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Document 62018CJ0407

    Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 26 juin 2019.
    Aleš Kuhar et Jožef Kuhar contre Addiko Bank d.d.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Višje sodišče v Mariboru.
    Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Procédure d’exécution forcée d’une créance hypothécaire – Acte notarié directement exécutoire – Contrôle judiciaire des clauses abusives – Suspension de l’exécution forcée – Incompétence du juge saisi de la demande d’exécution forcée – Protection du consommateur – Principe d’effectivité – Interprétation conforme.
    Affaire C-407/18.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:537

    ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

    26 juin 2019 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Procédure d’exécution forcée d’une créance hypothécaire – Acte notarié directement exécutoire – Contrôle judiciaire des clauses abusives – Suspension de l’exécution forcée – Incompétence du juge saisi de la demande d’exécution forcée – Protection du consommateur – Principe d’effectivité – Interprétation conforme »

    Dans l’affaire C‑407/18,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Višje sodišče v Mariboru (cour d’appel de Maribor, Slovénie), par décision du 6 juin 2018, parvenue à la Cour le 21 juin 2018, dans la procédure

    Aleš Kuhar,

    Jožef Kuhar

    contre

    Addiko Bank d.d.,

    LA COUR (huitième chambre),

    composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. C. G. Fernlund et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

    avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour le gouvernement slovène, par Mme B. Jovin Hrastnik, en qualité d’agent,

    pour la Commission européenne, par Mme M. Kocjan et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Aleš et Jožef Kuhar à Addiko Bank d.d., établissement bancaire slovène, au sujet de l’exécution forcée d’une créance au titre d’un contrat de crédit hypothécaire conclu sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 3 de la directive 93/13 prévoit :

    « 1.   Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

    2.   Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

    [...] »

    4

    L’article 4 de cette directive énonce :

    « 1.   Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

    2.   L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

    5

    L’article 5 de ladite directive est rédigé comme suit :

    « Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »

    6

    L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

    « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

    7

    Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

    « Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

    Le droit slovène

    La loi relative à la protection des consommateurs

    8

    L’article 23 du Zakon o varstvu potrošnikov (loi relative à la protection des consommateurs, Uradni list RS, no 98/04) prévoit :

    «Une entreprise ne peut pas prévoir de clauses contractuelles abusives à l’égard du consommateur.

    Les clauses contractuelles visées au paragraphe précédent sont nulles. »

    9

    L’article 24, premier alinéa, de cette loi énonce :

    « Des clauses contractuelles sont considérées comme abusives si elles créent, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, si elles rendent l’exécution du contrat indûment préjudiciable au consommateur, ou si elles rendent l’exécution du contrat nettement différente de ce que le consommateur pouvait légitimement attendre, ou bien si elles méconnaissent le principe de bonne foi et de loyauté. »

    La loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires

    10

    L’article 9 du Zakon o izvršbi in zavarovanju (loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires, Uradni list RS, no 3/07) énonce :

    « Une décision de première instance est susceptible d’appel à moins que la loi n’en dispose autrement.

    Un recours d’un débiteur contre une ordonnance d’exécution faisant droit à une demande d’exécution est une réclamation.

    [...]

    Une décision concernant la réclamation est susceptible d’appel.

    [...] »

    11

    L’article 15 de cette loi prévoit :

    « Les dispositions du Zakon o pravdnem postopku [(code de procédure civile, Uradni list RS, no 73/07)] s’appliquent par analogie à la procédure d’exécution forcée et aux mesures conservatoires, sauf disposition contraire de la présente loi ou d’une autre loi. »

    12

    L’article 17, premier et second alinéas, de ladite loi dispose :

    « Le juge ordonne l’exécution sur la base d’un titre exécutoire.

    Sont des titres exécutoires :

    1.

    une décision de justice exécutoire et une transaction judiciaire exécutoire ;

    2.

    un acte notarié exécutoire ;

    [...] »

    13

    Aux termes de l’article 55, premier alinéa, de la même loi :

    « Il est possible d’introduire une réclamation contre une ordonnance d’exécution forcée pour des motifs qui font obstacle à l’exécution, notamment :

    [...]

    2)

    si le titre sur la base duquel l’exécution forcée a été accordée n’est pas un titre exécutoire ou un acte authentique ;

    [...] »

    14

    L’article 71 de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires est libellé comme suit :

    « La juridiction peut suspendre entièrement ou partiellement l’exécution forcée à la demande du débiteur lorsque ce dernier fait valoir de manière crédible qu’une exécution immédiate lui ferait subir un préjudice irréparable ou difficilement réparable et pire que celui qu’est susceptible de subir le créancier si l’exécution est différée, dans les cas de figure suivants :

    [...]

    5)

    introduction d’un recours en nullité de la transaction conclue dans l’acte notarié directement exécutoire sur la base duquel l’exécution forcée a été accordée ;

    [...]

    Sans préjudice du paragraphe précédent, le juge peut, à la demande du débiteur, suspendre l’exécution forcée dans d’autres cas également, pour des motifs légitimes particuliers, mais pour trois mois au maximum et une seule fois.

    Sur proposition du créancier, le juge subordonne le sursis à l’exécution à la constitution d’une garantie par le débiteur, sauf si cela porte préjudice à son entretien ou à celui des membres de sa famille. Si le débiteur ne constitue pas la garantie dans le délai fixé par le juge, qui ne peut excéder 15 jours, la demande de suspension est réputée avoir été retirée. »

    Le code de procédure civile

    15

    L’article 3, troisième alinéa, point 1, du code de procédure civile dispose :

    « Une juridiction ne reconnaît pas une disposition des parties :

    1.

    contraire à l’ordre public. »

    La loi relative au notariat

    16

    L’article 4 du Zakon o notariatu (loi relative au notariat, Uradni list RS, no 2/07) énonce :

    « Un acte notarié prévoyant une obligation de donner, de faire, de ne pas faire ou de tolérer quelque chose, susceptible de faire l’objet d’un règlement amiable, constitue un titre exécutoire si le débiteur accepte expressément ce caractère directement exécutoire dans cet acte même ou dans un acte notarié séparé et si la créance est exigible. »

    17

    L’article 42 de cette loi dispose :

    « Avant d’établir un acte notarié, le notaire doit décrire aux parties de manière compréhensible le contenu, les conséquences juridiques de l’acte juridique ou de l’expression de volonté prévus, il doit attirer l’attention des parties sur les risques connus et habituels liés à un tel acte juridique ou à une telle expression de volonté. Le notaire doit également attirer l’attention des parties sur d’autres circonstances éventuelles concernant l’acte juridique prévu, s’il les connaît [...]. Il doit également dissuader les parties d’employer des expressions peu claires, incompréhensibles ou ambigües et attirer expressément leur attention sur les conséquences juridiques éventuelles de l’emploi de telles expressions. Si les parties conservent ces expressions, il doit les inscrire dans l’acte notarié, mais en mentionnant également l’avertissement les concernant donné aux parties. »

    La loi relative à l’aide juridictionnelle

    18

    L’article 8, quatrième tiret, du Zakon o brezplačni pravni pomoči (loi relative à l’aide juridictionnelle) dispose :

    « L’aide juridictionnelle gratuite en vertu de cette loi n’est pas accordée :

    […]

    à un débiteur visé par une procédure d’exécution forcée engagée sur la base d’un titre exécutoire au sens de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires, à moins que celui-ci fasse valoir de manière crédible qu’il existe des motifs de réclamation contre l’exécution qui font obstacle à celle-ci d’après des dispositions de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires. »

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    19

    Addiko Bank et MM. Kuhar ont conclu un contrat de crédit hypothécaire, sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire, destiné à financer l’achat d’un logement (ci-après l’« acte notarié en cause »). Le crédit était libellé en francs suisses (CHF), mais MM. Kuhar devaient acquitter les mensualités de remboursement en euros, au cours de référence de la Banque centrale européenne (BCE) du jour du paiement. Le taux d’intérêt était lié au taux LIBOR CHF à six mois.

    20

    MM. Kuhar demeurant en défaut de paiement, Addiko Bank a introduit, sur le fondement de l’acte notarié en cause, une demande devant l’Okrajno sodišče v Gornji Radgoni (tribunal de district de Gornja Radgona, Slovénie) visant à ordonner l’exécution forcée de cet acte.

    21

    Cette juridiction a fait droit à la demande d’exécution forcée pour un montant total de 128765, 66 euros.

    22

    Dans leur réclamation introduite devant ladite juridiction contre l’ordonnance accordant l’exécution forcée, MM. Kuhar, sans être assistés par un avocat, ont soutenu qu’Addiko Bank n’avait pas dûment attiré leur attention sur le risque de change, ce qui les avait conduits à conclure un contrat dont certaines des clauses revêtaient un caractère abusif et en vertu duquel ils devraient désormais rembourser un montant nettement supérieur à celui du crédit obtenu.

    23

    L’Okrajno sodišče v Gornji Radgoni (tribunal de district de Gornja Radgona) a rejeté cette réclamation au motif notamment, en substance, qu’il appartenait à MM. Kuhar de s’acquitter de l’obligation telle qu’elle découlait de l’acte notarié en cause et qu’il importait peu qu’Addiko Bank ait ou non dûment attiré leur attention sur le risque de change.

    24

    MM. Kuhar, toujours sans être assistés d’un avocat, ont alors saisi la juridiction de renvoi, le Višje sodišče v Mariboru (cour d’appel de Maribor, Slovénie), d’un recours tendant à l’annulation de l’ordonnance accordant l’exécution forcée.

    25

    Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a d’ores et déjà jugé, à titre interlocutoire, que la clause, figurant dans l’acte notarié en cause, stipulant que le crédit est libellé en devises mais que son remboursement doit être effectué en euros revêt un caractère abusif en ce qu’elle ne prévoit aucune limitation adéquate du risque de change. Bien que portant sur l’objet principal du contrat, cette clause n’aurait été ni claire ni compréhensible pour MM. Kuhar. Plus généralement, la juridiction de renvoi considère que, même si l’absence de limitation du risque de change peut affecter aussi bien le consommateur que la banque, il existe néanmoins un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, ne serait-ce qu’en raison des moyens nettement plus importants dont dispose une banque pour maîtriser un tel risque, en tant qu’établissement financier de taille considérable, pouvant s’appuyer à cet effet sur des connaissances spécialisées, des données importantes et une expérience en la matière. Par ailleurs, cette juridiction est d’avis que, en souscrivant un crédit destiné à financer l’acquisition d’un logement, un consommateur raisonnable ne s’exposerait pas à un risque de change illimité, susceptible d’avoir pour lui des conséquences économiques néfastes et durables. Au contraire, s’il pouvait négocier sur un pied d’égalité avec la banque et s’il était dûment informé par cette dernière, un tel consommateur ne s’engagerait que si le contrat de crédit comportait une limitation raisonnable d’un tel risque.

    26

    La juridiction de renvoi se demande s’il appartient au juge auquel est déférée une demande tendant à ordonner l’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, lorsqu’il constate que ce dernier comporte une clause abusive, d’interdire, le cas échéant d’office, la mise en œuvre d’une telle clause dès ce stade procédural ou si une telle décision relève de l’appréciation du juge du fond, éventuellement saisi par le consommateur dans le cadre d’une procédure séparée.

    27

    À cet égard, la juridiction de renvoi relève tout d’abord que, conformément au principe d’effectivité du droit de l’Union, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, les règles procédurales nationales relatives à la force de chose jugée d’une décision de justice ne peuvent pas rendre excessivement difficile pour la juridiction saisie d’une demande d’exécution de refuser d’appliquer des clauses abusives. Or, en droit slovène, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée introduite sur la base d’un acte notarié directement exécutoire, le juge compétent serait pourtant confronté à des dispositions procédurales de cette nature. Il s’agirait plus particulièrement des dispositions de droit national relatives à la mise en œuvre du principe de légalité formelle et aux conditions légales de suspension de l’exécution forcée, telles que prévues par la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires.

    28

    D’une part, quant au principe de légalité formelle, la juridiction de renvoi fait observer que, selon l’interprétation traditionnelle retenue en droit slovène, le juge ne peut pas refuser l’exécution forcée, dès lors que, en vertu de ce principe, son contrôle se limite à la vérification que l’acte authentique constatant le contrat de crédit dont l’exécution forcée est poursuivie a été établi dans le respect des exigences formelles prévues par la législation applicable. La position du juge saisi d’une demande d’exécution forcée fondée sur un acte notarié, tel que l’acte notarié en cause, serait dès lors, du point de vue de la violation du principe d’effectivité, analogue, en substance, à celle visée dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 14 novembre 2013, Banco Popular Español et Banco de Valencia (C‑537/12 et C‑116/13, EU:C:2013:759).

    29

    D’autre part, la juridiction de renvoi relève que le droit slovène ne prévoit pas de suspension de la procédure d’exécution forcée en cas d’introduction, par le consommateur, d’une action en nullité fondée sur l’existence d’une clause abusive dans le contrat qu’il a conclu avec un professionnel. La suspension de l’exécution, prévue à l’article 71, premier et deuxième alinéas, de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires, est possible seulement à titre exceptionnel, sur demande motivée du débiteur, à des conditions très strictes relatives à l’existence d’un préjudice irréparable ou difficilement réparable qui, selon la jurisprudence constante des juridictions slovènes, ne peut pas consister dans le préjudice résultant de la mise en œuvre de l’exécution forcée elle-même.

    30

    La juridiction de renvoi fait ensuite observer que, en règle générale, le débiteur visé par une procédure d’exécution forcée ne peut pas bénéficier d’une aide juridictionnelle gratuite et n’a pas non plus les moyens de se faire représenter, ce qui le conduit, dans la plupart des cas, à ne pas se faire assister d’un avocat dans le cadre d’une telle procédure. Il existerait donc un risque non négligeable que, par ignorance, le débiteur n’introduise même pas de demande de suspension de l’exécution ou qu’une telle demande soit tellement lacunaire qu’elle serait vouée à l’échec. Les possibilités, déjà très limitées, dont dispose le débiteur de faire valoir ses droits, le seraient encore davantage en raison du droit du créancier d’exiger du débiteur la constitution d’une garantie. En effet, l’article 71, troisième alinéa, de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires prévoirait que, si le débiteur ne constitue pas une telle garantie, la demande de suspension de l’exécution forcée est considérée comme retirée.

    31

    Enfin, la juridiction de renvoi estime que, en vue de se conformer au principe d’effectivité du droit de l’Union, il serait possible, pour les juridictions slovènes, de retenir une interprétation moins stricte du principe de légalité formelle visé au point 28 du présent arrêt, en permettant au juge saisi d’une demande d’exécution forcée de procéder d’office à une vérification du caractère abusif d’une clause dès cette phase procédurale. En effet, durant cette dernière, le juge devrait établir un constat complet de tous les faits juridiquement déterminants, y compris ceux qui ne sont pas constants entre les parties. Par ailleurs, l’acte notarié se prêterait davantage à une vérification de fond que des titres exécutoires classiques délivrés par des juridictions. Par ailleurs, l’article 4 de la loi relative au notariat prévoirait que le débiteur doit accepter expressément le caractère directement exécutoire du titre, ce qui exclurait que des dispositions d’ordre public, telles que celles en matière de protection des consommateurs relatives aux clauses abusives, puissent être contournées en obtenant l’accord du débiteur. Sur la base d’une telle interprétation, le juge saisi d’une demande d’exécution forcée serait, partant, en mesure de refuser d’office l’exécution d’un acte notarié, tel que l’acte notarié en cause, qui aurait été accepté par le débiteur en violation de dispositions d’ordre public.

    32

    Dès lors, toutefois, que c’est l’interprétation stricte et restrictive du principe de légalité formelle qui prévaudrait actuellement auprès de la majorité des juridictions slovènes, la juridiction de renvoi se demande si une telle interprétation est compatible avec le principe d’effectivité du droit de l’Union, appliqué à la directive 93/13.

    33

    Dans ces conditions, le Višje sodišče v Mariboru (cour d’appel de Maribor) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « Compte tenu du principe d’effectivité du droit de l’Union, la directive 93/13 [...] doit-elle être interprétée en ce sens que, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, le juge saisi d’une demande d’exécution doit refuser d’office celle-ci en raison d’une clause abusive incluse dans un acte notarié directement exécutoire (titre exécutoire) dans un cas de figure où, comme en l’espèce, le système procédural d’un État membre n’offre pas au juge de possibilité effective de suspendre ou de différer l’exécution forcée (à la demande du débiteur ou d’office) jusqu’à ce qu’une décision finale concernant le caractère abusif de la clause soit rendue dans le cadre d’une procédure contentieuse introduite par le débiteur en tant que consommateur ? »

    Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

    34

    Le gouvernement slovène doute, à titre liminaire, de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. Ce gouvernement relève que la juridiction de renvoi est d’avis qu’il lui revient de s’opposer d’office à la mise en œuvre de clauses illicites contenues dans un acte notarié, tel que l’acte notarié en cause, dès lors que le droit procédural slovène ne permet pas une suspension provisoire de l’exécution forcée. Or, jusqu’à la date du renvoi préjudiciel, MM. Kuhar eux-mêmes n’auraient pas réuni les conditions procédurales pour obtenir une telle mesure de suspension conformément à la législation nationale, à défaut pour eux d’avoir introduit un recours au fond, en constatation de la nullité de clauses contractuelles, raison pour laquelle la question de la suspension de l’exécution ne se poserait même pas.

    35

    À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant, notamment, une interprétation des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis et sont libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié (voir, notamment, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov, C‑173/09, EU:C:2010:581, point 26, ainsi que du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia, C‑342/17, EU:C:2018:906, point 33 et jurisprudence citée).

    36

    De même, la Cour a itérativement rappelé que les questions adressées par les juridictions nationales portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur de telles questions n’est donc possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27 et jurisprudence citée).

    37

    La Cour a également jugé qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre de la coopération instituée par l’article 267 TFUE, de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires (voir, notamment, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 30 et jurisprudence citée).

    38

    En l’occurrence, il convient de constater que l’argument avancé par le gouvernement slovène pour établir le caractère hypothétique de la demande de décision préjudicielle, adressée par la juridiction de renvoi, saisie de l’exécution forcée d’une créance hypothécaire, repose sur des considérations liées au respect des règles de procédure de droit national, plus particulièrement sur la circonstance selon laquelle les débiteurs au principal n’auraient pas introduit, en vertu du droit slovène et jusqu’à la date du renvoi préjudiciel, un recours au fond visant à faire constater la nullité des clauses contractuelles contenues dans l’acte notarié en cause et qu’ils estiment abusives.

    39

    Or, ainsi qu’il ressort des points 35 et 37 du présent arrêt, une demande de décision préjudicielle ne saurait être déclarée irrecevable au motif qu’elle aurait été adoptée en méconnaissance des règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires ou qu’elle serait survenue, le cas échéant, à un stade précoce de la procédure nationale.

    40

    Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

    Sur la question préjudicielle

    41

    Par sa question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la directive 93/13 doit être interprétée, à l’aune du principe d’effectivité, en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la juridiction nationale saisie d’une demande d’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire, ne dispose pas, soit à la demande du consommateur, soit d’office, de la possibilité d’examiner si les clauses contenues dans un tel acte ne revêtent pas un caractère abusif, au sens de cette directive, et, sur ce fondement, de suspendre l’exécution forcée sollicitée.

    42

    À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur l’interprétation des articles 3 à 5 de la directive 93/13, lui permettant d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat de crédit faisant l’objet de l’acte notarié en cause et dont l’exécution forcée est demandée. En effet, ainsi qu’il ressort du point 25 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a déjà statué, à titre interlocutoire, sur la nature abusive des clauses dudit contrat, ce qu’il n’appartient pas à la Cour de remettre en discussion dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE.

    43

    Cette prémisse posée, il importe de souligner que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs.

    44

    Il y a également lieu de rappeler que, compte tenu de la nature et de l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 40 et jurisprudence citée).

    45

    Si la Cour a déjà encadré, à plusieurs égards et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière selon laquelle le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres (arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 57).

    46

    C’est pourquoi, en l’absence d’harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de leur mise en œuvre relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers. Néanmoins, ces modalités doivent répondre à la double condition de ne pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 40 et jurisprudence citée).

    47

    S’agissant, d’une part, du principe d’équivalence, qui ne fait pas l’objet de la demande de décision préjudicielle, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission européenne dans ses observations écrites, que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité avec ce principe de la réglementation nationale en cause au principal.

    48

    D’autre part, quant au principe d’effectivité, il est de jurisprudence constante que la question de savoir si une disposition nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il convient de prendre en considération, le cas échéant, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir, en ce sens, notamment arrêts du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, point 51, ainsi que du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, points 43 et 44).

    49

    C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient de vérifier si un régime procédural national, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, porte atteinte à l’effectivité de la protection offerte aux consommateurs par la directive 93/13.

    50

    À cet égard, en l’occurrence, il résulte de la description qui en a été faite par la juridiction de renvoi que, en droit slovène, le régime de l’exécution forcée présente les caractéristiques suivantes :

    la juridiction chargée de l’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire, ne peut refuser ladite exécution forcée en raison de la présence, dans le contrat en question, d’une clause abusive car cette juridiction doit se conformer inconditionnellement au contenu d’un titre exécutoire, sans pouvoir en apprécier la légalité du contenu ;

    la suspension de l’exécution forcée n’est, en principe, pas possible, même à titre provisoire, sauf dans l’hypothèse de l’introduction d’une procédure au fond, introduite par le débiteur en tant que consommateur, tendant à faire constater la nullité d’une clause contractuelle abusive ;

    cette suspension de l’exécution forcée, jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur le fond, n’est autorisée qu’à titre exceptionnel et est soumise à des conditions légales strictes relatives à la démonstration d’un préjudice irréparable ou difficilement réparable, au sens de l’article 71, premier alinéa, de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires, qui exclut le préjudice lié à l’exécution forcée elle-même, ce qui, dans la pratique, rend cette suspension quasiment impossible ;

    le créancier a le droit d’exiger du débiteur la constitution d’une garantie dans le cas où ce dernier demande la suspension de l’exécution forcée, et

    le débiteur visé par la procédure d’exécution forcée ne peut pas obtenir d’aide juridictionnelle gratuite, de sorte qu’il doit supporter lui-même les frais importants de représentation par un avocat.

    51

    Dans ses observations écrites, le gouvernement slovène a contesté l’interprétation du droit national, telle que retenue par la juridiction de renvoi. Plus particulièrement, ce gouvernement a fait valoir que, eu égard à la jurisprudence récente de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie), telle qu’appliquée également par plusieurs autres juridictions nationales, il convenait désormais tant d’interpréter le critère du préjudice irréparable ou difficilement réparable, au sens de l’article 71, premier alinéa, de la loi relative à l’exécution et aux mesures conservatoires, que de mettre en balance la situation du débiteur et celle du créancier en tenant compte également du préjudice qui résulterait de la mise en œuvre de l’exécution forcée.

    52

    À cet égard, il suffit de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, les fonctions de la Cour et celles de la juridiction de renvoi sont clairement séparées. S’il incombe à la Cour d’interpréter les dispositions du droit de l’Union, il appartient à la seule juridiction de renvoi d’interpréter la législation nationale. La Cour doit donc s’en tenir à l’interprétation du droit national, telle qu’elle lui a été exposée par ladite juridiction (arrêt du 27 février 2019, Associação Peço a Palavra e.a., C‑563/17, EU:C:2019:144, point 36 et jurisprudence citée).

    53

    S’agissant du régime procédural de l’exécution forcée en cause au principal, eu égard aux caractéristiques dudit régime mises en évidence par la juridiction de renvoi et résumées au point 50 du présent arrêt, force est de constater qu’un tel régime est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection poursuivie par la directive 93/13.

    54

    En effet, il a déjà été établi qu’une protection effective des droits conférés au consommateur par cette directive ne saurait être garantie qu’à la condition que le système national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné (voir, notamment, arrêts du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 46, ainsi que du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 44).

    55

    Certes, ainsi que l’a fait valoir le gouvernement slovène, il ne peut être exclu, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, que, eu égard, notamment, à la loi relative au notariat, les notaires soient soumis à des obligations de conseil et d’information des consommateurs, en particulier dans le cadre d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu sous la forme d’un acte authentique, de nature à assurer un contrôle préventif du caractère abusif des clauses d’un tel contrat et, partant, à contribuer au respect des exigences énoncées à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, par analogie, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, points 55, 57 et 58).

    56

    Toutefois, fût-il existant, un contrôle préventif de cette nature ne suffit pas à assurer l’effectivité de la protection garantie par la directive 93/13.

    57

    En effet, ainsi que la Cour l’a jugé au point 59 de l’arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637), même lorsque la législation nationale prévoit un tel contrôle préventif, les moyens adéquats et efficaces visant à faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus par un professionnel avec les consommateurs doivent comprendre des dispositions permettant de garantir à ces derniers une protection juridictionnelle effective, qui leur offre la possibilité d’attaquer en justice un tel contrat, y compris dans la phase de l’exécution forcée de celui-ci, et ce dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui rendent excessivement difficile ou en pratique impossible l’exercice des droits garantis par la directive 93/13.

    58

    Plus particulièrement, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour avait précisé, aux points 60 et 61 de celui-ci, que, en vertu du droit national en cause dans cette affaire, le consommateur pouvait, d’une part, introduire un recours en contestation de la validité du contrat en cause et, d’autre part, engager une procédure tendant à l’exclusion ou à la limitation de l’exécution forcée, ce qui, dans ce contexte, emportait le droit pour le consommateur de demander la suspension de l’exécution forcée de ce contrat. En outre, la Cour avait déduit des éléments du dossier qui lui avait été soumis dans ladite affaire que, dans le cadre desdites procédures, les juridictions nationales pouvaient et devaient relever d’office les cas de nullité manifeste, en fonction des éléments de preuve disponibles. Ces modalités procédurales des recours en droit interne paraissaient donc, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, garantir une protection juridictionnelle effective au consommateur.

    59

    En revanche, en ce qui concerne l’affaire au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour que le droit slovène n’offre au consommateur aucune garantie comparable à celles visées aux points 54, 57 et 58 du présent arrêt.

    60

    Il résulte, en effet, de ce dossier, en premier lieu, que le droit procédural slovène ne prévoit pas clairement le droit pour le consommateur de solliciter la suspension, fût-ce à titre provisoire, de l’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, au motif que ce dernier comprend une clause abusive. En tout état de cause, à supposer même que le consommateur dispose d’une telle possibilité, il n’en demeure pas moins que le droit national subordonne la demande de suspension de l’exécution forcée à la satisfaction de conditions procédurales très strictes ainsi qu’à la constitution d’un dépôt de garantie à la demande du créancier. De telles exigences rendent, en pratique, quasiment impossible l’obtention d’une telle mesure de suspension, dès lors qu’il est vraisemblable qu’un débiteur en défaut de paiement ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour constituer la garantie requise. En deuxième lieu, il apparaît que le juge saisi par le créancier hypothécaire d’une demande tendant à se voir accorder l’exécution forcée de sa créance ne peut contrôler d’office la nature éventuellement abusive des clauses de ce contrat. Enfin, en troisième lieu, il ressort de la demande de décision préjudicielle qu’il existe un risque non négligeable que, dans le cadre de la procédure d’exécution forcée, les consommateurs concernés soient dissuadés d’assurer leur défense et de faire valoir pleinement leurs droits, eu égard aux frais de représentation que la procédure entraînerait par rapport au montant de la dette concernée et à l’impossibilité de solliciter une aide juridictionnelle.

    61

    Il importe d’ajouter que le fait que, en vertu du droit procédural slovène, le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur, peut être opéré non pas par le juge saisi de la demande d’exécution forcée d’un tel contrat, mais uniquement, ultérieurement et le cas échéant, par le juge du fond saisi par le consommateur d’une action en nullité de telles clauses abusives, est manifestement insuffisant pour assurer la pleine effectivité de la protection des consommateurs voulue par la directive 93/13.

    62

    En effet, à défaut pour le juge saisi de la demande d’exécution forcée de pouvoir suspendre celle-ci au motif que le contrat de crédit hypothécaire est affecté d’une clause abusive, il est vraisemblable que la saisie immobilière du bien hypothéqué sera menée à son terme avant le prononcé de la décision du juge du fond constatant, le cas échéant, la nullité de cette clause compte tenu du caractère abusif de celle-ci et, partant, de la procédure d’exécution forcée. Dans ces conditions, quand bien même une telle décision serait prononcée, quant au fond, en faveur du consommateur concerné, ce dernier ne bénéficiera de ce fait que d’une protection a posteriori, sous la forme d’une réparation financière, de sorte qu’une telle protection revêt un caractère incomplet et insuffisant, d’autant plus si la saisie immobilière visait le logement de ce consommateur et de sa famille, lequel serait alors définitivement perdu. Une telle protection a posteriori ne constitue dès lors pas un moyen adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation d’une clause abusive, contrairement à l’objectif visé à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, en ce sens, ordonnance du 14 novembre 2013, Banco Popular Español et Banco de Valencia, C‑537/12 et C‑116/13, EU:C:2013:759, points 56 et 57 ainsi que jurisprudence citée).

    63

    Partant, la directive 93/13, interprétée à la lumière du principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui présente les caractéristiques décrites au point 50 du présent arrêt.

    64

    Certes, en l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que la réglementation slovène serait susceptible d’être interprétée de manière conforme au droit de l’Union, de sorte, en particulier, à permettre au juge saisi d’une demande d’exécution forcée d’apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu sous la forme d’un acte notarié, et de suspendre, sur ce fondement, une telle exécution forcée.

    65

    À cet égard, il importe de rappeler que le principe d’interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 59 et jurisprudence citée).

    66

    Ainsi que la Cour l’a également jugé, l’exigence d’une telle interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition de droit national en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (voir, notamment, arrêts du 19 avril 2016, DI, C‑441/14, EU:C:2016:278, points 33 et 34, ainsi que du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 60).

    67

    Eu égard à la circonstance visée au point 64 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la réglementation nationale en cause au principal peut effectivement faire l’objet d’une interprétation conforme à la directive 93/13 et, dans l’affirmative, d’en tirer les conséquences en droit.

    68

    Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 93/13 doit être interprétée, à l’aune du principe d’effectivité, en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la juridiction nationale saisie d’une demande d’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire, ne dispose pas, soit à la demande du consommateur, soit d’office, de la possibilité d’examiner si les clauses contenues dans un tel acte ne revêtent pas un caractère abusif, au sens de cette directive, et, sur ce fondement, de suspendre l’exécution forcée sollicitée.

    Sur les dépens

    69

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

     

    La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée, à l’aune du principe d’effectivité, en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la juridiction nationale saisie d’une demande d’exécution forcée d’un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur sous la forme d’un acte notarié directement exécutoire, ne dispose pas, soit à la demande du consommateur, soit d’office, de la possibilité d’examiner si les clauses contenues dans un tel acte ne revêtent pas un caractère abusif, au sens de cette directive, et, sur ce fondement, de suspendre l’exécution forcée sollicitée.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le slovène.

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