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Document 62018CC0103

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 17 octobre 2019.
Domingo Sánchez Ruiz et Berta Fernández Álvarez e.a. contre Comunidad de Madrid (Servicio Madrileño de Salud).
Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Juzgado Contencioso-Administrativo no 8 de Madrid.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 5 – Notion de “contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs” – Non-respect par l’employeur du délai légal imparti pour pourvoir définitivement le poste occupé provisoirement par le travailleur à durée déterminée – Prorogation implicite d’année en année de la relation de travail – Occupation par un travailleur à durée déterminée du même poste dans le cadre de deux nominations consécutives – Notion de “raisons objectives” justifiant le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs – Respect des motifs de recrutement prévus par la réglementation nationale – Examen concret révélant que le renouvellement successif de relations de travail à durée déterminée vise à couvrir des besoins permanents et durables de l’employeur en personnel – Mesures visant à prévenir et, le cas échéant, à sanctionner les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs – Proc��dures de sélection visant à pourvoir de manière définitive les postes occupés provisoirement par des travailleurs à durée déterminée – Transformation du statut des travailleurs à durée déterminée en “personnel à durée indéterminée non permanent” – Octroi au travailleur d’une indemnité équivalente à celle versée en cas de licenciement abusif – Applicabilité de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée nonobstant le fait que le travailleur a consenti aux renouvellements successifs de contrats à durée déterminée – Clause 5, point 1 – Absence d’obligation pour les juridictions nationales de laisser inappliquée une réglementation nationale non conforme.
Affaires jointes C-103/18 et C-429/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:874

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 17 octobre 2019 ( 1 )

Affaires jointes C‑103/18 et C‑429/18

Domingo Sánchez Ruiz

contre

Comunidad de Madrid (Servicio Madrileño de Salud) (C‑103/18)

et

Berta Fernández Álvarez,

BMM,

TGV,

Natalia Fernández Olmos,

Maria Claudia Téllez Barragán

contre

Consejería de Sanidad de la Comunidad de Madrid (C‑429/18)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 8 de Madrid et le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 14 de Madrid (tribunaux administratifs nos 8 et 14 de Madrid, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 5 – Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique – Utilisation abusive – Notion de “besoins permanents et durables” – Mesures visant à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée – Transformation en une relation de travail statutaire à durée indéterminée – Pouvoirs du juge national »

I. Introduction

1.

Les deux affaires jointes tirent leur origine de demandes de décision préjudicielle émanant respectivement du Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 8 de Madrid et du Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 14 de Madrid (tribunaux administratifs nos 8 et 14 de Madrid, Espagne), lesquelles font elles‑mêmes suite à la demande introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 4 de Madrid (tribunal administratif no 4 de Madrid, Espagne) dans l’affaire C‑16/15 ( 2 ).

2.

Le recours fréquent, de manière manifestement prolongée, au travail à durée déterminée pour couvrir les besoins en personnel de la Comunidad de Madrid (Communauté autonome de Madrid, Espagne) dans le secteur de la santé publique est critiqué en termes parfois vifs par les juridictions de renvoi dans les deux demandes de décision préjudicielle. Elles ont dès lors saisi la Cour de 16 questions au total, afin de clarifier leurs compétences en matière de sanction d’éventuels abus résultant de l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs, en vertu de la clause 5 de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée (ci‑après l’« accord-cadre ») ( 3 ).

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3.

La réglementation de l’Union applicable en l’espèce est la directive 1999/70. Comme l’indique son article 1er, cette directive met en œuvre l’accord‑cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe de celle‑ci, qui a été conclu le 18 mars 1999 entre trois organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP).

4.

La clause 1 de l’accord-cadre énonce :

« Le présent accord-cadre a pour objet :

a)

d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non‑discrimination ;

b)

d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. »

5.

La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », énonce :

« 1.

Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins des secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a)

des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b)

la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c)

le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2.

Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a)

sont considérés comme “successifs” ;

b)

sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

B.   Le droit espagnol

6.

L’article 9 de la Ley 55/2003 del Estatuto Marco del personal estatutario de los servicios de salud (loi 55/2003, relative au statut-cadre du personnel statutaire des services de santé), du 16 décembre 2003 ( 4 ) (ci‑après le « statut-cadre »), autorise les services de santé publique à nommer du personnel statutaire temporaire pour des raisons de nécessité, d’urgence ou pour le développement de programmes de nature temporaire.

7.

Ces nominations peuvent intervenir afin de couvrir un poste vacant, engager du personnel auxiliaire ou engager du personnel remplaçant. Les différentes conditions de la nomination de ces trois types de personnel statutaire temporaire sont régies par l’article 9, paragraphes 2 à 4, du statut-cadre, dont les termes sont les suivants :

« 2.   La nomination en tant que personnel engagé afin de couvrir un poste vacant est utilisée afin de pourvoir temporairement un poste vacant dans les établissements ou services de santé, lorsqu’il est nécessaire de faire en sorte que les fonctions correspondantes soient remplies.

Il est mis fin aux fonctions du personnel engagé afin de couvrir un poste vacant lorsque le personnel permanent est recruté, suivant la procédure établie par la loi ou le règlement, au poste que la personne engagée afin de couvrir un poste vacant occupe ainsi que lorsque ce poste est supprimé.

3.   La nomination en tant que personnel auxiliaire est utilisée dans les cas suivants :

a)

pour la prestation de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire ;

b)

lorsqu’elle est nécessaire pour garantir le fonctionnement permanent et continu des établissements de santé ;

c)

pour la prestation de services complémentaires pour compenser la réduction du temps de travail ordinaire.

Il est mis fin aux fonctions du personnel statutaire auxiliaire si la cause de fin de nomination intervient ou à l’échéance du délai expressément prévu dans la nomination ainsi qu’en cas de suppression des fonctions qui ont motivé ladite nomination à l’époque.

Si plus de deux nominations surviennent pour la prestation des mêmes services pour une durée cumulée de 12 mois ou plus sur une période de deux ans, il y a lieu d’en examiner les causes afin de déterminer s’il convient, le cas échéant, de créer un poste structurel dans la liste des postes de l’établissement.

4.   La nomination en tant que personnel remplaçant est utilisée lorsqu’il est nécessaire de faire en sorte que les fonctions de personnel permanent ou temporaire soient remplies pendant les périodes de vacances, de congé et autres absences de caractère temporaire qui impliquent la conservation du poste.

Il est mis fin aux fonctions du personnel statutaire remplaçant lorsque la personne remplacée est réintégrée ainsi que lorsque cette dernière perd son droit à la réintégration au même poste ou à la même fonction. »

8.

L’article 10 de la Ley del Estatuto Básico del Empleado Público (loi sur le statut de base des agents publics), dont la refonte a été approuvée par le Real Decreto Legislativo 5/2015 (décret royal législatif 5/2015) du 30 octobre 2015 ( 5 ) (ci‑après le « statut de base »), prévoit ce qui suit en ce qui concerne le pourvoi de postes vacants par des agents dits non titulaires :

« (1)   Sont agents non titulaires les personnes qui, pour des motifs de nécessité et d’urgence expressément justifiés, sont nommées en cette qualité pour exercer des fonctions propres aux fonctionnaires, en cas de survenance de l’un des cas de figure suivants :

a)

[l]’existence de postes vacants non susceptibles d’être occupés par des fonctionnaires, […] »

Aux termes de l’article 10, paragraphe 4, du statut de base, les postes vacants pourvus conformément à la disposition précitée sont en principe inclus dans l’offre d’emploi correspondant à l’exercice au cours duquel leur nomination intervient ou à l’exercice suivant. Des procédures de sélection doivent être organisées pour mettre en œuvre l’offre d’emploi public ou des instruments similaires relatifs à la couverture des besoins en personnel. À cet égard, l’article 70, paragraphe 1, du statut de base prévoit un délai non prorogeable de trois ans pour la publication de l’avis relatif à la procédure de sélection éventuellement nécessaire.

9.

La quatrième disposition transitoire relative au statut de base prévoit des concours généraux en vue de nommer des fonctionnaires à des postes occupés par des agents non titulaires ou d’autres agents statutaires temporaires. Dans ce cadre, l’ancienneté et l’expérience au poste de travail en cause peuvent être prises en compte, entre autres mérites.

III. Les faits des litiges au principal et les questions préjudicielles

A.   Affaire C‑103/18

10.

M. Domingo Sánchez Ruiz a été embauché le 2 novembre 1999 en tant qu’agent non titulaire (personnel statutaire temporaire engagé afin de couvrir un poste vacant) par le Servicio Madrileño de la Salud de la Comunidad de Madrid (service de santé de la Communauté autonome de Madrid), où il a travaillé en qualité d’informaticien relevant de la catégorie « groupe technique fonction administrative ».

11.

Du fait de la disparition de cette catégorie de personnel en vertu d’une réforme législative, il a été mis fin à cette relation de travail le 28 décembre 2011 ; elle s’est poursuivie par une nomination au même poste, le même jour, en qualité d’agent non titulaire. Dans le cadre de cette nouvelle nomination, M. Sánchez Ruiz a été rattaché à la nouvelle catégorie « personnel statutaire dans le domaine des technologies de l’information et des communications ».

12.

Selon la juridiction de renvoi, M. Sánchez Ruiz n’a ni participé au concours publié le 27 mai 2015 (concours sur titres et épreuves) dans sa catégorie en vue d’accéder à un emploi permanent – la seule procédure de sélection dans sa spécialité depuis 1999 –, ni contesté cette publication.

13.

À la date du renvoi préjudiciel, M. Sánchez Ruiz exerçait toujours ses fonctions dans le cadre décrit ci‑dessus. Il n’a contesté à aucun moment la cessation de ses fonctions et sa nouvelle nomination qui sont intervenues le 28 décembre 2011.

14.

Le 21 décembre 2016, il a demandé à la Communauté autonome de Madrid de reconnaître sa qualité d’agent public permanent ou de membre du personnel statutaire assimilable au personnel permanent. Par « permanent », il y a lieu d’entendre, en l’occurrence, appartenant au personnel statutaire – permanent et à durée indéterminée – des services de santé publique. Il convient de distinguer cette situation de celle des agents engagés à durée indéterminée, mais à titre non permanent, lesquels ne peuvent pas prétendre à être maintenus dans leur emploi si le poste qu’ils occupent est supprimé ou pourvu par du personnel permanent ( 6 ). Le Viceconsejero de Sanidad (vice-ministre de la Santé) a rejeté sa demande ; à la suite de cette décision, M. Sánchez Ruiz a introduit un recours devant la juridiction de renvoi.

15.

Dans ces conditions, le Juzgado de lo Contensioso-Administrativo no 8 de Madrid (tribunal administratif no 8 de Madrid, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Peut-on considérer qu’une situation telle que celle décrite dans la présente affaire (dans laquelle l’employeur public méconnaît les limites temporelles légales, permettant ainsi que des [relations de travail] temporaires se succèdent, ou maintient le caractère temporaire [d’une relation de travail] en transformant la nomination en tant que personnel auxiliaire en nomination en tant que personnel engagé en vue de couvrir un poste vacant ou personnel remplaçant) comporte un recours abusif à des nominations successives et correspond donc à la situation décrite dans la clause 5 de l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70 ?

2)

L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de la directive 1999/70, lu au regard du principe d’effectivité, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles procédurales nationales qui […] exigent du travailleur temporaire un comportement actif de contestation administrative ou judiciaire (de l’ensemble des nominations et des cessations de fonctions successives), condition requise pour qu’il puisse relever de la directive [1999/70] et faire valoir les droits que lui confère le droit de l’Union ?

3)

Eu égard au fait que, dans le secteur public et s’agissant de la prestation de services essentiels, le besoin de couvrir des postes vacants et des congés de maladie, annuels et autres est en substance “permanent”, et compte tenu de la nécessité de délimiter la notion de “[raison] objective” justifiant le recrutement temporaire :

a)

Peut-on considérer que le fait pour un travailleur temporaire d’enchaîner sans interruption des [relations de travail temporaires] successives, en travaillant tous les jours de l’année ou presque, en raison de nominations ou d’appels successifs qui s’étendent, de manière parfaitement stable, dans le temps, est contraire à la directive 1999/70 [clause 5, point 1, sous a)] et qu’il n’y a donc pas de [raison] objective dans de telles circonstances, bien que le motif pour [lequel] le travailleur temporaire a été appelé subsiste ?

b)

Doit-on considérer, en se fondant tant sur les paramètres décrits, à savoir l’existence d’innombrables nominations et appels s’étendant dans le temps, que sur l’existence d’une lacune structurelle, qui se traduit par le pourcentage de travailleurs temporaires dans le secteur concerné, [ou sur le fait que] ces besoins sont toujours et par principe couverts par des travailleurs temporaires, qui deviennent une pièce essentielle du fonctionnement du secteur public, qu’il existe [dans de telles conditions] un besoin permanent et non temporaire, ne relevant donc pas de la notion de “raison objective” au sens de la clause 5, [point] 1, sous a), [précitée] ?

c)

Ou peut-on considérer que[,] en substance, il y a uniquement lieu, pour fixer la durée maximale de la situation temporaire permise, de se fonder sur le libellé de la règle régissant le recours à ces travailleurs temporaires, en vertu de laquelle ils peuvent être nommés pour des raisons de nécessité, d’urgence ou pour le développement de programmes de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire, en définitive [que], pour pouvoir considérer qu’il y a [raison] objective, le recours aux travailleurs temporaires doit satisfaire à ces circonstances exceptionnelles, ce qui n’est plus le cas, entraînant donc l’existence d’un abus, lorsque ledit recours cesse d’être ponctuel, occasionnel ou circonstanciel [?]

4)

Est-il conforme à l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70 de considérer que le recrutement et le renouvellement successif d’informaticiens statutaires temporaires est objectivement justifié par des raisons de nécessité, d’urgence ou pour le développement de programmes de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire, dans la mesure où ces agents publics exercent de manière permanente et stable des fonctions ordinaires propres au personnel statutaire permanent, où l’administration qui les emploie ne fixe pas de limites maxima[les] à ces nominations ni ne respecte les obligations légales afin de couvrir ces postes et ces besoins au moyen de [personnel statutaire] permanent et où aucune mesure équivalente n’est prise afin de prévenir et d’éviter le recours abusif aux relations de travail temporaires successives, le personnel informaticien statutaire temporaire prestant ses services pendant des années, en l’espèce une durée de 17 ans de services continus ?

5)

La jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), en ce qu’elle établit, sans tenir compte d’autres critères, qu’il y a [raison] objective lorsque le motif de la nomination est respecté ou lorsque la nomination a une limite temporaire, ou en ce qu’elle établit que la comparaison avec le [travailleur permanent] est impossible, eu égard au régime juridique et au système d’accès distincts ou au caractère permanent des fonctions exercées par les fonctionnaires et au caractère temporaire des fonctions exercées par les agents non titulaires, est-elle conforme à l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70 et à l’interprétation qui en est faite par la Cour ?

6)

Le juge national ayant constaté le recours abusif, afin de couvrir des besoins permanents et structurels de la prestation de services du personnel statutaire permanent, au recrutement [et au renouvellement] successif du personnel statutaire temporaire d[u] SERMAS [service de santé de Madrid de la Communauté autonome de Madrid] engagé en vue de couvrir un poste vacant, et le droit national ne contenant aucune mesure effective pour sanctionner un tel abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union, la clause 5 de l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70 doit‑elle être interprétée en ce sens qu’elle oblige le juge national à adopter des mesures effectives et dissuasives qui garantissent l’effet utile de l’accord-cadre et, partant, à sanctionner cet abus et à effacer les conséquences de la violation de cette disposition du droit de l’Union en écartant la règle nationale contraire ?

En cas de réponse positive et eu égard aux considérations de la Cour au point 41 de son arrêt du 14 septembre 2016, [Martínez Andrés et Castrejana López (C‑184/15 et C‑197/15, EU:C:2016:680)] :

La transformation de la relation statutaire temporaire du personnel engagé afin de couvrir un poste vacant, auxiliaire ou remplaçant en une relation de travail stable, que ce soit sous la dénomination de personnel statutaire permanent ou de personnel à durée indéterminée [non permanent], avec la même stabilité dans l’emploi que le personnel statutaire permanent comparable, serait-elle conforme aux objectifs poursuivis par la directive 1999/70, en tant que mesure visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux relations de travail temporaires successives ainsi qu’à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union ?

7)

En cas de recours abusif aux relations de travail temporaires successives, peut-on considérer que la transformation de la relation statutaire temporaire visant à couvrir un poste vacant en relation à durée indéterminée [non permanente] ou en relation permanente ne respecte les objectifs de la directive 1999/70 et de son accord-cadre que lorsque l’employé statutaire temporaire victime de l’abus jouit des mêmes conditions de travail que le personnel statutaire permanent (en matière de protection sociale, de promotion professionnelle, de couverture de postes vacants, de formation professionnelle, de congés sans solde, de situations administratives, de congés d’autre type, de droits à pension, de cessation des fonctions dans les postes de travail ainsi [que] de participation aux concours organisés en vue de couvrir des postes vacants et à la formation professionnelle), conformément aux principes de permanence et d’inamovibilité, avec tous les droits et obligations y afférents, sur un pied d’égalité avec les informaticiens statutaires permanents ?

8)

Le droit [de l’Union] oblige-t-il à réviser des jugements ou des actes administratifs définitifs dans les circonstances décrites, lorsque les quatre conditions requises dans l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz [(C‑453/00, EU:C:2004:17)], sont remplies : 1) en droit espagnol, l’administration et les juridictions dispose[nt] du pouvoir de révision, avec les restrictions avérées qui rendent cette révision très difficile ou impossible [;] 2) la décision en cause est devenue définitive en conséquence d’un arrêt d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort ou en premier et dernier ressort ; 3) ledit arrêt est fondé sur une interprétation du droit [de l’Union] non conforme à la jurisprudence de la Cour et qui a été adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel [et] 4) l’intéressé s’est adressé à l’organe administratif immédiatement après avoir pris connaissance de ladite jurisprudence [?]

9)

Les juridictions nationales et de l’Union qui doivent garantir le plein effet du droit de l’Union dans les États membres peuvent-elles et doivent-elles exiger de[s] autorité[s] administrative[s] nationale[s] des États membres et les condamner à ce que – dans le cadre de leurs compétences respectives – elles adoptent les mesures pertinentes afin d’écarter les règles nationales non conformes au droit de l’Union en général et à la directive 1999/70 ainsi qu’à son accord-cadre en particulier ? »

B.   Affaire C‑429/18

16.

Les requérants au principal dans l’affaire C‑429/18 sont des membres du personnel statutaire temporaire non titulaire du service de santé de Madrid (SERMAS) qui travaillent, en qualité de dentistes, dans plusieurs établissements de santé de la Communauté autonome de Madrid.

17.

Selon la juridiction de renvoi, les requérants travaillent depuis de nombreuses années ( 7 ), souvent au même poste de travail, mais sous différents régimes juridiques, en tant que personnel statutaire temporaire auxiliaire, remplaçant ou engagé afin de couvrir un poste vacant. Ils ont tous acquis, en dernier lieu, la qualité de membres du personnel statutaire temporaire engagé afin de couvrir un poste vacant.

18.

La juridiction de renvoi a précisé que, pendant l’intégralité de leurs périodes d’emploi, les requérants ont constamment exécuté les mêmes tâches, sans interruption, que le personnel statutaire permanent. Les nominations et les cessations de fonctions successives n’ont pas été contestées.

19.

Le 22 juillet 2016, les intéressés ont demandé à la Communauté autonome de Madrid de reconnaître leur qualité d’agents publics permanents ou de membres du personnel statutaire assimilable au personnel permanent. Leur demande a été rejetée.

20.

Ils ont dès lors introduit un recours devant la juridiction de renvoi en concluant à l’application à leur égard des dispositions combinées de la directive 1999/70 et de l’accord-cadre, à la constatation de la non‑conformité à cette directive de toutes les discriminations subies par rapport au personnel statutaire permanent, à la suppression de ces discriminations et à la reconnaissance de leur qualité d’agents publics permanents ou, à titre subsidiaire, de membres du personnel statutaire assimilable au personnel statutaire permanent.

21.

À l’appui de ce recours, ils exposent en substance que, d’une part, les postes qu’ils occupent n’ont pas été inclus dans l’offre d’emploi public, aux fins de leur attribution à des dentistes spécialistes ayant un statut de personnel statutaire permanent, pendant l’année de leur recrutement ou au cours de l’année suivante et que, d’autre part, l’offre d’emploi public ou un instrument similaire n’ont pas été mis en œuvre dans le délai non prorogeable de trois ans prévu par le droit national.

22.

Dans ces conditions, le Juzgado de lo Contensioso-Administrativo no 14 de Madrid (tribunal administratif no 14 de Madrid, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Est-il conforme à l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70/CE [du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée] de l’interpréter, comme le fait la juridiction de céans, en ce sens que le recrutement temporaire des requérantes est constitutif d’un abus, dans la mesure où l’employeur public utilise différentes formes de recrutement, toutes temporaires, en vue de l’exercice[,] de manière permanente et stable, de fonctions ordinaires propres aux employés statutaires permanents [et afin de] couvrir des lacunes structurelles et des besoins qui, de fait, ne sont pas provisoires mais permanents et stables[, le] recrutement temporaire décrit n’étant par conséquent pas justifié, conformément à la clause 5, [point] 1, sous a), de l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70/CE, [par une] raison objective, dans la mesure où une telle utilisation de [relations] de travail à durée déterminée s’oppose directement au deuxième alinéa du préambule de l’accord-cadre et [aux] points 6 et 8 des considérations générales de cet accord, les circonstances qui justifieraient de telles [relations] de travail à durée déterminée n’étant pas remplies ?

2)

Est-il conforme à l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70 de l’interpréter, comme le fait la juridiction de céans, en ce sens que l’organisation d’une procédure de sélection ordinaire présentant les caractéristiques décrites n’est pas une mesure équivalente à une sanction ni ne peut être considérée comme telle en ce qu’elle n’est pas proportionnelle à l’abus commis, procédure de sélection dont la conséquence est la cessation des fonctions du travailleur temporaire, au mépris des objectifs de la directive et la situation défavorable des employés statutaires temporaires se maintenant, une telle procédure de sélection ne pouvant pas non plus être considérée comme une mesure effective, dans la mesure où elle ne cause aucun préjudice à l’employeur ni ne remplit aucune fonction dissuasive et n’est donc pas conforme à l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70 en ce qu’elle ne garantit pas que l’État espagnol atteigne les résultats fixés par la directive ?

3)

Est-il conforme à l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70 et à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 14 septembre 2016 dans l’affaire C‑16/15 de les interpréter, comme le fait la juridiction de céans, en ce sens que l’organisation d’une procédure de sélection conforme au principe de libre concurrence ne constitue pas une mesure adéquate pour sanctionner le recours abusif au recrutement temporaire successif, dans la mesure où la réglementation espagnole ne prévoit pas de mécanisme de sanction effective et dissuasive mettant fin au recours abusif à la nomination de personnel statutaire temporaire et ne permet pas que les postes structurels créés soient pourvus par le personnel victime d’abus, de sorte que la situation de précarité de ces travailleurs subsiste ?

4)

Est-il conforme d’appliquer, comme le fait la juridiction de céans, l’interprétation selon laquelle la transformation du travailleur temporaire victime d’abus en personnel “à durée indéterminée non permanent” ne constitue pas une sanction efficace, dans la mesure où il peut être mis fin aux fonctions du travailleur ayant acquis un tel statut, soit par la couverture de son poste au moyen d’une procédure de sélection soit par la suppression dudit poste, ce qui est contraire à l’accord-cadre aux fins de prévenir l’utilisation abusive des [relations] de travail à durée déterminée, dans la mesure où il n’est pas satisfait à l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, en ce que cela ne garantit pas que l’État espagnol atteigne les résultats fixés par cette directive ?

Dans ces conditions, il est nécessaire de poser à nouveau, dans la présente affaire, les questions suivantes soumises dans le cadre du renvoi préjudiciel introduit le 30 janvier 2018 par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 8 de Madrid (tribunal administratif no 8 de Madrid) dans la procédure accélérée 193/2017 [C‑103/18] :

5)

Le juge national ayant constaté le recours abusif, afin de couvrir des besoins permanents et structurels de la prestation de services du personnel statutaire permanent, au recrutement successif du personnel statutaire temporaire du SERMAS [service de santé de Madrid de la Communauté autonome de Madrid] engagé en vue de couvrir un poste vacant et le droit national ne contenant aucune mesure effective et dissuasive pour sanctionner un tel abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union, la clause 5 de l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70 doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle oblige le juge national à adopter des mesures effectives et dissuasives qui garantissent l’effet utile de l’accord-cadre et, partant, à sanctionner cet abus et à effacer les conséquences de la violation de cette disposition du droit de l’Union en écartant la règle nationale contraire ?

En cas de réponse positive et eu égard aux considérations de la Cour au point 41 de son arrêt du 14 septembre 2016, [Martínez Andrés et Castrejana López (C‑184/15 et C‑197/15, EU:C:2016:680)]

La transformation de la relation statutaire temporaire du personnel engagé afin de couvrir un poste vacant, auxiliaire ou remplaçant en une relation statutaire stable, que ce soit sous la dénomination de personnel statutaire permanent ou de personnel à durée indéterminée [non permanent], avec la même stabilité dans l’emploi que le personnel statutaire permanent comparable, et ce eu égard au fait que le droit espagnol interdit de façon absolue de transformer une succession de [relations] de travail à durée déterminée en une [relation] de travail à durée indéterminée dans le secteur public et ne contient pas d’autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de [relations] de travail à durée déterminée successives, serait-elle conforme aux objectifs poursuivis par la directive 1999/70, en tant que mesure visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux relations de travail temporaires successives ainsi qu’à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union ?

6)

En cas de recours abusif aux relations de travail temporaires successives, peut-on considérer que la transformation de la relation statutaire temporaire visant à couvrir un poste vacant en relation à durée indéterminée [non permanente] ou en relation permanente ne respecte les objectifs de la directive 1999/70 et de son accord-cadre que lorsque l’employé statutaire temporaire victime de l’abus jouit des mêmes conditions de travail que le personnel statutaire permanent (en matière de protection sociale, de promotion professionnelle, de couverture de postes vacants, de formation professionnelle, de congés sans solde, de situations administratives, de congés d’autre type, de droits à pension, de cessation des fonctions dans les postes de travail ainsi [que] de participation aux concours organisés en vue de couvrir des postes vacants et à la formation professionnelle), conformément aux principes de permanence et d’inamovibilité, avec tous les droits et obligations y afférents, sur un pied d’égalité avec le personnel statutaire permanent ?

7)

En cas de recours abusif au recrutement temporaire visant à satisfaire des besoins permanents, en l’absence de raison objective, lorsque le recrutement ne répond pas à la nécessité urgente et impérative qui le justifie et eu égard à l’absence de sanctions ou de limites effectives en droit espagnol, une indemnité équivalente à celle versée en cas de licenciement abusif, à titre de sanction adéquate, proportionnée, efficace et dissuasive, serait-elle conforme aux objectifs poursuivis par la directive 1999/70, en tant que mesure visant à prévenir les abus et à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union lorsque l’employeur n’offre pas de poste permanent au travailleur ? »

23.

Par ordonnance du président de la Cour du 23 janvier 2019, ces deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt. Les requérants au principal, la Communauté autonome de Madrid, le royaume d’Espagne et la Commission ont présenté des observations écrites et participé à l’audience du 15 mai 2019.

IV. Appréciation juridique

A.   Propos introductifs et approche suivie

24.

Dans les litiges au principal, les requérants invoquent principalement, à l’appui de leurs demandes tendant à la constatation de leur emploi à durée indéterminée, le recours prétendument abusif à des relations de travail à durée déterminée et la discrimination qui en découle par rapport aux fonctionnaires employés à durée indéterminée. La proportion importante d’agents temporaires dans le secteur de la santé concerné, la durée souvent longue des relations de travail en question et le fait que des procédures de sélection ne soient pas organisées ou ne soient que rarement organisées pour nommer des fonctionnaires aux postes vacants seraient des indices d’un tel abus.

25.

La question de l’utilisation du travail temporaire dans la fonction publique des États membres a déjà été soumise à la Cour à plusieurs reprises. Plus particulièrement, la situation spécifique des services de santé de la Communauté autonome de Madrid, en cause en l’espèce, a déjà été abordée dans l’affaire C‑16/15. Les juridictions de renvoi ayant toujours de sérieux doutes quant au respect des prescriptions du droit de l’Union qui découlent de la clause 5 de l’accord-cadre dans les services de santé de la Communauté autonome de Madrid, elles ont estimé nécessaire de saisir à nouveau la Cour.

26.

Il convient de rappeler que la clause 5 de l’accord-cadre a pour but de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par celui‑ci, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, considéré comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs. À cette fin, elle prévoit un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés ( 8 ).

27.

D’une part, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes ( 9 ). Les trois mesures énumérées dans cette clause concernent les raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail, la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs et le nombre de renouvellements de ceux‑ci.

28.

Pour le cas où une utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu en dépit de telles mesures, il incombe, d’autre part, aux autorités nationales d’assurer l’effet utile de l’accord-cadre en faisant en sorte que des mesures garantissant que l’abus soit dûment sanctionné et que les conséquences de la violation du droit de l’Union soient effacées puissent être appliquées ( 10 ).

29.

Ces deux éléments du contenu normatif de la clause 5 de l’accord-cadre guideront l’analyse des questions préjudicielles.

30.

Dans l’affaire C‑103/18, la Cour est invitée, dans le cadre de la première question préjudicielle, à préciser, à titre liminaire, sous quelles conditions la clause 5 de l’accord-cadre est applicable à la prolongation de relations de travail à durée déterminée dans le secteur public dans l’attente de la nomination de fonctionnaires à ces postes (voir sous B).

31.

Les autres questions posées dans les deux affaires, lesquelles se recoupent en partie ( 11 ), visent en substance à savoir si le droit espagnol prévoit des mesures appropriées pour éviter les abus, au sens de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, ainsi que, en cas d’abus, des sanctions répondant aux exigences du droit de l’Union qui ont été rappelées ci‑dessus. Il s’agit, tout d’abord, d’apprécier les raisons objectives susceptibles de justifier, conformément à la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, le renouvellement de relations de travail à durée déterminée ( 12 ) (voir sous C). Pour le cas où il y aurait lieu de conclure, eu égard aux circonstances de l’espèce, à une utilisation abusive de relations de travail à durée déterminée successives, des questions sont posées en ce qui concerne les mesures que le droit de l’Union commande de prendre afin de sanctionner un tel abus ( 13 ) (voir sous D). Enfin, la Cour est invitée à répondre à des questions relatives à la protection juridictionnelle des employés concernés ( 14 ) (voir sous E).

B.   Sur l’applicabilité de la clause 5 de l’accord-cadre (première question dans l’affaire C‑103/18)

32.

La première question posée dans l’affaire C‑103/18 vise à établir si la clause 5 de l’accord-cadre est applicable.

33.

Il est constant entre les parties au principal que le requérant a été employé à durée déterminée par la défenderesse pendant plus de 17 ans en qualité d’agent non titulaire. Le litige porte en revanche sur le point de savoir si le requérant était employé dans le cadre de contrats ou de relations de travail successifs.

34.

L’applicabilité de la clause 5 de l’accord-cadre dépend de la réponse à cette question, étant donné que cette disposition vise les mesures destinées à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. L’importance de ce critère est soulignée par la clause 1, sous b), de l’accord-cadre, aux termes de laquelle l’accord-cadre a pour objet « d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs ».

35.

Dès lors, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre devrait également être applicable lorsqu’un agent temporaire est, pendant de longues années, employé formellement en vertu d’un contrat ou d’une relation de travail unique et que son maintien en fonctions s’explique par le fait que le poste n’a pas été pourvu par du personnel permanent et, partant, qu’il n’a pas été mis fin au contrat ou à la relation de travail à durée déterminée parce que l’employeur public a omis de procéder à la sélection de fonctionnaires statutaires. Il faut distinguer cette hypothèse de la question de savoir, ensuite, si cette omission constitue un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail successifs ( 15 ).

36.

La clause 5, point 2, sous a), de l’accord-cadre laisse en principe aux États membres le soin de déterminer quelles sont les conditions auxquelles les contrats ou les relations de travail à durée déterminée sont considérés comme « successifs ». L’interprétation de telles dispositions nationales relève également de la compétence exclusive des juridictions nationales ( 16 ).

37.

La marge d’appréciation ainsi laissée aux États membres est cependant limitée par la nécessité de ne pas remettre en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord-cadre. En particulier, ce pouvoir d’appréciation ne doit pas être exercé par les autorités nationales d’une manière telle qu’il conduirait à une situation susceptible de donner lieu à des abus et ainsi de contrarier ledit objectif ( 17 ).

38.

Cette restriction de la marge d’appréciation nationale revêt une importance particulière pour ce qui est de la détermination du champ d’application matériel de l’accord-cadre. En effet, la protection contre la précarisation de la situation des salariés, que la clause 5 de l’accord‑cadre vise à assurer, serait largement privée d’effet s’il était loisible au législateur national d’exclure tout simplement du champ d’application de l’accord-cadre certaines relations de travail de longue durée, mais néanmoins à durée déterminée sur le plan formel, notamment en déclarant qu’elles constituent une relation unique, indépendamment des éventuelles modifications, ou que, même si elles sont à durée déterminée, elles ont été établies dès le départ pour une durée indéterminée, jusqu’à ce que les postes en cause soient pourvus par du personnel permanent, et ce à une date non prévisible.

39.

Ce risque est illustré par les circonstances de l’affaire au principal. D’une part, l’administration défenderesse conteste l’applicabilité de la clause 5 de l’accord-cadre en alléguant que l’intéressé a toujours été employé en vertu d’un seul contrat, étant donné que, selon les constatations de fait de la juridiction de renvoi, la rupture de la première relation de travail avait été immédiatement suivie par une deuxième nomination. L’autorité défenderesse a fait valoir en outre devant la juridiction de renvoi qu’elle maintiendrait sa position même si, dans le cadre d’une relation de travail, seul le type de contrat – toujours à durée déterminée – était modifié pour devenir, non plus un contrat de personnel auxiliaire, mais un contrat conclu afin de couvrir un poste vacant ou un contrat de remplacement. Il ressort par ailleurs des dispositions applicables du droit national que le personnel non titulaire engagé afin de couvrir un poste vacant est en principe employé jusqu’à ce que le poste en question soit supprimé ou soit pourvu par du personnel permanent ( 18 ). Le non‑respect des prescriptions légales en matière de recrutements sur des postes vacants ( 19 ) n’entraîne cependant pas de conséquences juridiques visibles. Il peut donc arriver que, dans le cadre des dispositions nationales en cause, un agent qui est engagé en qualité d’agent dit non titulaire (personnel statutaire temporaire engagé afin de couvrir un poste vacant) reste employé pour une durée indéterminée, mais à titre non permanent, même en l’absence d’un renouvellement formel de son contrat ( 20 ), parce que, en violation des prescriptions légales, l’employeur public ne veille pas à pourvoir les postes vacants par du personnel permanent.

40.

En vertu de leur obligation d’interpréter les dispositions applicables du droit interne conformément aux directives ( 21 ), les juridictions nationales doivent dès lors s’assurer que la présence de contrats ou de relations de travail successifs, condition de l’application de la clause 5 de l’accord-cadre, soit appréciée en tenant dûment compte des objectifs de cette disposition.

41.

Par conséquent, il y a lieu d’écarter une approche purement formelle, qui subordonnerait uniquement l’existence de contrats ou de relations de travail successifs différents à la rupture formelle d’une relation juridique, suivie de l’établissement d’une nouvelle relation.

42.

Il convient en revanche de considérer que les contrats ou relations de travail sont toujours successifs dès lors que la nature de l’emploi en cause ne connaît pas de modification substantielle qui expose le travailleur intéressé à une plus grande insécurité, contrairement à l’objectif de la clause 5 de l’accord-cadre. Il en est notamment ainsi lorsque la modification concernée affecte la durée du contrat ou de la relation de travail, les conditions de sa rupture ou les perspectives d’être nommé à titre permanent qui sont ouvertes par le type d’emploi en question. En l’espèce, c’est en particulier la perspective d’être nommé à titre permanent qui pourrait être en cause.

43.

À cet égard, il ressort du dossier dont la Cour dispose que l’accès à un emploi stable dans les services de santé publique n’est ouvert aux agents employés à durée déterminée, même de longue date, que s’ils réussissent un concours sur titres et épreuves ( 22 ). Comme cela a été confirmé par l’agent de la Communauté autonome de Madrid lors de l’audience, la participation à ces concours est cependant réservée, dans chaque cas, à certaines catégories de personnel. Le point de savoir si la participation aux concours est subordonnée de surcroît à une période d’emploi minimale dans la catégorie de personnel en question ne ressort pas du dossier de l’affaire. Il appartient dès lors au juge national de vérifier si la nature de l’emploi en cause a connu une modification pertinente qui est assimilable au recours à un autre contrat ou à une autre relation de travail ( 23 ).

44.

De plus, la clause 5 de l’accord-cadre devrait également être appliquée à la prolongation d’un contrat ou d’une relation de travail à durée déterminée unique, lorsqu’une telle prolongation, d’une durée indéterminée, est la conséquence du non‑respect des prescriptions légales relatives aux recrutements sur des postes vacants. En effet, la méconnaissance de ces prescriptions légales se traduit en pratique par une modification de la durée du contrat du fait de sa prolongation à durée indéterminée. Dans le litige au principal, cela est illustré par le fait que la possibilité, prévue par la loi, de continuer à employer du personnel non titulaire jusqu’à la nomination de fonctionnaires aux postes en question revient à maintenir dans leur emploi des agents temporaires pendant une durée indéterminée dès lors que l’organisation régulière de concours, assortis d’un calendrier contraignant, n’est pas garantie par ailleurs. Dans le cadre d’une interprétation conforme des dispositions nationales pertinentes, le juge national devrait alors déterminer si les contrats ou relations de travail sont successifs à partir de l’expiration du délai prévu par le droit national pour la publication ou la suppression du poste en question.

45.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la première question préjudicielle de l’affaire C‑103/18 : dans le cadre de l’appréciation, au regard du droit national, de l’existence de contrats ou de relations de travail successifs, condition de l’application de la clause 5 de l’accord-cadre, il convient essentiellement de déterminer, en tenant compte des objectifs poursuivis par cette disposition, si la nature de l’emploi a connu, pendant la période concernée, des modifications substantielles qui affectent la durée du contrat ou de la relation de travail, les conditions de sa rupture ou la possibilité de participer à une procédure de sélection de personnel statutaire permanent et expose par conséquent le travailleur temporaire concerné à une plus grande insécurité.

C.   Sur l’utilisation abusive de relations de travail à durée déterminée successives (troisième à cinquième questions dans l’affaire C‑103/18 et première question dans l’affaire C‑429/18)

46.

Par les troisième à cinquième questions posées dans l’affaire C‑103/18 et la première question posée dans l’affaire C‑429/18, les juridictions nationales souhaitent également savoir si l’utilisation en cause de relations de travail à durée déterminée successives doit être considérée comme abusive.

47.

Ces questions préjudicielles renvoient à l’analyse de la Cour dans l’arrêt Pérez López ( 24 ) quant à l’interprétation de la formule « raison objective » figurant à la clause 5, point 1, sous a), de l’accord‑cadre. Dans cette affaire, il s’agissait essentiellement de savoir si l’exigence de la « raison objective », aux fins de l’utilisation de relations de travail à durée déterminée successives, est satisfaite dès lors qu’une disposition du droit national, telle que l’article 9 du statut-cadre également pertinent en l’espèce, rattache l’embauche et le maintien en fonctions d’agents temporaires à des utilisations particulières.

48.

La Cour a constaté à cet égard que « la réglementation nationale en cause au principal n’édicte pas une autorisation générale et abstraite pour recourir à des contrats de travail à durée déterminée successifs, mais limite la conclusion de tels contrats aux fins de satisfaire, en substance, des besoins provisoires » ( 25 ). La Cour a confirmé ensuite, en se référant aux besoins spécifiques du secteur de la santé publique et à l’importance de celui‑ci, que le remplacement temporaire de travailleurs, prévu à l’article 9, paragraphe 3, du statut-cadre à titre de justification des nominations en tant que personnel auxiliaire, constitue une raison objective, au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, justifiant, sous certaines conditions, tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance de nouveaux besoins ( 26 ).

49.

La Cour a également admis, pour des motifs similaires, qu’une réglementation nationale permettant le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs pour pourvoir des postes vacants dans des écoles publiques dans l’attente de l’issue de procédures de concours est susceptible d’être justifiée par une raison objective ( 27 ).

50.

Une telle justification est toutefois exclue si une appréciation concrète du cas d’espèce fait apparaître que le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs vise non pas à couvrir des besoins provisoires, mais à satisfaire des besoins permanents et durables de l’employeur en matière de personnel ( 28 ). Il en est ainsi en particulier lorsqu’une réglementation nationale limite certes formellement le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs à une période temporaire prenant fin lors de l’achèvement des procédures de concours, mais ne garantit pas réellement que le nombre de remplacements effectué par un même travailleur pour pourvoir le même poste vacant soit limité et qu’il existe un calendrier contraignant pour l’organisation et l’achèvement des procédures de concours ( 29 ).

51.

Or, l’article 9 du statut-cadre constitue précisément une telle réglementation. La réponse aux troisième et quatrième questions de l’affaire C‑103/18 et à la première question de l’affaire C‑429/18 en découle déjà. En effet, ces questions sous-entendent que les relations de travail à durée déterminée en cause visent manifestement à satisfaire des besoins permanents et durables en matière de personnel. Les juridictions de renvoi s’appuient à cet égard sur des éléments concrets, tels que les périodes d’emploi ininterrompues et de longue durée des travailleurs concernés, le respect (purement) formel des raisons de l’embauche exigées par la réglementation nationale applicable, sans que des concours soient régulièrement organisés, ainsi que la proportion élevée de personnel temporaire dans les services en cause.

52.

En conséquence, la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application d’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique est considéré comme justifié par des « raisons objectives » au sens de cette clause parce que les contrats sont fondés sur des dispositions légales qui autorisent le renouvellement des contrats pour garantir la prestation de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire, alors qu’en réalité ces besoins sont permanents et durables et qu’il n’est pas garanti que l’administration concernée respecte les obligations légales qui lui incombent afin de répondre à ces besoins et de pourvoir ces postes en nommant des fonctionnaires et où aucune mesure équivalente n’est prise afin de prévenir et d’éviter le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs.

53.

S’agissant plus particulièrement de la première branche de la cinquième question posée dans l’affaire C‑103/18, il y a lieu de préciser que, pour être en présence d’une raison objective, il ne suffit en tout cas pas que les motifs prévus par le droit national aux fins de la nomination et du maintien en fonctions d’agents publics temporaires ( 30 ) ou la limite temporelle – à savoir jusqu’à l’achèvement d’éventuelles procédures de concours – soient respectés. Il faut au contraire souligner l’importance de l’appréciation concrète, réclamée par la Cour, de la justification objective du renouvellement d’un contrat ou d’une relation de travail à durée déterminée.

54.

En effet, la durée de la période d’emploi du requérant au principal dans l’affaire C‑103/18 illustre le fait que le respect de telles prescriptions abstraites ne contribue guère à protéger les intéressés contre la précarisation si la couverture des besoins en personnel n’est pas assurée, en particulier pour ce qui est des postes durablement vacants, en respectant effectivement aussi les délais qui résultent de prescriptions existantes. Dans le cas contraire, la possibilité, offerte par le droit national, de proroger la relation de travail jusqu’à ce que le poste en question soit pourvu par du personnel permanent – ce qui est une limite purement temporelle ( 31 ) – ouvre la voie à un nombre indéterminé de renouvellements ou à une prolongation de la relation de travail temporaire pendant une durée indéterminée, ce qui pérennise en réalité la situation de précarité des agents temporaires, contrairement à l’objectif de la clause 5 de l’accord-cadre ( 32 ).

55.

Par conséquent, il est fondamental, pour apprécier les faits des litiges au principal, de vérifier si des délais précis et contraignants ont été établis pour l’organisation et l’achèvement des procédures de sélection. Or il ressort manifestement des indications des juridictions de renvoi que de tels délais font précisément défaut dans les affaires au principal. Le calendrier prévu par l’article 9, paragraphe 3, du statut-cadre et l’article 70 du statut de base aux fins des recrutements sur des postes vacants n’a pas été respecté ; à cela s’ajoute que, dans chaque cas, seul un concours a été organisé pour la catégorie de personnel en cause au cours de la période d’emploi ( 33 ).

56.

La seconde branche de la cinquième question posée dans l’affaire C‑103/18 concerne le point de savoir si une jurisprudence nationale est compatible avec la clause 5 de l’accord-cadre lorsqu’elle prend en compte, pour conclure à l’existence d’une « raison objective » de proroger un contrat ou une relation de travail à durée déterminée, non seulement le respect des motifs de nomination prévus par le droit national, mais aussi le caractère temporaire des fonctions à exercer. Cette jurisprudence est fondée sur l’absence postulée de comparabilité entre les fonctionnaires et les agents non titulaires du fait des systèmes d’accès différents, des règles différentes qui s’appliquent à leurs conditions d’emploi, ainsi que de la durée de leurs fonctions. Il suffit à cet égard d’indiquer qu’une telle jurisprudence n’analyse pas concrètement chaque cas d’espèce en tenant dûment compte des particularités de l’activité concernée et des conditions de l’exercice de celle‑ci.

57.

Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre comme suit à la cinquième question de l’affaire C‑103/18 : la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une jurisprudence nationale, telle que celle en cause, qui établit, sans tenir compte d’autres critères, qu’il y a raison objective justifiant le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique dès lors que le motif de la nomination est respecté et que la nomination a une limite temporelle ou bien qui est fondée à cet égard sur le fait que les fonctions à exercer sont limitées dans le temps, sans avoir dûment pris en compte, au cas par cas, les particularités de l’activité concernée et les conditions de son exercice.

D.   Sur les mesures nationales nécessaires pour sanctionner les abus (sixième et septième questions dans l’affaire C‑103/18 et deuxième à septième questions dans l’affaire C‑429/18)

58.

Ces questions visent en substance à déterminer quelles mesures les juridictions de renvoi peuvent appliquer, après avoir épuisé les possibilités d’interprétation et les compétences dont elles disposent ( 34 ), pour sanctionner de manière efficace le recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs.

59.

Le droit de l’Union ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où, malgré les mesures préventives qui doivent être prises en application de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, un recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs se produit. Par conséquent, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre ( 35 ).

60.

Les États membres ne doivent cependant pas dépasser les limites de l’autonomie procédurale dont ils jouissent à cet égard. Dans l’hypothèse d’un recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit donc pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union ( 36 ). Cette obligation des États membres est sans préjudice de la marge d’appréciation qui leur est conférée aux fins du choix de telles mesures appropriées ( 37 ).

61.

L’interprétation des dispositions du droit interne incombant exclusivement aux juridictions de renvoi, il leur appartient également de déterminer si les dispositions pertinentes du droit national satisfont aux conditions rappelées ci‑dessus. À cet égard, les juridictions de renvoi partent de l’idée que le droit national ne comporte pas de mesures efficaces au sens de la clause 5 de l’accord‑cadre lorsque les relations de travail en cause relèvent du droit administratif. Dans ces conditions, la Cour doit, en réponse aux questions préjudicielles, apporter des précisions visant à guider les juridictions nationales dans leur appréciation ( 38 ).

62.

Il convient d’analyser ci‑après les mesures envisagées dans les questions préjudicielles à la lumière de ces principes.

1. Sur l’organisation de procédures de sélection (deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑429/18)

63.

Ces questions visent à établir, en substance, si la possibilité de participer à des procédures de sélection telles que celles en cause suffit à constituer une mesure efficace pour sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs lorsque la réglementation nationale ne prévoit pas d’autres sanctions.

64.

Dans ce contexte, la juridiction de renvoi part de l’hypothèse que, en droit espagnol, l’accès à un emploi permanent dans la fonction publique implique nécessairement la réussite à un concours et qu’il est mis fin aux fonctions des agents temporaires lorsque les postes vacants sont pourvus par du personnel permanent à l’issue d’une telle procédure de sélection.

65.

Nous avons déjà démontré ( 39 ) que le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs pour pourvoir des postes vacants dans le secteur de la santé publique dans l’attente de l’achèvement de procédures de sélection n’est en principe pas justifié par une raison objective au sens de la clause 5, point 1, de l’accord‑cadre lorsque la réglementation nationale en cause n’établit pas, dans le même temps, des délais contraignants pour l’organisation et l’achèvement de ces procédures de sélection. Ces considérations relatives à l’absence de mesures nationales appropriées pour éviter le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs valent a fortiori pour ce qui est de sanctionner efficacement d’éventuels abus, comme l’exige le droit de l’Union.

66.

En premier lieu, il est manifeste, dans les affaires au principal, que les délais prescrits par la réglementation nationale en cause aux fins de l’organisation des procédures de sélection sont méconnus sans conséquences visibles. Toutefois, l’organisation de procédures de sélection est, en tout état de cause, fonction des possibilités financières de l’État et de l’appréciation discrétionnaire de l’administration.

67.

En deuxième lieu, la date d’une nomination à titre permanent reste indéterminée, même dans le cas de la réussite à un concours ( 40 ).

68.

En troisième lieu, la juridiction de renvoi se réfère à une « procédure de sélection conforme au principe de libre concurrence », ce qui implique qu’elle est également ouverte aux candidats qui n’ont pas été victimes d’une utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, sans qu’il apparaisse que l’abus a été dûment pris en compte (par exemple sous la forme d’une priorité à l’embauche en cas de réussite).

69.

En quatrième lieu, l’organisation de procédures de sélection ne permet en tout cas pas d’effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union en ce qui concerne les candidats malheureux qui doivent s’attendre de surcroît à ce qu’il soit mis fin à leurs fonctions à une date indéterminée ( 41 ).

70.

Pour les raisons qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux deuxième et troisième questions de l’affaire C‑429/18 : la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens que, dans l’hypothèse d’un recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, il ne suffit pas, pour sanctionner dûment un tel abus et pour effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union, d’organiser des procédures de sélection ouvertes à tous si l’accès d’une personne employée abusivement à durée déterminée à une relation de travail permanente, que ces procédures permettent en cas de succès, reste imprévisible et incertain et si la réglementation nationale pertinente ne prévoit pas d’autres sanctions.

2. Sur la transformation de relations de travail à durée déterminée en relations de travail non permanentes à durée indéterminée (quatrième question de l’affaire C‑429/18)

71.

La clause 5, point 2, de l’accord-cadre laisse en principe aux États membres le soin de déterminer quelles sont les conditions auxquelles les contrats ou les relations de travail à durée déterminée sont considérés comme conclus pour une durée indéterminée. Il en découle en particulier que cette disposition n’impose pas aux États membres une obligation générale de prévoir la transformation en contrats à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée ( 42 ).

72.

En Espagne, l’accès à un emploi permanent dans le secteur public est subordonné à la réussite à un concours. Selon les indications de la juridiction de renvoi, il en résulte que, même en cas de recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, seule une transformation de la relation de travail à durée déterminée en cause en une relation de travail dite à durée indéterminée et non permanente en vertu de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) est envisageable ( 43 ). Selon les explications concordantes de la juridiction de renvoi et du gouvernement espagnol, il doit néanmoins également être mis fin à une telle relation de travail lorsque le poste en question est pourvu par du personnel permanent ou est supprimé ( 44 ).

73.

Il ressort cependant du dossier dont la Cour dispose que la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) a évolué entre-temps. Il n’est donc plus nécessaire de répondre à la quatrième question de l’affaire C‑429/18 sur la base des hypothèses susmentionnées de la juridiction de renvoi.

74.

En vertu d’un arrêt rendu par le Tribunal Supremo (Cour suprême) le 26 septembre 2018 ( 45 ), l’emploi abusif de personnel statutaire temporaire dans les services de santé publique doit être sanctionné par le maintien de la relation de travail « jusqu’au respect des prescriptions de l’article 9, paragraphe 3, troisième alinéa, du statut‑cadre par l’autorité investie du pouvoir de nomination » ( 46 ) et, le cas échéant, jusqu’à la création d’un poste correspondant au besoin déterminé. De plus, le travailleur concerné a droit à une indemnisation.

75.

Il appartiendrait donc à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans l’hypothèse d’un abus, le droit au maintien de la relation de travail jusqu’à la création d’un poste correspondant aux besoins, assorti d’un droit à une indemnisation, qui a été reconnu par la juridiction suprême peut être considéré comme une mesure suffisamment efficace pour sanctionner les abus.

76.

Dans ce cadre, la juridiction de renvoi pourrait s’inspirer du raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire Santoro ( 47 ). En effet, lorsque, comme en l’espèce, le droit national ne prévoit pas de possibilité de transformation en cas d’abus, le respect des exigences découlant de la clause 5 de l’accord-cadre impose de conférer à l’intéressé un droit à une indemnisation constituant une réparation adéquate et intégrale du dommage subi ( 48 ). Dans ce contexte, il faudrait vérifier en particulier si la preuve exigée pour ce qui est des possibilités d’emploi perdues et du manque à gagner qui en a résulté ne rend pas impossible ou excessivement difficile l’exercice par le travailleur des droits qui lui sont conférés par le droit de l’Union ( 49 ).

77.

En outre, la réglementation nationale en matière d’indemnisation doit être « accompagnée d’un mécanisme de sanction effectif et dissuasif » ( 50 ). Sans préjudice de l’examen définitif qui sera effectué par la juridiction de renvoi, le droit, susmentionné, au maintien de la relation de travail ne constitue cependant pas une telle mesure, étant donné qu’il faudrait de toute façon, semble-t-il, mettre fin aux fonctions de l’agent concerné au cas où le poste en cause serait supprimé ou pourvu par du personnel permanent. À cela s’ajoute que la jurisprudence nationale citée se rapporte manifestement au personnel statutaire auxiliaire et non aux agents non titulaires (personnel statutaire engagé afin de couvrir un poste vacant) visés dans les affaires au principal, si bien qu’il faudrait pour le moins déterminer si elle est pertinente pour les litiges au principal. Dans ce contexte, il convient en tout état de cause de préciser que la création de nouveaux postes répondant aux besoins qui ont été déterminés ne présente pas une grande utilité pour les agents temporaires lorsque les procédures de sélection nécessaires pour pourvoir ces postes par du personnel permanent ne sont pas organisées. Dans ces conditions aussi, le maintien de la relation de travail à durée déterminée qui a été ordonné par la juridiction suprême revient uniquement à pérenniser une situation précaire.

78.

Nous proposons dès lors à la Cour de répondre à la quatrième question de l’affaire C‑429/18, en tenant compte de l’évolution du droit national qui ressort du dossier, que la clause 5 de l’accord-cadre ne s’oppose pas à une jurisprudence des juridictions nationales qui ne sanctionne pas automatiquement l’utilisation abusive, par un employeur du secteur public, de contrats à durée déterminée successifs par la transformation de la relation de travail à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée. Une telle jurisprudence peut conférer au travailleur concerné, d’une part, un droit au maintien de la relation de travail jusqu’à ce que l’employeur ait satisfait à son obligation consistant à déterminer les besoins, ainsi qu’aux obligations qui en découlent et, d’autre part, un droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de cet abus. De telles mesures doivent être accompagnées d’un mécanisme de sanction effectif et dissuasif.

3. Sur la reconnaissance de la qualité d’agent public permanent assimilé au personnel statutaire permanent employé à durée indéterminée (sixième, septième et neuvième questions dans l’affaire C‑103/18 ainsi que cinquième et sixième questions dans l’affaire C‑429/18)

79.

Ces questions visent, en substance, à déterminer dans quelle mesure – et, le cas échéant, à quelles conditions – la clause 5, point 2, de l’accord-cadre commande de transformer un contrat à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée et permanente comparable au statut de fonctionnaire ( 51 ), en cas d’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs.

80.

Les juridictions de renvoi considèrent à juste titre qu’une réglementation nationale qui interdit, dans le seul secteur public, la transformation en un contrat de travail à durée indéterminée d’une succession de contrats à durée déterminée, n’est conforme à l’accord-cadre que si l’ordre juridique national prévoit, dans ledit secteur, une autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs ( 52 ).

81.

Dans ce contexte, il n’est pertinent de répondre aux questions préjudicielles que si les juridictions de renvoi se sont assurées au préalable que le droit espagnol ne comporte pas de mesure suffisamment effective et dissuasive pour sanctionner un abus et en effacer les conséquences. Eu égard à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) qui a été évoquée ci‑dessus ( 53 ), cela ne peut plus être présumé d’emblée.

82.

Pour le cas où la Cour souhaiterait néanmoins examiner sur le fond ces questions, les considérations suivantes militent, selon nous, contre une interprétation de la clause 5 de l’accord-cadre qui autoriserait le juge national à passer outre une interdiction claire du droit national et à sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs en reconnaissant directement, au cas par cas, une qualité d’agent public permanent.

83.

Certes, il ne fait pas de doute qu’une transformation de ce type permettrait de sanctionner un tel abus et d’effacer ses conséquences de façon durable ( 54 ). Il faut cependant garder à l’esprit que les mesures que le droit de l’Union impose de prendre ( 55 ) doivent en tout état de cause être proportionnées et, partant, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par la clause 5 de l’accord-cadre.

84.

Or, si on laissait aux juridictions nationales le soin de sanctionner un abus en reconnaissant, au cas par cas, qu’un agent temporaire a la qualité d’agent public permanent, cela aurait de graves conséquences pour l’accès à l’ensemble du secteur public et cela remettrait sérieusement en cause la fonction des procédures de sélection. Tout d’abord, les agents qui ont réussi un concours, mais qui n’ont peut-être pas encore été nommés à un emploi permanent, seraient traités de la même façon que ceux qui n’ont pas participé à ce concours ou qui ont échoué à celui‑ci. Il serait également difficile de prendre dûment en considération la durée variable de l’abus et les mérites de l’intéressé.

85.

Par conséquent, si les exigences de la clause 5 de l’accord-cadre pouvaient commander de transformer des contrats à durée déterminée en relations de travail permanentes à durée indéterminée en l’absence d’autres possibilités de sanction, une procédure en bonne et due forme nous semble indispensable aux fins de l’application de cette sanction, afin de déterminer clairement l’ordre des nominations, à l’aide de critères objectifs et transparents. Le point de savoir si le juge national peut ordonner la mise en œuvre d’une telle procédure pour assurer la pleine efficacité de l’accord-cadre dépend principalement des compétences qui lui sont conférées par le droit national ( 56 ).

86.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il n’est pas nécessaire de répondre à la septième question de l’affaire C‑103/18 et à la sixième question, identique, de l’affaire C‑429/18, relatives à la détermination des conditions d’emploi après une transformation ( 57 ).

4. Sur l’octroi d’une indemnité équivalente à celle versée en cas de licenciement abusif (septième question dans l’affaire C‑429/18)

87.

Cette question vise à établir si la clause 5 impose d’appliquer aux agents publics, par analogie, une réglementation nationale de droit privé relative à la protection des travailleurs contre le licenciement, et ce à titre de sanction.

88.

La décision de renvoi ne permet pas de savoir avec certitude dans quelles conditions une telle mesure devrait être appliquée. Si la Communauté autonome de Madrid indique que le licenciement d’un agent temporaire non titulaire est en principe exclu jusqu’à ce que le poste qu’il occupe soit pourvu par du personnel permanent et que l’agent en question bénéficierait en tout cas d’un droit à la réintégration, la juridiction de renvoi semble manifestement envisager d’accorder l’indemnité en cause pour toute rupture de contrat dès lors qu’il y a utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs.

89.

Dans la mesure où cette indemnité serait accordée en sus de l’indemnisation mentionnée ci‑dessus ( 58 ), il pourrait s’agir d’une mesure appropriée pour sanctionner les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi d’apprécier s’il en est ainsi, en tenant compte de l’ensemble des règles de son droit national applicables ( 59 ).

5. Proposition de réponse en ce qui concerne les possibilités de sanction requises

90.

À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux sixième et septième questions posées dans l’affaire C‑103/18 et aux deuxième à septième questions posées dans l’affaire C‑429/18 :

La clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, conformément à l’ensemble des règles de son droit national applicables, si des mesures, telles que celles qui sont envisagées dans les questions préjudicielles, constituent des mesures adéquates pour sanctionner les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

Sous réserve de l’appréciation définitive des juridictions de renvoi, il ne suffit pas, pour sanctionner dûment un tel abus et pour effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union, d’organiser des procédures de sélection ouvertes à tous si l’accès à une relation de travail permanente qu’elles permettent le cas échéant reste imprévisible et incertain du fait de ses modalités et si la réglementation nationale pertinente ne prévoit pas d’autres sanctions (deuxième et troisième questions posées dans l’affaire C‑429/18).

La clause 5 de l’accord-cadre ne s’oppose pas à une jurisprudence des juridictions nationales qui ne sanctionne pas automatiquement l’utilisation abusive, par un employeur du secteur public, de contrats à durée déterminée successifs par la transformation de la relation de travail à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée. Une telle jurisprudence peut conférer au travailleur concerné, d’une part, un droit au maintien de la relation de travail jusqu’à ce que l’employeur ait satisfait à son obligation consistant à déterminer les besoins ainsi qu’aux obligations qui en découlent et, d’autre part, un droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de cet abus. De telles mesures doivent être accompagnées d’un mécanisme de sanction effectif et dissuasif. Il est notamment possible d’envisager l’obligation supplémentaire de payer une indemnité forfaitaire suffisamment dissuasive de par son montant. Il incombe aux juridictions de renvoi d’apprécier si l’indemnité versée en cas de licenciement abusif satisfait à ces exigences (sixième question posée dans l’affaire C‑103/18 ainsi que quatrième, cinquième, sixième et septième questions posées dans l’affaire C‑429/18).

E.   Sur la position procédurale des agents temporaires (deuxième et huitième questions dans l’affaire C‑103/18)

91.

Ces questions portent sur l’appréciation de règles du droit procédural national selon lesquelles un agent public est déchu des droits qu’il tire de la directive 1999/70 si, en cas de contrats à durée déterminée successifs, il n’attaque pas chaque acte administratif relatif à sa (nouvelle) nomination, à la rupture de la relation de travail ou à l’organisation d’une procédure de sélection pour pourvoir le poste en question.

92.

Si le droit espagnol connaissait une telle règle, ce qui est contesté par le gouvernement espagnol et la Communauté autonome de Madrid, il ne ferait guère de doute qu’elle rendrait pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union et qu’elle serait, par conséquent, incompatible avec le principe d’effectivité.

93.

D’une part, une telle règle revient à interpréter l’inaction de l’agent comme une acceptation de l’abus, bien qu’elle puisse s’expliquer par des motifs faciles à comprendre, tels que la méconnaissance de ses droits, le coût d’une procédure ou la crainte de conséquences préjudiciables. Une telle pénalisation procédurale des agents concernés serait manifestement contraire à l’objectif de l’accord‑cadre. Il ressort en outre des développements relatifs à la première question posée dans l’affaire C‑103/18 (sous B ci‑dessus) qu’il n’est absolument pas évident de discerner quel est l’acte attaquable. Si l’agent renonce à attaquer un acte parce qu’il en a fait une mauvaise appréciation ou qu’il n’en a pas connaissance, cela lui serait toujours dommageable, par application de la règle en cause.

94.

D’autre part, une telle déchéance inciterait les autorités compétentes à enfreindre la clause 5 de l’accord-cadre. Soit les employés s’opposent à des relations de travail à durée déterminée successives – dans ce cas, l’employeur peut mettre fin à la relation de travail sans s’exposer au reproche d’une utilisation abusive –, soit ils ne s’y opposent pas et perdent la protection juridique dont ils jouissent au titre de la violation de la clause 5.

95.

Au vu de ces considérations relatives à la deuxième question de l’affaire C‑103/18, il n’est pas nécessaire de répondre à la huitième question, étant donné qu’elle est posée dans l’hypothèse où la règle de procédure en cause serait applicable.

96.

C’est pourquoi nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la deuxième question de l’affaire C‑103/18 : l’accord-cadre, lu au regard du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles procédurales nationales qui exigent du travailleur temporaire un comportement actif de contestation administrative ou judiciaire de l’ensemble des nominations et des cessations de fonctions successives, condition requise pour qu’il puisse relever de la directive 1999/70 et faire valoir les droits que lui confère le droit de l’Union.

V. Conclusion

97.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux demandes de décision préjudicielle :

1)

Aux fins de l’appréciation, au regard du droit national, de l’existence de contrats ou de relations de travail successifs, condition de l’application de la clause 5 de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, il convient essentiellement de déterminer, en tenant compte des objectifs poursuivis par cette disposition, si la nature de l’emploi a connu, pendant la période concernée, des modifications substantielles qui affectent la durée du contrat ou de la relation de travail, les conditions de sa rupture ou la possibilité de participer à une procédure de sélection de personnel statutaire permanent et expose par conséquent le travailleur temporaire concerné à une plus grande insécurité (première question posée dans l’affaire C‑103/18).

2)

La clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de la directive 1999/70/CE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une jurisprudence nationale, telle que celle en cause, qui établit, sans tenir compte d’autres critères, qu’il y a raison objective justifiant le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique dès lors que le motif de la nomination est respecté et que la nomination a une limite temporelle ou bien qui est fondée à cet égard sur le fait que les fonctions à exercer sont limitées dans le temps, sans avoir dûment pris en compte, au cas par cas, les particularités de l’activité concernée et les conditions de son exercice (cinquième question posée dans l’affaire C‑103/18)

La clause 5, point 1, sous a), de cet accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application d’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique est considéré comme justifié par des « raisons objectives » au sens de cette clause parce que les contrats sont fondés sur des dispositions légales qui autorisent le renouvellement des contrats pour garantir la prestation de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire, alors qu’en réalité ces besoins sont permanents et durables et qu’il n’est pas garanti que l’administration concernée respecte les obligations légales qui lui incombent afin de répondre à ces besoins et de pourvoir ces postes en nommant des fonctionnaires et où aucune mesure équivalente n’est prise afin de prévenir et d’éviter le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs (troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑103/18 ainsi que première question posée dans l’affaire C‑429/18).

3)

La clause 5 de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de la directive 1999/70 doit être interprétée en ce sens qu’il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, conformément à l’ensemble des règles de son droit national applicables, si des mesures, telles que celles qui sont envisagées dans les questions préjudicielles, constituent des mesures adéquates pour sanctionner les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

Sous réserve de l’appréciation définitive des juridictions de renvoi, il ne suffit pas, pour sanctionner dûment un tel abus et pour effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union, d’organiser des procédures de sélection ouvertes à tous si l’accès à une relation de travail permanente qu’elles permettent en cas de succès reste imprévisible et incertain du fait de ses modalités et si la réglementation nationale pertinente ne prévoit pas d’autres sanctions (deuxième et troisième questions posées dans l’affaire C‑429/18).

La clause 5 de cet accord-cadre ne s’oppose pas à une jurisprudence des juridictions nationales qui ne sanctionne pas automatiquement l’utilisation abusive, par un employeur du secteur public, de contrats à durée déterminée successifs par la transformation de la relation de travail à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée. Une telle jurisprudence peut conférer au travailleur concerné, d’une part, un droit au maintien de la relation de travail jusqu’à ce que l’employeur ait satisfait à son obligation consistant à déterminer les besoins ainsi qu’aux obligations qui en découlent et, d’autre part un droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de cet abus. De telles mesures doivent être accompagnées d’un mécanisme de sanction effectif et dissuasif. Il est notamment possible d’envisager l’obligation supplémentaire de payer une indemnité forfaitaire suffisamment dissuasive de par son montant. Il incombe aux juridictions de renvoi d’apprécier si l’indemnité versée en cas de licenciement abusif satisfait à ces exigences (sixième question posée dans l’affaire C‑103/18 ainsi que quatrième, cinquième, sixième et septième questions posées dans l’affaire C‑429/18).

4)

L’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de la directive 1999/70, lu au regard du principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles procédurales nationales qui exigent du travailleur temporaire un comportement actif de contestation administrative ou judiciaire (de l’ensemble des nominations et des cessations de fonctions successives), condition requise pour qu’il puisse relever de cette directive et faire valoir les droits que lui confère le droit de l’Union (deuxième question posée dans l’affaire C‑103/18).


( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Voir arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679).

( 3 ) L’accord-cadre est annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

( 4 ) BOE no 301, du 17 décembre 2003, p. 44742.

( 5 ) BOE no 261, du 31 octobre 2015.

( 6 ) Voir points 72 et suivants des présentes conclusions.

( 7 ) Le recrutement initial des demandeurs a eu lieu en 1993, 2000, 2003, 2005 ou en 2007 et il a été suivi de 226 nominations supplémentaires dans certains cas, jusqu’à la date de l’introduction du recours.

( 8 ) Arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, point 26 et jurisprudence citée).

( 9 ) Arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387, point 24).

( 10 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387, points 27 et 28).

( 11 ) Les cinquième et sixième questions posées dans l’affaire C‑429/18 correspondent aux sixième et septième questions de l’affaire C‑103/18.

( 12 ) Troisième à cinquième questions dans l’affaire C‑103/18 et première question dans l’affaire C‑429/18.

( 13 ) Sixième à neuvième questions dans l’affaire C‑103/18 et deuxième à septième questions dans l’affaire C‑429/18.

( 14 ) Deuxième et huitième questions dans l’affaire C‑103/18.

( 15 ) Pour le cas où la clause 5 de l’accord-cadre pourrait trouver application dans les circonstances de l’affaire au principal, cette question sera examinée sous C ci‑après.

( 16 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras (C‑619/17, EU:C:2018:936, point 80).

( 17 ) Arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 82).

( 18 ) Article 9, paragraphe 2, du statut-cadre.

( 19 ) Article 70 du statut de base.

( 20 ) Dans l’affaire C‑760/18, la Cour est notamment appelée à indiquer si une disposition du droit national peut écarter l’existence de contrats à durée déterminée successifs en cas de prorogation de plein droit des contrats.

( 21 ) Voir, notamment, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, points 108 et 109).

( 22 ) Voir, à ce sujet, la quatrième disposition transitoire relative au statut de base, qui a été mentionnée au point 9 des présentes conclusions, ainsi que les articles 61, 62 et 70 du statut de base et les articles 20 et 31 du statut-cadre.

( 23 ) Une modification de la nature du contrat au cours de la période d’emploi – ce qui ne s’est pas produit dans l’affaire C‑103/18 – ne pourrait pas non plus faire obstacle à ce que des relations de travail soient considérées comme successives, étant donné qu’elle se traduit en tout état de cause par une modification des principales dispositions du cadre juridique de la relation de travail, au nombre desquelles figurent en particulier les dispositions divergentes – de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du statut-cadre – régissant les motifs de la cessation de fonctions.

( 24 ) Arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, points 37 et suivants).

( 25 ) Arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, point 43).

( 26 ) Arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, point 45).

( 27 ) Arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, points 99 et 101, ainsi que jurisprudence citée).

( 28 ) Arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, point 49 et jurisprudence citée).

( 29 ) Arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, points 108 et 109).

( 30 ) Il s’agit notamment de motifs de nécessité ou d’urgence, ainsi que du développement de programmes de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire (article 9, paragraphe 1, du statut-cadre).

( 31 ) Arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, point 108).

( 32 ) Voir arrêt du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679, point 55).

( 33 ) Il est vrai que, dans l’affaire C‑103/18, les parties au principal s’opposent sur le nombre de concours auquel le requérant aurait pu participer afin d’obtenir un emploi permanent, voire sur le point de savoir s’il y a participé ou non. La constatation de la juridiction de renvoi selon laquelle le requérant n’a pas participé à un concours est contestée par la Communauté autonome de Madrid.

Dans l’affaire C‑429/18, la juridiction de renvoi a constaté, sans que cela ait été contesté par les parties, que des concours ont été organisés en 2015 pour la catégorie de personnel en cause, et ce pour la première fois depuis l’an 2000.

( 34 ) Sur la portée de l’obligation d’interpréter le droit national en conformité avec le droit de l’Union de manière à sanctionner dûment une utilisation abusive de relations de travail à durée déterminée successives, voir, en particulier, arrêt du 10 mars 2011, Deutsche Lufthansa (C‑109/09, EU:C:2011:129, point 56).

( 35 ) Arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166, point 29 et jurisprudence citée).

( 36 ) Arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387, point 28 et jurisprudence citée).

( 37 ) Arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, point 118).

( 38 ) Arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387, point 29).

( 39 ) Voir points 52 et suivants des présentes conclusions.

( 40 ) Par conséquent, si l’agent de la Communauté autonome de Madrid a indiqué lors de l’audience que certains des requérants au principal dans l’affaire C‑429/18 avaient réussi un concours, cela ne change rien au fait que la date de leur intégration dans le personnel statutaire à durée indéterminée et permanent n’est pas prévisible.

( 41 ) Si la Communauté autonome de Madrid invoque l’organisation de procédures de concours en application de la quatrième disposition transitoire relative au statut de base et le fait que certains des requérants au principal ont réussi le concours, elle n’a pas précisé pourquoi les lauréats n’avaient pas encore été intégrés dans le personnel statutaire permanent dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée et pourquoi les postes des candidats malheureux n’avaient pas encore été pourvus par la nomination de fonctionnaires à la date de l’introduction du recours.

( 42 ) Arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166, point 32), qui renvoie à l’arrêt du 7 septembre 2006, Marrosu et Sardino (C‑53/04, EU:C:2006:517, point 47).

( 43 ) Voir déjà, sur ce sujet, arrêt du 14 septembre 2016, Martínez Andrés et Castrejana López (C‑184/15 et C‑197/15, EU:C:2016:680, point 27).

( 44 ) À cet égard, les employés à durée indéterminée non permanents ne se trouvent manifestement pas dans une situation plus favorable que les agents non titulaires au titre de l’article 9, paragraphe 2, du statut-cadre.

( 45 ) Arrêt rendu dans l’affaire no 1425/2018 (ECLI:ES:TS:2018:3250, point 16). Voir également l’arrêt rendu le même jour dans l’affaire no 1426/2018 (ECLI:ES:TS:2018:3251) concernant une autre administration.

( 46 ) Cette disposition du droit national impose aux autorités investies du pouvoir de nomination d’effectuer une analyse des besoins et, le cas échéant, de créer un poste si, sur une période de deux ans, du personnel statutaire auxiliaire est nommé plus de deux fois pour la prestation des mêmes services, et ce pour une durée cumulée de plus de douze mois. Voir point 7 des présentes conclusions.

( 47 ) Arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166).

( 48 ) En ce qui concerne les exigences du principe d’effectivité en matière de preuve, voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Santoro (C‑494/16, EU:C:2017:822, points 55 et suivants).

( 49 ) Ordonnance du 12 décembre 2013, Papalia (C‑50/13, non publiée, EU:C:2013:873, point 32).

( 50 ) Voir dispositif de l’arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166).

( 51 ) Sur cette disposition et sa portée, voir point 71 des présentes conclusions.

( 52 ) Arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166, point 34), qui renvoie à l’arrêt du 7 septembre 2006, Marrosu et Sardino (C‑53/04, EU:C:2006:517, point 49).

( 53 ) Voir point 74 des présentes conclusions.

( 54 ) Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Santoro (C‑494/16, EU:C:2017:822, point 62).

( 55 ) Voir, à ce sujet, point 60 des présentes conclusions.

( 56 ) Par conséquent, c’est en ce sens qu’il convient de répondre à la neuvième question posée dans l’affaire C‑103/18.

( 57 ) Sur les limites d’une modification substantielle du contrat à la suite d’une transformation, voir arrêt du 8 mars 2012, Huet (C‑251/11, EU:C:2012:133).

( 58 ) Voir points 76 et 77 des présentes conclusions.

( 59 ) Voir, également, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018, de Diego Porras (C‑619/17, EU:C:2018:936, point 96).

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