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Document 62015CC0030

    Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 25 mai 2016.
    Simba Toys GmbH & Co. KG contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).
    Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Marque tridimensionnelle en forme de cube avec des faces ayant une structure en grille – Demande en nullité – Rejet de la demande en nullité.
    Affaire C-30/15 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:350

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MACIEJ SZPUNAR

    présentées le 25 mai 2016 ( 1 )

    Affaire C‑30/15 P

    Simba Toys GmbH & Co. KG

    contre

    Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

    «Pourvoi — Marque de l’Union européenne — Règlement (CE) no 207/2009 — Motif de refus ou d’annulation de l’enregistrement — Marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit — Signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature du produit — Article 7, paragraphe 1, sous e), i) — Signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique — Article 7, paragraphe 1, sous e), ii) — Forme d’un “Rubik’s cube”»

    Introduction

    1.

    Le présent pourvoi concerne l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 novembre 2014, Simba Toys/OHMI – Seven Towns (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille) ( 2 ), ayant rejeté le recours en annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ( 3 ) relative à une procédure de demande en nullité opposant Simba Toys GmbH & Co. KG à Seven Towns Ltd.

    2.

    Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé la décision de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité du fabricant allemand de jouets Simba Toys visant une marque tridimensionnelle enregistrée pour un « puzzle en trois dimensions » se présentant sous la forme d’un « Rubik’s cube ».

    3.

    La requérante invoque, entre autres moyens de pourvoi, la violation des dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous e), i) et ii), du règlement (CE) no 207/2009 ( 4 ) qui concernent les signes constitués par la forme du produit lui‑même.

    4.

    Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer dans le contexte d’une autre procédure, la question de l’enregistrement de ce type de signe se caractérise par une spécificité liée au risque que l’exclusivité issue de l’enregistrement de la marque s’étende à certaines caractéristiques utilitaires du produit qui se manifestent dans la forme de celui-ci. Les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 empêchent qu’un monopole ne soit octroyé sur les caractéristiques essentielles du produit concerné, tout en prévenant une utilisation du droit des marques à des fins qui ne seraient pas conformes aux prémisses qui sous-tendent ce droit ( 5 ).

    5.

    Ces dernières années, la Cour a eu l’occasion à plusieurs reprises d’interpréter ces dispositions ( 6 ), mais leur application n’en reste pas moins un sujet de controverse.

    Cadre juridique

    Règlement n o 207/2009

    6.

    L’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 ( 7 ), qui régit les motifs absolus de refus, dispose :

    « 1.   Sont refusés à l’enregistrement :

    […]

    e)

    les signes constitués exclusivement :

    i)

    par la forme imposée par la nature même du produit,

    ii)

    par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,

    […] »

    Procédure devant l’EUIPO

    7.

    Le 1er avril 1996, Seven Towns a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de la marque constituée par le signe tridimensionnel (ci-après le « signe contesté ») reproduit ci-après pour des « puzzles en trois dimensions » relevant de la classe 28 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié :

    Image

    8.

    Cette marque a été enregistrée le 6 avril 1999 sous le numéro 162784.

    9.

    Le 15 novembre 2006, Simba Toys a présenté une demande en nullité de cet enregistrement, en invoquant l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94 ( 8 ), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), de ce même règlement. Par décision du 14 octobre 2008, la division d’annulation de l’EUIPO a rejeté la demande. Le 23 octobre 2008, Simba Toys a formé un recours contre cette décision.

    10.

    Par une décision du 1er septembre 2009 (ci-après la « décision litigieuse »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

    11.

    Rejetant le grief tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 207/2009, elle a affirmé que la forme en cause n’avait pas manifestement la forme d’un puzzle et ne saurait être considérée comme imposée par la nature même du produit. S’agissant du grief tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, elle a relevé, entre autres, que les caractéristiques essentielles de la forme, notamment la « structure cubique en grille », ne donnaient aucune indication sur sa fonction ni même sur l’existence d’une fonction quelconque.

    Arrêt attaqué

    12.

    Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 6 novembre 2009, Simba Toys a formé un recours en annulation de la décision litigieuse.

    13.

    Simba Toys a invoqué huit moyens dont deux – les deuxième et troisième moyens – portaient sur l’article 7, paragraphe 1, sous e), respectivement ii) et i), du règlement no 207/2009.

    14.

    Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté intégralement le recours comme non fondé.

    15.

    Aux points 27 à 77 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le deuxième moyen, subdivisé en huit branches, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009.

    16.

    Se référant à la jurisprudence des juridictions de l’Union et notamment à l’arrêt Lego Juris/OHMI ( 9 ) (points 31 à 42 de l’arrêt attaqué), le Tribunal a tout d’abord identifié les caractéristiques essentielles du signe contesté comme, premièrement, la forme de cube et, deuxièmement, la structure en grille qui figure sur chacune des faces de ce cube (points 43 à 47 de l’arrêt attaqué).

    17.

    Le Tribunal a ensuite indiqué qu’il y avait lieu d’apprécier si les caractéristiques essentielles susvisées de la marque contestée « répondent » toutes à une fonction technique des produits concernés (point 48 de l’arrêt attaqué).

    18.

    Le Tribunal a cité le point 28 de la décision litigieuse, contesté par la partie requérante, en ce sens que, « en application de l’article 7, paragraphe 1 [sous e), ii), du règlement no 207/2009], les causes de nullité d’une marque tridimensionnelle [devaient] s’appuyer exclusivement sur l’examen de la représentation de la marque telle qu’elle [avait] été déposée et non sur des caractéristiques invisibles alléguées ou supposées » ; les représentations graphiques de la marque contestée « ne [suggéraient] aucune fonction particulière, même lorsque les produits, à savoir les “puzzles en trois dimensions” [étaient] pris en considération » ; dans le cadre de l’appréciation de la présente affaire, la chambre de recours ne devait pas tenir compte de la capacité « bien connue » de rotation des bandes verticales et horizontales du puzzle dénommé « Rubik’s cube » et retrouver « de manière illégitime et rétroactive » la fonctionnalité dans ces représentations ; la structure cubique en grille ne donne selon elle aucune indication sur sa fonction ni même sur l’existence d’une fonction quelconque, et « il est impossible de conclure qu’elle puisse apporter un [avantage concurrentiel] quelconque dans le domaine des puzzles en trois dimensions » ; la forme ne contenait « aucun indice sur le puzzle qu’elle [incarnait] ».

    19.

    Le Tribunal a rejeté les première, deuxième et septième branches du deuxième moyen de la requérante, qui reposaient sur l’affirmation selon laquelle les lignes noires « étaient la conséquence d’une fonction technique » consistant en la capacité de rotation ou toute autre possibilité de mouvoir les éléments individuels du puzzle (points 51 à 55 de l’arrêt attaqué) ou qu’elles remplissaient cette fonction en séparant des éléments individuels du puzzle pour qu’ils puissent faire l’objet de mouvements de rotation (points 56 à 62 de l’arrêt attaqué).

    20.

    De même, le Tribunal a rejeté les troisième et quatrième branches de ce moyen concernant respectivement la méconnaissance de l’intérêt général qui sous‑tend la disposition en question (points 63 et 64 de l’arrêt attaqué), ainsi que les critiques visant les affirmations de l’EUIPO à cet égard (points 65 à 68 de l’arrêt attaqué).

    21.

    Le Tribunal a rejeté la cinquième branche du moyen fondée sur l’affirmation de la requérante selon laquelle, de même que dans la présente affaire, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Philips ( 10 ) et LegoJuris/OHMI – Mega Brands (Brique de Lego rouge) ( 11 ), la fonction technique des formes en cause ne ressortait pas non plus directement du signe (points 69 à 72 de l’arrêt attaqué).

    22.

    Enfin, le Tribunal a rejeté les sixième et huitième branches de ce moyen concernant, respectivement, l’absence de formes alternatives susceptibles de remplir cette même fonction technique ainsi que l’affirmation selon laquelle des puzzles en trois dimensions de ce type étaient connus avant le dépôt de la marque contestée (points 73 à 76 de l’arrêt attaqué).

    23.

    Aux points 78 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le troisième moyen tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 207/2009.

    24.

    Dans la suite des motifs de l’arrêt, le Tribunal a également jugé non fondés les autres moyens invoqués par la requérante et rejeté par conséquent le recours dans son intégralité.

    Conclusions des parties

    25.

    Dans son pourvoi, Simba Toys demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et d’annuler la décision litigieuse de la chambre de recours, ainsi que de condamner l’EUIPO et Seven Towns aux dépens.

    26.

    L’EUIPO et Seven Towns concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation de Simba Toys aux dépens.

    Analyse

    27.

    La requérante invoque six moyens de pourvoi. Les deux premiers moyens concernent l’article 7, paragraphe 1, sous e), respectivement ii) et i), du règlement no 207/2009 ( 12 ).

    28.

    Mon analyse se limitera à ces deux moyens qui me semblent – eu égard aux spécificités de la procédure de pourvoi – décisifs pour la résolution de cette affaire.

    Ratio legis de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement n o 207/2009

    29.

    Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’observer ( 13 ), l’intérêt général qui sous-tend les motifs de refus visés à l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 est de maintenir dans le domaine public les caractéristiques essentielles du produit concerné, lesquelles se reflètent dans sa forme.

    30.

    La justification de ce dispositif ressort des prémisses axiologiques du régime de la protection des marques. Ce régime vise avant tout à instaurer les fondements d’une concurrence loyale en renforçant la transparence du marché. L’exclusivité d’utilisation du signe concerné ne limite pas en règle générale la liberté des concurrents d’offrir leurs produits. Ils peuvent librement faire leur choix dans l’ensemble des signes potentiels dont le nombre est par nature illimité.

    31.

    Toutefois, dans certaines situations, l’existence de droits exclusifs sur la marque peut aboutir à une distorsion de la concurrence. Cela concerne en particulier l’enregistrement de signes qui représentent la forme du produit.

    32.

    L’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 vise à éviter que l’enregistrement de la forme permette d’obtenir un avantage concurrentiel déloyal en instaurant une exclusivité sur les caractéristiques essentielles du produit, lesquelles sont importantes du point de vue d’une concurrence effective sur le marché concerné. Une telle situation aboutirait à remettre en cause l’objectif pour lequel le régime de protection des marques a été instauré.

    33.

    L’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 207/2009 exclut l’enregistrement d’une forme dont l’ensemble des caractéristiques essentielles résultent de la nature du produit concerné ( 14 ). Aux termes de cette disposition, les formes dont les caractéristiques essentielles sont inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit sont refusées à l’enregistrement. Réserver de telles caractéristiques à un seul opérateur économique ferait obstacle à ce que des entreprises concurrentes puissent attribuer à leurs produits une forme qui serait utile pour l’utilisation desdits produits ( 15 ).

    34.

    L’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 vise à éviter que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit susceptibles d’être recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents ( 16 ). Cette disposition assure que des entreprises ne puissent utiliser le droit des marques pour perpétuer, sans limitation dans le temps, des droits exclusifs portant sur des solutions techniques ( 17 ).

    35.

    Il convient de relever que la finalité du régime de la protection des marques se distingue des prémisses sous-tendant la protection de certains autres droits de propriété intellectuelle, lesquels visent à promouvoir l’innovation et la créativité. Cette différence d’objectifs explique pourquoi la protection résultant de l’enregistrement d’une marque n’est pas limitée dans le temps, tandis que le législateur a limité dans le temps la protection des autres droits de propriété intellectuelle. Si le régime de la protection des marques était utilisé afin d’allonger l’exclusivité sur les biens immatériels – tels que les dessins et modèles, les inventions ou les œuvres protégées par les droits d’auteur – qui sont en principe protégés pour une durée limitée, cela remettrait en cause les prémisses qui sous-tendent la protection des marques ( 18 ).

    Sur la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement n o 207/2009 (deuxième moyen du pourvoi)

    36.

    Je vais tout d’abord examiner le moyen tiré de la violation du motif d’annulation concernant le cas de la forme imposée par la nature même du produit.

    37.

    L’analyse de ce moyen est d’autant plus importante que l’EUIPO a proposé, dans son mémoire en réponse, de retenir une interprétation qui n’est pas celle qui ressort de l’arrêt Hauck ( 19 ).

    38.

    Je rappelle que, dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’application de ce motif d’annulation de l’enregistrement ne se limite pas aux produits dits « naturels », qui ne possèdent pas de forme alternative, ou aux produits dits « réglementés », dont la forme est prescrite par des normes, mais concerne tous les signes exclusivement constitués par la forme d’un produit présentant des caractéristiques d’utilisation propres à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ( 20 ).

    39.

    L’EUIPO soutient que cette interprétation est trop large et qu’elle peut conduire en pratique à restreindre de façon significative les possibilités d’enregistrement de signes qui se présentent sous la forme d’un produit, car toute forme d’un produit présente des caractéristiques génériques. Selon l’EUIPO, le motif d’annulation en question s’applique exclusivement aux formes standardisées, prédéfinies, qui ne connaissent pas de formes alternatives.

    40.

    Je ne partage pas ce point de vue.

    41.

    Le motif de refus d’enregistrement prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 207/2009 vise à protéger l’intérêt général en excluant l’enregistrement de formes dont toutes les caractéristiques sont inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques d’un produit. L’interprétation que propose l’EUIPO n’est pas de nature à servir la finalité de cette disposition, telle qu’elle ressort de sa ratio legis, car elle autoriserait potentiellement l’enregistrement des caractéristiques habituelles d’un produit. Cette interprétation permettrait, par exemple, l’enregistrement d’un cube utilisé pour les jeux de dés ou les jeux de société, car la forme d’un tel cube n’est pas réglementée mais représente la forme habituellement adoptée. De plus, avec une interprétation aussi étroite, cette disposition perd tout son sens car les formes standardisées n’ont clairement pas de caractère distinctif et ne peuvent l’acquérir par l’usage, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement no 207/2009.

    42.

    Dans la présente affaire, s’agissant du moyen relatif à la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), i), du règlement no 207/2009, le Tribunal a affirmé qu’il était « clair que la nature des produits concernés, en l’occurrence les puzzles en trois dimensions, n’impose nullement que ces produits aient la forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille […] et qu’il ressort du dossier, déjà à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque demandée, [que] les puzzles en trois dimensions, même ceux comportant une capacité de rotation, se présentaient sous une multitude de formes différentes, allant notamment des formes géométriques les plus courantes (par exemple, des cubes, des pyramides, des sphères et des cônes) à celles de bâtiments, de monuments, d’objets ou d’animaux » (point 82 de l’arrêt attaqué).

    43.

    La requérante soutient que le Tribunal a fait une application erronée du motif d’annulation en question car, selon elle, toutes les caractéristiques du signe examiné sont imposées par les caractéristiques d’utilisation propres à une catégorie de produits. Selon la requérante, le Tribunal a défini de façon trop large la catégorie pertinente de produits comme celle des puzzles en trois dimensions, car il s’agirait en l’occurrence d’une catégorie précise de puzzles : les puzzles ayant la forme d’un « cube magique ».

    44.

    L’EUIPO et Seven Towns maintiennent leur point de vue, tel qu’il ressort de l’arrêt attaqué, s’agissant en particulier de l’identification de la catégorie pertinente de produits.

    45.

    Il convient à mon sens de relever que, comme le montre l’argumentation des parties, l’appréciation du signe contesté, aux fins de l’application du motif d’annulation invoqué, dépend de la question de savoir si la catégorie pertinente des produits a été définie de façon large, comme se rapportant de façon générale aux puzzles en trois dimensions, ou de façon précise, en tant que puzzle cubique ou encore « cube magique» ( 21 ). Pour cette dernière catégorie, la forme représentée par la grille de lignes noires du cube est incontestablement une forme naturelle.

    46.

    Il y a lieu de relever que la détermination de la catégorie pertinente des produits examinés constitue une question de fait. Il n’est pas possible, au stade du pourvoi, de contester l’appréciation, par le Tribunal, de la question de savoir si les « cubes magiques » constituent une catégorie distincte de produits, si la partie concernée n’a soulevé à cet égard aucun moyen tiré de la dénaturation des faits ou des éléments de preuves.

    47.

    Il est vrai que certains arguments exposés dans le pourvoi pourraient, éventuellement, être interprétés comme l’esquisse d’un tel moyen tiré de la dénaturation des faits ou des éléments de preuve. La requérante indique que le Tribunal n’a pas tenu compte de la circonstance que les cubes magiques étaient connus sur le marché au moment de la demande d’enregistrement et n’a pas non plus tenu compte des études de marché montrant qu’en Allemagne, une large majorité des consommateurs connaissaient ce jeu, sans faire pour autant de lien avec un fabricant précis. La requérante a une nouvelle fois soulevé cet argument lors de l’audience, afin de confirmer le caractère générique de la forme litigieuse.

    48.

    Néanmoins, dans la mesure où, dans le cadre du deuxième moyen soulevé dans le pourvoi, la requérante n’évoque pas explicitement d’arguments concernant les études de marché réalisées en Allemagne ni ne les intègre à sa critique des constatations du Tribunal aux points 80 à 82 de l’arrêt attaqué, on ne saurait retenir, à mon sens, que la requérante a bien soulevé le moyen de la dénaturation des faits et des éléments de preuve.

    49.

    Il y a lieu de rappeler qu’un tel moyen revêt un caractère exceptionnel aux fins du contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, raison pour laquelle une jurisprudence constante exige du requérant non seulement qu’il indique de façon précise les faits ou les éléments qui auraient selon lui été dénaturés par le Tribunal, mais également qu’il démontre les erreurs ayant entaché en conséquence les constatations du Tribunal. Une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ( 22 ).

    50.

    Une application stricte de ces exigences est à mon sens nécessaire eu égard à la nature particulière du moyen tiré de la dénaturation qui suppose que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable des éléments de preuve ( 23 ).

    51.

    Je propose en conséquence de rejeter le deuxième moyen comme irrecevable.

    Sur la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n o 207/2009 (premier moyen du pourvoi)

    Jurisprudence

    52.

    Le motif de refus ou d’annulation de l’enregistrement visé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 s’applique aux signes constitués « exclusivement » par la forme du produit « nécessaire » à l’obtention d’un résultat technique.

    53.

    Le législateur a ainsi tenu compte de la circonstance que toute forme de produit est, dans une certaine mesure, fonctionnelle et qu’il serait, par conséquent, inapproprié de refuser à l’enregistrement en tant que marque une forme de produit au simple motif qu’elle présente des caractéristiques utilitaires. Par les termes « exclusivement » et « nécessaire », ladite disposition assure que seules les formes de produit qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait donc réellement l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises soient refusées à l’enregistrement ( 24 ).

    54.

    S’agissant des signes constitués « exclusivement » par la forme fonctionnelle du produit, cette condition est remplie lorsque toutes les caractéristiques essentielles d’une forme (d’un signe) répondent à une fonction technique. En revanche, l’enregistrement d’un tel signe ne peut être refusé sur le fondement de cette disposition si la forme du produit en cause incorpore un élément non fonctionnel majeur, tel qu’un élément ornemental ou fantaisiste qui joue un rôle important ( 25 ).

    55.

    S’agissant de la forme « nécessaire » à l’obtention du résultat technique visé, cette condition ne signifie pas que la forme en cause doive être la seule permettant d’obtenir ce résultat. Il peut ainsi y avoir des formes alternatives, ayant d’autres dimensions ou un autre dessin, permettant d’obtenir le même résultat technique. Il faut garder à l’esprit que l’enregistrement d’une forme en tant que marque permet d’interdire aux autres entreprises non seulement l’utilisation de la même forme, mais aussi l’utilisation de formes similaires. Un nombre important de formes alternatives risquent ainsi de devenir inutilisables pour les concurrents ( 26 ).

    56.

    Sur la base de ces considérations, un signe constitué par la forme d’un produit qui ne fait qu’exprimer, sans ajout d’éléments non fonctionnels significatifs, une fonction technique ne peut pas être enregistré en tant que marque, étant donné qu’un tel enregistrement réduirait de manière trop importante les possibilités pour les concurrents de mettre sur le marché des formes de produit qui incorporent la même solution technique ( 27 ).

    Argumentation des parties

    57.

    Le premier moyen, qui se rapporte aux points 50 à 77 de l’arrêt attaqué, comporte en fait deux parties.

    58.

    Dans la première partie, la requérante soutient que le Tribunal a rejeté à tort son affirmation selon laquelle les caractéristiques de la forme litigieuse « remplissent » une fonction technique (points 56 à 77 de l’arrêt attaqué). La seconde partie du moyen concerne l’argument de la requérante selon lequel ces caractéristiques « constituent la conséquence » de la fonction technique (points 50 à 55 de l’arrêt attaqué).

    59.

    Pour ce qui est de la première partie de ce moyen, subdivisée en huit branches, la requérante soutient que le Tribunal a imposé un critère trop restrictif pour l’application du motif d’annulation visé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009. Elle critique les constatations du Tribunal qui a estimé que la déduction du caractère fonctionnel d’une forme devrait être « suffisamment certaine » et qu’un observateur objectif devrait pouvoir « saisir précisément » quelle fonction remplit ladite forme (points 57, 59, 71 à 72 de l’arrêt attaqué) (première branche).

    60.

    La requérante atteste en outre que le Tribunal a affirmé à tort que, aux fins de l’analyse d’une forme au regard des dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, il n’y avait pas lieu de tenir compte de circonstances factuelles supplémentaires. Le Tribunal n’a donc pas tenu compte – à tort selon la requérante – de la fonction de rotation du « Rubik’s cube » qui est pourtant, ainsi que cela ressort du point 49 de l’arrêt attaqué, « bien connue » (deuxième branche).

    61.

    Simba Toys développe en outre les branches suivantes : le Tribunal a dénaturé les faits et les éléments de preuve présentés par la requérante en affirmant que la forme en cause n’évoque pas un puzzle doté d’éléments mobiles (troisième branche) ; le Tribunal a interprété de façon trop étroite la notion de « fonction technique » (quatrième branche) ; le Tribunal n’a pas tenu compte du fait que la forme en cause ne possède aucune caractéristique essentielle arbitraire (cinquième branche) ; le Tribunal a conçu l’intérêt public de façon trop étroite (sixième branche) ; le Tribunal a considéré à tort que l’absence de formes alternatives n’était pas pertinente (septième branche) et a également dénaturé les faits et les éléments de preuve en constatant qu’il existe des formes alternatives, car des puzzles ayant une forme autre qu’un cube remplissent la même fonction que le « Rubik’s cube » (huitième branche).

    62.

    L’EUIPO et Seven Towns contestent l’argumentation de la requérante en renvoyant aux motifs de l’arrêt attaqué.

    Appréciation des constatations du Tribunal

    63.

    Une application correcte de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 implique que l’autorité compétente doit identifier les caractéristiques essentielles du signe en cause puis vérifier si ces caractéristiques répondent toutes à la fonction technique du produit en cause. Cette identification peut, selon le cas, être effectuée par une simple analyse visuelle dudit signe ou, au contraire, être fondée sur un examen approfondi dans le cadre duquel des éléments supplémentaires sont pris en compte ( 28 ).

    64.

    Cet examen doit être fait en analysant le signe déposé. La fonctionnalité de la forme peut toutefois être appréciée en tenant compte d’autres éléments, par exemple, de la documentation relative aux brevets concernant la forme concernée ou des informations concernant l’utilisation effective du signe ( 29 ).

    65.

    Il y a lieu de rappeler que la représentation graphique figurant dans la demande d’enregistrement a pour fonction de définir l’objet exact de la protection. Elle doit donc être complète par elle-même, et intelligible ( 30 ). Ces exigences ne sauraient toutefois restreindre l’analyse de l’autorité compétente dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, si cela est susceptible de porter atteinte à l’intérêt général ( 31 ).

    66.

    Il découle de la jurisprudence citée que, lorsqu’elle procède à l’analyse des éléments fonctionnels d’une forme, l’autorité compétente n’est pas tenue de se limiter aux seules informations qui ressortent de la représentation graphique, mais doit également tenir compte si besoin des autres éléments d’information essentiels aux fins de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009.

    67.

    En ce qui concerne la portée du contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, je tiens à relever que l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe et l’appréciation de leur fonctionnalité font incontestablement partie des constatations de fait qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi, sauf si la dénaturation des faits ou des éléments de preuve a été invoquée ( 32 ).

    68.

    La détermination des critères mêmes de l’appréciation de la fonctionnalité et de l’étendue des informations à prendre en compte constitue toutefois une question de droit susceptible d’être contrôlée dans le cadre d’un pourvoi ( 33 ).

    69.

    Dans la présente affaire, le Tribunal a jugé, au point 47 de l’arrêt attaqué, que les caractéristiques essentielles du signe en cause sont la forme en cube et la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube. Il s’agit de constatations de fait qui ne peuvent être examinées dans le cadre d’un pourvoi. La requérante indique du reste expressément qu’elle ne remet pas en cause ces constatations.

    70.

    Au point 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé qu’il y avait lieu d’apprécier si les caractéristiques essentielles de la marque contestée répondent à une fonction technique du produit.

    71.

    Au point 49 de son arrêt, le Tribunal s’est référé à cet égard au point 28 de la décision litigieuse, que la requérante conteste.

    72.

    Ainsi qu’il ressort du point 28 de ladite décision, la chambre de recours de l’EUIPO a notamment constaté que « en application de l’article 7, paragraphe 1, [sous e), ii), du règlement no 207/2009], les causes de nullité d’une marque tridimensionnelle [devaient] s’appuyer exclusivement sur l’examen de la représentation de la marque telle qu’elle [avait] été déposée et non sur des caractéristiques invisibles alléguées ou supposées » ; que les représentations graphiques de la marque contestée « ne [suggéraient] aucune fonction particulière, même lorsque les produits, à savoir les “puzzles en trois dimensions” [étaient] pris en considération » ; que « la structure cubique en grille ne donne aucune indication sur sa fonction, ni même sur l’existence d’une fonction quelconque ».

    73.

    Dans la mesure où, dans la suite de son arrêt, le Tribunal ne soumet ces constatations à aucun examen critique mais rejette intégralement les griefs de la requérante à cet égard, il y a lieu de considérer qu’il a confirmé la motivation indiquée par la chambre de recours.

    74.

    Cette conclusion est corroborée par le raisonnement exposé aux points 56 à 61 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal rejette les allégations de la requérante soutenant que les lignes noires remplissent une fonction technique.

    75.

    La requérante a fait valoir devant le Tribunal que ces lignes séparent les éléments mobiles du puzzle qui peuvent en particulier faire l’objet de mouvements de rotation.

    76.

    Le Tribunal rejette cette allégation en observant qu’elle repose essentiellement sur la connaissance de la capacité de rotation des bandes verticales et horizontales du « Rubik’s cube », mais que cette capacité ne saurait résulter des caractéristiques de la forme présentée mais tout au plus d’un mécanisme interne au cube. Dans l’esprit du Tribunal, l’analyse de la fonctionnalité ne saurait tenir compte d’un tel élément invisible. En effet, « s’il ne saurait être interdit à la chambre de recours de procéder par déduction aux fins de cette analyse, encore faut-il que cette déduction se fasse le plus objectivement possible à partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement, et qu’elle ne soit pas purement spéculative, mais suffisamment certaine » ; en l’espèce, déduire l’existence d’un mécanisme interne de rotation « des représentations graphiques de la marque contestée » n’aurait pas été conforme à ces exigences (point 59 de l’arrêt attaqué).

    77.

    Cette conclusion repose à mon sens sur des prémisses de droit erronées et, plus largement, ne tient pas suffisamment compte de l’intérêt général protégé par la disposition appliquée.

    78.

    Premièrement, le Tribunal a certes identifié les caractéristiques essentielles du signe, mais il ne les a pas appréciées sous l’angle de la fonction technique propre au produit.

    79.

    Si le Tribunal a relevé, au point 48 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’apprécier si les caractéristiques essentielles de la forme « répondent toutes à une fonction technique des produits concernés », il n’en reste pas moins qu’aucun des motifs suivants de l’arrêt attaqué, qui ressortent des points 49 à 51 et 56 à 60, ne définit quelle fonction technique remplit le produit en question ni n’analyse la relation entre cette fonction et les caractéristiques de la forme présentée.

    80.

    Cette prémisse conduit en l’espèce à la conclusion paradoxale que les représentations graphiques de la marque contestée « ne permettent pas de savoir si la forme en cause comporte une quelconque fonction technique ni, le cas échéant, quelle serait celle-ci » (points 49 et 72 de l’arrêt attaqué).

    81.

    Cette conclusion procède d’une erreur de raisonnement car l’application de la condition visée à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, qui concerne exclusivement les signes représentant la forme du produit concret, requiert à tout le moins un niveau minimal de connaissance de la fonction du produit.

    82.

    De même que dans l’affaire examinée dans l’arrêt Pi-Design (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129), la conclusion du Tribunal est difficile à concilier avec la prémisse, retenue par le Tribunal et que les parties n’ont pas contestée, selon laquelle nous sommes ici en présence d’un signe constitué par la forme du produit concret, et non par une forme abstraite ( 34 ).

    83.

    Je suis d’avis que, pour analyser correctement les caractéristiques fonctionnelles de la forme, le Tribunal aurait dû, tout d’abord, tenir compte de la fonction du produit en question, c’est-à-dire d’un puzzle en trois dimensions, en d’autres termes un casse-tête qui consiste à agencer de façon logique des éléments que l’on peut déplacer dans l’espace. Si le Tribunal avait pris en compte cette fonction, il n’aurait pu rejeter l’argument de la requérante selon lequel le cube en question sera nécessairement perçu comme consistant en des éléments mobiles séparés par des lignes noires.

    84.

    Deuxièmement, à mon sens, c’est à tort que le Tribunal a considéré que l’analyse de la forme en cause sous l’angle de ses caractéristiques fonctionnelles devait partir exclusivement de la représentation graphique de la demande d’enregistrement (points 57 à 59 de l’arrêt attaqué).

    85.

    Il est selon moi contraire aux principes posés par la jurisprudence de la Cour de limiter cette analyse à un cadre aussi étroit.

    86.

    Dans les affaires à l’origine de l’arrêt Philipps ( 35 ) comme de l’arrêt Lego Juris/OHMI ( 36 ), les organes compétents n’auraient pas été en mesure d’analyser la forme en cause uniquement à partir de sa représentation graphique, sans avoir recours à des informations concernant le produit concret. De même, dans l’arrêt Pi-Design (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129), la Cour, en annulant l’arrêt du Tribunal, a rejeté la thèse selon laquelle l’examen des caractéristiques fonctionnelles de la forme doit se cantonner à la représentation graphique dont l’enregistrement est demandé et ne peut tenir compte de la forme effective du produit en cause ( 37 ).

    87.

    Cette nécessité de tenir compte des circonstances liées à l’utilisation du produit est imposée par la nature même de la disposition de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, car elle concerne exclusivement les signes constitués par la forme du produit concret.

    88.

    Il s’agit ici selon moi non pas de rechercher des caractéristiques cachées, qui ne sont pas visibles dans la forme présentée ( 38 ), mais d’effectuer une analyse des caractéristiques de la forme telles qu’elles ressortent de la représentation graphique, du point de vue de la fonction du produit. Quand bien même, incontestablement, cette appréciation devrait s’intéresser uniquement à la forme dont l’enregistrement est demandé, l’examen de la relation, comme le montrent les circonstances des affaires précédemment évoquées, entre cette forme et la fonction du produit nécessitera bien souvent la prise en compte d’informations supplémentaires.

    89.

    Il me semble dès lors que le Tribunal, en l’espèce, a commis une erreur de droit en jugeant qu’il y avait lieu, pour procéder à cet examen, de « partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement », et qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération des éléments supplémentaires qu’un observateur objectif ne serait pas en mesure de « saisir précisément » sur la base « des représentations graphiques de la marque contestée » (points 57 à 59 de l’arrêt attaqué).

    90.

    De tels critères d’analyse sont à mon sens contraires à la jurisprudence précédemment citée.

    91.

    Le Tribunal s’efforce certes de distinguer la présente affaire des affaires Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377) et Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516) que nous avons rappelées. Celles-ci diffèrent, selon le Tribunal, en ce que la fonction du produit serait ressortie « clairement » ou « logiquement » de la forme, alors qu’en l’espèce, les représentations graphiques de la marque contestée « ne permettent pas de savoir si la forme en cause comporte une quelconque fonction technique » (points 69 à 72 de l’arrêt attaqué).

    92.

    Cette distinction ne me semble pas convaincante. Sans connaissance du produit concret, il est difficile de déduire quelle fonction remplissent les éléments des formes demandées dans les affaires Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377), Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516) ou Pi-Design (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129) :

    Image

    93.

    Dans l’arrêt Pi-Design (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129), la Cour a du reste expressément rejeté le point de vue du Tribunal selon lequel la seule représentation graphique du signe ne permettait pas de déduire une fonction quelconque des « pois noirs » sur la surface de la forme, en particulier qu’ils constituent des cavités spéciales d’un manche de couteau ou autre ustensile de cuisine ( 39 ).

    94.

    Par conséquent, je suis d’avis que le Tribunal a eu tort de ne pas appliquer, en l’espèce, les critères d’appréciation qui découlent de la jurisprudence de la Cour.

    95.

    De plus, le Tribunal a, à mon sens, fixé un critère d’appréciation trop exigeant s’agissant des formes fonctionnelles, de sorte que l’interdiction de monopole visée par la disposition litigieuse peut être contournée.

    96.

    Je tiens à relever que le Tribunal n’a pas exclu que l’on puisse déduire de la forme litigieuse que les lignes noires ont pour fonction de séparer les éléments mobiles du puzzle. Il a cependant observé que, même dans ce cas, un observateur objectif « ne pourra pas saisir précisément si ceux-ci sont destinés, par exemple, à faire l’objet de mouvements de rotation ou à être désassemblés, pour, ensuite, être réassemblés ou permettre la transformation du cube en cause en une autre forme » (point 57 de l’arrêt attaqué). Il était essentiel, aux yeux du Tribunal, que la marque contestée ait été enregistrée pour des « “puzzles à trois dimensions” en général, à savoir sans se limiter à ceux ayant une capacité de rotation », et que le titulaire de la marque n’a pas joint à sa demande d’enregistrement une description dans laquelle il aurait été précisé que la forme en cause comportait une telle capacité (point 55 de l’arrêt attaqué).

    97.

    Si l’on suit le raisonnement du Tribunal, le fait que le titulaire de la marque n’ait pas joint à sa demande d’enregistrement une description du fonctionnement du cube permet d’étendre la protection conférée par l’enregistrement à tout type de puzzle de forme similaire, indépendamment de ses modalités de fonctionnement ( 40 ). Ainsi, comme l’a fait valoir lors de l’audience le titulaire de la marque contestée, les droits exclusifs conférés par l’enregistrement de la forme en cause couvrent potentiellement tout puzzle tridimensionnel dont les éléments représentent la forme d’un cube de 3 x 3 x 3.

    98.

    Ce raisonnement est à mon sens contraire à l’intérêt général qui sous-tend la disposition en cause car il permet au titulaire de s’assurer un monopole sur les caractéristiques de produits qui remplissent non seulement la fonction de la forme en cause, mais également d’autres fonctions similaires.

    Conclusion partielle

    99.

    Il découle de ces considérations que le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant qu’il y avait lieu, dans le cadre de l’analyse requise à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 de « partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement », et qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération des éléments supplémentaires qu’un observateur objectif ne serait pas en mesure de « saisir précisément » sur la base « des représentations graphiques de la marque contestée » (points 57 à 59 de l’arrêt attaqué), et par conséquent en rejetant l’allégation de la requérante selon laquelle la structure cubique en grille ne constitue pas un élément ornemental et fantaisiste mais remplit une fonction technique car elle sépare les éléments mobiles du puzzle, afin que ceux-ci puissent, en particulier, faire l’objet de mouvements de rotation (points 56 à 62 de l’arrêt attaqué), et en rejetant ensuite comme non fondé le deuxième moyen soulevé en première instance.

    100.

    Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres branches du premier moyen de pourvoi.

    101.

    Il convient selon moi d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés.

    Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

    102.

    Conformément à l’article 61, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsqu’elle annule l’arrêt attaqué, la Cour peut statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

    103.

    J’estime que cette condition est remplie en l’espèce.

    104.

    À l’appui de son recours devant le Tribunal, la requérante a invoqué huit moyens, dont un deuxième moyen tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009.

    105.

    Il ressort du point 99 des présentes conclusions que ce moyen doit être accueilli.

    106.

    La forme contestée se présente comme une forme de puzzle tridimensionnel. Il convient de tenir compte, dans l’appréciation de cette forme, de la fonction du produit, qui consiste à assembler de façon logique les éléments d’un casse-tête, que l’on peut déplacer dans l’espace.

    107.

    Cette fonction est confirmée par les caractéristiques généralement connues (point 28 de la décision litigieuse) du « Rubik’s cube », casse-tête dont les éléments mobiles, agencés en bandes verticales et horizontales, peuvent faire l’objet de mouvements de rotation autour d’un axe.

    108.

    Comme l’a relevé à juste titre la requérante, pour remplir une telle fonction, le casse-tête doit présenter la forme d’un polyèdre constitué d’éléments agencés en colonnes verticales et horizontales.

    109.

    Par conséquent, et contrairement aux constatations de la chambre de recours au point 28 de la décision litigieuse, les caractéristiques essentielles du signe contesté – forme d’un cube et structure en grille divisant des colonnes verticales et horizontales d’éléments symétriques, qui constituent les parties mobiles du puzzle – sont nécessaires à la fonction technique propre au produit.

    110.

    Peu importe à cet égard qu’un tel puzzle puisse être conçu à partir d’une forme autre que celle d’un cube ( 41 ) ou que ses éléments soient agencés de façon légèrement différente. Il découle de la jurisprudence de la Cour que le motif de refus d’enregistrement reste applicable même lorsque le résultat technique recherché peut être obtenu en utilisant une autre forme ( 42 ).

    111.

    Il y a lieu de préciser en outre qu’en dehors des caractéristiques fonctionnelles rappelées, le signe contesté ne comporte pas de caractéristiques arbitraires ou ornementales. L’enregistrement d’un tel signe au bénéfice d’un seul opérateur économique restreint en effet la liberté des autres opérateurs d’offrir des produits dont la fonctionnalité serait la même ou simplement similaire et s’oppose à l’intérêt général protégé par la disposition litigieuse.

    112.

    Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen de recours et d’annuler la décision litigieuse sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés en première instance.

    Conclusion

    113.

    À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal du 25 novembre 2014, Simba Toys/OHMI – Seven Towns (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille) (T‑450/09, EU:T:2014:983), d’annuler la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er septembre 2009 (affaire R 1526/2008-2) relative à une procédure de nullité opposant Simba Toys GmbH & Co. KG à Seven Towns Ltd, et de condamner l’EUIPO et Seven Towns à l’ensemble des dépens exposés devant le Tribunal et devant la Cour.


    ( 1 ) Langue originale : le polonais.

    ( 2 ) T‑450/09, EU:T:2014:983, ci-après l’« arrêt attaqué ».

    ( 3 ) Conformément à la dénomination qui ressort de l’article 1er, point 7, du règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21).

    ( 4 ) Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

    ( 5 ) Voir points 25 à 40 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322).

    ( 6 ) Voir arrêts du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377) ; du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516) ; du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, ci-après l’« arrêt Pi-Design ») ; du 18 septembre 2014, Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233), ainsi que du 16 septembre 2015, Société des Produits Nestlé (C‑215/14, EU:C:2015:604). Je renvoie également à la jurisprudence concernant les dispositions analogues de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1) ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25).

    ( 7 ) En l’espèce, les dispositions matérielles applicables sont celles du règlement no 207/2009, en vigueur le 1er septembre 2009, date d’adoption de la décision litigieuse de l’EUIPO. Les dispositions anciennes, en vigueur à la date de dépôt de la demande en nullité, de contenu identique, s’appliquent pour le reste [article 7 du règlement (CE) no 40/94, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1)].

    ( 8 ) L’article 52, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous a) à c) et e), du règlement no 207/2009 contiennent des dispositions analogues.

    ( 9 ) Arrêt du 14 septembre 2010 (C‑48/09 P, EU:C:2010:516).

    ( 10 ) Arrêt du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377).

    ( 11 ) Arrêt du 12 novembre 2008, LegoJuris/OHMI – Mega Brands (Brique de Lego rouge) (T‑270/06, EU:T:2008:483).

    ( 12 ) Les autres moyens concernent la violation des dispositions suivantes du règlement no 207/2009 : l’article 7, paragraphe 1, sous e), iii) (troisième moyen), l’article 7, paragraphe 1, sous b) (quatrième moyen), l’article 7, paragraphe 1, sous c) (cinquième moyen), et l’article 76, paragraphe 1 (sixième moyen).

    ( 13 ) Voir points 27 et 28 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322).

    ( 14 ) Voir, s’agissant de la disposition analogue de l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive 89/104, arrêt du 18 septembre 2014, Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 20), ainsi que points 54 et 55 des conclusions que j’ai présentées dans cette affaire (EU:C:2014:322).

    ( 15 ) Voir arrêt du 18 septembre 2014, Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, points 25 et 26).

    ( 16 ) Voir arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 43), et, s’agissant de l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive 89/104, arrêt du 18 juin 2002, Philips (C‑299/9, EU:C:2002:377, point 78).

    ( 17 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 45).

    ( 18 ) Voir points 35 à 37 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322).

    ( 19 ) Arrêt du 18 septembre 2014 (C‑205/13, EU:C:2014:2233).

    ( 20 ) Arrêt du 18 septembre 2014, Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, points 24 et 27).

    ( 21 ) La requérante utilise le terme « Magic cube » (cube magique), ce qui évoque un jeu mathématique bien connu (le carré magique).

    ( 22 ) Voir, notamment, arrêt du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI (C‑252/15 P, EU:C:2016:178, point 69), et ordonnance du 7 mai 2015, Adler Modemärkte/OHMI (C‑343/14 P, EU:C:2015:310, point 43).

    ( 23 ) Voir point 53 et jurisprudence citée des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Commission/Anko (C‑78/14 P, EU:C:2015:153).

    ( 24 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 48).

    ( 25 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 51 et 52).

    ( 26 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 53, 54 et 56).

    ( 27 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 59).

    ( 28 ) Arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 68, 71 et 72), ainsi que du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, points 46 à 48).

    ( 29 ) Arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 84 et 85), ainsi que du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, point 61).

    ( 30 ) Voir dans le même sens arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748, points 48 à 52).

    ( 31 ) Arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, points 57 et 58).

    ( 32 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 74).

    ( 33 ) Voir dans le même sens arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 84 et 85), ainsi que du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, point 61).

    ( 34 ) Voir également arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, point 50).

    ( 35 ) Arrêt du 18 juin 2002, Philipps (C‑299/99, EU:C:2002:377).

    ( 36 ) Arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516).

    ( 37 ) Voir dans le même sens arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, points 52 et 61). La Cour a admis que des informations concernant la période postérieure à l’enregistrement soient prises en compte, à la condition qu’elles permettent de tirer des conclusions sur la situation sur le marché au jour du dépôt de la demande.

    ( 38 ) L’EUIPO soulève cette réserve dans son mémoire en réponse.

    ( 39 ) Voir dans le même sens arrêt du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, points 52 à 54 et 61), en référence à l’arrêt du 8 mai 2012, Yoshida Metal Industry/OHMI-Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface avec des pois noirs) (T‑416/10, EU:T:2012:222, points 30 et 31).

    ( 40 ) Par exemple, la forme du « cube Soma » : un casse-tête inventé par le scientifique danois Piet Hein, le but étant d’assembler sept pièces de manière à former un cube de 3 x 3 x 3.

    ( 41 ) Comme l’a constaté le Tribunal au point 74 de l’arrêt attaqué, il pourrait s’agir de la forme d’un autre solide de Platon, comme un tétraèdre, un octaèdre, un dodécaèdre ou un icosaèdre.

    ( 42 ) Voir dans le même sens arrêt du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 81).

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