Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62013CC0340

    Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 16 octobre 2014.
    bpost SA contre Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT).
    Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
    Renvoi préjudiciel - Services postaux - Directive 97/67/CE - Article 12 - Prestataire de service universel - Rabais quantitatifs - Application aux intermédiaires regroupant des envois postaux - Obligation de non-discrimination.
    Affaire C-340/13.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2302

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    MME ELEANOR SHARPSTON

    présentées le 16 octobre 2014 ( 1 )

    Affaire C‑340/13

    bpost SA

    contre

    Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT)

    [demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique)]

    «Services postaux — Directive 97/67/CE — Relations entre le prestataire du service universel et les intermédiaires regroupant des envois postaux — Tarifs spéciaux — Interdiction de discrimination — Rabais quantitatifs»

    1. 

    Bpost SA (ci-après «bpost») est un prestataire du service postal universel (ci-après un «PSU») ( 2 ) en Belgique. Outre les tarifs standard applicables au service de la poste aux lettres, bpost applique deux types de réductions de prix. Les «rabais opérationnels» sont octroyés lorsqu’un client prépare les envois avant de les remettre à bpost (par exemple, en les triant en fonction du format, de l’emballage et du poids ou en confiant des envois prétriés aux centres de tri de bpost). Les «rabais quantitatifs» sont calculés exclusivement en fonction des recettes que perçoit bpost grâce à un client au cours d’une période de référence. Avant l’année 2010, les intermédiaires (entreprises regroupant le courrier émanant de plusieurs expéditeurs) pouvaient agréger le volume des envois qu’ils traitaient afin d’obtenir des rabais quantitatifs plus importants. Cette possibilité a pris fin en 2010, lorsque bpost a décidé de calculer les rabais quantitatifs en fonction des volumes de courrier que chaque expéditeur décide de poster.

    2. 

    Au mois de juillet 2011, l’autorité nationale de régulation des services postaux en Belgique (Institut belge des services postaux et des télécommunications, ci‑après l’«IBPT») a conclu à l’incompatibilité de la nouvelle méthode de calcul de bpost avec les dispositions de la loi belge transposant le principe de non‑discrimination inscrit à l’article 12, cinquième tiret, de la directive 97/67/CE ( 3 ). Cette décision reposait en substance sur la constatation selon laquelle il existait une différence de traitement entre les intermédiaires et les expéditeurs individuels d’envois en nombre dès lors que, pour un volume déterminé de courrier confié à bpost, un expéditeur individuel d’envois en nombre avait droit à un rabais quantitatif plus important qu’un intermédiaire. Bpost a interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) qui s’interroge, d’une part, sur le champ d’application de l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux et, d’autre part, sur le point de savoir si les intermédiaires et les expéditeurs individuels d’envois en nombre se trouvent dans une situation comparable s’agissant des rabais quantitatifs. C’est dans ce contexte que la Cour est invitée à préciser la portée de son raisonnement dans l’affaire Deutsche Post e.a. ( 4 ), dans le cadre de laquelle elle a considéré que si un PSU accorde des rabais opérationnels à des expéditeurs individuels, les intermédiaires devraient également en bénéficier aux mêmes conditions.

    Droit applicable

    3.

    La directive de 1997 a engagé le processus de la libéralisation graduelle du marché des services postaux. Cette directive a établi des règles communes concernant notamment la prestation d’un service postal universel au sein de la Communauté européenne et les principes tarifaires pour la prestation du service universel ( 5 ).

    4.

    Conformément à la directive sur les services postaux, un «réseau postal» est l’ensemble de l’organisation et des moyens de toute nature mis en œuvre par le ou les PSU, en vue notamment de la levée des envois postaux couverts par une obligation de service universel aux points d’accès sur l’ensemble du territoire, l’acheminement et le traitement de ces envois du point d’accès du réseau postal jusqu’au centre de distribution, et la distribution des envois aux destinataires ( 6 ). Le terme «PSU» fait référence au prestataire de services postaux public ou privé qui assure la totalité ou une partie du service postal universel dans un État membre et dont l’identité a été communiquée à la Commission européenne ( 7 ). L’«expéditeur» est toute personne physique ou morale qui est à l’origine des envois postaux ( 8 ).

    5.

    Le considérant 26 de la directive sur les services postaux indique que les tarifs appliqués au service postal universel doivent être objectifs, transparents, non discriminatoires et orientés sur les coûts, afin d’assurer une saine gestion du service universel et d’éviter des distorsions de concurrence. Ces principes sont reflétés à l’article 12 de la directive sur les services postaux. Dans la directive de 1997, cette disposition s’énonçait comme suit:

    «Les États membres prennent des mesures pour que les tarifs de chacun des services faisant partie de la prestation du service universel soient conformes aux principes suivants:

    les prix doivent être abordables et doivent être tels que tous les utilisateurs aient accès aux services offerts,

    les prix doivent être orientés sur les coûts; les États membres peuvent décider qu’un tarif unique est appliqué sur l’ensemble de leur territoire national,

    l’application d’un tarif unique n’exclut pas le droit pour le ou les prestataires du service universel de conclure des accords tarifaires individuels avec les clients,

    les tarifs doivent être transparents et non discriminatoires.»

    6.

    Dans sa proposition qui a conduit à l’adoption de la directive de 2002, la Commission a indiqué que les modifications proposées de la directive de 1997 avaient pour objet de «définir clairement les étapes de la poursuite de l’ouverture du secteur postal de la Communauté selon un processus planifié qui laissera tout le temps nécessaire au marché dans son ensemble, et aux prestataires du service universel en particulier, pour mener à bien la modernisation structurelle nécessaire et s’adapter à une concurrence accrue dans un contexte réglementaire stable et prévisible» ( 9 ).

    7.

    La Commission a observé dans ce contexte que, alors que des tarifs spéciaux étaient proposés par le PSU «à de nombreuses entreprises ou expéditeurs d’envois en nombre ainsi qu’aux intermédiaires sur la base des coûts évités», des plaintes avaient été déposées à ce sujet contre certains opérateurs historiques et que, par conséquent, il était nécessaire d’établir clairement «que les principes de transparence et de non‑discrimination doivent toujours être respectés dans la mise en œuvre de ces tarifs spéciaux et de l’ensemble des conditions qui s’y rapportent» ( 10 ). La Commission a donc proposé d’insérer dans l’article 9 de la directive de 1997 (qui fait partie du chapitre 4 relatif aux «Conditions régissant la prestation des services non réservés et l’accès au réseau») un nouveau tiret soulignant l’application du principe de non-discrimination dans le contexte des tarifs spéciaux.

    8.

    Le tiret proposé a été adopté tel quel, bien qu’il ait finalement été inséré non pas dans l’article 9 mais dans l’article 12 (qui fait partie du chapitre 5 intitulé «Principes tarifaires et transparence des comptes»). Le considérant 29 de la directive de 2002 adopte la formulation de la proposition de la Commission de 2000 lorsqu’il énonce que «[l]es [PSU] proposent habituellement des services, par exemple aux entreprises, aux intermédiaires qui groupent les envois de plusieurs clients, ainsi qu’aux expéditeurs d’envois en nombre, qui permettent à ces clients d’entrer dans la chaîne postale en des points différents et à des conditions différentes de ce qui est le cas pour le service de la poste aux lettres traditionnel» et que «[c]e faisant, il convient qu’[ils] respectent les principes de transparence et de non-discrimination, à la fois dans les relations entre les tiers et dans les relations entre les tiers et les [PSU] fournissant des services équivalents […]».

    9.

    Ainsi, dans la version résultant de la modification apportée par la directive de 2002, le cinquième tiret ajouté dans l’article 12 de la directive sur les services postaux disposait:

    «Lorsqu’ils appliquent des tarifs spéciaux, par exemple pour les services aux entreprises, aux expéditeurs d’envois en nombre ou aux intermédiaires chargés de grouper les envois de plusieurs clients, les prestataires du service universel sont tenus de respecter les principes de transparence et de non-discrimination en ce qui concerne tant les tarifs proprement dits que les conditions qui s’y rapportent. Lesdits tarifs tiennent compte des coûts évités par rapport aux services traditionnels comprenant la totalité des prestations proposées concernant la levée, le transport, le tri et la distribution des correspondances individuelles et s’appliquent, tout comme les conditions y afférentes, de la même manière tant dans les relations entre les tiers que dans les relations entre les tiers et les prestataires du service universel fournissant des services équivalents. Tous ces tarifs sont à la disposition des particuliers utilisant les services postaux dans des conditions similaires.»

    10.

    La directive de 2008 avait pour objet d’achever le processus de libéralisation engagé par la directive de 1997 et de confirmer la date définitive de l’achèvement du marché intérieur des services postaux ( 11 ).

    11.

    Dans sa proposition qui a débouché sur l’adoption de la directive de 2008, la Commission a notamment souligné qu’il était vital d’augmenter la souplesse tarifaire des PSU pour leur permettre de faire face à la concurrence accrue – particulièrement dans les segments du marché les plus rentables comme le courrier commercial – à laquelle ils seraient exposés du fait de la libéralisation complète des marchés postaux, et pour réduire, par voie de conséquence, les risques menaçant l’équilibre financier du service universel dans ce nouvel environnement ( 12 ). Une telle souplesse a donc été considérée comme un outil essentiel pour garantir le financement du service universel, préoccupation qui a été au cœur de l’ensemble du processus législatif ayant abouti à l’adoption de la directive de 2008. Par conséquent, la deuxième phrase, deuxième tiret, de l’article 12 a été reformulée pour limiter l’uniformité des tarifs imposée par l’État essentiellement aux envois soumis au tarif unitaire (par exemple, les timbres) ( 13 ).

    12.

    La nécessité d’une flexibilité tarifaire accrue est également reflétée dans la première phrase du considérant 39 de la directive de 2008, qui indique que «[l]a fourniture, par les prestataires du service universel, de services à tous les utilisateurs, y compris les entreprises, les expéditeurs d’envois en nombre et les intermédiaires qui groupent les envois de plusieurs utilisateurs peut faire l’objet de conditions tarifaires plus souples, conformément au principe d’orientation des tarifs sur les coûts».

    13.

    En outre, la référence à l’obligation des PSU de «[tenir] compte des coûts évités» dans le contexte des tarifs spéciaux a été retirée de l’article 12, cinquième tiret, qui dispose à présent:

    «lorsqu’ils appliquent des tarifs spéciaux, par exemple pour les services aux entreprises, aux expéditeurs d’envois en nombre ou aux intermédiaires chargés de grouper les envois de plusieurs utilisateurs, les prestataires du service universel respectent les principes de transparence et de non-discrimination en ce qui concerne tant les tarifs proprement dits que les conditions qui s’y rapportent. Les tarifs s’appliquent, tout comme les conditions y afférentes, de la même manière tant dans les relations entre les tiers que dans les relations entre les tiers et les prestataires du service universel fournissant des services équivalents. Tous ces tarifs sont également à la disposition des utilisateurs, notamment les particuliers et les petites et moyennes entreprises, qui ont recours aux services postaux dans des conditions similaires».

    Faits au principal, procédure au principal et questions préjudicielles

    14.

    Comme mentionné ci-dessus, il existe deux catégories de réductions de prix accordées par les PSU dans le secteur postal.

    15.

    Les «rabais opérationnels» récompensent le dépôt de courrier prétrié (au‑delà d’un volume minimal déterminé) auprès du PSU. Ils sont destinés à tenir compte des économies de coûts résultant de la levée et du tri de ce courrier en fonction, par exemple, du format, de l’emballage et du poids ainsi que de la remise dudit courrier aux centres de tri du PSU. Les rabais opérationnels requièrent habituellement un «accès en aval» au réseau postal du PSU, en particulier à ses infrastructures de tri et/ou de distribution.

    16.

    Les «rabais quantitatifs» récompensent l’envoi d’importants volumes de courrier au cours d’une période de référence, indépendamment de la question de savoir si ce courrier est prétrié ou non lorsqu’il est remis au PSU. Ils sont de nature purement commerciale. Leur objectif est d’augmenter la demande de services postaux.

    17.

    Bpost applique trois catégories de tarifs aux services postaux: i) le tarif standard, qui consiste en un prix par envoi; ii) les tarifs réduits ou préférentiels, accordés aux clients qui déposent des quantités minimales de courrier prétrié et qui peuvent par conséquent être qualifiés de rabais opérationnels, et iii) les «tarifs conventionnels», qui sont destinés aux volumes très élevés de courrier («les envois en nombre») et qui font l’objet d’une négociation entre bpost et ses clients.

    18.

    Les tarifs conventionnels de bpost, qui concernent principalement le «publipostage» et le «courrier administratif» ( 14 ) découlent de trois types de contrats: i) les contrats «Client direct», conclus directement avec des expéditeurs professionnels; ii) les contrats «Proxy», conclus avec des intermédiaires chargés par des expéditeurs de la gestion exclusive de leur courrier, et iii) les contrats «Intermédiaire», conclus avec des intermédiaires qui remettent à bpost des envois en nombre émanant de plusieurs expéditeurs indéterminés au moment de la conclusion du contrat. La Commission a défini l’«intermédiaire» dans le secteur postal comme «tout opérateur économique qui intervient, entre l’expéditeur et le [PSU], par la levée, l’acheminement et/ou le pré-tri des objets postaux, avant de les insérer dans le réseau postal public du même pays ou d’un autre pays» ( 15 ).

    19.

    En 2010, les rabais quantitatifs de bpost relatifs aux envois de moins de 50 grammes s’échelonnaient entre 10,4 % (rabais de classe 1) et 39,7 % (rabais de classe 11), alors que les rabais quantitatifs relatifs aux envois de plus de 50 grammes s’échelonnaient entre 9,7 % (rabais de classe 1) et 50,4 % (rabais de classe 12) ( 16 ). Les rabais appliqués dépendaient des recettes que bpost tirait du volume de courrier qui lui était remis au cours d’une période de référence ( 17 ), indépendamment du type de contrat tarifaire ( 18 ).

    20.

    Avant l’année 2010, bpost admettait l’«agrégation» dans le cadre des rabais quantitatifs. Ainsi, un intermédiaire pouvait agréger les volumes de courrier traité pour différents clients afin d’obtenir des taux de ristournes quantitatives plus élevés.

    21.

    En 2010, bpost a remplacé ce système par un modèle «par expéditeur», en vertu duquel un intermédiaire a droit à des rabais quantitatifs calculés en fonction des volumes respectifs de courrier de chacun de ses clients pris séparément. Bpost indique que cette modification était destinée à répondre à la pratique d’un nombre limité d’intermédiaires qui agrégeaient de manière purement administrative (c’est‑à-dire sans effectuer aucune tâche préparatoire) le courrier émanant de divers expéditeurs afin de bénéficier «artificiellement» des plus hauts niveaux de remises quantitatives.

    22.

    Pour illustrer la différence entre les deux modèles, supposons qu’un intermédiaire ait regroupé du courrier émanant de trois expéditeurs différents. Sous l’empire du système en vigueur avant l’année 2010, il aurait, par exemple, pu obtenir un rabais, mettons, de 20 % à raison de leurs envois combinés au cours d’une période de référence donnée, alors même que le volume de courrier de chaque expéditeur n’aurait pu donner lieu qu’à un rabais de 10 % s’il avait été envoyé séparément. Dans le cadre du système de l’année 2010, ce même intermédiaire ne pourrait obtenir que le rabais de 10 % applicable au courrier de chaque expéditeur.

    23.

    Le 20 juillet 2011, l’IBPT a considéré que le modèle «par expéditeur» donnait lieu à une différence de traitement entre les expéditeurs individuels d’envois en nombre et les intermédiaires s’agissant du calcul des rabais quantitatifs, alors que ces deux catégories se trouvaient dans une situation comparable par rapport aux services postaux fournis par bpost. Par conséquent, il a infligé à bpost une amende de 2250000 euros pour violation de la législation belge transposant la règle de non-discrimination figurant à l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux.

    24.

    Bpost a interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de Bruxelles, qui a sursis à statuer et posé les questions préjudicielles suivantes:

    «1)

    L’article 12, cinquième tiret, de la directive [sur les services postaux] doit‑il être interprété en ce sens qu’il impose une obligation de non‑discrimination, notamment dans les relations entre le [PSU] et les intermédiaires, en ce qui concerne les rabais opérationnels octroyés par ce prestataire, les rabais exclusivement quantitatifs restant soumis à l’application de l’article 12, quatrième tiret?

    2)

    Si la réponse à la première question est positive, le [système de] rabais exclusivement quantitatif[s] [appliqué après 2010] répond-il à l’obligation de non-discrimination prévue à l’article 12, quatrième tiret, lorsque la différenciation de prix qu’il instaure est basée sur un facteur objectif eu égard au marché géographique et de services pertinent et qu’elle n’opère pas un effet d’exclusion ou d’induction de fidélité?

    3)

    Si la réponse à la première question est négative, le rabais quantitatif octroyé à l’intermédiaire viole-t-il le principe de non‑discrimination prévu à l’article 12, cinquième tiret, lorsque sa taille n’égale pas le rabais qui est octroyé à un expéditeur qui dépose un nombre d’envois équivalent, mais à l’ensemble des rabais qui sont octroyés à l’ensemble des expéditeurs sur la base du nombre d’envois de chacun de ces expéditeurs dont il a agrégé les envois?»

    25.

    Des observations écrites ont été déposées par bpost, le Royaume de Belgique, la République d’Italie, le Royaume de Suède et la Commission. Lors de l’audience qui s’est tenue le 11 juin 2014, bpost, le Royaume de Belgique, la République française et la Commission ont présenté des observations orales.

    Analyse juridique

    26.

    Je commencerai par analyser la question de savoir quelle version de la directive sur les services postaux s’applique s’agissant du présent renvoi préjudiciel. J’examinerai ensuite si l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux régit les rabais quantitatifs avant d’aborder la question centrale de savoir si le modèle «par expéditeur» est compatible avec le principe selon lequel les tarifs du service postal universel doivent être non discriminatoires.

    La version pertinente de la directive sur les services postaux

    27.

    Bien que les questions de la juridiction de renvoi portent sur l’article 12 de la directive sur les services postaux tel que modifié par les directives de 2002 et de 2008, bpost soutient que c’est la version résultant de la directive de 2002 (qui contenait encore une référence aux «coûts évités») qui s’applique à la procédure au principal.

    28.

    Le délai de transposition de la directive de 2008 courait jusqu’au 31 décembre 2010 et le Royaume de Belgique a dûment transposé celle-ci en droit national à cette date. Dans la mesure où l’affaire au principal porte sur les rabais quantitatifs accordés par bpost en 2010, il me semble que, d’un point de vue formel, le présent litige est régi par la version de l’article 12 résultant de la directive de 2002.

    29.

    La directive de 2008 est toutefois entrée en vigueur le 27 février 2008. Comme l’IBPT l’a fait valoir à juste titre dans la décision litigieuse dans le cadre de la procédure au principal, cette circonstance doit être prise en considération pour déterminer sur quelle version de la directive sur les services postaux la Cour devrait se fonder en l’espèce. En effet, il est de jurisprudence constante que, pendant le délai de transposition d’une directive, les États membres destinataires de celle-ci doivent s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive ( 19 ). Il s’ensuit que, dès la date à laquelle une directive est entrée en vigueur, les juridictions des États membres doivent s’abstenir dans la mesure du possible d’interpréter le droit interne d’une manière qui risquerait de compromettre sérieusement, après l’expiration du délai de transposition, la réalisation de l’objectif poursuivi par cette directive ( 20 ).

    30.

    Dans la mesure où la directive de 2008 était déjà entrée en vigueur au moment des faits ayant donné lieu à la procédure au principal, l’interprétation sollicitée par la cour d’appel de Bruxelles, qui porte sur la version de l’article 12 résultant de ladite directive, doit être considérée comme utile à la juridiction de renvoi afin de lui permettre de statuer dans l’affaire dont elle est saisie en se conformant à l’obligation que je viens de rappeler ( 21 ).

    31.

    Par conséquent, j’estime que la Cour devrait répondre aux questions posées en se fondant sur cette version.

    Première question: la portée de l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux

    32.

    Par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux et sur son articulation avec le principe général, inscrit au quatrième tiret, selon lequel les tarifs des services postaux doivent être non discriminatoires.

    33.

    Je me dois d’indiquer d’emblée que, d’après moi, la réponse à la première question n’a pas d’incidence sur la problématique de discrimination soulevée par la juridiction de renvoi dans ses deuxième et troisième questions. En effet, l’article 12, quatrième tiret, indique clairement que tous les tarifs du service universel appliqués par les PSU doivent être en tout état de cause non discriminatoires.

    34.

    Si le principe général selon lequel les tarifs des services postaux universels doivent être non discriminatoires figurait déjà dans la version initiale de la directive sur les services postaux, ce n’est qu’avec la modification résultant de la directive de 2002 qu’un cinquième tiret relatif aux «tarifs spéciaux» a été ajouté à l’article 12. Ce tiret impose aux PSU de respecter les principes de transparence et de non-discrimination lorsqu’ils appliquent de tels «tarifs spéciaux». La directive sur les services postaux mentionne, à titre d’illustrations, les services aux entreprises, aux expéditeurs d’envois en nombre ou aux intermédiaires chargés de grouper les envois de plusieurs utilisateurs.

    35.

    Dans l’arrêt Deutsche Post e.a. ( 22 ), la Cour a considéré que l’article 12, cinquième tiret, a spécifiquement vocation à régler une situation dans laquelle, «de manière encore plus libérale que ne l’impose la [directive sur les services postaux]», un PSU accorde à certains de ses clients «l’accès à son réseau postal à des points autres que les points d’accès traditionnels et leur consent à cet effet des tarifs spéciaux». Par conséquent, les rabais opérationnels accordés aux clients effectuant un travail de préparation du courrier et sollicitant par conséquent un accès à la chaîne postale à des conditions et en des points différents de ceux du service de la poste aux lettres traditionnel sont visés par cette disposition.

    36.

    Cependant, l’arrêt Deutsche Post e.a. (EU:C:2008:141) portait exclusivement sur les rabais opérationnels. La question qui se pose dans la présente affaire consiste à savoir si l’article 12, cinquième tiret, s’applique également aux rabais quantitatifs. Ces derniers relèvent-ils de la notion de «tarifs spéciaux»?

    37.

    Cette question se pose en particulier parce que, dans la version de l’article 12 résultant de la directive de 2002, ces tarifs spéciaux devaient «[tenir] compte des coûts évités par rapport aux services traditionnels comprenant la totalité des prestations proposées concernant la levée, le transport, le tri et la distribution des correspondances individuelles». En outre, bien que la directive de 2008 ait supprimé cette phrase de l’article 12, le considérant 39 de cette dernière énonçait toujours que «[l]es tarifs devraient tenir compte des coûts évités par rapport aux services traditionnels comprenant la totalité des prestations proposées concernant la levée, le tri, l’acheminement et la distribution des envois postaux individuels».

    38.

    Bpost et le gouvernement français soutiennent en substance que le fait que la référence aux «coûts évités» figure à la fois dans la version de 2002 de l’article 12, cinquième tiret, et dans le préambule de la directive de 2008 indique qu’il convient d’interpréter ce tiret comme s’appliquant exclusivement aux rabais opérationnels, lesquels sont accordés en contrepartie de la préparation du courrier préalablement à son dépôt et des économies de coûts qui en découlent pour le PSU. Les gouvernements belge, italien et suédois ainsi que la Commission soutiennent en revanche que les rabais quantitatifs supposent eux aussi l’octroi de «tarifs spéciaux» par le PSU, de sorte que tant les rabais opérationnels que quantitatifs dérogent aux tarifs «normaux» applicables au service de la poste aux lettres traditionnel. Selon le gouvernement belge, la référence aux «coûts évités» figurant à l’article 12 lui-même et/ou dans le préambule de la directive de 2008 a seulement pour objet de refléter le principe d’orientation sur les coûts dans le cadre des rabais opérationnels. Il ne saurait être interprété comme limitant la notion de «tarifs spéciaux».

    39.

    La directive sur les services postaux ne définit pas ce que sont les «tarifs spéciaux». Les trois exemples fournis à l’article 12, cinquième tiret, ne sont pas particulièrement éclairants. Il est vrai que la référence aux «entreprises, aux expéditeurs d’envois en nombre ou aux intermédiaires chargés de grouper les envois de plusieurs utilisateurs» laisse entendre que les tarifs spéciaux concernent des utilisateurs qui envoient des volumes de courrier supérieurs à la normale. Néanmoins, comme je l’ai déjà exposé, la quantité de courrier remise au PSU est un élément qui intervient – même si c’est de manière très différente – à la fois dans le calcul des rabais opérationnels et dans celui des rabais quantitatifs ( 23 ).

    40.

    La règle figurant dans la version de 2002 du cinquième tiret, selon laquelle les tarifs spéciaux «tiennent compte des coûts évités par rapport aux services traditionnels comprenant la totalité des prestations proposées concernant la levée, le transport, le tri et la distribution des correspondances individuelles», ne fournit pas non plus d’indice déterminant. Cette phrase peut être comprise soit comme englobant la notion même de «tarifs spéciaux» – auquel cas ceux-ci visent exclusivement les rabais opérationnels –, soit comme ne faisant que rappeler le principe de l’orientation sur les coûts dans le domaine des rabais opérationnels, sans préjudice de l’application du cinquième tiret aux rabais quantitatifs. Il en va de même s’agissant de la référence aux «coûts évités» figurant dans le préambule de la directive de 2008.

    41.

    Cependant, les travaux préparatoires de la directive de 2002 ( 24 ) tendent à indiquer que ces «tarifs spéciaux» concernent uniquement la situation dans laquelle un PSU évite des coûts en permettant à ceux de ses clients qui ont exécuté eux-mêmes une partie du traitement postal d’accéder à la chaîne postale en des points différents de ceux où les envois postaux sont habituellement confiés au réseau postal public, tels que les centres de tri. Il ressort de la proposition de la Commission de 2000 que l’ajout d’un cinquième tiret à l’article 12 a été jugé nécessaire en réaction à la pratique d’un certain nombre de PSU qui traitaient différemment plusieurs catégories de clients s’agissant des rabais opérationnels. L’objectif de la modification était par conséquent de préciser que, lorsqu’ils accordent de tels rabais, les PSU doivent le faire de façon non discriminatoire, notamment entre les expéditeurs et les intermédiaires. De la même manière, le cinquième tiret requiert que les conditions afférentes aux rabais opérationnels – par exemple, les conditions relatives aux quantités minimales ou maximales de courrier prétrié donnant lieu à un rabais ou les conditions relatives à leur emballage – s’appliquent quelle que soit l’identité du client ( 25 ).

    42.

    Le fait que le nouveau tiret ait été inséré non pas dans le chapitre 4 («Conditions régissant la prestation des services non réservés et l’accès au réseau») comme l’avait proposé la Commission, mais dans le chapitre 5 («Principes tarifaires et transparence des comptes»), ne remet pas, selon moi, cette conclusion en cause. Comme la Cour l’a clairement indiqué dans l’affaire Deutsche Post e.a., la nouvelle disposition ne visait pas à régir l’accès au réseau postal en tant que tel, en obligeant les PSU à accorder un accès à la chaîne postale à des conditions et en des points différents de ceux du service de la poste aux lettres traditionnel ( 26 ), mais plutôt à éviter une discrimination tarifaire lorsqu’un PSU décide d’accorder un tel accès. Selon moi, cela pourrait également expliquer pourquoi les membres français et portugais du groupe «Postes» du Conseil de l’Union européenne ont estimé «qu’il vaudrait mieux» que le nouveau tiret figure à l’article 12 de la directive sur les services postaux plutôt qu’à l’article 9 ( 27 ).

    43.

    Je considère par conséquent que, dans la version de la directive sur les services postaux résultant de la directive de 2002, l’article 12, cinquième tiret, visait uniquement les rabais opérationnels.

    44.

    Cette conclusion, qui est en outre corroborée par le considérant 29 de la directive de 2002, n’est pas remise en cause par l’argument des gouvernements belge et italien, soutenu par la Commission, selon lequel les rabais quantitatifs sont en tout état de cause régis par cette disposition, car le traitement de plus grands volumes de courrier permet aux PSU de réaliser des économies de coûts sous la forme d’économies d’échelle.

    45.

    Il est constant que le traitement et la distribution de plus grands volumes de courrier, qu’encouragent les rabais quantitatifs, permettent aux PSU de bénéficier d’économies d’échelle en répartissant les coûts fixes sur un nombre plus important d’envois postaux. Je ne suis pas convaincue cependant que de telles économies d’échelle quasi automatiques relèvent de la notion de «coûts évités» figurant dans la directive sur les services postaux.

    46.

    Comme je l’ai déjà indiqué, la référence aux «coûts évités» figurant dans la version de 2002 du cinquième tiret concernait l’exécution d’une partie de la chaîne de traitement du courrier par des tiers. Les économies d’échelle résultent davantage de l’augmentation du volume de courrier total traité par le PSU que d’une modification du service de la poste aux lettres traditionnel fourni par ce PSU. Par ailleurs, il est difficile de prévoir l’effet précis des rabais quantitatifs sur la demande de services postaux. Les économies d’échelle effectives ne peuvent être mesurées que par référence au volume total de courrier traité par le PSU. Dès lors, il me semble difficile, voire impossible, de déterminer à l’avance (lors de la fixation des «tarifs spéciaux») la part de ces économies (et donc des coûts évités) qui pourrait être spécifiquement liée à l’augmentation de la demande de services postaux résultant des rabais quantitatifs. En revanche, il est plus facile de mesurer les coûts évités par le PSU lorsqu’un tiers exécute une partie de la chaîne de traitement du courrier.

    47.

    La suppression de la référence aux «coûts évités» à l’article 12, cinquième tiret, par la directive de 2008 a-t-elle modifié le champ d’application de cette disposition?

    48.

    À cet égard, je constate que la proposition initiale de la Commission de ce qui allait devenir la directive de 2008 ne suggérait pas une telle modification. Dans ce contexte, la Commission a fait remarquer que, en ce qui concerne «les parties ‘tri’ et ‘distribution’ du réseau […], les États membres doivent continuer à se conformer à l’article 12, cinquième tiret, et peuvent, en fonction des circonstances nationales, introduire d’autres mesures garantissant l’accès au réseau postal public à des conditions transparentes et non discriminatoires» ( 28 ). Selon moi, cela confirme (bien que de manière implicite) que la Commission n’avait pas l’intention de redéfinir la notion de «tarifs spéciaux» figurant au cinquième tiret pour y inclure les rabais quantitatifs.

    49.

    Je ne vois aucune raison de considérer que la suppression ultérieure de la référence aux «coûts évités» à l’article 12 impliquait une telle redéfinition.

    50.

    En premier lieu, comme le soulignent à juste titre bpost et le gouvernement français, le considérant 39 de la directive de 2008 continue à faire référence aux «coûts évités» relativement aux services fournis par le PSU par rapport aux services traditionnels comprenant la totalité des prestations proposées concernant la levée, le tri, l’acheminement et la distribution des envois postaux individuels.

    51.

    En second lieu, les travaux préparatoires de la directive de 2008 ( 29 ) ne contiennent aucun élément indiquant que la référence aux «coûts évités» aurait été retirée de l’article 12, cinquième tiret, afin de garantir l’application future de cette disposition tant aux rabais opérationnels qu’aux rabais quantitatifs.

    52.

    À mon avis, les travaux préparatoires vont plutôt dans le sens des observations formulées lors de l’audience par le gouvernement français, selon lesquelles la nouvelle formulation du cinquième tiret traduit un compromis concernant la souplesse dont les PSU devraient bénéficier dans la fixation de leurs tarifs.

    53.

    Ce gouvernement a expliqué que, dans le contexte de la poursuite de la libéralisation des marchés postaux, un certain nombre de PSU ont rappelé la nécessité d’accroître la souplesse tarifaire (c’est-à-dire de diminuer les contraintes imposées par les autorités publiques) pour être en mesure de s’adapter à une concurrence accrue.

    54.

    Tout en faisant écho à cette préoccupation, la proposition de la Commission de 2006 n’a pas envisagé d’abandonner la règle selon laquelle les tarifs spéciaux devraient tenir compte des coûts évités par le PSU si le client exécute une partie de la chaîne de traitement du courrier. Dans ces circonstances, un certain nombre de PSU ont pu craindre qu’ils ne seraient pas autorisés à adapter leurs tarifs spéciaux à un environnement concurrentiel en mutation, y compris, le cas échéant, en octroyant des rabais opérationnels plus importants que ceux qui résulteraient mécaniquement de la répercussion des coûts évités correspondants ( 30 ). C’est dans ce contexte que le Parlement européen a proposé d’insérer un considérant supplémentaire dans le préambule de la directive de 2008, en soulignant qu’«[i]l est nécessaire que la fourniture, par les [PSU], de services aux entreprises, aux expéditeurs d’envois en nombre et aux intermédiaires chargés de grouper les envois de plusieurs clients se fasse dans des conditions tarifaires plus flexibles» ( 31 ).

    55.

    La solution qui a prévalu au sein du Conseil – en dépit de l’opposition exprimée par la Commission et quelques États membres – a consisté à retirer la référence aux «coûts évités» à l’article 12, cinquième tiret, en harmonie avec la souplesse tarifaire accrue accordée aux PSU ( 32 ). Toutefois, la formulation finale du considérant 39 de la directive de 2008, comparée à celle de la proposition du Parlement, suggère que cette suppression faisait partie d’un compromis: d’une part, ce considérant précise que les PSU devraient bénéficier d’une plus grande souplesse tarifaire, bien que «conformément au principe d’orientation des tarifs sur les coûts»; d’autre part, il reprend dans sa seconde phrase (avec des modifications minimes) la référence aux coûts évités qui figurait antérieurement à l’article 12, cinquième tiret ( 33 ).

    56.

    J’en conclus donc que le retrait de la référence aux «coûts évités» à l’article 12, cinquième tiret, résultant de la directive de 2008, n’a pas modifié le champ d’application matériel de cette disposition, qui concerne uniquement les rabais opérationnels.

    57.

    Les travaux préparatoires précités renforcent également mon point de vue selon lequel la question substantielle de discrimination soulevée par la juridiction de renvoi ne porte pas sur l’application du quatrième ou (d’une certaine version) du cinquième tiret de l’article 12. En insérant un cinquième tiret dans cette disposition, le législateur de l’Union n’avait clairement pas l’intention de toucher à l’interdiction générale de discrimination tarifaire déjà inscrite dans la directive de 1997. Comme l’indique la proposition de la Commission de 2000, son objectif était plutôt de remédier aux pratiques discriminatoires subsistantes d’un certain nombre de PSU historiques en ce qui concerne les rabais opérationnels.

    58.

    Par conséquent, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas mon point de vue et jugerait que le cinquième tiret s’applique tant aux rabais quantitatifs qu’aux rabais opérationnels, la réponse que je proposerai ci-après à la deuxième question pourrait s’appliquer par analogie à la troisième question.

    Deuxième question: la compatibilité du modèle «par expéditeur» avec le principe de non‑discrimination

    59.

    Je commencerai par observer que la présente demande de décision préjudicielle porte uniquement sur le système de rabais quantitatifs accordés par bpost en 2010 ( 34 ). Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si le modèle «par expéditeur» est compatible avec le principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 12, quatrième tiret, de la directive sur les services postaux. Comme le soutient bpost, la réponse à cette question présentera sans doute un intérêt direct, non seulement en Belgique, mais également dans un certain nombre d’autres États membres dans lesquels les PSU calculent les ristournes quantitatives en fonction des volumes de courrier que chaque expéditeur individuel décide de poster.

    60.

    Il est de jurisprudence constante que le principe d’égalité de traitement, qui constitue l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union, veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée ( 35 ). Afin d’apprécier si les situations sont comparables, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments qui les caractérisent, y compris les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte de l’Union concerné ( 36 ).

    61.

    Tout d’abord, il me semble que, contrairement aux affirmations de bpost, le système de rabais quantitatifs en cause dans l’affaire au principal comporte effectivement une différence de traitement entre les intermédiaires et les expéditeurs individuels d’envois en nombre. L’exemple que j’ai donné précédemment ( 37 ) montre que, dans le cadre du modèle «par expéditeur», les intermédiaires obtiendraient un rabais de seulement 10 % applicable au courrier de chacun des trois expéditeurs, alors qu’un expéditeur individuel d’envois en nombre remettant au PSU exactement le même volume de courrier – et générant donc en principe les mêmes recettes en faveur de ce PSU – obtiendrait un rabais de 20 %.

    62.

    En l’espèce, la question essentielle qui se pose est de savoir si les expéditeurs (d’envois en nombre) et les intermédiaires se trouvent dans une situation comparable en ce qui concerne les rabais quantitatifs, ce qui signifierait que cette différence de traitement est illégale.

    63.

    Bpost et le gouvernement français soulignent à cet égard que seuls les expéditeurs sont véritablement à l’origine de la demande de services postaux. Les rabais quantitatifs visent à stimuler cette demande. Il est donc justifié de calculer ces rabais de manière à récompenser uniquement la décision de l’expéditeur d’augmenter le nombre d’envois, et non la capacité qu’a l’intermédiaire de collecter de grands volumes de courrier auprès de plusieurs expéditeurs. En revanche, les gouvernements belge, italien et suédois ainsi que la Commission font valoir que les expéditeurs et les intermédiaires se trouvent dans une situation comparable, dès lors que le service que bpost fournit à chacun d’entre eux est le même.

    64.

    Pour commencer, je préciserai que je ne suis pas convaincue par l’argument des gouvernements belge, italien et suédois ainsi que de la Commission, selon lequel le raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire Deutsche Post e.a. ( 38 ) peut être simplement transposé à la présente affaire.

    65.

    Dans l’affaire Deutsche Post e.a. (EU:C:2008:141), la Cour devait vérifier si la directive sur les services postaux s’opposait à ce que Deutsche Post (le PSU allemand) refuse d’appliquer aux entreprises qui regroupaient, à titre professionnel et en leur propre nom, les envois de plusieurs expéditeurs, les tarifs spéciaux octroyés par ce PSU aux clients professionnels pour le dépôt de quantités minimales de courrier prétrié dans ses centres de tri. Ainsi, l’affaire Deutsche Post e.a. concernait l’accès en aval à la chaîne de traitement du courrier à des conditions et en des points qui étaient différents de ceux qui s’appliquaient au service de la poste aux lettres traditionnel. La Cour a estimé en substance que, s’il est vrai que l’article 12, cinquième tiret, de la directive sur les services postaux ne vise pas à régler la question de principe consistant à savoir si un PSU doit ou non accorder cet accès, le refus de Deutsche Post d’étendre aux intermédiaires le régime de rabais opérationnels dont bénéficiaient les expéditeurs (professionnels) était incompatible avec le principe d’égalité de traitement énoncé dans cette disposition ( 39 ). Partant, la Cour a reconnu implicitement, mais nécessairement, que les expéditeurs individuels et les intermédiaires se trouvent dans une situation comparable en ce qui concerne les rabais opérationnels.

    66.

    Selon moi, transposer ce raisonnement à la présente affaire reviendrait à nier que les expéditeurs individuels et les intermédiaires se trouvent dans une situation différente en ce qui concerne les rabais quantitatifs, en raison du fait que seuls les expéditeurs individuels génèrent une demande autonome de services de la poste aux lettres. Pour illustrer cette différence, il est utile d’étudier les effets probables du modèle «par expéditeur» sur le marché et de les comparer à ceux que le modèle de l’«agrégation» est susceptible de produire.

    67.

    Supposons que l’expéditeur individuel d’envois en nombre A (par exemple, une banque qui envoie des quantités élevées de courrier administratif) ait droit à un rabais quantitatif de 10 %. Imaginons que A décide de confier exactement le même volume de courrier à l’intermédiaire X pour qu’il soit ensuite remis au PSU. Dans le cadre du modèle «par expéditeur», cette décision n’aura aucune incidence sur le rabais quantitatif auquel donne lieu le volume de courrier émanant de A. Par conséquent, X obtiendra un rabais de 10 % pour ce courrier. En revanche, dans le cadre du modèle de l’«agrégation», X pourra obtenir un rabais quantitatif pour le courrier émanant de A qui correspond aux volumes de courrier agrégés de tous ses clients qu’il dépose au cours de la période de référence (par exemple, 20 %).

    68.

    Imaginons maintenant qu’un contrat prévoyant le traitement et la remise au PSU de ce même volume de courrier soit conclu entre A et l’intermédiaire Y, qui est de taille plus importante que X. Dans le cadre du modèle «par expéditeur», Y pourra de nouveau bénéficier d’un rabais de 10 % pour les volumes émanant de A. Dans le cadre du modèle de l’«agrégation», le rabais quantitatif que Y obtient pour le volume de courrier émanant de A sera calculé par référence à l’ensemble des recettes brutes que le PSU reçoit grâce à Y (par exemple, 30 %).

    69.

    Enfin, envisageons la situation de l’expéditeur individuel B, qui n’envoie pas suffisamment de courrier pour pouvoir bénéficier d’un rabais quantitatif. Dans le cadre du modèle «par expéditeur», il n’y aura aucun rabais, indépendamment de la question de savoir si B décide de remettre lui-même ses envois au PSU ou de confier cette tâche à un intermédiaire. Cependant, la situation est très différente dans le cadre du modèle de l’«agrégation»: les volumes de courrier générés par B donneraient alors lieu à un rabais quantitatif de 20 % s’il décidait de recourir aux services de l’intermédiaire X et à un rabais quantitatif de 30 % s’il optait pour l’intermédiaire Y.

    70.

    Je tire deux enseignements de ces exemples.

    71.

    Le premier enseignement est que seul le modèle «par expéditeur» est susceptible d’inciter les expéditeurs à poster plus de courrier et donc de servir l’objectif commercial des rabais quantitatifs. Seuls les expéditeurs génèrent en fin de compte le courrier. Les intermédiaires ne sont vraisemblablement à l’origine de cette demande autonome que dans la mesure, limitée, où ils sont eux-mêmes expéditeurs ( 40 ). La situation de l’expéditeur individuel B illustre ce point: dans le cadre du modèle «par expéditeur», toutes choses étant égales par ailleurs, B ne peut obtenir un rabais quantitatif qu’en augmentant le volume de courrier qu’il expédie ( 41 ).

    72.

    À mon sens, l’application du modèle de l’«agrégation» fait pratiquement disparaître l’incitation à poster plus de courrier: ce qui importe alors c’est non pas le volume de courrier que l’expéditeur décide de poster mais plutôt la décision de traiter avec un intermédiaire ainsi que le choix à opérer entre plusieurs intermédiaires. En effet, pour un même volume de courrier, B est encouragé à traiter avec l’intermédiaire qui offre le meilleur prix unitaire. Dans mon exemple, cet intermédiaire serait sans doute Y, qui est susceptible d’obtenir un rabais quantitatif plus élevé que X et qui sera en mesure de facturer ses services de façon à les vendre moins cher que X ( 42 ).

    73.

    Étant donné que la situation des expéditeurs est différente de celle des intermédiaires en ce qui concerne les rabais quantitatifs, l’objectif des PSU d’augmenter la demande de services postaux pourrait être compromis par le modèle de l’«agrégation». Il est notamment à craindre que des intermédiaires «purement administratifs» émergent sur le marché et traitent les plus grands volumes de courrier possibles – y compris les envois émanant de petits expéditeurs – afin de bénéficier des niveaux les plus élevés de rabais quantitatifs ( 43 ).

    74.

    Comme le soutient bpost à juste titre, cela pourrait conduire à une situation sans gagnant. Si le PSU devait appliquer le modèle de l’«agrégation», il pourrait être contraint d’abandonner son système de rabais quantitatifs pour préserver son équilibre financier. Cependant, l’abolition des rabais quantitatifs réduirait probablement la demande de services postaux au profit d’autres moyens de communication, tels que la télécopie, le courriel, la radiodiffusion et l’internet ( 44 ). Cette situation pourrait à son tour affecter le financement du service universel, au détriment du PSU.

    75.

    Dès lors, je ne saurais souscrire à l’affirmation du gouvernement belge selon laquelle le raisonnement suivi par la Cour aux points 37 et 38 de l’arrêt Deutsche Post e.a. (EU:C:2008:141) s’applique à la présente affaire. La Cour y a rejeté l’argument de Deutsche Post et du gouvernement allemand par lequel ils ont fait valoir que l’application du système de rabais opérationnels aux intermédiaires mettrait en péril la stabilité financière du PSU (Deutsche Post). La Cour a considéré que Deutsche Post pourrait réduire ses rabais opérationnels pour tous les bénéficiaires «s’il devait s’avérer que l’octroi aux intermédiaires des rabais […] consentis aux seuls clients professionnels […] sont excessifs par rapport aux coûts évités» ( 45 ). Ainsi qu’il ressort clairement de cette formulation, le raisonnement de la Cour était étroitement lié à la nature des rabais opérationnels: dès lors que ces derniers sont octroyés en contrepartie des coûts évités par le PSU, par rapport aux coûts du service de la poste aux lettres traditionnel, leur extension aux intermédiaires ne risque pas, à première vue, d’affecter la stabilité financière du PSU. Comme je viens de l’expliquer, ce raisonnement ne saurait s’appliquer aux rabais quantitatifs, car la réduction ou l’abandon de ces derniers est susceptible d’avoir une incidence négative sur la demande de services de la poste aux lettres et, partant, sur l’équilibre financier du PSU.

    76.

    J’ajoute que l’application du modèle de l’«agrégation» dans le contexte des rabais quantitatifs est difficile à concilier avec la souplesse tarifaire que le législateur de l’Union a délibérément accordée aux PSU pour compenser leur exposition accrue à la concurrence, sous réserve des limites énoncées à l’article 12 de la directive sur les services postaux et de celles résultant de manière plus générale des traités (par exemple, l’interdiction d’exercer de façon abusive une position dominante, visée à l’article 102 TFUE) ( 46 ).

    77.

    Le second enseignement concerne la neutralité du modèle «par expéditeur» en termes d’effets sur la situation concurrentielle de divers acteurs du marché postal.

    78.

    Lorsqu’elle vérifie si un système de rabais quantitatifs tel que celui en cause dans l’affaire au principal est ou non discriminatoire, la Cour devrait être guidée, à mon sens, par l’objectif de l’ouverture des marchés postaux à la concurrence. Comme le confirme le considérant 26 de la directive sur les services postaux, un lien étroit existe entre le principe qui veut que les tarifs du service universel soient non discriminatoires et le principe selon lequel il convient d’éviter de fausser la concurrence. Il est donc nécessaire, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, à la fois de «laisser aux [PSU] suffisamment de liberté pour s’adapter à la concurrence, [mais aussi d’assurer] une surveillance adéquate du comportement de l’opérateur dominant probable afin de sauvegarder une concurrence réelle» ( 47 ).

    79.

    Dans ce contexte, il me semble que le modèle «par expéditeur» n’est pas de nature à fausser la concurrence. Selon ce modèle, le niveau des rabais quantitatifs octroyés dépend exclusivement des recettes que perçoit le PSU grâce à chaque expéditeur individuel au cours d’une période de référence. Par conséquent, le modèle «par expéditeur» n’encourage pas les expéditeurs d’envois en nombre à confier leurs envois à un intermédiaire ni ne les dissuade de le faire.

    80.

    Contrairement aux observations formulées par le gouvernement belge lors de l’audience, je ne vois pas en quoi le modèle «par expéditeur» est de nature à mettre en péril de manière générale la viabilité des intermédiaires. Bien que ce modèle empêche l’émergence d’intermédiaires purement administratifs, il ne porte pas atteinte à l’intérêt potentiel que peut avoir un expéditeur d’envois en nombre à avoir recours à un intermédiaire «opérationnel». C’est typiquement le cas lorsque, pour le même «tarif d’affranchissement», l’expéditeur ne pourrait préparer, prétrier et/ou poster le courrier lui-même qu’à un tarif moyen plus élevé. Plusieurs éléments interviennent dans la décision de sous-traiter ou non ces tâches, tels que la disponibilité (ou non) d’infrastructures internes et de ressources humaines, le coût de ces ressources, les variations périodiques des volumes de courrier à poster ou la simple commodité d’avoir recours à un intermédiaire. Le fait que le modèle «par expéditeur» ne permet pas à un intermédiaire de bénéficier de rabais quantitatifs plus élevés (qu’il peut ou non répercuter sur les clients) que ceux dont bénéficie chaque expéditeur de manière individuelle ne prive pas la sous-traitance de son intérêt économique potentiel.

    81.

    La neutralité des effets du modèle «par expéditeur» sur la compétitivité des intermédiaires se démarque nettement des effets de distorsion découlant de la pratique en cause dans l’affaire Deutsche Post e.a. ( 48 ). Dans cette affaire, le fait que les intermédiaires ne pouvaient pas bénéficier des rabais opérationnels que Deutsche Post octroyait aux expéditeurs individuels pour le dépôt de quantités minimales de courrier prétrié dans ses centres postaux faisait clairement obstacle au développement de la concurrence sur le marché du regroupement de courrier. La décision de la Cour dans cette affaire a contribué à la réalisation de l’objectif de la libéralisation des marchés postaux poursuivi par la directive sur les services postaux ( 49 ).

    82.

    Le modèle «par expéditeur» est tout aussi neutre en ce qui concerne la compétitivité des différents intermédiaires, dans la mesure où il s’applique de la même manière à chacun d’entre eux ( 50 ). Si les rabais quantitatifs sont fondés uniquement sur les envois émanant d’expéditeurs individuels, le choix d’un expéditeur de recourir à un intermédiaire dépendra (toutes choses étant égales par ailleurs) de la qualité du service proposé. Cette dernière sera elle-même probablement fonction d’éléments tels que la fiabilité de l’intermédiaire, la commodité de la méthode qu’il utilise pour la levée du courrier, la vitesse à laquelle il traite et remet le courrier au PSU et dans quelle mesure il est capable ou désireux de faire face, à un prix raisonnable pour l’expéditeur, à des hausses ou des baisses soudaines des volumes de courrier à traiter.

    83.

    En revanche, l’application du modèle de l’«agrégation» est susceptible de donner lieu à des distorsions de concurrence.

    84.

    Tout d’abord, ce modèle incite la plupart des expéditeurs à confier leurs envois à un intermédiaire ( 51 ). Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que rien ne garantit que le rabais (total) obtenu par un intermédiaire soit répercuté sur les clients. Même le recours à un intermédiaire purement administratif peut présenter un intérêt économique pour un expéditeur, à condition que l’offre de l’intermédiaire permette à l’expéditeur de poster le courrier à un prix moyen inférieur (même légèrement) au prix qui serait autrement facturé par le PSU. Par exemple, à supposer que l’intermédiaire Y (lequel, dans le modèle de l’«agrégation», bénéficie d’un rabais total de 30 %) se contente de proposer un rabais de 12 % à l’expéditeur d’envois en nombre A, ce dernier sera toujours incité à traiter avec Y dès lors qu’il ne bénéficierait que d’un rabais quantitatif de 10 % s’il remettait ses envois directement au PSU.

    85.

    Ensuite, le modèle de l’«agrégation» procure un avantage aux intermédiaires qui regroupent les plus grands volumes de courrier et, partant, qui bénéficient des rabais les plus élevés ( 52 ). Cela devient particulièrement manifeste lorsque l’on compare la situation concurrentielle des intermédiaires X et Y ( 53 ). Dans l’exemple que j’ai donné précédemment, dans le cadre du modèle de l’agrégation, X a bénéficié de rabais quantitatifs de 20 %, alors que Y a obtenu des rabais quantitatifs de 30 %. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela signifie que, pour le même service, Y bénéficie d’un avantage concurrentiel important par rapport à X pour attirer les expéditeurs. Y jouit également d’une souplesse opérationnelle plus importante que X. Y peut (par exemple) proposer un service moins complet, mais un bien meilleur rabais, ou le même service avec un rabais légèrement meilleur, et réaliser plus de bénéfices.

    86.

    En outre, si le PSU n’est pas en mesure d’appliquer le modèle «par expéditeur», il peut, en fin de compte, n’avoir d’autre choix que d’abandonner l’ensemble de son système de rabais quantitatifs afin d’assurer sa viabilité financière ( 54 ). Cela aurait probablement des conséquences négatives pour les utilisateurs des services postaux en général.

    87.

    De telles distorsions de concurrence et leurs effets secondaires ne sont évidemment pas compatibles avec les objectifs déclarés de la directive sur les services postaux.

    88.

    Le législateur de l’Union a considéré qu’encourager la concurrence avec les opérateurs historiques était essentiel pour l’achèvement du marché intérieur de services postaux ( 55 ). L’affaire Deutsche Post e.a. ( 56 ) met en lumière le rôle joué par le principe de non-discrimination, inscrit à l’article 12 de la directive sur les services postaux, dans la réalisation de cet objectif. Toutefois, je partage le point de vue du gouvernement français selon lequel la directive n’impose pas à un PSU de fixer ses tarifs d’une façon qui favorise les grands intermédiaires par rapport aux intermédiaires plus petits et/ou au PSU lui-même ( 57 ). Au contraire, une discrimination positive en faveur des grands intermédiaires pourrait bien se heurter à l’article 12, quatrième alinéa, qui exige que les États membres prennent des mesures pour que les tarifs des services postaux ne favorisent pas certains (groupes de) clients.

    89.

    Par ailleurs, j’estime que l’approche qui consiste à éviter de calculer les rabais quantitatifs d’une manière qui procure un avantage concurrentiel aux plus grands intermédiaires est de nature à contribuer à l’émergence et à l’essor d’intermédiaires qui – indépendamment de leur taille – proposent le meilleur service aux utilisateurs finals. En ce sens, le modèle «par expéditeur» semble en harmonie avec les objectifs de la directive sur les services postaux visant à améliorer la qualité du service postal au sein de l’Union européenne et à favoriser l’achèvement du marché intérieur des services postaux ( 58 ).

    90.

    Par conséquent, je conclus que, les expéditeurs et les intermédiaires se trouvant objectivement dans des situations différentes en ce qui concerne les rabais quantitatifs, le principe de non-discrimination inscrit à l’article 12, quatrième tiret, de la directive sur les services postaux doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un PSU calcule les rabais quantitatifs octroyés à un intermédiaire en fonction des volumes de courrier de chacun des clients de l’intermédiaire pris séparément au cours d’une période de référence plutôt qu’en fonction des volumes de courrier regroupés remis par cet intermédiaire au PSU au cours de cette période.

    91.

    Pour les raisons que j’ai exposées plus haut ( 59 ), il n’est pas nécessaire d’apporter une réponse distincte à la troisième question.

    Conclusion

    92.

    Au regard de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions soulevées par la cour d’appel de Bruxelles:

    1)

    L’article 12, cinquième alinéa, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, telle que modifiée, ne s’applique pas aux rabais quantitatifs octroyés par un prestataire du service universel en fonction du volume de courrier qui lui a été remis par un expéditeur au cours d’une période de référence et visant à inciter les expéditeurs à augmenter leur demande de services postaux.

    2)

    Le principe de non-discrimination inscrit à l’article 12, quatrième tiret, de la directive 97/67 ne s’oppose pas à ce qu’un prestataire du service universel calcule les rabais quantitatifs octroyés à un intermédiaire en fonction des volumes de courrier de chacun des clients de l’intermédiaire pris séparément au cours d’une période de référence plutôt qu’en fonction des volumes de courrier regroupés remis par cet intermédiaire au prestataire du service universel au cours de cette période.


    ( 1 ) Langue originale: l’anglais.

    ( 2 ) Voir point 4 des présentes conclusions.

    ( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14). Je ferai référence à la version initiale de cette directive en utilisant l’expression «la directive de 1997». Cette directive a été modifiée par la directive 2002/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 juin 2002, modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne la poursuite de l’ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (JO L 176, p. 21, ci‑après la «directive de 2002») et par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté (JO L 52, p. 3, ci-après «la directive de 2008»). Je ferai référence à la directive de 1997, telle que modifiée par la directive de 2002 et par la directive de 2008, en utilisant l’expression «la directive sur les services postaux». Le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE du Conseil des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes soumis à la procédure visée à l’article 251 du traité CE (JO L 284, p. 1) a également modifié la directive sur les services postaux, mais uniquement en ce qui concerne la comitologie.

    ( 4 ) C‑287/06 à C‑292/06, EU:C:2008:141.

    ( 5 ) Article 1er de la directive de 1997.

    ( 6 ) Article 2, paragraphe 2, de la directive sur les services postaux.

    ( 7 ) Article 2, paragraphe 13.

    ( 8 ) Article 2, paragraphe 16.

    ( 9 ) Section 2.1 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l’ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté [COM(2000) 319 final] (JO 2000, C 337 E, p. 220, ci-après «la proposition de la Commission de 2000»).

    ( 10 ) Section 2.9.4 de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 2000, citée à la note de bas de page 9.

    ( 11 ) Voir considérants 12, 13 et 16.

    ( 12 ) Section 3.2.2 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté [COM(2006) 594 final, p. 5] (ci-après la «proposition de la Commission de 2006»).

    ( 13 ) Ce tiret est à présent rédigé comme suit: «[l]orsque des raisons liées à l’intérêt public l’imposent, les États membres peuvent décider qu’un tarif uniforme est appliqué sur l’ensemble de leur territoire national et/ou au courrier transfrontière pour des services prestés au tarif unitaire et pour d’autres envois postaux».

    ( 14 ) Dans la terminologie postale, le «publipostage» désigne la publicité adressée, alors que le «courrier administratif» a trait aux envois en nombre contenant des informations individuelles telles que des relevés de compte remis par les banques à leurs clients.

    ( 15 ) Voir communication de la Commission sur l’application des règles de concurrence au secteur postal et sur l’évaluation de certaines mesures d’État relatives aux services postaux (JO 1998, C 39, p. 2).

    ( 16 ) Bpost a confirmé lors de l’audience que les expéditeurs d’envois en nombre ou les intermédiaires pouvaient bénéficier cumulativement de rabais quantitatifs et de rabais opérationnels dans le cadre de contrats tarifaires.

    ( 17 ) En 2010, la période de référence était d’un an pour les envois de moins de 50 grammes et de trois mois pour les envois de plus de 50 grammes.

    ( 18 ) À l’exception de l’«Indirect Channel Rebate» accordé dans le cadre de contrats «Intermédiaire». Ce rabais est toutefois conçu comme la contrepartie de l’économie de coûts réalisée par bpost du fait que c’est l’intermédiaire (plutôt que bpost) qui gère la relation commerciale avec les expéditeurs individuels. Ce rabais doit donc être considéré comme un rabais opérationnel plutôt que quantitatif.

    ( 19 ) Arrêts Inter-Environnement Wallonie (C‑129/96, EU:C:1997:628, point 45); ATRAL (C‑14/02, EU:C:2003:265, point 58) et Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias e.a. (C‑43/10, EU:C:2012:560, point 57).

    ( 20 ) Voir notamment arrêt Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, points 122 et 123).

    ( 21 ) Voir, par analogie, arrêt VTB-VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2009:244, point 40).

    ( 22 ) EU:C:2008:141, points 42 et 43.

    ( 23 ) Voir points 15 et 16 des présentes conclusions.

    ( 24 ) Voir points 6 à 9 des présentes conclusions.

    ( 25 ) Conformément à la dernière phrase du cinquième tiret dans sa version de 2002, «[les] tarifs [spéciaux] sont à la disposition des particuliers utilisant les services postaux dans des conditions similaires».

    ( 26 ) EU:C:2008:141, point 41.

    ( 27 ) Compte rendu de la réunion du 8 septembre 2000, document du Conseil no 11249/00, 15 septembre 2000, p. 3.

    ( 28 ) Section 3.3.2 de la proposition de la Commission de 2006 (p. 7), mentionnée à la note de bas de page 12.

    ( 29 ) Voir points 10 à 13 des présentes conclusions.

    ( 30 ) Si les PSU doivent être de plus en plus exposés à la concurrence tout au long de la chaîne de traitement du courrier (y compris, par exemple, pour ce qui est de la distribution des envois postaux), ils peuvent souhaiter proposer une part de ce traitement à un prix concurrentiel par rapport au prix facturé par les concurrents pour un service équivalent.

    ( 31 ) Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 11 juillet 2007 en vue de l’adoption d’une directive modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté (JO 2008, C 175 E, p. 355); voir considérant 34 de la version modifiée proposée par le Parlement.

    ( 32 ) Groupe «Postes», préparation de la session du Conseil «Transports, Télécommunications et Énergie» des 1er et 2 octobre 2007, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté – accord politique, document du Conseil no 12864/07, du 14 septembre 2007, p. 32 (voir en particulier note de bas de page 40).

    ( 33 ) Document du Conseil no 12864/07 (note de bas de page 25, p. 16), mentionné à la note de bas de page 32. La Commission s’est opposée avec succès à la proposition émanant d’un certain nombre d’États membres visant à remplacer «devraient tenir compte des coûts évités» par «peuvent tenir compte des coûts évités».

    ( 34 ) Ainsi, la demande de décision préjudicielle ne concerne pas les autres questions soulevées dans l’affaire au principal, telles que celle de savoir si bpost, en imposant aux intermédiaires d’identifier leurs clients individuels pour bénéficier de rabais quantitatifs, ou en calculant les rabais opérationnels octroyés auxdits intermédiaires en fonction des quantités de courrier prétrié émanant de leur clients pris séparément, a violé son obligation d’appliquer des tarifs non discriminatoires.

    ( 35 ) Arrêts Ruckdeschel e.a. (117/76 et 16/77, EU:C:1977:160, point 7); Edeka Zentrale (245/81, EU:C:1982:277, point 11) et Schaible (C‑101/12, EU:C:2013:661, point 76).

    ( 36 ) Voir, par analogie, arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 37 ) Voir point 22 des présentes conclusions.

    ( 38 ) EU:C:2008:141.

    ( 39 ) EU:C:2008:141, points 41 et 44.

    ( 40 ) Par exemple, par leur correspondance avec leurs salariés et leurs clients, avec leurs sous‑traitants ou avec les autorités publiques.

    ( 41 ) Bien entendu, cela pourrait ne pas être le cas si, par exemple, l’évolution des activités de B entraîne une baisse de ses envois, ou si B se tourne vers l’utilisation d’autres moyens de communication, éventuellement plus efficaces en termes de coûts, tels que la messagerie électronique.

    ( 42 ) Voir également point 85 des présentes conclusions.

    ( 43 ) En effet, bpost soutient que c’est précisément pour faire face à ce phénomène qu’elle a décidé d’introduire le modèle «par expéditeur» en 2010. Voir point 21 des présentes conclusions.

    ( 44 ) Un rapport indépendant établi à la demande du ministre des Entreprises et de la Réforme réglementaire du Royaume-Uni met en lumière l’élasticité croissante des prix des services postaux, due (notamment) à des solutions de remplacement du courrier moins coûteuses. Voir R. Hooper, D. Hutton, I. R. Smith, The challenges and opportunities facing UK postal services. An initial response to evidence, mai 2008, p. 26 (https://www.berr.gov.uk/files/file46075.pdf). Voir également sections 1.2.5 et 1.3 de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 2000, citée à la note de bas de page 9.

    ( 45 ) Arrêt Deutsche Post e.a. (EU:C:2008:141, point 38).

    ( 46 ) Voir points 11 et 12 ainsi que 52 à 56 des présentes conclusions. La Commission a souligné que, en principe, il n’y a aucune contradiction entre le maintien et l’amélioration du service universel, d’une part, et l’ouverture progressive à la concurrence, d’autre part, «à condition que le [PSU] fasse preuve de suffisamment de souplesse au niveau commercial et tarifaire pour relever le défi, dans le respect du droit de la concurrence». Voir section 1.3 de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 2000, citée à la note de bas de page 9.

    ( 47 ) Section 3.3.3 de la proposition de la Commission de 2006, p. 7, citée à la note de bas de page 12.

    ( 48 ) EU:C:2008:141.

    ( 49 ) Voir, en particulier, considérant 8 de la directive sur les services postaux; considérants 2 et 12 à 15 de la directive de 2002; considérants 12, 16 et 38 de la directive de 2008.

    ( 50 ) Pour autant que je puisse l’affirmer, tel semble être le cas en l’espèce; bpost indique notamment que ses rabais quantitatifs pour l’année 2010 ont été appliqués aux mêmes conditions à sa propre filiale de regroupement du courrier (Speos).

    ( 51 ) Voir point 72 des présentes conclusions. Cependant, cette incitation n’existe pas pour les expéditeurs d’envois en nombre qui ont droit de toute façon au rabais le plus élevé.

    ( 52 ) Voir, en ce sens, avis no 07-A-17 du Conseil de la concurrence (France) relatif à une demande d’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) sur le dispositif de remises commerciales de La Poste, du 20 décembre 2007, Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du 23 avril 2008, p. 313.

    ( 53 ) Voir points 67 et 68 des présentes conclusions.

    ( 54 ) Voir point 74 des présentes conclusions.

    ( 55 ) Voir en ce sens, notamment, section 2.7 de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de 2000, citée à la note de bas de page 9.

    ( 56 ) EU:C:2008:141.

    ( 57 ) De manière plus générale, même après les modifications qui y ont été apportées en 2002 et en 2008, la directive sur les services postaux n’impose pas aux États membres d’atteindre un niveau minimal déterminé de concurrence effective dans le secteur postal.

    ( 58 ) Voir, en particulier, considérants 1, 19, 30, 31, 32 et 35 de la directive sur les services postaux.

    ( 59 ) Voir points 33, 57 et 58 des présentes conclusions.

    Top