Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 6 mai 2004(1)
Affaire C-153/01
Royaume d'Espagne
contre
Commission des Communautés européennes
«FEOGA – Section ‘garantie’ – Apurement des comptes – Cultures arables – Huile d'olive – Quotas laitiers»
1.
En vertu de l’article 230 CE, le royaume d’Espagne a demandé l’annulation partielle de la décision 2001/137/CE de la Commission,
du 5 février 2001, écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds
européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «Garantie»
(2)
.
2.
Selon le royaume d’Espagne, c’est à tort que la Commission des Communautés européennes a, lors de l’apurement des comptes
pour les exercices 1996, 1997 et 1998, refusé que soient mises à la charge du FEOGA les dépenses suivantes:
- –
- cultures arables (non‑imposition du gel extraordinaire): correction financière de 27 823 775 209 ESP;
- –
- cultures arables (régime de contrôle insuffisant): correction financière de 2 668 866 704 ESP;
- –
- huile d’olive (aides à la production): correction financière de 11 826 116 171 ESP;
- –
- huile d’olive (aides à la consommation): correction financière de 832 182 856 ESP, et
- –
- prélèvement supplémentaire sur le lait (intérêts de retard): correction financière de 2 426 259 870 ESP.
3
3 Les motifs des corrections ainsi appliquées aux dépenses sont résumés dans le rapport de synthèse relatif au résultat des
contrôles pour l’apurement des comptes du FEOGA, section «garantie», au titre des exercices 1996, 1997 et 1998
(3)
.
4
4 Le recours du gouvernement espagnol porte sur les dépenses concernant les cinq secteurs précités: 1) cultures arables et conséquences
du gel extraordinaire non imposé pour la récolte 1995; 2) cultures arables dans la Communauté autonome d’Andalousie; 3) aides
à la production d’huile d’olive; 4) aides à la consommation d’huile d’olive, et 5) prélèvement supplémentaire sur le lait.
5
5 S’agissant des secteurs de dépenses 2, 3 et 5, les moyens développés par le royaume d’Espagne consistent en appréciations
purement factuelles. Dès lors, nous concentrerons nos développements sur les catégories de dépenses 1 et 4 portant sur les
cultures arables et sur les conséquences du gel extraordinaire non imposé pour la récolte 1995 ainsi que sur les aides à la
consommation d’huile d’olive.
I – Cadre juridique
6
6 Le règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune
(4)
, dispose à son article 3, paragraphe 1, que la Communauté européenne finance, par la section «garantie» du FEOGA, les interventions
destinées à la régularisation des marchés agricoles, entreprises selon les règles communautaires dans le cadre de l’organisation
commune des marchés agricoles.
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7 En vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 729/70, la Commission met à la disposition des États membres les crédits
nécessaires pour que les services et les organismes désignés par les États membres procèdent, conformément aux règles communautaires
et aux législations nationales, aux paiements de ces interventions. Aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de ce
règlement, la Commission apure avant la fin de l’année suivante, sur la base des comptes annuels accompagnés des pièces nécessaires
à leur apurement, les comptes des services et des organismes des États membres.
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8 L’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729/70 dispose que les États membres prennent, conformément aux dispositions législatives,
réglementaires et administratives nationales, les mesures nécessaires pour s’assurer de la réalité et de la régularité des
opérations financées par le FEOGA, pour prévenir et poursuivre les irrégularités et pour récupérer les sommes perdues à la
suite d’irrégularités ou de négligences.
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9 En vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 729/90, à défaut de récupération totale, les conséquences financières
des irrégularités ou des négligences sont supportées par la Communauté, sauf celles résultant d’irrégularités ou de négligences
imputables aux administrations ou aux organismes des États membres. Les sommes récupérées sont versées aux services ou aux
organismes payeurs et portées par ceux‑ci en diminution des dépenses financées par le FEOGA.
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10 Conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 729/70, les États membres mettent à la disposition de la Commission
toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement du FEOGA et prennent toutes les mesures susceptibles de faciliter
les contrôles que la Commission estimerait utile d’entreprendre dans le cadre de la gestion du financement communautaire,
y compris des vérifications sur place. Les États membres communiquent à la Commission les dispositions législatives, réglementaires
et administratives qu’ils ont adoptées pour l’application des actes communautaires ayant trait à la politique agricole commune,
pour autant que ces actes comportent une incidence financière pour le FEOGA.
II – Cultures arables: sur la récolte de 1994 et les conséquences du gel extraordinaire non imposé pour la récolte de 1995
11
11 Le royaume d’Espagne conteste la correction financière appliquée en la matière par la Commission. La correction découle du
non‑respect de l’imposition du gel extraordinaire des cultures arables pour la récolte 1995, prévue par le règlement (CEE)
n° 1765/92
(5)
du fait du dépassement constaté des superficies garanties pour les cultures arables pour l’année 1994. Selon lui, son action
était justifiée. Il invoque des arguments distincts en ce qui concerne les cultures arables de terres non irriguées et les
cultures arables de terres irriguées.
Les cultures arables de terres non irriguées
12
12 Les autorités espagnoles ont demandé, au sujet des terres non irriguées, l’application du règlement (CE) n° 1422/97
(6)
qui les exempterait notamment du gel extraordinaire. Ce règlement prévoit, dans certaines circonstances, telles qu’une sécheresse
exceptionnelle, une évaluation différente des dépassements. Or, précisément, le royaume d’Espagne aurait connu une telle sécheresse.
13
13 Nous pensons, comme l’a justement mentionné la Commission dans son mémoire en défense, que la réforme introduite par le règlement
n° 1422/97 ne peut pas s’appliquer en l’espèce. En effet, ce règlement n’est applicable qu’à compter de la campagne 1996.
Or, les autorités espagnoles l’invoquent pour justifier les dépassements de la récolte de 1994. Le règlement n° 1422/97 ne
peut donc pas avoir d’effet rétroactif.
Les cultures arables de terres irriguées
14
14 Les autorités espagnoles ont cité le règlement (CE) n° 1040/95
(7)
qui prévoit, exceptionnellement, pour la campagne 1994/1995, que le dépassement de superficies n’a de conséquence que pour
les producteurs de graines oléagineuses, non pour les producteurs des autres cultures arables de terres irriguées. Ainsi,
l’obligation de gel extraordinaire pour la campagne 1995/1996 ne s’applique que pour les cultures arables irriguées de graines
oléagineuses. Cependant, selon le royaume d’Espagne, cette obligation n’est pas non plus applicable aux oléagineux, car il
invoque l’existence d’un accord politique avec la Commission qui va dans ce sens.
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15 La Commission nie l’existence d’un tel accord dont la réalité n’est pas prouvée par le royaume d’Espagne.
16
16 Il résulte de ce qui précède que le royaume d’Espagne ne rapporte pas sur ce point la preuve de ses allégations.
III – Aides à la consommation d’huile d’olive
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17 La Commission a imposé au royaume d’Espagne une rectification financière de 10 % du total des frais déclarés pour les aides
à la consommation d’huile d’olive correspondant à l’exercice 1996. La rectification est fondée sur des carences dans les systèmes
de gestion, de paiement et de contrôle espagnols. Le royaume d’Espagne conteste cette décision et affirme que la correction
ainsi opérée par la Commission est nulle, car la procédure légale n’a pas été respectée.
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18 La procédure légale prévoit que la communication écrite des résultats des vérifications, que la Commission envoie à l’État
membre concerné, ne peut pas porter sur des dépenses effectuées antérieurement aux 24 mois ayant précédé ladite communication,
conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1287/95
(8)
. De plus, cette communication doit faire référence expressément à l’article 8 du règlement (CE) n° 1663/95
(9)
, règlement d’application du règlement n° 729/70, qui précise le contenu de la communication écrite.
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19 Rappelons que la Cour a développé une jurisprudence constante sur les conditions de forme et de fond auxquelles la communication
doit satisfaire au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70, tel que modifié, lu en combinaison
avec l’article 8 du règlement d’application
(10)
. Ainsi, la communication ne doit pas porter sur des dépenses effectuées antérieurement aux 24 mois ayant précédé ladite communication.
Elle doit être écrite, doit contenir les défaillances constatées au regard des exigences du droit communautaire ainsi qu’une
invitation à y répondre et doit être envoyée aux autorités nationales
(11)
. Cependant, la Cour a précisé que la seule omission d’une référence explicite à l’article 8 du règlement d’application ne
serait pas constitutive de la violation d’une forme substantielle
(12)
.
20
20 L’absence de référence expresse à l’article 8 du règlement d’application soulevée par le royaume d’Espagne à l’encontre de
la lettre de la Commission doit donc être appréciée au regard de cette jurisprudence.
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21 Ainsi, il n’y a donc pas lieu de remettre en cause la correction financière appliquée et, par conséquent, le moyen avancé
par le royaume d’Espagne ne saurait être retenu.
IV – Conclusion
22
22 Au regard de ces considérations, et sans préjudice de l’examen des éléments factuels en cause dans la présente requête, nous
proposons à la Cour de:
- –
- rejeter le recours,
- –
- condamner le royaume d’Espagne aux dépens.
- 1 –
- Langue originale: le français.
- 2 –
- JO L 50, p. 9.
- 3 –
- AGRI-24491-2000-FR.
- 4 –
- JO L 94, p. 13. Pour une présentation générale de ce règlement, voir nos conclusions dans l'affaire Allemagne/Commission (arrêt
du 4 mars 2004, C‑344/01, non encore publié au Recueil). Voir également, sur l'évaluation des corrections, rapport Belle dans
nos conclusions dans l'affaire Espagne/Commission (arrêt du 8 mai 2003, C‑349/97, Rec. p. I‑3851).
- 5 –
- Règlement du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables (JO L 181,
p. 12).
- 6 –
- Règlement du Conseil, du 22 juillet 1997, modifiant le règlement n° 1765/92 (JO L 196, p. 18).
- 7 –
- Règlement de la Commission, du 10 mai 1995, établissant des mesures transitoires supplémentaires relatives à la gestion des
superficies de base en Espagne (JO L 106, p. 4).
- 8 –
- Règlement du Conseil, du 22 mai 1995, modifiant le règlement n° 729/70 (JO L 125, p. 1).
- 9 –
- Règlement de la Commission, du 7 juillet 1995, établissant les modalités d'application du règlement n° 729/70 en ce qui concerne
la procédure d'apurement des comptes du FEOGA, section «garantie» (JO L 158, p. 6, ci‑après le «règlement d'application»).
- 10 –
- Sur les exigences de respect de la procédure légale, voir arrêt du 24 janvier 2002, Finlande/Commission (C‑170/00, Rec. p. I‑1007,
points 25 et suiv.). Voir, également, arrêt du 13 juin 2002, Luxembourg/Commission (C‑158/00, Rec. p. I‑5373, points 23 et
suiv.), qui renvoie à l'interprétation de la Cour dans l'arrêt Finlande/Commission, précité.
- 11 –
- Voir arrêt Finlande/Commission, précité (points 28 et suiv.), également repris dans l'arrêt Luxembourg/Commission, précité
(points 23 et suiv.). Il est intéressant de renvoyer également aux conclusions de l'avocat général Tizzano, dans l'affaire
Luxembourg/Commission, précitée, qui souligne, concernant le contrôle de ces conditions, que, en cas d'irrégularités, «leur
concomitance éventuelle revêt évidemment une importance bien différente de celle que chacune d'elles, prise isolément, pourrait
avoir» (point 30). Selon lui, dans le cadre de l'interprétation de la Cour des dispositions procédurales, celles‑ci «peuvent
également faire l'objet d'une appréciation qui n'est pas purement formaliste, à condition toutefois que les droits des États
membres soient pleinement protégés» (point 38).
- 12 –
- Voir arrêt Finlande/Commission, précité (points 33 et 34).