Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62020CC0354

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 12 novembre 2020.
    L et P.
    Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Rechtbank Amsterdam.
    Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Article 6, paragraphe 1 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial – Défaillances systémiques ou généralisées – Notion d’“autorité judiciaire d’émission” – Prise en considération de développements intervenus après l’émission du mandat d’arrêt européen concerné – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier de manière concrète et précise l’existence de motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra un risque réel de violation de son droit à un procès équitable en cas de remise.
    Affaires jointes C-354/20 PPU et C-412/20 PPU.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:925

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 12 novembre 2020 ( 1 )

    Affaires jointes C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU

    L. et P.,

    en présence de

    Openbaar Ministerie

    [demandes de décision préjudicielle formées par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas)]

    « Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Remise du détenu à l’autorité judiciaire d’émission – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial – Défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission »

    1.

    La Cour s’est déjà prononcée sur les conditions dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (ci-après « MAE »), examiné conformément à la décision-cadre 2002/584/JAI ( 2 ), peut suspendre la remise de la personne recherchée s’il est établi que cette dernière court un risque réel de voir ses droits fondamentaux violés.

    2.

    En formation de grande chambre, la Cour a jugé que, parmi les violations desdits droits qui sont susceptibles de justifier la non-remise de la personne recherchée, figure celle du droit à un procès équitable (article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte »). Il peut en aller ainsi lorsque les défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance des juridictions de l’État d’émission du MAE remettent en cause ce droit fondamental ( 3 ).

    3.

    Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a, dans son arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), adopté la même méthode que celle qu’elle avait préalablement utilisée en présence de défaillances systémiques ou généralisées affectant non pas l’indépendance des juridictions, mais la situation des prisons, potentiellement attentatoire à la dignité de la personne dont la remise a été décidée dans le cadre d’un MAE ( 4 ).

    4.

    Suivant cette méthode, l’autorité judiciaire d’exécution d’un MAE doit vérifier, de manière concrète et précise, si, outre les défaillances systémiques et généralisées affectant l’indépendance des juridictions de l’État d’émission, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne recherchée courra le risque de subir, en cas de remise, une violation du droit que lui confère l’article 47 de la Charte.

    5.

    Le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) demande si, face à une aggravation des défaillances généralisées dans l’administration de la justice polonaise, postérieure à l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), il peut refuser la remise demandée par une juridiction de ce pays, sans qu’il soit nécessaire d’examiner en détail les circonstances concrètes du MAE.

    6.

    Pour les raisons exposées ci-après, je proposerai à la Cour de confirmer la jurisprudence établie dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire). Je partage donc la position défendue en l’espèce par le ministère public, les gouvernements belge et irlandais et la Commission européenne ( 5 ).

    I. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    1. Le traité sur l’Union européenne

    7.

    L’article 7 TUE est libellé comme suit :

    « 1.   Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

    Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

    2.   Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

    3.   Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

    Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

    [...] »

    2. La Charte

    8.

    L’article 47 de la Charte (« Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ») énonce :

    « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

    Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

    [...] »

    3. La décision-cadre 2002/584

    9.

    Le considérant 10 de la décision-cadre énonce :

    « Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. La mise en œuvre de celui-ci ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 6, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, constatée par le Conseil en application de l’article 7, paragraphe 1, dudit traité avec les conséquences prévues au paragraphe 2 du même article. »

    10.

    L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit :

    « 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

    2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

    3.   La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

    11.

    L’article 6 de ladite décision-cadre (« Détermination des autorités judiciaires compétentes ») indique :

    « 1.   L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

    2.   L’autorité judiciaire d’exécution est l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution qui est compétente pour exécuter le mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

    3.   Chaque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne. »

    12.

    Les articles 3, 4 et 4 bis de cette même décision-cadre énumèrent les motifs de non-exécution obligatoire et facultative du MAE.

    13.

    L’article 15 de la décision-cadre (« Décision sur la remise ») prévoit :

    « 1.   L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne.

    2.   Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, en particulier en relation avec les articles 3 à 5 et 8, et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter les délais fixés à l’article 17.

    3.   L’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution. »

    B.   Le droit néerlandais

    14.

    La décision-cadre a été transposée en droit néerlandais par la Wet tot implementatie van het kaderbesluit van de Raad van de Europese Unie betreffende het Europees aanhoudingsbevel en procedures van overlevering tussen de lidstaten van de Europese Unie ( 6 ), du 29 avril 2004 ( 7 ), telle que modifiée par la loi du 22 février 2017 ( 8 ).

    II. Les litiges et les questions préjudicielles

    A.   L’affaire C‑354/20 PPU

    15.

    Le 7 février 2020, l’officier van justitie (ministère public, Pays-Bas) a saisi la juridiction de renvoi d’une demande d’exécution d’un MAE émis le 31 août 2015 par le Sąd Rejonowy w Poznaniu (tribunal d’arrondissement de Poznań, Pologne) en vue de la détention et de la remise d’un ressortissant polonais sans domicile ni résidence aux Pays-Bas, aux fins de l’exercice de poursuites pénales pour trafic de stupéfiants et possession d’un faux document d’identité.

    16.

    Le 24 mars 2020, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a suspendu l’instruction de la procédure afin que la personne recherchée et le ministère public soient entendus, à la lumière de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), au sujet des évolutions récentes en Pologne en ce qui concerne l’État de droit, ainsi que sur leurs conséquences éventuelles pour la remise de ladite personne.

    17.

    Le 12 juin 2020, une fois ces observations présentées, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a demandé au ministère public d’adresser certaines questions à la juridiction d’émission. Celle-ci a répondu à l’ensemble des questions posées, à l’exception de celles destinées au Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne). La juridiction d’émission a invité la juridiction de renvoi à s’adresser elle-même directement au Sąd Najwyższy (Cour suprême).

    18.

    Le ministère public a posé au Sąd Najwyższy (Cour suprême) les questions concernant cette juridiction, sans toutefois recevoir de réponse.

    19.

    Dans ce contexte, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

    « 1) La [décision-cadre], l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et/ou l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, s’opposent-ils effectivement à ce que l’autorité judiciaire d’exécution exécute un MAE qui est émis par une juridiction, alors que la législation nationale de l’État membre d’émission du MAE a été modifiée après l’émission dudit MAE de telle sorte que cette juridiction ne satisfait plus aux exigences d’une protection juridictionnelle effective parce que ladite législation ne garantit plus son indépendance ?

    2) La [décision-cadre] et l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, s’opposent-ils effectivement à ce que l’autorité judiciaire d’exécution exécute un MAE lorsqu’elle a constaté qu’il existe un risque réel de violation du droit fondamental à un tribunal indépendant dans l’État membre d’émission pour toutes les personnes poursuivies, et donc également pour la personne réclamée, quelles que soient les juridictions de cet État membre qui sont compétentes pour connaître des procédures auxquelles la personne réclamée sera soumise et indépendamment de la situation personnelle de la personne réclamée, de la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie et du contexte factuel qui est à la base du MAE, lequel risque est lié au fait que les juridictions de l’État membre d’émission ne sont plus indépendantes en raison de défaillances systémiques et généralisées ?

    3) La [décision-cadre] et l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, s’opposent-ils effectivement à ce que l’autorité judiciaire d’exécution exécute un MAE lorsqu’elle a constaté que :

    il existe, dans l’État membre d’émission, un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable pour toutes les personnes poursuivies, qui est lié à des défaillances systémiques et généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de cet État membre,

    ces défaillances systémiques et généralisées sont donc non seulement susceptibles d’avoir une incidence négative au niveau des juridictions de cet État membre qui sont compétentes pour connaître des procédures auxquelles la personne réclamée sera soumise, mais ont réellement une telle incidence négative, et

    il existe donc des motifs sérieux et avérés de croire que la personne réclamée courra un risque réel de violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable,

    et ce, même si, hormis ces défaillances systémiques et généralisées, la personne réclamée n’a pas exprimé de préoccupations particulières et même si sa situation personnelle, la nature des infractions pour lesquelles elle est poursuivie et le contexte qui est à la base du MAE ne font pas craindre, hormis ces défaillances systémiques et généralisées, l’exercice de pressions concrètes ou d’une influence sur son procès pénal par le pouvoir exécutif et/ou législatif ? »

    B.   L’affaire C‑412/20 PPU

    20.

    Le 23 juin 2020, le ministère public a saisi la juridiction de renvoi d’une demande d’exécution d’un MAE émis le 26 mai 2015 par le Sąd Okręgowy w Sieradzu (tribunal régional de Sieradz, Pologne), aux fins de la détention et de la remise d’une personne condamnée par un autre tribunal polonais à une peine privative de liberté ( 9 ).

    21.

    La personne recherchée a demandé à ce tribunal, le 17 août 2020, d’attendre la réponse de la Cour à la question préjudicielle posée dans l’affaire C‑354/20 PPU, demande à laquelle le ministère public ne s’est pas opposé.

    22.

    À la suite d’une audience qui s’est tenue le 20 août 2020, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé d’ajouter une question préjudicielle à celles présentées dans l’affaire C‑354/20 PPU, qui se lit comme suit :

    « La [décision-cadre], l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE] et/ou l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte] s’opposent-ils effectivement à ce que l’autorité judiciaire d’exécution exécute un [MAE] qui est émis par une juridiction alors que cette juridiction ne répond pas aux conditions requises d’une protection juridictionnelle effective et n’y répondait déjà plus au moment de l’émission du [MAE] en ce que la législation de l’État membre d’émission ne garantit pas l’indépendance de cette juridiction et ne la garantissait déjà plus au moment de l’émission du [MAE] ? »

    III. La procédure devant la Cour

    23.

    Les demandes de décision préjudicielle ont été enregistrées au greffe de la Cour le 31 juillet 2020 (affaire C‑354/20 PPU) et le 3 septembre 2020 (affaire C‑412/20 PPU).

    24.

    La Cour a accepté de soumettre les renvois préjudiciels à la procédure d’urgence et les a joints.

    25.

    Des observations écrites ont été déposées par les représentants des personnes recherchées, le ministère public, les gouvernements néerlandais et polonais, ainsi que par la Commission. Tous ont pris part à l’audience qui s’est tenue le 12 octobre 2020 et à laquelle ont aussi participé les gouvernements belge et irlandais.

    IV. Analyse juridique

    A.   Considérations liminaires

    1. La disposition applicable de la décision-cadre

    26.

    Tant le dispositif que les motifs des ordonnances de renvoi se réfèrent de façon générale à la décision-cadre, sans spécifier l’article dont l’interprétation est demandée.

    27.

    Toutefois, et comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), il ressort de ces ordonnances que la juridiction de renvoi se réfère à la règle de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre.

    2. La justification des renvois préjudiciels

    28.

    Dans l’ordonnance relative à l’affaire C‑354/20 PPU, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) affirme qu’il ne voit pas de raisons de refuser l’exécution du MAE pour l’un des motifs visés aux articles 3 à 5 de la décision-cadre ( 10 ). Il y a lieu de présumer qu’il en va de même dans l’affaire C‑412/20 PPU, bien que la décision de renvoi ne comporte pas d’observation analogue.

    29.

    La juridiction de renvoi considère toutefois que les « développements dont a fait l’objet la législation de la République de Pologne concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais » ( 11 ) pourraient constituer un motif suffisant pour refuser l’exécution du MAE. Elle se demande si ces réformes législatives conditionnent, à elles seules, l’exécution du MAE, en raison du risque de porter atteinte au droit de la personne recherchée à un procès équitable devant un tribunal indépendant, que garantit l’article 47 de la Charte.

    30.

    Ainsi qu’elle l’explique dans son ordonnance relative à l’affaire C‑354/20 PPU, la juridiction de renvoi a supposé, face à ces réformes, et après le prononcé de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), qu’il existe, en Pologne, un risque réel d’atteinte audit droit, en raison de défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire de cet État membre.

    31.

    Partant de cette prémisse, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) avait pris l’habitude d’examiner les MAE émis par les juridictions polonaises sous la double perspective tracée dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire). Cette méthode l’avait amené à déterminer : a) si ces défaillances étaient susceptibles d’avoir une incidence sur les juridictions compétentes pour connaître des procédures auxquelles serait soumise la personne recherchée ; et b) dans l’affirmative, s’il existait des raisons sérieuses et fondées de croire que cette personne courrait le risque réel d’une violation de son droit à un tribunal indépendant.

    32.

    Selon la juridiction de renvoi, une telle façon de procéder ne serait plus pertinente, eu égard aux réformes légales adoptées en Pologne au cours des derniers mois. Ces modifications auraient pour conséquence que les défaillances systémiques et généralisées affectant l’indépendance des juridictions polonaises seraient d’une portée telle qu’aucune personne poursuivie devant ces tribunaux ne serait plus assurée de la garantie de son droit à un tribunal indépendant, quelle que soit sa situation personnelle, la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie ainsi que les faits à la base du MAE.

    33.

    Dans ce nouveau contexte, il serait possible de refuser l’exécution du MAE, sans qu’il soit nécessaire d’examiner spécifiquement si les défaillances systémiques ont des conséquences négatives pour les juridictions concrètes appelées à poursuivre la personne recherchée et si cette personne, en raison de sa situation personnelle, court un risque réel de violation de son droit à un procès équitable ( 12 ).

    34.

    Dans son ordonnance relative à l’affaire C‑412/20 PPU, la juridiction de renvoi souligne en outre que, à la différence de l’affaire C‑354/20 PPU, le MAE : a) a été délivré aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté ; et b) a été émis le 26 mai 2020, c’est-à-dire postérieurement aux événements dont l’évolution démontrerait l’existence d’une pression accrue sur l’indépendance des juridictions polonaises.

    B.   Sur le fond

    35.

    Les questions de la juridiction de renvoi qui revêtent la plus grande importance d’un point de vue général sont celles relatives à la possibilité de refuser l’exécution d’un MAE eu égard à l’inexistence de juridictions indépendantes dans l’État membre d’émission, en raison des défaillances systémiques ou généralisées qui affectent leur indépendance (deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑354/20 PPU et question préjudicielle unique dans l’affaire C‑412/20 PPU).

    36.

    Si cette situation était généralisée, il conviendrait ensuite de déterminer si l’exécution d’un MAE peut être refusée même si « la personne réclamée n’a pas exprimé de préoccupations particulières et même si sa situation personnelle, la nature des infractions pour lesquelles elle est poursuivie et le contexte qui est à la base du MAE ne font pas craindre [...] l’exercice de pressions concrètes ou d’une influence sur son procès pénal par le pouvoir exécutif et/ou législatif » (troisième question préjudicielle dans l’affaire C‑354/20 PPU).

    37.

    Il convient de compléter la réponse à ces questions en déterminant le moment pertinent pour constater si la juridiction d’émission d’un MAE est indépendante (première question préjudicielle dans l’affaire C‑354/20 PPU et question préjudicielle unique dans l’affaire C‑412/20 PPU).

    38.

    À mon avis, la réponse aux deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire C‑354/20 PPU doit, en toute logique, précéder celle apportée à la première : ce n’est qu’après avoir admis que l’autorité judiciaire d’exécution d’un MAE peut refuser de l’exécuter en raison de défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance judiciaire de l’État membre d’émission qu’il y aura lieu de s’interroger sur le point de savoir si ce rejet s’applique aussi bien aux MAE émis avant qu’après que ces défaillances ont atteint le niveau décrit par la juridiction de renvoi.

    1. Incidence sur l’exécution d’un MAE des défaillances systémiques ou généralisées au regard de l’indépendance des juridictions de l’État membre d’émission

    39.

    La Cour a admis que, au-delà des cas de figure expressément visés par les articles 3 à 5 de la décision-cadre, l’exécution d’un MAE peut également être refusée « dans des circonstances exceptionnelles », qui, en raison de leur gravité même, imposent que soient apportées des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre États membres, sur lesquels est fondée la coopération judiciaire en matière pénale.

    40.

    Parmi ces « circonstances exceptionnelles » figurent celles susceptibles de comporter le risque que la personne recherchée soit soumise à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte ( 13 ). Figurent aussi celles manifestant un risque réel de violation du droit fondamental de la personne à un tribunal indépendant et, partant, à un procès équitable, que consacre l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ( 14 ).

    41.

    Dans ces deux cas de figure – c’est-à-dire ceux sur lesquels la Cour s’est jusqu’ici prononcée –, les « circonstances exceptionnelles » requièrent que soit établie l’existence de « défaillances systémiques ou généralisées » dans l’État membre d’émission, que ce soit au regard de l’indépendance des tribunaux, de la situation de certains groupes de personnes ou de certains centres de détention.

    42.

    C’est à l’autorité judiciaire d’exécution qu’il appartient de constater l’existence de telles « circonstances exceptionnelles » ; à cette fin, elle doit disposer d’« éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés » ( 15 ) témoignant de l’existence de telles défaillances systémiques ou généralisées.

    43.

    Entre autres éléments d’appréciation, la Cour s’est référée, notamment, aux « éléments, tels que ceux figurant dans une proposition motivée de la Commission, adoptée en application de l’article 7, paragraphe 1, TUE, tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable [...], en raison de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission » ( 16 ).

    44.

    La Cour a jugé que, en présence de telles « circonstances exceptionnelles », l’autorité judiciaire d’exécution peut mettre fin à la procédure de remise prévue par la décision-cadre. Il s’agit donc d’une réponse exceptionnelle dans le contexte de la décision-cadre, qui, je le répète, n’envisage pas d’autres motifs d’inexécution que ceux prévus dans ses articles 3 à 5. Le caractère exceptionnel des circonstances constatées dans un État membre suscite donc une réponse tout aussi exceptionnelle de la part du droit de l’Union ( 17 ).

    45.

    Cette réponse exceptionnelle connaît toutefois des limites, en ce qu’elle est soumise au respect de certaines conditions. Le caractère exceptionnel ne va pas jusqu’au point d’imposer l’inexécution automatique de tout MAE émis par l’autorité judiciaire de l’État membre connaissant des défaillances systémiques ou généralisées. La réaction du droit de l’Union, aussi grave qu’elle puisse être, demeure plus en retenue, car elle se traduit par l’obligation, pour l’autorité judiciaire d’exécution, de vérifier si, dans les circonstances de l’espèce sur laquelle elle est appelée à se prononcer, ces défaillances sont susceptibles de se matérialiser par la violation réelle et effective des droits fondamentaux de la personne recherchée.

    46.

    Si les défaillances systémiques ou généralisées ont trait à l’indépendance judiciaire, l’autorité judiciaire d’exécution, après avoir constaté qu’elles comportent un risque réel de violation du droit à un procès équitable, devra, « dans un second temps, apprécier, de manière concrète et précise, si, dans les circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, à la suite de sa remise à l’État membre d’émission, la personne recherchée courra ce risque » ( 18 ).

    47.

    En définitive, la possibilité de refuser l’exécution d’un MAE pour des motifs autres que ceux visés aux articles 3 à 5 de la décision-cadre comporte un examen rigoureux, à la charge de l’autorité judiciaire d’exécution, qui s’articule en deux étapes :

    – Dans la première, l’autorité judiciaire d’exécution doit évaluer le risque réel de violation des droits fondamentaux, au regard de la situation générale de l’État membre requérant.

    – Dans la seconde, constatée ci-dessus, elle doit vérifier, « de manière concrète et précise », si, compte tenu des circonstances de l’espèce, il existe un risque réel d’atteinte au droit fondamental de la personne recherchée.

    48.

    La question que pose à présent la juridiction de renvoi est celle de savoir si l’aggravation des défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission peut l’amener à renoncer à la seconde phase de ce double examen.

    49.

    Si tel est le cas, il n’y aurait pas lieu pour l’autorité judiciaire d’exécution d’examiner les circonstances de l’espèce : elle pourrait simplement mettre fin à la procédure de remise lorsque les défaillances sont d’une ampleur telle qu’elles correspondent à l’inexistence dans l’État membre d’émission d’une autorité judiciaire digne de ce nom.

    50.

    Aussi séduisante qu’elle puisse paraître ( 19 ), la solution dégagée par la juridiction de renvoi n’est pas conforme à celle déjà donnée par la Cour. En outre, ainsi que l’observe la Commission dans ses observations écrites, le refus ( 20 ) d’exécuter tous les MAE émis par un État membre entraînerait probablement l’impunité de nombreuses infractions pénales ( 21 ).

    51.

    Le gouvernement néerlandais fait également référence à l’obligation de prévenir l’impunité. De même, lors de l’audience, le gouvernement belge a souligné qu’une telle solution pourrait porter atteinte aux droits des victimes des délits pour lesquels la personne visée par un MAE est recherchée ( 22 ).

    52.

    Si l’on considère la situation sous un autre angle, le fait d’accepter la thèse de la juridiction de renvoi pourrait s’analyser comme un désaveu de la pratique professionnelle de tous les juges de la République de Pologne qui, dans des matières aussi délicates que celles relevant du droit pénal, s’efforcent de recourir aux mécanismes de coopération judiciaire prévus par la décision-cadre. Au risque que présentent, pour leur indépendance, les défaillances systémiques ou généralisées susmentionnées, s’ajouterait l’impossibilité de participer, en tant qu’autorités d’émission ou d’exécution, à ces mécanismes de coopération intra-européens.

    53.

    Dans son arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), la Cour a reconnu que l’existence d’une proposition motivée de la Commission, adoptée au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, aux fins que le Conseil constate un risque clair de violation grave par la République de Pologne des valeurs visées à l’article 2 TUE, pouvait constituer, en combinaison avec d’autres éléments, une base suffisante pour établir la présence de défaillances systémiques ou généralisées dans cet État membre en ce qui concerne l’indépendance de ses juridictions ( 23 ).

    54.

    Malgré la gravité des défaillances alors existantes, la Cour avait écarté la possibilité pour l’autorité judiciaire d’exécution de refuser automatiquement et sans discrimination l’exécution de tout MAE émis par les juridictions de la République de Pologne.

    55.

    La raison en était qu’une telle solution globale est réservée à l’hypothèse dans laquelle le Conseil européen constate, de manière formelle, que l’État membre d’émission viole les valeurs visées à l’article 2 TUE.

    56.

    Selon la Cour, « il ressort du considérant 10 de la décision-cadre [...] que la mise en œuvre du mécanisme du [MAE] ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 2 TUE, constatée par le Conseil européen en application de l’article 7, paragraphe 2, TUE, avec les conséquences prévues au paragraphe 3 du même article » ( 24 ).

    57.

    Je peux souscrire à la remarque de la juridiction de renvoi selon laquelle, si les circonstances prévalant au moment du prononcé de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) étaient déjà préoccupantes, les données ultérieures semblent témoigner de leur aggravation ( 25 ).

    58.

    En effet, outre les réformes législatives mentionnées dans l’ordonnance de renvoi relative à l’affaire C‑354/20 PPU, les décisions les plus récentes de la Cour, auxquelles cette ordonnance fait également référence ( 26 ), mettent en évidence que les défaillances systémiques ou généralisées, en ce qui concerne l’indépendance des juridictions de la République de Pologne, sont susceptibles de menacer les droits fondamentaux des personnes relevant de leur compétence.

    59.

    Il appartient en tout état de cause à la juridiction de renvoi de déterminer, en recourant aux sources dont elle dispose, s’il y a eu aggravation des défaillances systémiques ou généralisées qui, en 2018, ont conduit la Cour à admettre, de manière exceptionnelle et sous certaines conditions, que l’autorité d’exécution d’un MAE le refuse pour d’autres motifs que ceux expressément visés par la décision-cadre.

    60.

    Cependant, bien que la menace pesant sur l’indépendance des juridictions polonaises ait pu ainsi s’aggraver, elle ne saurait permettre, à elle seule, de suspendre de façon automatique et indifférenciée l’application de la décision‑cadre en ce qui concerne l’ensemble des MAE qu’émettent celles-ci.

    61.

    Cette solution extrême dépend moins du nombre et de l’importance des indices permettant de constater l’existence d’un risque réel de violation des droits du justiciable que de la qualité de l’organe auquel il appartient d’effectuer cette constatation et d’agir en conséquence.

    62.

    Conformément à l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), l’autorité judiciaire d’exécution du MAE est habilitée à refuser, après vérification des défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission, la remise de la personne recherchée si, eu égard à la situation personnelle de cette personne ainsi qu’à la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie et au contexte factuel qui est à la base du MAE, elle a acquis la conviction que cette personne est effectivement susceptible de subir une atteinte au droit fondamental que lui garantit l’article 47 de la Charte ( 27 ).

    63.

    Dans cette hypothèse, la juridiction d’exécution appliquera la décision-cadre de la manière dont elle doit être interprétée, conformément à la jurisprudence de la Cour, afin de concilier le mécanisme du MAE avec le respect des droits fondamentaux de l’Union.

    64.

    Tout en maintenant le principe de la remise, cette interprétation le corrige, à titre exceptionnel, en permettant de refuser son application lorsqu’existe, au vu des circonstances particulières de l’espèce, un risque réel de violation des droits de la personne recherchée.

    65.

    À l’inverse, refuser automatiquement toute exécution des MAE après avoir apprécié la gravité des défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission constitue l’inapplication pure et simple de la décision-cadre elle-même.

    66.

    Comme je l’ai déjà rappelé, le considérant 10 de la décision-cadre et la jurisprudence de la Cour n’autorisent pas, dans ces hypothèses, l’inapplication pure et simple des MAE. Une telle inapplication requiert l’adoption par le Conseil européen d’un acte juridique spécifique constatant, en application de l’article 7, paragraphe 2, TUE, que l’État membre d’émission commet une violation grave et persistante des valeurs de l’État de droit visées à l’article 2 TUE.

    67.

    Alors que l’appréciation des défaillances systémiques ou généralisées peut justifier l’inexécution au cas par cas d’un MAE, seule la constatation formelle, par le Conseil européen, d’une violation grave et persistante des principes de l’article 2 TUE est susceptible de justifier l’inapplication indifférenciée de la décision-cadre et, partant, l’inexécution de l’ensemble des MAE émis par les juridictions de l’État membre concerné.

    68.

    Ces deux hypothèses relèvent chacune de deux ordres conceptuels différents.

    69.

    Dans le premier (décision de l’autorité judiciaire d’exécution), les défaillances se traduisent par un risque dont la portée doit être vérifiée au cas par cas ; d’où la nécessité pour la juridiction d’exécution de tenir compte des circonstances particulières de l’affaire dont elle est saisie.

    70.

    Dans le second (intervention du Conseil européen), il n’est plus question de risque, mais de violation complète des principes de l’article 2 TUE, dont la conséquence est l’inapplication générale de la décision-cadre.

    71.

    Il ne s’agit pas seulement, dans un cas, d’un risque d’atteinte aux droits et, dans l’autre, d’une violation des principes de l’article 2 TUE. Il est plus précisément question, dans le premier cas, de défaillances systémiques ou généralisées constatées dans un régime de garantie de droits, qui, du fait desdites défaillances, ne fonctionne pas comme l’exige l’ordre juridique lui-même. Le second cas, au contraire, se caractérise par la disparition même des conditions dans lesquelles un système judiciaire peut protéger les principes de l’État de droit visés à l’article 2 TUE.

    72.

    Les défaillances systémiques ou généralisées que l’on pourrait recenser à propos de l’indépendance des juridictions polonaises ne privent pas ces dernières, à mon sens, de leur caractère juridictionnel. Celles-ci conservent leur qualité de juridictions ( 28 ), même si l’indépendance du pouvoir judiciaire, entendu comme l’ensemble des organes exerçant une compétence juridictionnelle, est menacée par des structures gouvernementales (ou encore par l’exercice exorbitant des fonctions disciplinaires). L’appréciation de ces défaillances, aussi graves soient-elles, ne saurait les priver de cette qualité ( 29 ).

    73.

    Certes, ces défaillances systémiques ou généralisées peuvent être d’une telle ampleur qu’elles en viennent inévitablement à susciter des doutes sérieux quant au respect des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission. Tel pourrait être le cas si le régime disciplinaire des magistrats polonais était utilisé, au détriment de leur indépendance, pour faire peser sur eux une menace permanente visant à obtenir leur soumission au pouvoir exécutif, soit en confiant l’application dudit régime à des organes, même judiciaires, ne bénéficiant pas des garanties appropriées ( 30 ), soit en recourant à la voie disciplinaire pour faire obstacle à des actes juridictionnels tout à fait légitimes ( 31 ).

    74.

    Toutefois, la compétence du juge de l’exécution se borne strictement au MAE sur lequel il est appelé à statuer, et son appréciation des défaillances systémiques ou généralisées doit porter sur l’éventuelle incidence qu’elles exercent sur ce MAE. Sa décision ne peut donc avoir d’effet que sur l’exécution dudit MAE.

    75.

    En revanche, la décision relative au respect des valeurs de l’article 2 TUE porte sur la situation générale de l’État membre concerné et relève de la seule compétence du Conseil européen, dont la constatation formelle de l’existence d’une violation de cette disposition exerce donc ses effets sur l’application de l’ensemble de la décision-cadre à l’égard de cet État membre.

    76.

    Face à une aggravation des défaillances systémiques ou généralisées, et en l’absence de constatation formelle par le Conseil européen, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) doit donc faire preuve d’une vigilance renforcée dans l’examen des circonstances du MAE dont l’exécution lui est demandée ( 32 ), mais sans être dispensé de l’obligation de procéder à cet examen en particulier.

    77.

    À cet égard, il est important de souligner que les informations demandées à l’autorité judiciaire d’émission en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre doivent non seulement être pertinentes aux fins de cet examen particulier, mais aussi se borner à celles que l’autorité judiciaire d’émission est raisonnablement en mesure de fournir ( 33 ).

    78.

    Par conséquent, et conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), tant que le Conseil européen n’a pas formellement constaté une violation grave et persistante dans l’État membre d’émission des principes énoncés à l’article 2 TUE, « l’autorité judiciaire d’exécution ne peut s’abstenir, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la [décision-cadre], de donner suite à un [MAE] [...] que dans des circonstances exceptionnelles où ladite autorité constate, à l’issue d’une appréciation concrète et précise du cas d’espèce, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet de ce [MAE] courra, à la suite de sa remise à l’autorité judiciaire d’émission, un risque réel de violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable » ( 34 ).

    79.

    Il ressort des ordonnances de renvoi que le tribunal a quo ne trouve aucune raison de refuser les remises des deux personnes recherchées dans le cadre de ces procédures pour l’un des motifs visés dans la décision-cadre. En outre, au regard de leur situation personnelle, de la nature des infractions pour lesquelles elles sont poursuivies et du contexte factuel qui est à la base des MAE, il exclut le risque d’une ingérence indue dans les poursuites pénales dont elles font l’objet.

    80.

    S’il en va ainsi, l’éventuelle aggravation des défaillances systémiques ou généralisées du régime d’indépendance des juridictions polonaises ne confère pas le droit à la juridiction de renvoi de refuser purement et simplement l’exécution des MAE en cause.

    2. Le moment pertinent pour apprécier la qualité de juridiction indépendante de l’autorité d’émission d’un MAE

    81.

    Si, comme je le soutiens, la juridiction d’exécution ne peut, après qu’ont été constatées de graves défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance des juridictions de l’État membre d’émission, mettre fin à la procédure de remise sans examiner si ces défaillances exercent éventuellement une incidence réelle et effective sur les circonstances de chaque MAE en particulier, il me paraît dénué de pertinence que l’aggravation de ces défaillances ait eu lieu avant ou après l’émission du MAE.

    82.

    Que l’aggravation de ces défaillances ait eu lieu avant ou après l’émission du MAE, l’élément déterminant est que la juridiction d’émission (qui est appelée à statuer sur le sort de la personne recherchée une fois que celle-ci aura été remise) conserve son indépendance pour se prononcer sur la situation de cette personne, sans faire l’objet d’ingérences externes, de menaces ou de pressions.

    83.

    La nature judiciaire de la procédure de la décision-cadre ne prend pas fin, en ce qui concerne l’autorité demandant la remise de la personne recherchée, avec l’émission du MAE.

    84.

    Ainsi qu’il ressort de l’article 15 de la décision-cadre, l’autorité judiciaire d’exécution doit être à même de compter à tout moment sur un interlocuteur judiciaire dans l’État membre d’émission, de telle sorte qu’elle puisse décider de la remise sur la base d’informations suffisantes et fiables, fournies directement par l’autorité judiciaire d’émission.

    85.

    En effet, compte tenu de l’atteinte grave à la liberté qu’implique la procédure de remise ( 35 ), il peut s’avérer indispensable de recueillir des informations complémentaires permettant à l’autorité judiciaire d’exécution d’établir les circonstances exactes à l’origine de l’émission du MAE et, en particulier, les conditions dans lesquelles la personne recherchée se verra placée après sa remise.

    86.

    Seule une autorité d’émission n’ayant pas perdu dans l’intervalle sa qualité de juridiction indépendante est à même d’offrir le haut niveau de confiance sur lequel doit s’appuyer l’autorité judiciaire d’exécution pour décider de la pertinence de la remise.

    87.

    Il appartient alors à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier si, dans les circonstances de chacun des MAE spécifiques qui lui ont été adressés, le droit à un procès équitable de la personne recherchée peut être sérieusement et effectivement remis en cause. Et ce, je le répète, aussi bien lorsque les défaillances sont systémiques ou généralisées à la date de l’émission du MAE que si elles interviennent par la suite et subsistent au moment de la remise éventuelle de cette personne.

    88.

    Dans le premier cas, le tribunal d’exécution peut légitimement nourrir des doutes quant à la régularité de l’émission du MAE. Dans le second, il lui sera permis de douter du traitement susceptible d’être réservé à la personne recherchée après sa remise à la juridiction d’émission.

    89.

    L’important, dans les deux hypothèses, est que la juridiction d’exécution examine dans quelle mesure l’une ou l’autre circonstance est susceptible de constituer un risque réel pour les droits de la personne recherchée, si sa remise se réalise.

    90.

    Il est vrai, toutefois, que le risque concret de violation de l’article 47 de la Charte, en raison du manque d’indépendance de l’autorité judiciaire d’émission, est considérablement réduit si cette dernière était indépendante lors de l’émission du MAE, même si (en théorie) elle a cessé de l’être depuis lors.

    91.

    De même, ce risque est diminué si le MAE est délivré en vue de l’exécution d’une condamnation à une peine privative de liberté infligée à la personne recherchée à un moment où le caractère indépendant de la juridiction pénale qui a prononcé la condamnation ne faisait aucun doute.

    V. Conclusion

    92.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante au rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) :

    L’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que :

    En l’absence de constatation formelle par le Conseil européen, en application de l’article 7, paragraphe 2, TUE, d’une violation grave et persistante des valeurs visées à l’article 2 TUE par l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen qu’après avoir vérifié, de manière concrète et précise, que, eu égard à la situation personnelle de la personne recherchée, ainsi qu’à la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie et au contexte factuel qui est à la base du mandat d’arrêt européen, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que celle-ci courra un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    Ce risque peut être constitué aussi bien lorsque les défaillances systémiques ou généralisées existaient au moment de l’émission du mandat d’arrêt européen que lorsqu’elles sont survenues ultérieurement et persistent au moment de la remise éventuelle de la personne recherchée.


    ( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

    ( 2 ) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre »).

    ( 3 ) Arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, ci‑après l’« arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) », EU:C:2018:586).

    ( 4 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, ci-après l’ arrêt Aranyosi et Căldăraru , EU:C:2016:198).

    ( 5 ) Si le gouvernement polonais conteste la prémisse majeure de l’argumentation exposée dans la décision de renvoi, il n’en soutient pas moins que l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) fournit la réponse aux questions formulées dans ladite décision.

    ( 6 ) Loi portant mise en œuvre de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres de l’Union européenne.

    ( 7 ) Stb. 2004, no 195.

    ( 8 ) Stb. 2017, no 82.

    ( 9 ) Concrètement, pour purger le solde de sept mois d’une peine privative de liberté d’un an, prononcée par un jugement du 18 juillet 2019 du Sąd Rejonowy w Wieluniu (tribunal d’arrondissement de Wieluń, Pologne), pour des délits de menaces et de violence.

    ( 10 ) Point 4 de la décision de renvoi dans l’affaire C‑354/20 PPU.

    ( 11 ) Point 4 de la décision de renvoi dans l’affaire C‑354/20 PPU.

    ( 12 ) Cette thèse est conforme à celle proposée par la High Court (Haute Cour, Irlande) dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU), mais n’a pas été suivie par la Cour. Dans les conclusions qu’il a présentées dans cette affaire (EU:C:2018:517, point 98), l’avocat général Tanchev a relevé que « [l]e juge de renvoi estime que, dans une hypothèse où les défaillances du système judiciaire de l’État membre d’émission sont particulièrement graves, c’est-à-dire où cet État membre ne respecte plus l’État de droit, il doit refuser la remise sans avoir à vérifier que la personne concernée sera exposée à un tel risque ».

    ( 13 ) Voir arrêt Aranyosi et Căldăraru, point 104.

    ( 14 ) Voir arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 59.

    ( 15 ) Arrêt Aranyosi et Căldăraru, point 104.

    ( 16 ) Arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 79.

    ( 17 ) La Cour a jugé que cette réponse exceptionnelle trouve son fondement, « d’une part, sur l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre, qui prévoit que celle-ci ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés aux articles 2 et 6 TUE et, d’autre part, sur le caractère absolu du droit fondamental garanti par l’article 4 de la Charte » [arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 45]. À ces fondements s’ajoute, selon ce même arrêt, celui visé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte en ce qu’il reconnaît le droit à un tribunal indépendant et, partant, à un procès équitable [arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 59].

    ( 18 ) Arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 68 ; mise en italique par mes soins.

    ( 19 ) Son attractivité ne saurait cependant masquer une certaine radicalité. Dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU), la position de la Commission sur ce point, telle que l’avait retranscrite l’avocat général Tanchev dans ses conclusions (EU:C:2018:517, point 108), était que, « même s’il a été constaté que l’État de droit dans l’État membre d’émission est gravement menacé [...], l’on ne peut exclure qu’il puisse y avoir des contextes dans lesquels la capacité des juridictions à mener un procès avec l’indépendance nécessaire pour garantir le respect du droit fondamental consacré par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte est préservée ». La Commission approuve cette même position, dans des termes différents, au point 27 de ses observations écrites dans l’affaire C‑354/20 PPU.

    ( 20 ) Au point 19 de l’ordonnance de renvoi relative à l’affaire C‑354/20 PPU, la juridiction a quo reconnaît qu’une réponse affirmative à ses questions équivaudrait « de facto à la suspension du flux de remises avec la Pologne jusqu’à ce que la législation polonaise garantisse de nouveau l’indépendance des juridictions d’émission ».

    ( 21 ) Point 30 des observations écrites de la Commission. Le ministère public relève également qu’une telle généralisation pourrait aboutir à rendre irréalisable, dans son ensemble, le système de remise au sein de l’Union (point final de ses observations écrites).

    ( 22 ) Le gouvernement belge a fait mention de l’arrêt de la Cour EDH du 9 juillet 2019, Romeo Castaño c. Belgique (CE:ECHR:2019:0709JUD000835117), concernant l’atteinte au droit garanti par l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) lorsque les États manquent à leur obligation de coopérer entre eux, au moyen du mécanisme du MAE, aux fins de remettre à la disposition de la justice l’auteur présumé d’un assassinat et d’autres délits.

    ( 23 ) Arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 69.

    ( 24 ) Arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 70.

    ( 25 ) Dans son rapport sur la situation de l’État de droit dans l’Union européenne, de septembre 2020, la Commission attire l’attention sur le fait que « [l]es réformes, qui touchent le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême, les juridictions de droit commun, le Conseil national de la magistrature et le ministère public, ont renforcé l’influence des pouvoirs exécutif et législatif sur le système de justice, et ont, de ce fait, réduit l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Document de travail des services de la Commission, Rapport 2020 sur l’État de droit, Chapitre consacré à la situation de l’État de droit en Pologne [SWD(2020) 320 final].

    ( 26 ) Voir, en particulier, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), et du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234) ; de même, ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277).

    ( 27 ) Dans ses conclusions dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:517, point 113), l’avocat général Tanchev s’est montré enclin à adopter la proposition de la Commission, qui avait suggéré, « notamment, de vérifier si la personne qui fait l’objet du [MAE] est un opposant politique ou si elle appartient à un groupe social ou ethnique qui fait l’objet de discriminations. La Commission propose également d’examiner, notamment, si l’infraction pour laquelle la personne concernée est poursuivie est de nature politique ou si le pouvoir en place s’est livré à des déclarations publiques concernant cette infraction ou sa sanction. De telles propositions me semblent devoir être adoptées ». Les situations correspondant aux MAE aujourd’hui en cause ne paraissent pas présenter ce type de connotations.

    ( 28 ) À défaut, les répercussions pourraient éventuellement s’étendre à d’autres domaines de l’activité juridictionnelle, tels que ceux relatifs à la coopération judiciaire civile ou à la qualité pour présenter des demandes préjudicielles (article 267 TFUE), qui est strictement réservée aux juridictions.

    ( 29 ) L’application de la doctrine établie par la Cour à propos de la nature judiciaire du ministère public aux fins de l’émission d’un MAE est donc dépourvue de pertinence. Voir notamment arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456). L’absence d’indépendance d’un ministère public pouvant recevoir des instructions en vertu de son droit national ne correspond pas à une défaillance systémique ou généralisée de son régime institutionnel, mais à une caractéristique propre audit régime, qui l’empêche d’émettre un MAE, mais non pas d’agir en tant que ministère public. En revanche, l’absence généralisée d’indépendance des juridictions d’un État membre ne peut résulter que d’une défaillance du système judiciaire, puisque l’Union ne consent pas à l’adhésion d’États ne disposant pas de juridictions indépendantes.

    ( 30 ) Dans son arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 171), la Cour a jugé qu’il appartenait à la juridiction de renvoi de déterminer si, après l’entrée en vigueur, le 3 avril 2018, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême) pouvait être qualifiée d’indépendante et d’impartiale, étant entendu qu’il incombait à celle-ci de vérifier si « les conditions objectives dans lesquelles a été créée l’instance concernée et les caractéristiques de celle-ci ainsi que la manière dont ses membres ont été nommés sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, ainsi, sont susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite instance qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer auxdites justiciables dans une société démocratique ». Dans son ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277), la Cour a suspendu, à titre provisoire, l’application de certaines dispositions de la législation polonaise qui constituent le fondement de la compétence de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) pour connaître des procédures disciplinaires concernant les juges.

    ( 31 ) Dans son arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 58), la Cour, devant laquelle était alléguée l’existence de procédures disciplinaires engagées à l’encontre de juges polonais ayant posé des questions préjudicielles, a jugé que des « dispositions nationales dont il découlerait que les juges nationaux peuvent s’exposer à des procédures disciplinaires en raison du fait qu’ils ont saisi la Cour d’un renvoi à titre préjudiciel ne sauraient ainsi être admises ».

    ( 32 ) En particulier, comme je l’ai déjà exposé, il doit tenir compte de la situation personnelle de la personne recherchée ainsi que de la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie et du contexte factuel qui est à la base de l’émission du MAE [arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 75].

    ( 33 ) Deux des questions adressées à l’autorité judiciaire d’émission dans l’affaire C‑354/20 PPU auraient plutôt dû être adressées au Sąd Najwyższy (Cour suprême). (Voir point 17 des présentes conclusions.)

    ( 34 ) Arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), point 73. Selon le gouvernement néerlandais, cette approche correspond à celle de la Cour EDH, qui accorde une attention spéciale à l’analyse des circonstances particulières, afin de déterminer s’il existe un risque concret que le manque d’indépendance se traduise par un déni de justice flagrant [arrêts du 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2012:0117JUD000813909, § 258 à 262), et du 9 juillet 2019, Kislov c. Russie (CE:ECHR:2019:0709JUD000359810, § 109)]. L’avocat général Tanchev s’est également référé à cette jurisprudence dans ses conclusions dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:517, point 109), en soulignant que, « afin de vérifier s’il existe un risque réel de déni de justice flagrant, [la Cour EDH] tient compte, en pratique, non seulement de la situation dans le pays de destination, mais également des circonstances propres à l’intéressé » ; il a cité à cet effet l’arrêt de la Cour EDH du 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) c. Royaume‑Uni (CE:ECHR:2012:0117JUD000813909, § 272 et 277 à 279).

    ( 35 ) Qui peut comporter des privations de liberté allant jusqu’à 120 jours, comme je l’ai indiqué dans mes conclusions dans les affaires OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:337, point 58).

    Top