pratique hongroise en matière de suspension des délais de prescription pour une durée essentiellement illimitée et sur la mesure dans laquelle celles-ci sont susceptibles de porter atteinte aux principes de sécurité juridique et d’effectivité. Cette juridiction constate, par ailleurs, que l’exercice du droit à déduction prévu par la directive TVA risquerait de s’avérer excessivement difficile, notamment dans des cas tels que ceux en cause au principal, où l’administration fiscale adopte de nouvelles décisions, sans se conformer aux précédentes décisions rendus par les tribunaux compétents, et ce dans un bref délai à la suite des décisions ordonnant de nouvelles procédures, de sorte que le délai de prescription du droit à établir l’impôt pourrait être prolongé de manière significative en raison de la suspension de la prescription lors du contrôle juridictionnel. |
32. |
Dans un tel contexte où il n’apparaît pas évident que la situation en question puisse être imputée non pas uniquement (et directement) à la législation en cause au principal mais plutôt au comportement, voire à un manquement de l’administration fiscale, ainsi que potentiellement des juridictions nationales, j’estime opportun d’examiner séparément ces deux aspects dans le cadre des présentes conclusions. |
Sur la compatibilité de la réglementation relative à la suspension du délai de prescription avec le droit de l’Union
33. |
Avant de procéder à l’analyse de la compatibilité de la législation hongroise avec les principes d’effectivité et de sécurité juridique du droit de l’Union, comme l’invite à le faire la juridiction de renvoi, il convient d’examiner si cette réglementation s’insère bien dans le champ d’application de dispositions spécifiques du droit de l’Union en matière fiscale. |
Sur l’applicabilité de la directive TVA
34. |
Il convient de noter, à titre liminaire, que, nonobstant le fait que la présente affaire s’inscrit dans le cadre d’un litige lié à la TVA, la question préjudicielle ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition quelconque de la directive TVA. À cet égard, cette directive se limite à fixer les conditions matérielles et formelles relatives au droit à la déduction de la TVA ( 7 ), sans pour autant prévoir de délai dans lequel les assujettis peuvent introduire une demande de remboursement de la TVA ( 8 ) ou dans lesquels, une fois acquise l’existence d’un droit au remboursement d’un certain montant de taxe payé, celui-ci doit intervenir. |
Sur l’applicabilité du règlement no 2988/95
35. |
Il y a lieu de relever, premièrement, qu’il ressort du champ d’application du règlement no 2988/95 que celui-ci couvre toute « irrégularité » constatée par l’administration et « [toute] violation d’une disposition du droit [de l’Union] résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique » qui aurait pour effet de porter préjudice au budget général et aux ressources propres [de l’Union]. |
36. |
Or, la Cour a jugé que les ressources propres de l’Union comprennent notamment les recettes provenant de l’application d’un taux uniforme à l’assiette harmonisée de la TVA établies conformément aux règles de l’Union et qu’il existe un lien direct entre, d’une part, la perception des recettes de TVA dans le respect du droit de l’Union applicable et, d’autre part, la mise à disposition du budget de l’Union d’une ressource TVA appropriée, dès lors que l’absence de perception de la première entraîne potentiellement une réduction de la seconde ( 9 ). Il pourrait en être déduit que le délai de prescription dans lequel les administrations fiscales nationales peuvent établir le montant correct de la TVA à reverser au titre d’une période déterminée relève du règlement no 2988/95. |
37. |
S’agissant, deuxièmement, des délais de prescription, l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 prévoit un délai de prescription des poursuites de quatre ans en ce qui concerne les « irrégularités » couvertes par ce règlement. Selon la jurisprudence de la Cour, le délai de prescription prévu à cet article couvre tant les irrégularités conduisant à l’imposition d’une sanction administrative, au sens de l’article 5 dudit règlement, qu’à celles faisant l’objet d’une mesure administrative, au sens de l’article 4 du même règlement, ayant pour objet le retrait de l’avantage indûment obtenu sans toutefois revêtir le caractère d’une sanction ( 10 ). |
38. |
Il convient toutefois de noter que, en adoptant le règlement no 2988/95, en particulier l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de celui-ci, le législateur de l’Union a entendu uniquement définir un délai minimal devant être appliqué dans tous les États membres. En effet, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement, les États membres peuvent appliquer des délais de prescription plus longs que le délai de quatre années énoncé à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement ( 11 ). Étant donné que cette possibilité est implicitement, mais nécessairement, soumise à la condition que les délais retenus soient raisonnables, toute durée supérieure devra donc être examinée au regard des mêmes principes que ceux applicables aux délais ne relevant pas de ce même règlement ( 12 ). |
39. |
Il importe de relever, troisièmement, que, à son article 3, paragraphe 1, premier alinéa, le règlement no 2988/95 fixe des règles relatives à la computation des délais. En effet, d’une part, l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de ce règlement prévoit que la prescription des poursuites, auxquelles la jurisprudence assimile plus largement toute forme d’action de la part de l’administration, est interrompue par tout acte visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. D’autre part, l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, dudit règlement énonce que la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, cette disposition ayant été interprétée par la Cour comme posant une limite absolue ( 13 ), avec comme seule exception expressément reconnue la suspension en cas d’une procédure pénale, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 2988/95. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, ainsi que cela ressort tant de la demande de décision préjudicielle que de la réponse fournie à cet égard par le gouvernement hongrois lors de l’audience. |
40. |
Par ailleurs, ce règlement ne couvre que les procédures administratives et aucune de ses dispositions ne couvre la durée des procédures judiciaires engagées par une partie à laquelle une sanction administrative a été imposée ni la suspension des délais de prescription en cas de contrôle juridictionnel. |
41. |
Il découle de ce qui précède que, quand bien même le règlement no 2988/95 peut trouver à s’appliquer en ce qui concerne les règles nationales établissant le délai de prescription dans lequel les administrations fiscales nationales peuvent établir l’impôt, une réglementation telle que celle en cause dans la présente affaire prévoyant la suspension du délai de prescription pour l’établissement du montant de la TVA pendant toute la période des contrôles judiciaires est exclue de son champ d’application. |
Sur l’analyse de la réglementation en cause au regard des principes généraux du droit de l’Union
42. |
En l’absence de réglementation de l’Union en la matière [et dès lors que ni la directive TVA ni le règlement no 2988/95 ne contiennent des règles spécifiques permettant d’apporter une réponse à la question préjudicielle posée], il appartient, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, à l’ordre juridique interne des États membres de fixer les règles relatives à la prescription des procédures juridictionnelles et à la suspension de ces délais, conformément au principe de l’autonomie procédurale des États membres et notamment des principes d’équivalence et d’effectivité, sous réserve, pour ces États, d’exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union ( 14 ). |
43. |
À cet égard, si, dans le libellé de sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’est uniquement référée au principe de sécurité juridique et à celui d’effectivité, cet élément ne fait pas obstacle à la prise en compte, tant dans le cadre de la présente analyse que dans celle qu’il revient à la Cour d’effectuer, d’autres principes généraux du droit de l’Union qui peuvent être pertinents dans le cadre de la présente affaire. |
44. |
En ce qui concerne, en premier lieu, le principe d’équivalence, celui-ci exige que les modalités procédurales de mise en œuvre du droit de l’Union prévues par le droit national ne soient pas plus restrictives que celles relatives à la mise en œuvre du droit interne ayant un objet ou une cause similaire. Dans le cas des règles de prescription, son respect implique qu’il existe, en dehors de la règle de prescription en cause, une règle de prescription applicable à des situations internes qui, eu égard à son objet et à ses éléments essentiels, puisse être considérée comme étant similaire ( 15 ). |
45. |
Il convient de constater, à cet égard, qu’il ne ressort ni des faits décrits par la juridiction de renvoi ni des observations écrites des parties, ni encore des précisions apportées lors de l’audience que le régime procédural figurant dans le code de procédure fiscale hongrois (y compris le règlement en cause au principal) soit moins favorable en matière de délais de prescription que celui applicable aux situations internes et que ce régime s’applique aussi bien aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union qu’à ceux, de même nature, tirés de la violation du droit interne. |
46. |
S’agissant, en second lieu, du principe d’effectivité, ce dernier implique que les dispositions régissant la procédure nationale ne doivent pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ( 16 ). |
47. |
Il convient de rappeler, premièrement que, dans le cadre de la directive TVA, les États membres sont soumis à une double obligation. Ainsi, d’une part, ceux-ci doivent veiller à ce que les assujettis puissent effectivement exercer leur droit à déduction de la TVA, sans être empêchés par des règles de procédure ou des règles de fond qui sont incompatibles avec le droit de l’Union et, en particulier, avec la directive TVA. D’autre part, ils sont tenus d’adopter toutes les mesures législatives et administratives nécessaires pour assurer la perception de l’intégralité de la TVA due sur leur territoire ainsi que pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ( 17 ). |
48. |
Or, si, dans la présente affaire, la requérante fait valoir que son droit à déduction de la TVA a été restreint, il ressort de la décision de renvoi que l’administration fiscale a constaté l’existence d’une fraude fiscale et que cette appréciation ne semble pas encore avoir été remise en cause dans les arrêts rendus jusqu’à présent dans l’affaire au principal. Il convient de noter, à cet égard, que, selon la jurisprudence de la Cour, un État membre peut, en principe, suspendre le remboursement de la TVA jusqu’à ce que le litige ait été définitivement réglé dans le cadre d’une procédure administrative ou judiciaire, dans la mesure où le refus du droit à déduction doit toujours satisfaire à l’exigence de proportionnalité ( 18 ), ce qu’il incombe à la juridiction nationale de vérifier. |
49. |
Deuxièmement, l’existence d’un délai de prescription, en matière fiscale, revêt autant d’intérêt pour le contribuable que pour l’administration fiscale dans la mesure où la fixation de délais raisonnables vise à protéger à la fois le contribuable et l’administration fiscale en ne rendant pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. |
50. |
Il y a lieu, à cet égard, d’établir une distinction entre, d’une part, le délai dans lequel les assujettis peuvent exercer leur droit à déduction de la TVA et, d’autre part, le délai de prescription dans lequel l’administration fiscale peut agir ( 19 ). Ainsi, dans certains arrêts, la Cour a admis que l’action de l’administration puisse être enfermée dans des délais différents de ceux applicables aux particuliers ( 20 ). S’agissant dès lors du délai de prescription qui s’applique à l’administration fiscale, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’un délai de cinq ans commençant à courir à la date à laquelle la déclaration doit en principe être effectuée était conforme au principe d’effectivité ( 21 ). |
51. |
Il convient, toutefois, de préciser que, bien que la problématique d’une éventuelle restriction à l’exercice du droit à déduction de la requérante soit mise en avant dans la présente affaire, cette dernière porte non pas directement sur la compatibilité avec le droit de l’Union des règles procédurales régissant ledit droit mais sur la réglementation nationale qui régit le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale. |
52. |
S’agissant, troisièmement, de la suspension du délai de prescription pendant la procédure judiciaire, il convient de constater que l’existence de causes interruptives du délai de prescription vise précisément à garantir le respect du principe d’effectivité en garantissant que le délai de prescription n’expire pas pendant la procédure judiciaire, alors même que les droits conférés par l’ordre juridique de l’Union sont exercés par le contribuable. Par ailleurs, l’objectif de la suspension du délai de prescription pendant la procédure judiciaire est de permettre à l’autorité fiscale de tenir compte du résultat du contrôle juridictionnel. Or, en l’absence d’une telle réglementation, le droit de recours pourrait faire l’objet d’abus car, dans le cas où la prescription interviendrait au cours d’une éventuelle procédure juridictionnelle (dont la durée n’est en principe pas déterminée de façon précise et dépend non pas, en tout état de cause, des mesures prises par les autorités fiscales mais de la procédure juridictionnelle), l’administration fiscale serait dans l’impossibilité de procéder à des constatations même si sa décision devait, par ailleurs, s’avérer conforme au droit tant sur le plan procédural que matériel. |
53. |
S’agissant, en troisième lieu, du principe de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que les délais de prescription remplissent, de façon générale, la fonction d’assurer la sécurité juridique et que, pour remplir cette fonction, les règles prévoyant ces délais doivent être fixées à l’avance et être suffisamment claires et précises afin de garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques ( 22 ). Par ailleurs, en matière fiscale, les règles relatives aux délais de prescription visent à assurer que la situation fiscale d’un assujetti à l’égard de l’administration fiscale ne doit pas être susceptible d’être indéfiniment remise en cause ( 23 ). |
54. |
Or, en l’occurrence, il n’est pas contesté que, dans la présente affaire, les règles relatives à la prescription et à la suspension des délais sont connues des contribuables qui savent que le fait de se prévaloir des garanties dont ils disposent, tel que le droit de former un recours, peut entraîner la suspension du délai de prescription. |
55. |
Par ailleurs, il convient de relever que les règles relatives à la prescription extinctive visent justement à éviter qu’une situation juridique ne soit indéfiniment remise en cause. En effet, le mécanisme de la prescription extinctive vise à ne pas laisser les droits indéfiniment incertains et à en sanctionner l’abandon par leur titulaire. Toutefois, ce mécanisme exige l’existence de causes interruptives du délai de prescription, notamment en cas d’exercice des droits par leurs titulaires et, plus précisément, par l’introduction de voies de recours, un tel mécanisme reposant justement sur le fait que leurs titulaires ne les exercent pas ou que s’ils décident d’en faire usage, une telle décision implique un retard dans la procédure. Il s’ensuit que le fait que les délais de prescription soient suspendus lorsqu’un contribuable exerce ces droits ne peut pas, en principe, être considéré comme un élément qui remet (indéfiniment) en cause ces droits, dès lors que cette suspension est liée au déclenchement d’une nouvelle procédure distincte de la procédure administrative, à savoir celle du contrôle juridictionnel qui est régie par des règles différentes, y compris en ce qui concerne les délais applicables à ses propres procédures ( 24 ). |
56. |
En outre, la Cour a jugé que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à une pratique des autorités fiscales nationales consistant à révoquer, dans le délai de forclusion, une décision par laquelle elles ont reconnu à l’assujetti un droit à déduction de la TVA en lui réclamant, à la suite d’un nouveau contrôle, cette taxe et des majorations de retard ( 25 ). Si une telle pratique de l’administration fiscale dans le cadre de la procédure administrative (et sans intervention d’une décision juridictionnelle) a été jugée comme ne remettant pas indéfiniment en cause la situation fiscale de l’assujetti, il n’y a aucun doute que le fait pour l’administration fiscale d’adopter de nouvelles décisions aux fins d’exécuter les jugements rendus ne peut constituer, en soi, une violation du principe de sécurité juridique. |
57. |
Il résulte de ce qui précède que les principes de sécurité juridique et d’effectivité ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que le délai de prescription sera suspendu pendant toute la durée de la procédure juridictionnelle, en cas d’exercice par le contribuable de son droit de recours, et qu’il sera prolongé, en cas de condamnation de l’administration fiscale à mener une nouvelle procédure. À défaut, la prescription pourrait intervenir même pendant la procédure juridictionnelle, y compris notamment pendant celle liée au renvoi préjudiciel (et ce même dans l’hypothèse où la décision de l’administration fiscale serait parfaitement fondée), ce qui rendrait cette procédure sans objet, priverait le contribuable de la possibilité d’exercer son droit de recours et, par ailleurs, empêcherait l’administration fiscale de se prononcer, en exécution de la décision de la juridiction nationale, sur la situation fiscale du contribuable. |
Sur la pratique de l’administration hongroise relative à la suspension du délai de prescription
58. |
Il ressort des constats effectués par la juridiction de renvoi que la prolongation de la procédure serait imputable, en partie, à l’administration fiscale, celle-ci n’ayant pas respecté les indications fournies dans la décision judiciaire pertinente lorsqu’elle a adopté une nouvelle décision. Selon cette juridiction, une telle prolongation injustifiée, pour une durée impossible à prévoir, de la procédure fiscale visant à l’examen des conditions financières et matérielles du droit à déduction, aurait pour résultat de rendre excessivement difficile l’exercice du droit à déduction (de la TVA) ( 26 ). |
59. |
Dans un tel contexte et bien que la juridiction de renvoi n’ait pas formulé de demande en ce sens, il convient de s’interroger, en premier lieu, sur la pertinence du principe de bonne administration dans la présente affaire. |
60. |
En effet, la Cour a déjà établi dans sa jurisprudence que, dès lors qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, les exigences découlant du droit à une bonne administration, lequel reflète un principe général du droit de l’Union et, notamment, le droit de toute personne de voir ses affaires traitées impartialement et dans un délai raisonnable, trouvent à s’appliquer dans le cadre d’une procédure de contrôle fiscal ( 27 ). La Cour a également relevé que ce principe de bonne administration exige d’une autorité administrative, telle que l’administration fiscale en cause au principal, de procéder, dans le cadre des obligations de vérification qui lui incombent, à un examen diligent et impartial de tous les aspects pertinents de sorte à s’assurer qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire ( 28 ). |
61. |
Il appartient donc à la juridiction de renvoi (qui seule dispose de toutes les circonstances de l’affaire au principal) de déterminer si la complexité de cette affaire a pu conduire à une prolongation de la procédure ou si la réitération des procédures fiscales et les multiples suspensions du délai de prescription peuvent être imputées à un manquement de l’administration fiscale ainsi que la mesure dans laquelle cette pratique a pu occasionner un préjudice pour la requérante. Ne constitue toutefois pas, en tant que telle, une faute de l’administration fiscale, de nature à remettre en cause les dispositions relatives à la suspension de la prescription, toute erreur commise par cette administration ou toute tentative infructueuse de celle-ci de se conformer à une décision juridictionnelle, même dans l’hypothèse où cela s’est produit plus d’une fois. |
62. |
Il importe de relever, en second lieu, que, lors de l’audience, le gouvernement hongrois a soutenu que les juridictions nationales disposaient des moyens nécessaires leur permettant, en principe, de remédier à une situation telle que celle en l’espèce. Ainsi, dans l’hypothèse où l’administration fiscale ne se conformerait pas aux injonctions qui lui ont été adressées par une juridiction nationale (pour des raisons qui lui sont directement imputables), cette dernière pourrait, selon ce gouvernement, « s’emparer » de l’affaire portée devant elle et statuer sur celle-ci en modifiant une décision adoptée par l’administration fiscale et en clôturant ainsi définitivement le litige. |
63. |
Ιl convient de rappeler, à cet égard, que l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit, notamment, que toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le caractère raisonnable du délai de jugement doit être apprécié en fonction des circonstances propres de chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire, ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes ( 29 ). |
64. |
Il y a donc également lieu pour la juridiction nationale compétente de vérifier dans quelle mesure la prolongation de la procédure pourrait être imputée aux juridictions nationales, s’il était avéré que celles-ci, bien que disposant de moyens pour pallier une telle situation, n’en ont pas fait usage. Dans un tel cas de figure, il revient à la juridiction nationale compétente d’examiner s’il y a lieu d’octroyer une réparation à la requérante en raison d’un retard ou d’un manquement imputable non seulement aux autorités fiscales mais aussi aux juridictions nationales. |
65. |
Il découle de ce qui précède qu’il revient à la juridiction nationale compétente, en prenant en compte toutes les circonstances de l’espèce, telles que la complexité de l’affaire, d’apprécier si la répétition de la procédure fiscale et les contrôles juridictionnels concernés ont été effectués principalement en raison de défaillances de l’administration fiscale ou si ce retard peut être imputé aux juridictions nationales, et d’en tirer les conclusions nécessaires, y compris l’existence d’un éventuel droit à réparation au profit du contribuable concerné |
Conclusion
66. |
Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie) comme suit : Les principes de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, le délai de prescription du droit de l’administration fiscale d’établir l’impôt est suspendu pendant toute la durée du contrôle juridictionnel concerné, même lorsque ce recours est dirigé contre des décisions consécutives rendues par une autorité fiscale et ayant trait au même impôt. Il appartient, toutefois, à la juridiction nationale compétente, en prenant en compte toutes les circonstances de l’espèce, telles que la complexité de l’affaire, d’apprécier si la répétition de la procédure fiscale et les contrôles juridictionnels concernés ont été effectués principalement en raison de défaillances de l’administration fiscale ou si ce retard peut être imputé aux juridictions nationales, et d’en tirer les conclusions nécessaires, y compris l’existence d’un éventuel droit à réparation au profit du contribuable concerné. |
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2006, L 347, p. 1.
( 3 ) JO 1995, L 312, p. 1.
( 4 ) Magyar Közlöny 2003/131, 14 novembre 2003, p. 9990.
( 5 ) Magyar Közlöny 2017/192, 22 novembre 2017, p. 31694.
( 6 ) Magyar Közlöny 2017/192, 22 novembre 2017, p. 31586.
( 7 ) La directive TVA régit ces conditions tant matérielles que formelles dans son titre X, respectivement aux chapitres 1er (« Naissance et étendue du droit à déduction », articles 168 et suiv.) et 4 (« Modalités d’exercice du droit à déduction », articles 178 et suiv.).
( 8 ) Arrêt du 14 février 2019, Nestrade (C‑562/17, EU:C:2019:115, point 35).
( 9 ) Arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 26), ainsi que du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 38).
( 10 ) Arrêts du 24 juin 2004, Handlbauer (C‑278/02, EU:C:2004:388, points 33 et 34), ainsi que du 17 septembre 2014, Cruz & Companhia (C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 45).
( 11 ) Voir arrêt du 7 avril 2022, IFAP (C‑447/20 et C‑448/20, EU:C:2022:265, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2014, Cruz & Companhia (C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 59 et jurisprudence citée).
( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales France (C‑584/15, EU:C:2017:160, point 54 et jurisprudence citée).
( 14 ) Arrêt du 28 juillet 2016, Astone (C‑332/15, EU:C:2016:614, points 34 ainsi que jurisprudence citée).
( 15 ) Arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services (C‑500/16, EU:C:2017:996, point 38 et jurisprudence citée).
( 16 ) Arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C‑3/16, EU:C:2017:209, point 52).
( 17 ) Voir article 273 de la directive TVA et arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 25 et 26).
( 18 ) Arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide e.a. (C‑286/94, C‑340/95, C‑401/95 et C‑47/96, EU:C:1997:623, points 54 et 55).
( 19 ) D’une part, s’agissant du contribuable, l’existence d’un délai de prescription dans le cadre de l’exercice de ses droits lui permet de contester les décisions de l’administration fiscale afin de solliciter et, le cas échéant, d’obtenir, des restitutions de paiements indus ou prévues par la réglementation spécifique à chaque impôt. D’autre part, le délai de prescription permet aux autorités fiscales d’exercer les contrôles nécessaires afin de déterminer la situation fiscale d’un contribuable ainsi que d’identifier les irrégularités et les abus qui ont pu se produire, et leurs conséquences, afin d’éviter une perte de recettes de TVA.
( 20 ) Voir, notamment, arrêt du 8 mai 2008, Ecotrade (C‑95/07 et C‑96/07, EU:C:2008:267, points 49 à 54), dans lequel la Cour a jugé que le principe d’effectivité n’est pas méconnu dans le cas d’un délai national de prescription prétendument plus avantageux pour l’administration fiscale que celui opposable aux particuliers.
( 21 ) Arrêts du 8 septembre 2011, Q-Beef et Bosschaert (C‑89/10 et C‑96/10, EU:C:2011:555, point 37), ainsi que du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services (C‑500/16, EU:C:2017:996, point 43).
( 22 ) Arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar (C‑349/17, EU:C:2019:172, point 112 et jurisprudence citée).
( 23 ) Arrêt du 20 mai 2021, BTA Baltic Insurance Company (C‑230/20, non publié, EU:C:2021:410, point 46).
( 24 ) En effet, le délai applicable à la procédure juridictionnelle, dont l’introduction est à l’origine de la suspension du délai de prescription, est régi non pas par la législation fiscale, mais par les règles relatives aux procédures juridictionnelles.
( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454, points 40 et 41).
( 26 ) Cette constatation est également partagée par la requérante qui soutient que la lenteur de la procédure était due à des lacunes dans l’examen des faits effectué par l’administration fiscale ayant finalement conduit à des suspensions du délai de prescription.
( 27 ) Arrêt du 14 mai 2020, Agrobet CZ (C-446/18, EU:C:2020:369, point 43).
( 28 ) Arrêt du 14 mai 2020, Agrobet CZ (C‑446/18, EU:C:2020:369, point 44).
( 29 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission (C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 212 et jurisprudence citée).