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Document 61988CC0229

    Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 6 février 1990.
    Cargill BV e.a. contre Commission des Communautés européennes.
    Agriculture - Règlement portant suspension de la fixation à l'avance d'une aide - Recevabilité du recours en annulation.
    Affaire C-229/88.

    Recueil de jurisprudence 1990 I-01303

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1990:46

    61988C0229

    Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 6 février 1990. - Cargill BV e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - Règlement portant suspension de la fixation à l'avance d'une aide - Recevabilité du recours en annulation. - Affaire C-229/88.

    Recueil de jurisprudence 1990 page I-01303


    Conclusions de l'avocat général


    ++++

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1 . Le 7 juin 1988, la Commission a adopté le règlement ( CEE ) n° 1587/88 portant suspension de la fixation à l' avance de l' aide pour les graines de colza, de navette et de tournesol ( JO L 141 du 8.6.1988, p . 55 ) "pour les certificats dont la demande est déposée du 7 au 11 juin 1988 ". Les requérantes demandent l' annulation de ce règlement dans la mesure où il s' applique aux demandes de fixation à l' avance déposées le 7 juin 1988 .

    2 . A l' appui de cette demande, elles invoquent le texte de l' article 8 du règlement ( CEE ) n° 1594/83 du Conseil, du 14 juin 1983, relatif à l' aide pour les graines oléagineuses, tel que cet article a été modifié par la suite ( 1 ), qui constitue la base juridique du règlement attaqué .

    3 . Cet article prévoit ce qui suit :

    "1 . En cas de situation anormale et lorsque cette situation entraîne ou risque d' entraîner une perturbation sur le marché communautaire des graines oléagineuses, il peut être décidé de suspendre la fixation à l' avance de l' aide pour la période nécessaire au rétablissement de l' équilibre du marché .

    2 . La suspension visée au paragraphe 1 peut être étendue aux parties 'fixation à l' avance' des certificats visés à l' article 4, qui ont été demandées et qui n' ont pas encore été délivrées dans le cas :

    a ) où il y a une erreur matérielle dans le montant de l' aide qui est publiée,

    b ) où certains facteurs peuvent créer une distorsion monétaire entre les États membres,

    et lorsque ces cas peuvent créer une discrimination entre les parties intéressées .

    3 . La suspension de la fixation à l' avance est décidée selon la procédure prévue à l' article 38 du règlement n° 136/66/CEE .

    Toutefois, en cas d' urgence, la Commission peut décider cette suspension; dans un tel cas, la durée de la suspension ne peut dépasser cinq jours ."

    4 . La Commission a soulevé une exception d' irrecevabilité à l' égard du recours en invoquant le fait qu' en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité les particuliers ne peuvent agir que si l' acte attaqué, bien qu' adopté sous la forme d' un règlement, constitue en réalité une décision qui les concerne directement et individuellement . Elle s' appuie sur votre jurisprudence bien connue ( 2 ), et plus particulièrement sur vos arrêts du 25 mars 1982, Moksel/Commission ( 45/81, Rec . p . 1129 ), du 27 octobre 1983, De Beste Boter/Produktschap voor Zuivel ( 276/82, Rec . p . 3331 ), et du 21 novembre 1989, "Les Usines coopératives de déshydratation du Vexin et autres"/Commission ( 244/88, Rec . p . 0000, ci-après "UCDV "). Dans ces arrêts, vous avez établi que des règlements de la Commission portant suspension de la préfixation d' un certain type de restitution ou d' aide constituent des actes ayant une portée générale au sens de l' article 189, deuxième alinéa, du traité, qui ne sauraient concerner individuellement les personnes ayant déposé une demande de préfixation avant l' adoption de ces règlements .

    5 . A première vue, on pourrait donc considérer qu' il suffit de se référer à ces arrêts pour parvenir à la conclusion que le présent recours est également irrecevable .

    6 . Il se fait, cependant, que les dispositions qui étaient en cause dans les trois affaires susmentionnées étaient substantiellement différentes de celle qui a servi de base juridique à la décision attaquée en l' espèce .

    7 . Dans l' affaire Moksel, 45/81, c' était l' article 5 du règlement ( CEE ) n° 885/68 du Conseil, du 28 juin 1968, établissant, dans le secteur de la viande bovine, les règles générales relatives à l' octroi des restitutions à l' exportation et les critères de fixation de leur montant, tel qu' il a été modifié par le règlement ( CEE ) n° 1504/76 du Conseil, du 21 juin 1976 ( JO L 168 du 28.6.1976, p . 7 ). Le paragraphe 4 de cette disposition prévoit ce qui suit :

    "4 . Lorsque l' examen de la situation du marché permet de constater l' existence de difficultés dues à l' application des dispositions relatives à la fixation à l' avance de la restitution, ou si de telles difficultés risquent de se produire, il peut être décidé, selon la procédure prévue à l' article 27 du règlement ( CEE ) n° 805/68, de suspendre l' application de ces dispositions pour le délai strictement nécessaire .

    En cas d' extrême urgence, la Commission peut, après un examen de la situation sur la base de tous les éléments d' information dont elle dispose, décider de suspendre la préfixation pendant au maximum trois jours ouvrables .

    Les demandes de certificats assorties de demandes de fixation à l' avance introduites pendant la période de suspension sont irrecevables ."

    8 . Dans l' affaire De Beste Boter, la disposition en cause était rédigée en des termes identiques à celle que nous venons de citer (( voir article 9, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 2429/72 du Conseil, du 21 novembre 1972, concernant la suspension de l' application des dispositions prévoyant la fixation à l' avance des prélèvements et restitutions dans les différents secteurs de l' organisation commune des marchés ( JO L 264 du 23.11.1972, p . 1 ) )).

    9 . Dans le cas de votre arrêt le plus récent, celui relatif à l' affaire UCDV, 244/88 ( précitée ), le passage essentiel du texte sur lequel s' était fondée la Commission pour suspendre la préfixation était libellé de la manière suivante :

    "1 . En cas de situation anormale sur le marché des fourrages séchés dans la Communauté, notamment lorsque le volume des demandes de fixation à l' avance de l' aide n' apparaît pas en rapport avec l' écoulement normal de ces fourrages, il peut être décidé, dans le cas où le certificat visé n' a pas encore été délivré, de suspendre la fixation à l' avance pour la période nécessaire au rétablissement de l' équilibre du marché" ( 3 ).

    10 . Il est intéressant de noter qu' avant sa modification, en 1986, l' article 8 du règlement n° 1594/83 avait une rédaction identique, en substance, à celle de la disposition en cause dans l' affaire UCDV . Ainsi qu' il résulte du dernier considérant du règlement n° 935/86, l' article 8 a été modifié, parce que :

    "l' expérience a révélé, dans le cas d' une situation anormale du marché communautaire des graines oléagineuses, qu' il est nécessaire de clarifier les conditions de suspension de la fixation à l' avance de l' aide ".

    11 . Il ne saurait être contesté que la nouvelle rédaction de l' article 8 subordonne l' extension de la suspension aux certificats déjà demandés à des critères différents de ceux qui permettent une suspension de la préfixation uniquement pour l' avenir . Les requérantes ont donc raison de souligner qu' un règlement couvrant simultanément les deux hypothèses constitue, en réalité, un acte qui est composé de deux parties distinctes : une partie afférente aux demandes en instance et une autre relative aux demandes à venir .

    12 . Cela devrait normalement apparaître dans les considérants . Mais même si les considérants manquent de clarté à cet égard, il résulte clairement de la rédaction de l' article 8 du règlement n° 1594/83, qui constitue la base juridique du règlement attaqué, qu' il n' est pas possible de constater ici, comme vous avez pu le faire dans les arrêts Moksel et UCDV, que la suspension de la préfixation concernait indistinctement les demandes en instance et celles qui auraient pu encore être présentées, si la mesure de suspension n' était pas intervenue .

    13 . Reste à savoir si le règlement incriminé, pour autant qu' il vise les demandes déposées le 7 juin 1988, constitue en réalité une décision concernant directement et individuellement les auteurs de ces demandes .

    14 . Pour ce qui est des précédents, trois affaires présentent des similitudes assez prononcées avec celle qui nous occupe . Il s' agit des affaires International Fruit Company ( arrêt du 13 mai 1971, 41/70-44/70, Rec . p . 411 ), Toepfer ( arrêt du 1er juillet 1965, 106/63 et 107/63, Rec . p . 526 ) et Bock ( arrêt du 23 novembre 1971, 62/70, Rec . p . 897 ), dans lesquelles la Cour a admis la recevabilité des recours .

    15 . L' arrêt International Fruit Company se distingue cependant du cas d' espèce d' une manière fondamentale . Dans le cadre du régime en cause dans cette affaire, les États membres devaient en effet communiquer à la fin de chaque semaine, à la Commission, les quantités pour lesquelles des titres d' importations avaient été demandés, et la Commission était appelée à apprécier la situation et à décider de la délivrance des titres, notamment sur la base de ces communications . La Cour a constaté, au point 20 de cet arrêt, que la Commission "a décidé de la suite à donner à chaque demande déposée ". Tel n' a nullement été le cas ici .

    16 . Quant aux arrêts Toepfer et Bock, une lecture superficielle de ceux-ci pourrait créer l' impression qu' ils concernaient une situation identique à celle en cause ici . Cette similitude n' est cependant qu' apparente . Dans ces affaires, des États membres avaient en effet, dans un premier stade, adopté une mesure de sauvegarde ou refusé la délivrance d' un titre d' importation, et la Commission avait ensuite, quelques jours après seulement, validé rétroactivement ces mesures .

    17 . Dans l' arrêt Toepfer, la Cour a constaté que

    "le nombre et l' individualité de ces importateurs étaient déterminés et vérifiables dès avant la date du 4 octobre, quand la décision attaquée a été arrêtée ".

    Dans l' arrêt Bock, la Cour a noté que c' était

    "précisément au vu des demandes dont ( les ) services ( nationaux ) étaient d' ores et déjà saisis que l' autorisation a été sollicitée" ( point 7 ).

    Dans les deux cas, la Cour a souligné que la Commission était, dès lors, en mesure de savoir que la disposition litigieuse affecterait exclusivement les intérêts et la position de ces importateurs .

    18 . Le règlement en cause dans la présente affaire a été adopté au cours de la journée du 7 juin 1988 et publié au Journal officiel le 8 juin 1988 . Les opérateurs économiques n' en ont pris connaissance qu' à cette dernière date, et il est probable qu' au moment où le règlement litigieux a été signé par le vice-président de la Commission des demandes continuaient à affluer auprès des organes compétents des États membres, et que la Commission ne connaissait pas le nombre exact ni l' identité des opérateurs économiques affectés par sa décision . Mais, à supposer même que tel ait été le cas, cela ne saurait suffire pour considérer que le règlement litigieux ait constitué, pour partie au moins, un faisceau de décisions concernant individuellement les requérantes . Avec M . l' avocat général G . Tesauro, je suis d' avis que si l' existence d' un tel "cercle fermé"

    "constitue une condition nécessaire pour que le caractère non réglementaire de l' acte soit admis, ( elle ) n' est pas une condition suffisante en soi" ( 4 ).

    19 . Il convient, en effet, de rappeler que dès l' arrêt du 11 juillet 1968, Zuckerfabrik Watenstedt GmbH/Conseil ( 6/68, Rec . p . 595, 605 ), et à d' innombrables reprises par après, la Cour a dit pour droit :

    "La nature réglementaire de l' acte n' est pas mise en cause par la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l' identité des sujets de droit auxquels il s' applique à un moment donné, tant qu' il est constant que cette application s' effectue en vertu d' une situation objective de droit et de fait définie par l' acte, en relation avec la finalité de ce dernier ."

    20 . Il faut donc, comme l' a dit également M . Tesauro,

    "que la circonstance qui permet d' identifier les destinataires de l' acte ait déterminé d' une manière ou d' une autre l' intervention de l' institution et relève donc de la raison d' être de l' acte lui-même ".

    21 . Or, selon l' article 8 du règlement n° 1594/83, l' extension de la suspension de la préfixation aux demandes déjà déposées n' est possible que si certaines circonstances objectives, totalement indépendantes de l' identité et même du nombre des opérateurs concernés sont réalisées . Une telle extension n' est en effet possible que dans le cas :

    "a ) où il y a une erreur matérielle dans le montant de l' aide qui est publiée;

    b ) où certains facteurs peuvent créer une distorsion monétaire entre les États membres et lorsque ces cas peuvent créer une discrimination entre les parties intéressées ".

    22 . Même ce dernier critère ne saurait être considéré comme une référence à l' identité des opérateurs économiques ayant déposé une demande . A mon avis, il vise seulement à écarter la possibilité que cette catégorie d' opérateurs puisse bénéficier d' un avantage indu, si la suspension de la préfixation ne la frappait pas .

    23 . Il est vrai que la Commission, dans le règlement litigieux, n' a fait aucune référence aux critères a ) et b ) et qu' elle a seulement rappelé que

    "l' article 8 du règlement ( n° 1594/83 ) prévoit la possibilité de suspendre l' application des dispositions relatives à la fixation à l' avance lorsque certains facteurs peuvent créer une distorsion entre les parties intéressées, dans le cas où le certificat demandé n' a pas encore été délivré"

    et que

    "le maintien du régime actuel, eu égard à l' incertitude régnant sur les marchés, risque de conduire à des opérations spéculatives ".

    24 . Si vous décidez d' examiner les présents recours quant au fond et, en tout cas, lorsque vous répondrez aux questions préjudicielles qui vous ont été posées par plusieurs juridictions nationales au sujet de la validité du règlement n° 1587/88, vous devrez trancher la question de savoir si, en l' occurrence, les conditions posées par l' article 8 du règlement n° 1587/88 étaient effectivement remplies .

    25 . En ce qui concerne la recevabilité des présents recours, il est cependant possible de conclure que la suspension de la fixation à l' avance, en ce qui concerne les demandes déposées le 7 juin 1988, n' est pas intervenue en raison des demandes individuelles présentées ce jour-là, mais en vertu d' une situation objective de droit et de fait définie par l' acte litigieux en relation avec la finalité de ce dernier . Le règlement litigieux a, en effet, entendu éviter que les auteurs de ces demandes, quels qu' ils soient, ne puissent bénéficier d' un niveau trop élevé du montant de l' aide par rapport aux finalités de ce régime et qu' une discrimination soit ainsi opérée aux dépens des opérateurs économiques qui allaient déposer des demandes de préfixation après l' expiration du règlement suspendant la préfixation ( 11 juin 1988 ), étant donné qu' entre-temps, par un règlement également adopté le 7 juin et entré en vigueur le 8 juin 1988, le niveau de l' aide avait été réduit .

    26 . On est, dès lors, en droit de conclure que le règlement attaqué s' applique à une situation déterminée objectivement et qu' il produit des effets juridiques à l' égard d' une catégorie de personnes envisagée de manière abstraite . Il a donc une portée générale au sens de l' article 189, deuxième alinéa, du traité, et ne saurait concerner les requérantes individuellement au sens de l' article 173, deuxième alinéa, du traité .

    27 . En conclusion, je vous propose de rejeter ces recours comme irrecevables et de condamner les sociétés requérantes aux dépens, y compris ceux de l' action en référé .

    (*) Langue originale : le français .

    ( 1 ) Règlement ( CEE ) n° 935/86 du Conseil, du 25 mars 1986, modifiant le règlement ( CEE ) n° 1594/83 relatif à l' aide pour les graines oléagineuses ( JO L 87, p . 5 ), et rectificatif paru au JO L 181 du 12.8.1988, p . 51 .

    ( 2 ) Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 1982, Alusuisse, points 8 et 11, 307/81, Rec . p . 1987; arrêt du 24 février 1987, Deutz und Geldermann, points 7 et 8, 26/86, Rec . p . 941; et, en dernier lieu, arrêt du 29 juin 1989, RAR, points 8 et 9, 250/86 et 11/87, Rec . p . 0000 ).

    ( 3 ) Article 12 du règlement ( CEE ) n° 1417/78, du 19 juin 1978, relatif au régime d' aide pour les fourrages séchés ( JO L 171, p . 1 ).

    ( 4 ) Conclusions de M . l' avocat général G . Tesauro du 26 septembre 1989 dans l' affaire UCDV et autres/Commission, point 4 ( 244/88, Rec . p . 0000 ).

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