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Document 62019TJ0259

Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 24 novembre 2021 (Extraits).
Aman Dimashq JSC contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Droit de propriété – Droit d’exercer une activité économique – Détournement de pouvoir – Obligation de motivation – Droits de la défense – Droit à un procès équitable – Droit à une protection juridictionnelle effective.
Affaire T-259/19.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2021:821

 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

24 novembre 2021 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Droit de propriété – Droit d’exercer une activité économique – Détournement de pouvoir – Obligation de motivation – Droits de la défense – Droit à un procès équitable – Droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑259/19,

Aman Dimashq JSC, établie à Damas (Syrie), représentée par Mes L. Cloquet et J.-P. Buyle, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13), du règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4), de la décision (PESC) 2019/806 du Conseil, du 17 mai 2019, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 132, p. 36), du règlement d’exécution (UE) 2019/798 du Conseil, du 17 mai 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 132, p. 1), de la décision (PESC) 2020/719 du Conseil, du 28 mai 2020, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2020, L 168, p. 66), et du règlement d’exécution (UE) 2020/716 du Conseil, du 28 mai 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2020, L 168, p. 1), en tant que ces actes visent la requérante,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

[omissis]

9

Par la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2019, L 18 I, p. 13), et par le règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 18 I, p. 4) (ci-après, dénommés ensemble, les « actes initiaux »), le nom de la requérante a été inséré à la ligne 73 du tableau B des listes des noms des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe I de la décision 2013/255 et à l’annexe II du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »), avec mention des motifs suivants :

« Aman [Dimashq] est une coentreprise d’une valeur de 18,9 millions de dollars des États-Unis entre Damascus Cham [Holding] et Aman [Holding]. Du fait de sa participation à la construction de Marota City, un projet immobilier haut de gamme appuyé par le régime, Aman [Dimashq] soutient le régime syrien et/ou en tire avantage. »

[omissis]

11

Par lettre du 26 mars 2019, les représentants de la requérante se sont opposés à l’inscription du nom de celle-ci sur les listes en cause et ont demandé au Conseil de leur communiquer les documents étayant ladite inscription. Par lettres des 2 et 12 avril 2019, les représentants de la requérante ont réitéré leur demande auprès du Conseil afin d’avoir accès aux documents étayant l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause avant le dépôt de la requête, dans le cas d’espèce.

12

Par lettre du 13 mai 2019, d’une part, le Conseil a indiqué aux représentants de la requérante que, en substance, ses observations n’étaient pas de nature à remettre en cause la décision d’inscrire son nom sur les listes en cause. D’autre part, le Conseil leur a communiqué le document portant la référence WK 54/2019 INIT, daté du 28 février 2019, comprenant les éléments de preuve venant au soutien des motifs de ladite inscription.

13

Le 17 mai 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/806, modifiant la décision 2013/255 (JO 2019, L 132, p. 36), qui a prorogé l’application de cette dernière décision jusqu’au 1er juin 2020 ; le même jour, le Conseil a également adopté le règlement d’exécution (UE) 2019/798, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 132, p. 1) (ci-après, dénommés ensemble, les « actes de maintien de 2019 »).

[omissis]

Procédure et conclusions des parties

18

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2019, la requérante a introduit le présent recours, tendant à l’annulation des actes initiaux, en tant que ces actes la concernent.

19

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 30 juillet 2019, la requérante a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête, de sorte que celle-ci tend également à l’annulation des actes de maintien de 2019, en tant que ces actes la concernent. La requérante a également réitéré les chefs de conclusions qui figuraient dans la requête.

20

Le 8 août 2019, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense et les observations sur le premier mémoire en adaptation.

21

La réplique a été déposée le 1er octobre 2019.

22

Par décision du 17 octobre 2019, le président du Tribunal a, en application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement de procédure, réattribué l’affaire à un nouveau juge rapporteur, affecté à la quatrième chambre.

23

La duplique a été déposée le 8 janvier 2020.

24

La phase écrite de la procédure a été close le 8 janvier 2020.

25

Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a) et d), du règlement de procédure, le Tribunal a, le 23 juillet 2020, demandé aux parties de répondre à une série de questions et de produire certains documents. Les parties ont répondu aux questions et ont déféré à la demande de production de documents dans le délai imparti.

26

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 août 2020, la requérante a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, adapté une seconde fois la requête, de sorte que celle-ci tend également à l’annulation des actes de maintien de 2020 en tant que ces actes la concernent. La requérante a également réitéré les chefs de conclusions qui figuraient dans la requête ainsi que dans le premier mémoire en adaptation et a présenté de nouveaux arguments.

27

Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, le Tribunal a, le 30 septembre 2020, demandé au Conseil de produire un document. Le Conseil a déféré à la demande de production de document dans le délai imparti. La requérante n’a pas soumis d’observations sur la réponse du Conseil à cette mesure d’organisation de la procédure.

28

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal au cours de l’audience qui s’est déroulée le 21 octobre 2020, lors de laquelle le Conseil a également présenté ses observations sur le second mémoire en adaptation. En particulier, le Conseil a renvoyé aux moyens et arguments contenus dans la défense et la duplique.

29

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler les actes initiaux, les actes de maintien de 2019 et les actes de maintien de 2020 (ci-après, dénommés ensemble, les « actes attaqués ») en tant qu’ils la concernent ;

condamner le Conseil aux dépens.

30

Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens ;

à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en tant qu’ils concernent la requérante, ordonner le maintien des effets de la décision d’exécution 2019/87 ainsi que des décisions 2019/806 et 2020/719 en tant que celles-ci concernent la requérante, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation des règlements d’exécution 2019/85, 2019/798 et 2020/716 en tant qu’ils concernent la requérante.

En droit

[omissis]

Sur le sixième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense, du droit à un procès équitable et du droit à une protection juridictionnelle effective

51

La requérante soutient, en substance, que les actes attaqués violent ses droits de la défense et son droit à un procès équitable, tels que prévus à l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et à l’article 6, paragraphe 3, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, dans la mesure où le Conseil ne l’a pas entendue avant l’adoption desdits actes, ainsi que son droit à une protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte.

52

Premièrement, la requérante fait valoir, à cet égard, que, compte tenu du fait qu’elle n’a pas été entendue préalablement à l’adoption des actes attaqués, ses droits de la défense n’auraient pas pu être exercés utilement. Plus particulièrement, la requérante prétend que le droit d’être entendu requiert qu’elle puisse faire connaître son point de vue quant à la réalité et à la pertinence des faits allégués ainsi que sur les éléments de preuve retenus contre elle avant que la mesure litigieuse ne soit adoptée. En outre, selon la requérante, il n’existerait aucune urgence ni aucun risque qu’elle compromette l’efficacité de la mesure en étant auditionnée préalablement à l’adoption des actes attaqués alors que la perte causée après l’adoption desdits actes pour la requérante était certaine et prévisible. Le Conseil aurait volontairement refusé à la requérante l’accès au dossier de preuves visant à étayer l’inscription de son nom sur les listes en cause et, partant, aurait violé ses droits de la défense.

53

Deuxièmement, la requérante soutient, en substance, que, en vertu de son droit à une protection juridictionnelle effective, elle a demandé au Conseil de lui accorder au plus tôt l’accès à toutes les informations et à tous les documents fondant l’adoption des actes initiaux à son égard. Elle n’aurait pas reçu, avant d’introduire le présent recours, le dossier de preuves la concernant, alors qu’elle en aurait fait la demande auprès du Conseil le 26 mars 2019, réitérée à deux reprises le 2 et le 12 avril 2019. À cet égard, elle prétend que le défaut de communication du dossier de preuves la concernant démontrerait que, avant l’adoption des actes initiaux, le Conseil ne disposait d’aucun document ou d’aucune preuve matérielle étayant la motivation contenue dans ces actes alors qu’il est tenu de constituer un dossier avant de décider d’imposer des mesures restrictives. Elle ajoute que le fait que le document WK 54/2019 INIT lui a été communiqué postérieurement à l’introduction du présent recours témoignerait de ce qu’il aurait été artificiellement constitué pour les besoins dudit litige. Dès lors, les motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause ne seraient pas fondés et, partant, seraient illégaux. Lors de l’audience, la requérante a soutenu que le Conseil avait transmis le document WK 54/2019 INIT tardivement, et ce même si la requête en l’espèce avait déjà été déposée.

54

Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

55

Il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense comporte notamment le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité qui sont consacrés à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la Charte (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 99 et jurisprudence citée).

56

Par ailleurs, le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite à sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100 et jurisprudence citée ; arrêt du 21 janvier 2016, Makhlouf/Conseil, T‑443/13, non publié, EU:T:2016:27, point 38).

57

L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101 et jurisprudence citée).

58

Enfin, l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).

[omissis]

1

En premier lieu, concernant le premier grief tiré de ce que la requérante n’a pas été entendue préalablement à l’adoption des actes attaqués et de ce que ses droits de la défense n’ont pas pu être exercés utilement, il convient de rappeler que le juge de l’Union distingue, d’une part, l’inscription initiale du nom d’une entité sur les listes imposant des mesures restrictives et, d’autre part, le maintien du nom de cette entité sur lesdites listes (arrêt du 30 avril 2015, Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 40).

[omissis]

67

Deuxièmement, s’agissant des actes de maintien de 2019 et des actes de maintien de 2020, il convient de rappeler que, dans le cas des actes par lesquels le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà dans les listes imposant des mesures restrictives est maintenu, un effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité desdites mesures, de sorte que l’adoption de tels actes doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

68

À cet égard, la Cour a souligné que l’élément de protection qu’offraient l’exigence de communication des éléments à charge et le droit de présenter des observations avant l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives était fondamental et essentiel aux droits de la défense. Cela est d’autant plus vrai que les mesures restrictives en question ont une incidence importante sur les droits et les libertés des personnes et des groupes visés (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 64).

69

En effet, la règle selon laquelle le destinataire d’une décision faisant grief doit être mis en mesure de faire valoir ses observations avant que celle-ci soit prise a pour but que l’autorité concernée soit à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents. Afin d’assurer une protection effective dudit destinataire, elle a notamment pour objet que celui-ci puisse corriger une erreur ou faire valoir tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui milite dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 65).

70

Toutefois, lorsque le maintien du nom de la personne ou de l’entité concernée sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard, le Conseil n’est pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, points 32 et 33 et jurisprudence citée). La communication des éléments à charge s’impose, en revanche, lorsqu’il existe des éléments nouveaux par lesquels le Conseil réactualise les informations concernant la situation personnelle de la personne ou de l’entité concernée ou la situation politique et sécuritaire du pays à l’encontre duquel le régime de mesures restrictives a été adopté (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 72).

71

En l’espèce, d’une part, s’agissant des actes de maintien de 2019, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été signalé au point 67 ci-dessus, que l’adoption de ces actes devait, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la requérante d’être entendue.

72

À cet égard, il convient de relever que, par lettre du 26 mars 2019, la requérante a présenté une première demande d’accès au document contenant les éléments de preuve étayant les motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause. Elle a réitéré sa demande les 2 et 12 avril 2019. Le Conseil a fait droit à cette demande le 13 mai 2019, soit dans un délai d’un mois et trois semaines après la première demande d’accès et quatre jours avant l’adoption des actes de maintien de 2019.

73

Or, il y a lieu de rappeler que, sur demande de l’intéressé, le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels, et ce dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2013, Bank Kargoshaei e.a./Conseil, T‑8/11, non publié, EU:T:2013:470, points 68 et 93).

74

Il convient de considérer que, dans les circonstances de l’espèce, le Conseil n’a pas transmis le document WK 54/2019 INIT dans un délai raisonnable. En effet, en transmettant à la requérante ledit document seulement quatre jours avant l’adoption des actes de maintien de 2019, le Conseil lui a laissé un laps de temps trop court pour lui permettre de présenter utilement ses éventuelles observations. Ainsi, il n’a pas garanti une audition utile de la requérante. De surcroît, même à considérer que la requérante ait eu le temps de soumettre ses observations au Conseil dans le temps qui lui restait avant l’adoption desdits actes, il restait trop peu de temps au Conseil pour analyser avec la diligence requise lesdites observations. Ainsi, l’élément de protection fondamental et essentiel aux droits de la défense que constituent la communication des éléments à charge et le droit de présenter des observations sur ces derniers avant l’adoption des actes de maintien de 2019, tel que rappelé par la jurisprudence citée aux points 67 et 69 ci-dessus, a été mis à mal par la transmission tardive du dossier contenant lesdits éléments à la requérante.

75

Il s’ensuit que la transmission du document contenant les éléments de preuve visant à étayer les motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause est intervenue trop tardivement compte tenu de la date d’adoption des actes de maintien de 2019, de sorte que ses droits de la défense ont été violés à cet égard.

76

Cela étant, il ne saurait être déduit de tout ce qui précède que la communication tardive par le Conseil à la requérante des éléments de preuve rappelés au point 74 ci-dessus, avant que le Conseil adopte les actes de maintien de 2019, emporte l’annulation de ces derniers. En effet, il incombe au juge de l’Union de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une irrégularité affectant les droits de la défense, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans la mesure où la requérante aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité (voir, en ce sens, arrêts du 22 septembre 2015, First Islamic Investment Bank/Conseil, T‑161/13, EU:T:2015:667, point 84 ; du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, points 120 et 121).

77

En l’espèce, la requérante reste en défaut d’expliquer quels sont les arguments ou les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait reçu les documents en cause plus tôt et n’a pas non plus démontré que ces arguments ou ces éléments auraient pu conduire à un résultat différent dans son cas.

78

Dès lors, la violation des droits de la défense de la requérante n’entraîne pas, dans les circonstances de l’espèce, l’annulation des actes de maintien de 2019.

[omissis]

81

Partant, le premier grief de la requérante doit être rejeté.

82

En second lieu, la requérante se prévaut, en substance, d’un second grief, tiré de ce que le Conseil, en ne lui permettant pas d’accéder « au plus tôt » au dossier contenant les informations et les éléments de preuve fondant l’inscription de son nom sur les actes initiaux et sur les actes de maintien de 2019, aurait violé son droit à une protection juridictionnelle effective.

83

Tout d’abord, la requérante prétend que le défaut de communication du dossier contenant les informations et les éléments de preuve venant au soutien de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes en cause en temps utile démontrerait que, avant l’adoption des actes initiaux, le Conseil ne disposait d’aucun document ou d’aucune preuve matérielle étayant la motivation des motifs d’inscription.

84

En l’espèce, la première page du document WK 54/2019 INIT, qui contient les éléments de preuve visant à étayer les motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, indique la date du 28 février 2019, alors que les actes initiaux, inscrivant pour la première fois le nom de la requérante sur lesdites listes, ont été adoptés le 21 janvier 2019. Autrement dit, la première page du document WK 54/2019 INIT porte une date postérieure à la date d’adoption des actes initiaux.

85

En réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal visant à confirmer l’existence d’un dossier de preuves lors de l’adoption des actes initiaux, le Conseil soutient que le document WK 54/2019 INIT indique la date du 28 février 2019 en raison d’un problème technique, lié au fait que ledit document a été déposé dans les archives électroniques à cette date. Le Conseil a indiqué que les éléments de preuve figurant dans le document WK 54/2019 INIT faisaient partie de la proposition d’inscription du nom de la requérante sur les listes annexées aux actes initiaux. Le Conseil a produit à cet effet le document ST 10250/20, du 15 septembre 2020, contenant la proposition d’inscription du nom de la requérante, portant la référence COREU CFSP/0195/18, du 4 décembre 2018, sur laquelle il s’est fondé pour adopter les actes initiaux. Lors de l’audience, la requérante a contesté que ce document ait été utilisé pour fonder l’inscription initiale de son nom sur les listes en cause, en raison de ce que le format du document et la matérialisation des preuves sous forme d’hyperliens n’auraient pas rendu le document, dépourvu de tout raisonnement articulé, accessible et intelligible.

86

Toutefois, il convient de constater que, d’une part, la proposition d’inscription COREU CFSP/0195/18 est datée du 4 décembre 2018, c’est-à-dire qu’elle est antérieure à la date d’adoption des actes initiaux. D’autre part, la proposition d’inscription COREU CFSP/0195/18 liste un ensemble de liens hypertextes se rapportant aux preuves produites dans le document WK 54/2019 INIT, à l’exception de la pièce relative à un article du site Internet « The Syria Report », intitulé « Samer Foz, l’homme d’affaires syrien le plus puissant », publié le 19 avril 2018 (voir point 111 ci-après). Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil a démontré qu’il disposait d’un ensemble de preuves avant l’adoption des actes initiaux permettant d’étayer les motifs d’inscription figurant dans ces actes. L’argument de la requérante selon lequel la communication du document WK 54/2019 INIT, postérieure à l’introduction du présent recours, témoignerait de ce que ledit document aurait été artificiellement constitué pour les besoins du présent litige doit, dès lors, être rejeté comme étant non fondé. Par ailleurs, l’argument de la requérante relatif au caractère inintelligible et inaccessible du document manque en fait, puisque les liens hypertextes renvoient aux articles qui ont été reproduits dans le document WK 54/2019 INIT.

87

Ensuite, la requérante soutient que l’absence de communication des éléments de preuve visant à étayer l’inscription de son nom sur les listes en cause, alors qu’elle aurait demandé à y accéder en temps utile, soit avant d’introduire le présent recours, entraînerait la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective.

88

Ainsi qu’il a été rappelé au point 73 ci-dessus, sur demande de l’intéressé, le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels, et ce dans un délai raisonnable.

89

Lors de l’appréciation du caractère raisonnable du délai de communication, il convient de tenir compte du fait que, dans la mesure où la personne ou l’entité concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’inscription initiale de son nom sur les listes en cause, l’accès au dossier visé ci‑dessus constitue la première opportunité pour elle de prendre connaissance des documents retenus par le Conseil au soutien de ladite inscription et que, partant, il revêt un intérêt particulier pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2015, First Islamic Investment Bank/Conseil, T‑161/13, EU:T:2015:667, point 80 et jurisprudence citée).

90

En l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé au point 72 ci-dessus, la requérante a demandé au Conseil, le 26 mars 2019, l’accès au dossier de preuves étayant les motifs de son inscription initiale sur les listes en cause. La requérante a réitéré à deux reprises sa demande d’accès en invoquant la nécessité de disposer de ces documents le plus rapidement possible afin de prendre une décision relative à l’exercice de ses droits devant le Tribunal. Le document WK 54/2019 INIT a été transmis à la requérante le 13 mai 2019, soit après l’introduction du présent recours. Dans la réplique, la requérante confirme la réception du document WK 54/2019 INIT.

91

Il importe de relever que le document WK 54/2019 INIT, visant à étayer les motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, constitue, en substance, un complément de la motivation figurant dans les actes initiaux, mais n’a été communiqué qu’au terme d’un délai d’un mois et trois semaines à la requérante, ce qui ne saurait être considéré comme une période de temps négligeable. À cet égard, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, le délai écoulé entre la date d’adoption des actes initiaux et la date de la demande d’accès de la requérante ne saurait justifier l’absence de réponse du Conseil dans un délai raisonnable. En effet, le Conseil ne peut se prévaloir du temps écoulé avant que la requérante demande l’accès aux documents la concernant afin de justifier le délai dans lequel il a lui-même effectivement fait droit à la demande d’accès. Toutefois, ainsi que le Conseil l’a rappelé lors de l’audience, il existe au sein du Conseil des délais internes nécessaires afin d’obtenir l’approbation des différentes instances pour transmettre des documents. Ces délais internes doivent, certes, être compatibles avec la jurisprudence rappelée aux points 73 et 89 ci-dessus, afin que les éléments de preuve fournis et visant à étayer des mesures restrictives concernant une personne ou une entité lui soient communiqués en temps utile pour qu’elle puisse faire valoir ses droits devant le juge de l’Union.

92

Néanmoins, il convient de relever que la requérante a attendu vingt et un jours avant l’expiration du délai pour l’introduction du présent recours pour envoyer, le 26 mars 2019, la première demande d’accès au dossier. Ainsi, la requérante a contribué à réduire le laps de temps laissé au Conseil pour qu’il lui communique le document WK 54/2019 INIT avant l’expiration dudit délai.

93

Par conséquent, le fait que le Conseil n’a pas été en mesure de communiquer le document WK 54/2019 INIT à la requérante avant l’introduction de son recours ne saurait lui être entièrement imputable.

94

En tout état de cause, force est de constater que la requérante a eu accès au document WK 54/2019 INIT le 13 mai 2019, soit avant que le Conseil ne dépose le mémoire en défense. Ainsi, elle a pu prendre position sur les éléments de preuve figurant dans ledit document tant dans le cadre du mémoire en réplique que lors de l’audience.

95

Dès lors, il y a lieu de considérer que la communication du document WK 54/2019 INIT le 13 mai 2019 était suffisante pour permettre à la requérante d’exercer son droit à un recours juridictionnel effectif.

96

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second grief et, partant, le sixième moyen dans son ensemble.

[omissis]

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Aman Dimashq JSC est condamnée aux dépens.

 

Gervasoni

Madise

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 novembre 2021.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.

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