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Document 62010CC0058

    Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 22 mars 2011.
    Monsanto SAS et autres contre Ministre de l'Agriculture et de la Pêche.
    Demandes de décision préjudicielle: Conseil d'État - France.
    Agriculture - Aliments pour animaux génétiquement modifiés - Mesures d’urgence - Mesure adoptée par un État membre - Suspension provisoire d’une autorisation accordée au titre de la directive 90/220/CEE - Base juridique - Directive 2001/18/CE - Article 12 - Législation sectorielle - Article 23 - Clause de sauvegarde - Règlement (CE) nº 1829/2003 - Article 20 - Produits existants - Article 34 - Règlement (CE) nº 178/2002 - Articles 53 et 54 - Conditions d’application.
    Affaires jointes C-58/10 à C-68/10.

    Recueil de jurisprudence 2011 I-07763

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:170

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PAOLO MENGOZZI

    présentées le 22 mars 2011 (1)

    Affaires jointes C‑58/10 à C‑68/10

    Monsanto SAS et autres

    [demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

    «Denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés – Mesures nationales interdisant ou suspendant l’utilisation et/ou la vente de ces produits après l’autorisation de mise sur le marché – Compétence des autorités nationales pour adopter ces mesures»





    1.        Par la présente affaire, née de la jonction de pas moins de onze procédures, la Cour a de nouveau l’occasion de se prononcer en matière d’organismes génétiquement modifiés (ci-après également dénommés les «OGM»). Le cœur du problème juridique essentiel à résoudre est relativement limité. Il s’agit en effet, en ce qui concerne certains produits autorisés par le passé au titre d’une réglementation déterminée, mais dont l’autorisation doit être renouvelée et régie sur la base d’une réglementation plus récente, de déterminer si, pour l’adoption de mesures d’urgence éventuelles pendant la période de transition entre l’ancienne et la nouvelle autorisation, ce sont les règles de la première ou de la deuxième réglementation, ou encore des deux, qui doivent s’appliquer.

    2.        Le produit qui fait l’objet du litige est une variété de maïs utilisée sur le territoire de l’Union comme aliment pour animaux: il s’agit du maïs MON 810, développé par la société Monsanto SAS (ci-après «Monsanto») et qui, grâce à une modification génétique, est particulièrement résistant à certains parasites.

    I –    Le cadre juridique

    3.        Le cadre juridique pertinent pour la solution de la présente affaire est constitué par trois catégories de règles. Il s’agit, en premier lieu, des règles relatives à la «dissémination volontaire dans l’environnement», c’est-à-dire principalement à la culture et à la vente d’OGM, contenues dans la directive 90/220/CEE et, à présent, dans la directive 2001/18/CE. Il s’agit, en deuxième lieu, des règles relatives à la sécurité alimentaire, plus précisément du règlement (CE) n° 178/2002. Il s’agit enfin, en troisième lieu, du règlement (CE) n° 1829/2003, qui constitue l’objet principal de l’interprétation à laquelle il est demandé à la Cour de procéder en l’espèce, et par lequel le législateur a entendu uniformiser autant que possible la réglementation applicable aux OGM: ledit règlement a en partie remplacé et en partie complété les règles précédemment applicables.

    A –    La directive 90/220/CEE

    4.        La directive 90/220 (2) a été la première à introduire un système uniforme d’autorisation de la dissémination d’OGM dans l’environnement au niveau communautaire. Le mécanisme qu’elle prévoyait reposait, de façon générale, sur la délivrance d’une autorisation par un État membre, subordonnée à l’absence d’opposition des autres États pendant un certain délai. En cas de désaccord, la décision appartenait à la Commission européenne. L’autorisation délivrée par un État membre était, en tout état de cause, valable pour toute la Communauté.

    5.        Comme on le verra en reconstituant les faits de la présente affaire, le MON 810 a initialement été autorisé au titre de cette directive.

    B –    La directive 2001/18/CE

    6.        La directive 2001/18 (3) (ci-après également dénommée la «directive») a abrogé et remplacé la directive 90/220. Le système d’autorisation de la dissémination d’OGM dans l’environnement est resté en grande partie semblable à celui de la directive précédente, même si certaines modifications y ont été apportées. En particulier, la directive 2001/18 a introduit le principe de la durée limitée (dix ans au maximum) de l’autorisation, en prévoyant une procédure simplifiée pour le renouvellement des autorisations déjà octroyées au titre de la directive 90/220.

    7.        L’article 12 de la directive dispose notamment:

    «1.      Les articles 13 à 24 ne s’appliquent pas aux OGM en tant que produits ou éléments de produits dans la mesure où ils sont autorisés par une législation communautaire qui prévoit une évaluation spécifique des risques pour l’environnement, effectuée conformément aux principes énoncés à l’annexe II et sur la base des informations spécifiées à l’annexe III, sans préjudice des exigences supplémentaires prévues par la législation communautaire mentionnée ci-dessus, et qui prévoit des exigences en matière de gestion de risques, d’étiquetage, de surveillance, le cas échéant, d’information du public et de clause de sauvegarde au moins équivalentes à celles contenues dans la présente directive.

    […]».

    8.        L’article 17 de la directive, intitulé «Renouvellement de l’autorisation», prévoit une procédure spécifique simplifiée de renouvellement pour les OGM déjà autorisés au titre de la directive 90/220. Ce renouvellement devait être effectué avant le 17 octobre 2006.

    9.        L’article 22 de la directive, reprenant un principe fondamental figurant déjà dans la directive 90/220, prévoit que, «[s]ans préjudice de l’article 23, les États membres ne peuvent interdire, restreindre ou empêcher la mise sur le marché d’OGM, en tant que produits ou éléments de produits, qui sont conformes aux exigences de la présente directive».

    10.      L’article 23, intitulé «Clause de sauvegarde», dispose:

    «1.      Lorsqu’un État membre, en raison d’informations nouvelles ou complémentaires, devenues disponibles après que l’autorisation a été donnée et qui affectent l’évaluation des risques pour l’environnement ou en raison de la réévaluation des informations existantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires, a des raisons précises de considérer qu’un OGM en tant que produit ou élément de produit ayant fait l’objet d’une notification en bonne et due forme et d’une autorisation écrite conformément à la présente directive présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement, il peut limiter ou interdire, à titre provisoire, l’utilisation et/ou la vente de cet OGM en tant que produit ou élément de produit sur son territoire.

    […]

    L’État membre informe immédiatement la Commission et les autres États membres des actions entreprises au titre du présent article et indique les motifs de sa décision […].

    2.      Dans un délai de soixante jours suivant la réception des informations communiquées par l’État membre, une décision est prise concernant la mesure prise par cet État membre conformément à la procédure de réglementation visée à l’article 30, paragraphe 2 […]».

    C –    Le règlement (CE) n° 1829/2003

    11.      Le règlement n° 1829/2003 (4) (ci-après également dénommé le «règlement»), bien que son titre puisse laisser penser qu’il concerne seulement la consommation d’OGM en tant que denrées alimentaires ou aliments pour animaux, a en réalité institué un système intégré qui permet aux opérateurs qui le souhaitent d’obtenir une autorisation unique, qui porte aussi bien sur la culture que sur les utilisations alimentaires d’un produit génétiquement modifié. De plus, dans le système mis en place par le règlement, l’autorisation n’est pas délivrée par un seul État membre, mais elle fait suite à une procédure qui se déroule principalement au niveau de l’Union.

    12.      L’article 17 du règlement, relatif aux demandes d’autorisation pour les aliments pour animaux génétiquement modifiés, prévoit:

    «[…]

    5.      Dans le cas d’OGM ou d’aliments pour animaux contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, la demande est également accompagnée des éléments suivants:

    a)      le dossier technique complet contenant les renseignements exigés dans les annexes III et IV de la directive 2001/18/CE et les informations et conclusions de l’évaluation des risques réalisée conformément aux principes énoncés à l’annexe II de la directive 2001/18/CE ou, lorsque la mise sur le marché de l’OGM a été autorisée conformément à la partie C de la directive 2001/18/CE, une copie de la décision d’autorisation;

    […]»

    13.      L’article 20 du règlement traite de la situation des OGM déjà autorisés au titre d’autres dispositions réglementaires. Son paragraphe 1 prévoit notamment que «les produits relevant du champ d’application de la présente section qui ont été légalement mis sur le marché dans la Communauté avant la date d’application du présent règlement peuvent continuer à être mis sur le marché, utilisés et transformés si […] dans le cas des produits qui ont été autorisés en vertu de la directive 90/220/CEE ou de la directive 2001/18/CE, y compris l’utilisation comme aliment pour animaux, […] les exploitants responsables de la mise sur le marché des produits concernés notifient à la Commission la date de la première mise sur le marché de ces produits dans la Communauté, dans les six mois qui suivent la date d’application du présent règlement».

    14.      Le paragraphe 2 du même article 20 précise que «[l]a notification visée au paragraphe 1 est accompagnée, le cas échéant, des éléments visés à l’article 17, paragraphes 3 et 5, que la Commission transmet à l’Autorité et aux États membres».

    15.      Par ailleurs, l’article 20, paragraphe 4, ajoute que, pour les produits déjà autorisés au titre de la directive 90/220 ou de la directive 2001/18, une demande de renouvellement doit être introduite «[d]ans un délai de neuf ans à compter de la date de la première mise sur le marché des produits […], mais en aucun cas avant que trois ans se soient écoulés depuis la date d’application du présent règlement».

    16.      Le règlement contient également une disposition relative à la possibilité d’adopter des mesures d’urgence en cas de risques pour la santé ou pour l’environnement. Il s’agit de l’article 34. Conformément à la nature du règlement, qui a centralisé la délivrance des autorisations pour les OGM, le pouvoir d’adopter des mesures d’urgence est en principe attribué à la Commission. L’article 34 est libellé comme suit:

    «Lorsqu’un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ou si, au regard d’un avis de l’Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002.»

    D –    Le règlement (CE) n° 178/2002

    17.      Les dispositions pertinentes du règlement n° 178/2002 (5) pour la présente affaire sont celles qui sont citées à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, c’est‑à‑dire les articles 53 et 54.

    18.      L’article 53, intitulé «Mesures d’urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers», indique les mesures qui peuvent être prises pour empêcher ou restreindre, en cas de besoin, la circulation de denrées alimentaires ou d’aliments pour animaux qui peuvent présenter des risques. En ce qui concerne la compétence pour adopter ces mesures ainsi que les conditions de leur adoption, il prévoit ce qui suit:

    «1.      Lorsqu’il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés, la Commission, agissant conformément à la procédure prévue à l’article 58, paragraphe 2, arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes […]».

    19.      L’article 54 complète le précédent en prévoyant une procédure qui permet aux États membres d’intervenir en cas d’inertie de la Commission. Cet article prévoit:

    «1.      Lorsqu’un État membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence et que la Commission n’a pris aucune mesure conformément à l’article 53, cet État membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission.

    […]

    3.      L’État membre peut maintenir les mesures conservatoires qu’il a prises au niveau national jusqu’à l’adoption des mesures communautaires.»

    II – Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles

    20.      Le maïs OGM MON 810 a été autorisé pour la première fois sur le territoire de la Communauté en 1998, au titre de la directive 90/220. La notification relative à la mise sur le marché a été adressée aux autorités françaises, qui l’ont transmise à la Commission avec un avis favorable. Par une décision du 22 avril 1998 (6), la Commission a fait connaître son propre consentement, et la République française a délivré l’autorisation par un arrêté du 3 août 1998 (7).

    21.      La société Monsanto, titulaire de l’autorisation, n’a jamais demandé le renouvellement de celle-ci au titre de la directive 2001/18. Elle a en revanche notifié, dans les délais prescrits, le MON 810 en tant que produit existant conformément à l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 1829/2003. Par la suite, au cours de l’année 2007, Monsanto a demandé le renouvellement de l’autorisation au titre du paragraphe 4 dudit article 20. Conformément à l’article 23, paragraphe 4, du règlement n° 1829/2003, l’autorisation existante continue à produire ses effets pendant la procédure de renouvellement.

    22.      Le 5 décembre 2007, un arrêté (8) a interdit la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810 sur le territoire de la République française. Le texte indiquait qu’une évaluation des effets du MON 810 sur l’environnement et sur la santé était en cours, mais il ne faisait aucune référence aux règles du droit de l’Union sur lesquelles la mesure était fondée. La Commission affirme que la mesure en question ne lui a jamais été notifiée.

    23.      Par la suite, le 7 février 2008, un nouvel arrêté (9), du reste modifié quelques jours plus tard par un autre arrêté du 13 février (10), faisant état des doutes exprimés sur le MON 810 par le Comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les organismes génétiquement modifiés, récemment constitué, a interdit de façon générale la culture du MON 810. La motivation de la mesure cite à titre général tant la directive que le règlement, mais la seule disposition de droit de l’Union spécifiquement mentionnée est l’article 23 de la directive.

    24.      L’arrêté visé au point précédent a été notifié deux fois à la Commission, selon ce que celle-ci indique. Il l’a été une première fois, le 11 février 2008, en tant que mesure adoptée conformément à l’article 23 de la directive. Le jour suivant, le 12 février 2008, il a cette fois été notifié en tant que mesure fondée sur l’article 34 du règlement n° 1829/2003.

    25.      L’interdiction de cultiver le MON 810 édictée par les autorités françaises a été attaquée dans le cadre de plusieurs recours devant le Conseil d’État, lequel a suspendu les procédures et soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes (11):

    «1)      lorsqu’un organisme génétiquement modifié constituant un aliment pour animaux a été mis sur le marché avant la publication du règlement (CE) n° 1829/2003 et que cette autorisation est maintenue en vigueur en application des dispositions de l’article 20 de ce règlement, avant qu’il n’ait été statué sur la demande de nouvelle autorisation qui doit être introduite en application de ce règlement, le produit en cause doit-il être regardé comme étant au nombre des produits mentionnés par les dispositions de l’article 12 de la directive 2001/18/CE […] et, dans cette hypothèse, cet organisme génétiquement modifié est-il soumis, pour ce qui concerne les mesures d’urgence pouvant être prises postérieurement à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, au seul article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 ou, au contraire, de telles mesures peuvent‑elles être prises par un État membre sur le fondement de l’article 23 de la directive et des dispositions nationales qui en assurent la transposition?

    2)      dans l’hypothèse où les mesures d’urgence ne pourraient intervenir que dans le cadre des dispositions de l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, une mesure telle que celle de l’arrêté attaqué du 5 décembre 2007 peut-elle être prise, et dans quelles conditions, par les autorités d’un État membre au titre de la maîtrise du risque évoquée à l’article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 ou des mesures conservatoires pouvant être prises par un État membre sur le fondement de l’article 54 du même règlement?

    3)      dans l’hypothèse où les autorités d’un État membre peuvent intervenir sur le fondement de l’article 23 de la directive 2001/18/CE ou sur celui de l’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, ou sur l’une et l’autre de ces bases juridiques, la requête soulève la question de savoir, en tenant notamment compte du principe de précaution, quel degré d’exigence imposent respectivement les dispositions de l’article 23 de la directive subordonnant l’intervention de mesures d’urgence telles que la suspension de l’utilisation du produit à la condition que l’État membre ait des ‘raisons précises de considérer qu’un OGM (…) présente un risque pour (…) l’environnement’ et celles de l’article 34 du règlement qui subordonnent l’intervention d’une telle mesure à la condition que le produit soit ‘de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour (…) l’environnement’ en matière d’identification du risque, d’évaluation de sa probabilité et d’appréciation de la nature de ses effets?»

    III – Sur la première question préjudicielle

    26.      Par sa première question préjudicielle, le juge de renvoi demande quel régime juridique doit être appliqué à un produit qui a été autorisé sur la base de la directive 90/220 et qui a ensuite été notifié en tant que produit existant conformément au règlement n° 1829/2003, en vertu duquel le renouvellement de l’autorisation a par la suite également été demandé.

    27.      Plus particulièrement, il convient d’éclaircir si, dans un cas comme l’espèce, le pouvoir d’adopter des mesures d’urgence, en cas de besoin, appartient en premier lieu aux États, selon le mécanisme visé à l’article 23 de la directive, ou à la Commission, en vertu de l’article 34 du règlement.

    28.      Il convient de souligner que le problème concerne seulement la phase «transitoire» pendant laquelle le produit n’a pas encore obtenu le renouvellement de son autorisation. Il ne semble pas que l’on puisse sérieusement mettre en doute – bien que la question ne fasse pas l’objet de la présente procédure – le fait que, une fois que l’autorisation aura été renouvelée en vertu du règlement, les dispositions de ce dernier devront être appliquées à titre exclusif: en ce qui concerne les mesures d’urgence, elles ne pourront donc être adoptées que sur la base de l’article 34 du règlement.

    29.      Selon le gouvernement français, dont la position est pour l’essentiel partagée par les gouvernements autrichien, grec et polonais, dans une situation comme celle de l’espèce, l’article 23 de la directive demeure applicable et un État peut donc s’en prévaloir pour adopter directement des mesures d’urgence. Inversement, selon la Commission (et selon Monsanto et les autres sociétés requérantes au principal), la notification du MON 810 en tant que «produit existant» conformément au règlement aurait pour conséquence que l’article 23 de la directive ne serait plus applicable, en particulier à cause de l’article 12 de cette dernière.

    30.      Nous observons que, du point de vue juridique, le nœud du litige semble consister dans la détermination du champ d’application de l’article 12 de la directive 2001/18. Ainsi qu’il résulte de l’exposé du cadre juridique, cet article exclut l’applicabilité de certaines dispositions de la directive, parmi lesquelles l’article 23 en matière de mesures d’urgence, aux OGM «autorisés par une législation communautaire qui prévoit une évaluation spécifique des risques pour l’environnement, effectuée conformément aux principes énoncés à l’annexe II et sur la base des informations spécifiées à l’annexe III […] et qui prévoit des exigences en matière de gestion de risques, d’étiquetage, de surveillance, le cas échéant, d’information du public et de clause de sauvegarde au moins équivalentes à celles contenues dans la présente directive».

    31.      Ainsi, comme on le voit, l’article 23 de la directive n’est pas applicable, à cause de l’article 12 de ladite directive, aux OGM qui satisfont à certaines conditions spécifiques: 1) il doit s’agir d’OGM «autorisés par une législation communautaire» (autre que la directive, bien entendu); 2) cette législation doit prévoir une évaluation des risques pour l’environnement du type de celle requise par la directive; 3) cette législation doit imposer des obligations au moins équivalentes à celles de la directive en matière d’étiquetage, d’information du public, etc.

    32.      On doit, par conséquent, déterminer si un OGM autorisé en vertu de la directive 90/220 et notifié conformément au règlement n° 1829/2003 remplit les conditions indiquées au point précédent.

    33.      Nous observons, en premier lieu, que l’article 12 de la directive ne pouvait évidemment pas faire expressément référence au règlement, ce dernier étant une législation de deux ans postérieure à la directive elle-même.

    34.      Pour ce qui concerne plus particulièrement les conditions énumérées à l’article 12 de la directive, on pourrait relever qu’il est évident que le maïs MON 810 a été autorisé sur la base de conditions au moins équivalentes à celles prévues par la directive, dans la mesure où il a été autorisé précisément sur la base de la directive (ou, pour être plus exact, sur la base de la directive 90/220, que la directive 2001/18 a consolidée en la remplaçant (12)). Toutefois, ce qui caractérise le MON 810, c’est le fait que, en choisissant de le notifier seulement sur la base du règlement, et non de la directive 2001/18, Monsanto a entendu donner à ce produit un régime juridique exclusivement fondé sur le règlement n° 1829/2003, afin de profiter de la plus grande simplicité offerte par le système d’«autorisation unique» pour la culture et la commercialisation. Si le MON 810 avait également (ou seulement) été notifié en tant que «produit existant» conformément à l’article 17 de la directive 2001/18, l’applicabilité de l’article 23 de la directive ne ferait aucun doute.

    35.      Il convient, par conséquent, de vérifier si, en pratique, les conditions exigées par le règlement pour la commercialisation et/ou la culture sont au moins équivalentes à celles prévues par la directive.

    36.      Le fait que la première condition posée par l’article 12 de la directive soit que le produit ait été «autorisé» en vertu d’une législation de l’Union (autre que la directive) ne constitue pas, selon nous, un élément de nature à exclure l’applicabilité dudit article 12 à un produit simplement «notifié» conformément au règlement. Il est vrai en effet que, en l’absence de notification conformément au règlement, le MON 810 ne pourrait plus être ni cultivé ni commercialisé: en conséquence, du point de vue des effets pratiques, c’est précisément la notification conformément au règlement qui constitue l’élément qui «autorise» la culture et/ou la commercialisation du produit sur le territoire de l’Union. Du reste, ce qui importe, ce sont les conditions permettant la culture et/ou la commercialisation, au-delà de la dénomination formelle de l’acte qui les autorise («notification» ou «autorisation»).

    37.      À cet égard, les dispositions combinées de l’article 20, paragraphe 2, et de l’article 17, paragraphe 5 (13), du règlement n° 1829/2003 indiquent de façon claire que, pour notifier un produit existant conformément au règlement, toutes les informations nécessaires visées aux annexes II, III et IV de la directive 2001/18 doivent être fournies.

    38.      Par conséquent, un produit comme le MON 810, après avoir été autorisé en vertu de la directive 90/220, ne peut continuer à circuler, en vertu du règlement, qu’après une notification qui doit comprendre tous les éléments nécessaires pour obtenir une autorisation conformément à la directive.

    39.      Les autres conditions indiquées à l’article 12 de la directive semblent aussi satisfaites par le règlement. Il convient, à cet égard, de mentionner l’article 29, qui concerne l’accès du public aux informations, les articles 12 à 14 et 24 à 26, qui concernent l’étiquetage, en plus bien sûr de l’article 34, qui concerne les mesures d’urgence. Il peut être utile de rappeler également que le trente-troisième considérant du règlement précise que l’évaluation des risques pour l’environnement réalisée dans le cadre du règlement doit «respecte[r] les exigences de la directive 2001/18/CE». De façon plus générale, le neuvième considérant rappelle la nécessité que «[l]es nouvelles procédures d’autorisation» se conforment aux «nouveaux principes introduits dans la directive 2001/18/CE».

    40.      Il ne fait du reste pas de doute que, dans l’intention du législateur, le règlement n° 1829/2003 peut remplacer intégralement le système de la directive, si le titulaire d’un produit le souhaite (14). On pourrait donc s’interroger sur l’effet utile du règlement dans l’hypothèse où il faudrait continuer à considérer que les dispositions de la directive sont également applicables à des produits, qui, d’un point de vue juridique, sont entièrement régis par le règlement.

    41.      Il convient par ailleurs d’ajouter que, même si l’article 12 de la directive 2001/18 n’était pas applicable à un produit notifié conformément au règlement n° 1829/2003, comme le MON 810, la possibilité de recourir à la clause de sauvegarde visée à l’article 23 de la directive serait, dans un cas comme l’espèce, tout à fait incertaine. Il convient, en effet, de rappeler que le MON 810 n’a jamais été autorisé sur la base de la directive 2001/18, et que l’autorisation octroyée en vertu de la directive précédente n’a pu continuer à produire ses effets que dans la mesure où elle a été notifiée sur la base du règlement n° 1829/2003. Il semble, par conséquent, douteux qu’une disposition (l’article 23) d’une directive de 2001 puisse en substance avoir un effet modificateur sur un règlement de 2003 (en particulier sur son article 34), lequel ne prévoit expressément aucune dérogation de ce type.

    42.      Il est indispensable de bien mettre en évidence le fait que l’alternative entre l’article 23 de la directive et l’article 34 du règlement, en tant que base juridique pour l’adoption de mesures d’urgence, ne constitue pas une alternative entre une protection «plus forte» (sur la base de la directive) et une protection «plus faible» (sur la base du règlement). Malgré la formulation légèrement différente des deux dispositions, sur laquelle nous reviendrons dans le cadre de la discussion sur la troisième question préjudicielle, la seule différence significative est la personne appelée, selon la disposition, à prendre la mesure: un État membre dans le cas de la directive, la Commission dans le cas du règlement. Il est toutefois évident que l’on ne saurait considérer que la Commission – qui, il est bon de le rappeler, a reçu toute la documentation pertinente lors de la notification du produit – offre des garanties moindres par rapport à un État membre. Au contraire, dès lors que l’objectif essentiel de la réglementation de l’Union en matière d’OGM est de concilier la libre circulation des produits avec la protection de la santé (15), le choix de conférer à la Commission le pouvoir d’intervenir d’urgence présente un caractère de rationalité indubitable.

    43.      De même, dans le cadre de la discussion sur la première question préjudicielle, le renvoi au principe de précaution est tout à fait dénué de pertinence: celui-ci, comme nous le verrons lors de l’examen de la troisième question, est essentiel pour déterminer si et dans quelle mesure une mesure d’urgence peut être adoptée, mais il n’entre pas en ligne de compte pour déterminer qui est compétent pour l’adopter.

    44.      Pour résumer ce qui a été exposé aux points précédents, l’article 23 de la directive ne saurait être considéré comme applicable en l’espèce. Il en va ainsi tant parce que son application est exclue par l’article 12 de ladite directive que, de façon plus générale, parce que le MON 810 n’a jamais été notifié sur la base de la directive 2001/18.

    45.      Nous estimons, par conséquent, qu’il convient de répondre à la première question préjudicielle en déclarant que, dans le cas d’un OGM autorisé conformément à la directive 90/220, notifié en tant que produit existant conformément au règlement n° 1829/2003 et pour lequel la procédure de renouvellement de l’autorisation est en cours, d’éventuelles mesures d’urgence ne peuvent être adoptées que sur la base du règlement lui-même, et notamment de son article 34.

    IV – Sur la deuxième question préjudicielle

    46.      Par la deuxième question préjudicielle, il est demandé à la Cour d’indiquer si, dans le cas où seules les mesures d’urgence visées à l’article 34 du règlement pourraient être utilisées – ainsi que nous avons proposé à la Cour de le déclarer –, un État pourrait tout de même adopter des mesures unilatérales, comme l’a fait la République française en l’espèce.

    47.      À première vue, la question semble simple à résoudre. L’article 34 du règlement fait référence, pour l’adoption de mesures d’urgence, aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002, qui prévoient une intervention de la Commission à titre prioritaire (article 53) et une intervention d’un État à titre subsidiaire seulement, en cas d’inertie de la Commission (article 54). Par conséquent, il semble clair, en première analyse, qu’un État ne peut pas adopter de mesures d’urgence unilatérales sans avoir informé la Commission au préalable et l’avoir invitée à agir, conformément à l’article 53 du règlement n° 178/2002.

    48.      La Commission et Monsanto se sont en particulier fondées sur ces considérations pour soutenir que, selon la réglementation applicable de l’Union, le gouvernement français ne pouvait pas interdire unilatéralement le MON 810 sans demander au préalable à la Commission d’intervenir.

    49.      Il existe toutefois une difficulté, qui a été mise en lumière par les autres personnes ayant présenté des observations dans la présente affaire: elle découle de la formulation de l’article 53, précité, du règlement n° 178/2002. En effet, comme nous l’avons vu ci-dessus, cette disposition prévoit que la Commission adopte les mesures opportunes lorsque le problème «ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés». En d’autres termes, la disposition reconnaît aux États membres, aux fins de l’adoption de mesures d’urgence, un rôle prioritaire par rapport à celui reconnu à la Commission, selon le modèle classique du principe de subsidiarité.

    50.      Nous estimons toutefois que cela n’est pas le cas pour les OGM, et que l’examen des dispositions applicables confirme la règle selon laquelle la compétence pour adopter des mesures d’urgence en matière d’OGM sur la base des dispositions combinées de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 et des articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 relève à titre principal de la Commission, et non des États membres.

    51.      Il convient, en effet, d’observer que la clause de subsidiarité qui, dans l’article 53 du règlement n° 178/2002, limite le pouvoir d’intervention de la Commission aux cas dans lesquels les autorités étatiques ne peuvent pas intervenir de façon satisfaisante est une condition d’applicabilité de l’article 53 dans le cadre du règlement dans lequel il s’inscrit. Le règlement n° 178/2002, rappelons-le, a un champ d’application très large: il concerne en effet les denrées alimentaires et les aliments pour animaux de façon générale, et non spécifiquement les OGM. Les conditions d’application des dispositions indiquées à l’article 53 sont d’application générale, dans tous les cas dans lesquels des mesures d’urgence en matière alimentaire sont nécessaires. En matière d’OGM autorisés en vertu du règlement n° 1829/2003, toutefois, le législateur a choisi d’adopter une réglementation spécifique, qui fait exception au régime «normal» applicable à l’adoption de mesures d’urgence.

    52.      En particulier, dans ce contexte, la possibilité d’appliquer l’article 53 du règlement n° 178/2002, en présence des risques indiqués à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, découle directement dudit article 34, lequel prévoit que, dans certaines conditions, «des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002» (16). Il convient d’observer que le règlement n° 1829/2003 ne rappelle pas la condition d’applicabilité des articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 – dont le caractère opérationnel est strictement lié au contexte de ce dernier règlement – qui consiste dans l’existence d’un risque qui «ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés». Le règlement n° 1829/2003 fait, au contraire, référence aux seules «procédures» prévues par ces articles, qui consistent, d’une part, dans la possibilité d’intervention de la Commission (article 53) et, d’autre part, dans la possibilité d’interventions provisoires des États en cas d’inertie de la Commission (article 54).

    53.      Les articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 ne sont donc pertinents, dans le cas des OGM autorisés en vertu du règlement n° 1829/2003, que pour les procédures d’adoption des mesures, et non pour les conditions en présence desquelles les mesures d’urgence peuvent être adoptées. Et ces procédures reposent, sans équivoque possible, sur l’exercice de deux compétences distinctes: une compétence de la Commission à titre principal et une compétence seulement subsidiaire et exceptionnelle des États membres.

    54.      Pour conclure, il convient de relever aussi que, en matière d’OGM également, le rôle reconnu aux États membres pour l’adoption de mesures d’urgence, bien qu’il ne soit pas équivalent à celui de la Commission, qui est titulaire à titre principal de la compétence pour adopter les mesures, est tout de même très significatif, comme le montre la lettre même des dispositions applicables. D’une part, en effet, ainsi que cela résulte déjà clairement de ce qui a été exposé ci-dessus, conformément à l’article 53 du règlement n° 178/2002, les États membres peuvent demander à la Commission d’adopter des mesures d’urgence. D’autre part, dans le cas où la Commission n’agit pas en temps utile malgré les demandes des États, ceux-ci peuvent, conformément à l’article 54, adopter des «mesures conservatoires».

    55.      Pour conclure notre examen de la deuxième question, nous proposons donc d’y répondre en déclarant que, dans le cadre de la procédure d’adoption de mesures d’urgence visées à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, les États membres ne peuvent adopter des mesures unilatérales qu’à titre conservatoire, selon les modalités visées à l’article 54 du règlement n° 178/2002, exclusivement dans le cas où, bien qu’un État membre ait proposé d’adopter des mesures d’urgence, la Commission n’est pas intervenue en temps utile.

    V –    Sur la troisième question préjudicielle

    56.      Par la troisième question préjudicielle, le juge de renvoi demande à la Cour de préciser quelles sont les conditions – en particulier en ce qui concerne les risques éventuels – justifiant l’adoption de mesures d’urgence en vertu, respectivement, de l’article 23 de la directive et de l’article 34 du règlement.

    57.      À la lumière de la réponse que nous proposons de donner aux deux premières questions, il ne serait peut-être pas nécessaire de répondre à la troisième question préjudicielle. Dès lors en effet que le gouvernement français n’avait pas le pouvoir d’adopter des mesures unilatérales sans avoir au préalable saisi la Commission du problème, les conditions permettant d’adopter des mesures d’urgence ne sont plus pertinentes pour statuer dans la procédure au principal.

    58.      Nous estimons toutefois qu’il est utile d’examiner également la question, pour deux sortes de raisons. D’une part, dans le cas où la Cour ne partagerait pas notre position sur les questions précédentes; d’autre part, parce que, même si la République française ne pouvait pas, selon nous, adopter immédiatement de telles mesures, elle pourrait demander à la Commission de le faire et une clarification de la Cour pourrait en ce cas éviter des incertitudes et des contradictions ultérieures.

    59.      Du point de vue littéral, ainsi que nous l’avons vu en exposant le cadre juridique, les conditions d’application des mesures d’urgence sont décrites dans des termes différents à l’article 23 de la directive et à l’article 34 du règlement. Selon l’article 23 de la directive, les États membres peuvent adopter des mesures d’urgence s’ils ont, sur la base d’informations nouvelles, «des raisons précises de considérer qu’un OGM […] présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement». De son côté, l’article 34 du règlement limite en revanche l’adoption de mesures similaires aux cas dans lesquels un OGM «est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ou si, au regard d’un avis de l’Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation».

    60.      Les deux formulations, on le voit, ne sont pas identiques et, à première vue, celle de l’article 23 de la directive semble permettre l’adoption de mesures d’urgence dans un plus grand nombre de cas, dans la mesure où il parle seulement d’un «risque», sans exiger que celui-ci soit «grave» – comme le fait en revanche le règlement. De plus, alors que la directive exige qu’un État membre ait des «raisons précises» de considérer qu’il existe un risque, le règlement exige que le risque existe «de toute évidence».

    61.      La différence de la formulation peut s’expliquer si l’on tient compte de la portée différente que les mesures d’urgence peuvent avoir dans les deux cas. Une mesure d’urgence adoptée conformément à l’article 23 de la directive a en effet une portée limitée à un État membre, tandis qu’une mesure prise en vertu de l’article 34 du règlement produit ses effets sur tout le territoire de l’Union. Par conséquent, il peut sembler raisonnable de se montrer plus attentif avant d’adopter des mesures qui ont des conséquences particulièrement fortes.

    62.      Nous estimons toutefois qu’il ne faut pas surestimer ces différences et que, au-delà des différences lexicales, les conditions du recours aux deux types de mesures peuvent être considérées comme largement semblables.

    63.      Tout d’abord, l’article 34 du règlement, à la différence de l’article 23 de la directive, prévoit que la Commission peut adopter des mesures d’urgence, outre le cas dans lequel il existe à l’évidence un risque grave, dans tous les cas dans lesquels l’Autorité européenne de sécurité des aliments émet un avis indiquant qu’il est nécessaire de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation. L’avis de l’Autorité est rendu en vertu des articles 10 (pour les denrées alimentaires) et 22 (pour les aliments pour animaux) du règlement, et il peut être délivré à la demande d’un État membre ou de la Commission, ou encore à l’initiative de l’Autorité elle-même. Toutefois, ce qui est important, c’est que les motifs pour lesquels l’avis peut proposer une suspension ou une modification d’urgence de l’autorisation ne sont pas précisés par le règlement, et qu’ils relèvent donc du pouvoir discrétionnaire de l’Autorité elle-même, laquelle, sur la base de ses propres compétences techniques, doit vérifier si un OGM «est toujours conforme aux conditions du présent règlement».

    64.      En deuxième lieu, le principe de précaution, dont les clauses de sauvegarde comme l’article 23 de la directive et l’article 34 du règlement sont une expression (17), constitue un élément qui contribue de façon décisive à uniformiser les conditions prescrites par la directive et par le règlement. Ce principe, consacré en matière d’environnement par l’article 191, paragraphe 2, TFUE, implique, selon une jurisprudence constante, que, «lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques […], les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées» (18).

    65.      Le traité ne contient pas de définition du principe de précaution, mais on retrouve dans le droit dérivé une formulation analogue à celle de la jurisprudence. En particulier, l’article 7 du règlement n° 178/2002, qui n’est pas directement applicable en l’espèce, mais dont il peut assurément être tenu compte, prévoit ce qui suit:

    «1.      Dans des cas particuliers où une évaluation des informations disponibles révèle la possibilité d’effets nocifs sur la santé, mais où il subsiste une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, peuvent être adoptées dans l’attente d’autres informations scientifiques en vue d’une évaluation plus complète du risque.

    2.      Les mesures adoptées en application du paragraphe 1 sont proportionnées et n’imposent pas plus de restrictions au commerce qu’il n’est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de la santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque».

    66.      Par conséquent, à la lumière du principe de précaution et de l’interprétation qu’en ont faite la Cour de justice et la législation de l’Union, pour l’adoption de mesures d’urgence, indépendamment du fait qu’elles soient adoptées en vertu de l’article 23 de la directive ou de l’article 34 du règlement, il faut qu’existe un risque significatif, c’est-à-dire qui ne soit pas purement hypothétique (19), d’incidences négatives pour la santé ou l’environnement: il n’est cependant pas indispensable que le risque puisse être exactement quantifié dès le début. La précision que le risque doit être «grave», conformément à l’article 34 du règlement, doit, selon nous, être entendue en ce sens que la probabilité qu’un fait dommageable se produise est réelle, et qu’elle dépasse les limites normales du risque inhérent à toute activité humaine.

    67.      Il est impossible de définir au préalable de manière rigoureuse le niveau de risque qui justifie, en général, l’adoption de mesures d’urgence. Une déclaration jurisprudentielle abstraite, quelle qu’elle soit, serait d’une utilité faible, voire nulle, pour les décisions à adopter en pratique. L’évaluation du risque doit être effectuée au cas par cas par la personne appelée à prendre les décisions, et donc, dans le cas de l’article 34 du règlement, par la Commission.

    68.      En d’autres termes, en formulant l’idée en termes plus généraux pour ce qui concerne l’article 34 du règlement, il faut, pour l’adoption de mesures d’urgence: a) qu’il existe de toute évidence un risque de dommage; b) que la probabilité que le dommage en question se produise ne soit pas insignifiante, même si elle n’est pas nécessairement déterminée avec précision (la nature «grave» du risque, interprétée à la lumière du principe de précaution).

    69.      Le seuil de probabilité de la réalisation du dommage justifiant l’adoption de mesures d’urgence ne peut pas être déterminé à l’avance. Il en va ainsi tant parce que, on l’a vu, cela serait trop contraignant pour les personnes qui doivent prendre la décision, que parce que, au regard du principe de précaution, une mesure peut être adoptée même s’il subsiste une marge d’incertitude quant à la probabilité effective de réalisation du dommage éventuel. En outre, dans leur évaluation au cas par cas, les autorités compétentes seront naturellement portées à évaluer le pourcentage de risque acceptable selon un rapport coûts/avantages: plus les avantages procurés par un produit sont grands, plus le niveau de risque considéré comme acceptable pourra être élevé.

    70.      Les décisions prises par les autorités compétentes sont par ailleurs bien sûr soumises en tant que telles au contrôle juridictionnel. Dans le cas de la Commission, compétente en vertu de l’article 34 du règlement, le contrôle est naturellement exercé par les juridictions de l’Union, et donc en dernière analyse par la Cour. Puisque les décisions à adopter dans ce secteur nécessitent, par la force des choses, des évaluations techniques complexes, le contrôle juridictionnel devra, selon une jurisprudence constante, se borner à vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits et l’absence de détournement de pouvoir (20).

    71.      Nous proposons; par conséquent; à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle en déclarant que, pour l’adoption de mesures d’urgence relatives à des organismes génétiquement modifiés conformément à l’article 34 du règlement, il est nécessaire que soit constatée l’existence d’un risque de dommages pour la santé humaine, la santé des animaux ou l’environnement qui ne soit pas seulement hypothétique, et que la probabilité de réalisation de ces dommages ne soit pas insignifiante, même si elle n’est pas nécessairement déterminée avec précision.

    VI – Conclusion

    72.      En conclusion, nous proposons à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles soulevées par le Conseil d’État:

    «1)      Dans le cas d’un organisme génétiquement modifié (OGM) autorisé conformément à la directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, notifié en tant que produit existant conformément au règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, et pour lequel la procédure de renouvellement de l’autorisation est en cours, d’éventuelles mesures d’urgence ne peuvent être adoptées que sur la base du règlement lui-même, et notamment de son article 34.

    2)      Dans le cadre de la procédure d’adoption de mesures d’urgence visées à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, les États membres ne peuvent adopter des mesures unilatérales qu’à titre conservatoire, selon les modalités visées à l’article 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, exclusivement dans le cas où, bien qu’un État membre ait proposé d’adopter des mesures d’urgence, la Commission européenne n’est pas intervenue en temps utile.

    3)      Pour l’adoption de mesures d’urgence relatives à des organismes génétiquement modifiés conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003, il est nécessaire que soit constatée l’existence d’un risque de dommages pour la santé humaine, la santé des animaux ou l’environnement qui ne soit pas seulement hypothétique, et que la probabilité de réalisation de ces dommages ne soit pas insignifiante, même si elle n’est pas nécessairement déterminée avec précision.»


    1 – Langue originale: l’italien.


    2 – Directive du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement (JO L 117, p. 15).


    3 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 106, p. 1).


    4 – Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO L 268, p. 1).


    5 – Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1).


    6 – Décision 98/294/CE de la Commission, du 22 avril 1998, concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), conformément à la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 131, p. 32).


    7 – JORF du 5 août 1998, p. 11985.


    8 – JORF du 6 décembre 2007, p. 19748.


    9 – JORF du 9 février 2008, p. 2462.


    10 – JORF du 19 février 2008, p. 3004.


    11 – Le texte ici reproduit est celui des questions posées dans l’affaire C‑58/10. Les questions soulevées dans les autres affaires sont identiques, à la seule différence que la norme nationale visée dans la deuxième question est, dans ces dernières, l’arrêté du 7 février 2008.


    12 – Voir, en particulier, troisième considérant de la directive 2001/18.


    13 – Il s’agit des règles relatives aux produits destinés à une consommation animale, comme le MON 810. Pour les produits également destinés à la consommation humaine, les règles correspondantes sont les articles 5 et 8 du règlement.


    14 – Voir aussi les travaux préparatoires du règlement, au cours desquels la Commission a, dès l’origine, présenté sa proposition comme visant à introduire un système dit «one door – one key», de nature à permettre d’obtenir une autorisation unique valable tant pour la dissémination d’un OGM dans l’environnement que pour son utilisation dans les denrées alimentaires et/ou les aliments pour animaux. Voir, par exemple, proposition initiale de la Commission, du 25 juillet 2001 [COM(2001) 425 final, JO C 304 E, p. 221], point 3 de l’introduction.


    15 – Voir premier à troisième considérants du règlement n° 1829/2003. Dans la jurisprudence, voir par exemple, par analogie, arrêt du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a. (C‑236/01, Rec. p. I‑8105, points 74 et 106).


    16 – Caractères italiques ajoutés par nous.


    17 – Arrêt Monsanto Agricoltura Italia e.a., précité à la note 15 (point 110).


    18 – Arrêt du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a. (C‑157/96, Rec. p. I‑2211, point 63). Voir aussi, plus récemment, arrêts du 5 février 2004, Greenham et Abel (C‑95/01, Rec. p. I‑1333, point 43), et du 12 janvier 2006, Agrarproduktion Staebelow (C‑504/04, Rec. p. I‑679, point 39).


    19 – Arrêt Monsanto Agricoltura Italia e.a., précité à la note 15 (point 106).


    20 – Voir, par exemple, arrêt du 22 décembre 2010, Gowan Comércio Internacional e Serviços (C‑77/09, non encore publié au Recueil, point 56 et jurisprudence citée). En ce qui concerne spécifiquement l’adoption de mesures d’urgence, voir arrêt National Farmers’ Union e.a., précité à la note 18 (point 39).

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