Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62016CC0181

    Conclusions de l'avocat général M. P. Mengozzi, présentées le 15 juin 2017.
    Sadikou Gnandi contre État belge.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (Belgique).
    Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115/CE – Article 3, point 2 – Notion de “séjour irrégulier” – Article 6 – Adoption d’une décision de retour avant l’issue du recours contre le rejet de la demande de protection internationale par l’autorité responsable – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 18, article 19, paragraphe 2, et article 47 – Principe de non‑refoulement – Droit à un recours effectif – Autorisation de rester dans un État membre.
    Affaire C-181/16.

    Court reports – general ;

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:467

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PAOLO MENGOZZI

    présentées le 15 juin 2017 ( 1 )

    Affaire C‑181/16

    Sadikou Gnandi

    contre

    État belge

    [demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

    « Renvoi préjudiciel – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Ordre de quitter le territoire – Délivrance dès le rejet de la demande d’asile et avant épuisement des voies de recours juridictionnelles »

    1.

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 5 et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 2 ).

    2.

    Par sa question préjudicielle, le Conseil d’État (Belgique) demande en substance à la Cour si le principe de non-refoulement et le droit à un recours effectif s’opposent à ce qu’une décision de retour au sens de la directive 2008/115 soit adoptée à l’égard d’un demandeur d’asile dès le rejet de sa demande de protection internationale par la première instance d’examen et donc avant épuisement des voies de recours juridictionnelles à sa disposition contre un tel rejet.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    La directive 2005/85/CE

    3.

    L’article 7 de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ( 3 ), dispose :

    « 1.   Les demandeurs [d’asile] sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en premier ressort prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour ( 4 ).

    […] »

    4.

    L’article 39, paragraphe 1, de cette directive met à la charge des États membres l’obligation d’assurer aux demandeurs d’asile le droit à un recours effectif. Le paragraphe 3 de cette disposition est libellé en ces termes :

    « Les États membres prévoient le cas échéant les règles découlant de leurs obligations internationales relatives :

    a)

    à la question de savoir si le recours prévu en application du paragraphe 1 a pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue du recours ;

    b)

    à la possibilité d’une voie de droit ou de mesures conservatoires si le recours visé au paragraphe 1 n’a pas pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue de ce recours. […]

    […] »

    5.

    La directive 2005/85 a été abrogée et remplacée par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ( 5 ). L’article 46, paragraphe 5, de cette dernière directive prévoit que « les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours ». Cette disposition ne s’applique toutefois pas, ratione temporis, aux faits du litige au principal ( 6 ).

    La directive 2008/115

    6.

    L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115 précise que celle-ci s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

    7.

    Aux termes de l’article 3, points 2, 4 et 5, de cette directive :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    […]

    2)   “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du code frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

    […]

    4)   “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

    5)   “éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre. »

    8.

    L’article 5 de la directive 2008/115 impose aux États membres le respect du principe de non-refoulement dans la mise en œuvre de celle-ci.

    9.

    L’article 6 de cette directive, intitulé « Décision de retour », dispose, à ses paragraphes 1 et 6 :

    « 1.   Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

    […]

    6.   La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour […] dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national. »

    10.

    L’article 8 de ladite directive, intitulé « Éloignement », prévoit, à son paragraphe 3 :

    « Les États membres peuvent adopter une décision ou un acte distinct de nature administrative ou judiciaire ordonnant l’éloignement. »

    11.

    L’article 9, paragraphe 1, de la même directive, intitulé « Report de l’éloignement », dispose :

    « Les États membres reportent l’éloignement :

    a)

    dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement,

    ou

    b)

    tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2. »

    12.

    L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115 énonce :

    « Les décisions de retour […] sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles.

    […] »

    13.

    Aux termes de l’article 13, paragraphes 1 et 2, de cette directive :

    « 1.   Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

    2.   L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. »

    Le droit belge

    14.

    L’article 39/70, premier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, l’établissement, le séjour et l’éloignement des étrangers (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »), prévoit :

    « Sauf accord de l’intéressé, aucune mesure d’éloignement du territoire ou de refoulement ne peut être exécutée de manière forcée à l’égard de l’étranger pendant le délai fixé pour l’introduction du recours et pendant l’examen de celui-ci. »

    15.

    L’article 52/3, paragraphe 1, premier et second alinéas, de cette loi énonce :

    « Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides [ci-après le “CGRA”] ne prend pas en considération la demande d’asile ou refuse de reconnaître le statut de réfugié ou d’octroyer le statut de protection subsidiaire à l’étranger et que celui-ci séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué doit délivrer sans délai un ordre de quitter le territoire motivé par un des motifs prévus à l’article 7, alinéa 1er, 1° à 12°. […]

    Lorsque le Conseil du contentieux des étrangers [ci-après le “CCE”] rejette le recours de l’étranger contre une décision prise par le [CGRA] en application de l’article 39/2, § 1er, 1°, et que l’étranger séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l’ordre de quitter le territoire prévu à l’alinéa ler. […] »

    16.

    L’article 75, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (ci-après l’« arrêté royal du 8 octobre 1981 »), dispose :

    « Si le [CGRA] refuse de reconnaître le statut de réfugié et de protection subsidiaire à l’étranger ou ne prend pas en considération la demande d’asile, le ministre ou son délégué donne à l’intéressé un ordre de quitter le territoire, conformément à l’article 52/3, § 1er, de la loi [du 15 décembre 1980]. »

    17.

    L’article 111 de cet arrêté royal prévoit :

    « Si un recours de pleine juridiction est introduit auprès du [CCE] conformément à la procédure ordinaire […], l’administration communale délivre à l’intéressé un document conforme au modèle figurant à l’annexe 35, sur instruction du ministre ou de son délégué, si ce recours est dirigé contre une décision qui entraîne l’éloignement du Royaume.

    Ce document est valable trois mois à compter de la date de délivrance et est ensuite prorogé de mois en mois jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours visé à l’alinéa précédent. »

    18.

    L’annexe 35 dudit arrêté royal, intitulée « Document spécial de séjour », précise que celui ou celle à qui ce document est octroyé « n’est ni admis(e) ni autorisé(e) au séjour mais peut demeurer sur le territoire du Royaume dans l’attente d’une décision du [CCE] ».

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    19.

    Le 14 avril 2011, M. Sadikou Gnandi, ressortissant togolais et requérant au principal, a formé une demande d’asile.

    20.

    Le 23 mai 2014, le CGRA a rejeté cette demande.

    21.

    Le 3 juin 2014, l’État belge, défendeur au principal, a enjoint au requérant au principal de quitter le territoire.

    22.

    Le 23 juin 2014, le requérant au principal a introduit un recours auprès du CCE contre la décision du 23 mai 2014 du CGRA de rejeter sa demande d’asile. À la même date, le requérant au principal a sollicité auprès de la même juridiction l’annulation ainsi que la suspension de l’exécution de l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014.

    23.

    Par arrêt du 31 octobre 2014, le CCE a rejeté le recours contre la décision du CGRA du 23 mai 2014. Le 19 novembre 2014, le requérant au principal a formé un pourvoi devant le Conseil d’État contre cet arrêt. Le 10 novembre 2015, le Conseil d’État a annulé ledit arrêt et a renvoyé l’affaire au CCE.

    24.

    Par arrêt du 19 mai 2015, le CCE a également rejeté le recours contre l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014 en raison de la disparition de l’intérêt du requérant au principal à agir. Cette juridiction a notamment considéré que son arrêt du 31 octobre 2014 avait mis un terme à la demande d’asile introduite par le requérant au principal et que le requérant n’avait, dès lors, plus d’intérêt à invoquer le bénéfice de la poursuite d’une demande d’asile qui avait été clôturée. En outre, ladite juridiction a estimé que, puisque ledit ordre de quitter le territoire n’avait pas été suivi d’une exécution forcée, le requérant avait eu la possibilité de faire valoir ses arguments devant le CCE à la suite de la décision de rejet de sa demande d’asile par le CGRA et ne démontrait, dès lors, plus avoir intérêt à invoquer la violation de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

    25.

    Le 2 juin 2015, le requérant au principal a attaqué l’arrêt du CCE du 19 mai 2015 devant la juridiction de renvoi. Dans le cadre de ce pourvoi, cette juridiction a rejeté une première exception d’irrecevabilité, en estimant que l’ordre attaqué de quitter le territoire faisait grief au requérant. Selon ladite juridiction, tout en ne pouvant temporairement pas être exécuté de manière forcée, cet ordre oblige le requérant à quitter le territoire. En outre, l’interdiction de procéder à l’exécution forcée de cet ordre ne serait que temporaire et pourrait avoir lieu dès que le CCE aurait rejeté de nouveau le recours formé contre la décision du CGRA du 23 mai 2014.

    26.

    Dans le cadre du même pourvoi, l’État belge a excipé d’une seconde exception d’irrecevabilité, également tirée d’un défaut d’intérêt au recours, en faisant notamment valoir que, en cas d’annulation de l’ordre de quitter le territoire, il n’aurait d’autre choix que de reprendre la même décision. En effet, la réglementation en cause au principal l’obligerait à prendre un ordre de quitter le territoire dès le rejet de la demande d’asile par le CGRA, indépendamment du point de savoir si ce rejet est ou non définitif. M. Gnandi rétorque que l’imposition d’une obligation de quitter le territoire dès le rejet de la demande d’asile et, dès lors, avant l’épuisement des recours juridictionnels contre ce rejet méconnaît le droit de l’Union et notamment le droit à un recours effectif ainsi que le principe de non-refoulement. La juridiction de renvoi considère que, si le droit de l’Union s’opposait à la délivrance d’un ordre de quitter le territoire avant la clôture définitive de la demande d’asile, le requérant disposerait de l’intérêt requis à la cassation de l’arrêt attaqué.

    27.

    Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « L’article 5 de la directive [2008/115], qui impose aux États membres de respecter le principe de non-refoulement lorsqu’ils mettent en œuvre cette directive, ainsi que le droit à un recours effectif, prévu par l’article 13, paragraphe 1, de la même directive et par l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés comme s’opposant à l’adoption d’une décision de retour, telle que prévue par l’article 6 de la directive [2008/115] ainsi [que] par l’article 52/3, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 […] et par l’article 75, § 2, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 […], dès le rejet de la demande d’asile par le [CGRA] et donc avant que les recours juridictionnels contre cette décision de rejet puissent être épuisés et avant que la procédure d’asile puisse être définitivement clôturée ? »

    28.

    Postérieurement à la décision de la juridiction de renvoi de poser cette question préjudicielle à la Cour, le CCE a, par arrêt du 11 mars 2016, annulé la décision du 23 mai 2014 du CGRA rejetant la demande d’asile et renvoyé l’affaire devant le CGRA. Celui-ci a, le 30 juin 2016, adopté une nouvelle décision de refus d’asile, que M. Gnandi a de nouveau attaquée devant le CCE.

    29.

    En outre, indépendamment de sa demande d’asile, M. Gnandi a, par décision du 8 février 2016, été autorisé au séjour temporaire sur le territoire belge jusqu’au 1er mars 2017.

    La procédure devant la Cour

    30.

    En application de l’article 101 du règlement de procédure de la Cour, une demande d’éclaircissement a été adressée par la Cour à la juridiction de renvoi, qui y a répondu par courrier du 14 février 2017.

    31.

    M. Gnandi, les gouvernements belge et tchèque, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites au titre de l’article 23, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Ces intéressés, à l’exception de la République tchèque, ont été entendus en leurs plaidoiries orales à l’audience du 1er mars 2017.

    32.

    Le 2 mars 2017, en application de l’article 62, paragraphe 1, du règlement de procédure, le gouvernement belge a été invité à produire un certain nombre de documents. Il a déféré à cette demande le 9 mars 2017.

    Analyse

    Sur l’utilité de la réponse à la question préjudicielle pour la solution du litige au principal

    33.

    Dans ses observations écrites, le gouvernement belge soutient, à titre principal, qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la question préjudicielle. Il fait valoir, d’une part, que l’ordre de quitter le territoire en cause au principal est devenu caduc à la suite de l’arrêt du CCE du 11 mars 2016, par lequel cette juridiction a annulé la décision du CGRA du 23 mai 2014 qui constitue le fondement de cet ordre, et, d’autre part, que M. Gnandi a été autorisé au séjour temporaire en Belgique jusqu’au 1er mars 2017. Dans ces conditions, le litige au principal n’aurait plus d’objet ou, à tout le moins, M. Gnandi n’aurait plus d’intérêt à son recours.

    34.

    Invitée par la Cour à indiquer les raisons pour lesquelles elle estime qu’une réponse à la question préjudicielle est encore nécessaire, compte tenu des éléments avancés par le gouvernement belge, la juridiction de renvoi a précisé que l’annulation de la décision de rejet de la demande d’asile de M. Gnandi par l’arrêt du CCE du 11 mars 2016 n’emporte en elle-même pas d’effet juridique sur l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014.

    35.

    En revanche, cette annulation aurait eu pour conséquence de rouvrir devant le CGRA la procédure d’asile de M. Gnandi, ce qui aurait amené les autorités belges à lui délivrer une autorisation de séjour temporaire en l’attente d’une nouvelle décision sur sa demande de protection internationale.

    36.

    La juridiction de renvoi reconnaît avoir déjà considéré qu’une autorisation de séjour temporaire telle que celle accordée à M. Gnandi constitue un acte contraire à un ordre de quitter le territoire délivré antérieurement et emporte son retrait implicite. Cependant, elle relève que, dans l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 75), la Cour a précisé que l’effet utile de la directive 2008/115 peut exiger qu’une procédure de retour ouverte au titre de cette directive puisse être reprise au stade où elle a été interrompue en raison du dépôt d’une demande de protection internationale dès que cette demande a été rejetée en première instance. Compte tenu de cette exigence de garantir l’effet utile de la directive 2008/115, il ne saurait être considéré, selon la juridiction de renvoi, que l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014 est devenu caduc. Cet acte produirait de nouveau des effets depuis le second refus de la demande d’asile de M. Gnandi, intervenu le 30 juin 2016, afin de permettre la reprise de la procédure de retour au stade où elle a été interrompue.

    37.

    Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher ( 7 ). Dans le cadre de cette coopération, le juge national saisi du litige est, au regard des particularités de l’affaire, le mieux placé pour apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour ( 8 ).

    38.

    Il n’en demeure pas moins qu’il appartient à la Cour, le cas échéant, d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par une juridiction nationale, en vue de vérifier sa propre compétence et, en particulier, de déterminer si l’interprétation du droit de l’Union qui est sollicitée présente un rapport avec la réalité et l’objet du litige au principal, de sorte que la Cour ne soit pas amenée à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques ( 9 ). S’il apparaît que la question posée n’est manifestement pas pertinente pour la solution de ce litige, la Cour doit constater le non-lieu à statuer ( 10 ).

    39.

    La Cour a, notamment, déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur une demande de décision préjudicielle lorsque l’acte contre lequel le recours au principal était dirigé était devenu caduc par suite d’événements survenus après l’introduction de cette demande, de telle sorte que le litige au principal avait perdu son objet ( 11 ).

    40.

    En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, des effets de l’arrêt du CCE du 11 mars 2016 annulant le rejet de la demande d’asile de M. Gnandi sur l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014, la juridiction de renvoi se borne à nier que cet arrêt ait eu un quelconque effet juridique sur ledit ordre, sans cependant motiver sa position. Pour sa part, le gouvernement belge appuie son allégation selon laquelle le prononcé dudit arrêt aurait rendu caduc l’ordre susmentionné sur la seule constatation que celui-ci est fondé sur la décision négative du CGRA du 23 mai 2014.

    41.

    À cet égard, je relève que, si l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014 expose, sous le titre « Motif de la décision », qu’« une décision de refus du statut de réfugié […] a été rendue par le [CGRA] le 26 [mai] 2014 » ( 12 ), il indique, sous ce même titre, que l’injonction de quitter le territoire a été émise « en exécution de l’article 7, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980» et pour les raisons figurant au point 1 de cette disposition, à savoir « l’intéressé(e) demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis à l’article 2 [de la loi du 15 décembre 1980], en effet, l’intéressé(e) n’est pas en possession d’un passeport valable avec visa valable ». Il résulte dès lors de l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014 que, contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement belge, ce n’est pas la décision du CGRA qui a motivé son adoption, mais le caractère irrégulier du séjour de M. Gnandi sur le territoire belge. Certes, conformément aux dispositions pertinentes du droit belge, cet ordre n’a pu être émis, dans les circonstances du litige au principal, qu’après que la demande d’asile de M. Gnandi a été rejetée par le CGRA ( 13 ). Ce rejet était donc un préalable nécessaire à l’adoption dudit ordre. Il n’en constitue cependant pas le fondement, celui-ci étant, comme il ressort de la teneur de cet ordre, le séjour irrégulier de M. Gnandi.

    42.

    Par ailleurs, l’ordre de quitter le territoire en cause au principal a été adopté conformément à l’article 75, paragraphe 2, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981, lequel renvoie à l’article 52/3, paragraphe 1er, de la loi du 15 décembre 1980. Or, je relève qu’aucune de ces dispositions ne prévoit que l’éventuelle annulation de la décision de refus du statut de réfugié adoptée par le CGRA avec renvoi de l’affaire à ce dernier prive de tout effet juridique l’ordre de quitter le territoire qui a été adopté en exécution desdites dispositions. Le droit belge prévoit au demeurant d’autres situations dans lesquelles un ordre de quitter le territoire coexiste avec une demande de protection internationale et une procédure de reconnaissance du statut de réfugié entamée ( 14 ). Enfin, je relève que, hormis les deux articles mentionnés, le gouvernement belge n’invoque aucune autre disposition de droit interne ni aucune décision judiciaire au soutien de ses allégations.

    43.

    À la lumière de ce qui précède, il ne m’apparaît pas manifeste que le litige au principal ait perdu son objet à la suite de l’annulation de la décision du CGRA du 23 mai 2014. Dans ces circonstances, suivre l’avis du gouvernement belge, malgré la position contraire, bien que non motivée, exprimée par la juridiction de renvoi, reviendrait à remettre en cause les rôles respectifs du juge national et de la Cour dans le cadre de la procédure au titre de l’article 267 TFUE. Certes, la Cour a déjà eu l’occasion de déclarer un non-lieu à statuer nonobstant le souhait émis par la juridiction de renvoi de maintenir sa demande de décision préjudicielle ( 15 ). Cependant, cela ne s’est produit que dans des cas où la disparition de l’objet du litige au principal ou de la demande de décision préjudicielle ne faisait pas de doute, de sorte que le maintien de cette demande aurait manifestement conduit la Cour à répondre à des questions hypothétiques ou dépourvues de pertinence pour la solution du litige au principal. Or, pour les raisons exposées plus haut, tel n’est, à mes yeux, pas le cas en l’espèce.

    44.

    S’agissant, en second lieu, de l’incidence de l’autorisation temporaire de séjour délivrée à M. Gnandi sur l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014, il apparaît, à la lecture de la réponse à la demande d’éclaircissement, que, selon le Conseil d’État, l’interprétation de la directive 2008/115 retenue par la Cour dans l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), empêche de considérer qu’une telle autorisation a emporté le retrait implicite dudit ordre.

    45.

    À cet égard, d’une part, je relève que l’analyse de la question préjudicielle posée par le Conseil d’État requiert, entre autres, d’examiner le point de savoir si, et dans quels termes, la solution dégagée par la Cour dans l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), peut être appliquée au litige au principal, de telle sorte que la réponse de la Cour à cette question maintient son utilité ‐ ne serait-ce que pour ce qui concerne ce point ‐ pour la décision que la juridiction de renvoi sera amenée à prendre dans le litige au principal. D’autre part, je remarque qu’il ne ressort pas de la réponse à la demande d’éclaircissement qu’une application des seules règles nationales conduirait nécessairement le Conseil d’État à conclure à la caducité de l’ordre de quitter le territoire en cause au principal au motif qu’une autorisation de séjour temporaire a été délivrée à M. Gnandi, cette juridiction ne faisant pas état d’une pratique jurisprudentielle constante à cet égard. Il ne résulte pas, dès lors, de manière manifeste que le litige au principal ait perdu son objet à la suite de la délivrance d’une telle autorisation.

    46.

    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il ne saurait être soutenu, comme le fait le gouvernement belge, que la réponse de la Cour à la question préjudicielle n’aurait plus aucune utilité pour la solution du litige au principal.

    Sur la question préjudicielle

    47.

    Il convient de souligner, à titre liminaire, que tant la juridiction de renvoi que tous les intéressés ayant présenté des observations devant la Cour s’accordent à qualifier l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014 de « décision de retour » au titre de la directive 2008/115.

    48.

    Je suis également de cet avis. Ledit ordre répond à la définition contenue à l’article 3, point 4, de cette directive : il s’agit d’un acte administratif, qui déclare illégal le séjour de M. Gnandi sur le territoire belge et enjoigne à celui-ci de quitter ce territoire dans le délai indiqué ( 16 ). La circonstance que, conformément à l’article 39/70 de la loi du 15 décembre 1980, ledit ordre ne soit temporairement pas susceptible d’exécution forcée n’a pas d’incidence sur cette qualification.

    49.

    Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si les conditions pour l’adoption d’une telle décision de retour étaient remplies dans les circonstances du litige au principal et si son adoption n’a pas violé les principes de non-refoulement et de protection juridictionnelle effective.

    50.

    À cet égard, je rappelle que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115, celle-ci s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, dont le libellé est reproduit au point 9 des présentes conclusions, pour qu’une décision de retour puisse être prise à l’égard du ressortissant d’un pays tiers, celui-ci doit se trouver en situation de « séjour irrégulier » sur le territoire de l’État membre concerné.

    51.

    Il convient dès lors de vérifier si, dans les circonstances du litige au principal, M. Gnandi pouvait se considérer comme étant en séjour irrégulier sur le territoire belge au titre de la directive 2008/115 et si une décision de retour pouvait, voire devait, être adoptée à son égard par les autorités belges.

    52.

    La notion de « séjour irrégulier » est définie à l’article 3, point 2, de la directive 2008/115, reproduit au point 7 des présentes conclusions ( 17 ). Il résulte de cette définition que se trouve en séjour irrégulier tout ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans celui-ci ( 18 ).

    53.

    Le considérant 9 de cette directive, qui renvoie à cet égard à la directive 2005/85, énonce que le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre « avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur ».

    54.

    L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85, applicable à l’époque des faits au principal, reconnaissait en effet au demandeur d’asile le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné à tout le moins jusqu’à ce que sa demande eût été rejetée en premier ressort. Au point 48 de son arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), la Cour a précisé que ce droit exclut qu’un tel demandeur puisse être considéré comme étant en « séjour irrégulier » au sens de la directive 2008/115. Il en est ainsi, selon la Cour, indépendamment de la circonstance que l’État membre concerné ait ou non délivré au demandeur d’asile un titre de séjour, l’article 7 de la directive 2005/85 laissant la délivrance d’un tel titre à la discrétion de cet État membre.

    55.

    Or, il résulte, à mon sens, clairement du raisonnement suivi par la Cour aux points 44 à 49 des motifs de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), ainsi que, plus généralement, de l’articulation entre la directive 2008/115 et la directive 2005/85 – aujourd’hui la directive 2013/32 – qu’un ressortissant de pays tiers demandeur d’asile ne saurait être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre où il a introduit sa demande de protection internationale aussi longtemps qu’un droit de demeurer sur ce territoire ‐ en l’attente de l’issue de la procédure portant sur cette demande ‐ lui est reconnu, que ce soit par le droit de l’Union ou par le droit national.

    56.

    Cette conclusion est d’ailleurs implicitement confirmée par l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, qui prévoit que lorsqu’un État membre décide d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire, aucune décision de retour n’est prise à son égard. Certes, le droit d’une personne de demeurer sur le territoire de l’État membre où elle a déposé une demande d’asile, en l’attente de son examen, ne constitue pas un droit à un titre de séjour, ainsi que le précise l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, de la directive 2005/85. Cependant, ainsi que la Commission l’a souligné lors de l’audience et qu’il est précisé dans le manuel sur le retour adopté par cette institution ( 19 ), tout ressortissant de pays tiers physiquement présent sur le territoire d’un État membre est, à l’égard de la directive 2008/115, soit en séjour régulier, soit en séjour irrégulier. Il n’y a pas de troisième option ( 20 ).

    57.

    Ne pouvant pas être considéré comme étant en séjour irrégulier, un demandeur d’asile autorisé à demeurer sur le territoire d’un État membre en l’attente de l’examen de sa demande ne relève pas de la directive 2008/115 ( 21 ), à tout le moins pour la période où il bénéficie d’une telle autorisation. Il ne peut, dès lors, être destinataire d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

    58.

    Ainsi que je l’ai déjà rappelé dans les présentes conclusions, à l’époque des faits au principal, la directive 2005/85 ne prévoyait le droit du demandeur d’asile de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné que jusqu’au rejet en premier ressort de sa demande. Dans le cas de M. Gnandi, ce droit a donc cessé le 23 mai 2014, date à laquelle a été adoptée la décision de rejet de sa demande par le CGRA.

    59.

    L’article 39, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85 laissait aux États membres l’initiative de prévoir les règles découlant de leurs obligations internationales concernant le droit des demandeurs d’asile de rester dans l’État membre dans lequel ils ont déposé leur demande d’asile dans l’attente de l’issue du recours juridictionnel prévu à l’article 39, paragraphe 1, de cette directive, contre le rejet en premier ressort de cette demande.

    60.

    Or, il ressort du dossier que, le 11 juillet 2014, les autorités belges ont délivré à M. Gnandi le document spécial de séjour figurant à l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981, en application de l’article 111 dudit arrêté, au motif qu’il avait introduit un recours de pleine juridiction auprès du CCE. Ce document, initialement valable jusqu’au 10 octobre 2014 et successivement prorogé jusqu’au 10 décembre 2014, mentionne que « [l]’intéressé n’est ni admis ni autorisé au séjour mais peut demeurer sur le territoire du Royaume dans l’attente d’une décision du [CCE] ».

    61.

    Sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur la question de savoir si le Royaume de Belgique a fait ou non usage de l’article 39, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85, force est de constater que le document susmentionné a conféré à M. Gnandi un droit de rester sur le territoire belge en l’attente de l’issue de son recours. À compter de sa délivrance, ce document faisait donc obstacle à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115 à l’encontre de M. Gnandi, sa situation sur le territoire belge ne pouvant pas être qualifiée d’« irrégulière ».

    62.

    Je relève, cependant, que l’ordre de quitter le territoire en cause au principal a été adopté le 3 juin 2014, à savoir avant l’introduction par M. Gnandi, le 23 juin 2014, de son recours auprès du CCE. Dès lors, au moment où cet ordre a été adopté, le droit belge ne reconnaissait pas encore à M. Gnandi un droit de rester sur le territoire belge, ce droit n’étant né que lorsque ledit recours a été introduit ( 22 ).

    63.

    Faut-il considérer que, dans la période comprise entre la date du rejet de sa demande d’asile par le CGRA et la date d’introduction de son recours au CCE, M. Gnandi ‐ n’étant pas en possession d’un passeport et d’un visa valables et ne tirant un droit à demeurer sur le territoire belge en tant que demandeur d’asile ni de la directive 2005/85 ni de la réglementation belge ‐ se trouvait en situation de séjour irrégulier, avec la conséquence qu’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115 pouvait être adoptée à son égard ?

    64.

    Pour les raisons que je vais exposer, je suis convaincu que la réponse à cette demande doit être négative.

    65.

    L’article 39, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/85 faisait obligation aux États membres de reconnaître aux demandeurs d’asile « un droit de recours effectif » devant une juridiction contre toute décision concernant leur demande d’asile. Ainsi que la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 17 décembre 2015, Tall (C‑239/14, EU:C:2015:824, points 51 à 53), les caractéristiques de ce recours doivent être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective, et à la lumière du principe de non-refoulement, consacré à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ( 23 ).

    66.

    Or, je rappelle qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui doit être prise en compte, en application de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, pour interpréter l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de celle-ci, que, lorsqu’un État décide de renvoyer un étranger vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, l’effectivité du recours exercé, prévu à l’article 13 de la CEDH, requiert que cet étranger dispose d’un recours suspensif de plein droit contre l’exécution de la mesure permettant son renvoi ( 24 ). Les mêmes principes ont été affirmés par la Cour, notamment dans les arrêts du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 52 et 53), et du 17 décembre 2015, Tall (C‑239/14, EU:C:2015:824, point 58).

    67.

    Certes, la jurisprudence mentionnée ci-dessus vise uniquement les recours contre des mesures dont l’exécution risque d’exposer l’intéressé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. Or, une décision de rejet d’une demande de protection internationale, qui, en tant que telle, ne comporte pas de mesures d’éloignement, ne constitue, en principe, pas une telle mesure. C’est pourquoi la Cour a considéré que l’absence d’effet suspensif d’un recours exercé contre une décision de ce type est, en principe, en conformité avec l’article 19, paragraphe 2, et l’article 47 de la Charte. En effet, si une telle décision ne permet pas à un ressortissant d’un pays tiers de se voir conférer une protection internationale, son exécution ne saurait, en tant que telle, conduire à l’éloignement dudit ressortissant ( 25 ).

    68.

    Cependant, l’effectivité d’un recours juridictionnel contre une telle décision et le respect du principe de non-refoulement seraient également méconnus si, pendant le délai pour l’introduction d’un tel recours ‐ et, une fois introduit, jusqu’à l’issue de celui-ci ‐, le demandeur d’asile était exposé à l’exécution de mesures d’éloignement.

    69.

    Du reste, pour revenir à l’affaire qui nous occupe, la réglementation belge prévoit expressément, à l’article 39/70 de la loi du 15 décembre 1980, qu’aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée de manière forcée à l’égard de l’étranger pendant le délai fixé pour l’introduction du recours de pleine juridiction contre les décisions du CGRA.

    70.

    Or, si aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à l’encontre du ressortissant d’un pays tiers pendant le délai pour l’introduction d’un recours contre la décision de rejet de sa demande de protection internationale, sous peine de priver ce recours d’effectivité et d’enfreindre le principe de non-refoulement, cela veut dire qu’un tel ressortissant a le droit de rester sur le territoire de l’État membre où il a déposé cette demande pendant ladite période.

    71.

    Un tel droit exclut qu’il puisse être considéré comme étant en séjour irrégulier au titre de la directive 2008/115, telle qu’interprétée par l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343) ( 26 ), et, dès lors, qu’il puisse faire l’objet d’une décision de retour au sens de l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci.

    72.

    Ne s’oppose pas, à mes yeux, à une telle conclusion l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), invoqué par le gouvernement belge.

    73.

    Dans cet arrêt, la Cour a exclu que l’introduction d’une demande d’asile par le ressortissant d’un pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115 puisse avoir pour effet de rendre caduque toute décision de retour qui aurait été adoptée dans le contexte de cette procédure ( 27 ). La circonstance que, en tant que demandeur d’asile, un tel ressortissant ait le droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné en l’attente de l’issue de sa demande et, dès lors, ne puisse pas être considéré comme étant en séjour irrégulier au sens de l’article 3, point 2, de la directive 2008/115, ne fait pas obstacle, selon la Cour, à ce que la procédure de retour déjà entamée à son égard, bien qu’interrompue, reste ouverte, quitte à la reprendre en cas de rejet de la demande d’asile.

    74.

    Cette position, qui figurait déjà au point 60 de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), se justifie, selon la Cour, par l’exigence de ne pas compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2008/115, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 28 ). En effet, l’obligation imposée aux États membres par l’article 8 de cette directive de procéder, dans les hypothèses visées au paragraphe 1 de cet article, à l’éloignement ‐ obligation qui doit être remplie dans les meilleurs délais ‐ ( 29 ) ne serait pas respectée si l’éloignement se trouvait retardé en raison du fait que, après le rejet en première instance de la demande de protection internationale, une procédure de retour devait être reprise non au stade où elle a été interrompue, mais à son début ( 30 ).

    75.

    Selon le gouvernement belge, puisque, en application de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), une procédure de retour peut se poursuivre après le rejet en premier ressort de la demande d’asile, elle doit également pouvoir être entamée dès un tel rejet.

    76.

    Je ne suis pas du même avis. Les circonstances factuelles et juridiques de la procédure au principal dans la présente affaire se distinguent nettement de celles à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), de sorte que l’on ne saurait automatiquement transposer à la première affaire la solution retenue dans la seconde.

    77.

    La procédure de retour ouverte à l’encontre de M. N. avait été entamée avant le dépôt par ce dernier de sa demande de protection internationale ( 31 ). Ainsi, lorsque cette procédure a été ouverte, M. N. n’était pas demandeur d’asile ( 32 ) et ne tirait aucun droit de rester, à ce titre, sur le territoire néerlandais. Il se trouvait en séjour irrégulier au titre de l’article 3, point 2, de la directive 2008/115. En outre, lorsqu’il a introduit sa demande d’asile, la décision de retour ainsi que l’interdiction d’entrée d’une durée de dix ans, qui avaient été adoptées à son égard, étaient devenues définitives ( 33 ).

    78.

    En revanche, lorsque l’ordre de quitter le territoire en cause au principal a été notifié à M. Gnandi, la procédure d’asile était en cours, le CGRA avait adopté une décision de rejet de la demande et le délai de recours contre cette décision courait. Ne pouvant pas être refoulé pendant l’écoulement de ce délai et, après l’introduction du recours, jusqu’à son issue, M. Gnandi, ainsi qu’on l’a vu plus haut, avait le droit de demeurer sur le territoire belge. Au moment où la procédure de retour a été entamée, M. Gnandi ne pouvait, dès lors, se considérer comme étant en séjour irrégulier aux termes de l’article 3, point 2, de la directive 2008/115.

    79.

    Il s’ensuit qu’une application par analogie de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), à la présente affaire non seulement n’est pas permise sur le plan interprétatif, compte tenu des différences existant entre les litiges au principal dans cette affaire et celle qui a donné lieu audit arrêt, mais conduirait en substance au résultat inacceptable de reconnaître aux États membres la possibilité d’initier une procédure de retour au titre de la directive 2008/115 alors que les conditions requises par cette directive ne sont pas réunies.

    80.

    Par ailleurs, les exigences d’efficacité et de célérité qui sous-tendent la solution retenue par la Cour dans cet arrêt ne s’appliquent que lorsqu’une procédure de retour a déjà été entamée. Dans un tel cas, ces exigences peuvent justifier qu’une telle procédure soit suspendue et non annulée. En ce sens, l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), est cohérent avec l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, qui prévoit que, lorsqu’un État membre décide d’accorder un droit de séjour au ressortissant d’un pays tiers et qu’une décision de retour a déjà été prise, celle-ci peut être simplement suspendue pour la durée de ce droit, ou, encore, avec l’article 9 de la même directive, qui prévoit que l’éloignement est « reporté » dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement.

    81.

    En d’autres termes, une procédure de retour régulièrement entamée peut être maintenue, tout en restant suspendue, à l’égard d’un ressortissant de pays tiers qui, au cours de cette procédure, acquiert un droit de séjourner ou de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné.

    82.

    En revanche, une telle procédure ne peut être entamée à l’égard d’un tel ressortissant tant qu’un tel droit existe.

    83.

    Des arguments à l’encontre de la conclusion énoncée au paragraphe 71 des présentes conclusions ne peuvent non plus être tirés de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, ni du manuel sur le retour, également invoqué par le gouvernement belge.

    84.

    L’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, dont le libellé est reproduit au point 9 des présentes conclusions, prévoit qu’une décision de retour peut être adoptée simultanément et contextuellement à la cessation du séjour régulier de l’intéressé et à la déclaration de cette cessation.

    85.

    Cette disposition ne fait que reconnaître aux États membres une faculté procédurale ( 34 ) visant à simplifier la procédure en deux étapes prévue par ladite directive ( 35 ) et dont ils peuvent se servir dans le respect des conditions d’application de celle-ci. Or, parmi ces conditions figure celle relative au caractère irrégulier du séjour du ressortissant de pays tiers concerné. La possibilité d’adopter un seul et même acte, au lieu de deux actes distincts, pour mettre fin au séjour régulier d’un tel ressortissant, d’une part, et arrêter une décision de retour et/ou d’éloignement, d’autre part, ne saurait autoriser les États membres à faire abstraction d’une telle condition et à initier une procédure de retour à l’égard d’une personne qui dispose du droit de rester sur leur territoire.

    86.

    Cette conclusion résulte d’ailleurs de manière claire du libellé même de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, qui permet de cumuler la décision de retour et/ou d’éloignement avec une « décision portant sur la fin du séjour régulier », à savoir avec une décision qui, mettant fin à un tel séjour, marque le début du séjour irrégulier de l’intéressé. Or, ainsi que je l’ai démontré ci-dessus, tel n’est pas le cas du rejet d’une demande d’asile lorsque, en application du droit de l’Union ou du droit national, ce rejet n’est pas définitif et le demandeur a le droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné en l’attente de l’issue de la procédure d’asile.

    87.

    Par ailleurs, je relève, tout comme l’a fait la Commission lors de sa plaidoirie orale, que l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115 s’applique « sans préjudice [des] dispositions pertinentes du droit [de l’Union] et du droit national ». Or, parmi ces dispositions figurent également les principes du droit de l’Union rappelés plus haut et les réglementations nationales qui confèrent au demandeur d’asile le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné pendant la procédure d’asile.

    88.

    Le manuel sur le retour précise, quant à lui, que le rejet d’une demande d’asile et une décision de retour peuvent être adoptés dans un seul acte conformément à l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115 ( 36 ). Ce manuel, qui n’a aucune force contraignante ( 37 ), a été adopté après l’entrée en vigueur de la directive 2013/32, qui a remplacé la directive 2005/85 et, ainsi que la Commission l’a souligné lors de l’audience, il doit être lu à la lumière des dispositions de celle-ci. Or, comme je l’ai déjà rappelé ci-dessus, l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32 prévoit que les États membres autorisent les demandeurs d’asile à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif contre la décision rejetant leur demande et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours. Il est dès lors clair que, lorsque ledit manuel affirme qu’une décision de refus concernant une demande d’asile impose également une obligation de retour, il ne se réfère pas à une décision contre laquelle est ouvert un recours au titre de l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32, puisqu’une telle lecture se heurterait aux principes établis dans l’arrêt Arslan ( 38 ). Il convient dès lors de considérer une telle affirmation comme visant plutôt une décision de rejet ayant acquis un caractère définitif ou, ainsi que l’a expliqué la Commission lors de l’audience, une décision prise dans l’une des situations énumérées à l’article 46, paragraphe 6, de cette directive, lorsque le droit de l’État membre concerné ou une décision judiciaire n’accorde pas au demandeur d’asile la possibilité de rester sur le territoire de cet État en l’attente de l’issue du recours.

    89.

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucune décision de retour au titre de la directive 2008/115 ne pouvait être adoptée à l’égard de M. Gnandi pendant le délai de recours contre la décision de rejet de sa demande d’asile, ainsi que, une fois ce recours introduit, pendant toute la durée d’examen de celui-ci et jusqu’à l’expiration de son document spécial de séjour figurant à l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981.

    90.

    S’agissant de la période postérieure à l’arrêt du CCE du 31 octobre 2014 et à l’introduction du recours en cassation administrative contre cet arrêt, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf (C‑69/10, EU:C:2011:524), la Cour a précisé que la directive 2005/85 n’impose pas l’existence d’un double degré de juridiction et que le principe de protection juridictionnelle effective ouvre au particulier un droit d’accès à un tribunal et non à plusieurs degrés de juridiction ( 39 ).

    91.

    Cependant, il ressort des considérations développées jusqu’ici que, lorsque la législation d’un État membre prévoit un tel double degré de juridiction et autorise le demandeur d’asile à demeurer sur le territoire de cet État en l’attente de l’issue du recours en appel ou en cassation, une procédure de retour au titre de la directive 2008/115 ne saurait être initiée à l’égard de ce demandeur. Or, il résulte du dossier que, le 8 février 2016, les autorités belges ont délivré à M. Gnandi une autorisation temporaire de séjour, valable jusqu’au 1er mars 2017, sur la base de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980, lequel prévoit la possibilité de délivrer un tel document, entre autres, aux demandeurs d’asile ayant introduit un recours en cassation administrative déclaré admissible.

    92.

    Avant de conclure, je souhaite encore aborder brièvement deux questions qui, bien que n’étant pas directement visées par la demande de décision préjudicielle, ont néanmoins été débattues par les parties dans leurs observations et lors de l’audience.

    93.

    La première concerne la conformité de l’ordre de quitter le territoire en cause au principal aux garanties procédurales de la directive 2008/115.

    94.

    À cet égard, je relève que l’acte de notification de cet ordre faisait état de la possibilité d’introduire un recours en annulation au titre de l’article 39/2, paragraphe 2, de la loi du 15 décembre 1980, ainsi qu’une demande de suspension conformément à l’article 39/82 de cette loi, et précisait que, « sous réserve de l’application de l’article 39/79 de la même loi », ni un tel recours ni l’introduction d’une telle demande n’auraient pour effet de suspendre l’exécution de l’ordre notifié. Ledit acte de notification ne faisait en revanche aucune mention de ce que l’article 39/70 de la loi du 15 décembre 1980 interdisait de procéder à l’exécution forcée dudit ordre pendant le délai de recours contre la décision de refus de la reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que pendant l’examen d’un éventuel recours contre cette décision. Au contraire, les informations notifiées à M. Gnandi avec l’ordre de quitter le territoire en cause au principal étaient de nature à faire naître dans son chef la conviction que ledit ordre était susceptible d’être exécuté de manière forcée au terme du délai fixé pour le départ volontaire. En effet, l’acte de notification indiquait que, à défaut d’obtempérer à cet ordre, M. Gnandi s’exposait à être ramené à la frontière et à être détenu à cette fin. D’après ce qu’affirme M. Gnandi, sans être contesté par le gouvernement belge, les mêmes informations figuraient dans un imprimé qui lui a été remis conjointement avec l’acte de notification.

    95.

    Dans ces conditions, la décision de retour notifiée à M. Gnandi ne me semble pas pouvoir être considérée comme étant conforme aux garanties procédurales prescrites par la directive 2008/115 et, notamment, par son article 12, paragraphe 1, lequel dispose que ces décisions « comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles » et par son article 14, paragraphe 2, qui dispose que les États membres confirment par écrit aux personnes visées au paragraphe 1 de cet article ( 40 ) que la décision de retour ne sera temporairement pas exécutée. Plus généralement, le caractère lacunaire et contradictoire ( 41 ) de ces informations dans les circonstances du litige au principal ne répond pas, à mes yeux, aux exigences d’une procédure équitable et transparente, mentionnées au considérant 6 de cette directive.

    96.

    La seconde question qui mérite d’être brièvement abordée concerne les effets de l’ordre de quitter le territoire en cause au principal sur les conditions de séjour de M. Gnandi sur le territoire belge, notamment en ce qui concerne ses droits sociaux et économiques.

    97.

    La juridiction de renvoi ne fournit que très peu d’informations à cet égard. Elle se borne, en substance, à indiquer que ledit ordre était obligatoire pour M. Gnandi, qui restait tenu de l’exécuter volontairement, bien qu’aucune mesure d’éloignement ne puisse être exécutée de manière forcée à son égard. Il ressort cependant du dossier et il est constant entre les parties que, en application d’une circulaire du 30 août 2013 ( 42 ), le nom du requérant a été rayé du registre de la population à la suite de l’adoption dudit ordre, ce qui semblerait impliquer qu’il n’a plus eu droit à aucune mutuelle ni à aucune forme d’assistance sociale.

    98.

    À cet égard, d’une part, je rappelle que la directive 2003/9 ( 43 ) ainsi que la directive 2013/33 ( 44 ), qui a remplacé celle-ci à compter du 20 juillet 2015, fixent les conditions minimales d’accueil que les États membres sont tenus de garantir en faveur des ressortissants de pays tiers et apatrides ayant déposé une demande de protection internationale, tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur leur territoire en qualité de demandeurs d’asile ( 45 ). Les mesures prévues par ces directives, portant notamment sur les conditions matérielles d’accueil et sur les soins de santé, impliquent une prise en charge de la situation du demandeur d’asile ( 46 ), qui n’est aucunement comparable aux garanties en l’attente du retour prescrites à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ( 47 ).

    99.

    D’autre part, comme l’a fait la Commission dans ses observations écrites, je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a, dans un arrêt de l’année 2015 ( 48 ), précisé que le fait de forcer un demandeur d’asile à retourner vers le pays qu’il a fui sans que le bien-fondé de ses craintes ait pu être examiné par un juge implique une violation des garanties de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique requises par les dispositions combinées des articles 3 et 13 de la CEDH ( 49 ). Or, il est vrai que la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt a été renvoyée, a décidé la radiation de la requête du registre, de telle sorte que ledit arrêt n’a plus aucun effet juridique ( 50 ). J’estime néanmoins que l’interprétation du principe de protection juridictionnelle effective que cet arrêt a donnée mérite d’être retenue s’agissant de l’article 47 de la Charte lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci. Ces dispositions s’opposent à ce qu’un demandeur d’asile soit forcé de facto à quitter le territoire de l’État dans lequel il a introduit un recours contre le rejet de sa demande d’asile, avant l’issue de ce recours, à cause de l’impossibilité dans laquelle il est laissé de pourvoir à ses besoins essentiels.

    Conclusion

    100.

    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit au Conseil d’État (Belgique) :

    La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et notamment son article 2, paragraphe 1, et son article 5, ainsi que les principes de non-refoulement et de protection juridictionnelle effective, inscrits respectivement à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’opposent à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive à l’égard d’un ressortissant de pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale, au sens de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, et qui, en application du droit de l’Union et/ou du droit national, est autorisé à rester dans l’État membre dans lequel il a introduit sa demande de protection internationale, pendant le délai du recours prévu à l’article 39, paragraphe 1, de la directive 2005/85 contre le rejet de cette demande et, lorsque ce recours a été introduit dans les délais, pendant l’examen de celui-ci. La directive 2008/115 ainsi que les principes de non-refoulement et de protection juridictionnelle effective ne s’opposent pas, en revanche, à ce qu’une telle décision de retour soit adoptée à l’égard d’un tel ressortissant après le rejet dudit recours, à moins que, en vertu du droit national, ce ressortissant ne soit autorisé à rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue définitive de la procédure d’asile.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) JO 2008, L 348, p. 98.

    ( 3 ) JO 2005, L 326, p. 13.

    ( 4 ) Le paragraphe 2 de cet article prévoit des exceptions limitées à la règle édictée au paragraphe 1. Ces exceptions ne sont pas applicables au litige au principal.

    ( 5 ) JO 2013, L 180, p. 60.

    ( 6 ) Conformément à l’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32, les demandes de protection internationale introduites avant le 20 juillet 2015 sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive 2005/85.

    ( 7 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke (C‑83/91, EU:C:1992:332, point 22), du 27 novembre 2012, Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 83), et du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, point 36).

    ( 8 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C‑343/90, EU:C:1992:327, point 15), du 21 février 2006, Ritter-Coulais (C‑152/03, EU:C:2006:123, point 14), et du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, point 37).

    ( 9 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, EU:C:1981:302, points 18 et 21), du 30 septembre 2003, Inspire Art (C‑167/01, EU:C:2003:512, point 45), et du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, point 38).

    ( 10 ) Voir arrêts du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C‑343/90, EU:C:1992:327, point 20), du 21 février 2006, Ritter-Coulais (C‑152/03, EU:C:2006:123, point 15 et jurisprudence citée), et du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, point 38).

    ( 11 ) Voir ordonnances du 10 juin 2011, Mohammad Imran (C‑155/11 PPU, EU:C:2011:387, points 16 à 18), du 3 mars 2016, Euro Bank (C‑537/15, non publiée, EU:C:2016:143, points 31 à 36). Voir, également, arrêt du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, points 39 à 46).

    ( 12 ) La date indiquée ne correspond pas à celle renseignée par la juridiction de renvoi et qui figure sur la copie de la décision du CGRA qui a été transmise à la Cour par le gouvernement belge.

    ( 13 ) Tel n’est pas toujours le cas. En effet, dans certains cas, notamment dans ceux prévus à l’article 74/6, paragraphe 1er bis, de la loi du 15 décembre 1980, l’ordre de quitter le territoire est délivré lors de l’introduction de la demande d’asile (voir, également, article 52/3, paragraphe 2, de la loi du 15 décembre 1980).

    ( 14 ) Notamment en cas de demandes d’asile « subséquentes », voir article 74/6, paragraphe 1er bis, de la loi du 15 décembre 1980.

    ( 15 ) Voir, notamment, ordonnances du 22 octobre 2012, Šujetová (C‑252/11, non publiée, EU:C:2012:653, points 11 à 20), du 5 juin 2014, Antonio Gramsci Shipping e.a. (C‑350/13, EU:C:2014:1516, points 5 à 12), et du 23 mars 2016, Overseas Financial et Oaktree Finance (C‑319/15, non publiée, EU:C:2016:268, points 28 à 35). Voir, également, arrêts du 27 juin 2013, Di Donna (C‑492/11, EU:C:2013:428, points 24 à 31), et du 24 octobre 2013, Stoilov i Ko (C‑180/12, EU:C:2013:693, points 39 à 46).

    ( 16 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 39).

    ( 17 ) Faute de renvoi exprès au droit national, cette notion doit être interprétée sur la base du seul droit de l’Union [voir, notamment, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan (C‑467/08, EU:C:2010:620, point 32)], et cela bien que l’appréciation concrète du caractère régulier ou irrégulier du séjour d’un ressortissant de pays tiers sur le territoire d’un État membre puisse, selon les cas, dépendre également de l’application de règles de droit national de cet État.

    ( 18 ) Voir arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 48).

    ( 19 ) Voir recommandation de la Commission du 1er octobre 2015 établissant un « manuel sur le retour » commun devant être utilisé par les autorités compétentes des États membres lorsqu’elles exécutent des tâches liées au retour [C(2015) 6250 final](ci-après le « manuel sur le retour »).

    ( 20 ) Voir manuel sur le retour, point 1.2.

    ( 21 ) Voir arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343, points 48 et 49).

    ( 22 ) Un document spécial de séjour, figurant à l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981, n’a été délivré à M. Gnandi que le 10 juillet 2014, mais le droit de demeurer sur le territoire belge qu’il atteste est lié à l’introduction du recours et découle de l’article 111 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981.

    ( 23 ) Cette disposition énonce notamment que nul ne peut être éloigné vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Dans son arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf (C‑69/10, EU:C:2011:524, point 61), la Cour a reconnu que « [l]’objectif de la directive 2005/85 consiste à établir un cadre commun des garanties permettant d’assurer le plein respect de la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951] et des droits fondamentaux », dont le droit à un recours juridictionnel effectif.

    ( 24 ) Voir, en dernier lieu, arrêt de la Cour EDH du 14 février 2017, Allanazarova c. Russie (CE:ECHR:2017:0214JUD004672115, points 96 à 99 et jurisprudence citée).

    ( 25 ) Voir, s’agissant d’une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande d’asile ultérieure, arrêt du 17 décembre 2015, Tall (C‑239/14, EU:C:2015:824, point 56).

    ( 26 ) Je note incidemment que, dans l’arrêt Saadi c. Royaume-Uni, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a, dans le contexte de l’article 5, § 1 f, de la CEDH, adopté une position différente. Selon cette Cour, l’entrée d’un demandeur d’asile sur le territoire d’un État contractant est « irrégulière » tant qu’elle n’a pas été « autorisée » par celui-ci (voir arrêt du 29 janvier 2008, ECLI:CE:ECHR:2008:0129JUD001322903, point 65), ce qui semble impliquer que la demande d’asile reçoive une issue favorable. Voir, cependant, l’opinion en partie dissidente commune de six juges de la grande chambre.

    ( 27 ) Voir point 75 de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84).

    ( 28 ) Voir arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 59).

    ( 29 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian (C‑329/11, EU:C:2011:807, points 43 et 45).

    ( 30 ) Voir point 76 de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84).

    ( 31 ) Il s’agissait de la quatrième demande d’asile déposée par M. N. La première et la troisième avaient été définitivement rejetées et la deuxième avait été retirée.

    ( 32 ) Les trois demandes d’asile que M. N. avait introduites auparavant avaient toutes été rejetées définitivement, de telle sorte qu’aucune procédure d’asile n’était pendante au moment où une décision de retour a été émise à son égard.

    ( 33 ) Voir, notamment, point 44 de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84).

    ( 34 ) Je relève incidemment que les autorités belges n’ont pas eu recours à cette faculté dans le cas de M. Gnandi. En effet, d’une part, l’ordre de quitter le territoire notifié à M. Gnandi, en lui-même, ne met pas fin à son séjour régulier en Belgique, mais plutôt constate le caractère irrégulier de ce séjour et, d’autre part, cet ordre et la décision du CGRA du 23 mai 2014 sont deux actes différents, adoptés par deux autorités différentes.

    ( 35 ) La proposition de la directive 2008/115 mentionne, en son point 4, que cette faculté a été prévue pour répondre à la préoccupation exprimée par de nombreux États membres lors des consultations préalables, qui craignaient que la procédure en deux étapes n’entraîne des retards de procédure.

    ( 36 ) Voir manuel sur le retour, point 12.2.

    ( 37 ) Ainsi que précisé dans l’avant-propos de ce manuel, celui-ci se base dans une large mesure sur les travaux effectués par les États membres et la Commission dans le cadre du « comité de contact sur la directive retour » entre l’année 2009 et l’année 2014, et expose, de manière systématique et succincte, les discussions menées au sein de ce forum, qui ne reflètent pas nécessairement un consensus parmi les États membres sur l’interprétation des actes juridiques.

    ( 38 ) Voir arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343).

    ( 39 ) Voir point 69. En ce qui concerne l’article 13 de la CEDH. Voir, en dernier lieu, arrêt de la Cour EDH du 14 février 2017, Allanazarova c. Russie (CE:ECHR:2017:0214JUD004672115, point 98), dans lequel il est confirmé que cette disposition n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction en matière de mesures d’éloignement et qu’il suffit qu’il existe au moins un recours interne qui remplisse les conditions d’effectivité voulues par ladite disposition, c’est-à-dire un recours permettant un contrôle attentif et un examen rigoureux d’une allégation quant à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH et disposant d’un effet suspensif de plein droit à l’égard de la mesure litigieuse.

    ( 40 ) Il s’agit, entre autres, des personnes à l’égard desquelles l’éloignement a été reporté, conformément à l’article 9 de la directive 2008/115, car contraire au principe de non-refoulement.

    ( 41 ) L’ordre de quitter le territoire en cause au principal a été notifié à M. Gnandi quelques jours seulement après la décision du CGRA du 23 mai 2014 qui l’informait qu’aucune mesure d’éloignement ne pouvait être adoptée à son égard pendant le délai de recours au CCE contre cette décision. Or, comme on l’a vu, cet ordre ‐ adopté par une autorité autre que le CGRA ‐ ainsi que l’acte de notification l’accompagnant ne faisaient aucune mention de ce que l’exécution forcée de l’injonction de quitter le territoire était temporairement suspendue, mais ils étaient, au contraire, rédigés de manière à faire naître la conviction opposée, contribuant ainsi à créer une confusion, pour son destinataire, sur les obligations lui incombant et sur les voies de recours mises à sa disposition.

    ( 42 ) Circulaire abrogeant celle du 20 juillet 2001 relative à la portée juridique de l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 (Moniteur belge du 6 septembre 2013, p. 63240).

    ( 43 ) Directive du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO 2003, L 31, p. 18).

    ( 44 ) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).

    ( 45 ) Voir article 3, paragraphe 1, des deux directives.

    ( 46 ) Voir arrêt du 27 février 2014, Saciri e.a. (C‑79/13, EU:C:2014:103, points 35 à 42).

    ( 47 ) Conformément à l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/115, les ressortissants de pays tiers n’ont droit, au cours du délai de départ volontaire, qu’aux soins médicaux d’urgence et au traitement indispensable des maladies. L’article 14, paragraphe 1, sous d), de cette directive impose la prise en compte des besoins particuliers des personnes vulnérables.

    ( 48 ) Arrêt de la Cour EDH du 7 juillet 2015, V.M. e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2015:0707JUD006012511).

    ( 49 ) Arrêt de la Cour EDH du 7 juillet 2015, V.M. e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2015:0707JUD006012511, points 197 et suiv.).

    ( 50 ) Arrêt de la Cour EDH du 17 novembre 2016, V.M. e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2016:1117JUD006012511).

    Top