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Document 62020CC0055

    Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 17 juin 2021.
    Minister Sprawiedliwości contre Prokurator Krajowy – Pierwszy Zastępca Prokuratora Generalnego et Rzecznik Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie.
    Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction nationale” – Conseil de discipline du barreau – Enquête disciplinaire ouverte à l’égard d’un avocat – Décision de l’agent disciplinaire concluant à une absence de manquement disciplinaire et clôturant l’enquête – Recours du ministre de la Justice devant le conseil de discipline du barreau – Directive 2006/123/CE – Services dans le marché intérieur – Article 4, point 6, et article 10, paragraphe 6 – Régime d’autorisation – Retrait de l’autorisation – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Inapplicabilité.
    Affaire C-55/20.

    ;

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:500

     CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MICHAL BOBEK

    présentées le 17 juin 2021 ( 1 )

    Affaire C‑55/20

    Minister Sprawiedliwości

    parties intervenantes :

    Prokurator Krajowy – Pierwszy Zastępca Prokuratora Generalnego,

    Rzecznik Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie

    [demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (conseil de discipline du barreau de Varsovie, Pologne)]

    « Renvoi préjudiciel – Libre prestation de services de conseil juridique – Procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat – Champs d’application respectifs de la directive 2006/123/CE et de la directive 98/5/CE – Applicabilité de la directive 2006/123/CE aux procédures disciplinaires – Régimes d’autorisation – Notion de “juridiction” –Conseil de discipline d’un barreau local composé de juges non professionnels – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et article 19, paragraphe 1, TUE – Pouvoirs des juridictions inférieures lorsqu’une juridiction nationale supérieure n’est pas indépendante »

    I. Introduction

    1.

    En juillet 2017, le Prokurator Krajowy – Pierwszy Zastępca Prokuratora Generalnego (procureur national – premier substitut du procureur général) (ci‑après le « procureur national ») a demandé au Rzecznik Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (agent disciplinaire du barreau de Varsovie, Pologne) (ci-après l’« agent disciplinaire du barreau de Varsovie » ou l’« agent disciplinaire ») d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’avocat de l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk. Selon le procureur national, les déclarations de cet avocat, lorsqu’il a commenté publiquement l’éventuelle inculpation de son client, constituaient des menaces illégales et une faute disciplinaire. Par deux fois, l’agent disciplinaire a refusé d’engager une telle procédure ou a décidé d’y mettre fin. Par deux fois, le Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (conseil de discipline du barreau de Varsovie, Pologne) (ci-après le « conseil de discipline ») a, à la suite de recours introduits par le procureur national ou le Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice, Pologne), réformé ces décisions et renvoyé l’affaire à l’agent disciplinaire.

    2.

    La présente demande de décision préjudicielle a été présentée lors du troisième « tour » de cette procédure, dans le cadre duquel le conseil de discipline est appelé, à la suite d’un nouveau recours introduit par le procureur national et le ministre de la Justice, à examiner la décision de l’agent disciplinaire de clore une nouvelle fois l’enquête disciplinaire à l’encontre de cet avocat. La juridiction de renvoi souhaite savoir si la directive 2006/123/CE (ci-après la « directive “services” ») ( 2 ) et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») s’appliquent aux procédures disciplinaires actuellement pendantes devant elle. Il semble toutefois que le cœur du problème auquel est confrontée la juridiction de renvoi soit ailleurs : quelles conséquences concrètes, en matière de procédure, la juridiction de renvoi peut-elle tirer de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire A. K. e.a. ( 3 ) étant donné que sa décision pourrait faire l’objet d’un pourvoi devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême, Pologne) ? Comment peut-elle, précisément et concrètement, garantir le respect du droit de l’Union ?

    II. Le cadre juridique

    A.   Le droit de l’Union

    La directive « services »

    3.

    Le considérant 33 de la directive « services » indique que « [l]es services couverts par la présente directive concernent une grande variété d’activités en constante évolution [...] Les services couverts englobent également les services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs, tels que les services de conseil juridique ou fiscal [...] ».

    4.

    Selon le considérant 39 de cette directive, « [l]a notion de “régime d’autorisation” recouvre notamment les procédures administratives par lesquelles sont octroyés des autorisations, licences, agréments ou concessions, mais aussi l’obligation, pour pouvoir exercer l’activité, d’être inscrit à un ordre professionnel ou dans un registre, dans un rôle ou une base de données, d’être conventionné auprès d’un organisme ou d’obtenir une carte professionnelle [...] »

    5.

    L’article 1er, paragraphe 5, de la directive « services » dispose :

    « La présente directive n’affecte pas les règles de droit pénal des États membres. Toutefois, les États membres ne peuvent restreindre la libre prestation des services en appliquant des dispositions pénales qui réglementent ou affectent de façon particulière l’accès à une activité de service ou l’exercice d’une telle activité à l’effet de contourner les règles énoncées dans la présente directive. »

    6.

    L’article 4 de la directive « services » contient un certain nombre de définitions aux fins de celle-ci. Conformément au point 6 de cet article, un « régime d’autorisation » est défini comme « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ».

    7.

    L’article 9, paragraphe 3, de la directive « services », qui fait partie de la section 1, intitulée « Autorisations », du chapitre III relatif à la « [l]iberté d’établissement des prestataires », prévoit que cette section ne s’applique pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instruments communautaires.

    8.

    L’article 10 de cette directive, intitulé « Conditions d’octroi de l’autorisation », est libellé comme suit :

    « 1.   Les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

    2.   Les critères visés au paragraphe 1 sont :

    a)

    non discriminatoires ;

    b)

    justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général ;

    c)

    proportionnels à cet objectif d’intérêt général ;

    d)

    clairs et non ambigus ;

    e)

    objectifs ;

    f)

    rendus publics à l’avance ;

    g)

    transparents et accessibles.

    [...]

    6.   Excepté lorsque l’autorisation est octroyée, toute décision des autorités compétentes, y compris le refus ou le retrait de l’autorisation, doit être dûment motivée et doit pouvoir faire l’objet d’un recours devant les tribunaux ou autres instances de recours.

    [...] »

    B.   Le droit polonais

    1. Dispositions générales relatives au barreau

    9.

    Aux termes de l’article 9 de l’ustawa z dnia 26 maja 1982 r. – Prawo o adwokaturze (loi du 26 mai 1982 relative aux avocats) (ci-après la « loi relative aux avocats ») :

    « 1.   Les organes du barreau sont : l’assemblée nationale du barreau, le conseil supérieur du barreau, le conseil supérieur de discipline, l’agent disciplinaire du barreau et la commission supérieure d’audit.

    2.   Seuls les avocats peuvent être membres des organes du barreau. »

    10.

    L’article 11 de la loi relative aux avocats dispose :

    « 1.   Les organes du barreau ainsi que les organes des barreaux locaux et des associations d’avocats sont élus au scrutin secret parmi des candidats dont le nombre n’est pas limité.

    2.   Le mandat des organes du barreau ainsi que des organes des barreaux locaux et des associations d’avocats a une durée de quatre ans. Toutefois leurs membres sont tenus de siéger jusqu’à l’installation des organes nouvellement élus.

    [...]

    4.   Les membres des organes visés au paragraphe 1 peuvent être révoqués avant le terme de leur mandat par l’organe qui les a élus.

    [...] »

    11.

    L’article 58 de la loi relative aux avocats dispose :

    « Relèvent des attributions du conseil supérieur du barreau :

    [...]

    13) la suspension des fonctions pour manquement aux obligations principales des membres des organes des barreaux et des associations d’avocats, à l’exception des membres des organes de discipline, et la demande de leur révocation auprès des autorités compétentes ;

    [...] »

    2. Dispositions relatives aux manquements disciplinaires

    12.

    Aux termes de l’article 80 de la loi relative aux avocats :

    « Les avocats et avocats stagiaires s’exposent à des sanctions disciplinaires pour tout comportement contraire à la loi, aux principes de déontologie ou à la dignité de la profession, ainsi que pour tout manquement à leurs obligations professionnelles [...] »

    13.

    L’article 81, paragraphe 1, de la loi relative aux avocats est libellé comme suit :

    « Les sanctions disciplinaires sont les suivantes :

    (1) l’avertissement ;

    (2) la réprimande ;

    (3) l’amende ;

    (4) la suspension des activités professionnelles pour une durée de trois mois à cinq ans ;

    [...]

    (6) l’exclusion du barreau. »

    14.

    Aux termes de l’article 82, paragraphe 2, de la loi relative aux avocats :

    « L’exclusion du barreau s’accompagne de la radiation de la liste des avocats sans possibilité de demander la réintégration sur cette liste pendant une période de 10 ans à compter du jour où la décision d’exclusion du barreau devient définitive. »

    3. Dispositions relatives à l’administration de la justice par les conseils de discipline du barreau

    15.

    Aux termes de l’article 40, point 2, de la loi relative aux avocats :

    « Relève du champ d’activité de l’assemblée du barreau [...] l’élection du Bâtonnier, du président du conseil de discipline, de l’agent disciplinaire, du président de la commission d’audit ainsi que des membres et membres suppléants du conseil régional des avocats, du conseil de discipline et de la commission d’audit. »

    16.

    Aux termes de l’article 91 de la loi relative aux avocats :

    « 1.   Statuent en matière disciplinaire :

    1)

    le conseil de discipline du barreau ;

    2)

    le conseil supérieur de discipline.

    2.   Le conseil de discipline du barreau examine toutes les affaires en tant que juridiction de première instance, à l’exception des affaires visées à l’article 85, paragraphe 3[,] et de l’examen des recours contre une décision de l’agent disciplinaire de ne pas ouvrir une procédure disciplinaire ou de clôturer une telle procédure.

    3.   Le conseil supérieur de discipline examine :

    1)

    en tant que juridiction de deuxième instance, les affaires examinées en première instance par le conseil de discipline du barreau ;

    2)

    en tant que juridiction de première instance[,] les affaires disciplinaires concernant les membres du Conseil supérieur du barreau et des conseils régionaux d’avocats ;

    3)

    les autres affaires visées par la loi.

    [...] »

    17.

    L’article 89, paragraphe 1, de la loi relative aux avocats dispose :

    « Le conseil de discipline exerce son activité juridictionnelle en toute indépendance. »

    4. Dispositions relatives à la procédure devant les juridictions disciplinaires du barreau

    18.

    L’article 88 a, paragraphe 4, de la loi relative aux avocats dispose :

    « Les parties et le ministre de la Justice peuvent interjeter appel des décisions et ordonnances clôturant une procédure disciplinaire dans un délai de quatorze jours à compter du jour de la notification de la copie de la décision ou de l’ordonnance accompagnée de leur motivation et des indications relatives aux délais et modalités d’appel. »

    19.

    L’article 91 c de la loi relative aux avocats prévoit :

    « Le pourvoi en cassation est introduit devant la Cour suprême par l’intermédiaire du conseil supérieur de discipline dans un délai de 30 jours à compter du jour de la notification de la décision accompagnée de sa motivation. »

    20.

    L’article 95 n de la loi relative aux avocats prévoit :

    « Dans les matières non régies par la présente loi, les procédures disciplinaires sont régies par les dispositions appropriées :

    1) du code de procédure pénale ;

    2) des chapitres I à III du code pénal. »

    21.

    Aux termes de l’article 100, paragraphe 8, du Kodeks postępowania karnego (code de procédure pénale, ci-après le « code de procédure pénale ») :

    « Après le prononcé ou lors de la notification de la décision ou de l’ordonnance, les parties à la procédure sont informées de leur droit d’introduire un recours, du délai et des modalités pour le faire ou du fait que la décision ou l’ordonnance n’est pas susceptible de recours. »

    22.

    L’article 521, paragraphe 1, du code de procédure pénale dispose :

    « Le procureur général ainsi que le médiateur peuvent former un pourvoi en cassation contre toute décision définitive d’une juridiction clôturant la procédure. »

    III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

    23.

    Le 20 juillet 2017, le procureur national a demandé à l’agent disciplinaire du barreau de Varsovie d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de R. G., l’avocat de l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk. Le procureur national estimait que R. G. avait outrepassé les limites de la liberté d’expression des avocats lorsqu’il s’était exprimé publiquement les 10 et 11 octobre 2016 sur l’éventualité d’une inculpation de son client. Du point de vue du procureur national, les déclarations de R. G. pouvaient être comprises comme constituant des menaces illégales et une faute disciplinaire.

    24.

    Le 7 novembre 2017, l’agent disciplinaire du barreau de Varsovie a refusé d’ouvrir une enquête disciplinaire. Le 23 mai 2018, sur appel du procureur national, le conseil de discipline du barreau de Varsovie a réformé cette décision. L’affaire a été renvoyée à l’agent disciplinaire.

    25.

    Le 18 juin 2018, l’agent disciplinaire a ouvert une enquête disciplinaire à l’encontre de R. G. pour les faits susmentionnés. Le 28 novembre 2018, après avoir conclu que les agissements de R. G. ne constituaient pas des fautes disciplinaires, l’agent disciplinaire a décidé de clore l’enquête. Le 13 juin 2019, à la suite d’un recours introduit par le procureur national et par le ministre de la Justice, le conseil de discipline a réformé cette décision. L’affaire a été renvoyée, pour la deuxième fois, à l’agent disciplinaire pour réexamen.

    26.

    Le 8 août 2019, l’agent disciplinaire a, une nouvelle fois, mis fin à l’enquête disciplinaire à l’encontre de R. G. Le procureur national et le ministre de la Justice ont tous deux formé un recours contre cette décision. Le conseil de discipline est ainsi actuellement saisi de cette question pour la troisième fois.

    27.

    Dans ce contexte factuel et juridique, le Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (conseil de discipline du barreau de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Le chapitre III de la [directive “services”], et notamment son article 10, paragraphe 6, s’appliquent-ils à une procédure disciplinaire visant les avocats et les avocats étrangers inscrits sur la liste des avocats, et permettant notamment d’infliger à un avocat une sanction pécuniaire, la suspension de ses activités professionnelles, voire sa radiation du barreau, et à un avocat étranger une sanction pécuniaire, la suspension, voire l’interdiction du droit de fournir une assistance juridique en Pologne ? En cas de réponse positive, la [Charte], notamment son article 47, est-elle applicable à cette procédure menée devant les conseils de discipline du barreau, dès lors que les décisions de ces juridictions ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions nationales ou ne sont susceptibles que d’un recours extraordinaire, à savoir un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), et est-elle également applicable lorsque tous les éléments pertinents de l’affaire se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ?

    2)

    Lorsque, dans une procédure visée à la première question, l’instance qui est compétente en vertu des dispositions nationales applicables pour statuer sur le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt ou l’ordonnance du conseil de discipline du barreau, ou contre la réclamation visant le refus d’introduire un tel pourvoi, n’est pas, conformément à la position adoptée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) dans son arrêt du 5 décembre 2019, réf. III PO 7/18, un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte, le conseil de discipline du barreau doit-il écarter les dispositions nationales établissant la compétence de cette instance et transmettre ce pourvoi ou cette réclamation aux instances judiciaires qui auraient été compétentes si les dispositions susmentionnées ne s’y opposaient pas ?

    3)

    Lorsque – dans une procédure visée à la première question – le conseil de discipline du barreau considère que le [procureur général] et le [médiateur] ne sont pas habilités à former un pourvoi en cassation contre son arrêt ou son ordonnance et que sa position est :

    a)

    contraire à la position exprimée dans la décision du 27 novembre 2019, réf. II DSI 67/18, de [l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)], siégeant en formation de sept juges, c’est-à-dire de l’instance qui, conformément aux dispositions nationales en vigueur, est compétente pour connaître du recours formé contre le refus d’introduire un pourvoi en cassation, mais qui, selon le conseil de discipline du barreau qui se rallie à la position adoptée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) dans son arrêt du 5 décembre 2019, réf. III PO 7/18, n’est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte ;

    b)

    conforme à la position exprimée précédemment par [l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême)], c’est-à-dire l’instance judiciaire qui serait compétente pour examiner ce recours si les dispositions susmentionnées ne s’y opposaient pas ;

    le conseil de discipline du barreau peut-il (ou doit-il) écarter la position exprimée par [l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)] ?

    4)

    Si, dans l’affaire visée à la troisième question, le conseil de discipline du barreau est amené à examiner un recours du [ministre de la Justice], mais que :

    a)

    l’influence du pouvoir exécutif, notamment celle du [ministre de la Justice], sur la composition de [l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)] constitue l’un des facteurs qui, selon l’appréciation exprimée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) dans son arrêt du 5 décembre 2019, réf. III PO 7/18, appréciation que partage le conseil de discipline du barreau, justifient de considérer que cette chambre disciplinaire, qui est l’instance visée à la troisième question, sous a), n’est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte ;

    b)

    et que le [ministre de la Justice] exerce lui-même la fonction de [procureur général], lequel serait habilité à introduire un pourvoi en cassation selon la position exprimée par [l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)], à savoir l’instance visée à la troisième question, sous a), tandis qu’il n’y est pas selon la position exprimée par [l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême)], à savoir l’instance visée à la troisième question, sous b), et selon la position du conseil de discipline du barreau,

    ce conseil de discipline du barreau doit-il s’abstenir d’examiner le recours s’il s’agit de la seule manière d’assurer que la procédure respecte l’article 47 de la Charte et, en particulier, d’éviter qu’une instance qui n’est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de cette disposition n’intervienne dans la procédure ? »

    28.

    Le procureur national, les gouvernements néerlandais et polonais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

    29.

    Le 16 février 2021, le conseil de discipline a répondu à la demande d’éclaircissements que la Cour lui a adressée conformément à l’article 101 du règlement de procédure de la Cour.

    IV. Analyse

    30.

    Les présentes conclusions sont structurées de la manière suivante. Je commencerai par déterminer si le conseil de discipline du barreau de Varsovie est une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE (section A). J’aborderai ensuite la première question préjudicielle qui concerne l’applicabilité de la directive « services » et de l’article 47 de la Charte aux procédures disciplinaires à l’encontre d’avocats (section B) avant de me pencher sur les deuxième à quatrième questions préjudicielles qui portent sur les pouvoirs dont dispose le conseil de discipline afin d’assurer le respect du droit de l’Union (section C).

    A.   Le conseil de discipline est-il une juridiction au sens de l’article 267 TFUE ?

    31.

    Selon une jurisprudence constante, pour apprécier le point de savoir si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tiendra compte des éléments suivants : l’origine légale de l’organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organe, des règles de droit, ainsi que son indépendance ( 4 ).

    32.

    Le conseil de discipline remplit la plupart de ces conditions. Comme cela est indiqué dans la décision de renvoi sans qu’aucune des parties intéressées le conteste, le conseil de discipline a été institué par la loi relative aux avocats ; il est permanent ; il applique les règles de procédure prévues par la loi relative aux avocats et par le code de procédure pénale ; ses décisions sont contraignantes et exécutoires. En outre, le droit national semble conférer au conseil de discipline une compétence obligatoire pour connaître des litiges disciplinaires.

    33.

    Toutefois, alors que la Commission considère que le conseil de discipline est de ce fait une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, le procureur national et le gouvernement polonais ne partagent pas cette conclusion.

    34.

    Selon le procureur national, eu égard au stade de la procédure disciplinaire en cause et à l’objet du litige, le conseil de discipline n’est pas une juridiction. Dans le cadre de la procédure au principal, l’agent disciplinaire du barreau de Varsovie n’a pas encore incriminé R. G. d’une faute disciplinaire. Dès lors, la phase contradictoire de la procédure n’a pas été ouverte. En outre, lorsqu’il contrôle la décision de l’agent disciplinaire de mettre un terme à la procédure disciplinaire, le conseil de discipline ne statue pas sur le droit de R. G. d’exercer son activité professionnelle au titre du chapitre III de la directive « services », mais vérifie simplement le bien-fondé de la décision empêchant de statuer sur la responsabilité disciplinaire de R. G.

    35.

    Selon le gouvernement polonais, non seulement le conseil de discipline n’est pas une juridiction au sens de l’article 179 de la Constitution polonaise, mais, de surcroît, il ne saurait être considéré comme étant indépendant au sens de l’article 267 TFUE. Premièrement, ses membres sont élus, pour un mandat renouvelable de quatre ans, par l’assemblée générale du barreau concerné. Ainsi, les juges siégeant au conseil de discipline statuent sur des affaires disciplinaires qui concernent leurs collègues, grâce à l’appui desquels ils ont été élus et sont susceptibles d’être renouvelés. Deuxièmement, les membres du conseil de discipline ne bénéficient d’aucune garantie quant à leur mandat. Ils peuvent être révoqués avant la fin de celui-ci par l’organe qui les a élus, à savoir l’assemblée générale réunissant tous les avocats du barreau concerné. Troisièmement, il est peu probable que les juges siégeant au conseil de discipline soient imperméables aux éléments extérieurs. En l’espèce, le président du conseil de discipline, bien que ne siégeant pas dans la formation de jugement, aurait informé les parties de la possibilité de contester la suspension de la procédure aux fins de la demande de décision préjudicielle alors que la formation de jugement a considéré que l’ordonnance de renvoi n’était pas susceptible de recours.

    36.

    En résumé, alors que le procureur national conteste l’existence d’un véritable litige inter partes pendant devant le conseil de discipline, le gouvernement polonais considère que cet organe n’est pas indépendant. Je traiterai ces deux points successivement.

    1. Un litige inter partes ?

    37.

    Pour qu’il y ait une juridiction au sens de l’article 267 TFUE, il faut un litige inter partes. Bien que cette exigence fasse partie des critères de l’arrêt Dorsch ( 5 ), il est sans doute juste d’admettre qu’elle n’est pas insurmontable – la Cour a itérativement souligné que ce n’était pas un critère absolu ( 6 ).

    38.

    De plus, une juridiction nationale ne peut saisir la Cour que si un litige est pendant devant elle et qu’elle est appelée à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel ( 7 ). Dans ces limites, il appartient néanmoins à la seule juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu, selon elle, de déférer une question préjudicielle ( 8 ). La Cour exige seulement que le litige soit pendant devant la juridiction nationale au moment du renvoi préjudiciel ( 9 ).

    39.

    En l’espèce, le procureur national fait valoir que la procédure devant le conseil de discipline n’est pas contradictoire, car le « litige » a trait à la décision (de l’agent disciplinaire) de mettre fin à l’enquête disciplinaire (par opposition à une décision d’ouvrir une procédure disciplinaire ou d’imposer une sanction disciplinaire). Cela semble suggérer que la procédure se trouve à un stade plus précoce, sans qu’il y ait encore eu d’échange direct entre R. G. et les organes disciplinaires compétents. Il n’y aurait donc pas de réel litige pendant.

    40.

    Je ne suis pas d’accord.

    41.

    Le procureur national semble confondre deux éléments : l’existence d’une procédure contradictoire entre des parties et la nécessité qu’il existe un litige très spécifique impliquant deux parties bien réelles. Sur ce fondement, le procureur national suggère en substance que, en raison de l’absence d’un « véritable procès » sur le fond dans le cadre d’une procédure disciplinaire entre deux parties spécifiques, il n’existe pas de réel litige ni, de ce fait, de procédure contradictoire.

    42.

    Toutefois, pour qu’il y ait un litige inter partes, la jurisprudence rappelée aux points précédents des présentes conclusions ne requiert qu’un réel litige concernant la législation et son application entre des parties ( 10 ). Vu sous cet angle, il existe clairement un litige inter partes puisque les parties sont l’agent disciplinaire, d’une part, et le procureur national et le ministre de la Justice, d’autre part, et que le litige est porté devant un tiers, à savoir le conseil de discipline. La question de savoir si R. G. est, techniquement, partie à ce litige et celle de savoir à quelle phase de la procédure le droit national confère à R. G. des droits en qualité de partie poursuivie sont, du point de vue de l’existence d’un réel litige inter partes, dénuées de pertinence.

    43.

    Il en va de même en ce qui concerne la phase de la procédure : là encore, en matière de recevabilité, la jurisprudence de la Cour ne détermine pas la phase exacte de la procédure nationale au cours de laquelle une demande de décision préjudicielle pourrait être introduite. Il est seulement exigé qu’il existe un litige réel ( 11 ) entre des parties, ce qui, dans la procédure au principal, semble manifestement être le cas.

    44.

    Selon moi, il ne fait aucun doute qu’il existe donc bien un litige inter partes au sens de l’article 267 TFUE dans la procédure au principal.

    2. Sur l’indépendance

    45.

    La notion d’« indépendance » comporte deux aspects. Premièrement, s’agissant de l’indépendance externe, il est de jurisprudence constante que l’organe concerné doit pouvoir exercer ses fonctions en toute autonomie, sans être soumis à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégé contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions ( 12 ).

    46.

    L’inamovibilité des membres de l’instance concernée constitue une garantie inhérente à l’indépendance des juges en ce qu’elle vise à protéger la personne de ceux qui ont pour tâche de juger ( 13 ). La garantie d’inamovibilité des membres d’une juridiction exige ainsi que les cas de révocation des membres de cet organisme soient déterminés par une réglementation particulière, au moyen de dispositions législatives expresses offrant des garanties dépassant celles prévues par les règles générales du droit administratif et du droit du travail s’appliquant en cas de révocation abusive ( 14 ). Ces garanties d’indépendance postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ( 15 ).

    47.

    Le second aspect de la notion d’« indépendance », d’ordre interne, a trait principalement à l’impartialité. Il vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit. Ainsi, la notion d’« indépendance », qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours ( 16 ).

    48.

    En l’espèce, le gouvernement polonais a, en substance, identifié deux éléments relatifs à la composition du conseil de discipline qu’il considère comme étant potentiellement problématiques du point de vue de l’indépendance : l’absence alléguée d’inamovibilité de ses membres et le fait qu’il soit composé, non pas de juges professionnels, mais d’avocats, membres du barreau, agissant, en quelque sorte, en qualité de « juges non professionnels ».

    49.

    Je ne peux que souscrire à la position du gouvernement polonais pour ce qui concerne l’importance de l’indépendance des juges et l’impératif, pour une instance qui souhaite être qualifiée de « juridiction » digne de ce nom, de répondre à l’ensemble des exigences liées aux dimensions tant externe qu’interne de la notion d’« indépendance des juges ». Toutefois, en l’espèce, à la lumière des éclaircissements apportés par la juridiction de renvoi, je ne vois pas pourquoi le conseil de discipline ne remplirait pas ces critères dans le contexte de l’article 267 TFUE.

    50.

    En premier lieu, s’agissant tout d’abord de l’absence alléguée d’inamovibilité des membres du conseil de discipline, l’article 11, paragraphe 4, de la loi relative aux avocats indique en effet que les membres des organes du barreau, donc également du conseil de discipline qui est l’un de ces organes, peuvent être révoqués avant le terme de leur mandat par l’organe qui les a élus, à savoir l’assemblée générale du barreau ( 17 ).

    51.

    Il semble toutefois qu’aucune autre disposition légale, ou, tout du moins, aucune disposition légale portée à la connaissance de la Cour par les intéressés, ne précise quand, comment et pourquoi les membres du conseil de discipline peuvent être révoqués. L’absence de telles dispositions pourrait indiquer que les modalités de révocation des membres ne sont pas déterminées par une réglementation particulière, au moyen de dispositions législatives expresses et que, à défaut, ce sont les règles générales du droit administratif et du droit du travail qui s’appliquent. Par conséquent, la révocation de ses membres ne serait pas limitée à certaines hypothèses exceptionnelles, comme le requiert la jurisprudence de la Cour pour le qualifier de « juridiction » ( 18 ).

    52.

    Toutefois, en réponse à la demande d’éclaircissements de la Cour, le conseil de discipline a précisé que l’article 11, paragraphe 4, de la loi relative aux avocats est toujours resté lettre morte et n’a jamais été mis en œuvre. Aucune disposition ne précise comment ni quand l’assemblée générale du barreau pourrait révoquer un membre du conseil de discipline avant le terme de son mandat. Selon le conseil de discipline, il résulte également de l’article 58, point 13, de la loi relative aux avocats qu’une personne siégeant au conseil de discipline ne saurait être révoquée avant la fin de son mandat. De même, le règlement de procédure de l’assemblée du barreau national ne contient aucune disposition relative à la révocation des membres du conseil de discipline. Enfin, et en tout état de cause, l’assemblée du barreau de Varsovie n’a jamais révoqué aucun membre du conseil de discipline.

    53.

    Selon moi, le conseil de discipline a suffisamment démontré que l’article 11, paragraphe 4, de la loi relative aux avocats ne produit pas d’effet. Il semble donc que les membres du conseil de discipline sont effectivement inamovibles et que, par conséquent, l’indépendance externe de ce conseil en matière d’inamovibilité de ses membres ne pose pas de problème.

    54.

    En second lieu, il a également été suggéré, s’agissant cette fois de l’indépendance interne et de l’impartialité, que le conseil de discipline ne serait pas indépendant parce qu’il est composé d’avocats, membres du barreau, et non de juges professionnels. Pour cette raison, le conseil de discipline serait non pas un tiers indépendant, mais plutôt un ensemble de personnes qui sont élues et renouvelées, et donc susceptibles d’être influencées par leurs pairs.

    55.

    Des préoccupations sont en effet parfois exprimées à l’égard de procédures, notamment de procédures disciplinaires, qui sont menées par des pairs. Elles vont d’allégations de corporatisme au sein d’une profession au risque de conflits d’intérêts. D’un côté, il est reproché une « fausse solidarité professionnelle », notamment par le monde extérieur qui est parfois insatisfait du résultat d’une procédure disciplinaire individuelle et estime souvent que les sanctions sont trop clémentes, allant même jusqu’à suggérer qu’aucun procès indépendant n’est possible dans de tels systèmes en raison de la « protection mutuelle assurée » au sein de la profession. De l’autre côté, il est parfois suggéré, plus souvent peut-être au sein même de la profession, qu’un organe disciplinaire ainsi composé n’a pas été impartial dans un cas concret en raison d’affections, de liens ou de rancunes personnels, qui suscitent un intérêt particulier à voir un collègue sanctionné.

    56.

    Tant que, et dans la mesure où, aucune de ces allégations générales n’est établie au niveau de la loi comme de sa mise en pratique et de son application ( 19 ), et ne permet de remettre en cause l’indépendance d’un organe juridictionnel, je considère que de telles insinuations ou conjectures sont peu pertinentes aux fins d’apprécier si un organe national peut ou non être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. Comme je l’ai suggéré récemment, l’appréciation de l’indépendance au titre de l’article 267 TFUE exige que la notion de « juridiction » soit examinée aux niveaux structurel et institutionnel. Elle repose sur une analyse de l’organe juridictionnel de renvoi en tant que tel, compte tenu également de la fonction que cet organe est appelé à exercer dans les circonstances spécifiques d’un cas d’espèce ( 20 ).

    57.

    Je ne vois pas pourquoi, de manière structurelle, les organes juridictionnels composés de « juges non professionnels » ne pourraient pas être considérés en tant que tels comme étant des juridictions au sens de l’article 267 TFUE, à condition bien entendu que, dans le cadre de leur activité juridictionnelle, ils répondent à toutes les exigences de l’indépendance de la justice. En d’autres termes, l’exigence d’indépendance est exactement la même pour toute juridiction, qu’elle soit composée de « magistrats » ou de « juges non professionnels » ou d’une combinaison des deux.

    58.

    Il convient de rappeler que la structure du système juridictionnel national relève par défaut du choix de chaque État membre ( 21 ). À cet égard, il est certes vrai que, dans plusieurs États membres, les affaires relatives à la discipline des membres de certaines professions sont tranchées par les membres de ces professions, et donc par des juges « non professionnels ». C’est généralement le cas pour les professions « libérales », telles que les médecins, les vétérinaires, les dentistes, les architectes, les pharmaciens ou, comme en l’espèce, les avocats. Les avantages de ce choix institutionnel sont assez clairs : une expertise est nécessaire en ce qui concerne les exigences professionnelles et disciplinaires dans le domaine pertinent, lequel est souvent complexe ( 22 ).

    59.

    Dans le passé, la Cour n’a pas hésité à répondre aux demandes de décision préjudicielle formulées par de tels organes s’il s’avérait que les exigences de l’article 267 TFUE étaient satisfaites. Dans certains cas, la Cour s’est livrée à une analyse approfondie de la nature de l’organe en cause, en ce qui concerne, par exemple, la Commissie van Beroep Huisartsgeneeskunde (Commission de recours en matière de médecine générale, Pays-Bas) ( 23 ), ou le Consiglio Nazionale Forense (Conseil national du barreau, Italie) ( 24 ). Dans d’autres affaires, la Cour a répondu à la (aux) question(s) posée(s) sans examiner au préalable si celles-ci étaient posées par une « juridiction ». Ce fut notamment le cas de l’Oberste Berufungs- und Disziplinarkommission für Rechtsanwälte (commission supérieure disciplinaire des avocats, Autriche) ( 25 ), d’une chambre disciplinaire locale de dentistes en France ( 26 ) ou du Conseil d’appel d’expression française de l’Ordre des architectes en Belgique ( 27 ). Toutefois, la Cour n’a pas hésité à rejeter la demande de décision préjudicielle lorsqu’elle a considéré que l’organisme de renvoi manquait d’indépendance ( 28 ).

    60.

    Le fondement de toutes ces affaires, en ce qui concerne les organes judiciaires composés de « juges non professionnels » ( 29 ), est la raison pour laquelle l’appréciation du critère d’indépendance est effectuée au titre de l’article 267 TFUE. Cette appréciation, bien qu’elle s’attache au même critère d’indépendance que d’autres dispositions du droit de l’Union, ne concerne pas, par exemple, l’identification méticuleuse d’une violation individuelle de droits subjectifs découlant du droit de l’Union, contrairement à l’article 47 de la Charte, par exemple ( 30 ). L’appréciation au titre de l’article 267 TFUE vise à identifier des partenaires institutionnels appropriés des États membres susceptibles d’engager un dialogue avec la Cour afin d’assurer l’interprétation uniforme du droit de l’Union. C’est en effet en vue d’assurer le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union que la Cour doit avoir l’occasion de se prononcer sur des questions d’interprétation et de validité du droit de l’Union découlant d’une procédure nationale susceptible d’affecter l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union ( 31 ).

    61.

    Dans ce contexte, le gouvernement polonais n’a pas expliqué, au-delà de simples affirmations abstraites fondées sur des conjectures, en quoi le conseil de discipline ne satisfaisait pas à l’exigence d’indépendance inhérente à la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. Au vu des éclaircissements apportés par le conseil de discipline, il n’apparaît pas que celui-ci manque d’indépendance (externe ou interne) et qu’il ne pourrait dès lors pas saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

    62.

    Je suis donc d’avis que le conseil de discipline (du barreau de Varsovie) est, sur le fondement de l’article 267 TFUE, habilité à porter le litige au principal devant la Cour.

    B.   Première question préjudicielle : la directive « services » et l’article 47 de la Charte

    1. Recevabilité

    63.

    Il convient de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante, les questions d’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il lui revient de définir, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 32 ).

    64.

    Dans ce contexte, le procureur national et le gouvernement polonais considèrent tous deux que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable, car la réponse n’est pas nécessaire à la solution du litige au principal. Ces parties soutiennent que les deuxième à quatrième questions préjudicielles sont irrecevables parce que la juridiction de renvoi ne se préoccupe que de la phase suivante de la procédure au principal, à savoir un hypothétique recours devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême). Quant à la première question préjudicielle, ces deux parties soutiennent qu’elle est également irrecevable parce qu’elle n’est posée qu’afin d’obtenir une réponse aux deuxième à quatrième questions préjudicielles. En outre, aucune disposition du droit de l’Union ne s’applique en réalité à la présente affaire et le droit de l’Union n’est donc d’aucune aide pour R. G.

    65.

    Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la première question préjudicielle est manifestement recevable.

    66.

    Premièrement, sur le plan conceptuel, je ne peux souscrire à l’« irrecevabilité par association » que suggèrent en fait le procureur national et le gouvernement polonais. Dans le passé, la Cour a traditionnellement examiné chaque question posée par les juridictions de renvoi de manière autonome, certainement dans la mesure où celles-ci peuvent logiquement être dissociées. Chaque question est examinée séparément en fonction de ses caractéristiques propres, ce qui conduit souvent, comme c’est fréquemment le cas dans la jurisprudence, à répondre à certaines questions et à en déclarer d’autres irrecevables dans le cadre d’une seule et même procédure. Il n’existe pas de recevabilité ou d’irrecevabilité par ricochet.

    67.

    Deuxièmement, la jurisprudence adopte une approche plutôt généreuse en matière de recevabilité ( 33 ). S’agissant de la répartition des rôles entre les juridictions nationales et la Cour, il n’appartient pas à cette dernière de mettre en doute la véritable motivation d’une juridiction nationale. Il est encore moins opportun de présumer la mauvaise foi d’une juridiction nationale et, sur le fondement de ces conjectures, de refuser de répondre à une question préjudicielle.

    68.

    Troisièmement, en ce qui concerne le contenu de la première question préjudicielle au regard de sa recevabilité, il existe un lien suffisant entre les faits de la présente affaire et les dispositions nationales en cause, d’une part, et la directive « services » dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi, d’autre part. Il ne saurait être considéré que la première question préjudicielle demande une interprétation n’ayant manifestement aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. En d’autres termes, cette première question présente un lien de rattachement avec un instrument du droit de l’Union clairement identifié, dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi ( 34 ).

    69.

    Quatrièmement, le fait que le requérant au principal puisse ou non tirer parti de la réponse de la Cour, une fois que la juridiction de renvoi a rendu une décision définitive sur le fond, ne présente aucune pertinence aux fins de la recevabilité ( 35 ). Subordonner la recevabilité à une réponse donnée sur le fond reviendrait, comme le dit le proverbe, à mettre la charrue avant les bœufs ( 36 ).

    70.

    En résumé, la réponse à la première question posée par la juridiction de renvoi concernant la directive « services » ne me semble certainement pas dénuée de pertinence pour la solution du litige au principal. Dès lors, sans préjudice de l’appréciation à venir de la recevabilité des deuxième à quatrième questions préjudicielles, la première question préjudicielle est recevable.

    2. Applicabilité de la directive « services »

    71.

    Par la première partie de sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive « services », notamment son article 10, paragraphe 6, s’applique à une procédure disciplinaire visant un(e) avocat(e) et susceptible d’aboutir, en définitive, à une décision telle que son exclusion du barreau. En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande, dans la seconde partie de sa question, si la Charte, notamment son article 47, s’applique aux procédures menées devant les conseils de discipline du barreau.

    72.

    J’estime que la réponse aux deux parties de cette question devrait être affirmative. Afin d’expliquer les raisons de cette position, j’examinerai, dans un premier temps, les champs d’application respectifs de la directive « services » et de la directive 98/5/CE ( 37 ) (sous-section a), avant d’aborder l’applicabilité de la directive « services » aux services juridiques et, en particulier, aux procédures disciplinaires à l’encontre des avocats (sous-section b).

    a) Sur les champs d’application respectifs de la directive « services » et de la directive 98/5

    73.

    Selon le gouvernement polonais, le droit de l’Union ne s’applique pas au cas d’espèce. En particulier, la directive « services » n’est pas applicable parce que la directive 98/5 constitue une lex specialis et cette lex specialis n’est pas matériellement applicable au cas d’espèce.

    74.

    Je ne suis pas d’accord.

    75.

    Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive « services », « [s]i les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d’un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l’autre acte communautaire prévaut et s’applique à ces secteurs ou professions spécifiques ». Cet article 3, paragraphe 1, mentionne également quatre actes de droit dérivé de l’Union ( 38 ). La directive 98/5 ne figure pas parmi ces actes, mais la liste n’est pas exhaustive ( 39 ).

    76.

    En effet, d’après son contenu, la directive 98/5 régit les règles professionnelles et déontologiques (article 6) ainsi que les procédures disciplinaires (article 7) des avocats exerçant leur activité dans un État membre autre que celui dans lequel ils ont acquis leur qualification professionnelle. En particulier, l’article 7 de cette directive régit les pouvoirs et obligations disciplinaires respectifs des autorités compétentes de l’État membre d’origine et de l’État membre d’accueil. En vertu de l’article 9 de ladite directive, les décisions portant retrait de l’inscription d’un avocat ainsi que les décisions prononçant des sanctions disciplinaires doivent être motivées. Ces décisions sont en outre susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne.

    77.

    Quoi qu’il en soit, l’argument avancé par le gouvernement polonais me laisse perplexe. Il m’est difficile de comprendre comment une lex specialis, à savoir la directive 98/5, qui n’est manifestement pas applicable à un avocat national, pourrait faire obstacle à l’application d’une lex generalis, à savoir la directive « services » qui est clairement applicable tant ratione personae que ratione materiae.

    78.

    Premièrement, le chapitre III de la directive « services », qui concerne la liberté d’établissement, s’applique également aux situations purement internes, donc aux prestations de services juridiques effectuées par des avocats n’ayant pas exercé la libre circulation ( 40 ). Ainsi, par défaut, pour autant qu’il s’applique également aux services juridiques, le chapitre III de la directive « services » s’applique à tous les avocats, qu’ils soient, de par leur qualification, « purement nationaux » ou « transfrontaliers ».

    79.

    Deuxièmement, s’agissant plus particulièrement des avocats étrangers, la directive « services » ne s’applique par défaut que pour autant que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, une disposition spécifique de la directive 98/5 ne prévaut pas sur ses dispositions générales. Toutefois, même en ce qui concerne les avocats étrangers, on peut se demander dans quelle mesure la directive 98/5 déroge aux garanties spécifiques des articles 9 et 10 de la directive « services » ( 41 ).

    80.

    Troisièmement, bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi de le vérifier, il ne semble pas que R. G. soit un avocat étranger au sens de la directive 98/5 ( 42 ). La directive « services » lui serait en tout cas applicable en sa qualité d’avocat national, tandis que la directive 98/5 serait totalement dépourvue de pertinence en l’espèce.

    81.

    En résumé, dans les deux cas, la directive 98/5 ne prévoit tout simplement rien de différent. Il ne semble pas y avoir de conflit avec une disposition d’un autre acte de droit de l’Union régissant la question, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive « services ».

    b) La directive « services » et les procédures disciplinaires à l’encontre des avocats

    82.

    Toutes les parties intéressées, ainsi que la juridiction de renvoi, s’accordent sur le fait que la directive « services » s’applique aux services juridiques et que l’inscription au barreau afin d’être autorisé à exercer l’activité constitue un régime d’autorisation au sens de cette directive. Cela étant, ils ne sont pas d’accord sur le point de savoir si la procédure disciplinaire relève d’un tel régime d’autorisation. Alors que la juridiction de renvoi et la Commission sont d’avis que tel est le cas, les gouvernements néerlandais et polonais ne partagent pas ce point de vue.

    83.

    L’article 2 de la directive « services », qui en définit le champ d’application matériel, indique que les prestations de conseil juridique relèvent du champ d’application de cette directive. La représentation en justice constitue en effet indubitablement une catégorie spécifique de services qui, en raison de son importance pour la bonne administration de la justice, est fournie par une profession strictement réglementée et soumise à des règles déontologiques spécifiques ( 43 ). Il n’en demeure pas moins que, même si elle est soumise à des règles spécifiques, la représentation en justice est un service au sens de la directive « services ».

    84.

    En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « services », les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si : a) ce régime n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ; b) la nécessité d’un tel régime est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ; c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante.

    85.

    Comme en conviennent toutes les parties concernées, les règles relatives à l’inscription au barreau relèvent indubitablement d’un régime d’autorisation au sens de la directive « services », dès lors qu’elles concernent l’accès même à la profession d’avocat ( 44 ).

    86.

    Faut-il toutefois considérer la procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat comme étant un autre élément de ce régime d’autorisation ?

    87.

    Selon la juridiction de renvoi et la Commission, une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat inscrit au barreau fait également partie du régime puisque, à la suite d’une telle procédure, les avocats peuvent être suspendus ou exclus et empêchés de se réinscrire pendant dix ans. De telles mesures constituent un retrait d’autorisation au sens de l’article 10, paragraphe 6, de la directive « services ».

    88.

    En revanche, les gouvernements néerlandais et polonais estiment que la procédure disciplinaire, envisagée isolément, ne constitue pas un « régime d’autorisation » au sens de la directive « services » et ne fait pas non plus partie du régime d’autorisation. Bien qu’une sanction puisse être infligée dans le cadre d’une procédure disciplinaire et qu’elle puisse mener à l’impossibilité de poursuivre la prestation de services, il ne s’agit nullement du refus ou du retrait d’une autorisation. En tout état de cause, l’article 10, paragraphe 6, de la directive « services » n’est pas applicable en l’espèce dès lors que le litige porte sur la décision de l’agent disciplinaire de mettre fin à la procédure et non sur une décision infligeant une sanction disciplinaire. Par conséquent, aucune décision de suspension ou d’exclusion de l’avocat ne pourrait être adoptée dans le cadre de cette procédure. En outre, selon le gouvernement néerlandais, les règles disciplinaires générales ne sauraient être qualifiées d’« exigences » au sens de l’article 4, paragraphe 7, de la directive « services ».

    89.

    Je partage le point de vue de la juridiction de renvoi et de la Commission.

    90.

    Certes, la directive « services » ne contient aucune disposition spécifique concernant les règles ou procédures disciplinaires. Cela n’est guère surprenant puisque cette directive (notamment, mais sans s’y limiter, son chapitre III) s’applique horizontalement, elle est dès lors dans une large mesure rédigée en termes généraux et abstraits, et vise à préserver la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre prestation d’un large éventail de services.

    91.

    Je reconnais qu’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un avocat, prise isolément, ne peut guère constituer un régime d’autorisation au titre de la directive « services ». Toutefois, je ne vois pas non plus la logique expliquant pourquoi une telle procédure appréciée dans le cadre de la directive « services » devrait être envisagée comme un régime distinct. Au contraire, du point de vue de la directive « services », une telle procédure s’inscrit manifestement dans un ensemble de règles concernant l’accès, l’exercice et, en définitive, la cessation forcée de la prestation de services.

    92.

    En vertu de la directive « services », les États membres ne peuvent empêcher l’accès à une activité relevant de cette directive ni son exercice. Bien que cette directive vise principalement l’accès, un grand nombre de ses dispositions concernent à la fois l’accès et l’exercice ( 45 ), ou simplement l’exercice de la liberté d’établissement ( 46 ). Les procédures disciplinaires tendent, d’une certaine manière, à garantir la qualité de l’activité de conseil juridique exercée. Dans cette perspective, elles pourraient effectivement être considérées comme étant un élément du régime plus large réglementant l’accès à ce type de services et leur exercice. Cela signifierait que les règles disciplinaires et leur application dans le cadre de procédures spécifiques doivent faire l’objet d’un « suivi » en vertu de la directive « services » afin de veiller à ce qu’elles respectent l’article 10, paragraphe 2, de cette directive en ce qui concerne les régimes d’autorisation.

    93.

    Toutefois, selon moi, le libellé de l’article 10, paragraphe 6, de la directive « services » dissipe les doutes éventuels sur l’inclusion des décisions qui mettent effectivement « fin » à l’accès et à l’exercice d’un type de services donné. Cette disposition est formulée comme suit : « Excepté lorsque l’autorisation est octroyée, toute décision des autorités compétentes, y compris le refus ou le retrait de l’autorisation, doit être dûment motivée et doit pouvoir faire l’objet d’un recours devant les tribunaux ou autres instances de recours » ( 47 ).

    94.

    Compte tenu de cette formulation et de la logique de la directive « services », je ne vois pas comment on pourrait raisonnablement prétendre qu’une décision écartant un avocat n’équivaut pas à un retrait de son autorisation d’exercer son activité et, partant, de fournir des services juridiques. Le retrait d’une autorisation accordée n’est qu’une révocation de l’accès déjà accordé. Cette disposition rédigée de manière large suggère non seulement que toute décision (défavorable) concernant l’accès à ou l’exercice d’un service relève de la directive « services », mais également qu’elle doit être susceptible de recours.

    95.

    Cette conclusion n’est pas infirmée par la référence faite par le gouvernement polonais à l’article 1er, paragraphe 5, de la directive « services », selon lequel cette dernière « n’affecte pas les règles de droit pénal des États membres ». Les procédures disciplinaires ne sont pas intrinsèquement identiques au droit pénal et aux poursuites pénales. En outre, même si tel était le cas, quod non, l’article 1er, paragraphe 5, de la directive « services » précise que « les États membres ne peuvent restreindre la libre prestation des services en appliquant des dispositions pénales qui réglementent ou affectent de façon particulière l’accès à une activité de service ou l’exercice d’une telle activité à l’effet de contourner les règles énoncées dans la présente directive » ( 48 ).

    96.

    Dans le même ordre d’idées, l’argumentation du gouvernement polonais, selon laquelle aucune décision de révocation du barreau n’a encore été adoptée à l’encontre de R. G. et ne saurait être effectivement prononcée dans le cadre de la procédure spécifique relative au contrôle de la décision de l’agent disciplinaire de ne pas poursuivre une faute disciplinaire alléguée, ne me convainc pas.

    97.

    À cet égard, il suffit de remarquer que la portée normative d’un instrument du droit de l’Union ne saurait être définie a posteriori en fonction du résultat, une affaire relevant alors du champ d’application du droit de l’Union ou n’en relevant pas selon que la personne est en définitive condamnée ou acquittée ( 49 ). De manière générale, le fait que certaines procédures relèvent du champ d’application d’un instrument du droit de l’Union rationae materiae suffit pour que l’ensemble de cette procédure, indépendamment de son issue ou de sa phase ultime, relève également du champ d’application du droit de l’Union.

    98.

    En résumé, pour répondre à la première partie de la première question préjudicielle, le chapitre III de la directive « services » s’applique, dans le cadre d’un régime d’autorisation régissant l’exercice de l’activité d’avocat, aux procédures disciplinaires engagées à l’encontre d’avocats dont le résultat est susceptible d’affecter la capacité de ces derniers à fournir des prestations juridiques en vertu de la directive « services ».

    3. L’article 47 de la Charte

    99.

    La réponse à la seconde partie de la première question préjudicielle, qui porte sur l’applicabilité de la Charte, en particulier de son article 47, au litige dont est saisie la juridiction de renvoi, est simple.

    100.

    Il est de jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union. Lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application de ce droit, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect ( 50 ).

    101.

    Dès lors, tant que la directive « services » est applicable, la Charte, y compris son article 47, est en principe également applicable en l’espèce. Cela signifie que la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer l’article 47 de la Charte dans la procédure pendante devant elle.

    102.

    Toutefois, comme l’ont fait remarquer le procureur national et le gouvernement polonais dans leurs observations sur la recevabilité, il est vrai que le droit subjectif découlant du droit de l’Union qui pourrait être spécifiquement en cause dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi n’apparaît pas clairement. En effet, si l’issue probable de la procédure au principal est susceptible de produire des effets négatifs sur la situation juridique de R. G. (en aboutissant à le soumettre à une procédure disciplinaire), il a été indiqué que celui-ci n’est pas encore partie à la procédure au principal. L’affaire soumise à la juridiction de renvoi semble opposer l’agent disciplinaire au procureur national et au ministre de la Justice ( 51 ). Dès lors, en effet, il n’apparaît pas immédiatement laquelle de ces entités (qui semblent être des entités de droit public) serait en l’espèce titulaire des droits fondamentaux consacrés par la Charte.

    103.

    Quoi qu’il en soit, même si l’article 47 de la Charte n’était pas applicable devant la juridiction de renvoi en raison de l’absence d’incidence sur un droit subjectif spécifique garanti par la Charte, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, il n’en demeure pas moins que l’article 19, paragraphe 1, TUE, dont le contenu est en substance le même que celui de l’article 47 de la Charte ( 52 ), resterait applicable ( 53 ). À la différence de l’article 47 de la Charte, pour que l’article 19, paragraphe 1, TUE soit applicable, il suffit qu’une juridiction nationale puisse être appelée à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union ( 54 ).

    104.

    Il ne fait aucun doute que, compte tenu également de la conclusion qui précède relative à l’applicabilité de la directive « services » à la procédure devant le conseil de discipline en général, la juridiction de renvoi peut également être appelée à se prononcer sur le droit de l’Union à cet égard.

    C.   Deuxième à quatrième questions préjudicielles : les pouvoirs dont disposent les juridictions nationales afin d’assurer le respect du droit de l’Union

    105.

    Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si elle doit écarter les dispositions nationales établissant la compétence de l’organe [à savoir l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)] compétent pour connaître d’un pourvoi en cassation contre une décision de cette même juridiction de renvoi (ou d’un recours contre une ordonnance refusant de former un tel pourvoi) lorsque cet organe n’est pas indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte. La juridiction de renvoi est-elle alors tenue de déférer les pourvois en cassation à l’organe juridictionnel qui était compétent auparavant [à savoir l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême)] ?

    106.

    Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande plus précisément si elle peut (ou doit) écarter la position exprimée par l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême) en ce qui concerne le droit de former un pourvoi ouvert au procureur général (qui est également le ministre de la Justice) et au Rzecznik Praw Obywatelskich (médiateur, Pologne).

    107.

    Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi se demande en substance si elle doit ignorer le recours introduit par le ministre de la Justice (en même temps procureur général) si cela constitue le seul moyen de s’assurer de la compatibilité de la procédure avec l’article 47 de la Charte. La juridiction de renvoi souligne le risque que, même si elle mettait en œuvre les mesures visées aux deuxième et troisième questions préjudicielles, un éventuel pourvoi en cassation introduit par le procureur général (en même temps ministre de la Justice) puisse encore être examiné par l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême).

    108.

    Un grand nombre d’informations supplémentaires sont nécessaires afin de pouvoir appréhender pleinement la portée des deuxième à quatrième questions préjudicielles. C’est pourquoi, dans les sections qui suivent, je commencerai par exposer le contexte et les modifications récemment apportées à la législation et à la procédure nationales (section 1), avant d’examiner la recevabilité de ces questions (section 2). Après avoir reformulé lesdites questions, je terminerai en rappelant les compétences des juridictions nationales qui dérivent du droit de l’Union et assurent au niveau national la protection juridictionnelle effective des droits tirés du droit de l’Union (section 3).

    1. Le contexte législatif et juridictionnel national

    109.

    Trois éléments du cadre juridique national, tels que présentés par la juridiction de renvoi, méritent d’être soulignés.

    110.

    Premièrement, la juridiction de renvoi rappelle que la Cour s’est déjà prononcée sur la question de savoir si l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême) est un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte ( 55 ). Se référant à cet arrêt, le Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) (Cour suprême, chambre du travail et des assurances sociales, Pologne) a jugé, le 5 décembre 2019, que l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême) n’est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 47 de la Charte ( 56 ). L’influence du pouvoir exécutif, en particulier celle du ministre de la Justice, sur la composition de cet organe est un élément qui a amené le Sąd Najwyższy (Cour suprême) à conclure en ce sens.

    111.

    Deuxièmement, en ce qui concerne le rôle dévolu au procureur général/ministre de la Justice ( 57 ) dans la procédure disciplinaire à l’encontre des avocats, la juridiction de renvoi relève que ce rôle a récemment été élargi, à la suite d’une interprétation controversée du droit national par l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême).

    112.

    Selon la juridiction de renvoi, l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême) dans sa jurisprudence et la doctrine considéraient sans ambiguïté jusqu’à récemment que, sur le fondement de l’article 521 du code de procédure pénale, lu conjointement avec l’article 95 n, point 1, de la loi relative aux avocats, le Prokurator Generalny (procureur général) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (médiateur) ne sont pas habilités à former un pourvoi contre les décisions du conseil de discipline du barreau confirmant une décision de l’agent disciplinaire de ne pas engager d’enquête disciplinaire ou de clôturer une telle enquête. La juridiction de renvoi souscrit pleinement à cette position.

    113.

    La juridiction de renvoi relève toutefois également que, dans une résolution du 27 novembre 2019, l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême), siégeant en formation de sept juges, a adopté une position diamétralement opposée ( 58 ). Selon cette dernière, l’article 521 du code de procédure pénale est applicable aux procédures disciplinaires du barreau, de sorte que le procureur général peut former un pourvoi en cassation contre une décision du conseil de discipline du barreau confirmant une décision de l’agent disciplinaire mettant fin à une enquête disciplinaire.

    114.

    Cette résolution aurait été adoptée dans une autre affaire concernant le même avocat, R. G., dans laquelle l’agent disciplinaire avait également mis fin à une enquête disciplinaire et où le ministre de la Justice et le procureur national avaient également formé un recours contre cette décision. Dans cette affaire, le conseil de discipline avait confirmé la décision litigieuse, mais sa décision avait été contestée par le ministre de la Justice/procureur général dans le cadre d’un pourvoi en cassation.

    115.

    Sans prétendre saisir pleinement tous les détails de cette procédure nationale, j’en comprends les grandes lignes en ce sens que, à la suite d’un revirement de jurisprudence, l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême) a effectivement reconnu au ministre de la Justice/procureur général la compétence pour former un pourvoi et, indirectement, à elle-même, celle de connaître des pourvois en cassation contre les décisions de l’agent disciplinaire de mettre fin à des procédures disciplinaires.

    116.

    Troisièmement, lorsque ces deux éléments sont combinés, un changement procédural du droit national apparemment banal prend une toute autre dimension. En se pourvoyant systématiquement ou itérativement contre les décisions de ne pas ouvrir de procédure disciplinaire, le ministre de la Justice/procureur général (ou un procureur national agissant sur ses instructions) pourrait effectivement insister pour que des procédures disciplinaires soient ouvertes à l’encontre de certains membres du barreau, ou pour qu’elles se poursuivent (éventuellement indéfiniment). De tels pourvois seraient en dernier recours formés devant une instance dont il a précédemment été jugé qu’elle manque d’indépendance précisément parce que le pouvoir exécutif, et notamment le ministre de la Justice, exerce une influence indue sur sa composition ( 59 ).

    2. Recevabilité

    117.

    Le procureur national, le gouvernement polonais et la Commission considèrent que les deuxième et troisième questions préjudicielles sont irrecevables. Selon le gouvernement polonais en particulier, ces questions revêtent un caractère hypothétique parce qu’elles sont prématurées. S’il devait y avoir un pourvoi en cassation contre la décision du conseil de discipline, ce pourvoi devrait être formé devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême), qui attribuerait alors l’affaire à la chambre compétente pour en connaître et lui transférerait le dossier. Pour sa part, la Commission estime que la Cour ne devrait pas répondre à des questions purement hypothétiques concernant des questions procédurales futures qui se poseront après que la juridiction de renvoi aura rendu sa décision.

    118.

    Toutes les parties intéressées sont d’avis que la quatrième question préjudicielle est également irrecevable. Le gouvernement polonais, en particulier, considère que le droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la Charte ne saurait être interprété en ce sens qu’il écarterait ou bloquerait les voies de recours devant le juge afin, prétendument, d’assurer aux parties à la procédure le droit à ce que leur cause soit entendue par un tribunal indépendant. L’organe de renvoi se trouverait dans la situation de protéger les intérêts d’une partie au détriment d’une autre, violant ainsi l’essence même de l’article 47 de la Charte.

    119.

    Je dois reconnaître que la manière dont la juridiction de renvoi a formulé les questions préjudicielles soulève quelques questions quant à la recevabilité des deuxième à quatrième questions préjudicielles.

    120.

    D’une part, il peut effectivement sembler superflu de répondre aux deuxième à quatrième questions préjudicielles aux fins de la résolution du litige pendant devant la juridiction de renvoi. Par ces questions, la juridiction de renvoi semble se préoccuper de l’étape suivante, et potentiellement ultime, de la procédure judiciaire nationale. Cela est toutefois subordonné au fait que sa décision imminente dans la présente affaire puisse par la suite faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême).

    121.

    Dans cette mesure, les deuxième à quatrième questions préjudicielles semblent prématurées. Le fait que cette juridiction doive examiner pour la troisième fois, dans le cadre de la même procédure, une décision de l’agent disciplinaire concernant R. G. n’est pas de nature à modifier cette conclusion. En l’espèce, la juridiction de renvoi n’est pas confrontée au problème que l’agent disciplinaire ne veuille pas se conformer à sa décision lorsque l’affaire lui est renvoyée. Elle est en réalité préoccupée par le fait que l’affaire puisse (par la suite) arriver devant un troisième acteur, à savoir le Sąd Najwyższy (Cour suprême) [et plus précisément l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême)], dans l’hypothèse où elle-même déciderait cette fois de confirmer la décision litigieuse de l’agent disciplinaire.

    122.

    Ainsi, si la juridiction de renvoi se trouve prise dans une sorte de navette, les deuxième à quatrième questions préjudicielles portent en réalité sur un autre type de navette, laquelle ne s’est pas encore concrétisée ( 60 ).

    123.

    D’autre part, la juridiction de renvoi a néanmoins établi certains liens pertinents entre les deuxième à quatrième questions préjudicielles et l’affaire pendante devant elle.

    124.

    S’agissant des deuxième et troisième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi a indiqué qu’elle considère qu’une réponse de la Cour lui est nécessaire afin qu’elle puisse déterminer l’organe compétent pour connaître d’un éventuel pourvoi en cassation contre ses propres décisions (ou d’un recours contre un refus d’accepter un tel pourvoi en cassation) en raison du contenu des informations que la juridiction de renvoi est tenue de communiquer lorsqu’elle notifie sa décision aux parties. En effet, en vertu du droit national, la juridiction de renvoi a l’obligation, dans sa décision définitive, d’informer les parties du délai et des modalités de pourvoi ou de l’absence de toute voie de recours. À cet égard, la juridiction de renvoi envisage la possibilité de prendre en compte l’arrêt du Sąd Najwyższy (Cour suprême) du 5 décembre 2019 et, partant, d’informer les parties que les pourvois doivent être formés devant l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême), et non devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême).

    125.

    S’agissant de la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi a suggéré que, par l’effet de l’article 47 de la Charte, elle pourrait elle-même s’abstenir d’examiner l’affaire actuellement pendante devant elle afin de bloquer l’éventuel pourvoi en cassation ultérieur devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême), excluant ainsi toute possibilité d’ingérence de cette dernière.

    126.

    Il s’ensuit que les réponses de la Cour aux deuxième à quatrième questions préjudicielles peuvent en effet avoir une certaine incidence sur la solution du litige pendant devant la juridiction de renvoi. Je reconnais cependant que plusieurs éléments restent flous. Ainsi, il n’apparaît pas d’emblée clairement comment, concrètement, la juridiction de renvoi pourrait prévenir l’introduction de pourvois en cassation devant l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême), ni, au vu des observations du gouvernement polonais relatives à l’attribution des affaires au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), comment elle parviendrait à diriger une affaire vers l’Izba Karna Sądu Najwyższego (chambre pénale de la Cour suprême).

    127.

    Enfin, on ne saurait négliger le fait que les deuxième à quatrième questions préjudicielles ont, sous un certain angle, trait à l’interprétation des conséquences pratiques d’un arrêt déjà rendu par la Cour, à savoir l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982). En effet, dans cet arrêt, la Cour a conclu que le droit de l’Union s’oppose « à ce que des litiges concernant l’application du droit de l’Union puissent relever de la compétence exclusive d’une instance ne constituant pas un tribunal indépendant et impartial » ( 61 ). Dès lors que, ainsi que cela a été établi ci-dessus, la présente affaire relève du champ d’application du droit de l’Union en vertu de la directive « services », la juridiction de renvoi peut, en substance, légitimement se demander : d’accord, mais comment dois-je m’y prendre exactement ? Comment, concrètement et pratiquement, puis-je assurer le respect du droit de l’Union et suivre un arrêt antérieur de la Cour ?

    128.

    Dès lors, dans la mesure où les deuxième à quatrième questions préjudicielles portent bien sur des questions pendantes et pertinentes pour la décision à intervenir de la juridiction de renvoi, alors en effet, dans cette mesure, ces questions sont recevables. Toutefois, les caractéristiques suivantes de la procédure préjudicielle devraient guider la reformulation desdites questions.

    129.

    Premièrement, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La procédure préjudicielle ne permet pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Au contraire, les réponses aux questions posées doivent être nécessaires pour résoudre effectivement un litige, et le juge national doit pouvoir en tenir compte dans l’affaire au principal ( 62 ).

    130.

    Il en résulte, logiquement, que la portée de toute réponse que la Cour pourrait apporter est limitée à ce que la juridiction nationale pourrait faire dans une affaire pendante devant elle. Elle ne peut s’étendre à ce que d’autres juridictions ou institutions devront faire par la suite. Cela ne permet pas d’orienter les actes ou la ligne de conduite futurs d’autres juridictions.

    131.

    Deuxièmement, les orientations que la Cour peut fournir à titre préjudiciel sont strictement limitées aux questions d’interprétation du droit de l’Union et non du droit national. Il n’appartient pas à la Cour d’interpréter le droit national ni a fortiori d’arbitrer les différents courants d’interprétation de la législation nationale qui émergent au niveau national. En particulier, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer laquelle de ces interprétations divergentes des règles de procédure nationales est correcte ni quelle règle ou quelle voie prévue par le droit national une juridiction de renvoi doit suivre afin de garantir la conformité avec le droit de l’Union.

    132.

    Sous cette réserve, je suis d’avis que les deuxième à quatrième questions préjudicielles sont recevables. Cela étant dit, ces questions doivent être examinées à un niveau d’abstraction bien plus élevé et il convient de n’aborder que le volet du droit de l’Union desdites questions, comme je vais à présent m’y attacher.

    3. Les pouvoirs dont disposent les juridictions nationales pour assurer le respect du droit de l’Union

    133.

    Par ses deuxième à quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance si le droit de l’Union lui confère le pouvoir, afin d’assurer le respect du droit de l’Union, d’écarter : i) la législation nationale établissant les compétences des juridictions (deuxième question préjudicielle) ; ii) une interprétation (en principe contraignante) de la législation nationale énoncée par une juridiction supérieure (troisième question préjudicielle) ; iii) le recours ou les demandes formulées par le ministre de Justice (en même temps procureur général) (quatrième question préjudicielle).

    134.

    S’agissant des deux premiers points, la jurisprudence de la Cour en la matière est en fait déjà abondante. En premier lieu, selon la Cour, le principe de primauté impose au juge national d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers. Il doit dès lors écarter toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle du droit de l’Union. En d’autres termes, serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit de l’Union toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle, même temporaire, à la pleine efficacité des normes de l’Union ( 63 ). Afin d’assurer cette conformité, la juridiction de renvoi peut soit procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme au droit de l’Union, soit, le cas échéant, laisser inappliquées les dispositions du droit national qui l’empêchent d’assurer cette conformité ( 64 ).

    135.

    En second lieu, s’agissant de la doctrine ou des décisions de juridictions supérieures, il est également de jurisprudence constante que les juridictions nationales doivent, le cas échéant, écarter les appréciations d’une juridiction supérieure si elles estiment que celles-ci ne sont pas conformes au droit de l’Union ( 65 ). D’une certaine manière, la logique et les conséquences de ces deux cas de figure sont identiques : si la juridiction de renvoi, ou toute autre juridiction ( 66 ), est empêchée d’assurer le plein respect du droit de l’Union, les deux sources d’incompatibilité éventuelle, qu’elles soient d’origine législative ou juridictionnelle, peuvent être écartées pour autant, bien entendu, que l’écart par rapport à ces sources soit dûment motivé et explicité ( 67 ).

    136.

    Les deux courants jurisprudentiels évoqués ci-dessus ont été développés dans le cadre d’affaires d’incompatibilité individuelle, sans que ces affaires aient nécessairement une portée structurelle plus large. Toutefois, la même solution est sans aucun doute, voire a fortiori, applicable s’agissant de questions d’ordre structurel, telles que celles relatives à une législation attribuant la compétence à des organes qui ne sont pas structurellement indépendants. La jurisprudence la plus récente de la Cour confirme cette extension, par ailleurs tout à fait logique.

    137.

    Premièrement, dans l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), la Cour a jugé que l’article 47 de la Charte s’oppose à ce que des litiges concernant l’application du droit de l’Union puissent relever de la compétence exclusive d’une instance ne constituant pas un tribunal indépendant et impartial, en l’occurrence l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême), sous réserve de vérification par la juridiction nationale. Ainsi, le principe de primauté du droit de l’Union impose aux juridictions nationales d’écarter l’application de la disposition de droit interne qui réserve la compétence pour statuer sur les affaires à une telle juridiction, de manière à ce que ces affaires puissent être examinées par une juridiction répondant aux exigences d’indépendance et d’impartialité susmentionnées et qui serait compétente dans le domaine concerné si cette disposition n’y faisait pas obstacle ( 68 ).

    138.

    Deuxièmement, très récemment, dans l’affaire A.B. e.a. ( 69 ), la Cour a été saisie de la question de la compatibilité avec le droit de l’Union de modifications apportées à la législation nationale qui avaient privé la juridiction de renvoi de sa compétence. La Cour a jugé que, en cas de violation avérée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il impose à la juridiction de renvoi de laisser inappliquées les modifications en cause, que celles-ci soient d’origine législative ou constitutionnelle, et de continuer, en conséquence, à assumer la compétence qui était la sienne pour connaître des litiges dont elle était saisie avant l’intervention de ces modifications ( 70 ).

    139.

    Il résulterait donc de cette jurisprudence de la Cour, telle que confirmée par les arrêts portant spécifiquement sur l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême) les plus récents, que la juridiction de renvoi doit, en vertu de la primauté du droit de l’Union, laisser inappliqué le droit national, y compris la jurisprudence de l’Izba Dyscyplinarna Sądu Najwyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême), et appliquer à la place la législation antérieure en matière d’attribution des compétences. Même si, dans l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), comme dans l’arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153), le renvoi préjudiciel n’était pas le fait d’une juridiction inférieure ( 71 ), je ne pense pas que cette différence soit pertinente. L’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), est tout aussi pertinent pour la juridiction de renvoi en l’espèce.

    140.

    En résumé, force est de constater que le droit de l’Union habilite le juge national, dans les conditions rappelées ci-dessus, à écarter et à laisser inappliquée la législation nationale ou un avis juridique exprimé par une juridiction supérieure, lorsque c’est le seul moyen d’assurer le respect du droit de l’Union.

    141.

    La nouveauté réside dans le troisième élément que soulève, dans sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi qui semble demander si elle pourrait tout simplement ignorer le recours pendant devant elle. Je comprends que la raison qui sous-tend cette proposition tient à la création d’un certain vide juridique. En effet, en l’absence de décision, il ne peut y avoir de pourvoi. Dès lors, rien n’est susceptible d’être porté devant une juridiction qui n’est pas indépendante.

    142.

    Malgré la simplicité séduisante et radicale de cette idée, tout comme le gouvernement polonais, je ne peux que suggérer une réponse négative. L’article 47 de la Charte (et, dès lors, l’article 19, paragraphe 1, TUE) garantit le droit à un recours juridictionnel effectif. Même si le « niveau supérieur » de la hiérarchie judiciaire ne répond plus à cette exigence, il est difficile d’interpréter cette disposition en ce sens qu’elle aurait des répercussions sur le niveau inférieur et l’empêcherait de statuer.

    143.

    À mon avis, la raison en est assez simple, mais très lourde, à savoir l’interdiction du déni de justice. Depuis l’introduction de l’article 4 du code civil français, « [l]e juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice » ( 72 ).

    144.

    Bien que cette interdiction ait été instaurée dans le cadre du droit civil et qu’il n’ait, à ma connaissance, jamais été affirmé qu’elle relève du droit de l’Union, elle constitue un élément tellement fondamental de la justice moderne que même la primauté du droit de l’Union ne saurait l’affecter. Une juridiction ne peut rester volontairement inactive et refuser de rendre une décision parce que la loi est imparfaite ou parce qu’une juridiction supérieure semble imparfaite. Le système donne déjà au juge la possibilité de manifester son désaccord en lui permettant de statuer sur une affaire et, le cas échéant, de ne pas appliquer la législation nationale ou les indications émanant d’une juridiction supérieure, mais toujours dans le cadre d’une décision dûment motivée.

    145.

    Selon moi, la Cour ne saurait aller plus loin que ces quelques orientations utiles à la juridiction de renvoi tout en restant dans le cadre décrit dans les présentes conclusions de ce que permet la procédure préjudicielle ( 73 ). Pour rappel, le rôle de la Cour est d’interpréter le droit de l’Union et non la législation nationale. En outre, même si en pratique elle examine la compatibilité de certaines règles nationales avec le droit de l’Union, l’appréciation de la Cour se limite traditionnellement à des déclarations négatives d’incompatibilité, sans se prononcer de manière positive sur la manière de parvenir à la compatibilité en termes spécifiques. C’est là en effet le pouvoir exclusif de la juridiction de renvoi ou d’autres autorités compétentes de l’État membre concerné.

    146.

    Je reconnais qu’une telle répartition des compétences dans le cadre de la procédure préjudicielle pourrait ne pas être idéale pour répondre à des situations par essence pathologiques dans un État membre dans lequel les règles normales d’adhésion au droit et d’équité semblent se dégrader. Toutefois, de manière réaliste, le mécanisme du renvoi préjudiciel a ses propres limites quant à sa capacité de régler les blocages institutionnels dans un tel contexte si particulier, dans lequel un ou plusieurs acteurs refusent de suivre les orientations de la Cour. Dans de tels cas, l’intervention d’un tiers et la mise en œuvre externe des arrêts de la Cour, telles que prévues aux articles 258 à 260 TFUE, demeurent une solution plus appropriée, sinon la seule.

    V. Conclusion

    147.

    Je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Sąd Dyscyplinarny Izby Adwokackiej w Warszawie (conseil de discipline du barreau de Varsovie, Pologne) de la manière suivante :

    Le chapitre III de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, s’applique, dans le cadre d’un régime d’autorisation régissant l’exercice de l’activité d’avocat, aux procédures disciplinaires ouvertes à l’encontre d’avocats dont le résultat est susceptible d’affecter la capacité de ces derniers à fournir des services juridiques en vertu de cette directive. Il en résulte que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, le cas échéant, l’article 19, paragraphe 1, TUE s’appliquent également à de telles procédures.

    En vertu de la primauté du droit de l’Union :

    le juge national est tenu d’écarter l’application des dispositions de droit interne qui réservent la compétence pour statuer sur les affaires à une juridiction qui n’est pas indépendante et impartiale, de manière à ce que ces affaires puissent être examinées par une juridiction répondant aux exigences d’indépendance et d’impartialité susmentionnées, et qui serait compétente si ces dispositions n’y faisaient pas obstacle ;

    le juge national doit, le cas échéant, écarter les appréciations portées par une juridiction supérieure s’il estime qu’elles sont incompatibles avec le droit de l’Union, y compris dans les situations où l’incompatibilité résulte du manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction supérieure.


    ( 1 ) Langue originale : l’anglais.

    ( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

    ( 3 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982).

    ( 4 ) Voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413, point 23 et jurisprudence citée) ; du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265, point 27) ; du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del Maresme (C‑203/14, EU:C:2015:664, point 17 et jurisprudence citée), ainsi que du 24 mai 2016, MT Højgaard et Züblin (C‑396/14, EU:C:2016:347, point 23).

    ( 5 ) Arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413). Voir point 31 des présentes conclusions.

    ( 6 ) Voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413, point 31), et du 31 janvier 2013, D. et A. (C‑175/11, EU:C:2013:45, point 88).

    ( 7 ) Voir, notamment, arrêts du 27 avril 2006, Standesamt Stadt Niebüll (C‑96/04, EU:C:2006:254, point 13 et jurisprudence citée) ; du 16 juin 2016, Pebros Servizi (C‑511/14, EU:C:2016:448, point 24), et du 4 septembre 2019, Salvoni (C‑347/18, EU:C:2019:661, point 26).

    ( 8 ) Voir, notamment, arrêts du 17 juillet 2008, Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:415, point 29 et jurisprudence citée), ainsi que du 22 décembre 2008, Les Vergers du Vieux Tauves (C‑48/07, EU:C:2008:758, point 20 et jurisprudence citée).

    ( 9 ) Voir, par exemple, arrêt du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine (C‑176/96, EU:C:2000:201, point 19).

    ( 10 ) Voir, dans le même sens, arrêt du 25 juin 2009, Roda Golf & Beach Resort (C‑14/08, EU:C:2009:395, point 33 et jurisprudence citée).

    ( 11 ) A contrario, s’agissant de la recevabilité de litiges artificiels, voir arrêts du 11 mars 1980, Foglia (104/79, EU:C:1980:73), et du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, EU:C:1981:302). Voir également arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514, points 12 et 26).

    ( 12 ) Pour un exemple récent, voir arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 117 à 119).

    ( 13 ) Voir, par exemple, arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, points 57 et 58 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 14 ) Arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, point 60). Voir également, à cet égard, arrêt du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265, points 32 et 35).

    ( 15 ) Arrêt du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265, point 32).

    ( 16 ) Voir, notamment, arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, points 61 et 62 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 17 ) Article reproduit au point 10 des présentes conclusions. Voir, également, article 40, paragraphe 2, de la loi polonaise sur le barreau, au point 15 des présentes conclusions.

    ( 18 ) Voir, par exemple, arrêts du 9 octobre 2014, TDC (C‑222/13, EU:C:2014:2265, points 33 à 36), et du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, points 66 à 68).

    ( 19 ) Pour plus de précisions, voir mes conclusions dans les affaires Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, EU:C:2020:746, points 240 à 248).

    ( 20 ) Voir également mes conclusions dans les affaires jointes WB e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403, points 52 et 166).

    ( 21 ) Voir, notamment, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 130 et jurisprudence citée).

    ( 22 ) On pourrait ajouter qu’il en va de même pour les juges eux-mêmes et la discipline judiciaire : certaines instances disciplinaires concernant les juges dans les États membres sont composées, exclusivement ou majoritairement, de juges. Si l’on pousse jusqu’au bout la logique (ou l’illogisme) du raisonnement du gouvernement polonais, cela signifierait-il également que les instances disciplinaires des juges ne peuvent être composées d’(autres) juges parce que de telles instances seraient composées de pairs et ne seraient donc pas indépendantes ?

    ( 23 ) Arrêt du 6 octobre 1981, Broekmeulen (246/80, EU:C:1981:218, points 8 à 17).

    ( 24 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Torresi (C‑58/13 et C‑59/13, EU:C:2014:2088, points 15 à 30). Voir également, précédemment, mais implicitement, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411).

    ( 25 ) Arrêt du 22 décembre 2010, Koller (C‑118/09, EU:C:2010:805), dans le cadre d’un litige portant sur le rejet d’une demande d’autorisation de passer l’épreuve d’aptitude à la profession d’avocat.

    ( 26 ) Ordonnance du 23 octobre 2018, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne (C‑296/18, non publiée, EU:C:2018:857), dans le cadre d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un dentiste.

    ( 27 ) Arrêt du 8 avril 1992, Bauer (C‑166/91, EU:C:1992:184), dans une affaire où un résident belge avait vainement demandé son inscription sur la liste des stagiaires d’une association locale d’architectes.

    ( 28 ) Voir, par exemple, ordonnance du 28 novembre 2013, Devillers (C‑167/13, non publiée, EU:C:2013:804).

    ( 29 ) Qui ne se limitent pas, bien entendu, aux seules instances disciplinaires, mais visent également d’autres organismes juridictionnels. Voir, par exemple, arrêt du 30 mai 2013, F (C‑168/13 PPU, EU:C:2013:358), sur renvoi du Conseil constitutionnel (France) qui, au cours de son histoire, a été composé principalement de juges non professionnels, incluant même souvent des « non‑juristes ». Voir également mes conclusions dans les affaires jointes Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie e.a. (C‑357/19 et C‑547/19, EU:C:2021:170, points 215 à 219).

    ( 30 ) Voir, également, mes conclusions dans les affaires jointes WB e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403, points 161 à 169).

    ( 31 ) Voir, à cet égard, arrêt du 6 octobre 1981, Broekmeulen (246/80, EU:C:1981:218, point 16).

    ( 32 ) Voir, par exemple, arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, points 26 et 27), ainsi que du 9 juillet 2020, Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:534, point 19 et jurisprudence citée).

    ( 33 ) Voir, pour un exemple plus récent, arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, points 31 à 39).

    ( 34 ) Voir arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 49). Voir également ordonnance du 6 octobre 2020, Prokuratura Rejonowa w Słubicach (C‑623/18, non publiée, EU:C:2020:800).

    ( 35 ) À cet égard, voir, notamment, arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, points 38 à 40).

    ( 36 ) Voir également mes conclusions dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol) (C‑505/19, EU:C:2020:939, point 34).

    ( 37 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).

    ( 38 ) La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1) ; le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2) ; la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO 1989, L 298, p. 23), et la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22).

    ( 39 ) Comme le suggèrent les termes « [c]es actes incluent » employés à l’article 3 de la directive « services » ainsi que la portée globale de cette disposition.

    ( 40 ) Arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 110).

    ( 41 ) Voir notamment, à cet égard, article 9, paragraphe 3, de la directive « services » concernant les régimes d’autorisation : « [l]a présente section ne s’applique pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instruments communautaires » (mise en italique par mes soins), ce qui suggère qu’elle ne s’applique pas à d’autres aspects des régimes d’autorisation. Voir également arrêt du 7 mai 2019, Monachos Eirinaios (C‑431/17, EU:C:2019:368, points 30 et 31), dans lequel la Cour distingue, dans la directive 98/5, l’inscription (harmonisée) des avocats étrangers de l’exercice (non harmonisé) de l’activité au titre de la directive 98/5.

    ( 42 ) Comme semble également l’indiquer, à la fin de la première question posée par la juridiction de renvoi, la référence aux situations où « tous les éléments pertinents de l’affaire se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ».

    ( 43 ) Voir, également, mes conclusions dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA (C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, points 103 et 104).

    ( 44 ) Tel que défini à l’article 4, paragraphe 6, lu à la lumière du considérant 49, de la directive « services ».

    ( 45 ) Par exemple, l’article 3, paragraphe 1 ; l’article 5, paragraphe 1 ; l’article 6, paragraphe 1, sous b) ; l’article 8, paragraphe 1 ; l’article 9, paragraphe 1 ; l’article 10, paragraphe 4 ; l’article 14, point 1), et l’article 15, paragraphe 2, de la directive « services ».

    ( 46 ) Déjà visé à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive « services ».

    ( 47 ) Mise en italique par mes soins.

    ( 48 ) Voir, notamment, arrêt du 4 juillet 2019, Kirschstein (C‑393/17, EU:C:2019:563, points 61 à 63). Voir également, bien qu’il ne soit pas contraignant, le Manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services », p. 15.

    ( 49 ) Voir également mes conclusions dans les affaires jointes Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie e.a. (C‑357/19 et C‑547/19, EU:C:2021:170, points 109 à 115), en ce qui concerne le même argument soulevé à propos du champ d’application de l’article 325, paragraphe 1, TFUE.

    ( 50 ) Voir, par exemple, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19 et jurisprudence citée) ; du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C‑682/15, EU:C:2017:373, points 49 et 50), ainsi que du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861, points 59 et 60).

    ( 51 ) Voir point 42 des présentes conclusions.

    ( 52 ) Voir, notamment, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 115 et 116).

    ( 53 ) Sur la relation entre l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47 de la Charte et leurs champs d’application respectifs, voir mes conclusions dans les affaires jointes WB e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403, points 161 à 169).

    ( 54 ) Voir, notamment, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531, point 56 et jurisprudence citée).

    ( 55 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982).

    ( 56 ) Décisions no III PO 7/18.

    ( 57 ) En tenant compte du fait qu’en Pologne, la fonction de ministre de la Justice a été fusionnée avec celle de procureur général – voir mes conclusions dans les affaires jointes WB e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403). Pour une évaluation critique (et en fait) négative de la fusion de ces deux fonctions, voir Commission de Venise, avis no 892/2017 sur la loi relative au ministère public, telle que modifiée (2017).

    ( 58 ) Affaire no II DSI 67/18.

    ( 59 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982).

    ( 60 ) Cela diffère, par exemple, de l’affaire Torubarov dans laquelle, à la suite d’échanges successifs entre les mêmes acteurs, la procédure nationale était bloquée en raison du refus apparent de l’autorité administrative d’exécuter la décision juridictionnelle antérieure. Dans cette affaire, la juridiction de renvoi avait toutefois posé une question portant spécifiquement sur le blocage qui s’était déjà concrétisé – voir arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, points 23 à 32).

    ( 61 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 171).

    ( 62 ) Voir arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 44 et 46 ainsi que jurisprudence citée), ou ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher (C‑256/19, EU:C:2020:523, points 42 à 44).

    ( 63 ) Voir, par exemple, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, points 21 et 22) ; du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 20), et du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 44).

    ( 64 ) Voir, avec d’autres références, arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, points 50 et suiv.).

    ( 65 ) Voir, notamment, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 30), et du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 69).

    ( 66 ) La Cour a itérativement rappelé qu’une juridiction nationale est habilitée à constater l’incompatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union et de tirer les conclusions appropriées de ce constat sans devoir solliciter une décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE – voir arrêts du 19 janvier 2010, Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21, points 53 à 55), et du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 28), ainsi que ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó (C‑610/19, EU:C:2020:673, point 75).

    ( 67 ) Voir, plus en détail, mes conclusions dans les affaires jointes Ministerul Public – Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Direcţia Naţională Anticorupţie e.a. (C‑357/19 et C‑547/19, EU:C:2021:170, points 235 à 243).

    ( 68 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 171).

    ( 69 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153).

    ( 70 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 142 à 150).

    ( 71 ) Il était le fait, respectivement, du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) et du Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) (Cour suprême, chambre du travail et des assurances sociales).

    ( 72 ) Portalis, J.-E.-M., « Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er pluviôse an IX » (p. 12), dans Portalis, J.-E.-M., Discours et rapports sur le Code civil, Caen, Fontes & Paginae, 2010, p. 70.

    ( 73 ) Voir points 128 à 131 des présentes conclusions.

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