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Document 62021CC0031

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 13 octobre 2022.
    Eurocostruzioni Srl contre Regione Calabria.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione.
    Renvoi préjudiciel – Fonds structurels – Règlement (CE) no 1685/2000 – Éligibilité des dépenses – Obligation de preuve du paiement – Factures acquittées – Pièces comptables de valeur probante équivalente – Construction réalisée directement par le bénéficiaire final.
    Affaire C-31/21.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:776

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 13 octobre 2022 ( 1 )

    Affaire C‑31/21

    Eurocostruzioni Srl

    contre

    Regione Calabria

    [demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

    « Renvoi préjudiciel – Fonds structurels – Cofinancement – Règlement (CE) no 1685/2000 – Éligibilité des dépenses – Obligation de prouver le paiement – Factures acquittées – Pièces comptables de valeur probante équivalente – Construction directement réalisée par le bénéficiaire final »

    1.

    Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la Cour est appelée à interpréter le règlement (CE) no 1685/2000 ( 2 ) afin de déterminer la portée de l’obligation de produire des factures acquittées ou, si cela se révèle impossible, des pièces comptables de valeur probante équivalente, attestant du montant des dépenses encourues, lorsque le bénéficiaire d’une aide cofinancée par les Fonds structurels de l’Union européenne a construit un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres.

    I. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    1. Le règlement (CE) no 1260/1999

    2.

    Les considérants 35 et 43 du règlement (CE) no 1260/1999 ( 3 ) exposent ce qui suit :

    « (35)

    considérant que la mise en œuvre décentralisée des actions des Fonds structurels par les États membres doit apporter des garanties quant aux modalités et à la qualité de la mise en œuvre, quant aux résultats et à leur évaluation, et quant à la bonne gestion financière et à son contrôle ;

    [...]

    (43)

    considérant qu’il est nécessaire d’établir des garanties de bonne gestion financière en s’assurant que les dépenses sont justifiées et certifiées et en établissant des conditions de paiements liées au respect des responsabilités essentielles en matière de suivi de la programmation, de contrôle financier et d’application du droit communautaire ;

    [...] »

    3.

    En vertu de l’article 30 (« Éligibilité »), paragraphe 3, du règlement no 1260/1999 :

    « Les règles nationales pertinentes s’appliquent aux dépenses éligibles sauf si, lorsque c’est nécessaire, la Commission [européenne] établit des règles communes d’éligibilité des dépenses conformément à la procédure visée à l’article 53, paragraphe 2. »

    4.

    Selon l’article 32 (« Paiements »), paragraphe 1, troisième alinéa, de ce règlement :

    « Les paiements peuvent revêtir la forme d’acompte, de paiements intermédiaires ou de paiement du solde. Les paiements intermédiaires et les paiements de solde se réfèrent aux dépenses effectivement payées, qui doivent correspondre à des paiements exécutés par les bénéficiaires finals et justifiés par des factures acquittées ou des pièces comptables de valeur probante équivalente. »

    5.

    Le chapitre II (« Contrôle financier ») du titre IV renferme l’article 38 (« Dispositions générales »), paragraphe 1, du règlement no 1260/1999, qui dispose :

    « 1.   Sans préjudice de la responsabilité de la Commission dans l’exécution du budget général de l’Union européenne, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier de l’intervention. À cette fin, ils prennent notamment les mesures suivantes :

    [...]

    c)

    ils s’assurent que les interventions sont gérées conformément à l’ensemble de la réglementation communautaire applicable et que les fonds mis à leur disposition sont utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ;

    d)

    ils certifient que les déclarations de dépenses présentées à la Commission sont exactes et veillent à ce qu’elles procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces justificatives susceptibles d’être vérifiées ;

    [...] »

    2. Le règlement no 1685/2000

    6.

    Le cinquième considérant du règlement no 1685/2000 expose ce qui suit :

    « [...] Pour certains types d’opérations, la Commission juge nécessaire, aux fins de garantir la mise en œuvre uniforme et équitable des Fonds structurels dans [l’Union], d’adopter une série de règles communes sur les dépenses éligibles. L’adoption d’une règle relative à un type particulier d’opération ne préjuge pas du Fonds au titre duquel cette opération peut être cofinancée. L’adoption de ces règles ne doit pas empêcher les États membres, dans certains cas qu’il conviendra d’indiquer, d’appliquer des dispositions nationales plus strictes. [...] »

    7.

    En vertu de la règle no 1 (« Dépenses effectivement encourues »), point 2 (« Justification des dépenses »), de l’annexe de ce règlement (« Règles d’éligibilité ») :

    « 2.1.

    En règle générale, les paiements effectués par les bénéficiaires finals et déclarés au titre des paiements intermédiaires et de solde sont accompagnés des factures acquittées. Si cela se révèle impossible, ces paiements sont accompagnés de pièces comptables de valeur probante équivalente.

    [...] »

    B.   Le droit italien

    1. La loi no 59 du 15 mars 1997

    8.

    L’article 4, paragraphe 4, sous c), de la Legge n. 59 – Delega al Governo per il conferimento di funzioni e compiti alle regioni ed enti locali, per la riforma della pubblica amministrazione e per la semplificazione amministrativa ( 4 ) a délégué aux régions des fonctions et des tâches administratives en matière de politiques régionales, structurelles et de cohésion de l’Union.

    2. La loi no 7 de la Région de Calabre du 2 mai 2001

    9.

    L’article 31 quater de la Legge regionale n. 7 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale 2001 e pluriennale 2001/2003 della Regione Calabria ( 5 ) prévoyait que, dans le cadre du programme opérationnel régional (POR) Calabria 2000‑2006, approuvé par la décision C(2000) 2345 de la Commission, du 8 août 2000, la Regione Calabria (ci-après la « Région de Calabre ») soutiendrait la création et le développement de petites et moyennes entreprises dans les secteurs de l’industrie, du commerce, de l’artisanat, du tourisme et des services, avec des aides accordées conformément au règlement (CE) no 70/2001 ( 6 ).

    II. Les faits, le litige et les questions préjudicielles

    10.

    Par décision no 398 du conseil régional, du 14 mai 2002, la Région de Calabre a publié l’appel à projets pour les aides prévues par le POR Calabria 2000‑2006 au titre de l’axe IV, mesure 4.4.b. Ces aides étaient destinées aux petites et moyennes entreprises qui envisageaient des initiatives dans le secteur du tourisme.

    11.

    L’article 8 de cet appel à projets faisait référence au règlement no 1685/2000 « en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses relatives aux opérations cofinancées par les Fonds structurels ». Parmi les dépenses éligibles à une aide figuraient notamment celles relatives : 1) aux terrains, 2) aux bâtiments et installations, 3) au mobilier et aux équipements, 4) à la conception et aux études.

    12.

    Selon l’article 9 dudit appel à projets :

    les travaux relatifs aux bâtiments et installations devaient être quantifiés dans les limites du barème de l’inspection des travaux publics de la Région de Calabre de 1994, majoré de 15 % ;

    pour les éléments non prévus dans ledit barème, il y avait lieu d’appliquer les limites des prix pratiqués sur le marché estimés par le concepteur.

    13.

    Par arrêté de subvention no 4457, du 20 avril 2004, la société Eurocostruzioni Srl s’est vu accorder une aide pour la construction d’un hôtel et d’installations sportives attenantes à Rossano (Région de Calabre, Italie). Cette société a donc obtenu une contribution en capital égale à 47 % de l’investissement, ce qui impliquait la perception d’un total de 4918080 euros.

    14.

    Selon la juridiction de renvoi :

    l’arrêté de subvention no 4457 indiquait les documents à produire par le bénéficiaire et, pour le cas des travaux ( 7 ), ne prévoyait rien de plus que « la production de la documentation comptable des travaux (journal de chantier et registre de comptabilité, dûment signés sur chaque page par le directeur des travaux et la société bénéficiaire) » ( 8 ).

    l’article 4 de cet arrêté précisait que la subvention des travaux serait déterminée, dans les limites énoncées dans ledit arrêté, « sur la base du journal de chantier et du registre comptable, compte tenu des prix unitaires visés à l’article 9, sous b), de l’avis d’appel à projets, après vérification par la commission de contrôle » ( 9 ).

    15.

    Eurocostruzioni a réalisé les travaux, acheté le mobilier et fourni à la Région de Calabre le journal de chantier ainsi que le registre comptable, et a dès lors obtenu, après vérification des travaux, le certificat de conformité de la commission de contrôle.

    16.

    La Région de Calabre a versé à Eurocostruzioni la somme de 1661638 euros, correspondant aux dépenses encourues pour l’achat de mobilier et d’équipements, que cette entreprise a justifiées par la production des factures acquittées.

    17.

    Eurocostruzioni a demandé le paiement du solde restant dû à concurrence de 1675762 euros, puisque, à l’issue du contrôle de conformité des travaux, elle s’était vu reconnaître une subvention finale de 3337470 euros, à savoir le montant restant après déduction de l’avance et du montant correspondant au premier rapport de suivi des travaux.

    18.

    La Région de Calabre a refusé de payer les 1675762 euros réclamés au motif qu’Eurocostruzioni n’avait pas présenté de factures acquittées ou de pièces comptables de valeur probante équivalente, conformément à la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement no 1685/2000, à laquelle se référait l’appel à projets du 14 mai 2002 ( 10 ).

    19.

    Eurocostruzioni a introduit une procédure d’injonction de payer devant le Tribunale di Catanzaro (tribunal de Catanzaro, Italie), qui a fait droit à sa demande par jugement du 4 avril 2012.

    20.

    La Région de Calabre a fait appel devant la Corte d’Appello di Catanzaro (cour d’appel de Catanzaro, Italie).

    21.

    Par arrêt du 27 octobre 2014, cette juridiction a accueilli l’appel en se fondant sur les considérations suivantes :

    compte tenu des conclusions positives de la commission de contrôle et de l’absence d’objections de la part de la Région de Calabre concernant les travaux effectués, il n’était pas nécessaire de vérifier si les travaux prévus avaient effectivement été réalisés ;

    toutefois, étant donné que l’avis d’appel à projets faisait référence au règlement no 1685/2000, le versement de la subvention devait être considéré comme étant subordonné à la présentation de factures acquittées ou de pièces comptables de valeur probante équivalente, quand bien même les travaux seraient directement réalisés par la société bénéficiaire.

    Les documents produits par Eurocostruzioni étaient nécessaires, mais pas suffisants, en l’absence des factures susmentionnées et de toute preuve du paiement effectif du montant correspondant aux travaux effectués aux prix indiqués.

    Concernant les travaux directement effectués, Eurocostruzioni était tenue de produire la documentation comptable appropriée afin de démontrer les décaissements effectués (achat de matériel, location d’équipements, paiement des employés, sous-traitance de travaux à des tiers et indication de la main-d’œuvre utilisée).

    22.

    Le 27 octobre 2015, Eurocostruzioni a formé devant la juridiction de renvoi un pourvoi en cassation fondé, notamment, sur une violation du règlement no 1685/2000.

    23.

    Dans son pourvoi, Eurocostruzioni a fait valoir que :

    le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, lorsqu’il inclut l’expression « en règle générale », n’exige pas la fourniture d’une preuve de paiement impérative, mais énonce simplement un principe général ;

    le refus de la subvention par la Région de Calabre sur la base du règlement no 1685/2000 viole les principes de bonne foi, de loyauté et de confiance légitime, étant donné que l’entreprise avait correctement réalisé les travaux prévus et présenté les pièces comptables requises par l’arrêté de subvention.

    24.

    Dans ce contexte, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Le règlement [no 1685/2000], et en particulier le point 2.1 de la règle no 1 de son annexe, relatif à la “justification des dépenses”, exige-t-il que la preuve des paiements effectués par les bénéficiaires finals soit nécessairement apportée par des factures acquittées, même lorsque le financement a été accordé au bénéficiaire pour la construction d’un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres, ou une exception, autre que celle qui est expressément prévue lorsqu’une telle preuve se révèle impossible et qui requiert la production de “pièces comptables de valeur probante équivalente”, est-elle envisageable ?

    2)

    Quelle est l’interprétation qu’il convient de retenir de l’expression “pièces comptables de valeur probante équivalente”?

    3)

    En particulier, les dispositions susmentionnées du règlement s’opposent-elles à une réglementation nationale et régionale et aux mesures administratives prises pour son exécution, qui, dans l’hypothèse où le financement a été accordé au bénéficiaire en vue de la réalisation d’un immeuble avec des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres, prévoient un système de contrôle des dépenses financées par l’administration publique qui consiste :

    a)

    en une quantification préalable des travaux sur la base d’un barème régional applicable aux travaux publics et, pour les postes qui n’y sont pas prévus, sur la base des prix du marché en vigueur estimés par le concepteur technique, puis

    b)

    en un compte rendu ultérieur, qui comprend la présentation de la comptabilité relative aux travaux, à savoir le journal de chantier et le registre comptable, dûment signés sur chaque page par le directeur des travaux et l’entreprise bénéficiaire, ainsi que la vérification des travaux et la constatation de leur réalisation, sur la base des prix unitaires visés sous a) par une commission de contrôle désignée par l’administration régionale compétente ? »

    III. La procédure devant la Cour

    25.

    La demande de décision préjudicielle a été enregistrée à la Cour le 19 janvier 2021.

    26.

    Eurocostruzioni, la Région de Calabre, le gouvernement italien et la Commission ont déposé des observations.

    27.

    La Cour n’a pas jugé indispensable de tenir une audience, mais a invité les parties à se prononcer par écrit – ce qu’elles ont fait – sur les arguments du gouvernement italien relatifs à la notion de « pièces comptables de valeur probante équivalente ».

    IV. Appréciation

    A.   Observations liminaires

    28.

    Le débat vise à déterminer si un opérateur économique qui a construit un immeuble par ses propres moyens (matériaux, équipements et main-d’œuvre) peut justifier les dépenses qu’il a encourues par des « pièces comptables de valeur probante équivalente [à celle d’une facture] » lorsque ces pièces : a) sont composées du journal de chantier et du registre comptable, b) dûment signés sur chaque page par le directeur des travaux et la société bénéficiaire, et c) font apparaître des dépenses dans les limites des prix unitaires d’un barème standard, majorés de 15 %. Il convient en outre de garder à l’esprit que les travaux effectués par l’entreprise bénéficiaire ont été contrôlés et vérifiés par l’administration.

    29.

    Avant de trancher ce débat, une première précision s’impose. S’il est établi que les exigences de justification prévues par les règles de l’Union applicables en l’espèce n’ont pas été respectées ( 11 ), il n’y a pas lieu de payer le montant réclamé par Eurocostruzioni à charge des Fonds structurels de l’Union (correspondant à l’Italie) dans le cadre du POR.

    30.

    Comme le souligne la Commission, cela n’empêcherait cependant pas qu’Eurocostruzioni puisse avoir droit au paiement du montant qu’elle réclame si la juridiction de renvoi devait constater que cette entreprise, qui, en plus d’avoir construit un hôtel, a respecté les exigences de justification comptable prévues par les dispositions régissant l’attribution de l’aide ( 12 ), peut se prévaloir de la réglementation de la République italienne.

    31.

    Dans cette hypothèse, le paiement à Eurocostruzioni serait imputable au budget national, mais pas au budget de l’Union.

    B.   Recevabilité des questions préjudicielles

    32.

    La Région de Calabre soutient que la première question préjudicielle est irrecevable, car la juridiction de renvoi n’a pas été saisie de la question de l’applicabilité du règlement no 1685/2000 et ne peut la soulever d’office compte tenu de la nature du pourvoi (en cassation) qu’elle est appelée à trancher. Dans ces conditions, le lien entre le litige et le règlement no 1685/2000 n’aurait pas été justifié et les raisons de saisir la Cour à titre préjudiciel n’auraient pas été expliquées.

    33.

    Cette exception ne saurait être retenue. La décision de renvoi montre que cette affaire concerne précisément les obligations de justification des dépenses encourues par Eurocostruzioni, en tant que bénéficiaire final d’une aide cofinancée par les Fonds structurels de l’Union. Le règlement no 1685/2000 est donc applicable, comme la Région de Calabre l’admet elle-même dans ses observations écrites (point 12). La juridiction de renvoi explique dans sa décision les raisons pour lesquelles elle a besoin de l’interprétation de ce règlement. C’est à elle seule qu’il appartient de décider si elle peut ou non introduire cet élément d’appréciation dans un pourvoi en cassation.

    34.

    La Région de Calabre invoque également l’irrecevabilité de la troisième question préjudicielle, au motif que la juridiction de renvoi n’a pas expliqué le lien entre le règlement no 1685/2000 et la législation « nationale » ou « régionale », auxquelles elle se réfère de manière incomplète. Le contenu de cette législation régionale et de la décision du conseil régional de la Région de Calabre du 14 mai 2002 serait plus large que celui décrit dans la décision de renvoi.

    35.

    Cette exception peut, à nouveau, être écartée. Il appartient à la juridiction de renvoi d’exposer la portée des règles internes pertinentes et leur lien avec le droit de l’Union. En l’espèce, cette juridiction a décrit le cadre réglementaire national et régional de manière succincte, mais suffisante, et s’est référée à l’appel à projets ainsi qu’à l’arrêté d’octroi de la subvention par la Région de Calabre. Le lien entre ce cadre réglementaire et celui de l’Union est exposé dans la décision de renvoi ( 13 ).

    1. Sur la première question préjudicielle

    36.

    La subvention en question a été accordée le 20 avril 2004. La justification des dépenses est par conséquent soumise au règlement no 1260/1999 (le règlement de base) ( 14 ) et au règlement no 1685/2000 (le règlement d’application) ( 15 ), tels que modifiés par le règlement no 448/2004, applicable de manière rétroactive à partir du 5 juillet 2003 et, pour certaines dispositions, du 5 août 2000.

    37.

    Les deux règlements énoncent, aux fins du principe de subsidiarité, que « [l]es règles nationales pertinentes s’appliquent aux dépenses éligibles sauf si, lorsque c’est nécessaire, la Commission établit des règles communes d’éligibilité des dépenses » ( 16 ).

    38.

    La Commission a fait usage de cette possibilité et a adopté des règles communes sur l’éligibilité des dépenses dans le règlement no 1685/2000 ( 17 ). En vertu de ces règles, les États membres étaient tenus de se conformer au régime commun de justification défini dans le règlement no 1685/2000, sauf s’ils décidaient d’utiliser, à titre exceptionnel, un régime national plus strict.

    39.

    La juridiction de renvoi n’indique pas que la République italienne ait introduit un régime national plus strict, ce qui est confirmé par le gouvernement italien ( 18 ). La justification des dépenses encourues par Eurocostruzioni est donc régie par le règlement no 1685/2000.

    40.

    Comme je l’ai déjà indiqué, la première question de la juridiction de renvoi vise, en substance, à déterminer si le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 :

    exige que la preuve des paiements effectués par le bénéficiaire final, qui a construit un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main‑d’œuvre propres, soit nécessairement apportée par des factures acquittées ;

    ou s’il permet, dans la même situation et lorsqu’il n’est pas possible de fournir les factures, de produire des pièces comptables de valeur probante équivalente.

    41.

    L’article 32 du règlement no 1260/1999 établit une distinction entre, d’une part, la gestion financière des acomptes ( 19 ) et, d’autre part, la gestion financière des paiements intermédiaires et des paiements de solde. L’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, de ce règlement précise au sujet de ces derniers qu’ils « se réfèrent aux dépenses effectivement payées, qui doivent correspondre à des paiements exécutés par les bénéficiaires finals et justifiés par des factures acquittées ou des pièces comptables de valeur probante équivalente ».

    42.

    Les paiements de solde final (dont relèvent ceux réclamés en l’espèce par Eurocostruzioni) exigent donc une justification comptable préalable des dépenses réellement encourues par le bénéficiaire de l’aide.

    43.

    Cette même exigence est reprise au point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, applicable aux opérations cofinancées par les Fonds structurels, dont j’ai déjà reproduit le libellé, que je rappelle ici : « En règle générale, les paiements effectués par les bénéficiaires finals et déclarés au titre des paiements intermédiaires et de solde sont accompagnés des factures acquittées. Si cela se révèle impossible, ces paiements sont accompagnés de pièces comptables de valeur probante équivalente ».

    44.

    Le libellé des deux dispositions susmentionnées ne laisse aucune place au doute :

    la règle générale est que le bénéficiaire doit justifier les dépenses au moyen de factures acquittées ;

    l’exception est que, lorsqu’il « se révèle impossible » de prouver les dépenses au moyen de factures acquittées, ces dépenses peuvent être établies au moyen de « pièces comptables de valeur probante équivalente ». Cette dernière possibilité est, je le répète, exceptionnelle, et est donc de stricte interprétation.

    45.

    Le contexte dans lequel s’inscrivent ces deux dispositions va dans le même sens. Le considérant 43 du règlement no 1260/1999 ( 20 ), qui soutient la lecture restrictive de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, en atteste.

    46.

    L’objectif de bonne gestion financière qui inspire la gestion des Fonds structurels ( 21 ) corrobore cette ligne d’interprétation. En vertu de l’article 38, paragraphe 1, du règlement no 1260/1999, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier de l’intervention et, à cette fin, les mesures qu’ils adoptent permettent notamment :

    « c)

    [de s’assurer] que les interventions sont gérées conformément à l’ensemble de la réglementation communautaire applicable et que les fonds mis à leur disposition sont utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ;

    d)

    [de certifier] que les déclarations de dépenses présentées à la Commission sont exactes et [de veiller] à ce qu’elles procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces justificatives susceptibles d’être vérifiées » (mise en italique par mes soins).

    47.

    La Cour a jugé que le système institué à l’article 32 du règlement no 1260/1999 et par la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 repose sur le principe du remboursement des frais, qui doivent être justifiés et certifiés ( 22 ).

    48.

    Le fait que le bénéficiaire de l’aide ait construit le bâtiment par ses propres moyens ne l’exempte pas du système de justification prévu par les règlements nos 1260/1999 et 1685/2000.

    49.

    Si le bénéficiaire est dans l’impossibilité de fournir des factures démontrant la construction d’un immeuble parce qu’il a effectué les travaux par ses propres moyens, sans avoir recours à des tiers – impossibilité sur laquelle il appartient à la juridiction nationale compétente de se prononcer –, il doit en tout état de cause prouver les dépenses encourues au moyen de pièces comptables d’une valeur probante équivalente à celle d’une facture acquittée ( 23 ).

    50.

    Il n’y a donc pas de voie médiane. L’article 32 du règlement no 1260/1999 et la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement no 1685/2000 ne permettent pas de justifier les dépenses autrement que par des factures acquittées ou, lorsqu’il est impossible d’en produire, par des pièces comptables de valeur probante équivalente. C’est également le cas lorsque le bénéficiaire de l’aide a construit un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres.

    51.

    Le point de savoir si ces pièces comptables de valeur probante équivalente peuvent inclure celles qui sont spécifiquement en cause dans le présent litige relève d’une autre problématique. Ces dernières sont abordées dans le cadre de la troisième question préjudicielle.

    2. Sur la deuxième question préjudicielle

    52.

    La deuxième question préjudicielle porte sur la signification de l’expression « pièces comptables de valeur probante équivalente », qui est utilisée – sans être définie – dans les règlements nos 1260/1999 et 1685/2000. Le sens de ces termes n’est pas davantage explicité dans les règlements qui ont remplacé les deux textes susmentionnés.

    53.

    Selon la Commission, cette expression désigne les documents justificatifs de paiement qu’elle reconnaît et accepte dans les cas où, sur la base des dispositions fiscales et comptables de l’État membre intéressé, il n’y a pas lieu d’émettre une facture pour un déboursement d’argent ( 24 ).

    54.

    Selon elle, il s’agit de documents qui fournissent des éléments de preuve authentiques et fiables, de nature à attester, à l’instar des factures acquittées, de l’effectivité des dépenses effectuées ( 25 ).

    55.

    Je rejoins la Commission pour dire que la justification des dépenses par cette voie (c’est-à-dire lorsqu’il est impossible de fournir les factures acquittées) peut être assurée au moyen de pièces comptables autorisées par le droit national d’un État membre, lorsque celles-ci sont de nature à donner une image fidèle des dépenses réellement encourues.

    56.

    Ces documents pourraient par exemple comprendre :

    les entrées comptables attestant de l’utilisation de quotes-parts de frais généraux indivisibles, de contributions en nature ou de frais d’amortissement ( 26 ). Ces trois éléments ne sont pas directement facturables pour un projet et doivent pouvoir être indirectement imputables à celui-ci ;

    les fiches de paie relatives aux salaires versés aux travailleurs ayant pris part à l’exécution du projet, ainsi que les documents justificatifs de la part proportionnelle des frais généraux encourus (loyer, éclairage, chauffage ou télécommunications) ( 27 ).

    57.

    Le gouvernement italien propose cependant une interprétation plus large de cette notion controversée, qui permettrait de couvrir les cas dans lesquels un chantier ou un projet est réalisé par des moyens propres. Selon le gouvernement italien :

    la valeur probante d’une facture découle du fait qu’elle a été émise par une personne ayant un intérêt contraire à celui de la personne qui s’en prévaut comme preuve d’une dépense ;

    si l’on applique la même logique aux pièces comptables de valeur probante équivalente, les seules qui pourraient être acceptées sont celles contenant des déclarations de tiers. La notion deviendrait alors « trop étroite et difficile à appliquer » aux dépenses encourues par le promoteur d’un ouvrage qui réalise celui-ci par ses moyens propres ;

    cette difficulté pourrait être surmontée en se référant au point 1.7 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, qui prévoit la justification des contributions en nature ( 28 ) ;

    de cette manière, les moyens propres utilisés par le promoteur de l’ouvrage pourraient être justifiés d’une manière semblable à celle des contributions en nature, à condition que leur valeur soit certifiée par un professionnel qualifié et indépendant ou par un organisme officiel agréé.

    58.

    La Cour a demandé aux parties au litige et à la Commission de se prononcer sur l’interprétation proposée par le gouvernement italien. Il ressort des réponses que :

    Eurocostruzioni considère cette interprétation acceptable. La quantification préalable des travaux sur la base d’un barème de prix régional et le contrôle ultérieur par présentation de la comptabilité (journal de chantier et registre comptable) constituent un ensemble de documents susceptibles de faire l’objet d’une appréciation comptable et d’un contrôle à titre indépendant, qui, en l’espèce, a été réalisé par la commission de contrôle désignée par l’administration régionale. Cette commission peut être considérée comme un professionnel qualifié et indépendant ou un organisme officiel agréé au sens du point 1.7, sous d), de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 ;

    la Région de Calabre rejette cette interprétation. Selon elle l’application, par analogie, de la justification des contributions en nature aux moyens propres fournis par le promoteur d’un projet nécessite une vérification comptable par un professionnel qualifié et indépendant ou par un organisme officiel agréé. Une telle vérification n’est possible que si le promoteur dispose des pièces justificatives des dépenses, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

    la Commission s’oppose également à l’interprétation préconisée par le gouvernement italien, car seuls les documents provenant d’organismes de vérification tiers dotés de pouvoirs de certification pourraient alors être considérés comme des « pièces comptables de valeur probante équivalente », ce qui constitue une restriction injustifiée.

    59.

    Pour ma part, je considère que l’interprétation préconisée par le gouvernement italien rend le système de justification prévu à la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement no 1685/2000, excessivement flexible. Dans cette même mesure, le gouvernement italien a recours à des critères herméneutiques non pas restrictifs, mais extensifs, pour appliquer l’exemption en question.

    60.

    Comme je l’ai déjà indiqué, la possibilité d’établir les dépenses encourues par des « pièces comptables de valeur probante équivalente » est une exception qui ne peut être utilisée que lorsque la présentation de factures dûment acquittées, conformément au libellé de la règle no 1 de ce règlement, est impossible. Une interprétation telle que celle suggérée par le gouvernement italien n’est pas conforme à l’article 32 du règlement no 1260/1999 et à la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement no 1685/2000.

    61.

    La possibilité de justifier la construction d’un ouvrage par des moyens propres en ayant recours à une certification de la valeur de la contribution par un professionnel qualifié et indépendant, ou par un organisme officiel agréé, ouvrirait des possibilités de double computation des dépenses ou de fraudes potentielles lors de la justification requise pour percevoir de l’argent des Fonds structurels de l’Union.

    62.

    En outre, comme le fait valoir la Commission, une telle interprétation limiterait de manière injustifiée la possibilité de fournir des « pièces comptables de valeur probante équivalente » aux documents émis par des organismes professionnels ou officiels de vérification comptable. La règle no 1, point 1.7, sous d), de l’annexe du règlement no 1685/200 prévoit une telle exigence uniquement pour l’apport de terrains ou de biens immeubles et celle-ci ne s’applique pas aux autres contributions en nature. Je ne vois aucune raison d’étendre cette limitation aux contributions des promoteurs d’ouvrages financés par les Fonds structurels de l’Union qui sont réalisés avec des moyens propres.

    63.

    Les principes de bonne exécution financière et de remboursement des dépenses, qui s’appliquent dans l’Union en cette matière, plaident en faveur du rejet de l’interprétation préconisée par le gouvernement italien.

    3. Sur la troisième question préjudicielle

    64.

    La juridiction de renvoi souhaite savoir si le règlement no 1685/2000 s’oppose à une réglementation nationale et régionale et aux mesures administratives prises pour son exécution, qui, dans l’hypothèse où le financement a été accordé au bénéficiaire en vue de la réalisation d’un immeuble avec des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres, prévoient un système de contrôle des dépenses qui consiste :

    en une quantification préalable des travaux sur la base d’un barème régional applicable aux travaux publics et, pour les postes qui n’y sont pas prévus, sur la base des prix du marché en vigueur estimés par le concepteur technique ;

    en un « compte rendu ultérieur, qui comprend la présentation de la comptabilité relative aux travaux, à savoir le journal de chantier et le registre comptable, dûment signés sur chaque page par le directeur des travaux et l’entreprise bénéficiaire », et

    en une vérification des travaux et une constatation de leur réalisation, sur la base des prix unitaires mentionnés dans le barème régional, par une commission de contrôle désignée par l’administration régionale compétente.

    65.

    Afin de fournir à la juridiction de renvoi une réponse aussi utile que possible, j’aborderai d’abord la question, posée en ces termes, d’un point de vue général, c’est-à-dire sans référence aux vicissitudes particulières de la subvention accordée à Eurocostruzioni, pour ensuite analyser les détails de celle-ci.

    a) Compatibilité, in abstracto, de la règle nationale avec le règlement no 1685/2000

    66.

    Sous réserve de l’appréciation à effectuer par la juridiction de renvoi, la méthode de contrôle des dépenses décrite dans la troisième question préjudicielle semble davantage découler de l’arrêté d’octroi de la subvention accordée que de l’application directe d’une réglementation nationale ou régionale ( 29 ).

    67.

    Pour déterminer si un tel système est conforme au règlement no 1685/2000, le problème tient à la connaissance du contenu exact des deux documents (à savoir « le journal de chantier et le registre comptable ») ( 30 ) requis pour justifier les dépenses de construction lorsque le coût de celle-ci est supporté par un bénéficiaire qui utilise ses moyens propres.

    68.

    À première vue, je peux partager l’avis de la Commission et de la Région de Calabre selon lequel ces deux documents n’ont pas, en eux‑mêmes, une valeur probante équivalente à celle d’une facture.

    69.

    En effet, si le journal de chantier et le registre comptable se contentent de rendre compte de l’avancement des différentes étapes des travaux ( 31 ) et ne sont accompagnés à cette fin que de la « signature sur chaque page » du directeur des travaux et de l’entreprise bénéficiaire, ils ne suffiraient pas à prouver en bonne et due forme les valeurs monétaires correspondant à l’ensemble de la construction de l’hôtel.

    70.

    À l’inverse, si le « registre comptable » de l’entreprise bénéficiaire permet d’établir, de manière fiable et détaillée, les dépenses que celle-ci a encourues, par exemple, et parmi d’autres postes de dépense analogues, pour les salaires de ses travailleurs ou les matériaux de construction, il n’y aurait à mon avis aucune difficulté à qualifier ce registre comptable de « pièce de valeur probante » équivalente à celle d’une facture.

    71.

    Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ces éléments et de décider, selon sa propre appréciation, dans quelle mesure ces deux documents comptables sont susceptibles de donner une image fidèle des dépenses encourues par l’entreprise bénéficiaire de l’aide, dans l’hypothèse où il serait objectivement impossible d’émettre des factures acquittées.

    72.

    En ce qui concerne la vérification, par une commission de contrôle désignée par l’administration régionale, des travaux effectués par simple référence à une liste de prix préétablie, je ne considère pas qu’il s’agisse d’une méthode appropriée pour vérifier que les dépenses effectivement encourues dans un cas particulier correspondent à celles qui figurent dans cette liste en tant que paramètres de calcul abstraits.

    b) Justification concrète des dépenses encourues par Eurocostruzioni

    73.

    La juridiction de renvoi semble admettre que les travaux financés (un hôtel à Rossano) ont bien été réalisés par Eurocostruzioni conformément au projet approuvé et qu’ils sont conformes audit projet en termes quantitatifs et qualitatifs. Elle exclut donc la possibilité d’une exécution déficiente ou d’une fraude dans la réalisation d’un projet cofinancé par des Fonds structurels.

    74.

    Selon les éléments du dossier, les travaux subventionnés ont été réalisés et, en outre, Eurocostruzioni a reçu les fonds destinés au mobilier, car elle a présenté les factures acquittées pour leur achat, conformément à l’appel à projets du 14 mai 2002 et à l’arrêté de subvention du 20 avril 2004.

    75.

    Les doutes de la juridiction de renvoi portent sur la justification des autres dépenses du promoteur de l’ouvrage et découlent du fait qu’il a construit le bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres, comme il a déjà été dit. Pour ces dépenses, Eurocostruzioni n’a pas fourni de factures acquittées.

    76.

    Selon moi, le premier élément qu’il conviendrait de vérifier tient au point de savoir s’il était réellement possible de justifier ces dépenses par des factures acquittées, comme le soutient la Région de Calabre.

    77.

    Si l’émission de factures dûment acquittées se révèle impossible, l’application de l’article 32 du règlement no 1260/1999 et de la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement no 1685/2000, permettrait, à titre exceptionnel, de justifier les dépenses par des pièces comptables de valeur probante équivalente à celle de ces factures ( 32 ).

    78.

    En particulier, et comme je l’ai déjà indiqué, les documents qui incluent la constatation et la vérification des travaux, effectuées par une commission de contrôle désignée par l’administration régionale, ne sauraient constituer une justification fiable et suffisante des dépenses encourues s’ils se limitent à appliquer, sur la base d’un barème standard, des estimations qui n’ont pas de relation directe et objective avec ces dépenses, mais qui sont liées à des paramètres abstraits.

    79.

    Par conséquent, ces documents, en eux-mêmes, ne donnent pas une image fidèle des opérations réellement effectuées, ne reflètent pas la valeur ajoutée par l’entreprise au projet, et n’éliminent pas la possibilité d’une double computation.

    80.

    Enfin, il n’est pas superflu de rappeler que l’article 8 de l’appel à projets du 14 mai 2002 (auquel la juridiction d’appel se réfère dans la partie finale de son arrêt du 27 octobre 2014) excluait de la subvention les dépenses relatives à des commandes internes de travaux (de construction), ainsi qu’aux dépenses non budgétisées et aux paiements en espèces.

    V. Conclusion

    81.

    À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) dans les termes suivants :

    L’article 32 du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels, et la règle no 1, point 2.1, de l’annexe du règlement (CE) no 1685/2000 de la Commission, du 28 juillet 2000, portant modalités d’exécution du règlement no 1260/1999 en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses des opérations cofinancées par les Fonds structurels,

    doivent être interprétés en ce sens que :

    a)

    ils admettent, en tant que règle générale, que les dépenses peuvent être justifiées par des factures dûment acquittées et, à titre exceptionnel, lorsqu’il est impossible de produire ces factures, par des pièces comptables de valeur probante équivalente, même lorsque le bénéficiaire a construit un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres ;

    b)

    la notion de « pièces comptables de valeur probante équivalente » recouvre les documents admis en cette qualité par le droit national de l’État membre d’exécution, lorsqu’ils sont aptes à donner une image fidèle des dépenses réellement encourues ;

    c)

    les documents comptables qui se limitent à reprendre le journal des travaux et les simples registres comptables ne sauraient être qualifiés de « pièces comptables ayant une valeur probante équivalente à celle de factures régulièrement acquittées », à moins qu’ils ne permettent d’identifier, de manière fiable et détaillée, les dépenses encourues par le bénéficiaire au titre des salaires payés à ses travailleurs ou des matériaux de construction, parmi d’autres postes de dépenses analogues, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer ;

    d)

    la vérification des travaux effectuée par une commission administrative de contrôle ne justifie pas de manière fidèle et suffisante les dépenses encourues si elle se limite à appliquer, sur la base d’un barème standard, des estimations qui n’ont pas de relation directe et objective avec ces dépenses, mais qui sont liées à des paramètres abstraits.


    ( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

    ( 2 ) Règlement de la Commission du 28 juillet 2000 portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les Fonds structurels (JO 2000, L 193, p. 39), tel que modifié par le règlement (CE) no 448/2004 de la Commission, du 10 mars 2004, modifiant le règlement (CE) no 1685/2000 portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les Fonds structurels et abrogeant le règlement (CE) no 1145/2003 (JO 2004, L 72, p. 66).

    ( 3 ) Règlement du Conseil du 21 juin 1999 portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO 1999, L 161, p. 1).

    ( 4 ) Loi no 59, portant délégation au gouvernement pour l’attribution de fonctions et de tâches aux régions et collectivités locales pour la réforme de l’administration publique et la simplification administrative, du 15 mars 1997. Cette délégation a ensuite été mise en œuvre par le Decreto Legislativo n.o 123 [Disposizioni per la razionalizzazione degli interventi di sostegno pubblico alle imprese, a norma dell’articolo 4, comma 4, lettera c), della legge 15 marzo 1997, n. 59] [décret législatif no 123, portant dispositions de rationalisation des interventions de soutien public aux entreprises, conformément à l’article 4, paragraphe 4, sous c), de la loi no 59 du 15 mars 1997], du 31 mars 1998.

    ( 5 ) Loi no 7 de la Région de Calabre, portant dispositions pour la formation du budget annuel 2001 et pluriannuel 2001/2003), du 2 mai 2001.

    ( 6 ) Règlement de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État en faveur des petites et moyennes entreprises (JO 2001, L 10, p. 33).

    ( 7 ) Il y a lieu d’entendre par-là les travaux réalisés par le bénéficiaire lui-même.

    ( 8 ) Décision de renvoi, point 3.6.

    ( 9 ) Décision de renvoi, point 3.6.

    ( 10 ) L’article 2 (« Procédure et cadre juridique de référence ») de cet appel à projets faisait spécifiquement référence aux règlements nos 1260/1999 et 1685/2000.

    ( 11 ) À savoir l’article 32, paragraphe 1, du règlement no 1260/1999, et le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000.

    ( 12 ) À savoir les dispositions de la décision du conseil régional de la Région de Calabre du 14 mai 2002 et l’arrêté de subvention du 20 avril 2004. Les arguments de Eurocostruzioni relatifs à la violation des principes de bonne foi, de loyauté et de confiance légitime pourraient le cas échéant être invoqués au regard du droit italien, et il appartiendra aux juridictions de ce pays de se prononcer sur leur bien-fondé.

    ( 13 ) Les éléments que je développerai lors de l’examen de la troisième question préjudicielle sur le fond ne s’opposent pas à ces considérations.

    ( 14 ) Ce texte de base a été remplacé par le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement no 1260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25), abrogé à son tour par le règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320).

    ( 15 ) Ce texte a été remplacé par le règlement (CE) no 1828/2006 de la Commission, du 8 décembre 2006, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et du règlement (CE) no 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds européen de développement régional (JO 2006, L 371, p. 1), qui a fait l’objet de multiples modifications.

    ( 16 ) Article 30, paragraphe 3, du règlement no 1260/1999. Le considérant 41 de ce règlement énonce que, « conformément au principe de subsidiarité, [...] les règles nationales pertinentes s’appliquent aux dépenses éligibles en l’absence de règles communautaires, qui peuvent être établies par la Commission lorsqu’elles apparaissent nécessaires pour garantir une application uniforme et équitable des Fonds structurels dans la Communauté [...] ».

    ( 17 ) Le cinquième considérant de ce règlement énonce que « [p]our certains types d’opérations, la Commission juge nécessaire, aux fins de garantir la mise en œuvre uniforme et équitable des Fonds structurels dans la Communauté, d’adopter une série de règles communes sur les dépenses éligibles. [...] L’adoption de ces règles ne doit pas empêcher les États membres, dans certains cas qu’il conviendra d’indiquer, d’appliquer des dispositions nationales plus strictes. [...] ».

    ( 18 ) Observations du gouvernement italien, point 28.

    ( 19 ) L’article 32, paragraphe 2, de ce règlement prévoit que, lors de l’engagement de la première tranche, la Commission verse à l’autorité de paiement un acompte qui représente 7 % de la participation des Fonds à l’intervention concernée. En toute logique, le paiement de cet acompte est permis sans qu’aucune justification comptable préalable des dépenses encourues par le bénéficiaire ne soit exigée. Voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2005, Italie/Commission (affaires jointesC‑138/03, C‑324/03 et C‑431/03, EU:C:2005:714, points 47 à 49).

    ( 20 )

    ( 21 ) Voir considérants 35 et 43 du règlement no 1260/1999.

    ( 22 ) Arrêt du 24 novembre 2005, Italie/Commission (affaires jointesC‑138/03, C‑324/03 et C‑431/03, EU:C:2005:714, points 44 à 46). La Cour y indique que, « en principe, l’éligibilité au concours des Fonds structurels des dépenses effectuées par les organismes nationaux est subordonnée à la présentation aux services de la Commission d’une preuve de leur utilisation dans le cadre du projet financé par l’Union européenne. Une telle preuve peut se traduire par des factures acquittées ou, si cela s’avère impossible, par des pièces comptables de valeur probante équivalente ».

    ( 23 ) La Commission considère que, dans un tel cas de figure, le bénéficiaire aurait pu apporter la preuve des dépenses, par exemple, par des factures d’achat de matériel ou des fiches de paie relatives aux salaires versés aux ouvriers. De même, le bénéficiaire aurait pu produire des pièces comptables de valeur probante équivalente relatives à des dépenses pour lesquelles il est impossible de disposer de factures, comme les contributions en nature ou celles correspondant à l’amortissement ou à la dépréciation de biens utilisés lors de la réalisation du chantier.

    ( 24 ) Dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1) prévoit l’utilisation des factures comme moyen d’obtenir la déduction de la TVA et réglemente certains des éléments et caractéristiques que celles-ci doivent présenter, tout en renvoyant, pour les autres, aux législations des États membres. Voir, notamment, arrêts du 15 septembre 2016, Senatex (C‑518/14, EU:C:2016:691, points 28 et 29) ; du 21 novembre 2018, Vădan (C‑664/16, EU:C:2018:933, points 39 et 40), ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet (C‑281/20, EU:C:2021:910, points 26 à 28).

    ( 25 ) Décision 97/324/CE de la Commission, du 23 avril 1997, modifiant les décisions portant approbation des cadres communautaires d’appui, des documents uniques de programmation et des programmes d’initiative communautaire, adoptées à l’égard de l’Irlande (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi) (JO 1997, L 146, p. 15).

    « Fiche no 4 : [...] Précisions sur la notion de “coûts réels”

    [...]

    3. Par “pièce comptable de valeur probante équivalente”, on entend, dans le cas où l’émission d’une facture n’est pas pertinente selon les règles fiscales et comptables nationales, tout document introduit pour justifier que l’écriture comptable donne une image fidèle de la réalité et conforme au droit comptable en vigueur. [...] »

    ( 26 ) Voir article 68 du règlement no 1303/2013, relatif à la justification des coûts indirects, ainsi qu’article 69 de ce règlement, relatif à la justification des coûts d’amortissement et des contributions en nature sous forme d’exécution de travaux ou de fourniture de biens, de services, de terrains et d’immeubles qui n’ont fait l’objet d’aucun paiement en numéraire attesté par des factures ou d’autres documents de valeur probante équivalente.

    ( 27 ) Conformément au point 1.8 de la règle no 1 de l’annexe au règlement no 1685/2000, « [l]es frais généraux sont une dépense éligible à condition qu’ils soient basés sur des coûts réels liés à la mise en œuvre de l’opération cofinancée par les Fonds structurels et qu’ils soient affectés au prorata à l’opération selon une méthode équitable et dûment justifiée ».

    ( 28 ) Conformément au point 1.7 de la règle no 1 de l’annexe au règlement no 1685/2000, « [l]es contributions en nature sont une dépense éligible si les conditions suivantes sont remplies :

    a) elles correspondent à l’apport de terrains ou de biens immeubles, de biens d’équipement ou de matériaux, d’une activité de recherche ou professionnelle ou d’un travail bénévole ;

    b) elles ne sont pas réalisées dans le cadre de mesures d’ingénierie financière visées par les règles nos 8, 9 et 10 ;

    c) leur valeur peut faire l’objet d’une appréciation et d’un contrôle à titre indépendant ;

    d) en cas d’apport de terrains ou de biens immeubles, la valeur est certifiée par un expert indépendant qualifié ou un organisme officiel agréé ;

    e) en cas de bénévolat, la valeur du travail est déterminée en tenant compte du temps consacré et du taux horaire et journalier normal pour le travail accompli, et

    f) les dispositions des règles nos 4, 5 et 6 sont respectées le cas échéant. »

    ( 29 ) Ainsi qu’il résulte du point 3.6 de la décision de renvoi.

    ( 30 ) Dans l’original en langue italienne, « libretto delle misure » et « registro della contabilità ».

    ( 31 ) Comme la juridiction d’appel semble l’indiquer dans son arrêt du 27 octobre 2014.

    ( 32 ) Je renvoie ici aux points 69 à 71 des présentes conclusions.

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