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Document 61997CJ0327

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 5 octobre 1999.
    Christos Apostolidis e.a. contre Commission des Communautés européennes.
    Pourvoi - Rémunérations - Coefficient correcteur - Exécution d'un arrêt du Tribunal.
    Affaire C-327/97 P.

    Recueil de jurisprudence 1999 I-06709

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:482

    61997J0327

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 5 octobre 1999. - Christos Apostolidis e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Rémunérations - Coefficient correcteur - Exécution d'un arrêt du Tribunal. - Affaire C-327/97 P.

    Recueil de jurisprudence 1999 page I-06709


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Décisions sur les dépenses
    Dispositif

    Mots clés


    1 Fonctionnaires - Rémunération - Coefficients correcteurs - Objet - Équivalence du pouvoir d'achat

    (Statut des fonctionnaires, art. 64 et 65)

    2 Fonctionnaires - Rémunération - Coefficients correcteurs - Introduction d'un coefficient spécifique pour un lieu d'affectation donné en cas d'écart sensible du coût de la vie constaté à l'intérieur d'un même pays - Obligation du Conseil

    (Statut des fonctionnaires, art. 65, § 2)

    Sommaire


    1 La finalité des coefficients correcteurs affectant les rémunérations des fonctionnaires, prévus par les articles 64 et 65 du statut, est de garantir le maintien d'un pouvoir d'achat équivalent pour tous les fonctionnaires, quel que soit leur lieu d'affectation, conformément au principe de l'égalité de traitement.

    2 Il appartient au Conseil, en vertu de l'article 65, paragraphe 2, du statut, de constater s'il existe une différence sensible du coût de la vie entre les différents lieux d'affectation et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences. Le Conseil ne dispose d'aucune marge d'appréciation quant à la nécessité d'introduire un coefficient correcteur spécifique pour un lieu d'affectation donné si le coût de la vie y est sensiblement moins élevé que dans la capitale.

    Parties


    Dans l'affaire C-327/97 P,

    Christos Apostolidis e.a., fonctionnaires et agents temporaires de la Commission des Communautés européennes, affectés à l'Institut européen des transuraniens de Karlsruhe (Allemagne), représentés par Mes J.-N. Louis, T. Demaseure et A. Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson Sàrl, 30, rue de Cessange,

    parties requérantes,

    ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 10 juillet 1997, Apostolidis e.a./Commission (T-81/96, RecFP p. I-A-207 et II-607), et tendant à l'annulation de cet arrêt, les autres parties à la procédure étant: Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia et J. Currall, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg, partie défenderesse en première instance,

    soutenue par

    Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. M. Bishop et D. Canga Fano, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. A. Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

    partie intervenante au pourvoi,

    LA COUR

    (sixième chambre),

    composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président de chambre, G. Hirsch, J. L. Murray (rapporteur), H. Ragnemalm et R. Schintgen, juges,

    avocat général: M. J. Mischo,

    greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 20 mai 1999, au cours de laquelle M. Apostolidis e.a. ont été représentés par Mes J.-N. Louis et V. Peere, avocat au barreau de Bruxelles, la Commission par MM. G. Valsesia et J. Currall et le Conseil par MM. M Bishop et D. Canga Fano,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 24 juin 1999,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt


    1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 septembre 1997, M. Apostolidis ainsi que 64 autres fonctionnaires et agents temporaires de la Commission ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 10 juillet 1997, Apostolidis e.a./Commission (T-81/96, RecFP p. I-A-207 et II-607, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de rejet opposée par la Commission à la demande des requérants tendant à l'établissement de leurs bulletins de rémunération du mois de janvier 1992, en vue d'exécuter l'arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. I-A-227 et II-723), et, d'autre part, à l'indemnisation du dommage moral qu'ils prétendent avoir subi.

    2 Le cadre juridique et les faits qui sont à l'origine du pourvoi sont exposés dans l'arrêt attaqué dans les termes suivants:

    «1 Les requérants sont 65 fonctionnaires et agents temporaires de la Commission affectés à l'Institut des transuraniens de Karlsruhe en Allemagne.

    2 L'ensemble de ces personnes étaient également requérants dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723, ci-après `arrêt Chavane de Dalmassy'), dont le mode d'exécution fait l'objet du présent recours.

    3 Conformément à l'article 64 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après `statut') et à l'article 20 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, la rémunération des fonctionnaires et agents temporaires est affectée d'un coefficient correcteur fixé en fonction des conditions de vie dans leur lieu d'affectation, afin que, indépendamment de celui-ci, ils bénéficient d'un pouvoir d'achat équivalent.

    4 Le coefficient correcteur appliqué à la rémunération des requérants affectés à Karlsruhe a été, jusqu'à l'adoption du règlement n_ 3161/94 (CECA, CE, Euratom) du Conseil, du 19 décembre 1994, adaptant à partir du 1er juillet 1994 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1, ci-après `règlement n_ 3161/94'), celui applicable aux fonctionnaires affectés à Bonn, capitale de la République fédérale d'Allemagne jusqu'en octobre 1990.

    5 Après la réunification de l'Allemagne, la ville de Berlin est devenue, en octobre 1990, la capitale de cet État. Cet événement a conduit la Commission à soumettre au Conseil la proposition de règlement [SEC (91) 1612 final] du 4 septembre 1991 proposant, avec effet rétroactif au 1er octobre 1990, d'une part, l'adoption d'un coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du niveau du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, la fixation de coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn et Karlsruhe.

    6 Le 19 décembre 1991, le Conseil a adopté le règlement (CECA, CEE, Euratom) n_ 3834/91, adaptant à compter du 1er juillet 1991 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 361, p. 13, rectificatif au JO 1992, L 10, p. 56, ci-après `règlement n_ 3834/91'). Ce règlement fixait, notamment, un coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du coût de la vie dans l'ancienne capitale, Bonn, ainsi qu'un coefficient spécifique pour Berlin.

    7 En janvier 1992, chaque requérant a reçu un bulletin de rémunération supplémentaire, qui faisait application du coefficient correcteur `Bonn' (95,1) prévu à l'article 6, paragraphe 2, du règlement n_ 3834/91.

    8 À la suite d'un recours introduit par les requérants contre ces bulletins, le Tribunal a, dans son arrêt Chavane de Dalmassy, annulé les bulletins de rémunération des requérants afférents au mois de janvier 1992 pour autant qu'ils faisaient application d'un coefficient correcteur calculé par référence au coût de la vie à Bonn.

    9 Au point 56 du même arrêt, il a souligné que le Conseil n'était pas en droit de fixer un coefficient provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie dans une ville autre que la capitale. Il a ajouté que, dans ces conditions, le Conseil aurait dû fixer, d'une part, un coefficient correcteur - le cas échéant provisoire - pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, des coefficients correcteurs spécifiques - le cas échéant également provisoires - pour les différents lieux d'affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d'achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale, Berlin.

    10 N'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour, cet arrêt est passé en force de chose jugée.

    11 À la suite du prononcé de cet arrêt, la Commission a élaboré en date du 9 décembre 1994 une première proposition modifiée de règlement du Conseil [SEC (94) 2024 final] en vue de l'`adaptation annuelle' des rémunérations et des pensions des fonctionnaires. Elle a ensuite adopté une deuxième proposition de règlement [doc. SEC (94) 2085 final] modifiant la proposition [SEC (91) 1612 final] susmentionnée et visant à fixer, avec effet rétroactif au 1er octobre 1990, un coefficient correcteur général pour l'Allemagne, ainsi que des coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn et Karlsruhe.

    12 Le Conseil a alors adopté, sur la base de la première proposition modifiée, le règlement n_ 3161/94, qui porte, entre autres, adaptation des coefficients correcteurs à partir du 1er juillet 1994. L'article 6 de ce règlement portait fixation d'un coefficient correcteur général pour l'Allemagne fondé sur Berlin et d'un coefficient correcteur spécifique applicable aux rémunérations des fonctionnaires et autres agents affectés à Karlsruhe.

    13 En application de cette disposition, la Commission a établi les bulletins de rémunération récapitulatifs du personnel affecté à Karlsruhe pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994.

    14 Le Conseil n'a réservé aucune suite à la seconde proposition rectificative de la Commission relative à la fixation rétroactive des coefficients correcteurs à compter d'octobre 1990.

    15 Le 5 mai 1995, les requérants ont introduit une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut tendant, premièrement, à obtenir l'établissement de leurs bulletins de rémunération depuis le mois de janvier 1992 sur la base du coefficient correcteur légalement applicable, deuxièmement, à faire constater que la Commission avait commis une faute en n'adoptant pas dans un délai raisonnable les mesures qu'exigeait l'arrêt Chavane de Dalmassy en application de l'article 176 du traité CE et, troisièmement, à obtenir le paiement à chaque demandeur d'une somme de 50 000 [BEF] en indemnisation du dommage moral subi.

    16 Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 5 septembre 1995, soit quatre mois après sa présentation.

    17 Le 18 octobre 1995, les requérants ont introduit contre cette décision une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

    18 À défaut de réponse dans le délai de quatre mois prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, la réclamation a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 18 février 1996. La Commission a adopté ensuite, le 26 février 1996, une décision explicite de rejet, qui a été notifiée à chaque requérant par lettre type et contre accusé de réception à partir du 11 mars 1996.»

    3 C'est dans ces conditions que les requérants ont introduit devant le Tribunal un recours en annulation dans lequel ils invoquaient deux moyens.

    4 Le premier moyen était tiré d'une violation de l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) en ce que la Commission aurait méconnu la portée de cette disposition qui l'obligeait non seulement à adopter les mesures d'exécution directes qu'exigeait l'arrêt Chavane de Dalmassy, mais également à réparer le préjudice additionnel résultant de l'acte annulé. À cet égard, les requérants ont évalué ex aequo et bono à la somme de 50 000 BEF le dommage moral que chacun d'eux a subi en raison des fautes successives commises par la Commission ainsi que de l'état d'incertitude quant à la fixation de leurs droits dans lequel ils se sont trouvés depuis le prononcé dudit arrêt.

    5 Le second moyen était fondé sur la violation des articles 24, 64 et 65 du statut. Dans une première branche, les requérants soutenaient que la Commission était tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy conformément, d'une part, au devoir de sollicitude prévu à l'article 24 du statut et, d'autre part, à son obligation de soumettre au Conseil des propositions en cas de variation sensible du coût de la vie ou en cas de constatation d'une distorsion sensible du pouvoir d'achat dans un lieu d'affectation déterminé, telle qu'énoncée aux articles 64 et 65 du statut ainsi qu'à l'article 9 de l'annexe XI de celui-ci. Dans une deuxième branche, les requérants faisaient valoir que les propositions faites par la Commission à la suite de l'arrêt Chavane de Dalmassy, qui prévoyaient la fixation d'un coefficient correcteur pour Karlsruhe avec effet rétroactif, constituaient une nouvelle faute de service dans la mesure où elles avaient pour conséquence de réduire rétroactivement la rémunération à laquelle ils auraient eu droit sur la base du coefficient correcteur calculé par référence à la capitale Berlin. Dans la troisième branche du second moyen, les requérants ont estimé que la Commission avait également commis une faute et violé son devoir d'assistance, prévu à l'article 24 du statut, en ne soumettant pas à la censure du juge communautaire, en premier lieu, le règlement n_ 3161/94, dans la mesure où, en violation de l'article 176 du traité, il n'avait prévu aucune disposition rétroactive avec effet au mois de janvier 1992, et, en second lieu, le règlement n_ 3834/91, ce qui leur aurait évité d'introduire le recours ayant donné lieu à l'arrêt Chavane de Dalmassy.

    L'arrêt attaqué

    6 Par arrêt du 10 juillet 1997, le Tribunal de première instance a rejeté le recours dans sa totalité et condamné les requérants aux dépens.

    7 Après avoir écarté, aux points 37 à 48 de l'arrêt attaqué, l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission et tirée, d'une part, du caractère incorrect de la procédure précontentieuse et, d'autre part, du défaut d'intérêt à agir des requérants, le Tribunal a rejeté, aux points 60 à 81, le premier moyen invoqué par ces derniers et fondé sur la violation de l'article 176 du traité. Il a relevé que la seule adoption du règlement n_ 3161/94 ne constituait pas, a priori, une exécution suffisante de l'arrêt Chavane de Dalmassy, dans la mesure où ce règlement ne porte pas sur les bulletins de rémunération des fonctionnaires pour les mois de janvier 1992 à juin 1994 inclus, et qu'il convenait donc d'examiner dans quelle mesure l'arrêt Chavane de Dalmassy imposait également à la Commission d'adopter des mesures concernant la période de janvier 1992 au 1er juillet 1994, date de prise d'effet du règlement n_ 3161/94. À cet égard, il a constaté qu'il résulte de l'arrêt Chavane de Dalmassy que, en vertu des articles 64 et 65 du statut, le Conseil est tenu de fixer, d'une part, un coefficient correcteur - le cas échéant provisoire - pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, des coefficients correcteurs spécifiques - le cas échéant également provisoires - pour les différents lieux d'affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d'achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale, Berlin. Il a inféré de l'interdépendance entre ces deux obligations connexes imposées au Conseil que les requérants ne sauraient invoquer l'application à leur profit de l'une des deux obligations sans également tenir compte, pour la détermination de l'étendue de leurs droits, du contenu de la seconde obligation. Il en a conclu que la demande des requérants excédait manifestement les droits que ceux-ci tiennent de l'article 176 du traité.

    8 S'agissant de la demande des requérants tendant à la réparation des préjudices directs et accessoires résultant de l'illégalité censurée par le Tribunal, ce dernier a constaté que l'adoption de mesures compensatoires est subordonnée à la condition que les requérants aient subi un «désavantage». Or, il a relevé que ceux-ci ont globalement obtenu au cours de la période allant de janvier 1992 au 1er juillet 1994 l'application à leur rémunération d'un coefficient correcteur supérieur à celui qu'ils auraient obtenu si le Conseil avait déjà précédemment modifié la réglementation en vigueur. Les requérants n'ayant pas subi un quelconque désavantage, la Commission n'avait donc pas l'obligation d'adopter des mesures compensatoires. En ce qui concerne le grief relatif au préjudice moral, le Tribunal a jugé que l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure exige qu'une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire contienne des éléments qui permettent d'identifier, notamment, le préjudice que le requérant prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il a donc jugé que ladite demande était irrecevable.

    9 Aux points 90 à 105, le Tribunal a rejeté le second moyen tiré de la violation des articles 24, 64 et 65 du statut en jugeant qu'il est exclu que des fonctionnaires se fondent sur le devoir de sollicitude des institutions pour prétendre à des avantages auxquels s'opposent les dispositions de l'arrêt sur lequel leur recours est fondé. Quant à une prétendue violation par la Commission de son devoir d'assistance en ne soumettant pas à la censure du juge communautaire les règlements nos 3161/94 et 3834/91, le Tribunal a relevé que, étant donné que la Commission dispose, sous le contrôle du juge communautaire, d'un pouvoir d'appréciation dans le choix des mesures et moyens à mettre en oeuvre en vue de remplir ce devoir, un particulier ne saurait obliger cette dernière à engager un recours en carence sans mettre en danger la marge de manoeuvre propre à son pouvoir d'appréciation.

    Le pourvoi

    10 Dans leur pourvoi, les requérants demandent à la Cour, d'une part, d'annuler l'arrêt attaqué ainsi que la décision portant rejet de leur demande tendant à l'établissement de leurs bulletins de rémunération pour le mois de janvier 1992 et, d'autre part, de condamner la Commission à payer à chacun d'eux une somme de 50 000 BEF à titre d'indemnisation du préjudice moral subi et à supporter l'ensemble des dépens, y compris ceux afférents à la procédure de première instance.

    11 La Commission conclut au rejet du pourvoi comme non fondé.

    12 À l'appui de leur pourvoi, les requérants invoquent trois moyens. Le premier est tiré de la violation par le Tribunal de l'article 215, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 288, paragraphe 2, CE) ainsi que de l'article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure. Les requérants font valoir, d'une part, que l'arrêt Chavane de Dalmassy a été prononcé au moment où était étudiée au sein du Conseil une proposition de règlement de la Commission fixant pour Karlsruhe un coefficient correcteur supérieur à celui applicable à Bonn. Ils indiquent que ce n'est qu'après le prononcé dudit arrêt qu'a été déposée une nouvelle proposition de règlement fixant un coefficient correcteur inférieur pour Karlsruhe. Selon eux, le Tribunal, qui n'était pas en mesure de tenir compte de cet élément en rendant son arrêt dans l'affaire Chavane de Dalmassy, a considéré à tort que les conditions imposées par l'article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure n'étaient pas remplies.

    13 Les requérants soutiennent, d'autre part, que le Tribunal a violé l'article 215, paragraphe 2, du traité en considérant qu'ils n'avaient pas suffisamment précisé leur préjudice. Ils font valoir que le traité, le règlement de procédure et la jurisprudence n'imposent pas de démontrer l'existence d'un désavantage de nature exclusivement financière, ainsi que l'arrêt du Tribunal le laisse entendre. Les requérants estiment que leur intérêt à obtenir l'indemnisation de leur préjudice moral a été démontré à suffisance de droit dans le cadre de la procédure ayant abouti à l'arrêt attaqué.

    14 Le deuxième moyen est fondé sur la violation de l'article 176 du traité, de la jurisprudence relative à l'application de cette disposition, ainsi que sur l'erreur d'interprétation de l'arrêt Chavane de Dalmassy commise par le Tribunal lorsqu'il a jugé que la Commission n'était pas tenue d'établir de nouveaux bulletins de rémunération pour les requérants en appliquant le coefficient correcteur du pays d'affectation, calculé par rapport au coût de la vie dans la capitale, à défaut de coefficient correcteur spécifique au lieu d'affectation des requérants.

    15 Le troisième moyen est tiré de la violation des articles 63 à 65 bis du statut. Les requérants soutiennent que le Tribunal a considéré, à tort, qu'ils ne pouvaient en aucun cas exiger, en l'absence de coefficient correcteur spécifique au lieu d'affectation, l'application du coefficient correcteur de Berlin.

    L'appréciation de la Cour

    16 S'agissant des moyens invoqués à l'appui du pourvoi, il convient d'examiner d'abord le troisième moyen.

    Sur le troisième moyen

    17 Les requérants font valoir que, en l'absence de coefficient correcteur spécifique au lieu d'affectation, en l'occurrence Karlsruhe, les bulletins de rémunération devaient être établis sur la base du coefficient correcteur applicable dans la capitale. Selon eux, la Commission ayant décidé, en vertu de son pouvoir d'appréciation, de ne pas introduire de recours en carence contre le Conseil, il lui appartenait d'appliquer à leur rémunération le coefficient correcteur calculé par rapport au coût de la vie à Berlin.

    18 La Commission soutient que la finalité des coefficients correcteurs affectant les rémunérations des fonctionnaires, prévus aux articles 64 et 65 du statut, est de garantir le maintien d'un pouvoir d'achat équivalent, pour tous les fonctionnaires, quel que soit leur lieu d'affectation, conformément au principe de l'égalité de traitement. Selon elle, si l'on suivait les prétentions des requérants, cela reviendrait à dénaturer les principes de l'égalité de traitement et de l'équivalence du pouvoir d'achat des fonctionnaires en poste en Allemagne, principes qui sont à la base même de la notion de coefficient correcteur.

    19 Il y a lieu de constater, ainsi que le fait la Commission, qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour que la finalité des articles 64 et 65 du statut est de garantir le maintien d'un pouvoir d'achat équivalent pour tous les fonctionnaires, quel que soit leur lieu d'affectation, conformément au principe de l'égalité de traitement (voir, notamment, arrêts du 19 novembre 1981, Benassi/Commission, 194/80, Rec. p. 2815, point 5, et du 23 janvier 1992, Commission/Conseil, C-301/90, Rec. p. I-221, point 22). Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général, au point 101 de ses conclusions, il n'est pas contesté que, durant la période litigieuse, le coût de la vie à Karlsruhe était nettement inférieur à celui de Berlin. Dès lors, l'application à la rémunération des agents affectés à Karlsruhe d'un coefficient calculé par référence au coût de la vie à Berlin serait contraire à l'objet desdits articles du statut.

    20 Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n'a pas violé les articles 63 à 65 bis du statut en décidant que les requérants ne pouvaient exiger l'application à leur rémunération du coefficient correcteur de Berlin.

    21 Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen invoqué par les requérants.

    22 Il convient ensuite d'examiner le deuxième moyen.

    Sur le deuxième moyen

    23 Le Tribunal a considéré que l'arrêt Chavane de Dalmassy imposait au Conseil deux obligations indissociables, à savoir l'adoption d'un coefficient correcteur spécifique pour Berlin et d'un autre pour Karlsruhe. Les requérants soutiennent que le Tribunal a ainsi violé l'article 176 du traité en jugeant que la Commission n'était pas tenue d'établir de nouveaux bulletins de rémunération en appliquant le coefficient correcteur pour le pays d'affectation, calculé par rapport au coût de la vie dans la capitale, à défaut de coefficient correcteur spécifique à leur lieu d'affectation. Ils estiment que le Tribunal ne pouvait, sans empiéter sur son pouvoir d'appréciation, imposer au Conseil d'adopter un règlement spécifique pour Karlsruhe, ce dernier étant libre d'apprécier si un tel règlement était nécessaire compte tenu des données dont il disposait.

    24 Les requérants ajoutent qu'il appartenait à la Commission de prendre les mesures que comportait l'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy. Dans ce contexte, ils considèrent que trois possibilités s'offraient à elle:

    - soit introduire un recours en carence contre le Conseil pour défaut d'adoption d'un règlement alors que les conditions légales étaient remplies;

    - soit appliquer aux requérants le coefficient correcteur adopté pour la capitale;

    - soit, dans l'hypothèse où elle considérait que l'arrêt Chavane de Dalmassy présentait des difficultés particulières d'exécution, établir un dialogue avec les requérants afin, d'une part, de leur exposer lesdites difficultés et, d'autre part, de tenter de trouver une solution d'un commun accord.

    25 La Commission conteste la thèse des requérants. Elle soutient que Karlsruhe constituait incontestablement un des lieux où une distorsion sensible du pouvoir d'achat existait par rapport à celui de la capitale. Compte tenu des deux obligations indissociables reconnues par le Tribunal, elle fait valoir que la fixation d'un coefficient correcteur spécifique, propre à refléter le coût de la vie à Karlsruhe, était un principe incontournable pour le Conseil à partir du moment où celui-ci avait procédé à l'établissement d'un coefficient correcteur pour l'Allemagne au niveau de vie à Berlin.

    26 Il convient de relever que, suivant le raisonnement de la jurisprudence de la Cour, il appartient au Conseil, en application de l'article 65, paragraphe 2, du statut, de constater s'il existe une différence sensible du coût de la vie entre les différents lieux d'affectation et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 1982, Commission/Conseil, 59/81, Rec. p. 3329, point 32, et du 23 janvier 1992, Commission/Conseil, précité, point 24). À cet égard, il y a lieu de constater que le Conseil ne dispose d'aucune marge d'appréciation quant à la nécessité d'introduire un coefficient correcteur spécifique pour un lieu d'affectation si, comme en l'espèce, le coût de la vie y est sensiblement moins élevé que dans la capitale.

    27 En ce qui concerne la première des trois possibilités qui, selon les requérants, s'offraient à la Commission pour exécuter l'arrêt Chavane de Dalmassy, il y a lieu de relever, en premier lieu, que le Tribunal a jugé, à bon droit, aux points 99 à 103 de l'arrêt attaqué, que les requérants ne sauraient obliger la Commission à engager un recours en carence sans mettre en danger la marge de manoeuvre propre au pouvoir d'appréciation dont cette dernière dispose sur le fondement de l'article 175 du traité CE (devenu article 232 CE) (voir, par analogie, arrêt du 14 fevrier 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, Rec. p. 291, points 10 à 14).

    28 S'agissant de la deuxième possibilité, la Cour a déjà constaté, au point 20 du présent arrêt, que l'application aux requérants du coefficient correcteur adopté pour la capitale, à savoir Berlin, irait à l'encontre de la finalité des articles 63 à 65 bis du statut.

    29 Quant à la troisième possibilité qui s'offrait à la Commission, à savoir établir un dialogue avec les requérants relatif à l'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy, il y a lieu de relever que c'est à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 74 de l'arrêt attaqué, que la Commission était dans l'incapacité, en l'absence d'adoption d'un acte réglementaire par le Conseil, d'appliquer à la rémunération des requérants un coefficient correcteur différent de celui imposé par la réglementation en vigueur. Ainsi que le Tribunal l'a constaté, cette incapacité constituait incontestablement une «difficulté particulière» d'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy et, dans une telle situation, il appartient à l'institution concernée de prendre toute décision qui serait de nature à compenser équitablement le désavantage ayant résulté pour les intéressés de la décision annulée (voir arrêt du 9 août 1994, Parlement/Meskens, C-412/92 P, Rec. p. I-3757, point 28). C'est donc à juste titre que le Tribunal a jugé, au point 75, que, étant donné qu'il n'est pas contesté que les requérants ont globalement obtenu, au cours de la période allant de janvier 1992 au 1er juillet 1994, l'application à leur rémunération d'un coefficient correcteur supérieur à celui qu'ils auraient obtenu si le Conseil avait déjà modifié la réglementation en vigueur, un tel désavantage n'a pas été démontré.

    30 Il résulte de tout ce qui précède que le Tribunal n'a pas violé l'article 176 du traité en jugeant que les exigences des requérants excédaient manifestement les droits qu'ils tiennent de cette disposition et il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen.

    31 Il convient enfin d'examiner le premier moyen.

    Sur le premier moyen

    32 Les requérants font valoir que l'arrêt Chavane de Dalmassy a été prononcé au moment où une proposition de règlement de la Commission, fixant un coefficient correcteur pour Karlsruhe supérieur à celui applicable à Bonn, était à l'étude au sein du Conseil. Ils constatent que ce n'est qu'après le prononcé dudit arrêt qu'une nouvelle proposition de règlement, fixant un coefficient correcteur inférieur pour Karlsruhe, a été déposée. Ils estiment que le Tribunal, en rendant son arrêt dans l'affaire Chavane de Dalmassy, n'était pas en mesure de tenir compte de cet élément.

    33 Les requérants soutiennent également que le Tribunal a violé l'article 215, paragraphe 2, du traité, en jugeant qu'ils n'avaient pas suffisamment précisé leur préjudice. Ils font valoir que le traité, le règlement de procédure et la jurisprudence n'imposent pas de démontrer l'existence d'un désavantage de nature exclusivement financière, ainsi que l'arrêt du Tribunal le laisse entendre. Ils considèrent que la Commission, en n'établissant pas de nouveaux bulletins de rémunération pour la période de janvier 1992 à juin 1994, malgré l'arrêt Chavane de Dalmassy, les a maintenus dans un état d'incertitude et d'incompréhension. Les requérants soutiennent qu'ils ont évalué leur dommage moral ex aequo et bono en tenant compte des fautes successives commises par la Commission et que leur intérêt à obtenir l'indemnisation de leur préjudice moral a été démontré à suffisance de droit dans le cadre de la procédure ayant abouti à l'arrêt attaqué.

    34 La Commission soutient que le but poursuivi par les requérants à la suite de l'arrêt Chavane de Dalmassy consistait en substance à obtenir la simple extension à leur profit, depuis le mois d'octobre 1991, du coefficient correcteur de Berlin. Elle prétend que, s'il est exact que, au point 56 de cet arrêt, le Tribunal a constaté que le Conseil n'était pas en droit de fixer un coefficient provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie dans une ville autre que la capitale, il a complété son appréciation en relevant dans le même attendu que, dans ces conditions, le Conseil aurait dû fixer, d'une part, un coefficient correcteur - le cas échéant provisoire - pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, des coefficients correcteurs spécifiques - le cas échéant également provisoires - pour les différents lieux d'affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d'achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale.

    35 Selon la Commission, les requérants ont bénéficié à Karlsruhe d'un coefficient correcteur supérieur à celui auquel ils auraient pu prétendre si le Conseil avait retenu la proposition rectificative de la Commission, sur la base des données statistiques relevées par l'Office statistique des Communautés européennes. Elle en conclut que les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils ont subi un préjudice financier. S'agissant du préjudice moral, la Commission reconnaît qu'il peut être évalué ex aequo et bono. Toutefois, encore faudrait-il qu'il y ait eu préjudice. Selon elle, les requérants n'ayant pu fournir la preuve d'un tel préjudice, le Tribunal n'a dès lors commis aucune erreur de droit.

    36 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, pour apprécier l'intérêt des requérants dans la présente affaire, il convient d'établir si le préjudice qu'ils invoquent existait à la date d'introduction de leur recours, compte tenu de la situation juridique résultant des modifications introduites à la suite de l'arrêt Chavane de Dalmassy.

    37 En ce qui concerne le préjudice matériel, il y a lieu de relever que les requérants n'ont pas contesté les chiffres avancés par la Commission selon lesquels, pendant la période en cause, le coût de la vie à Karlsruhe était globalement moins élevé qu'à Bonn. Il s'ensuit que, en appliquant à leur rémunération le coefficient correcteur calculé par référence au coût de la vie à Bonn, au lieu d'un coefficient spécifique pour Karlsruhe, les requérants ont bénéficié d'un léger avantage financier. Il en résulte que ces derniers n'ont pas subi de préjudice matériel. Quant au préjudice moral, il y a lieu de constater qu'il ressort clairement des points 77 à 81 de l'arrêt attaqué que le Tribunal n'a précisé à aucun moment, ni explicitement ni implicitement, que seul un désavantage exclusivement financier est susceptible de donner lieu à réparation par le versement d'indemnités compensatoires. Le Tribunal a seulement indiqué que, pour satisfaire aux exigences précisées à l'article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir des éléments qui permettent d'identifier, notamment, le caractère et l'étendue du préjudice. Les requérants n'ayant pas produit de tels éléments, c'est donc à juste titre que le Tribunal a jugé, eu égard au fait que le recours en indemnité des requérants ne satisfaisait pas aux conditions imposées par ladite disposition de son règlement de procédure, que les conclusions en indemnité fondées sur un prétendu préjudice moral étaient irrecevables.

    38 Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen invoqué par les requérants.

    39 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté dans sa totalité.

    Décisions sur les dépenses


    Sur les dépens

    Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En vertu de l'article 69, paragraphe 4, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Commission n'ayant pas conclu à la condamnation des requérants aux dépens et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LA COUR

    (sixième chambre)

    déclare et arrête:

    1) Le pourvoi est rejeté dans sa totalité.

    2) M. Apostolidis e.a., la Commission des Communautés européennes et le Conseil de l'Union européenne supporteront leurs propres dépens.

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