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Document 62017CJ0167

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 17 octobre 2018.
    Volkmar Klohn contre An Bord Pleanála.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Supreme Court (Irlande).
    Renvoi préjudiciel – Environnement – Évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement – Droit de recours contre une décision d’autorisation – Exigence d’une procédure d’un coût non prohibitif – Notion – Application dans le temps – Effet direct – Incidence sur une décision nationale de taxation de dépens devenue définitive.
    Affaire C-167/17.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:833

    ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

    17 octobre 2018 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Environnement – Évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement – Droit de recours contre une décision d’autorisation – Exigence d’une procédure d’un coût non prohibitif – Notion – Application dans le temps – Effet direct – Incidence sur une décision nationale de taxation de dépens devenue définitive »

    Dans l’affaire C‑167/17,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), par décision du 23 mars 2017, parvenue à la Cour le 3 avril 2017, dans la procédure

    Volkmar Klohn

    contre

    An Bord Pleanála,

    en présence de :

    Sligo County Council,

    Maloney and Matthews Animal Collections Ltd,

    LA COUR (première chambre),

    composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev, E. Regan et C. G. Fernlund, juges,

    avocat général : M. M. Bobek,

    greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 février 2018,

    considérant les observations présentées :

    pour M. Klohn, par lui-même et par Mme B. Ohlig, advocate,

    pour l’An Bord Pleanála, par M. A. Doyle, solicitor, et par M. B. Foley, BL,

    pour l’Irlande, par Mmes M. Browne et G. Hodge ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mmes M. Gray et H. Godfrey, BL, ainsi que de M. R. Mulcahy, SC,

    pour la Commission européenne, par MM. C. Zadra, G. Gattinara et J. Tomkin, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 juin 2018,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 1985, L 175, p. 40), telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003 (JO 2003, L 156, p. 17) (ci-après la « directive 85/337 modifiée »).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Volkmar Klohn à l’An Bord Pleanála (Agence d’aménagement du territoire, Irlande) (ci-après l’« Agence ») au sujet de la charge des dépens de la procédure judiciaire que M. Klohn a engagée contre le permis de construire délivré par l’Agence en vue de la construction, à Achonry, dans le County Sligo (comté de Sligo, Irlande), d’un établissement d’inspection des animaux trouvés morts sur l’ensemble du territoire irlandais.

    Le cadre juridique

    Le droit international

    3

    Le préambule de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »), énonce :

    « [...]

    Reconnaissant également que chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures ;

    Considérant que, afin d’être en mesure de faire valoir ce droit et de s’acquitter de ce devoir, les citoyens doivent avoir accès à l’information, être habilités à participer au processus décisionnel et avoir accès à la justice en matière d’environnement, étant entendu qu’ils peuvent avoir besoin d’une assistance pour exercer leurs droits ;

    [...]

    Souhaitant que le public, y compris les organisations, aient accès à des mécanismes judiciaires efficaces afin que leurs intérêts légitimes soient protégés et la loi respectée ;

    [...] »

    4

    L’article 1er de la convention d’Aarhus, intitulé « Objet », prévoit :

    « Afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie garantit les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement conformément aux dispositions de la présente convention. »

    5

    L’article 3 de cette convention, intitulé « Dispositions générales », dispose, à son paragraphe 8 :

    « Chaque partie veille à ce que les personnes qui exercent leurs droits conformément aux dispositions de la présente convention ne soient en aucune façon pénalisées, persécutées ou soumises à des mesures vexatoires en raison de leur action. La présente disposition ne porte nullement atteinte au pouvoir des tribunaux nationaux d’accorder des dépens d’un montant raisonnable à l’issue d’une procédure judiciaire. »

    6

    L’article 9 de ladite convention, intitulé « Accès à la justice », stipule :

    « 1.   Chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que toute personne qui estime que la demande d’informations qu’elle a présentée en application de l’article 4 a été ignorée, rejetée abusivement, en totalité ou en partie, ou insuffisamment prise en compte ou qu’elle n’a pas été traitée conformément aux dispositions de cet article, ait la possibilité de former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi.

    [...]

    2.   Chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public concerné

    a)

    ayant un intérêt suffisant pour agir ou, sinon,

    b)

    faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d’une partie pose une telle condition, puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par loi pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 et, si le droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres dispositions pertinentes de la présente convention.

    Ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne et conformément à l’objectif consistant à accorder au public concerné un large accès à la justice dans le cadre de la présente convention. À cet effet, l’intérêt qu’a toute organisation non gouvernementale répondant aux conditions visées au paragraphe 5 de l’article 2 est réputé suffisant au sens du point a) ci-dessus. Ces organisations sont également réputées avoir des droits auxquels il pourrait être porté atteinte au sens du point b) ci‑dessus.

    [...]

    3.   En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement.

    4.   En outre, et sans préjudice du paragraphe 1, les procédures visées aux paragraphes 1, 2 et 3 ci-dessus doivent offrir des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s’il y a lieu, et doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. Les décisions prises au titre du présent article sont prononcées ou consignées par écrit. Les décisions des tribunaux et, autant que possible, celles d’autres organes doivent être accessibles au public.

    5.   Pour rendre les dispositions du présent article encore plus efficaces, chaque partie veille à ce que le public soit informé de la possibilité qui lui est donnée d’engager des procédures de recours administratif ou judiciaire, et envisage la mise en place de mécanismes appropriés d’assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l’accès à la justice. »

    Le droit de l’Union

    7

    La directive 85/337 modifiée prévoit que les projets publics et privés susceptibles d’avoir un impact important sur l’environnement font l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Elle instaure aussi des obligations en matière de participation et de consultation du public dans le processus de décision en ce qui concerne l’autorisation de tels projets.

    8

    À la suite de l’adhésion de l’Union européenne à la convention d’Aarhus, le législateur de l’Union a adopté la directive 2003/35, dont l’article 3, point 7, a inséré, dans la directive 85/337, un article 10 bis, qui dispose :

    « Les États membres veillent, conformément à leur cadre juridique en la matière, à ce que les membres du public concerné :

    a)

    ayant un intérêt suffisant pour agir, ou sinon

    b)

    faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le droit administratif procédural d’un État membre impose une telle condition,

    puissent former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité, quant au fond ou à la procédure, des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la présente directive relatives à la participation du public.

    Les États membres déterminent à quel stade les décisions, actes ou omissions peuvent être contestés.

    Les États membres déterminent ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit, en conformité avec l’objectif visant à donner au public concerné un large accès à la justice. À cette fin, l’intérêt de toute organisation non gouvernementale, répondant aux exigences visées à l’article 1er, paragraphe 2, est réputé suffisant aux fins du point a) du présent article. De telles organisations sont aussi réputées bénéficier de droits susceptibles de faire l’objet d’une atteinte aux fins du point b) du présent article.

    Le présent article n’exclut pas la possibilité d’un recours préalable devant une autorité administrative et n’affecte en rien l’obligation d’épuiser toutes les voies de recours administratif avant d’engager des procédures de recours juridictionnel dès lors que la législation nationale prévoit une telle obligation.

    Ces procédures doivent être régulières, équitables, rapides et d’un coût non prohibitif.

    Afin d’accroître l’efficacité des dispositions du présent article, les États membres veillent à ce qu’une information pratique soit mise à la disposition du public concernant l’accès aux voies de recours administratif et juridictionnel. »

    9

    Aux termes de l’article 6, premier alinéa, de la directive 2003/35, « [l]es États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 25 juin 2005. Ils en informent immédiatement la Commission ».

    10

    L’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée a été repris à l’article 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1).

    Le droit irlandais

    11

    Le système de recours juridictionnel irlandais comporte deux étapes. Les requérants doivent dans un premier temps demander à la High Court (Haute Cour, Irlande) l’autorisation (leave) de former un recours juridictionnel, en exposant les motifs de leur recours et leurs conclusions. Ce n’est que si cette autorisation est accordée que le recours peut être introduit.

    12

    Aux termes de l’article 99 des rules of the Superior Courts (règlement de procédure des juridictions supérieures), « les dépens suivent l’issue de l’affaire ». En conséquence, le requérant qui succombe est condamné, en principe, à supporter les dépens de l’autre partie en plus de ses propres dépens. Telle est la règle générale, mais la High Court (Haute Cour) dispose d’un pouvoir d’appréciation pour s’en écarter, lorsque des circonstances particulières de l’espèce le justifient.

    13

    La juridiction saisie du litige ne se prononce que sur la répartition des dépens. Par la suite, le montant des dépens mis à la charge de la partie perdante est chiffré dans une décision distincte par le Taxing Master, un juge spécialement chargé de la taxation des dépens, au vu des justificatifs fournis par la partie gagnante. Cette décision peut faire l’objet d’un recours.

    14

    Dans son arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Irlande (C‑427/07, EU:C:2009:457, points 92 à 94), la Cour a jugé que l’Irlande n’avait pas transposé dans le droit national la règle figurant à l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée, selon laquelle les procédures doivent avoir « un coût non prohibitif ».

    15

    Au cours de l’année 2011, afin de tirer les conséquences de la constatation d’un manquement sur ce point, l’Irlande a inséré, dans la loi sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme un article 50 B, en vertu duquel, dans le champ d’application de cette loi, chaque partie est, en principe, tenue de supporter ses propres dépens. Cette disposition n’est toutefois pas applicable ratione temporis au litige au principal.

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    16

    Au cours de l’année 2004, l’Agence a accordé à Maloney and Matthews Animal Collections Ltd un permis en vue de la construction, à Achonry, d’une installation d’inspection des animaux trouvés morts sur l’ensemble du territoire irlandais. La construction de cette installation avait été décidée dans le cadre des mesures prises en réponse à l’épizootie d’encéphalopathie spongiforme bovine.

    17

    Le 24 juin 2004, M. Klohn, propriétaire d’une ferme située à proximité du site de ladite installation, a demandé à être autorisé à former un recours juridictionnel contre ce permis de construire. L’autorisation sollicitée lui a été accordée le 31 juillet 2007.

    18

    Par un jugement du 23 avril 2008, la High Court (Haute Cour) a rejeté le recours de M. Klohn.

    19

    Le 6 mai suivant, cette juridiction a condamné l’intéressé à supporter les dépens exposés par l’Agence. Cette décision n’a pas été contestée.

    20

    Devant le Taxing Master de la High Court (Haute Cour), chargé de chiffrer le montant des dépens à rembourser, conformément au droit national, M. Klohn a fait valoir que, conformément à l’article 3, paragraphe 8, et à l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus ainsi qu’à l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée, les dépens mis à sa charge ne devraient pas représenter « un coût prohibitif ».

    21

    Par une décision du 24 juin 2010, le Taxing Master a estimé que, en vertu du droit irlandais, il n’avait pas le pouvoir de procéder à une appréciation du caractère prohibitif de ce coût et il a chiffré les dépens à rembourser à l’Agence par M. Klohn à environ 86000 euros.

    22

    Saisie par l’intéressé d’une demande de révision de la décision du Taxing Master, la High Court (Haute Cour) a confirmé cette décision.

    23

    M. Klohn a interjeté appel de la décision de la High Court (Haute Cour) devant la Supreme Court (Cour suprême, Irlande).

    24

    La Supreme Court (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    L’exigence d’un “coût non prohibitif” inscrite à l’article 10 bis de la [directive 85/337 modifiée] est-elle susceptible d’être d’application dans une affaire telle que la présente, où l’autorisation contestée a été délivrée antérieurement à l’expiration du délai de transposition de cette dernière directive et où la procédure contestant cette autorisation a également été introduite avant cette date ? Dans l’affirmative, cette exigence d’un “coût non prohibitif” s’applique-t-elle à tous les dépens encourus dans le cadre de cette procédure ou uniquement à ceux encourus postérieurement à l’expiration du délai de transposition ?

    2)

    Le juge national qui dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la condamnation de la partie qui succombe aux dépens est-il, en l’absence de toute mesure spécifique adoptée par l’État membre concerné en vue de transposer l’article 10 bis de la [directive 85/337 modifiée], tenu, lorsqu’il décide des dépens dans une procédure relevant du champ d’application de ladite disposition, d’assurer que sa décision n’aura pas pour effet de rendre le coût de la procédure “prohibitif”, soit parce que la disposition en cause a un effet direct, soit parce que le juge national doit interpréter ses règles nationales de procédure d’une façon qui, dans toute la mesure du possible, réponde aux objectifs dudit article 10 bis ?

    3)

    Lorsqu’une condamnation aux dépens n’est assortie d’aucune restriction et serait, dès lors qu’aucune voie de recours n’a été exercée, considérée en droit national comme définitive et finale, le droit de l’Union exige-t-il que :

    a)

    le Taxing Master, chargé en vertu du droit national de la tâche de chiffrer le montant des dépens raisonnablement encourus par la partie qui a obtenu gain de cause, ou

    b)

    le juge saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master

    ait néanmoins l’obligation de déroger aux mesures de droit national applicables et d’établir le montant des dépens recouvrables de telle manière qu’il soit assuré que ces dépens n’aient pas pour effet de rendre le coût de la procédure prohibitif ? »

    Sur les questions préjudicielles

    Sur la deuxième question

    25

    Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si l’exigence selon laquelle le coût de certaines procédures juridictionnelles en matière d’environnement ne doit pas être prohibitif (ci-après la « règle du coût non prohibitif »), figurant à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée, est d’effet direct ou si le juge national doit seulement interpréter le droit interne d’une façon qui, dans toute la mesure du possible, permette d’aboutir à une solution conforme au but poursuivi par cette règle.

    26

    La question de l’effet direct de la règle du coût non prohibitif se pose dans le litige au principal en raison du défaut de transposition, par l’Irlande, de l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée, dans le délai prévu à l’article 6 de la directive 2003/35, soit au plus tard le 25 juin 2005. Ce manquement a été constaté par la Cour dans son arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Irlande (C‑427/07, EU:C:2009:457, points 92 à 94 et dispositif). Il ressort, en outre, des explications fournies par la juridiction de renvoi qu’une norme nationale n’a été adoptée en vue de transposer dans le droit interne la règle du coût non prohibitif qu’au cours de l’année 2011, soit postérieurement à la décision au fond qui a mis fin à la procédure juridictionnelle dont la taxation des dépens est en cause dans le litige au principal.

    27

    Il y a lieu de rappeler que des dispositions du droit de l’Union sont directement applicables lorsqu’elles confèrent aux particuliers des droits qu’ils peuvent faire valoir en justice dans un État membre (arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn, 41/74, EU:C:1974:133, points 4 et 8).

    28

    De telles dispositions imposent aux États membres une obligation précise, qui ne nécessite l’intervention d’aucun acte, soit des institutions de l’Union, soit des États membres, et qui ne laisse à ceux-ci, pour son exécution, aucune faculté d’appréciation (arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn, 41/74, EU:C:1974:133, point 6).

    29

    À cet égard, il convient de rappeler, d’abord, que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée, se borne à prévoir que les procédures juridictionnelles concernées « doivent être régulières, équitables, rapides et d’un coût non prohibitif ». Compte tenu de la généralité des termes utilisés, ces dispositions peuvent difficilement être regardées comme imposant aux États membres des obligations suffisamment précises pour ne pas nécessiter des mesures nationales permettant d’en assurer la mise en œuvre.

    30

    Ensuite, la Cour a jugé que les États membres disposent, en vertu de leur autonomie procédurale et sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, d’une marge de manœuvre dans la mise en œuvre de l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée (arrêts du 16 février 2012, Solway e.a., C‑182/10, EU:C:2012:82, point 47, ainsi que du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., C‑72/12, EU:C:2013:712, point 30).

    31

    Enfin et surtout, la Cour s’est prononcée sur l’effet direct de la règle du coût non prohibitif. En effet, cette règle figure également, dans des termes très proches, à l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus. Cette similitude n’est pas fortuite, puisque que la directive 2003/35, qui a inséré l’article 10 bis dans la directive 85/337, avait précisément pour objet d’aligner le droit communautaire sur la convention d’Aarhus en vue de son approbation par la Communauté, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la directive 2003/35.

    32

    Or, la Cour a jugé dans son arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy (C‑470/16, EU:C:2018:185, points 52 et 58), que l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus n’est pas d’applicabilité directe.

    33

    Comme la Cour n’apprécie pas l’applicabilité directe de stipulations d’un accord signé par l’Union selon d’autres critères que ceux qu’elle utilise en vue de déterminer si les dispositions d’une directive sont d’applicabilité directe (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 1987, Demirel, 12/86, EU:C:1987:400, point 14), il peut être également conclu de l’arrêt mentionné au point précédent que la règle du coût non prohibitif figurant à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée est dépourvue d’effet direct.

    34

    Compte tenu de l’absence d’effet direct des dispositions en cause de la directive 85/337 modifiée et de leur transposition tardive dans l’ordre juridique de l’État membre concerné, les juridictions nationales de ce dernier sont tenues, dans toute la mesure du possible, d’interpréter le droit interne à partir de l’expiration du délai imparti aux États membres pour leur transposition, aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi par ces dispositions, en privilégiant l’interprétation des règles nationales la plus conforme à cette finalité, pour aboutir ainsi à une solution compatible avec les dispositions de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, Adelener e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 115 et dispositif).

    35

    L’objectif poursuivi par le législateur de l’Union lorsqu’il a édicté la règle du coût non prohibitif figurant à l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée implique que les particuliers ne soient pas empêchés de former ou de poursuivre un recours juridictionnel entrant dans le champ d’application de cette disposition en raison de la charge financière qui pourrait en résulter (arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, point 35). Cet objectif, qui consiste à donner au public concerné un large accès à la justice, sert, plus largement, la volonté du législateur de l’Union de préserver, de protéger et d’améliorer la qualité de l’environnement et de faire jouer au public un rôle actif à cette fin, ainsi que de garantir le respect du droit à un recours effectif et du principe d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, points 31 à 33).

    36

    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée doit être interprété en ce sens que la règle du coût non prohibitif qu’il énonce est dépourvue d’effet direct. En l’absence de transposition de cet article par un État membre, les juridictions nationales de ce dernier sont néanmoins tenues, dans toute la mesure du possible, d’interpréter le droit interne, à compter de l’expiration du délai prévu pour la transposition dudit article, de telle manière que les particuliers ne soient pas empêchés de former ou de poursuivre un recours juridictionnel entrant dans le champ d’application du même article en raison de la charge financière qui pourrait en résulter.

    Sur la première question

    37

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la règle du coût non prohibitif énoncée à l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée est applicable à une procédure telle que celle en cause au principal, introduite avant la date d’expiration du délai de transposition de cet article. Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à cette question, la juridiction de renvoi demande également si ladite règle s’applique à tous les dépens encourus dans le cadre de cette procédure ou uniquement à ceux encourus postérieurement à l’expiration de ce délai de transposition.

    38

    Selon une jurisprudence constante de la Cour, une règle nouvelle s’applique en principe immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne (arrêts du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, EU:C:2008:709, point 43 et jurisprudence citée ; du 6 juillet 2010, Monsanto Technology, C‑428/08, EU:C:2010:402, point 66, ainsi que du 6 octobre 2015, Commission/Andersen, C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 49).

    39

    Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps (arrêt du 16 décembre 2010, Stichting Natuur en Milieu e.a., C‑266/09, EU:C:2010:779, point 32).

    40

    Ainsi, les actes pris pour la transposition d’une directive doivent s’appliquer aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne, dès la date d’expiration du délai de transposition, sauf si cette directive en dispose autrement.

    41

    Or, la directive 2003/35 ne comporte aucune disposition particulière quant aux conditions d’application dans le temps de l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée (arrêt du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., C‑72/12, EU:C:2013:712, point 23).

    42

    À cet égard, la Cour a jugé que l’article 10 bis de la directive 85/337 modifiée doit être interprété en ce sens que les dispositions de droit interne adoptées aux fins de la transposition de cet article doivent s’appliquer aux procédures administratives d’autorisation en cours à la date d’expiration du délai de transposition de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., C‑72/12, EU:C:2013:712, point 31).

    43

    Lorsque aucun acte de transposition n’a été adopté dans le délai prévu à cet effet par une directive, comme c’est le cas dans le litige au principal, il y a lieu de considérer que l’obligation d’interpréter le droit national conformément à la règle non transposée s’applique également dans les conditions rappelées aux points 39 et 40 du présent arrêt, à compter de l’expiration de ce délai.

    44

    En effet, dans cette dernière situation, le juge national a l’obligation d’interpréter le droit interne afin de parvenir, dans la mesure du possible, au résultat visé par les dispositions non transposées d’une directive, ainsi qu’il a été rappelé au point 35 du présent arrêt. Or, l’applicabilité immédiate aux effets futurs des situations existantes d’une règle nouvelle issue d’une directive, à compter de l’expiration du délai de transposition de celle-ci, fait partie de ce résultat, à moins que la directive concernée n’en ait disposé autrement.

    45

    Partant, les juridictions nationales sont tenues d’interpréter le droit national, dès l’expiration du délai de transposition d’une directive non transposée, de façon à rendre les effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne immédiatement compatibles avec les dispositions de cette directive.

    46

    Au regard de l’objectif poursuivi par la règle du coût non prohibitif, qui consiste à modifier l’allocation des dépens dans certaines procédures juridictionnelles, une instance introduite avant le terme du délai de transposition de la directive 2003/35 doit être regardée comme une situation née sous l’empire de la loi ancienne. Par ailleurs, la décision relative à l’allocation des dépens, prise par le juge à l’issue de l’instance, représente un effet futur, d’ailleurs incertain, de l’instance en cours. En conséquence, les juridictions nationales ont l’obligation, lorsqu’elles décident de l’allocation des dépens dans des instances qui étaient en cours à la date d’expiration du délai de transposition de cette directive, d’interpréter le droit interne afin d’aboutir, dans la mesure du possible, à une solution conforme à la finalité poursuivie par la règle du coût non prohibitif.

    47

    À cet égard, il n’y a pas lieu de distinguer entre les dépens, selon qu’ils ont été exposés, en pratique, avant ou après le terme du délai de transposition, dès lors que la décision relative à l’allocation des dépens n’est pas encore intervenue à cette date et que, par suite, l’obligation d’interpréter le droit interne conformément à la règle du coût non prohibitif est applicable à cette décision, ainsi qu’il a été dit au point précédent. En outre, la Cour a jugé que le caractère prohibitif de la procédure doit s’apprécier globalement, compte tenu de l’ensemble des frais supportés par la partie concernée (arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, point 28).

    48

    Toutefois, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique et de non-rétroactivité (arrêt du 8 novembre 2016, Ognyanov, C‑554/14, EU:C:2016:835, point 63 et jurisprudence citée).

    49

    À cet égard, l’Agence fait valoir que l’applicabilité immédiate de la règle du coût non prohibitif aux instances en cours est contraire au principe de sécurité juridique. Elle estime que la règle d’allocation des dépens, telle qu’elle était connue dès le début de l’instance, a influencé le montant des dépens que les parties ont choisi d’engager pour la défense de leurs droits.

    50

    Certes, le principe de sécurité juridique, qui a pour corollaire le principe de protection de la confiance légitime, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (arrêt du 22 juin 2017, Unibet International, C‑49/16, EU:C:2017:491, point 43 et jurisprudence citée).

    51

    Par ailleurs, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’autorité compétente, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître, chez lui, des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, EU:C:2010:607, point 71).

    52

    Toutefois, dans la procédure en cause au principal, force est de constater que les parties n’ont reçu aucune assurance quant au maintien en vigueur de la règle d’allocation des dépens jusqu’au terme de l’instance. Au contraire, dès le début de cette procédure, le 24 juin 2004, date à laquelle M. Klohn a demandé l’autorisation d’introduire un recours juridictionnel, elles pouvaient prévoir, compte tenu des obligations résultant, pour l’Irlande, de la directive 2003/35, entrée en vigueur le 25 juin 2003, que cette règle devrait être modifiée à brève échéance et au plus tard avant le 25 juin 2005, soit vraisemblablement avant la fin de ladite instance. En particulier, l’Irlande et l’Agence en sa qualité d’organe de cet État membre ne peuvent se prévaloir d’une confiance légitime dans le maintien d’une règle que l’Irlande, nonobstant l’obligation qui lui était faite de la modifier dans le délai prescrit par cette directive, a omis de modifier, ainsi que la Cour l’a constaté dans son arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Irlande (C‑427/07, EU:C:2009:457).

    53

    Enfin, la Cour a jugé que le principe de protection de la confiance légitime ne peut être étendu au point d’empêcher, de façon générale, une règle nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la règle ancienne (arrêt du 6 octobre 2015, Commission/Andersen, C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 49).

    54

    Ainsi, l’Agence n’est pas fondée à soutenir que le principe de sécurité juridique s’oppose à l’obligation incombant aux juridictions nationales d’interpréter le droit national conformément à la règle du coût non prohibitif lorsqu’elles se prononcent sur l’allocation des dépens.

    55

    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée doit être interprété en ce sens que l’obligation d’interprétation conforme s’impose aux juridictions d’un État membre, lorsqu’elles décident de l’allocation des dépens dans les procédures juridictionnelles qui étaient en cours à la date d’expiration du délai de transposition de la règle du coût non prohibitif prévue à cet article 10 bis, cinquième alinéa, sans considération de la date à laquelle ces dépens ont été exposés au cours de la procédure concernée.

    Sur la troisième question

    56

    Pour la bonne compréhension de la troisième question, il convient de rappeler, au préalable, que la procédure irlandaise en matière de dépens se déroule en deux étapes. À la suite de sa décision au fond, la juridiction saisie du litige se prononce dans un premier temps sur la répartition de la charge des dépens. Dans un second temps, le Taxing Master, en fixe le montant, sous le contrôle d’un juge, à savoir la High Court (Haute Cour), puis le cas échéant, la Supreme Court (Cour suprême).

    57

    Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi sur la procédure en cause au principal, la High Court (Haute Cour), ayant rejeté le recours de M. Klohn, a condamné ce dernier, le 6 mai 2008, à supporter les dépens exposés par l’Agence, conformément à l’article 99 du règlement de procédure des juridictions supérieures, selon lequel « les dépens suivent l’issue de l’affaire ». Cette décision est devenue définitive, faute d’avoir été contestée dans les délais impartis. Le Taxing Master a chiffré les dépens à rembourser à l’Agence par M. Klohn à 86 000 euros environ, par une décision du 24 juin 2010, qui a été contestée devant la High Court (Haute Cour), puis devant la juridiction de renvoi.

    58

    Compte tenu de ces éléments, il convient de comprendre la troisième question comme visant à savoir si, dans le litige au principal, eu égard à l’autorité de chose jugée s’attachant à la décision de la High Court (Haute Cour) du 6 mai 2008, devenue définitive en ce qui concerne la répartition des dépens, les juridictions nationales statuant sur le recours introduit par le requérant au principal contre la décision du Taxing Master fixant le montant des dépens sont tenues d’interpréter le droit national de telle sorte que ce requérant ne supporte pas un coût prohibitif.

    59

    En vertu d’une jurisprudence constante, lorsqu’elles appliquent le droit interne, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci et, partant, se conformer à l’article 288, troisième alinéa, TFUE (arrêt du 4 juillet 2006, Adelener e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 108 ainsi que jurisprudence citée).

    60

    L’exigence d’une interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies (arrêt du 4 juillet 2006, Adelener e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 109 ainsi que jurisprudence citée).

    61

    Toutefois, le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites.

    62

    D’une part, ainsi qu’il a déjà été mentionné au point 48 du présent arrêt, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit.

    63

    À cet égard, le principe de l’autorité de la chose jugée revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, une importance particulière. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742, point 38 et jurisprudence citée).

    64

    Aussi le droit de l’Union n’exige-t-il pas d’écarter l’application des règles de procédure nationales conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle (arrêt du 20 mars 2018, Di Puma et Consob, C‑596/16 et C‑597/16, EU:C:2018:192, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

    65

    D’autre part, l’obligation d’interprétation conforme cesse lorsque le droit national ne peut être interprété de façon à aboutir à un résultat compatible avec celui visé par la directive concernée. En d’autres termes, le principe d’interprétation conforme ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêts du 4 juillet 2006, Adelener e.a., C‑212/04, EU:C:2006:443, point 110, ainsi que du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 100).

    66

    Il importe de souligner que, lorsqu’elle est saisie en vertu de l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour apprécier si les limites susmentionnées font obstacle à une interprétation du droit national conforme à une norme de droit de l’Union. De manière générale, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle, d’interpréter le droit national (arrêt du 1er décembre 1965, Dekker, 33/65 EU:C:1965:118), le juge national étant seul compétent à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Ottica New Line, C‑539/11, EU:C:2013:591, point 48).

    67

    Il incombe, dès lors, à la juridiction de renvoi d’apprécier l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision du 6 mai 2008 par laquelle la High Court (Haute Cour) a mis les dépens de la procédure concernée à la charge de M. Klohn, afin de déterminer si et dans quelle mesure une interprétation du droit national conforme à la règle du coût non prohibitif est possible dans le litige au principal.

    68

    Dans ces conditions, la Cour peut seulement apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son appréciation (arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, EU:C:2006:121, point 77) et lui indiquer quelle interprétation du droit national satisferait à son obligation d’interpréter celui-ci conformément au droit de l’Union.

    69

    À cet égard, il y a lieu de relever que la décision du 6 mai 2008 par laquelle la High Court (Haute Cour) s’est prononcée sur la répartition des dépens, en mettant notamment les dépens exposés par l’Agence à la charge de M. Klohn, n’a pas le même objet que la décision du Taxing Master à l’origine de la procédure juridictionnelle devant la juridiction de renvoi, en ce que, notamment, cette décision n’a pas fixé le montant précis des dépens mis à la charge du requérant au principal. Or, selon la jurisprudence de la Cour, l’autorité de la chose jugée ne s’étend qu’aux prétentions juridiques sur lesquelles la juridiction a statué. Elle ne fait, dès lors, pas obstacle à ce que le Taxing Master ou un juge, dans le cadre d’un litige ultérieur, se prononcent sur des points de droit sur lesquels cette décision définitive ne s’est pas prononcée (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen, C‑505/14, EU:C:2015:742, point 36).

    70

    De plus, une interprétation consistant à considérer que, eu égard au lien étroit existant entre la décision portant sur la charge des dépens et celle qui en fixe le montant, l’Agence serait en droit de réclamer la totalité des dépens raisonnablement exposés pour sa défense irait à l’encontre du principe de sécurité juridique et de l’exigence de prévisibilité du droit de l’Union. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 114 de ses conclusions, M. Klohn n’était pas en mesure de connaître, jusqu’à la décision du Taxing Master, rendue plus d’un an après la décision le condamnant aux dépens, le montant des dépens qu’il pourrait avoir à rembourser aux parties gagnantes ni, par conséquent, de contester en connaissance de cause la première desdites décisions. Le montant des dépens recouvrables de l’Agence tel qu’arrêté par le Taxing Master était d’autant moins prévisible par l’intéressé qu’il s’élevait presque au triple de celui des dépens que lui-même avait exposés dans le cadre de la procédure concernée.

    71

    Il convient, dès lors, de répondre à la troisième question que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 modifiée doit être interprété en ce sens que, dans un litige tel que celui en cause au principal, l’obligation d’interprétation conforme incombe au juge national appelé à statuer sur le montant des dépens, dans la mesure où l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision, devenue définitive, relative à la répartition des dépens ne s’y oppose pas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

    Sur les dépens

    72

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

     

    1)

    L’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, doit être interprété en ce sens que l’exigence selon laquelle le coût de certaines procédures juridictionnelles en matière d’environnement ne doit pas être prohibitif qu’il énonce est dépourvue d’effet direct. En l’absence de transposition de cet article par un État membre, les juridictions nationales de ce dernier sont néanmoins tenues, dans toute la mesure du possible, d’interpréter le droit interne, à compter de l’expiration du délai prévu pour la transposition dudit article, de telle manière que les particuliers ne soient pas empêchés de former ou de poursuivre un recours juridictionnel entrant dans le champ d’application du même article en raison de la charge financière qui pourrait en résulter.

     

    2)

    L’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35, doit être interprété en ce sens que l’obligation d’interprétation conforme s’impose aux juridictions d’un État membre, lorsqu’elles décident de l’allocation des dépens dans les procédures juridictionnelles qui étaient en cours à la date d’expiration du délai de transposition de l’exigence selon laquelle le coût de certaines procédures juridictionnelles en matière d’environnement ne doit pas être prohibitif, prévue à cet article 10 bis, cinquième alinéa, sans considération de la date à laquelle ces dépens ont été exposés au cours de la procédure concernée.

     

    3)

    L’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35, doit être interprété en ce sens que, dans un litige tel que celui en cause au principal, l’obligation d’interprétation conforme incombe au juge national appelé à statuer sur le montant des dépens, dans la mesure où l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision, devenue définitive, relative à la répartition des dépens ne s’y oppose pas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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