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Document 62018CC0686
Opinion of Advocate General Hogan delivered on 11 February 2020.#OC e.a. and Others v Banca d'Italia and Others.#Request for a preliminary ruling from the Consiglio di Stato.#Reference for a preliminary ruling — Admissibility — Article 63 et seq. TFEU — Free movement of capital — Article 107 et seq. TFEU — State aid — Articles 16 and 17 of the Charter of Fundamental Rights of the European Union — Freedom to conduct a business — Right to property — Regulation (EU) No 575/2013 — Prudential requirements applicable to credit institutions and investment firms — Article 29 — Regulation (EU) No 1024/2013 — Article 6(4) — Prudential supervision of credit institutions — Conferral of specific tasks on the European Central Bank (ECB) — Delegated Regulation (EU) No 241/2014 — Regulatory technical standards for Own Funds requirements for institutions — National regulation imposing an asset threshold on people’s banks established as cooperative societies and allowing the right to redeem shares by the withdrawing shareholder to be limited.#Case C-686/18.
Conclusions de l'avocat général M. G. Hogan, présentées le 11 février 2020.
OC e.a. contre Banca d'Italia e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato.
Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Articles 63 et suivants TFUE – Libre circulation des capitaux – Articles 107 et suivants TFUE – Aides d’État – Articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Droit de propriété – Règlement (UE) n° 575/2013 – Exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement – Article 29 – Règlement (UE) n° 1024/2013 – Article 6, paragraphe 4 – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne (BCE) – Règlement délégué (UE) n° 241/2014 – Normes techniques de réglementation concernant les exigences de fonds propres applicables aux établissements – Réglementation nationale imposant un plafond d’actifs aux banques populaires constituées sous la forme de sociétés coopératives et permettant de limiter le droit au remboursement des actions des associés qui se retirent.
Affaire C-686/18.
Conclusions de l'avocat général M. G. Hogan, présentées le 11 février 2020.
OC e.a. contre Banca d'Italia e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato.
Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Articles 63 et suivants TFUE – Libre circulation des capitaux – Articles 107 et suivants TFUE – Aides d’État – Articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Liberté d’entreprise – Droit de propriété – Règlement (UE) n° 575/2013 – Exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement – Article 29 – Règlement (UE) n° 1024/2013 – Article 6, paragraphe 4 – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne (BCE) – Règlement délégué (UE) n° 241/2014 – Normes techniques de réglementation concernant les exigences de fonds propres applicables aux établissements – Réglementation nationale imposant un plafond d’actifs aux banques populaires constituées sous la forme de sociétés coopératives et permettant de limiter le droit au remboursement des actions des associés qui se retirent.
Affaire C-686/18.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:90
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 11 février 2020 ( 1 )
Affaire C‑686/18
OC e.a.,
Adusbef,
Federconsumatori,
PB e.a.,
QA e.a.
contre
Banca d’Italia,
Presidenza del Consiglio dei Ministri,
Ministero dell’Economia e delle Finanze,
parties jointes :
Banca Popolare di Sondrio ScpA,
Veneto Banca ScpA,
Banco Popolare – Società Cooperativa,
Banco BPM SpA,
Ubi Banca SpA,
Banca Popolare di Vicenza ScpA,
Banca Popolare dell’Etruria e del Lazio SC,
Unione di Banche Italiane SpA,
Banca Popolare di Milano,
Unione di Banche Italiane – Ubi Banca ScpA,
Amber Capital Italia SGR SpA,
Amber Capital UK LLP,
Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons),
RZ e.a.
[demande de décision préjudicielle
formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]
« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 575/2013 – Article 29 – Règlement délégué (UE) no 241/2014 – Article 10 – Règlement (UE) no 1024/2013 – Article 6, paragraphe 4 – Articles 16, 17 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit des sociétés – Articles 49 et 63 TFUE – Plafond d’actifs de 8 milliards d’euros au-dessus duquel une banque populaire doit être transformée en société par actions – Droit d’une société de reporter ou de limiter, y compris pour une période illimitée, le remboursement des actions détenues par l’associé se retirant »
I. Introduction
1. |
Les banques coopératives ont une longue tradition dans de nombreux États européens. Elle a commencé au milieu du XIXe siècle par la création de la Volksbanken en Allemagne et des sociétés de crédit immobilier au Royaume‑Uni. Ces établissements de crédit coopératif ou mutualiste ont généralement suivi le principe « une personne – une voix ». Ces banques ont été initialement créées en tant qu’alternative aux banques commerciales traditionnelles à but lucratif. Elles cherchaient à promouvoir l’esprit d’économie, à donner un accès aux capitaux aux petites et moyennes entreprises et généralement à promouvoir un sens de la responsabilité financière de la part de leurs membres. |
2. |
La situation a beaucoup changé en 150 ans. L’apparition de systèmes de paiement intégrés et globalisés, ainsi que – comme la dernière décennie ne l’a que trop douloureusement montré – le besoin accru d’une supervision et d’une régulation bancaires, se sont combinés pour soulever des questions quant à la viabilité future de ce modèle bancaire traditionnel. Le cas se pose sans doute notamment lorsque ces banques disposent d’une base d’actifs importante, au point que la faillite d’une d’entre elles est susceptible de créer une menace systémique pour le système bancaire local et, de même, ainsi que les événements de 2008 l’ont à nouveau illustré, pour le système bancaire européen au sens large. |
3. |
Tous ces éléments ont incité à une réforme législative dans plusieurs des États membres, encouragée peut-être par l’expérience de faillites bancaires à grande échelle (ou même de risques de faillites) dans plusieurs États membres à partir de la période postérieure à 2008. Plus particulièrement, le principe de la mutualité est conçu par certains comme rendant ces établissements insensibles au sentiment des investisseurs. Il existe également la croyance que la gouvernance d’entreprise de ces établissements et l’accès général aux marchés de capitaux seraient améliorés si ces établissements transformaient leur forme juridique, en passant de celle de la mutualité à celle de société ouverte classique opérant sur les marchés boursiers. |
4. |
L’ensemble de ces éléments constitue le cadre général de cette affaire. Les parties requérantes dans la présente procédure s’interrogent en substance, par conséquent, sur la compatibilité de la législation nationale italienne récemment adoptée en 2015 avec les exigences du droit de l’Union dans les circonstances que je décris ci‑après. La caractéristique essentielle de cette législation est qu’elle fixe le niveau maximal des actifs immobilisés qu’une banque coopérative peut détenir à 8 milliards d’euros. |
5. |
Plus précisément, la présente demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation des articles 3, 63 et 107 et suivants TFUE ; des articles 16, 17 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») ; de l’article 29 du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 ( 2 ) ; de l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit ( 3 ) ; et de l’article 10 du règlement délégué (UE) no 241/2014 de la Commission, du 7 janvier 2014, complétant le règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation concernant les exigences de fonds propres applicables aux établissements ( 4 ). |
6. |
La décision de renvoi, qui a été soumise par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) au greffe de la Cour le 5 novembre 2018, a été présentée dans le cadre d’une procédure opposant OC e.a., Adusbef, Federconsumatori, PB e.a. et QA e.a., d’une part, et la Banca d’Italia, Presidenza del Consiglio dei Ministri (présidence du Conseil des ministres), Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances), d’autre part. Je m’arrête ici un instant pour observer qu’OC, PB et QA sont des noms anonymisés donnés pour distinguer des groupes d’associés mutuels de diverses banques coopératives italiennes distinctes (les « banche popolari », ci‑après les « banques populaires »). |
7. |
La procédure devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) concerne la légalité de certains actes adoptés par le législateur italien et la Banca d’Italia qui, en substance, d’une part, fixent un plafond d’actifs ou de capital de 8 milliards d’euros concernant les banques populaires et, d’autre part, permettent à de telles banques, une fois transformées en sociétés par actions, de reporter le remboursement des actions détenues par un associé qui se retire pour une période illimitée et d’en limiter le montant en tout ou en partie. |
8. |
Conformément aux dispositions nationales en question, lorsque le plafond de 8 milliards d’euros est dépassé, une banque populaire dispose de trois alternatives : elle peut i) réduire ses actifs ou son capital pour les ramener sous ce plafond, ii) transformer la banque concernée en société par actions ou iii) liquider la banque. Le fait de ne pas retenir l’une de ces alternatives peut avoir, notamment, pour conséquence que la Banca d’Italia impose l’interdiction d’entreprendre de nouvelles opérations ou propose la révocation de l’autorisation d’exercer l’activité bancaire à la Banque centrale européenne (BCE) et que le ministre de l’Économie et des Finances engage une liquidation administrative forcée. |
9. |
Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a indiqué dans sa demande de décision préjudicielle que les dispositions nationales en cause visent, d’une part, à mettre en place un équilibre approprié entre la forme juridique et les dimensions d’une banque populaire et, d’autre part, à assurer le respect des règles prudentielles de l’Union. Ces dispositions visent par conséquent à rendre la réglementation des banques populaires nationales plus cohérente avec les dynamiques propres du marché européen de référence, à garantir une meilleure compétitivité de ces établissements et à promouvoir une plus grande transparence dans leur organisation, leur exploitation et leurs fonctions. |
10. |
Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a également souligné que toutes les banques populaires, à l’exception de deux d’entre elles, se sont conformées aux réformes législatives qui ont été introduites. Avant d’examiner ces questions, il convient cependant d’étudier tout d’abord les dispositions législatives pertinentes. |
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le règlement no 575/2013
11. |
L’article 1er, premier alinéa, du règlement no 575/2013 prévoit que ce règlement « fixe des règles uniformes concernant les exigences prudentielles générales que [respectent] tous les établissements faisant l’objet d’une surveillance en vertu de la directive 2013/36/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338)] ». |
12. |
Aux termes de l’article 26, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013, les instruments de capital sont inclus dans les éléments de fonds propres de base de catégorie 1, sous réserve que les conditions prévues à l’article 28 dudit règlement ou, le cas échéant, à son article 29 soient remplies. |
13. |
L’article 28, paragraphe 1, du règlement no 575/2013 énonce : « 1. Des instruments de capital ne sont éligibles en tant qu’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 que si toutes les conditions suivantes sont remplies : […]
[…] » |
14. |
L’article 29 du règlement no 575/2013 dispose : « 1. Les instruments de capital émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues ne sont éligibles en tant qu’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 que si les conditions énoncées à l’article 28, modifiées en application du présent article, sont remplies. 2. Les conditions suivantes sont remplies en ce qui concerne le remboursement des instruments de capital :
[…] 6. [L’Autorité bancaire européenne (ABE)] élabore des projets de normes techniques de réglementation précisant la nature des limites au remboursement nécessaires lorsque le droit national interdit à l’établissement de refuser le remboursement des instruments de fonds propres. L’ABE soumet ces projets de normes techniques de réglementation à la Commission au plus tard le 1er février 2015. La Commission est habilitée à adopter les normes techniques de réglementation visées au premier alinéa conformément aux articles 10 à 14 du règlement (UE) no 1093/2010 [du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12)]. » |
15. |
L’article 30 du règlement no 575/2013, intitulé « Conséquence du non‑respect des conditions d’éligibilité d’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 », dispose : « Lorsque les conditions énoncées à l’article 28 ou, selon le cas, à l’article 29, ne sont plus respectées pour un instrument de fonds propres de base de catégorie 1 :
|
2. Le règlement délégué no 241/2014 ( 5 )
16. |
Le considérant 10 du règlement délégué no 241/2014 énonce : « Il convient, pour appliquer la réglementation des fonds propres aux sociétés mutuelles, aux sociétés coopératives, aux établissements d’épargne et aux établissements analogues, de tenir compte de manière appropriée des spécificités de ces établissements. Des règles devraient être adoptées pour, entre autres, garantir à ces établissements la possibilité, le cas échéant, de limiter le remboursement de leurs instruments de capital. Par conséquent, lorsque le droit national applicable à ces types d’établissements leur interdit de refuser de rembourser des instruments, il est essentiel que les dispositions régissant ces instruments reconnaissent à l’établissement la faculté de différer leur remboursement et d’en limiter le montant […] » |
17. |
L’article 10 du règlement délégué no 241/2014, intitulé « Limitation, aux fins de l’article 29, paragraphe 2, [sous] b), et de l’article 78, paragraphe 3, du [règlement no 575/2013], du remboursement d’instruments de capital émis par des sociétés mutuelles, des établissements d’épargne, des sociétés coopératives et des établissements analogues », dispose : « 1. Un établissement ne peut émettre d’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 assortis d’une possibilité de remboursement que si cette possibilité est prévue par le droit national applicable. 2. La faculté, prévue à l’article 29, paragraphe 2, [sous] b), et à l’article 78, paragraphe 3, du [règlement no 575/2013], qu’a l’établissement de limiter le remboursement en vertu des dispositions régissant les instruments de capital, inclut le droit de différer le remboursement et le droit de limiter le montant remboursable. L’établissement peut différer le remboursement ou en limiter le montant pour une durée illimitée en vertu du paragraphe 3. 3. L’ampleur des limites de remboursement prévues par les dispositions régissant les instruments est déterminée par l’établissement de manière à tenir compte à tout moment de sa situation prudentielle, et notamment, mais pas exclusivement, des éléments suivants :
|
3. Le règlement no 1024/2013
18. |
L’article 1er, premier alinéa, du règlement no 1024/2013 « confie à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit afin de contribuer à la sécurité et à la solidité des établissements de crédit et à la stabilité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre, en tenant pleinement compte de l’unité et de l’intégrité du marché intérieur et en remplissant à cet égard un devoir de diligence, un traitement égal étant réservé aux établissements de crédit pour éviter les arbitrages réglementaires ». |
19. |
L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1024/2013 prévoit : « La BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre d’un mécanisme de surveillance unique composé d’elle‑même et des autorités compétentes nationales. La BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MSU » ( 6 ). |
20. |
L’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 dispose : « En ce qui concerne les missions définies à l’article 4, à l’exception du paragraphe 1, [sous] a) et c), la BCE et les autorités compétentes nationales sont dotées des compétences fixées respectivement aux paragraphes 5 et 6 du présent article, dans le cadre et sous réserve des procédures visées au paragraphe 7 du présent article, pour la surveillance des établissements de crédit, des compagnies financières holdings, des compagnies financières holdings mixtes ou des succursales, établies dans les États membres participants, d’établissements de crédit établis dans des États membres non participants :
En ce qui concerne le premier alinéa ci‑dessus, un établissement de crédit, une compagnie financière holding ou une compagnie financière holding mixte n’est pas considéré comme moins important, sauf si des circonstances particulières, à préciser dans la méthodologie, justifient de le considérer comme tel, si l’une quelconque des conditions suivantes est remplie :
La BCE peut également, de sa propre initiative, considérer qu’un établissement présente un intérêt important s’il a établi des filiales bancaires dans plus d’un État membre participant et si ses actifs ou passifs transfrontaliers représentent une partie importante de ses actifs ou passifs totaux, sous réserve des conditions fixées dans la méthodologie. Les établissements pour lesquels une aide financière publique a été directement demandée ou reçue du FESF [ ( 7 )] ou du MES [ ( 8 )] ne sont pas considérés comme moins importants. Nonobstant les alinéas précédents, la BCE s’acquitte des missions que lui confie le présent règlement en ce qui concerne les trois établissements de crédit les plus importants dans chacun des États membres participants, sauf si des circonstances particulières justifient qu’il en soit autrement. » |
B. Le droit italien
21. |
Le chapitre V du Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (loi bancaire consolidée, ci‑après la « LBC »), visé par le decreto legislativo n. 385 (décret législatif no 385), du 1er septembre 1993 ( 9 ), réglemente l’activité bancaire coopérative, y compris l’activité des banques populaires. Ce chapitre a été modifié à la suite de l’adoption du decreto-legge n. 3 (décret-loi no 3), du 24 janvier 2015 (GURI no 19, du 24 janvier 2015, p. 1, ci‑après le « décret-loi no 3/2015 »). |
22. |
L’article 28, paragraphe 2 ter, du décret législatif no 385 a été introduit à titre de modification dudit décret, dans sa version applicable après le 24 janvier 2015, par le décret-loi no 3/2015 modifié par la legge n. 33 (loi no 33), ( 10 ) du 24 mars 2015 (ci‑après la « loi no 33/2015 »), du 24 janvier 2015. Cette disposition a été elle‑même modifiée par la suite par le decreto legislativo n. 72, recante attuazione della direttiva 2013/36/UE ( 11 ) (décret législatif no 72 transposant la directive 2013/36), du 12 mai 2015 (ci‑après le « décret législatif no 72/2015 »), et prévoit : « Dans les banques populaires […], le droit au remboursement des actions en cas de retrait, même à la suite de la transformation, du décès ou de l’exclusion de l’associé, est limité conformément à ce que prévoit la Banca d’Italia, même par dérogation aux dispositions légales, lorsque cela est nécessaire pour assurer que les actions puissent être comptabilisées dans les fonds propres réglementaires de premier rang de la banque. Aux mêmes fins, la Banca d’Italia peut limiter le droit au remboursement des autres instruments de capital émis. » |
23. |
L’article 29 du décret législatif no 385 ( 12 ) dispose : « 2 bis. Les actifs d’une banque populaire ne peuvent dépasser les 8 milliards d’euros. Si la banque est la société mère d’un groupe bancaire, cette limite est fixée sur une base consolidée. 2 ter. En cas de dépassement de la limite visée au paragraphe 2 bis, l’organe d’administration convoque l’assemblée pour prendre les mesures nécessaires. Si, dans le délai d’un an à compter du dépassement de la limite, les actifs n’ont pas été ramenés sous le plafond et il n’a pas été décidé la transformation en société par actions […] ou la liquidation, la Banca d’Italia, compte tenu des circonstances et de l’importance du dépassement, peut adopter l’interdiction d’entreprendre de nouvelles opérations […], ou bien les mesures prévues par le titre IV, chapitre I, section I, ou bien proposer à la [BCE] la révocation de l’autorisation d’exercer l’activité bancaire, et au ministre de l’Économie et des Finances la liquidation administrative forcée. […] 2 quater. La Banca d’Italia adopte des dispositions d’exécution du présent article. […] » |
24. |
L’article 1er, paragraphe 2, du décret-loi no 3/2015 ( 13 ) prévoit : « Lors de la première application du présent décret, les banques populaires agréées au moment de l’entrée en vigueur du présent décret s’adaptent aux dispositions de l’article 29, paragraphes 2 bis et 2 ter, du [décret législatif no 385], telles qu’insérées par le présent article, dans un délai de 18 mois à compter de la date d’entrée en vigueur des dispositions d’exécution adoptées par la Banca d’Italia en vertu dudit article 29. » |
25. |
Le decreto-legge n. 91, convertito con modificazioni dalla legge 21 settembre 2018, n. 108 (décret-loi no 91 converti, tel que modifié par la loi no 108 du 21 septembre 2018), du 25 juillet 2018 ( 14 ), a prolongé le délai prévu à l’article 1er, paragraphe 2, du décret-loi no 3/2015 au 31 décembre 2018. |
26. |
Dans le cadre de sa mise en œuvre des articles 28 et 29 du décret législatif no 385, la Banca d’Italia a modifié sa circolare n. 285 (circulaire no 285), du 17 décembre 2013, sur les dispositions de surveillance des banques. Dans sa neuvième mise à jour du 9 juin 2015, qui introduit cette modification (ci‑après la « neuvième mise à jour de la circulaire no 285 »), la Banca d’Italia a établi les exigences suivantes : « [1.] [Les banques populaires concernées], lorsqu’elles ont des actifs supérieurs au plafond de 8 milliards d’euros, doivent se conformer aux dispositions de l’article 29, paragraphes 2 bis et 2 ter, de la loi bancaire consolidée (LBC) au plus tard 18 mois après l’entrée en vigueur des dispositions d’exécution imposées par la Banca d’Italia. […] [2.] Les modifications statutaires liées à la réforme peuvent être classées en trois catégories distinctes :
[…] [3.] Relèvent de la catégorie décrite sous a) les modifications statutaires tendant à :
[4.] Les banques populaires ayant des actifs supérieurs au plafond de 8 milliards d’euros devront apporter, au cours de la période transitoire et jusqu’à leur éventuelle transformation, à tout le moins les modifications statutaires obligatoires indiquées sous a) et b) ». |
III. Le litige au principal et les questions préjudicielles
27. |
Par trois recours distincts formés en première instance devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie), certains associés de banques populaires, l’Associazione Difesa Utenti Servizi Bancari, Finanziari, Postali e Assicurativi – Adusbef (Association de défense des utilisateurs de services bancaires, financiers, postaux et d’assurance) et la Federazione Nazionale di Consumatori ed Utenti – Federconsumatori (Fédération nationale des consommateurs et utilisateurs) ont contesté certains actes de la Banca d’Italia y compris, notamment, la neuvième mise à jour de la circulaire no 285. |
28. |
Le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a rejeté ces recours par des arrêts no 6548/2016, no 6544/2016 et no 6540/2016 du 7 juin 2016. |
29. |
Les requérants dans la procédure au principal ont interjeté appel des arrêts no 6548/2016, no 6544/2016 et no 6540/2016 devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État). Celui-ci (le Conseil d’État) a suspendu les effets de la neuvième mise à jour de la circulaire no 285 et soulevé des questions relatives à la constitutionnalité du décret-loi no 3/2015. |
30. |
Par arrêt no 99/2018, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) a rejeté comme infondées les questions soulevées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) relatives à la constitutionnalité du décret-loi no 3/2015. |
31. |
À la suite de la reprise de la procédure devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État), cette juridiction a prorogé, par ordonnance no 3645/2018, les suspensions antérieurement ordonnées jusqu’à la date de publication de l’arrêt tranchant le litige au fond ( 16 ). |
32. |
Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :
|
IV. La procédure devant la Cour
33. |
Par ordonnance du 18 janvier 2019, le président de la Cour a rejeté la demande de la juridiction de renvoi que la présente affaire soit traitée conformément à la procédure accélérée sur le fondement de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. |
34. |
Des observations écrites ont été présentées par OC e.a., l’Unione di Banche Italiane, la Banca d’Italia, la Banca Popolare di Sondrio, Amber Capital Italia et Amber Capital UK (ci‑après « Amber Capital »), le gouvernement italien et la Commission européenne. La Cour a décidé de statuer sans audience. |
V. Analyse
A. Remarques préliminaires
35. |
La présente demande de décision préjudicielle est particulièrement étonnante, car tous les intervenants, sauf OC e.a. et la Banca Popolare di Sondrio, ont fait valoir que certaines ou, effectivement, l’ensemble des questions soumises par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) sont totalement ou partiellement irrecevables. |
36. |
Ainsi, l’Unione di Banche Italiane considère que toutes les questions sont intégralement ou partiellement irrecevables ; la Banca d’Italia et Amber Capital considèrent que les trois premières questions sont irrecevables ; le gouvernement italien considère que les première et cinquième questions sont irrecevables et que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la deuxième question. La Commission européenne considère qu’une partie de la deuxième question et la cinquième question dans son ensemble sont irrecevables. |
37. |
Il ressort du dossier devant la Cour que la procédure au principal a été engagée, en première instance, devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) puis, en appel, devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) et que cette dernière juridiction a saisi à titre préjudiciel la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle). La présente demande de décision préjudicielle a été présentée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) qui semble être la juridiction nationale statuant en dernière instance dans le cadre de la procédure au principal. |
38. |
À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que si une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel constate que l’interprétation du droit de l’Union est nécessaire en vue d’aboutir à la solution d’un litige dont elle est saisie, l’article 267, troisième alinéa, TFUE lui impose de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle ( 17 ). |
39. |
Aux points 32 à 34 de son arrêt du 15 mars 2017, Aquino (C‑3/16, EU:C:2017:209), la Cour a rappelé que l’obligation de saisir la Cour d’une question préjudicielle, prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, s’inscrit dans le cadre de la coopération instituée en vue d’assurer la bonne application et l’interprétation uniforme du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l’application du droit de l’Union, et la Cour. Cette obligation de saisine prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE a notamment pour but de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit de l’Union. Par ailleurs, une juridiction statuant en dernier ressort constitue par définition la dernière instance devant laquelle les particuliers peuvent faire valoir les droits que le droit de l’Union leur reconnaît. Les juridictions statuant en dernier ressort sont chargées d’assurer à l’échelle nationale l’interprétation uniforme des règles de droit ( 18 ). |
40. |
Selon la jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales au titre de l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 19 ). |
41. |
Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 20 ). |
42. |
Il convient de relever que l’article 94 du règlement de procédure de la Cour fixe des exigences à l’égard du contenu d’une demande de décision préjudicielle. |
43. |
Dans son ordonnance du 12 mai 2016, Security Service e.a. (C‑692/15 à C‑694/15, EU:C:2016:344, point 18) ( 21 ), la Cour a souligné que les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement ( 22 ). |
44. |
Ainsi qu’il ressortira d’une autre lecture des présentes conclusions, j’ai constaté que plusieurs des questions posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) ne respectent malheureusement pas les exigences prévues à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour d’une manière totalement satisfaisante. Ce qui est regrettable puisque la Cour ne saurait, selon moi, répondre utilement à des questions que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) était tenu de poser afin de préciser l’interprétation du droit de l’Union. En effet, la Cour n’a pas, d’après moi, été mise en situation de préciser certaines questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union qui ont soulevé des doutes raisonnables de la part du Consiglio di Stato (Conseil d’État) et l’ont incité à présenter une demande de décision préjudicielle au moins en ce qui concerne certains aspects des questions posées. |
B. Sur la première question
45. |
La première question soumise par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) est divisée en deux parties. |
46. |
Par la première partie de sa première question, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande à la Cour, en substance, si l’article 29 du règlement no 575/2013, l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, les articles 16 et 17 de la Charte et l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013, excluent des dispositions nationales qui imposent un plafond d’actifs de 8 milliards d’euros au‑dessus duquel une banque populaire doit être transformée en société par actions ( 23 ). |
47. |
Par la seconde partie de sa première question, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande à la Cour, en substance, si l’article 29 du règlement no 575/2013, l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, les articles 16 et 17 de la Charte et l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013, excluent une disposition nationale qui, au moment de la transformation d’une banque populaire en société par actions, rend possible pour cette société de reporter ou limiter, y compris pour une période illimitée, le remboursement des actions détenues par un associé qui se retire. |
1. Sur la recevabilité de la première question
48. |
L’Unione di Banche Italiane, la Banca d’Italia, Amber Capital et le gouvernement italien considèrent que la première question est totalement ou partiellement irrecevable ou, à titre subsidiaire, que la Cour n’est pas compétente pour y répondre. |
49. |
Je me dois d’observer que la juridiction de renvoi a diffusé très peu d’informations sur ce qui l’a incitée à se renseigner sur l’interprétation des dispositions susmentionnées du droit de l’Union dans le cadre de l’adoption par le législateur italien et la Banca d’Italia du plafond de 8 milliards d’euros. Elle a relevé que les parties requérantes considèrent que le plafond est excessivement bas et qu’un plafond plus élevé aurait dû être fixé compte tenu de ceux applicables au niveau de l’Union. À cet égard, la juridiction de renvoi a simplement indiqué qu’elle avait des doutes quant au caractère bien‑fondé de cet argument et qu’elle partageait l’analyse de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) qui avait constaté que la fixation du plafond relevait du pouvoir de décision autonome du législateur national compte tenu des objectifs des dispositions nationales concernées. La juridiction de renvoi a également souligné le lien étroit entre le plafond et les limites appliquées au remboursement d’actions à la suite de la transformation d’une banque populaire en société par actions. |
50. |
À mon sens, la première question est irrecevable dans son intégralité, car la juridiction de renvoi n’a pas respecté l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour. À cet égard, je considère que la juridiction de renvoi n’a pas présenté l’« exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ». Par conséquent, en dehors de l’explication très sommaire relative aux éléments ayant incité la juridiction de renvoi à se renseigner sur l’interprétation de l’article 29 du règlement no 575/2013, de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, des articles 16 et 17 de la Charte et de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013, il n’existe aucune explication dans la demande de décision préjudicielle sur la relation entre ces dispositions du droit de l’Union et la législation nationale applicable à la procédure au principal. |
2. Sur la première partie de la première question
a) Sur la compétence de la Cour
51. |
Outre la question de la recevabilité de la première question dans son ensemble, je considère qu’il est nécessaire d’examiner si la Cour est compétente pour apporter une réponse à la première partie de la première question en ce qui concerne plus particulièrement l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi des articles 16 et 17 de la Charte par rapport à la fixation du plafond de 8 milliards d’euros par le législateur italien et la Banca d’Italia. |
52. |
Selon une jurisprudence constante, les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union, ceux‑ci étant tenus, dans toute la mesure du possible, de ne pas méconnaître lesdites exigences. L’article 51, paragraphe 1, de la Charte indique, cependant, que ses dispositions s’adressent « aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». En outre, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du traité UE, la Charte n’établit pas une nouvelle compétence pour l’Union ni ne modifie ses compétences ( 24 ). |
53. |
Étant donné que la décision de renvoi ne contient aucune information spécifique montrant que les dispositions nationales en cause établissant le plafond de 8 milliards d’euros constituent des actes mettant en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ou sont liées d’une quelconque autre manière à ce droit, je considère que la Cour n’est pas compétente pour fournir une interprétation des articles 16 et 17 de la Charte dans le cadre de la première partie de la première question. |
b) Sur le fond de la première partie de la première question
54. |
Dans l’hypothèse où la Cour devait cependant considérer (contrairement à mon propre avis) que la première question est recevable ( 25 ), j’estimerais ensuite que l’article 29 du règlement no 575/2013, l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 et l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 n’exigent pas ni n’excluent une disposition nationale qui impose un plafond d’actifs de 8 milliards d’euros au-dessus duquel une banque populaire doit être transformée en société par actions. En effet, aucune des dispositions de l’Union en cause ne contient de règles établissant des plafonds d’actifs destinées aux banques ou aux établissements similaires qui imposeraient leur transformation en sociétés par actions. |
55. |
À cet égard, l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 établissent les règles concernant l’éligibilité des instruments de fonds propres émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues en tant que fonds propres de base de catégorie 1 et, en particulier, les conditions relatives au remboursement de ces instruments de fonds propres. Ces dispositions n’établissent pas de plafond d’actifs ou de capital. |
56. |
Par ailleurs, en ce qui concerne l’importance du règlement no 1024/2013, il ressort de l’article 1er, premier alinéa, de ce règlement qu’il confie des missions spécifiques à la BCE concernant les politiques relatives à la surveillance prudentielle des établissements de crédit. L’article 4, paragraphe 1, de ce règlement prévoit la compétence exclusive de la BCE pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, neuf missions à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants. Le cadre de l’exercice de ces missions est prévu à l’article 6 du règlement no 1024/2013 intitulé « Coopération au sein du MSU ». |
57. |
L’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 prévoit les critères permettant d’établir si l’exercice des neuf missions en question relève de la responsabilité de la BCE ou si les autorités nationales compétentes assistent la BCE dans l’exercice des missions qui lui sont confiées par le règlement no 1024/2013 ( 26 ). La Cour a ainsi indiqué au point 40 de l’arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE (C‑450/17 P, EU:C:2019:372) que « conformément à l’article 6, paragraphe 6, du règlement no 1024/2013, les autorités compétentes nationales s’acquittent et sont chargées des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, sous b), d) à g) et i), de ce règlement et sont habilitées à adopter toutes les décisions pertinentes en matière de surveillance à l’égard des établissements de crédit visés à cet article 6, paragraphe 4, premier alinéa, c’est‑à‑dire ceux qui, conformément aux critères énoncés à cette dernière disposition, sont “moins importants” ». |
58. |
Un des paramètres établis par l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 permettant de déterminer si un établissement de crédit n’est pas « moins important » est le point de savoir si la valeur totale de ses actifs dépasse 30 milliards d’euros. Ce plafond de 30 milliards d’euros n’a cependant aucun lien avec celui de 8 milliards d’euros fixé par le législateur italien et par la Banca d’Italia qui est en cause dans la procédure au principal. |
59. |
Je considère donc que l’article 29 du règlement no 575/2013, l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 et l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 n’exigent pas ni n’excluent une disposition nationale qui impose un plafond d’actifs de 8 milliards d’euros au-dessus duquel une banque populaire doit être transformée en société par actions. |
c) Sur le fond de la deuxième partie de la première question et de la quatrième question
60. |
Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 excluent une disposition nationale qui permet à une banque populaire transformée en société par actions de reporter le remboursement des actions détenues par un associé pour une période illimitée et de limiter le montant associé en totalité ou en partie. |
61. |
Du fait que la seconde partie de la première question comme la quatrième question concernent les règles relatives au remboursement des actions détenues par un associé dans une banque populaire à la suite de sa transformation en société par actions, il peut être utile de traiter ensemble ces questions. Par ses questions, la juridiction de renvoi demande si, et dans quelle mesure, une banque populaire qui a été transformée en société par actions a le droit, sur le fondement, notamment, de l’article 29 du règlement no 575/2013 et de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, de limiter et différer le remboursement des actions. |
62. |
Dans leurs observations écrites devant la Cour, l’ensemble des parties intervenantes, sauf OC e.a., considèrent que l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 n’excluent pas une disposition nationale telle que celle introduite par l’article 1er du décret-loi no 3/2015 (converti, avec des modifications, par la loi no 33/2015), tel qu’interprété par la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) dans son arrêt no 99/2018, qui permet à une banque populaire de différer le remboursement pour une période illimitée et d’en limiter le montant en totalité ou en partie. |
63. |
Par contre, OC e.a. considèrent que l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 excluent une disposition nationale qui permet à une banque populaire de différer le remboursement pour une période illimitée et d’en limiter le montant en totalité ou en partie. Elles considèrent, en particulier, que l’expression « pour une durée illimitée » dans la deuxième phrase de l’article 10, paragraphe 2, du règlement délégué no 241/2014 ne renvoie pas à la possibilité de différer le remboursement, mais seulement à la possibilité de limiter le montant à rembourser. |
64. |
La question qui doit être traitée est donc de savoir si et dans quelle mesure un établissement peut différer pour une durée illimitée le remboursement du capital et dans quelle mesure il peut limiter le montant à rembourser. Je propose d’examiner ce point compte tenu, en premier lieu, de l’article 29 du règlement no 575/2013 et de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, en deuxième lieu, de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 et, en troisième lieu, des articles 16 et 17 de la Charte. |
1) Sur l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 – Règles relatives aux « fonds propres », notamment les fonds propres de catégorie 1
65. |
À mon sens, afin de fournir une interprétation exacte de l’article 29 du règlement no 575/2013 et de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de ces dispositions, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie ( 27 ). |
66. |
Le règlement no 575/2013 et la directive 2013/36 ( 28 ) forment le cadre légal régissant l’accès à l’activité, le cadre de surveillance et les règles prudentielles des établissements de crédit et sociétés d’investissement ( 29 ) qui sont collectivement désignés par le règlement no 575/2013 comme des « établissements » ( 30 ). Selon son considérant 7, le règlement no 575/2013 contient, entre autres, les exigences prudentielles applicables aux établissements qui concernent strictement le fonctionnement des marchés des services bancaires et financiers et visent à assurer la stabilité financière des opérateurs sur ces marchés ainsi qu’un niveau élevé de protection des investisseurs et des déposants. |
67. |
Le règlement no 575/2013 et la directive 2013/36 sont fondés sur les mesures définitives publiées par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) en décembre 2010, connues sous l’appellation de « dispositif de Bâle III » ( 31 ). Le dispositif de Bâle III, qui a été adopté à la suite de la crise financière mondiale de 2007‑2008, visait à remédier à certains manquements du dispositif réglementaire antérieur des banques afin de les rendre plus résilientes lors d’une période de tensions. Une partie de cette réforme prévoyait non seulement d’accroître le niveau des exigences en matière de fonds propres imposées aux banques mais également d’exiger des améliorations qualitatives des fonds propres des banques ( 32 ). Ces exigences régissant la quantité et la qualité des fonds propres des banques ont été adoptées afin d’assurer qu’elles possèdent la capacité financière d’absorber certains niveaux de risque ( 33 ). |
68. |
L’article 1er, sous a), du règlement no 575/2013 dispose que ce règlement prévoit des règles uniformes concernant les exigences prudentielles générales à l’égard des « fonds propres » d’un établissement. L’article 4, paragraphe 1, point 118, dudit règlement indique qu’on entend par « “fonds propres” […] la somme des fonds propres de catégorie 1 et des fonds propres de catégorie 2 ». Aux termes de l’article 25 du même règlement, les « fonds propres de catégorie 1 d’un établissement sont constitués de la somme des fonds propres de base de catégorie 1 et des fonds propres additionnels de catégorie 1 de l’établissement ». |
69. |
L’article 26, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013 prévoit que les instruments de capital, sous réserve que les conditions énoncées à l’article 28 ou, selon le cas, à l’article 29, soient respectées, sont éligibles en tant qu’éléments de fonds propres de base de catégorie 1. L’article 27 du même règlement, intitulé « Instruments de capitaux de sociétés mutuelles ou coopératives, de caisses d’épargne ou d’établissements analogues en tant qu’éléments de fonds propres de base de catégorie 1 », prévoit que les éléments de fonds propres de catégorie 1 incluent tous les instruments de capital émis par un établissement conformément à ses statuts sous réserve que les conditions énoncées à l’article 28 ou, selon le cas, à l’article 29, sont respectées. |
70. |
L’article 28 du règlement no 575/2013 prévoit les conditions qui doivent être respectées pour que les instruments de fonds propres d’un établissement soient éligibles en tant qu’instruments de fonds propres de catégorie 1 et l’article 29 de ce règlement prévoit certaines modifications de l’article 28 devant être opérées pour que des instruments de fonds propres émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues soient éligibles en tant qu’instruments de fonds propres de catégorie 1. Par ailleurs, l’article 30, sous a), du règlement no 575/2013 prévoit que lorsque les conditions énoncées à l’article 28 ou 29 ne sont plus respectées, l’instrument en question cesse immédiatement d’être éligible en tant qu’instrument de fonds propres de base de catégorie 1. |
71. |
Il convient donc de souligner que les règles relatives à l’éligibilité des instruments de fonds propres émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues en tant qu’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 diffèrent quelque peu de celles applicables à l’égard de l’éligibilité des instruments de fonds propres des établissements. |
72. |
Il est question dans la procédure au principal de l’application des règles relatives à l’éligibilité des instruments de fonds propres émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues en tant qu’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 et, notamment, de l’article 29, paragraphe 2, sous b), du règlement no 575/2013 et de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014. |
73. |
Il ressort de l’article 28, paragraphe 1, sous e) à g), du règlement no 575/2013 qu’afin que les instruments de fonds propres soient éligibles en tant qu’instruments de fonds propres de base de catégorie 1, ces instruments doivent, notamment, être perpétuels, le principal des instruments ne peut donner lieu à réduction ou remboursement, sauf, notamment, en cas de liquidation de l’établissement et les dispositions régissant les instruments ne peuvent pas indiquer, notamment, que le principal des instruments sera ou pourra être réduit ou remboursé dans des cas autres que la liquidation de l’établissement. |
74. |
En dépit de ces règles qui interdisent, en fait, le remboursement d’actions, l’article 29, paragraphe 2, du règlement no 575/2013 contient des règles spécifiques relatives au remboursement des instruments de fonds propres de base de catégorie 1 émis par des sociétés mutuelles ou coopératives, des caisses d’épargne ou des établissements analogues. |
75. |
Par conséquent, l’article 29, paragraphe 2, sous a), du règlement no 575/2013 prévoit que l’établissement doit pouvoir refuser de rembourser les instruments de fonds propres de base de catégorie 1 sauf si le droit national l’interdit ou l’exclut. Il semble ressortir du dossier devant la Cour qu’une telle interdiction est effectivement prévue en droit italien et que l’article 29, paragraphe 2, sous b), du règlement no 575/2013 – qui prévoit, en substance, que si un remboursement ne peut pas être refusé, « les dispositions régissant ceux‑ci donnent à l’établissement la faculté de limiter ce remboursement » ( 34 ) –, s’applique aux faits de la procédure au principal. |
76. |
Les règles précises sur ces limitations figurent à l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 qui a été adopté par la Commission sur le fondement de la compétence qui lui est déléguée en vertu de l’article 29, paragraphe 6, du règlement no 575/2013 ( 35 ). |
77. |
Il ressort clairement de la première phrase de l’article 10, paragraphe 2, du règlement délégué no 241/2014 que la faculté dont disposent les sociétés mutuelles ou coopératives, les caisses d’épargne ou les établissements analogues de limiter le remboursement des instruments de fonds propres de base de catégorie 1 englobe à la fois le droit de différer le remboursement et le droit de limiter le montant remboursable. Selon la deuxième phrase de l’article 10, paragraphe 2, dudit règlement, le droit de différer le remboursement et le droit de limiter le montant remboursable doivent être exercés par l’établissement concerné en vertu de l’article 10, paragraphe 3, de ce règlement. À cet égard, l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014 indique que l’ampleur des limites de remboursement est déterminée par l’établissement de manière à tenir compte à tout moment de sa situation prudentielle et définit un certain nombre de paramètres ou d’exigences ( 36 ) devant être respectés pour qu’un remboursement soit opéré. |
78. |
Selon moi, l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement délégué no 241/2014 font clairement apparaître que le législateur de l’Union a considéré que l’intérêt général d’assurer les garanties prudentielles appropriées à l’égard de l’établissement de crédit concerné prévaut sur les intérêts privés des associés souhaitant le remboursement de leurs actions. En conséquence, le remboursement ne peut avoir lieu qu’en conformité avec les exigences de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014. |
79. |
Il convient de souligner, cependant, que le droit de différer et limiter le remboursement n’est pas inconditionnel ; il dépend au contraire de la situation prudentielle d’un établissement. Une fois que les exigences prudentielles de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014 sont pleinement satisfaites, le remboursement peut intervenir. |
80. |
Du fait que le remboursement d’actions ne peut avoir lieu que dans la mesure où la situation prudentielle d’un établissement le permet « à tout moment » ( 37 ), je considère que l’article 10, paragraphe 2, du règlement délégué no 241/2014 doit être interprété de manière à permettre à l’établissement concerné de se conformer à ce mandat à tout moment donné. Comme la situation prudentielle d’un établissement n’est pas statique et peut évoluer avec le temps, je considère que le législateur de l’Union a rédigé l’article 10, paragraphe 2, du règlement délégué no 241/2014 d’une manière large afin d’accorder à l’établissement une flexibilité suffisante pour se conformer aux exigences imposées par l’article 10, paragraphe 3, de ce règlement. Le remboursement des actions peut ainsi être différé pour une durée illimitée jusqu’au moment où les exigences prudentielles de l’article 10, paragraphe 3, dudit règlement sont satisfaites et les montants à rembourser peuvent également être limités à cet égard ( 38 ). |
81. |
Même si la substance des intérêts de propriété des investisseurs dans les actionnariats concernés doit, naturellement, être respectée – après tout, l’article 17, paragraphe 1, de la Charte n’en requiert pas moins –, ces investisseurs doivent également être considérés comme étant avisés du fait qu’un investissement dans un établissement de crédit opérant sur un marché strictement réglementé conformément aux modalités de sa licence bancaire implique ses propres contraintes spécifiques. Il existe un intérêt général évident à s’assurer qu’un investissement dans les fonds propres de base d’un établissement de crédit ne soit pas brutalement retiré, et encore moins à un moment où la stabilité financière de l’établissement pourrait être mise elle‑même à rude épreuve dans une telle éventualité. Il s’agit visiblement du raisonnement justifiant les dispositions de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014. |
82. |
Je considère donc que l’article 29 du règlement no 575/2013 et l’article 10, paragraphe 2, du règlement délégué no 241/2014 n’excluent pas une disposition nationale qui permet à une banque populaire de différer un remboursement pour une durée illimitée et d’en limiter le montant en tout ou en partie jusqu’au moment et dans la mesure où les exigences prudentielles de l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014 sont satisfaites. |
2) Sur l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013
83. |
Étant donné que l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 prévoit les critères permettant d’établir si l’exercice des neuf missions énumérées à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement doit relever de la responsabilité de la BCE ou si les autorités nationales compétentes devraient plutôt aider la BCE à mener les missions qui lui sont confiées par le règlement no 1024/2013, je ne vois pas, et la juridiction de renvoi ne l’a pas elle‑même expliqué, quelle est l’importance de cette disposition dans le cadre du remboursement des actions conformément à l’article 29 du règlement no 575/2013 et à l’article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement délégué no 241/2014. |
3) Sur les articles 16 et 17 de la Charte
84. |
Aux points 41 à 46 de son arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28), la Cour a rappelé que la protection conférée par l’article 16 de la Charte comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre. En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, la libre entreprise ne constitue pas une prérogative absolue, mais doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société. Sur le fondement de cette jurisprudence et eu égard au libellé de l’article 16 de la Charte, qui se distingue de celui des autres libertés fondamentales consacrées au titre II de celle‑ci tout en étant proche de celui de certaines dispositions du titre IV de cette même Charte, la liberté d’entreprise peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique. |
85. |
En vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. Par ailleurs, l’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. |
86. |
Étant donné que les droits garantis par l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte ne sont pas absolus, leur exercice peut être soumis à des limitations justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés consacrés par la Charte doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. |
87. |
Afin d’éviter des répétitions, je propose d’examiner la possibilité de limiter les droits reconnus et protégés par l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte dans le cadre de la deuxième question avec la justification des restrictions à la liberté d’établissement et/ou à la libre circulation des capitaux ( 39 ). |
C. Sur la deuxième question
88. |
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi entend vérifier si l’article 3 TFUE relatif à la concurrence sur le marché intérieur et les articles 63 et suivants TFUE relatifs à la libre circulation des capitaux excluent des dispositions nationales qui imposent un plafond d’actifs pour l’exercice d’activités bancaires par une banque populaire et imposent à la banque populaire en question d’être transformée en société par actions si elle devait dépasser ce plafond. |
89. |
La juridiction de renvoi relève que les requérants dans la procédure au principal considèrent que le plafond de 8 milliards d’euros est incompatible avec les règles sur le marché intérieur et la libre circulation des capitaux. Ils considèrent qu’un plafond si bas ne rend pas possible de redéfinir les paramètres des banques en question d’une manière qui soit véritablement conforme aux objectifs poursuivis par ces règles. La juridiction de renvoi estime, toutefois, que les requérants n’ont pas fourni d’arguments convaincants au soutien de leur position selon laquelle la structure organisationnelle et fonctionnelle d’une banque populaire dont les dimensions cessent d’être faibles n’est pas préjudiciable aux fins d’une conformité satisfaisante aux règles prudentielles relatives au secteur en question. |
90. |
L’Unione di Banche Italiane, la Banca d’Italia et Amber Capital considèrent que la deuxième question est irrecevable, car la juridiction de renvoi n’a pas indiqué comment les règles nationales en cause limitent la libre circulation. Le gouvernement italien considère que la Cour n’est pas compétente pour répondre à cette question, car les dispositions nationales en cause ne concernent pas le marché intérieur mais seulement le marché italien. Il considère qu’il convient de démontrer que les dispositions nationales ont un effet transfrontalier. La Commission considère que la deuxième question est irrecevable relativement à la partie concernant l’article 3 TFUE. |
91. |
Il n’est pas évident, ainsi que la Commission l’a indiqué dans ses observations, de saisir la pertinence de l’article 3 TFUE dans le cadre de la deuxième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi. L’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE prévoit que l’Union dispose d’une compétence exclusive dans l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur. |
92. |
Je considère donc que cette partie de la deuxième question est irrecevable, car elle ne respecte pas l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour, puisque la juridiction de renvoi n’a pas fourni les motifs qui l’ont incitée à s’interroger sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE, et la relation entre cette disposition et l’article 1er du décret-loi no 3/2015 (converti, tel que modifié, par la loi no 33/2015) cité dans la deuxième question de la juridiction de renvoi. |
93. |
Eu égard à l’interprétation des articles 63 et suivants TFUE relatifs à la libre circulation des capitaux souhaitée par la juridiction de renvoi, cette juridiction a relevé que les requérants qui l’ont saisie ont allégué que l’établissement d’un plafond d’actifs bas de 8 milliards d’euros qui, lorsqu’il est dépassé, impose à une banque populaire de se transformer en société par actions afin de maintenir son activité bancaire peut créer des conditions défavorables au maintien d’un tel modèle organisationnel et placerait les banques populaires restantes – qui doivent opérer dans des limites dimensionnelles excessivement étroites – dans une situation moins favorable que celle des établissements similaires dans les autres États membres. |
94. |
Je ne peux pas éviter d’observer que cette partie de la demande de décision préjudicielle relative à l’article 63 TFUE semble être particulièrement laconique. |
95. |
Il convient de relever que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a spécifiquement visé l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux dans sa deuxième question. La Commission a cependant relevé que tant l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement que l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux pouvaient s’appliquer, in abstracto, à l’égard des règles nationales relatives aux banques populaires. Elle a ajouté, cependant, qu’en raison des caractéristiques des banques populaires et, en particulier, du plafond placé sur le nombre d’actions par associé, il est difficile d’imaginer comment l’article 49 TFUE serait applicable. Le gouvernement italien considère que du fait que les dispositions nationales en cause portent sur la forme juridique d’un établissement de crédit, l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement serait applicable si une dimension internationale était présente. |
96. |
Il ressort clairement d’une jurisprudence constante qu’afin de déterminer si l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement et/ou l’article 63 TFUE relatif à la libre circulation des capitaux peuvent être applicables, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause ( 40 ). |
97. |
Aux points 39 à 44 de l’arrêt du 11 novembre 2010, Commission/Portugal (C‑543/08, EU:C:2010:669), la Cour a indiqué que relèvent du champ d’application matériel des dispositions de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, les dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à la détention par un ressortissant d’un État membre, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, d’une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités. Les investissements directs, à savoir les investissements de toute nature auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et la société à qui ces fonds sont destinés en vue de l’exercice d’une activité économique, relèvent des dispositions de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux. Cet objectif présuppose que les actions détenues par l’associé donnent à celui‑ci la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle. Une législation nationale qui n’a pas vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et d’en déterminer les activités, mais qui s’applique indépendamment de l’ampleur de la participation qu’un associé détient dans une société, est susceptible de relever aussi bien de l’article 49 TFUE que de l’article 63 TFUE. |
98. |
En l’absence de tous critères dans la demande de décision préjudicielle qui me permettraient de déterminer laquelle des deux libertés fondamentales est applicable ou, en fait, si les deux le sont, je propose d’examiner cette question compte tenu des articles 49 et 63 TFUE. |
99. |
Selon moi, des dispositions nationales qui imposent un plafond d’actifs pour l’exercice d’activités bancaires par une banque populaire et imposent à cette banque d’être transformée en société par actions si elle devait dépasser ce plafond – ou autrement de risquer éventuellement d’être liquidée ou privée du droit d’exercer des activités bancaires – constituent une restriction tant à la liberté d’établissement qu’à la libre circulation des capitaux ( 41 ). Ces dispositions sont susceptibles de réduire l’intérêt des investisseurs en Italie, dans d’autres États membres et effectivement dans des États tiers d’acquérir une participation au capital d’une banque populaire ( 42 ). |
1. Justification
100. |
Une restriction à la liberté d’établissement n’est permise que si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ( 43 ). En outre, la libre circulation des capitaux ne peut être limitée par une législation nationale que si celle‑ci est justifiée par un des motifs mentionnés à l’article 65 TFUE ou par des raisons impérieuses d’intérêt général telles que définies par la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où il n’existe aucune mesure d’harmonisation au niveau de l’Union assurant la protection de ces intérêts. Une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. |
101. |
Il est par ailleurs utile de rappeler que les droits garantis par l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte ne sont pas absolus et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. |
102. |
Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi a indiqué que les dispositions nationales en cause visent, d’une part, à établir un juste équilibre entre la forme juridique et la taille d’une banque populaire et, d’autre part, à respecter les règles prudentielles de l’Union ( 44 ). Selon la juridiction de renvoi, elles visent donc à rendre la réglementation des banques populaires nationales davantage compatible avec la dynamique spécifique du marché européen de référence, en garantissant une plus grande compétitivité de ces établissements, et à promouvoir une meilleure transparence dans leur organisation, leur exploitation et leurs fonctions. |
103. |
Selon moi, les restrictions de la liberté d’établissement et/ou de la libre circulation des capitaux et des droits garantis par l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte résultant de la législation italienne de 2015 peuvent, au moins en principe, être justifiées par les motifs soulignés par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) ( 45 ). Ainsi que je l’ai déjà indiqué, les restrictions en cause sembleraient destinées à garantir la bonne gouvernance et la stabilité du secteur bancaire dans son ensemble en Italie et, en particulier, du secteur bancaire coopératif dans cet État membre ( 46 ). À cet égard, l’importance de la stabilité du secteur bancaire, et, en effet, dans certains cas spécifiques des banques individuelles, a été soulignée par la Cour dans l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising/Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 72) ( 47 ). |
104. |
Si, comme les requérants l’ont soutenu devant la juridiction de renvoi, cette limitation maximale des actifs a des implications pour l’activité des banques coopératives, il s’agit en réalité d’une autre manière d’indiquer que le législateur italien a déterminé que ce modèle bancaire particulier crée un risque prudentiel pour son système bancaire tel que ces banques doivent se contenter de disposer d’un faible niveau de fonds propres. Pour l’ensemble des motifs que j’ai déjà soulignés, il s’agit d’une conclusion que le législateur italien était, au moins en principe, habilité à adopter. En outre, l’intérêt général de s’assurer que le capital d’une banque ne soit pas brutalement retiré en l’exposant de ce fait – ainsi que, effectivement, l’ensemble du secteur bancaire italien – à une instabilité prudentielle est, à mon sens, évident ( 48 ). |
105. |
Il est, cependant, encore nécessaire que les restrictions en cause, qu’elles portent sur la liberté d’établissement ou la libre circulation des capitaux, ou sur les droits reconnus et protégés par l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, soient propres à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ( 49 ). |
106. |
Il appartient, en définitive, à la juridiction nationale, seule compétente pour apprécier les faits et interpréter la législation nationale, de déterminer si ces exigences de nécessité et de proportionnalité sont respectées dans la présente affaire. |
107. |
Il est clair que la Cour, qui est invitée à donner des réponses utiles à la juridiction nationale dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, peut apporter des orientations, sur la base du dossier dont elle dispose, afin de permettre à la juridiction de renvoi de statuer. Néanmoins, étant donné le manque d’information dans le dossier soumis à la Cour sur ce point, qui est illustré par les observations très limitées présentées par les parties à son sujet – sans aucun doute du fait qu’elles avaient largement l’impression que la question était irrecevable ou que la Cour n’était pas compétente –, j’estime ne pas être moi-même en mesure de donner des orientations réelles sur la question. Je relèverais, à cet égard, que la Commission indique simplement que le plafond de 8 milliards d’euros semblerait justifié par la recherche d’une bonne gouvernance et du bon fonctionnement des activités bancaires, qui contribuent à leur tour à la stabilité bancaire et financière. La Commission considère que le plafond d’actifs de 8 milliards d’euros n’est pas déraisonnable aux fins d’établir une distinction nécessaire entre les banques de petite taille, pour lesquelles le modèle coopératif est une réalité, et les banques de taille moyenne ou grande pour lesquelles le régime juridique applicable aux banques populaires est inapproprié. |
108. |
Je considère, par conséquent, que les articles 49 et 63 et suivants TFUE ainsi que l’article 16 et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte n’excluent pas par principe des dispositions nationales qui limitent l’exercice des activités bancaires coopératives dans le cadre d’un plafond d’actifs donné, en imposant à la banque concernée d’être transformée en une société par actions si elle devait dépasser ce plafond, si ces dispositions ont été adoptées afin de garantir la bonne gouvernance et la stabilité du secteur bancaire ou d’une section spécifique du secteur bancaire dans un État membre et que la restriction imposée par la disposition est à la fois nécessaire pour atteindre ces objectifs et d’une nature proportionnée. L’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité de cette mesure relève cependant, en dernier ressort, de la juridiction de renvoi. |
D. Sur la troisième question
109. |
Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si les règles relatives aux aides d’État figurant aux articles 107 et suivants TFUE excluent des dispositions nationales qui exigent qu’une banque populaire soit transformée en une société par actions si elle dépasse un certain plafond d’actifs et fixent des limitations au remboursement des actions détenues par les associés en cas de retrait, pour éviter la liquidation éventuelle de la banque transformée. |
110. |
La juridiction de renvoi relève que les requérants qui l’ont saisie cherchent à faire valoir que les dispositions nationales qui exigent la transformation d’une banque populaire en société par actions en cas de dépassement d’un certain plafond d’actifs et la fixation de limitations au remboursement des actions afin d’éviter la liquidation de la banque transformée peuvent être contraires aux règles de l’Union relatives aux aides d’État. |
111. |
La Banca d’Italia, Amber Capital, le gouvernement italien et la Commission considèrent que la mesure en cause ne constitue pas une aide d’État. OC e.a. considèrent que la possibilité dont dispose une banque populaire qui a été transformée en société par actions de reporter indéfiniment (indépendamment du montant en cause) le remboursement des actions détenues par un associé en cas de retrait apporte un avantage indu à la banque transformée, car celle‑ci peut utiliser les fonds concernés dans son activité. |
112. |
Selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 50 ). |
113. |
La juridiction de renvoi exprime elle‑même des doutes sur le point de savoir si une affaire d’aide d’État peut être instruite étant donné que les ressources en cause ne sont pas de nature publique mais privée, du fait qu’elles proviennent des associés de la banque. En outre, cette juridiction considère que la mesure en cause ne semble pas satisfaire l’exigence de sélectivité, car toute banque populaire affectée par la réforme est soumise aux règles relatives aux limites de remboursement. |
114. |
En premier lieu, s’agissant de la condition relative à l’intervention de l’État, la Cour a déclaré aux points 20 à 25 de l’arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671), que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et être imputables à l’État. Par conséquent, afin d’apprécier l’imputabilité d’une mesure à l’État, il importe d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure. Par ailleurs, la condition tenant à une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, est satisfaite non seulement si l’aide est accordée directement par l’État mais également si elle est accordée par des organismes publics ou privés institués ou désignés par ce dernier en vue de gérer l’aide. Une mesure peut donc relever de la définition de la notion d’« aide » quand bien même elle n’implique pas un transfert de ressources d’État. En effet, l’article 107, paragraphe 1, TFUE, englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide ne sont pas de façon permanente en possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État ». La Cour a également indiqué, cependant, au point 26 de l’arrêt du 13 septembre 2017, ENEA (C‑329/15, EU:C:2017:671), notamment, qu’une telle hypothèse doit cependant être distinguée de celle dans laquelle des entreprises privées ne sont pas mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, mais sont uniquement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres. |
115. |
La Cour a ainsi déclaré au point 34 de l’arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9), qu’aux fins de la constatation de l’existence d’une aide d’État, il doit être établi un lien suffisamment direct entre, d’une part, l’avantage accordé au bénéficiaire et, d’autre part, une diminution du budget étatique, voire un risque économique suffisamment concret de charges grevant celui‑ci. |
116. |
Les quatre conditions exigées par l’article 107, paragraphe 1, TFUE afin qu’une mesure constitue une aide d’État sont cumulatives. Le fait que la juridiction de renvoi ait elle‑même indiqué que les ressources en question ne sont pas publiques mais plutôt de nature privée, car elles proviennent des associés des banques en question, est en soi d’une importance cruciale puisque, assez manifestement, il ne saurait être question d’aide d’État si les ressources en question sont privées par nature. Dans ces circonstances, je considère, sur le fondement des informations très limitées fournies par la juridiction de renvoi, que les articles 107 et suivants TFUE n’excluent pas des dispositions nationales qui imposent à une banque populaire d’être transformée en société par actions si elle dépasse un certain plafond d’actifs et établissent des restrictions au remboursement des actions détenues par un associé en cas de retrait, afin d’éviter la liquidation éventuelle de la banque transformée lorsqu’aucun fonds public n’est en cause. |
117. |
En deuxième lieu, en raison des informations limitées figurant dans la décision de renvoi, je ne suis pas en mesure d’apprécier si les mesures en cause sont sélectives ou non. Il semblerait que la juridiction de renvoi suppose que seule la situation des banques populaires les unes par rapport aux autres doive être appréciée à l’égard de la question de la sélectivité. La raison pour laquelle ce serait le cas n’est pas précisée davantage dans la demande de décision préjudicielle. Je ne suis, cependant, pas certain que d’autres banques ou établissements soient dans une situation comparable à celle des banques populaires. La Cour a déclaré, au point 54 de son arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), que l’appréciation relative à la sélectivité de l’avantage impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire. |
118. |
Je considère donc que les articles 107 et suivants TFUE relatifs aux aides d’État n’excluent pas une disposition nationale qui impose à une banque populaire d’être transformée en société par actions si elle dépasse un certain plafond d’actifs et établit des restrictions au remboursement des actions détenues par des associés en cas de retrait, afin d’éviter la liquidation éventuelle de la banque transformée, si les ressources concernées proviennent des associés de la banque en cause, et sont donc privées au lieu d’être publiques par nature. |
E. Sur la cinquième question
119. |
Par sa cinquième question, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande à la Cour, en substance, d’apprécier si l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 est compatible avec les articles 16 et 17 de la Charte. |
120. |
Je considère que cette question est irrecevable, car elle ne respecte pas les exigences de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour. La juridiction de renvoi, bien qu’elle ait rappelé très brièvement les arguments des requérants sur cette question, n’a présenté en aucune manière que ce soit une motivation quant aux éléments l’ayant incitée à s’enquérir de la validité de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014. |
121. |
À cet égard, la juridiction de renvoi a simplement indiqué dans sa demande de décision préjudicielle que selon les requérants, en dehors du point de savoir si la neuvième mise à jour de la circulaire no 285 est compatible avec l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, la légalité même de ce règlement doit être examinée, car son application peut entraîner une exclusion substantielle de la possibilité d’obtenir un remboursement des actions sans le moindre droit correspondant à une compensation immédiate. |
122. |
Par ailleurs, étant donné que la juridiction de renvoi n’a pas contesté de manière appropriée la validité de l’article 10 du règlement délégué no 241/2014, cette disposition doit être présumée valide et compatible avec les articles 16 et 17 de la Charte ( 51 ). À cet égard, je considère que, en l’absence de tout élément de preuve ou, en fait, d’argument en sens contraire par la juridiction de renvoi, les limitations des droits reconnus et protégés par les articles 16 et 17 de la Charte imposées par les règles et normes prudentielles prévues à l’article 10 du règlement délégué no 241/2014 sont présumées être dans l’intérêt général et respecter le principe de proportionnalité. |
VI. Conclusion
123. |
Par conséquent, eu égard aux considérations qui précèdent, si la Cour considère que les questions préjudicielles dont elle est saisie sont recevables, j’estime que la Cour devrait répondre aux questions soumises par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la manière suivante :
|
( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) JO 2013, L 176, p. 1.
( 3 ) JO 2013, L 287, p. 63.
( 4 ) JO 2014, L 74, p. 8.
( 5 ) Le règlement délégué no 241/2014 met en œuvre un certain nombre de dispositions du règlement no 575/2013, notamment l’article 28, paragraphe 5, troisième alinéa, et l’article 29, paragraphe 6, troisième alinéa. Conformément au premier considérant du règlement no 241/2014, la Commission a considéré qu’il était souhaitable de regrouper dans un seul et même règlement toutes les normes techniques de réglementation des fonds propres requises par le règlement no 575/2013.
( 6 ) Le MSU désigne le mécanisme de surveillance unique.
( 7 ) Le FESF désigne la facilité européenne de stabilité financière.
( 8 ) Le MES désigne le mécanisme européen de stabilité.
( 9 ) GURI no 230, du 30 novembre 1993, p. 9.
( 10 ) GURI no 70, du 25 mars 2015 – Supplément ordinaire no 15, p. 1.
( 11 ) GURI no 134, du 12 juin 2015, p. 1.
( 12 ) Dans la version applicable à la suite de l’adoption du décret-loi no 3/2015, converti, avec des modifications, par la loi no 33/2015.
( 13 ) Tel que converti par la loi no 33/2015.
( 14 ) GURI no 220, du 21 septembre 2018, p. 1.
( 15 ) CET 1 désigne les fonds propres de base de catégorie 1.
( 16 ) À l’exception du délai de 18 mois prévu à l’article 1er, paragraphe 2, du décret-loi no 3/2015, qui avait déjà été remplacé par une autre date, à savoir celle du 31 décembre 2018.
( 17 ) Voir arrêts du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 47), et du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, points 108 et suivants).
( 18 ) Les circonstances dans lesquelles une juridiction dont les décisions ne font l’objet d’aucun recours juridictionnel en vertu du droit national est tenue de saisir la Cour d’une question ont été soulignées par la Cour dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (C‑283/81, EU:C:1982:335) et récemment rappelées par la Cour dans ses arrêts du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, points 47 à 50), et du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, points 108 et suivants). Par conséquent, une juridiction dont les décisions ne font l’objet d’aucun recours juridictionnel en vertu du droit national est tenue, dès lors qu’une question relative au droit de l’Union est soulevée devant elle, de saisir la Cour, à moins qu’elle n’ait établi que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être appréciée à la lumière des caractéristiques spécifiques du droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union européenne.
( 19 ) Voir arrêt du 22 septembre 2016, Microsoft Mobile Sales International e.a. (C‑110/15, EU:C:2016:717, point 18).
( 20 ) Voir arrêt du 22 septembre 2016, Microsoft Mobile Sales International e.a. (C‑110/15, EU:C:2016:717, point 19).
( 21 ) Cette affaire concernait aussi une demande de décision préjudicielle du Consiglio di Stato (Conseil d’État). Voir également ordonnance du 8 juin 2017, Lg Costruzioni (C‑110/16, non publiée, EU:C:2017:446).
( 22 ) La Cour a poursuivi aux points 19 à 21 de son ordonnance du 12 mai 2016, Security Service e.a. (C‑692/15 à C‑694/15, EU:C:2016:344), en indiquant qu’elle « a relevé à maintes reprises que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour la juridiction nationale exige que celle‑ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose ou que, à tout le moins, elle explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées […] La juridiction de renvoi doit également indiquer les raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation de certaines dispositions du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Celle-ci a déjà jugé qu’il est indispensable que la juridiction nationale donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis […] Il importe de souligner que les informations fournies et les questions posées dans les décisions de renvoi doivent permettre à la Cour non seulement de donner des réponses utiles, mais également de donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à cette dernière de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de ladite disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées, accompagnées d’une traduction dans la langue officielle de chaque État membre, à l’exclusion du dossier national éventuellement transmis à la Cour par la juridiction de renvoi ».
( 23 ) La juridiction de renvoi ne mentionne pas dans cette question les alternatives possibles prévues par le droit italien, à savoir réduire le capital d’une banque populaire ou la liquider.
( 24 ) Voir, par analogie, ordonnance du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a. (C‑339/10, EU:C:2010:680, points 12 à 14 et jurisprudence citée).
( 25 ) Même si la Cour devait considérer que la première partie de la première question est recevable, je considère, comme indiqué aux points 51 à 53 des présentes conclusions, que la Cour n’est pas compétente pour donner une interprétation des articles 16 et 17 de la Charte dans ce cadre.
( 26 ) Dans son arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE (C‑450/17 P, EU:C:2019:372), la Cour a déclaré que les autorités compétentes nationales assistent la BCE par une mise en œuvre décentralisée de certaines de ces missions à l’égard des établissements de crédit moins importants.
( 27 ) Voir arrêt du 21 mai 2015, Rosselle (C‑65/14, EU:C:2015:339, point 43 et jurisprudence citée).
( 28 ) Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338). Au point 31 de l’arrêt du 7 août 2018, VTB banque (Autriche) (C‑52/17, EU:C:2018:648), la Cour indique qu’« ainsi qu’il ressort du considérant 2 de la directive 2013/36 et du considérant 5 du règlement no 575/2013, […] cette directive et ce règlement, qui doivent être lus conjointement, fournissent le cadre juridique régissant, notamment, la surveillance et les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit ». Je noterais, cependant, que la directive 2013/36 ne ressort pas du dossier devant la Cour comme étant d’une importance spécifique dans le cadre de la procédure au principal ou des questions posées par la juridiction de renvoi.
( 29 ) Voir considérant 5 du règlement no 575/2013.
( 30 ) Voir article 4, paragraphe 3, du règlement no 575/2013.
( 31 ) Voir considérant 1 du règlement no 575/2013.
( 32 ) Voir considérant 1 du règlement no 575/2013.
( 33 ) Par exemple, conformément à l’article 92, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013, les banques doivent avoir un ratio de fonds propres de base de catégorie 1 de 4,5 %. Le ratio de fonds propres de base de catégorie 1 correspond aux fonds propres de base de catégorie 1 de l’établissement, exprimés en pourcentage du montant total d’exposition au risque ; voir article 92, paragraphe 2, sous a), du règlement no 575/2013.
( 34 ) Mise en italique par mes soins. Je relèverais que seul le terme général « limiter » est utilisé. Aucune référence n’est faite à la faculté de « différer » un remboursement. D’après moi, cela s’explique par le fait que la faculté de limiter englobe celle de différer.
( 35 ) Le considérant 128 du règlement no 575/2013 dispose que « [l]a Commission devrait, en vertu de l’article 290 [TFUE] et conformément à la procédure aux articles 10 à 14 du règlement (UE) no 1093/2010 [du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12)], adopter, par la voie d’actes délégués, les projets de normes techniques de réglementation élaborés par l’ABE concernant les sociétés mutuelles et coopératives, caisses d’épargne ou entités analogues […] Il importe particulièrement que la Commission procède aux consultations appropriées durant son travail préparatoire, y compris au niveau des experts. La Commission et l’ABE devraient veiller à ce que tous les établissements concernés puissent appliquer ces normes et exigences d’une manière proportionnée à la nature, à l’échelle et à la complexité de ces établissements et de leurs activités ».
( 36 ) Les paramètres ou exigences indiqués à l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014 ne sont pas limités par nature, ce qui permet, selon moi, à l’établissement concerné d’apprécier sa situation prudentielle sur la base d’autres paramètres ou exigences.
( 37 ) Voir article 10, paragraphe 3, du règlement délégué no 241/2014. Mise en italique par mes soins.
( 38 ) Le respect de ces règles peut être contrôlé par les juridictions nationales afin de s’assurer que les associés ne soient pas « injustement » immobilisés.
( 39 ) Lors de l’examen de la question de savoir si une restriction à la libre circulation des capitaux ou à la liberté d’établissement imposée par le droit national est justifiée sur le fondement, notamment, de raisons impérieuses d’intérêt général, la compatibilité de la disposition contestée avec le droit de l’Union doit être examinée au regard tant des exceptions à la libre circulation des capitaux ou à la liberté d’établissement prévues par le traité FUE et la jurisprudence de la Cour que des droits fondamentaux garantis par la Charte. Voir, à cet égard, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432, points 59 à 66 et jurisprudence citée).
( 40 ) Voir arrêt du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a. (C‑480/16, EU:C:2018:480, point 33).
( 41 ) Selon une jurisprudence constante, si le traité FUE ne définit pas les notions de « mouvements de capitaux » et de « paiements », il est constant que la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (JO 1988, L 178, p. 5), ensemble avec la nomenclature qui lui est annexée, a une valeur indicative pour définir la notion de « mouvements de capitaux ». En effet, les points I et III de la nomenclature reprise à l’annexe I de la directive 88/361 ainsi que les notes explicatives y figurant indiquent que l’investissement direct sous forme de participation à une entreprise par la détention d’actions ainsi que l’acquisition de titres sur le marché des capitaux constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 TFUE. En vertu desdites notes explicatives, l’investissement direct, en particulier, est caractérisé par la possibilité de participer effectivement à la gestion d’une société et à son contrôle. Voir arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne (C‑463/00, EU:C:2003:272, points 52 et 53 et jurisprudence citée).
( 42 ) C’est notamment le cas en considérant le fait que les investisseurs peuvent rencontrer par la suite des difficultés à rembourser leur investissement en capital compte tenu des règles fixées à l’article 29 du règlement no 575/2013 et à l’article 10 du règlement délégué no 241/2014.
( 43 ) Voir arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo (C‑106/16, EU:C:2017:804, point 52).
( 44 ) Cette dernière question se rapporte, selon moi, à la question du remboursement des actions plutôt qu’au plafond de 8 milliards d’euros. Finalement, cependant, je considère que ces questions sont intimement liées, car elles font partie du même paquet législatif national.
( 45 ) Voir points 9 et 102 des présentes conclusions.
( 46 ) Voir, par exemple, points 2 et 3 des présentes conclusions.
( 47 ) Voir également arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570, point 50).
( 48 ) Voir point 81 des présentes conclusions.
( 49 ) Voir à cet effet, arrêt du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo (C‑106/16, EU:C:2017:804, points 52 et 59). Au point 60 de l’arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432), la Cour a indiqué qu’une mesure qui restreint la libre circulation des capitaux pourrait être justifiée, notamment, par les raisons mentionnées à l’article 65 TFUE pour autant qu’elle respecte le principe de proportionnalité.
( 50 ) Voir arrêt du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità (C‑659/17, EU:C:2019:633, point 20 et jurisprudence citée).
( 51 ) Au point 39 de son arrêt du 14 juin 2012, CIVAD (C‑533/10, EU:C:2012:347), la Cour a indiqué que « les actes des institutions, organes et organismes de l’Union jouissent d’une présomption de validité, ce qui implique que ceux‑ci produisent des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité ».