Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021CC0440

Conclusions de l'avocat général Mme L. Medina, présentées le 6 octobre 2022.
Commission européenne e.a. contre Pharmaceutical Works Polpharma S.A.
Pourvoi – Santé publique – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Règlement (CE) no 726/2004 – Demande d’autorisation de mise sur le marché d’une version générique du médicament Tecfidera – Décision de l’Agence européenne des médicaments (EMA) refusant de valider la demande d’autorisation de mise sur le marché – Décision antérieure de la Commission européenne considérant que le Tecfidera ne relevait pas de la même autorisation globale de mise sur le marché que le Fumaderm – Association médicamenteuse précédemment autorisée – Autorisation de mise sur le marché ultérieure d’un composant de l’association médicamenteuse – Appréciation de l’existence d’une autorisation globale de mise sur le marché.
Affaires jointes C-438/21 P à C-440/21 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:758

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 6 octobre 2022 ( 1 )

Affaires jointes C‑438/21 P à C‑440/21 P

Commission européenne (C‑438/21 P)

Biogen Netherlands BV (C‑439/21 P)

Agence européenne des médicaments (C‑440/21 P)

contre

Pharmaceutical Works Polpharma S.A.

« Pourvoi – Médicaments à usage humain – Demande d’autorisation de mise sur le marché d’une version générique du médicament Tecfidera – Décision de l’Agence européenne des médicaments (EMA) refusant de valider la demande – Décision antérieure de la Commission européenne considérant que le Tecfidera ne relevait pas de la même autorisation globale de mise sur le marché que le Fumaderm – Exception d’illégalité – Directive 2001/83/CE – Article 6, paragraphe 1, second alinéa – Notion d’“autorisation globale” et ses objectifs – Article 10, paragraphe 1 – Période de protection réglementaire des données – Règlement (CE) no 726/2004 – Application décentralisée de la réglementation pharmaceutique de l’Union – Principe de reconnaissance mutuelle »

I. Introduction

1.

Les présentes conclusions concernent trois pourvois formés par la Commission européenne, Biogen Netherlands BV (ci-après « Biogen ») et l’Agence européenne des médicaments (EMA), tendant à l’annulation de l’arrêt du 5 mai 2021, Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, ci-après l’« arrêt sous pourvoi », EU:T:2021:241). Par cet arrêt, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de l’EMA du 30 juillet 2018 (ci-après la « décision litigieuse »), refusant d’entériner la demande d’autorisation de mise sur le marché, introduite par Pharmaceutical Works Polpharma S.A. (ci-après « Polpharma ») pour une version générique du médicament Tecfidera – diméthyle fumarate (ci-après le « Tecfidera »).

2.

La Cour a demandé d’examiner deux questions juridiques, qui sont, dans une large mesure, communes aux trois affaires. Les présentes conclusions se concentreront dès lors sur les moyens relatifs à la notion d’« autorisation globale », au sens de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83/CE ( 2 ), et au critère exposé par le Tribunal pour apprécier l’appartenance des deux médicaments en cause en l’espèce à la même autorisation globale de mise sur le marché. En substance, ce critère aurait obligé la Commission, sur la base de l’évaluation scientifique menée par l’EMA, à vérifier la contribution thérapeutique des composants d’un médicament préalablement autorisé par une autorité nationale compétente pour déterminer si un produit nouvellement développé relevait de cette même autorisation globale de mise sur le marché.

3.

Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de préciser les conditions requises pour, respectivement, autoriser la mise sur le marché d’un médicament dans l’Union européenne et apprécier le point de savoir si les deux médicaments relèvent de la même autorisation globale de mise sur le marché. Cette affaire permet également à la Cour de définir, dans le contexte de cette appréciation, la relation entre les compétences de la Commission, de l’EMA et des autorités des États membres dans le cadre de cette évaluation et le degré de (dé)centralisation qui découle de la directive 2001/83 et du règlement (CE) no 726/2004 ( 3 ) dans l’application de la réglementation pharmaceutique de l’Union.

II. Le cadre juridique

A.   La directive 2001/83

4.

Les considérants 9 et 12 de la directive 2001/83 énoncent :

« (9)

L’expérience a montré qu’il convient de mieux préciser encore les cas où les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques ou cliniques n’ont pas à être fournis en vue de l’autorisation d’un médicament essentiellement similaire à un médicament autorisé, tout en veillant à ne pas désavantager les firmes innovatrices.

[...]

(12)

À l’exception des médicaments soumis à la procédure communautaire centralisée d’autorisation instituée par le règlement (CEE) no 2309/93 [ ( 4 )], une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par une autorité compétente d’un État membre devrait être reconnue par les autorités compétentes des autres États membres, sauf s’il existe des motifs sérieux de supposer que l’autorisation du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique. Dans l’éventualité d’un désaccord entre les États membres sur la qualité, la sécurité et l’efficacité d’un médicament, une évaluation scientifique de la question devrait être réalisée au niveau communautaire, afin d’aboutir à une décision unique sur les points litigieux, et contraignante pour les États membres concernés. Cette décision devrait être adoptée selon une procédure rapide prévoyant une coopération étroite entre la Commission et les États membres. »

5.

L’article 1er de la directive 2001/83 définit les notions de « médicament » et de « substance active » comme suit :

« [...]

2)   médicament :

a)

toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou

b)

toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical ;

[...]

3 bis)   substance active :

toute substance ou tout mélange de substances destiné à être utilisé pour la fabrication d’un médicament et qui, lorsqu’utilisé pour sa production, devient un composant actif dudit médicament exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques, ou d’établir un diagnostic médical ;

[...] »

6.

L’article 6 de la directive 2001/83 dispose :

« 1.   Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une autorisation de mise sur le marché ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du [règlement no 726/2004] [...]

Lorsqu’un médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché conformément au premier alinéa, tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension, doivent également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa ou être inclus dans l’autorisation de mise sur le marché initiale. Toutes ces autorisations de mise sur le marché sont considérées comme faisant partie d’une même autorisation globale, notamment aux fins de l’application de l’article 10, paragraphe 1.

[...] »

7.

L’article 8 de la directive 2001/83 dispose :

« [...]

3.   À la demande doivent être joints les renseignements et les documents suivants, présentés conformément à l’annexe I :

[...]

c)

composition qualitative et quantitative de tous les composants du médicament comprenant la mention de sa dénomination commune internationale (DCI) recommandée par l’[Organisation mondiale de la Santé (OMS)] quand la DCI du médicament existe, ou la mention de la dénomination chimique ;

[...] »

8.

L’article 10 de la directive 2001/83 se lit comme suit :

« 1.   Par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, point i), et sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé au sens de l’article 6 depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans [l’Union].

Un médicament générique autorisé en vertu de la présente disposition ne peut être commercialisé avant le terme de la période de dix ans suivant l’autorisation initiale du médicament de référence.

[...]

La période de dix ans visée au deuxième alinéa est portée à onze ans au maximum si le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes.

2.   Aux fins du présent article, on entend par :

a)

“médicament de référence”, un médicament autorisé au sens de l’article 6, conformément à l’article 8 ;

b)

“médicament générique”, un médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. Les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d’isomères, complexes ou dérivés d’une substance active sont considérés comme une même substance active, à moins qu’ils ne présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité et/ou de l’efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires fournissant la preuve de la sécurité et/ou de l’efficacité des différents sels, esters ou dérivés d’une substance active autorisée doivent être données par le demandeur. Les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. Le demandeur peut être dispensé des études de biodisponibilité s’il peut prouver que le médicament générique satisfait aux critères pertinents figurant dans les lignes directrices détaillées applicables. »

9.

L’article 11 de la directive 2001/83 dispose :

« Le résumé des caractéristiques du produit comporte, dans cet ordre, les renseignements suivants :

[...]

2.   composition qualitative et quantitative en substances actives et en composants de l’excipient, dont la connaissance est nécessaire à une bonne administration du médicament. Sont employées les dénominations communes ou les dénominations chimiques ;

[...] »

10.

L’article 30 de la directive 2001/83 se lit comme suit :

« 1.   Lorsqu’un même médicament fait l’objet de plusieurs demandes d’autorisation de mise sur le marché, introduites conformément à l’article 8 et aux articles 10, 10 bis, 10 ter, 10 quater et 11, et que les États membres ont adopté des décisions divergentes concernant son autorisation, la suspension de celle-ci ou son retrait, un État membre, la Commission, le demandeur ou le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché peuvent saisir le [C]omité des médicaments à usage humain, ci‑après dénommé “comité”, pour application de la procédure visée aux articles 32, 33 et 34. »

11.

L’article 31 de la directive 2001/83 dispose :

« 1.   Dans des cas particuliers présentant un intérêt pour l’Union, les États membres, la Commission, le demandeur ou le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché saisissent le comité pour que la procédure visée aux articles 32, 33 et 34 soit appliquée avant qu’une décision ne soit prise sur la demande, la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché ou sur toute autre modification de l’autorisation de mise sur le marché apparaissant nécessaire.

[...] »

12.

L’annexe 1, partie II, point 3, de la directive 2001/83 dispose :

« Lorsque la substance active d’un médicament essentiellement similaire contient la même fraction thérapeutique que le produit autorisé d’origine associé à un complexe/dérivé de sels/d’esters, il y lieu de démontrer la preuve qu’il n’y pas de changement dans la pharmacocinétique de la fraction, dans la pharmacodynamie et/ou dans la toxicité qui pourrait modifier le profil sécurité/efficacité. Si tel n’était pas le cas, cette association est à considérer comme une nouvelle substance active. »

B.   Le règlement no 726/2004

13.

Les considérants 9 et 19 du règlement no 726/2004 énoncent :

« (9)

Dans le domaine des médicaments à usage humain, l’accès facultatif à la procédure centralisée devrait être également prévu dans les cas où le recours à une procédure unique apporte une plus-value au patient. Cette procédure devrait rester optionnelle pour les médicaments qui, bien que ne relevant pas des catégories mentionnées précédemment, représentent néanmoins une innovation thérapeutique. Il convient également de permettre l’accès à cette procédure pour les médicaments qui, bien que non innovants, peuvent être bénéfiques pour la société ou pour les patients s’ils sont autorisés d’emblée au niveau communautaire, comme par exemple certains médicaments dont la délivrance ne sera pas soumise à prescription médicale. Cette option peut être étendue aux génériques de médicaments autorisés par la Communauté dès lors que l’harmonisation acquise lors de l’évaluation du médicament de référence et les résultats de cette évaluation sont impérativement préservés.

[...]

(19)

L’[EMA] devrait être principalement chargée de fournir un avis scientifique du meilleur niveau possible aux institutions de la Communauté ainsi qu’aux États membres pour leur permettre d’exercer les compétences que leur confère la législation communautaire, dans le secteur des médicaments, en matière d’autorisation et de surveillance des médicaments. Ce n’est qu’à l’issue d’une évaluation scientifique unique du plus haut niveau possible de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments de haute technologie par l’[EMA] qu’une autorisation de mise sur le marché devrait être octroyée par la Communauté, au moyen d’une procédure rapide assurant une coopération étroite entre la Commission et les États membres. »

14.

Aux termes de l’article 3 du règlement no 726/2004 :

« [...]

2.   Tout médicament ne figurant pas à l’annexe peut faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Communauté conformément au présent règlement, si :

[...]

b)

le demandeur démontre que ce médicament présente une innovation significative sur le plan thérapeutique, scientifique ou technique ou que la délivrance d’une autorisation conformément au présent règlement présente, pour les patients ou du point de vue de la santé animale, un intérêt au niveau communautaire.

[...]

3.   Un médicament générique d’un médicament de référence autorisé par la Communauté peut être autorisé par les autorités compétentes des États membres conformément aux directives [2001/83] et 2001/82/CE [ ( 5 )] dans les conditions suivantes :

[...] »

15.

L’article 14 du règlement no 726/2004 dispose :

« [...]

11.   Les médicaments à usage humain autorisés conformément aux dispositions du présent règlement bénéficient, sans préjudice du droit concernant la protection de la propriété industrielle et commerciale, d’une période de protection des données d’une durée de huit ans et d’une période de protection de la mise sur le marché d’une durée de dix ans portée à onze ans au maximum si le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un bénéfice clinique important par rapport aux thérapies existantes. »

16.

L’article 57 du règlement no 726/2004 dispose :

« 1.   L’[EMA] donne aux États membres et aux institutions de la Communauté les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise conformément aux dispositions de la législation communautaire relative aux médicaments.

[...] »

17.

L’article 60 du règlement no 726/2004 dispose :

« À la demande de la Commission, [l’EMA] recueille, en ce qui concerne les médicaments autorisés, toutes les informations disponibles sur les méthodes utilisées par les autorités compétentes des États membres pour déterminer la valeur thérapeutique ajoutée apportée par un nouveau médicament ».

III. Les faits à l’origine du litige et la procédure au principal

A.   Les antécédents du litige

18.

Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 51 de l’arrêt sous pourvoi. Pour les besoins des présentes conclusions, ce contexte peut être résumé aux faits non contestés suivants, qui intéressent le pourvoi.

19.

Fumaderm est un médicament qui a obtenu en Allemagne une autorisation de mise sur le marché délivrée par le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux, Allemagne, ci-après le « BfArM ») en 1994. Il a été indiqué pour le traitement du psoriasis comme une association médicamenteuse fixe de diméthyle fumarate (ci‑après le « DMF ») et de divers sels de monoéthyle fumarate (ci-après le « MEF »). Cette autorisation a été demandée par Fumapharm AG, entreprise qui a été acquise par Biogen en 2006. Conformément à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2001/83, la période de protection réglementaire des données du Fumaderm a expiré en 2004. Son autorisation de mise sur le marché a néanmoins été renouvelée par le BfArM en 2013.

20.

Le Tecfidera est un médicament monosubstance, qui ne contient que du DMF, et non du MEF. À la demande de Biogen, il a été autorisé par la Commission, le 30 janvier 2014, dans le traitement de la sclérose en plaques en vertu de la décision d’exécution C(2014) 601 final portant autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain « Tecfidera – diméthyle fumarate » au titre du règlement no 726/2004 (ci-après la « décision d’exécution de 2014 »).

21.

Lors de l’examen de la demande d’autorisation de mise sur le marché du Tecfidera, la Commission a, en vue de définir le statut réglementaire de protection des données de ce médicament, demandé au Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’EMA d’apprécier le point de savoir si le Tecfidera et le Fumaderm, appartenant tous deux à Biogen, étaient des médicaments différents.

22.

À cet égard, le CHMP a considéré que le DMF et le MEF étaient des substances actives différentes dans la mesure où elles ne partageaient pas la même fraction thérapeutique. En outre, le CHMP a considéré que le Tecfidera, dans la mesure où il était composé uniquement de DMF, et le Fumaderm, qui consistait en une combinaison de DMF et de MEF, avaient une composition qualitative différente. Le CHMP a ainsi conclu que le Fumaderm et le Tecfidera étaient des médicaments différents.

23.

Sur la base des conclusions scientifiques du CHMP, la Commission a établi, dans la décision d’exécution de 2014, que le Tecfidera répondait aux conditions requises par la directive 2001/83 et qu’il convenait d’en autoriser la mise sur le marché. La Commission a également décidé que le Tecfidera et le Fumarderm ne faisaient pas partie d’une même autorisation globale de mise sur le marché conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83. À cet égard, le considérant 3 de la décision d’exécution de 2014 est rédigé comme suit :

« Le [DMF], la substance active contenue dans le [Tecfidera], entre dans la composition du médicament autorisé Fumaderm, qui contient du DMF ainsi que du sel de calcium d’éthyle fumarate, du sel de magnésium d’[éthyle-hydrogène fumarate] et du sel de zinc d’[éthyle-hydrogène fumarate] (sels de monoéthyle fumarate), et qui appartient au même titulaire d’autorisation de mise sur le marché. Le [CHMP] a conclu que le [MEF] et le [DMF] étaient tous deux actifs et ne correspondaient pas à la même substance active, car leur fraction thérapeutique n’est pas la même. Il est dès lors considéré que le Tecfidera contenant du DMF est différent du Fumaderm, l’autre médicament déjà autorisé composé de DMF et de sels de MEF. Par conséquent, le [“Tecfidera”], dont la demande d’autorisation était fondée sur l’article 8, paragraphe 3, de la directive [2001/83], et le médicament déjà autorisé “Fumaderm” ne font pas partie d’une même autorisation globale de mise sur le marché conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2001/83]. »

24.

En raison de la décision d’exécution de 2014, le Tecfidera s’est vu accorder une période indépendante de protection réglementaire des données à compter de la date de la notification de cette décision. D’autres entreprises ne pouvaient donc pas se référer aux données précliniques et cliniques du dossier du Tecfidera pendant huit ans ni commercialiser une version générique du Tecfidera pendant dix ans.

25.

En 2017, Polpharma, une société pharmaceutique développant et commercialisant des médicaments, a demandé une autorisation de mise sur le marché pour une version générique du Tecfidera. Dans sa demande, Polpharma a fait valoir que la période de protection réglementaire des données pour le Tecfidera avait déjà expiré, étant donné que son autorisation devait être rangée dans la même autorisation globale que celle du Fumaderm.

26.

Par la décision litigieuse, l’EMA a refusé d’entériner la demande de Polpharma. En particulier, l’EMA a indiqué que, selon la décision d’exécution de 2014, le Tecfidera et le Fumaderm n’appartenaient pas à la même autorisation globale de mise sur le marché en raison de leur composition qualitative différente en substances actives. L’EMA s’est également référée à l’affirmation figurant au considérant 3 de la décision d’exécution de 2014 et a refusé d’entériner la demande d’autorisation de mise sur le marché présentée par Polpharma au motif que la période de protection réglementaire des données du Tecfidera n’avait pas expiré.

B.   Sur le recours en annulation introduit devant le Tribunal et sur l’arrêt sous pourvoi

27.

Par une requête déposée au greffe du Tribunal, Polpharma a introduit un recours en annulation de la décision litigieuse.

28.

À l’appui de son recours en annulation, Polpharma a soulevé un moyen unique, soutenant que la décision d’exécution de 2014 était illégale et devait, dès lors, être déclarée inapplicable conformément à l’article 277 TFUE. En substance, elle a considéré que, pour établir le point de savoir si le Tecfidera et le Fumaderm différaient aux fins de l’autorisation globale de mise sur le marché, la Commission et l’EMA auraient dû apprécier non seulement la composition qualitative, en examinant les substances actives, du Fumaderm par rapport au Tecfidera, mais également l’existence d’une contribution thérapeutique pertinente du MEF au Fumaderm. En conséquence, elle a fait valoir que la décision attaquée, qui a refusé d’entériner la demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique pour le Tecfidera, était dépourvue de base légale et devait être annulée.

29.

Dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal a jugé, en premier lieu, que l’exception d’illégalité soulevée par Polpharma à l’encontre de la décision d’exécution de 2014 était recevable.

30.

Dans ses motifs, le Tribunal a notamment indiqué que la société Polpharma n’était pas habilitée à introduire un recours direct en annulation contre la décision d’exécution de 2014, en ce qu’elle ne répondait pas aux critères pertinents établis à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. À cet égard, le Tribunal a considéré que la société Polpharma n’était pas individuellement concernée par la décision d’exécution de 2014. En revanche, il a considéré que cette décision constituait un acte réglementaire comportant des mesures d’exécution. En tout état de cause, le Tribunal a relevé que l’intérêt de Polpharma à demander l’annulation de la décision d’exécution de 2014 n’était pas né et actuel, comme le requiert une jurisprudence constante, mais futur et hypothétique à la date à laquelle elle aurait été habilitée à introduire un recours en annulation de cette décision.

31.

En second lieu, le Tribunal a accueilli l’exception d’illégalité et considéré que, dès lors qu’elle était fondée sur la décision d’exécution de 2014, la décision litigieuse était privée de fondement et devait être annulée.

32.

Premièrement, le Tribunal a examiné la notion d’« autorisation globale » et ses objectifs. Il a également relevé que, dans l’adoption de la décision d’exécution de 2014, la Commission avait été confrontée, pour la première fois au niveau de l’Union, à la question de savoir si une association médicamenteuse fixe déjà autorisée, d’une part, et un médicament monosubstance issu d’un composant de cette association médicamenteuse fixe, d’autre part, appartenaient ou non à la même autorisation globale de mise sur le marché. En outre, il a jugé que la Commission devait tenir compte du fait que l’état du droit de l’Union relatif à la composition des médicaments et aux connaissances scientifiques était sensiblement différent en 1994 lorsque le BfArM a accordé l’autorisation en faveur du Fumaderm. Dans ce contexte, selon le Tribunal, c’est à bon droit que la Commission a demandé au CHMP de déterminer si la seule substance active du Tecfidera était différente de celle du Fumaderm.

33.

Deuxièmement, le Tribunal a relevé que, dans des cas spécifiques présentant un intérêt pour l’Union, les États membres, la Commission, un demandeur ou le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché consulteront le CHMP, auquel il incombe de réaliser sa propre évaluation au niveau de l’Union du médicament concerné, indépendant de celle accomplie par les autorités nationales. Selon le Tribunal, dans le cadre des procédures d’autorisation de mise sur le marché, l’EMA et la Commission remplissent ainsi une fonction particulière qui n’est pas comparable à celle des autorités nationales. En ce sens, le principe de reconnaissance mutuelle ne pouvait pas s’opposer à ce que le CHMP examine les évaluations précédemment réalisées par une autorité nationale ou à ce qu’il réalise une évaluation propre. Tel serait d’autant plus le cas lorsqu’une demande d’autorisation de mise sur le marché est présentée au niveau de l’Union pour une substance qui entre dans la composition d’une association médicamenteuse autorisée quinze ans auparavant au niveau national. En effet, la question de savoir si le Tecfidera était couvert par la même autorisation globale que le Fumaderm était un cas présentant un intérêt particulier pour l’Union au regard des objectifs poursuivis par la directive 2001/83, en général, et de la notion d’« autorisation globale de mise sur le marché », en particulier.

34.

Troisièmement, le Tribunal a relevé que, au moment de l’adoption de la décision d’exécution de 2014, l’EMA et la Commission disposaient ou auraient pu disposer d’informations susceptibles de démentir l’hypothèse selon laquelle le MEF, qui faisait partie du Fumaderm, mais qui n’était pas contenu dans le Tecfidera, avait joué un rôle dans le Fumaderm. Ainsi, selon le Tribunal, la Commission ne pouvait conclure que le Tecfidera était couvert par une autorisation de mise sur le marché globale différente du Fumaderm sans avoir vérifié ou demandé au CHMP de vérifier le rôle joué par le MEF dans le Fumaderm. Partant, en l’absence d’une telle vérification et au vu du fait que la Commission n’avait pas analysé l’ensemble des données pertinentes qui devaient être prises en considération pour établir que le Tecfidera et le Fumaderm ne relevaient pas de la même autorisation globale de mise sur le marché, le Tribunal a conclu que la décision d’exécution de 2014 était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

IV. Les conclusions des parties devant la Cour

35.

Par leurs pourvois respectifs, la Commission, Biogen et l’EMA demandent à la Cour de justice d’annuler l’arrêt sous pourvoi, de rejeter le recours introduit en première instance et de condamner Polpharma aux dépens. Au besoin, si le litige n’est pas en état d’être jugé par la Cour, Biogen conclut également au renvoi de l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

36.

Polpharma demande à la Cour de rejeter le pourvoi, de confirmer l’arrêt sous pourvoi et de condamner les parties requérantes aux dépens des pourvois.

V. Analyse

37.

À l’appui de leurs pourvois, la Commission, Biogen et l’EMA invoquent, respectivement dans les affaires C‑438/21 P, C‑439/21 P et C‑440/21 P, quatre moyens dont le contenu est quasi identique.

38.

En substance, ces moyens sont tirés, premièrement, de la dénaturation des faits de l’espèce et, en particulier, du défaut de déduire les justes conséquences juridiques de l’appréciation réalisée par le BfArM lors du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm en 2013 ; deuxièmement, de la violation de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83, à l’endroit de la notion d’« autorisation globale » et ses objectifs, tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour ; troisièmement, de la méconnaissance du système décentralisé d’application de la réglementation pharmaceutique de l’Union, tel que défini par la directive 2001/83 et le règlement no 726/2004, ainsi que du principe de confiance mutuelle ; et quatrièmement, de la méconnaissance des limites du contrôle juridictionnel à l’égard d’évaluations scientifiques et de preuves scientifiques.

39.

En outre, Biogen dénonce également une violation de l’article 277 TFUE, dans l’admission par le Tribunal en première instance de l’exception d’illégalité soulevée par Polpharma à l’encontre de la décision d’exécution de 2014.

40.

Conformément à la demande de la Cour, mon analyse portera, en premier lieu, sur l’interprétation de la notion d’« autorisation globale » et de ses objectifs, tels qu’énoncés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83, auxquels se rapportent le deuxième moyen dans les affaires C‑438/21 P et C‑439/21 P ainsi que le troisième moyen dans l’affaire C‑440/21 P. Par ailleurs, la réponse à apporter à cette motivation dépendant des conséquences juridiques à tirer du renouvellement par le BfArM de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm en 2013, j’aborderai, dans mon analyse, la question de savoir si le Tribunal a fondé son raisonnement sur une prémisse erronée en fait susceptible d’affecter la conclusion finale tirée dans l’arrêt sous pourvoi, comme le soutiennent les trois requérantes. Il s’agit là du premier moyen des pourvois dans les affaires C‑438/21 P et C‑440/21 P ainsi que du troisième moyen de l’affaire C‑439/21 P.

41.

En second lieu, j’examinerai le point de savoir si le Tribunal pouvait à juste titre établir, au regard des dispositions de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004 et du principe de reconnaissance mutuelle, que la Commission et l’EMA sont compétentes pour réévaluer l’autorisation de mise sur le marché d’une association médicamenteuse fixe délivrée par une autorité nationale compétente lorsqu’elles doivent décider si un médicament monosubstance, consistant en l’une des substances de cette association médicamenteuse fixe, appartient à la même autorisation globale de mise sur le marché. Cette question est liée au troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑438/21 P, au quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑439/21 P et au deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑440/21 P.

A.   Sur les moyens tirés de la violation de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 et sur l’exactitude de la prémisse en fait retenue par le Tribunal

42.

Dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal a conclu que, « dans la mesure où, malgré les circonstances particulières de l’espèce, ni le CHMP ni la Commission n’ont apprécié le rôle joué par le MEF au sein [du] Fumaderm ou demandé des renseignements au BfArM à cet égard », la décision d’exécution de 2014 « [était] entachée d’une erreur manifeste d’appréciation » ( 6 ).

43.

Cette conclusion se fonde, notamment, sur le raisonnement suivant, exposé au point 282 de cet arrêt :

« [...] En effet, compte tenu [i)] des objectifs de l’autorisation globale de mise sur le marché, [ii)] du droit de l’Union applicable aux associations médicamenteuses en 1994 et de l’évolution des connaissances scientifiques entre [l’année] 1994 et [l’année] 2014, [iii)] de la fonction particulière exercée par l’EMA et la Commission ainsi que [iv)] des données dont disposaient ou pouvaient disposer ces dernières et qui étaient de nature à priver de plausibilité l’hypothèse que le MEF jouait un rôle au sein du Fumaderm [...], il y a lieu de considérer que la Commission n’était pas en droit de conclure que le Tecfidera relevait d’une autorisation globale de mise sur le marché différente du Fumaderm précédemment autorisé sans avoir vérifié ou demandé au CHMP de vérifier si, et, le cas échéant, comment, le BfArM avait apprécié le rôle du MEF au sein du Fumaderm et sans davantage avoir demandé au CHMP de vérifier le rôle joué par le MEF au sein du Fumaderm. »

44.

Les parties requérantes font valoir que cette considération du Tribunal est entachée de plusieurs erreurs de droit, en ce qu’elle implique que la Commission et l’EMA auraient dû réévaluer la contribution thérapeutique du MEF dans le Fumaderm, médicament autorisé au niveau national, pour décider si le Tecfidera appartenait à la même autorisation globale de mise sur le marché.

45.

Elles font valoir en substance que cette réévaluation obligatoire ne trouve aucun appui dans l’énoncé de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 ni dans les objectifs législatifs qui président à la notion d’« autorisation globale ». Conformément à cette disposition, il conviendrait de comparer la composition qualitative de deux médicaments pour déterminer si les deux produits relèvent de la même autorisation globale de mise sur le marché. À cet égard, elles font également valoir que, dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal s’est servi d’une appréciation propre à l’autorisation de la mise sur le marché d’un médicament comme fondement de l’appréciation de l’appartenance de deux médicaments à la même autorisation globale de mise sur le marché. En outre, l’approche du Tribunal donnerait lieu à deux notions divergentes d’« autorisation globale » selon que l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament est octroyée au niveau national ou au niveau de l’Union. Enfin, les parties requérantes contestent l’existence d’un risque d’abus de la part des innovateurs sollicitant l’autorisation de médicaments composés de substances dépourvues de véritable apport thérapeutique, en parvenant ainsi à obtenir des durées de protection des données exorbitantes du cadre réglementaire en supprimant ces substances de la composition d’un médicament ultérieur.

46.

Polpharma conteste les arguments des parties requérantes au pourvoi. Elle estime que le Tribunal a conclu à juste titre que, pour établir si le Tecfidera et le Fumaderm différaient en tant que médicaments, la Commission était tenue d’apprécier la contribution thérapeutique du MEF dans le Fumaderm. De surcroît, Polpharma fait valoir que, en présence d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’une substance active faisant partie d’une association médicamenteuse précédemment autorisée, l’appréciation de l’existence d’une différence entre cette association médicamenteuse et cette substance active isolée dépend de la question de savoir si les substances actives individuelles de l’association médicamenteuse apportent une contribution thérapeutique significative et pertinente dans cette association médicamenteuse. À cet égard, Polpharma soutient qu’il ne conviendrait pas de considérer que deux produits sont différents au simple motif que l’un d’entre eux contiendrait un composé particulier qui générerait un effet pharmaceutique quelconque que ne présenterait pas le produit comparé. Autrement, le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché pourrait parvenir à bénéficier trop facilement d’une longue période de protection des données exorbitante du cadre réglementaire en ajoutant ou en retirant, au moment d’étendre le produit à une nouvelle indication thérapeutique, une substance active en termes pharmaceutiques, mais sans intérêt clinique.

1. L’énoncé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83

47.

S’agissant de la question de savoir si l’énoncé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 appuie l’interprétation retenue par le Tribunal, je dois rappeler, d’emblée, que le premier alinéa de cette disposition établit, comme condition préalable à la mise sur le marché d’un État membre de tout médicament, la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché. Cette autorisation de mise sur le marché peut être accordée soit par les autorités nationales compétentes, conformément à la directive 2001/83, soit par la Commission, au titre du règlement no 726/2004.

48.

À son tour, l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 dispose que « [l]orsqu’un médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché conformément au premier alinéa, tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration, présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension sont également délivrés conformément au premier alinéa ou inclus dans l’autorisation de mise sur le marché initiale. Toutes ces autorisations de mise sur le marché sont considérées comme faisant partie d’une même autorisation globale, notamment aux fins de l’application de l’article 10, paragraphe 1 ».

49.

Il résulte ainsi de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 que, hormis l’obligation d’obtenir une autorisation de mise sur le marché pour la mise sur le marché d’un médicament dans l’Union, cette disposition définit les types de développements ultérieurs d’un médicament original dont les autorisations sont considérées comme faisant partie d’une même « autorisation globale » de mise sur le marché. Cela implique, en substance, qu’une seule durée de protection réglementaire des données, telle que prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2001/83, s’applique à ces développements à partir de la date d’autorisation du premier médicament ( 7 ).

50.

Un élément déterminant de la notion d’« autorisation globale » est donc son lien étroit avec le statut réglementaire de protection des données, attribué aux médicaments et leurs modifications ( 8 ). En effet, l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 a été inséré dans cette directive ( 9 ) afin de codifier la jurisprudence existante de la Cour en ce qui concerne les catégories d’autorisations qui ne donneraient pas lieu à un autre médicament, mais seraient plutôt considérées comme couvertes par la période de protection réglementaire des données qui s’est ouverte avec l’autorisation initiale d’un médicament ( 10 ). À cet égard, l’objet de cette disposition est d’empêcher la prolongation de la période de protection réglementaire des données d’un produit existant sur la base de simples variantes ne méritant pas d’en bénéficier.

51.

En l’espèce, il importe de souligner que la modification de la composition qualitative d’un médicament autorisé, en ses substances actives, ne semble pas relever des catégories spécifiques d’autorisation prévues à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83, à savoir des dosages supplémentaires, des formes pharmaceutiques, des voies d’administration, des présentations ou des modifications et extensions.

52.

D’une part, ces catégories doivent être considérées comme étant énumérées de manière exhaustive. Le considérant 9 de la directive 2001/83 met en exergue le fait que son article 6, paragraphe 1, second alinéa, vise à « mieux préciser encore les cas » dans lesquels les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques ou cliniques ne doivent pas être fournis pour obtenir l’autorisation d’un médicament essentiellement analogue à un médicament autorisé. Des considérations de sécurité juridique ont donc motivé l’adoption de cette disposition, qui inclinent à l’interpréter comme établissant un nombre fini d’autorisations qui ne peuvent pas prétendre à une période propre de protection réglementaire des données.

53.

D’autre part, force est de constater qu’une différence dans la composition qualitative de deux médicaments ne constitue pas un « dosage supplémentaire », terme qui, ainsi que cela ressort de l’article 1er, point 22, de la directive 2001/83, se réfère à « la teneur en substances actives, exprimée en quantité par unité de prise, par unité de volume ou de poids en fonction de la présentation ». Elle ne constitue pas non plus une « forme pharmaceutique », étant la forme sous laquelle un médicament est présenté, à savoir en comprimés, en solution à injecter, en crème, et autres ( 11 ). Elle n’a rien à voir non plus avec une « voie d’administration » ni avec une « présentation », termes qui couvrent respectivement la voie par laquelle le médicament est administré, orale, intraveineuse, sous-cutanée et autres ( 12 ), et les différences dans la forme pharmaceutique, le dosage et la taille du conditionnement d’un médicament, par exemple le nombre de pilules contenues dans le conditionnement ( 13 ).

54.

Par ailleurs, la modification de la composition qualitative d’un médicament ne saurait être rangée dans « toute modification et extension », au sens de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83.

55.

À cet égard, je relève que le règlement (CE) no 1234/2008 ( 14 ) décrit les modifications d’un médicament qui doivent être rangées dans les modifications ou extensions d’une autorisation de mise sur le marché initiale ( 15 ). En particulier, s’agissant de l’évolution des substances actives, le point 1, sous a), de l’annexe I de ce règlement prévoit que l’extension d’une autorisation de mise sur le marché résulte du « remplacement d’une substance chimique active par un complexe/dérivé de sels/d’esters différent, avec la même fraction thérapeutique, si les caractéristiques d’efficacité/de sécurité ne présentent pas de différences significatives » ( 16 ).

56.

Il découle de cette définition que, pour que la modification d’un médicament puisse être reconnue comme une extension, et non pas comme un produit nouvellement développé soumis à une autorisation de mise sur le marché propre, la ou les substances actives de ce médicament ne peuvent pas être remplacées par d’autres substances ayant une fraction thérapeutique différente ( 17 ).

57.

À cet égard, il pourrait être utile de relever, premièrement, que l’article 1er de la directive 2001/83 définit le terme de « substance active » comme étant toute substance ou tout mélange de substances destiné à être utilisé pour la fabrication d’un médicament et qui, lorsqu’utilisé pour sa production, devient un composant actif dudit médicament. Selon cette même définition, les substances actives sont celles visant à exercer une action pharmacologique, immunologique ou métabolique en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques, ou d’établir un diagnostic médical. Il s’ensuit qu’un composant d’un médicament peut être qualifier de « substance active » lorsqu’il lui apporte une contribution thérapeutique.

58.

J’ajoute que, conformément aux observations que les parties requérantes ont faites, la fraction thérapeutique d’une substance active constitue la partie de la molécule de cette substance qui, après administration au patient, est responsable de son action physique ou pharmacologique ( 18 ). C’est la raison pour laquelle les substances actives ne partageant pas la même fraction thérapeutique seraient, par définition, différentes. En outre, lorsque le changement d’une substance active expose un patient à une autre fraction thérapeutique, on considère alors qu’un nouveau médicament, différent d’un précédent, est créé. Cela signifie également que les médicaments dont la ou les substances actives divergent sont des médicaments différents.

59.

Dans l’arrêt SmithKline Beecham ( 19 ), la Cour s’est déjà prononcée sur l’importance de la fraction thérapeutique pour établir une différence entre les substances actives. En outre, d’autres textes du droit de l’Union utilisent le critère de la fraction thérapeutique pour déterminer la similitude ou la différence entre des médicaments ( 20 ).

60.

Il découle des considérations qui précèdent qu’une modification de la composition qualitative d’un médicament, en substances actives, ne peut pas être rangée dans l’une des catégories d’autorisation établies à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83. Il s’ensuit que des médicaments présentant une différence qualitative ne relèvent pas de la même autorisation globale.

61.

Cette interprétation trouve un appui très net dans les conclusions que l’avocat général Bobek a présentées dans l’affaire Novartis, auxquelles je me rallie ( 21 ).

62.

Dans ces conclusions, l’avocat général Bobek a relevé que la notion d’« autorisation globale » repose sur l’identité de deux éléments : le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché et la ou les substances actives ( 22 ). Selon lui, si le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou la substance active change, la même autorisation de mise sur le marché globale n’est plus applicable ( 23 ). Il a ajouté qu’une autorisation de mise sur le marché délivrée pour un médicament fondé sur une substance active différente par rapport à un médicament initial ne saurait être considérée comme un développement d’un précédent médicament existant, mais que, en tant qu’innovation, elle peut prétendre à une période de protection réglementaire des données. Enfin, par référence à la « Notice to Applicants » ( 24 ) (où la Commission fournit des explications aux demandeurs d’une autorisation de mise sur le marché), il a relevé que la séparation d’une substance active d’une association médicamenteuse antérieure était une situation dans laquelle la même autorisation globale ne s’appliquerait pas ( 25 ).

63.

Contrairement à la position que le Tribunal a adoptée dans l’arrêt sous pourvoi ( 26 ), je pense que, dans l’arrêt Novartis, la Cour a confirmé que la notion d’« autorisation globale » n’englobe pas des changements dans la composition qualitative d’un médicament. Il est vrai que la Cour ne s’est pas prononcée sur une affaire concernant une association médicamenteuse fixe et un médicament consistant en une monosubstance. En effet, les médicaments en cause dans cette affaire ne contenaient qu’une seule substance active, qui était, accessoirement, la même ( 27 ). Toutefois, la Cour a souligné qu’un changement dans l’indication thérapeutique de la même substance active devait être qualifié de « modification » au sens de ce règlement, ce qui impliquait, conformément à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83, que les deux médicaments relevaient de la même autorisation globale de mise sur le marché ( 28 ). On peut déduire logiquement de la jurisprudence de la Cour que deux médicaments ayant une composition qualitative différente ne peuvent être assimilés à une modification et ne peuvent pas non plus être considérés comme appartenant à la même autorisation globale de mise sur le marché.

64.

Eu égard à ce qui précède, je dois conclure que l’énoncé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83 montre que la notion d’« autorisation globale » ne s’applique pas aux modifications de médicaments qui constituent une modification de leur composition qualitative en leurs substances actives. Tel sera rationnellement le cas d’un médicament consistant en une monosubstance, composé d’une substance active, et d’une association médicamenteuse fixe, composée d’au moins deux substances actives de fractions différentes. La comparaison de leurs compositions qualitatives apparaît donc être une méthodologie convenable pour déterminer si ces deux médicaments relèvent de la même autorisation globale de mise sur le marché en vertu du second alinéa de cette disposition.

2. Les objectifs des autorisations globales de mise sur le marché

65.

Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 29 ). S’agissant de la notion d’« autorisation globale », et de la période de protection réglementaire des données, qui est au cœur de celle‑ci, l’objectif fondamental est d’assurer un juste équilibre entre la protection des entreprises innovatrices et les intérêts généraux de la commercialisation des médicaments génériques. Ainsi que le Tribunal l’a indiqué dans l’arrêt sous pourvoi ( 30 ), cet objectif serait compromis si le fabricant d’un médicament initial pouvait indéfiniment étendre la période de protection réglementaire des données, empêchant ainsi les fabricants de médicaments génériques de l’utiliser comme médicament de référence.

66.

À cet égard, je dois relever d’emblée que l’approche classique de l’interprétation autre que littérale, telle que l’approche contextuelle et téléologique, doit être retenue si le texte est empreint d’ambiguïté ou si son interprétation littérale conduit à un résultat absurde ( 31 ). Elle ne saurait reconstituer l’énoncé d’une norme claire au point de porter atteinte à la sécurité juridique et à la prévisibilité.

67.

En l’occurrence, dans la mesure où aucun élément de l’énoncé de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 ne suggère que la notion d’« autorisation globale de mise sur le marché » s’applique à des médicaments présentant une différence qualitative, dans leurs substances actives, les objectifs de cette disposition ne sauraient, à mes yeux, à eux seuls servir à requérir davantage qu’une comparaison qualitative de ces produits pour déterminer s’ils appartiennent à la même autorisation globale de mise sur le marché. Ces objectifs ne peuvent pas non plus servir à établir une obligation qui incomberait à la Commission et à l’EMA de réévaluer la composition qualitative d’un médicament déjà autorisé par une autorité nationale compétente.

68.

En tout état de cause, j’approuve les parties requérantes lorsqu’elles soutiennent que les objectifs de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 ne sauraient justifier d’ajouter aux autorisations globales de mise sur le marché la procédure que la réglementation pharmaceutique de l’Union prévoit expressément pour l’autorisation initiale des médicaments dans l’Union.

69.

En effet, la composition qualitative d’un médicament en ses substances actives fait partie du dossier que le demandeur d’une autorisation de mise sur le marché doit introduire auprès de l’autorité compétente conformément à l’article 8, paragraphe 3, sous c), de la directive 2001/83. Cette disposition impose au demandeur d’une autorisation de mise sur le marché d’indiquer la « composition qualitative et quantitative de tous les composants du médicament » en question. Elle fait également partie du résumé des caractéristiques du produit du médicament, également dénommé RCP, qui accompagne son autorisation de mise sur le marché, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2001/83, et qui, selon la jurisprudence, doit être approuvé conjointement avec l’autorisation de mise sur le marché ( 32 ).

70.

L’évaluation de la composition qualitative d’un médicament en substances actives, y compris l’action pharmacologique et la contribution thérapeutique de ces substances, relève donc de la compétence de l’autorité compétente, soit au niveau national, soit au niveau de l’Union. Cette autorité a l’obligation d’examiner l’action pharmacologique, immunologique ou métabolique, revendiquée par le demandeur d’une autorisation de mise sur le marché, exercée par la ou les substances actives d’un produit, dans le cadre de la définition de l’article 1er de la directive 2001/83 ( 33 ). À défaut, cette autorisation de mise sur le marché n’est pas délivrée.

71.

Dans une association médicamenteuse fixe, cela implique d’évaluer la contribution thérapeutique documentée des substances actives au sein de l’association médicamenteuse, ce qui veut dire aussi qu’il faut démontrer que les substances actives présentes dans l’association médicamenteuse ne sont pas les mêmes. Ainsi que les parties requérantes le soutiennent, faute de le démontrer, le produit sera autorisé non pas en tant qu’association médicamenteuse fixe, mais en tant que médicament ne contenant qu’une seule substance active.

72.

Il s’ensuit que la réévaluation de la composition qualitative en substances actives d’un médicament autorisé, y compris la contribution thérapeutique documentée de chaque substance active dans une association médicamenteuse fixe, n’apparaît pas requise par les objectifs qui sous-tendent l’analyse de l’appartenance ou non de deux médicaments à la même autorisation globale de mise sur le marché. S’il est vrai, ainsi que la Commission le relève, que cette analyse est subordonnée à la condition que les autorités compétentes aient correctement recensé les substances actives de chacun de ces médicaments, cela n’implique pas que, pour déterminer si une autorisation globale de mise sur le marché est susceptible de s’appliquer, un contrôle doit être effectué quant à la composition du médicament initial en une ou plusieurs substances actives.

73.

Polpharma soutient que, pour déterminer si une association médicamenteuse fixe et un médicament monosubstance appartiennent à la même autorisation globale de mise sur le marché, il ne faudrait pas seulement prouver l’existence d’une simple contribution thérapeutique de chacun des composants de l’ancien produit. Les objectifs de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 requerraient que cette contribution soit « significative ou pertinente » d’un point de vue clinique. Cependant, sur ce point, je souhaiterais souligner que, dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal n’a pas conclu que la décision d’exécution de 2014 était entachée d’une erreur manifeste en raison de l’absence d’appréciation par le BfArM d’une contribution thérapeutique « significative » ou « pertinente » du MEF dans le Fumaderm. Le Tribunal a seulement indiqué qu’en raison des circonstances particulières de l’affaire, il n’était pas certain que l’autorité nationale allemande avait effectivement établi l’existence d’un rôle quelconque du MEF dans ce médicament. Dans ce contexte, le Tribunal a conclu que la Commission aurait dû apprécier le rôle joué par le MEF dans le Fumaderm ou, à tout le moins, solliciter des informations au BfArM à cet égard. C’est la raison pour laquelle je pense que l’argument de Polpharma est inopérant dans le contexte du présent pourvoi étant donné que le Tribunal n’a précisément pas accueilli son argument en première instance.

74.

À mon sens, les considérations qui précèdent s’appliquent nonobstant le risque éventuel, relevé par le Tribunal, qu’une entreprise pharmaceutique ajoute une substance active dépourvue de pertinence clinique dans une association médicamenteuse pour l’en soustraire ultérieurement afin de créer un nouveau produit bénéficiant d’une période propre de protection réglementaire des données. Indépendamment du fait que ce risque soit théorique en l’espèce, compte tenu de l’absence de preuve concrète sur ce point, il y a lieu de présumer que les autorités compétentes sont en mesure de traiter des demandes d’autorisation de mise sur le marché erronées ou abusives. Par conséquent, ce risque de manipulation ne saurait justifier de s’écarter de l’énoncé clair de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83, ni de remettre en cause le système d’autorisation décentralisée et de reconnaissance mutuelle défini par cette directive et le règlement no 726/2004, comme je l’exposerai dans la suite des présentes conclusions.

75.

Au vu des considérations qui précèdent, je ne pense pas que les objectifs des autorisations globales de mise sur le marché puissent servir de fondement pour exiger davantage qu’une comparaison qualitative de deux médicaments pour déterminer s’ils appartiennent à la même autorisation globale de mise sur le marché ou pour permettre de conclure qu’une réévaluation de la composition qualitative d’un médicament autorisé soit requise pour décider si un produit nouvellement développé appartient à cette même autorisation globale de mise sur le marché.

3. Les « circonstances particulières » indiquées par le Tribunal

76.

À mes yeux, la conclusion que le Tribunal tire dans l’arrêt sous pourvoi n’est, en principe, pas nécessairement contraire à l’interprétation donnée plus haut des termes et des objectifs de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, la lecture combinée des points 282 et 293 de l’arrêt sous pourvoi montre que le Tribunal a considéré que la présente affaire était tributaire de « circonstances particulières », à savoir que, au vu de la réglementation de l’Union applicable aux associations médicamenteuses en 1994, il n’était pas sûr que le BfArM eût évalué la contribution thérapeutique du MEF dans le Fumaderm lorsqu’il a délivré son autorisation. Cela veut dire en substance que, pour le Tribunal, il subsistait un doute quant à la question de savoir si l’autorité nationale allemande avait déterminé en 1994 si le MEF était effectivement une substance active apportant une contribution thérapeutique documentée dans ce médicament ( 34 ).

77.

Toutefois, à supposer que les prémisses fondamentales de cette conclusion soient exactes, j’estime que c’est à juste titre que les parties requérantes font valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte d’un élément, que l’on pouvait trouver dans le dossier de la procédure en première instance ( 35 ), qui aurait eu une incidence décisive sur le raisonnement suivi dans l’arrêt sous pourvoi.

78.

En effet, le dernier examen que le BfArM a réalisé sur le Fumaderm remonte non pas à la première autorisation qu’il a délivrée en 1994, mais au renouvellement de son autorisation de mise sur le marché au mois de juin 2013. Il en résulte que, contrairement à ce que le Tribunal a supposé dans l’arrêt sous pourvoi, l’efficacité et l’innocuité du Fumaderm ont fait l’objet d’une nouvelle évaluation scientifique préalablement à la décision d’exécution de 2014 et conformément au cadre juridique applicable à cette époque.

79.

Je soulignerai que le cadre applicable en 2013 au renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm comprend, par exemple, l’article 24 de la directive 2001/83, qui établit l’obligation pour les autorités compétentes nationales d’examiner, lors de cette évaluation, une « version consolidée du dossier en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité, y compris l’évaluation des données contenues dans les rapports indésirables présumés et des rapports périodiques actualisés de sécurité présentés conformément au titre IX, ainsi que des informations sur toutes les modifications introduites depuis l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché » ( 36 ). De surcroît, en vertu de l’article 117, paragraphe 1, de la directive 2001/83, les autorités compétentes nationales sont tenues d’interdire et de retirer du marché tout médicament qui n’a pas la composition qualitative et quantitative déclarée. Enfin, la « Notice to Applicants » applicable au moment du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm précisait que les renouvellements des autorisations de mise sur le marché devaient être effectués « sur la base d’une réévaluation du rapport bénéfice-risque », pour laquelle le titulaire devait fournir « à l’autorité nationale compétente une version consolidée du dossier en ce qui concerne la qualité, la sécurité et l’efficacité » ( 37 ).

80.

Dès lors, ainsi que le fait valoir la Commission et l’EMA, lors du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm en 2013, le BfArM était tenu de prendre en compte toutes les données scientifiques pertinentes apparues entre l’année 1994 et le mois de juin 2013, et d’appliquer les moyens d’évaluation des données scientifiques répondant aux normes du mois de juin 2013 et non de l’année 1994. De surcroît, le BfArM était tenu d’appliquer le même cadre réglementaire que celui applicable à la décision d’exécution de 2014, à savoir le « 1996 Guideline on clinical development of fixed combination medicinal products » (lignes directrices de 1996 relatives au développement clinique des associations médicamenteuses fixes), mis à jour en 2009 ( 38 ). Dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal cite en effet ces lignes directrices pour démontrer que ce n’est qu’après la délivrance de l’autorisation du Fumaderm en 1994 que la réglementation de l’Union a imposé d’établir une contribution thérapeutique documentée des substances actives dans une association médicamenteuse fixe ( 39 ). Dès lors, le BfArM aurait dû déterminer, en 2013, si le MEF avait une contribution thérapeutique documentée dans le Fumaderm, comme l’exige ce cadre réglementaire.

81.

À cet égard, il convient de relever, à titre surabondant, que le renouvellement d’une autorisation de mise sur le marché par le BfArM est régi par l’article 31, paragraphe 3, de l’Arzneimittelgesetz (loi allemande sur les médicaments) ( 40 ), aux termes duquel « [l’] autorisation de mise sur le marché doit être prolongée sur la base d’une demande à condition qu’il n’y ait aucun motif de refus au titre [de l’article 25, paragraphe 2, point 5a] ». À son tour, l’article 25, paragraphe 2, de la loi allemande sur les médicaments dispose : « l’autorité fédérale supérieure compétente ne peut refuser de délivrer l’autorisation de mise sur le marché que lorsque : [...] 5a. dans le cas d’un médicament contenant plus d’une substance active, les raisons avancées ne suffisent pas à démontrer que chaque substance active contribue à porter une appréciation positive sur le médicament, étant entendu que les caractéristiques spéciales du médicament particulier seront prises en compte dans une évaluation des risques ».

82.

Il s’ensuit que, contrairement à ce que le Tribunal a affirmé dans l’arrêt sous pourvoi, il n’y avait aucune raison de douter que le BfArM ait effectivement pris en compte, lors du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm en 2013, les normes réglementaires applicables au moment du renouvellement, en sorte que le Tribunal aurait pu déterminer que la composition qualitative de ce médicament avait été dûment vérifiée.

83.

Conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’est, en principe, pas compétente pour établir les faits ni pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Ce principe présente cependant des exceptions dans le cas où l’inexactitude matérielle des constatations du Tribunal ressortirait des pièces du dossier qui lui ont été soumises en première instance. Cette inexactitude doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier de procédure du Tribunal, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ( 41 ).

84.

En l’espèce, pour les raisons exposées plus haut, j’invite la Cour à relever l’absence d’analyse du renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm en 2013, dans la mesure où les motifs de l’arrêt sous pourvoi reposent sur la prémisse de fait selon laquelle ce médicament a été évalué pour la première et dernière fois en 1994. Par voie de conséquence, j’invite également la Cour à considérer que la présente affaire n’était pas tributaire de « circonstances particulières », comme l’a déterminé le Tribunal, au point de donner à penser que l’évaluation du Fumaderm par le BfArM aurait pu être périmée ou pourrait ne pas avoir appliqué les critères réglementaires applicables.

85.

Enfin, puisque la conclusion tirée par le Tribunal au point 293 de l’arrêt sous pourvoi ( 42 ) ne peut même pas être justifiée au regard des « circonstances particulières » du cas d’espèce, ni être fondée sur les termes ou sur les objectifs de l’« autorisation globale de mise sur le marché » telle que définie dans la directive 2001/83, j’estime que le deuxième moyen dans les affaires C‑438/21 P et C‑439/21 P ainsi que le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑440/21 P, d’une part, et le premier moyen dans les affaires C‑438/21 P et C‑440/21 P et le troisième moyen dans l’affaire C‑439/21 P, d’autre part, devraient être accueillis.

B.   Sur le moyen tiré de la violation du principe d’habilitation et du principe de reconnaissance mutuelle

86.

Ainsi que je l’ai relevé dans les points qui précèdent, le Tribunal a considéré, au point 282 de l’arrêt sous pourvoi, que, « compte tenu [...] de la fonction particulière exercée par l’EMA et la Commission » ( 43 ), cette dernière aurait dû demander au CHMP de vérifier lui-même le rôle joué par le MEF dans le Fumaderm ou de vérifier comment le BfArM avait apprécié ce rôle.

87.

Ce constat découle de l’analyse exposée aux points 219 à 238 de l’arrêt sous pourvoi, dans laquelle le Tribunal a examiné plusieurs considérants et dispositions de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004 permettant de conclure que, selon lui, la Commission et l’EMA exercent une fonction particulière qui aurait dû les obliger à chercher à vérifier l’effet thérapeutique du MEF dans le Fumaderm.

88.

Dans ces mêmes points, le Tribunal affirme que le « principe de reconnaissance mutuelle, invoqué par l’EMA, ne peut [...] pas faire obstacle à ce que, à la suite du dépôt d’une demande d’autorisation de mise sur le marché dans le cadre de la procédure centralisée, le CHMP examine les évaluations précédemment réalisées par une autorité nationale ou procède lui-même à une évaluation indépendante ».

89.

Les parties requérantes contestent ces deux constats. Elles soutiennent, premièrement, que le raisonnement de l’arrêt est manifestement erroné au regard des dispositions de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004 invoquées par le Tribunal. Deuxièmement, elles font valoir que la réglementation et la jurisprudence pertinentes de l’Union reconnaissent expressément le principe de reconnaissance mutuelle d’évaluations scientifiques antérieures, émanant en particulier d’autorités nationales compétentes, que les constats du Tribunal ruinent et contredisent directement.

90.

À son tour, Polpharma considère que les constats du Tribunal sont tout à fait conformes au fonctionnement du système d’application décentralisée de la réglementation pharmaceutique de l’Union. Elle affirme que l’arrêt du Tribunal ne revient pas à remettre en cause l’examen réalisé par le BfArM à l’égard du Fumaderm parce que l’autorité nationale n’a jamais réalisé d’examen lié à l’étendue de l’autorisation globale de mise sur le marché de ce médicament. De surcroît, elle soutient que les positions des parties requérantes procèdent d’une lecture stricte des dispositions de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004, telles que citées par le Tribunal.

1. Les dispositions de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004 citées par le Tribunal

91.

Il importe de comprendre, en premier lieu, que, afin d’éviter un excès de pouvoir, toute institution ou agence de l’Union doit fonder sa compétence sur un acte juridique et indiquer la base juridique de la décision qu’elle adoptera. Dans l’arrêt sous pourvoi, le Tribunal s’est fondé sur trois séries de dispositions pour établir l’obligation de réexaminer ou de vérifier, dans le cadre d’une autorisation globale de mise sur le marché, le bien-fondé de l’appréciation portée par une autorité nationale sur la composition qualitative, en substances actives, du médicament initial. Ces dispositions sont les suivantes :

premièrement, le considérant 12 et l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ainsi que le considérant 17 du règlement no 726/2004, qui font allusion à la « saisine du comité » ;

deuxièmement, l’article 31 de la directive 2001/83, qui concerne la procédure de saisine au niveau de l’Union, et

troisièmement, le considérant 19, l’article 57, paragraphe 1, et l’article 60 du règlement no 726/2004, qui portent sur l’obligation de l’EMA de donner les meilleurs avis scientifiques possibles et le pouvoir conféré à la Commission de recueillir des informations auprès des États membres sur la « valeur thérapeutique ajoutée » de nouveaux médicaments.

92.

À mon avis, en l’absence d’un pouvoir exprès conféré à la Commission et à l’EMA en vertu de la directive 2001/83 ou du règlement no 726/2004, les dispositions citées par le Tribunal ne sauraient être invoquées, même dans une lecture combinée, pour soutenir que la Commission était compétente, en l’espèce, pour réexaminer l’évaluation qualitative réalisée par le BfArM lors de l’autorisation du médicament Fumaderm et même moins au moment du renouvellement de cette autorisation en 2013.

93.

Le premier ensemble de considérants et de dispositions cités, à savoir le considérant 12 et l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ainsi que le considérant 17 du règlement no 726/2004, font état de l’importance de régler, par un système d’évaluation et de décision centralisées, tout désaccord qui pourrait survenir entre les États membres quant à l’autorisation d’un médicament donnée dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle et de la procédure décentralisée. Plus précisément, ces dispositions concernent la situation dans laquelle les États membres divergent sur l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché par une autorité nationale d’un autre État membre en raison d’un risque grave éventuel pour la santé publique. Ce n’est que dans l’hypothèse où, sur fond de menace pour la santé publique, un tel désaccord ne pourrait être résolu entre les États membres concernés que la question devrait être soumise à l’EMA sur le fondement de l’article 29, paragraphe 4, de la directive 2001/83.

94.

En revanche, la présente affaire concerne un médicament qui n’a été autorisé que dans un seul État membre. Il n’y a dès lors pas eu de procédure mutuelle de reconnaissance ni de procédure décentralisée, ni de différend relatif aux effets sur la santé humaine du Fumaderm, ni de désaccord entre les États membres justifiant l’application de l’article 29, paragraphe 4, de la directive 2001/83.

95.

Dans la seconde série de dispositions citées, le Tribunal s’est référé à l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2001/83, qui régit la procédure de saisine du comité au titre d’un intérêt de l’Union. Ainsi que la Commission et l’EMA l’expliquent dans leurs observations écrites, cette procédure concerne des produits autorisés dans plus d’un État membre. Pour reprendre les termes de cette disposition, elle peut être déclenchée « [d]ans des cas particuliers présentant un intérêt pour l’Union », lorsque « les États membres, la Commission, le demandeur ou le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché [saisissent le CHMP] avant qu’une décision ne soit prise sur la demande, la suspension, le retrait de l’autorisation de mise sur le marché ou toute autre modification des termes de l’autorisation de mise sur le marché apparaissant nécessaire ».

96.

J’observe que le champ d’application de l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2001/83 a fait l’objet de l’arrêt Wolff et Remedia ( 44 ), dans lequel le Tribunal a jugé que ce n’est que lorsque des autorisations d’un même médicament sont accordées dans plusieurs États membres et qu’il existe des incertitudes portant sur la substance active que la notion d’« intérêt de l’Union » joue pleinement son rôle. Cette notion est applicable dans les situations où un médicament est autorisé dans plusieurs États membres. La saisine du comité au titre de l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ne peut pas être déclenchée pour des produits qui ne sont autorisés que dans un seul État membre.

97.

En l’espèce, je ne pense pas que le lien établi par le Tribunal entre l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2001/83 et la compétence de la Commission pour vérifier le dossier relatif à un produit autorisé dans un seul État membre trouve un appui dans cette disposition.

98.

Dans la troisième série de dispositions citées, le Tribunal a fait référence à l’article 60 du règlement no 726/2004, lequel est lié à la collecte d’informations dont disposent les États membres pour évaluer la valeur thérapeutique ajoutée d’un nouveau médicament sur le plan des prix et du remboursement. À mon avis, force est de constater que cette disposition ne confère pas à la Commission le pouvoir de vérifier une évaluation scientifique réalisée à un niveau national en vue de la mise sur le marché d’un médicament sur le territoire de cet État membre.

99.

Enfin, et dans un sens similaire, le considérant 19 et l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004 ne militent pas en faveur d’une compétence que le Tribunal reconnaîtrait à la Commission et à l’EMA. En effet, la première phrase du considérant 19 se limite à indiquer que l’EMA devrait être chargée de « fournir un avis scientifique du meilleur niveau possible aux institutions de la Communauté ainsi qu’aux États membres ». Cette phrase impose ainsi à l’agence de respecter un niveau d’excellence scientifique dans l’élaboration des avis qu’elle rend dans le cadre des procédures qui l’habilitent à cette fin. Toutefois, elle n’établit sur ce point aucun pouvoir de l’EMA à l’égard des États membres. Pour sa part, l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004 énonce une norme d’excellence ainsi qu’une obligation de donner des avis sur des questions relatives à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments. Cependant, l’énoncé de cette disposition précise que la norme et l’obligation s’appliquent à « toute question qui lui est soumise conformément aux dispositions de la législation [de l’Union] relative aux médicaments », ce qui implique qu’une compétence explicite doit découler du règlement no 726/2004 pour l’application de l’article 57, paragraphe 1, de celui-ci.

100.

Pour l’ensemble des raisons exposées ci-dessus, à mon sens, le Tribunal n’était pas en droit de conclure que la Commission et l’EMA exercent une « fonction particulière » permettant spécifiquement, à l’une ou à l’autre, voire les y obligeant, de réexaminer l’autorisation de mise sur le marché d’une association médicamenteuse fixe délivrée par une autorité nationale compétente aux fins de décider si un médicament monosubstance consistant en l’une des substances de cette association médicamenteuse fixe appartient à la même autorisation globale de mise sur le marché.

2. Le principe de reconnaissance mutuelle des évaluations scientifiques antérieures de médicaments

101.

En second lieu, il importe de relever que, ainsi que le Tribunal l’a déclaré lui-même dans sa jurisprudence, la directive 2001/83 et le règlement no 726/2004 « forment un ensemble uniforme et harmonisé en ce qui concerne le droit matériel applicable aux autorisations des médicaments », dans lequel, « quelle que soit la procédure, les médicaments doivent satisfaire aux mêmes exigences de fond et peuvent prétendre à la même protection » ( 45 ). En effet, le principe de reconnaissance mutuelle d’évaluations scientifiques antérieures de médicaments découle du fait que tant les autorités de l’Union que les autorités nationales compétentes sont soumises aux mêmes règles pleinement harmonisées, ayant pour objectif, comme le relève l’EMA, de créer un marché commun des médicaments.

102.

J’observe en outre que, quelle que soit la procédure suivie pour l’autorisation d’un médicament, nationale ou centralisée, le caractère harmonisé de la réglementation pharmaceutique de l’Union est également évoqué dans le considérant 14 du règlement no 726/2004. Aux termes de ce considérant « [i]l y a lieu de prévoir que les critères de qualité, de sécurité et d’efficacité prévus par les directives [2001/83] et [2001/82] s’appliquent aux médicaments autorisés par [l’Union] et doivent permettre d’évaluer le rapport bénéfice/risque de tout médicament aussi bien lors de sa mise sur le marché qu’au moment du renouvellement de l’autorisation et à tout moment que l’autorité compétente juge approprié ».

103.

En ce qui concerne le principe de reconnaissance mutuelle d’évaluations scientifiques antérieures, il convient de relever, conformément aux observations de l’EMA, que le considérant 9 du règlement no 726/2004 précise que la Commission peut autoriser, au niveau centralisé, les médicaments génériques lorsque le médicament de référence a été autorisé soit par la Commission, au moyen de la procédure centralisée, soit par une autorité nationale compétente, au moyen de procédures de reconnaissance mutuelle ou décentralisées. Dans le cadre de l’autorisation centralisée d’un médicament générique, ce même considérant exige de la Commission de s’abstenir de porter atteinte à l’harmonisation acquise lors de l’autorisation centralisée ou nationale du médicament de référence.

104.

Le principe de reconnaissance mutuelle d’évaluations scientifiques antérieures a également fait principalement l’objet des arrêts Synthon ( 46 ) et Astellas Pharma ( 47 ) de la Cour. Dans le premier de ces arrêts, la Cour a jugé que ne saurait être retenue l’interprétation selon laquelle un « État membre saisi d’une demande de reconnaissance mutuelle serait en mesure, en dehors même de l’hypothèse d’un risque pour la santé publique visée audit article 29 [de la directive 2001/83], de se livrer à une nouvelle appréciation des données relatives à la similarité essentielle qui ont amené l’État membre de référence à accepter une demande abrégée. » Selon la Cour, non seulement une telle interprétation irait à l’encontre du libellé même des articles 28 et 29 de la directive 2001/83, mais elle priverait ces dispositions de leur effet utile. En effet, si un État membre auquel il est demandé de reconnaître une autorisation déjà accordée par un autre État membre pouvait soumettre cette reconnaissance à une seconde évaluation de tout ou partie de la demande d’autorisation, cela priverait de tout sens la procédure de reconnaissance mutuelle instaurée par le législateur de l’Union et compromettrait gravement la réalisation des objectifs de la directive 2001/83 ( 48 ). Même si cet arrêt a été rendu dans un litige concernant les autorités nationales de différents États membres, la même interprétation devrait prévaloir lorsque la Commission et l’EMA sont impliquées.

105.

Par ailleurs, il ressort de l’arrêt du 14 mars 2018, Astellas Pharma (C‑557/16, EU:C:2018:181), que les juridictions compétentes des États membres ne sont pas habilitées à apprécier, à la demande d’un fabricant de médicaments génériques, la conformité à la directive 2001/83 de la décision accordant une autorisation de mise sur le marché adoptée dans un autre État membre. Une approche parallèle devrait a fortiori s’appliquer aux organismes de l’Union, à savoir la Commission et l’EMA, qui, sauf disposition expresse prévue par la réglementation applicable, ne devraient pas contester les décisions adoptées par les États membres. En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, cet arrêt Astellas Pharma suggère qu’une société de médicaments génériques demandant l’autorisation de mise sur le marché pour son produit, que ce soit au niveau national ou au niveau de l’Union, a la faculté de contester la décision qui a accordé une autorisation de mise sur le marché au médicament initial, devant les juridictions nationales de l’État membre dans lequel cette autorisation a été accordée. Cette faculté existe également à l’égard de la décision de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché adoptée par les autorités nationales, ce qui permet de remettre en cause l’appréciation portée par cette autorité quant à la composition qualitative du médicament en cause.

106.

Sur la base des considérations qui précèdent, force est de constater que non seulement les autorités des États membres, mais également les organismes de l’Union doivent être tenus de reconnaître les évaluations scientifiques antérieures relatives à un médicament donné, sauf s’il existe des raisons spécifiques liées à la santé publique, par exemple des doutes quant à la sécurité du produit, qui conduiraient à entamer une nouvelle réévaluation. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, cette considération se réfère à l’existence du même cadre législatif et réglementaire qui a pour objectif de conduire au même résultat et qui élimine, pour cette raison, la nécessité de vérifier l’évaluation antérieure des autorités compétentes.

107.

Pour l’ensemble des raisons susmentionnées, j’estime que le principe de reconnaissance mutuelle devrait être interprété en l’espèce comme empêchant d’imposer à la Commission et à l’EMA une obligation de vérifier la pertinence thérapeutique du MEF dans le Fumaderm, étant donné que cela supposerait de réévaluer la composition qualitative de ce médicament, qui a fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par le BfArM.

108.

De surcroît, compte tenu de l’absence de compétence expresse reconnue en vertu de la directive 2001/83 et du règlement no 726/2004, je conclus que le Tribunal ne pouvait légalement pas établir que la Commission et l’EMA étaient habilitées à réexaminer l’autorisation de mise sur le marché d’une association médicamenteuse fixe, délivrée par une autorité nationale compétente aux fins de décider si un médicament monosubstance consistant en l’une des substances de cette association médicamenteuse fixe appartient à la même autorisation globale de mise sur le marché.

109.

Le troisième moyen dans l’affaire C‑438/21 P, le quatrième moyen dans l’affaire C‑439/21 P et le deuxième moyen dans l’affaire C‑440/21 P devraient donc être accueillis par la Cour.

C.   Remarques finales

110.

Aux points 85 et 109 des présentes conclusions, je propose à la Cour d’accueillir les moyens tirés par les parties requérantes, premièrement, de la violation de l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 et de l’absence de circonstances particulières justifiant la conclusion tirée par le Tribunal dans l’arrêt sous pourvoi et, deuxièmement, de la violation du principe d’habilitation et de reconnaissance mutuelle. Il convient donc d’annuler l’arrêt sous pourvoi.

111.

Aux termes de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Telle est ma position en l’espèce. En l’absence des violations établies, le Tribunal aurait jugé que la Commission a conclu à juste titre dans la décision d’exécution de 2014 que le Fumaderm et le Tecfidera, dans la mesure où ce sont des médicaments différents, n’appartenaient pas à la même autorisation globale de mise sur le marché. En conséquence, l’exception d’illégalité soulevée par Polpharma en première instance aurait été rejetée et la décision attaquée n’aurait pas été annulée.

112.

Enfin, aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable aux procédures de pourvoi en vertu de son article 184, paragraphe 1, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, les parties requérantes ayant conclu à la condamnation de Polpharma aux dépens exposés devant le Tribunal et devant la Cour, et Polpharma devant, selon moi, succomber, Polpharma devrait être condamnée aux dépens des parties requérantes et à ses propres dépens.

VI. Conclusion

113.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

d’annuler l’arrêt que le Tribunal de l’Union européenne (septième chambre élargie) a rendu le 5 mai 2021 dans l’affaire Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, EU:T:2021:241) ;

de rejeter le recours en annulation que Pharmaceutical Works Polpharma S.A. a introduit en première instance ;

de condamner Pharmaceutical Works Polpharma S.A. aux dépens.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2011, L 311, p. 67), telle que modifiée.

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1).

( 4 ) Règlement du Conseil du 22 juillet 1993 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO 1993, L 214, p. 1).

( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO 2001, L 311, p. 1).

( 6 ) Voir point 293 de l’arrêt sous pourvoi.

( 7 ) Voir arrêt du 28 juin 2017, Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2017:498, points 69 et 72), dans lequel la Cour a précisé que l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83, englobe tous les développements ultérieurs du médicament initial, quelles que soient leurs procédures d’autorisation, à savoir au moyen de la modification de l’autorisation de mise sur le marché initiale de ce médicament ou au moyen de l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché distincte.

( 8 ) Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003, points 32 et 33).

( 9 ) Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2004, L 136, p. 34). Voir, également, point 176 de l’arrêt sous pourvoi.

( 10 ) Voir, à cet égard, arrêts du 3 décembre 1998, Generics (UK) e.a. (C‑368/96, EU:C:1998:583, points 44, 53 et 56), ainsi que du 29 avril 2004, Novartis Pharmaceuticals (C‑106/01, EU:C:2004:245, point 69). Cette jurisprudence a abordé en substance la question de savoir si la recherche d’une nouvelle indication seulement ou d’une forme pharmaceutique différente pour la même substance active avait modifié le produit et justifié une nouvelle période de protection réglementaire des données. Dans le dernier des deux arrêts, la Cour a conclu que pareils changements sont des variantes du même produit, qui n’appellent pas une nouvelle période de protection réglementaire des données.

( 11 ) Voir définition non contestée donnée par l’EMA sur son site Internet, disponible à l’adresse https://www.ema.europa.eu/en/glossary/pharmaceutical-form.

( 12 ) Voir définition non donnée par l’EMA sur son site Internet, disponible à l’adresse https://www.ema.europa.eu/en/glossary/route-administration.

( 13 ) Voir Agence européenne des médicaments : recommandations pour bien aborder la procédure centralisée (European Medicines Agency pre-authorisation procedural advice for user of the centralised procedure) (version du 20 juin 2022), sous‑section 4.7.2, Presentations, p. 122.

( 14 ) Règlement de la Commission du 24 novembre 2008 concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires (JO 2008, L 334, p. 7), qui a remplacé le règlement (CE) no 1085/2003 de la Commission, du 3 juin 2003, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires relevant du champ d’application du règlement (CEE) no 2309/93 du Conseil (JO 2003, L 159, p. 24). Voir, également, arrêt du 28 juin 2017, Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2017:498, point 69).

( 15 ) Ainsi que les parties requérantes le relèvent, la distinction entre « modifications » et « extensions » est faite au vu de la complexité de l’évaluation requise dans chaque cas et du niveau de risque pour la santé humaine en raison de l’effet que le ou les changements apportés au produit peuvent avoir sur la qualité, la sécurité et l’efficacité du produit. La catégorie mineure consiste en des modifications de type I tandis que la catégorie majeure consiste en des extensions à l’égard desquelles l’article 19 du règlement no 1234/2008 requiert de procéder à la même évaluation que pour la délivrance de l’autorisation initiale de mise sur le marché.

( 16 ) Mise en italique par mes soins.

( 17 ) Pour une liste des modifications autorisées pour le médicament Tecfidera depuis l’adoption de la décision d’exécution de 2014, voir Tecfidera : EPAR – Actes de procédure et informations scientifiques postérieurs à l’autorisation, disponible à l’adresse https://www.ema.europa.eu/en/documents/procedural-steps-after/tecfidera-epar-procedural-steps-taken-scientific-information-after-authorisation_en.pdf.

( 18 ) Voir Gerstenblith, B. A., « An “active ingredient” of a drug must be present when the drug is administered », Journal of Intellectual Property Law & Practice, vol. 6(2), février 2011, p. 69 à 71.

( 19 ) Arrêt du 20 janvier 2005 (C‑74/03, EU:C:2005:39, points 43 et 44). Dans cette affaire, une entreprise pharmaceutique contestait l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché pour un médicament générique au motif qu’il ne présentait pas de similarité essentielle avec le produit de référence. La Cour a indiqué qu’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament doit être traitée dans le cadre de la procédure abrégée lorsque ce médicament contient la même fraction active sur le plan thérapeutique que le médicament de référence, mais associé à un autre sel. Voir « Products may be essentially similar with same active substance in different salts », EU Focus, 2005, 159, p. 19 et 20.

( 20 ) Voir, notamment, règlement (UE) 2018/781 de la Commission, du 29 mai 2018, modifiant le règlement (CE) no 847/2000 en ce qui concerne la définition du concept de « médicament similaire » (JO 2018, L 132, p. 1).

( 21 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003).

( 22 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003, point 43), citant à cet égard Manley, M. I., et Vickers, M., Navigating European Pharmaceutical Law, Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 264, point 8.33.

( 23 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003, point 46).

( 24 ) Notice of Applicants for medicinal product authorisations, Volume 2A : Procedures for marketing authorisation, chapitre 1 : Marketing authorisation, juillet 2015, point 2.3, p. 9. Voir, également, version actuelle, de juillet 2019, de ce même document.

( 25 ) Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2016:1003, point 45).

( 26 ) Voir point 292 de l’arrêt sous pourvoi.

( 27 ) Le problème était que, premièrement, les deux médicaments étaient autorisés au titre d’une autorisation de mise sur le marché distincte et, deuxièmement, les dosages et les indications thérapeutiques n’étaient pas les mêmes.

( 28 ) En particulier dans son arrêt du 28 juin 2017, Novartis Europharm/Commission (C‑629/15 P et C‑630/15 P, EU:C:2017:498, point 66), la Cour a relevé que les termes « toute modification et extension » figurant à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 visent effectivement une « modification des termes d’une [autorisation de mise sur le marché] » ou une « extension de l’autorisation de mise sur le marché », au sens du règlement no 1085/2003. Ce règlement a précédé le règlement no 1234/2008, cité au point 55 des présentes conclusions.

( 29 ) Arrêt du 16 novembre 2016, Hemming e.a. (C‑316/15, EU:C:2016:879, point 27 et jurisprudence citée).

( 30 ) Voir point 176 de l’arrêt sous pourvoi.

( 31 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Schulte (C‑350/03, EU:C:2004:568, points 84 à 88 et jurisprudence citée) ainsi que de l’avocat général Bobek dans l’affaire European Federation for Cosmetic Ingredients (C‑592/14, EU:C:2016:179, point 37 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir, à cet égard, arrêt du 14 décembre 2011, Nycomed Danmark/EMA (T‑52/09, EU:T:2011:738, point 71).

( 33 ) Voir point 57 des présentes conclusions.

( 34 ) Le raisonnement du Tribunal est plus développé aux points 181 à 218 de l’arrêt sous pourvoi, dans lesquels il est notamment indiqué que « le contenu des lignes directrices relatives à la composition des médicaments et à la portée des informations demandées aux demandeurs a considérablement évolué entre la date de l’autorisation de mise sur le marché du Fumaderm (9 août 1994) et le jour de l’adoption de la décision d’exécution du 30 janvier 2014 ».

( 35 ) Voir mémoire en défense de l’EMA devant l’EMA, point 37 et annexe B.2.

( 36 ) Mise en italique par mes soins.

( 37 ) Voir version de novembre 2005, applicable en 2013.

( 38 ) CHMP/EWP/240/95 Rev 1 (19 février 2009), disponible à l’adresse https://www.ema.europa.eu/en/documents/scientific-guideline/guideline-clinical-development-fixed-combination-medicinal-products-revision-1_en.pdf.

( 39 ) Voir points 205 à 207 de l’arrêt sous pourvoi.

( 40 ) BGBl 2005 I, no 73, p. 3394, telle que modifiée. Une version en langue anglaise de la loi allemande sur les médicaments est disponible à l’adresse suivante https://www.gesetze-im-internet.de/englisch_amg/.

( 41 ) Ordonnance du 31 mars 2011, Mauerhofer/Commission (C‑433/10 P, non publiée, EU:C:2011:204, points 69 et 71).

( 42 ) Voir point 42 des présentes conclusions.

( 43 ) Mise en italique par mes soins.

( 44 ) Arrêt du 20 octobre 2016, August Wolff et Remedia/Commission (T‑672/14, non publié, EU:T:2016:623). Voir, en particulier, points 59 à 66 de cet arrêt.

( 45 ) Arrêt du 15 septembre 2015, Novartis Europharm/Commission (T‑472/12, EU:T:2015:637, points 74 et 76).

( 46 ) Arrêt du 16 octobre 2008 (C‑452/06, EU:C:2008:565).

( 47 ) Arrêt du 14 mars 2018 (C‑557/16, EU:C:2018:181).

( 48 ) Voir arrêt du 16 octobre 2008, Synthon (C‑452/06, EU:C:2008:565, points 31 et 32).

Top