Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61987CC0246

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 février 1989.
Continentale Produkten-Gesellschaft Erhardt-Renken GmbH & Co. contre Hauptzollamt München-West.
Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne.
Droits antidumping sur les importations de fils de coton.
Affaire 246/87.

Recueil de jurisprudence 1989 -01151

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1989:69

61987C0246

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 février 1989. - Continentale Produkten-Gesellschaft Erhardt-Renken GmbH & Co. contre Hauptzollamt München-West. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne. - Droits antidumping sur les importations de fils de coton. - Affaire 246/87.

Recueil de jurisprudence 1989 page 01151


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le Finanzgericht Muenchen vient vous soumettre une question préjudicielle sur la validité des règlements n°s 3453/81 de la Commission ( 1 ) et 789/82 du Conseil ( 2 ).

2 . La société Continentale Produkten-Gesellschaft Erhardt-Renken GmbH et Co . ( ci-après "Continentale Produkten "), qui importe constamment des fils de coton originaires de Turquie relevant de la sous-position 55.O5 B du tarif douanier commun, conteste devant le Finanzgericht Muenchen des avis de recouvrement émis par le Hauptzollamt Muenchen-West lui imposant la perception d' un droit antidumping définitif pour l' importation, les 15, 20, 27 et 28 avril 1982, de quatre lots de fils de coton, droit s' élevant à 12 % de la valeur en douane . Elle invoque l' invalidité des deux règlements précités .

3 . La société Continentale Produkten n' est pas inconnue de votre Cour . Par requête du 28 décembre 1984, elle avait introduit, en vertu de l' article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l' annulation partielle d' une décision de la Commission qui lui avait accordé le remboursement d' une partie des droits antidumping qu' elle avait acquittés en application du règlement n° 789/82 . Par cette instance, la société Continentale Produkten entendait

contester la validité de ce règlement . Nous avions alors conclu que la procédure en remboursement de droits antidumping instituée par l' article 16 du règlement de base n° 2176/84 du Conseil, intervenu postérieurement, mais applicable aux procédures en cours, ne saurait s' analyser comme permettant la remise en cause du règlement instituant les droits antidumping ( 3 ). Vous avez fait vôtre cette opinion et rejeté le recours de la société Continentale Produkten par votre arrêt du 24 février 1987, en indiquant, notamment, que l' article 16 du règlement n° 2176/84

"ne permet pas de mettre en cause la validité du règlement instaurant les droits ou de demander un réexamen des données générales telles qu' elles ont été constatées au cours des enquêtes précédentes" ( 4 ).

4 . Nous avions indiqué dans nos conclusions sur cette affaire que les importateurs communautaires pouvaient, conformément à votre jurisprudence Allied Corporation ( 5 ), agir contre les ordres de perception des droits antidumping, en saisissant les juridictions nationales, devant lesquelles ils pouvaient exciper de l' illégalité du règlement instituant ces droits et demander au juge saisi de recourir à la procédure de renvoi préjudiciel en appréciation de validité . C' est cette voie qu' a choisie la société Continentale Produkten .

5 . Le Finanzgericht Muenchen vous pose la question de la validité, non seulement du règlement n° 789/82, qui a institué les droits antidumping définitifs de 12 %, dont le recouvrement est en cause devant cette juridiction, mais également du règlement n° 3453/81, qui avait institué des droits provisoires de 16 %. Dans la mesure où les avis de recouvrement de droits antidumping de 12 % des 15, 20, 27 et 28 avril 1982 ne sont fondés que sur le règlement n° 789/82 ( 6 ), il semble qu' une décision sur la validité du règlement n° 3453/81 n' est pas nécessaire au Finanzgericht pour rendre son jugement . En effet, ce dernier règlement n' était plus applicable lors de la notification par le Hauptzollamt Muenchen-West des avis de recouvrement des droits antidumping, du fait de l' intervention entre-temps du règlement n° 789/82, instituant le droit définitif ( 7 ). Par ailleurs, en application de l' article 11, paragraphe 1, du règlement de base n° 3017/79 du Conseil ( 8 ), alors en vigueur, le règlement n° 3453/81 avait pour seul effet de subordonner la mise à la consommation dans la Communauté des produits concernés au dépôt d' une garantie pour le montant du droit provisoire . La perception définitive du droit antidumping devait être effectuée ultérieurement en application du règlement du Conseil instituant un droit définitif . Néanmoins, l' article 2 du règlement n° 789/82 prend en considération, pour la perception du droit antidumping définitif, les sommes déposées en garantie au titre du droit provisoire . Ainsi que cela a été évoqué lors de la procédure orale, une éventuelle invalidité du règlement n° 3453/81 affecterait non l' entrée en vigueur, mais la mise en application du règlement n° 789/82 . En effet, celui-ci entrerait en vigueur le jour de sa publication, soit le 3 avril 1982, mais la perception d' un droit antidumping ne pourrait s' effectuer qu' à partir de cette date, et non à partir du 1er janvier 1982, comme le prévoit l' article 2 du règlement n° 789/82, puisque la base juridique du mécanisme selon lequel des sommes déposées en garantie deviennent des sommes définitivement perçues n' existerait plus . Contrairement à ce que la Commission a indiqué lors de la procédure orale, votre arrêt du 5 octobre 1988 dans les affaires jointes Canon Inc . ( 9 ) ne se prononce pas sur ces difficultés, les requérants n' ayant contesté la validité que du seul règlement ayant institué le droit antidumping définitif . Il n' apparaît pas cependant que votre Cour soit conduite à devoir trancher ce problème dans la présente affaire . En effet, si on peut s' interroger sur la nécessité d' apprécier la validité du règlement n° 3453/81 ( 10 ), il faut rappeler que votre Cour interprète l' article 177 du traité CEE en ce sens qu' en règle générale la juridiction nationale concernée par le litige au principal est seule juge de la pertinence des questions déférées ( 11 ). Nous examinerons donc ensemble la validité des deux règlements .

6 . Quatre griefs sont formulés à leur encontre :

a ) L' article 7, paragraphe 9, du règlement de base, qui impose la clôture de la procédure ou l' adoption d' une mesure définitive dans le délai d' un an après l' ouverture de la procédure, n' aurait pas été respecté, dans la mesure où la procédure antidumping a été ouverte le 3 août 1979, et l' institution des droits antidumping définitifs n' a été effectuée que par le règlement n° 789/82, du 2 avril 1982, soit 32 mois plus tard . Le Conseil aurait, par ailleurs, manqué à son obligation de motivation en ne s' expliquant pas sur ce retard dans le règlement en cause .

b ) Les trois entreprises turques choisies pour la détermination de la marge de dumping ne seraient pas représentatives .

c ) L' existence d' un préjudice subi par les entreprises communautaires, nécessaire à l' institution d' un droit antidumping, ferait défaut .

d ) Le règlement n° 789/82 aurait eu une portée rétroactive en ce qu' il s' appliquait à des contrats conclus avant son entrée en vigueur; l' importateur n' aurait pas pu prévoir l' institution d' un droit antidumping si tardivement après l' ouverture de la procédure .

7 . Ces quatre griefs que nous examinerons successivement ne paraissent pas fondés .

8 . La violation de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base en ce que la procédure a duré plus d' un an ne semble pas avoir déjà été invoquée devant votre Cour . Ce grief se divise en fait en deux branches :

- violation de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base par inobservation du délai,

- absence de motivation sur les causes de ce retard .

9 . En ce qui concerne la première branche, le texte lui-même de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base dispose que la "conclusion doit normalement avoir lieu dans un délai d' un an après l' ouverture de la procédure ". Le délai en l' espèce, nous l' avons vu, a été de 32 mois . Le Conseil, dans son mémoire ( 12 ), a indiqué qu' un tel dépassement du délai d' un an n' était pas rare . Il en a donné les exemples suivants :

- roulements à bille originaires du Japon, de Pologne, de Roumanie et d' URSS : ouverture de la procédure le 18 septembre 1979, décision de clôture 81/4O6/CEE, du 4 juin 1981, soit un délai de 20 mois; cette décision n' a pas fait l' objet d' un recours;

- tubes en acier originaires d' Espagne : ouverture de la procédure le 19 octobre 1979, décision de clôture 81/43O/CEE, du 15 juin 1981, soit un délai de 20 mois; cette décision n' a pas fait l' objet d' un recours;

- montres-bracelets originaires d' URSS : ouverture de la procédure le 19 juillet 198O, institution d' un droit antidumping le 12 juillet 1982, soit un délai de vingt-quatre mois . Le règlement n° 1882/82 du Conseil, du 12 juillet 1982, a fait l' objet d' un recours fondé sur l' article 173, alinéa 2, du traité CEE, intenté par la société Timex Corporation, et a donné lieu à votre arrêt du 2O mars 1985 ( 13 ). La longueur de la procédure n' était pas parmi les griefs formulés par la requérante à l' encontre de la validité du règlement n° 1882/82;

- codéine originaire de Tchécoslovaquie, de Hongrie, de Pologne et de Yougoslavie : ouverture de la procédure le 1er avril 1981, décision de clôture du Conseil du 17 janvier 1983, soit un délai de 21 mois; cette décision n' a pas fait l' objet d' un recours .

10 . La question est donc nouvelle . A cet égard, s' il n' apparaît pas concevable d' interpréter le texte de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base comme imposant un délai ferme d' un an au-delà duquel l' adoption d' une mesure de protection du marché communautaire serait illégale, ce qui irait à l' encontre des termes mêmes de cet article; en revanche, on ne saurait dénier tout effet juridique à cette disposition par laquelle le Conseil a décidé de limiter ses propres pouvoirs en instituant un délai dont le respect, dans des circonstances normales, est obligatoire . La nécessité d' assurer une certaine sécurité juridique et de permettre, dans la mesure du possible, aux opérateurs économiques d' exercer leurs activités dans un contexte juridique stable, exige que les incertitudes créées par l' ouverture d' une procédure antidumping ne se prolongent pas au-delà d' un délai raisonnable . Les institutions communautaires ne sauraient disposer sur ce point d' un pouvoir discrétionnaire . Il appartient en conséquence à votre Cour de contrôler s' il existe, au cas par cas, des circonstances particulières qui justifient l' inobservation du délai d' un an . C' est ce contrôle que nous vous invitons à effectuer .

11 . Existe-t-il, en l' espèce, des circonstances qui ont pu justifier le dépassement notable du délai de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base? La réponse à cette question apparaît positive . En effet, il ne semble pas que la Commission ait bénéficié de la coopération la plus diligente de la part des exportateurs turcs ( 14 ). Le choix des entreprises exportatrices représentatives a nécessité de longues négociations avec l' association des exportateurs turcs de textiles ( ci-après "TTEA ") ( 15 ). Les circonstances politiques et économiques en Turquie au cours des années 1979 et 198O ont rendu plus difficile encore la tâche de la Commission, notamment au regard des perturbations subies par la production de fils de coton . Enfin, le retard apporté dans la procédure trouve également son origine dans la demande formulée par les exportateurs turcs d' étendre la période de référence, initialement fixée du 1er janvier au 3O septembre 1981, jusqu' au 31 décembre 1981, afin de prendre en considération la baisse habituelle du prix du coton brut durant les derniers mois de l' année . Il semble d' ailleurs que cette extension n' ait pas été étrangère à la fixation définitive à 12 % d' un droit antidumping provisoirement évalué à 16 %.

12 . En ce qui concerne la seconde branche du premier grief, selon une jurisprudence constante de votre Cour,

"la motivation exigée par l' article 19O du traité doit faire apparaître, d' une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l' autorité communautaire, auteur de l' acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise, afin de défendre leurs droits, et à la Cour d' exercer son contrôle" ( 16 ).

13 . Dès lors que votre Cour contrôle l' existence de circonstances particulières justifiant l' inobservation du délai de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base, il appartient à l' autorité communautaire de motiver l' adoption d' une mesure de protection contre des pratiques de dumping malgré l' écoulement, depuis l' ouverture de la procédure, d' un délai largement supérieur à celui prévu au règlement de base . Ainsi que nous l' avons précédemment exposé, les opérateurs économiques ont le droit de ne pas voir les incertitudes suscitées par l' ouverture d' une procédure antidumping se prolonger indéfiniment . De même sont-ils fondés à connaître les raisons de l' inobservation du délai précité d' un an .

14 . Toutefois, vous avez déjà estimé que :

"on ne saurait exiger que la motivation d' un règlement couvre spécifiquement tous les détails, parfois très nombreux, qu' une telle mesure peut comporter" ( 17 ).

De même, vous avez admis que les motifs pouvaient être succincts dès lors qu' ils étaient suffisants ( 18 ).

15 . A cet égard, le sixième considérant du règlement en cause précise que la Commission a effectué une enquête supplémentaire en Turquie, portant sur les exportations effectuées au cours du dernier trimestre de 1981, et que cette extension de la période d' enquête a été effectuée à la demande des exportateurs turcs . Ce considérant apparaît comme une motivation suffisante de l' inobservation du délai de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base . Le premier grief ne saurait donc, à notre sens, être accueilli .

16 . Les deuxième et troisième griefs tirés de l' absence de représentativité des entreprises turques choisies pour déterminer la marge de dumping et de l' absence de préjudice subi par les entreprises communautaires supposent l' appréciation de situations économiques complexes à l' égard desquelles, selon votre jurisprudence,

"le juge doit limiter le contrôle qu' il exerce sur une telle appréciation à la vérification du respect des règles de procédure, de l' exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l' absence d' erreur manifeste dans l' appréciation de ces faits, ou de l' absence de détournement de pouvoir" ( 19 ).

17 . Le grief tiré de l' absence de représentativité des entreprises choisies pour déterminer la marge de dumping est fondé sur le fait que la Commission a dû procéder pour ces entreprises à des ajustements spécifiques, dans la mesure où, d' une part, la société Taris Pam . Tar . Sat . Koop . Birligi Iplik Fab . n' a pas autorisé la Commission à vérifier ou à compléter les éléments d' information fournis en ce qui concerne ses coûts de production, d' autre part, la Commission a dû procéder à des ajustements à l' égard des frais généraux communiqués par Cukurova Sanayi Isl . AS, ainsi qu' en ce qui concerne les coûts de fabrication communiqués par la Fa . Trakya Iplik Sanayi AS .

18 . Le seul fait que la Commission ait dû procéder à des ajustements spécifiques pour établir la marge de dumping n' implique pas en lui-même que les entreprises choisies n' étaient pas représentatives . Certes, l' article 2, lettre B, paragraphe 3, sous b ), du règlement de base indique, en ce qui concerne le calcul de la valeur normale, que "lorsqu' aucune vente du produit similaire n' a lieu au cours d' opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays d' exportation ou d' origine, ou lorsque de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable", la valeur normale peut être une valeur construite à partir des coûts au cours d' opérations commerciales normales, des matériaux et de la fabrication, dans le pays d' origine plus une marge raisonnable pour les bénéfices et les frais généraux . Cette disposition ne permet le recours à une valeur construite que dans le cas où aucune vente de produits similaires n' a lieu au cours d' opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays d' exportation, ou dans le cas où de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable . En effet, en ce qui concerne les dispositions identiques de l' article 2, paragraphe 3, sous a ), du règlement de base n° 2176/84, qui a remplacé le règlement n° 3O17/79, vous avez précisé que :

"il ressort clairement du texte et de l' économie des dispositions susmentionnées que c' est le prix réellement payé ou à payer au cours d' opérations commerciales normales qu' il faut prendre en considération par priorité pour établir la valeur normale, les autres solutions n' étant que subsidiaires" ( 20 ).

Vous avez toutefois ajouté que

"les institutions disposent ... à cet égard d' une marge discrétionnaire" ( 21 ).

19 . La Commission, après avoir constaté que les trois entreprises turques choisies, si elles étaient bien représentatives en ce qui concerne l' exportation vers le marché communautaire, ne vendaient pas suffisamment de marchandises sur le marché intérieur turc pour permettre d' établir la valeur normale à partir des prix réellement payés, a décidé de déterminer la valeur normale à partir des coûts, en application de l' article 2, lettre B, paragraphe 3, sous b ), précité . Il n' est pas expressément fait grief à la Commission d' avoir eu recours à une valeur construite, alors que la situation turque n' empêchait pas de choisir d' autres entreprises représentatives sur le marché intérieur turc et de constater les prix réellement payés, mais il semble bien, derrière la critique de l' absence de représentativité des trois entreprises choisies, que ce soit là le reproche essentiel formulé à l' encontre de la Commission .

20 . A cet égard, l' article 2, lettre B, paragraphe 3, sous b ), doit être combiné avec l' article 7, paragraphe 7, sous b ), du même règlement de base, qui dispose que "lorsqu' une partie concernée ou un pays tiers refuse l' accès ou ne fournit pas les informations nécessaires dans un délai raisonnable ou fait obstacle de façon significative à l' enquête, des conclusions préliminaires ou finales, positives ou négatives peuvent être établies sur la base des données disponibles ".

21 . En l' espèce, la longueur de la procédure d' enquête, les difficultés auxquelles la Commission s' était heurtée pour obtenir les informations nécessaires, la situation politique et économique de la Turquie à cette époque paraissent autant d' arguments démontrant que la Commission a pu légitimement estimer que les informations nécessaires ne lui seraient pas fournies dans un délai raisonnable et qu' il convenait de ne pas retarder encore l' issue de la procédure en sélectionnant d' autres entreprises, afin de constater les prix réellement payés, mais de recourir, sur la base des données disponibles, à une valeur construite à partir des coûts . Ce reproche ne nous paraît donc pas fondé .

22 . En ce qui concerne la représentativité même des trois entreprises choisies - puisque, après avoir examiné tout ce qu' il y avait d' inexprimé dans ce grief, il faut analyser maintenant l' apparence de la critique -, aucune erreur manifeste d' appréciation ne paraît avoir été commise par la Commission . En effet, les trois entreprises en cause ont été choisies en accord avec la TTEA . L' attention de celle-ci avait été appelée sur la nécessité que les entreprises choisies fussent représentatives . Onze principales entreprises turques représentant 56 % des exportations de fils de coton à destination de la Communauté pour les sept premiers mois de l' année 1981 ont été sélectionnées . Les trois entreprises principales ont été retenues . Lors d' une réunion le 2O novembre 1981, la TTEA a confirmé que ces trois entreprises étaient bien représentatives . Ici encore, le grief ne paraît pas fondé .

23 . Quant à celui tiré de l' absence de préjudice subi par les entreprises européennes et du fait que la Commission aurait à tort utilisé l' institution d' un droit antidumping comme un moyen de protéger la concurrence établie dans la Communauté, il fait référence à votre jurisprudence sur l' erreur manifeste d' appréciation et le détournement de pouvoir . Là encore, le grief ne nous paraît pas pouvoir prospérer .

24 . En effet, les quatorzième à vingtième considérants du règlement en cause exposent avec précision les conséquences du dumping constaté : baisse du volume de production de l' industrie communautaire passé de 613 OOO tonnes en 1977 à 557 OOO tonnes en 1981, utilisation des capacités réduite à moins de 65 % dans plusieurs États membres, diminution des emplois concernés par la production de fils de coton réduits de 1OO OOO personnes en 1979 à 92 OOO en 198O et à moins de 84 OOO en 1981 . En revanche, les importations turques, qui représentaient une part de marché de 6,6 % dans la Communauté en 198O, ont atteint 1O,8 % en 1981 . Durant toute cette période, la part du marché détenue par les pays tiers autres que la Turquie est restée relativement stable . L' existence d' un préjudice important à une production établie de la Communauté, exigée par l' article 4 du règlement de base, paraît dès lors avoir été établie par la Commission, sans qu' il puisse être allégué que celle-ci ait fait une erreur manifeste d' appréciation des faits ci-dessus rappelés ou ait commis sur ce point un détournement de pouvoir .

25 . En ce qui concerne enfin le caractère rétroactif du règlement n° 789/82, votre jurisprudence est désormais bien établie en cette matière . Vous avez, à de multiples reprises, affirmé que,

"selon un principe généralement reconnu, les lois modificatives d' une disposition législative s' appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs de situations nées sous l' empire de la loi ancienne" ( 22 ).

26 . Ainsi que l' a exposé l' avocat général M . Capotorti dans ses conclusions dans l' affaire IFG/Commission,

"la simple existence d' un contrat ne confère aux parties aucun droit à ce que les institutions communautaires garantissent, jusqu' à son exécution, l' invariabilité du régime juridique applicable au temps de sa conclusion" ( 23 ).

27 . Le grief ainsi formulé paraît procéder d' une confusion entre application immédiate d' une disposition législative nouvelle et rétroactivité . Il n' est pas admissible de retarder l' entrée en vigueur d' une disposition nouvelle jusqu' à la conclusion de nouveaux contrats, ce qui aurait pour effet de laisser aux importateurs, notamment par le biais de contrats cadres ou de contrats de fourniture à exécution successive, la faculté de retarder indéfiniment l' entrée en vigueur d' un règlement communautaire et le priver, dès lors, de toute efficacité . En revanche, les situations qui ont épuisé leurs effets ne peuvent être remises en cause . C' est notamment le cas lorsque le contrat est définitivement exécuté .

28 . Toutefois, votre jurisprudence réserve une exception à ces principes, en déclarant qu' il ne saurait y avoir application immédiate d' une disposition législative nouvelle, si elle se heurte à la protection de la confiance légitime ( 24 ).

29 . Continentale Produkten a-t-elle pu nourrir des espoirs légitimes quant à l' absence d' institution dans l' avenir de droits antidumping lors de la conclusion des contrats par lesquels elle a importé les fils de coton de Turquie?

30 . Il nous apparaît qu' en l' espèce deux au moins des conditions que vous exigez pour reconnaître la responsabilité des institutions de la Communauté sur le fondement de la violation de la confiance légitime ne sont pas réunies ( 25 ).

31 . En premier lieu, l' adoption du règlement n° 789/82 instituant un droit antidumping définitif n' était pas imprévisible pour la société Continentale Produkten . Celle-ci, nous l' avons dit, importe constamment des fils de coton de Turquie et devait donc se comporter comme un "opérateur prudent et avisé", c' est-à-dire, notamment, se tenir informée des possibles modifications de la législation communautaire qui affecteraient les produits faisant l' objet de son activité commerciale . L' ouverture d' une procédure antidumping concernant les fils de coton originaires de Turquie avait été publiée au Journal officiel des Communautés européennes ( 26 ). Continentale Produkten, en sa qualité d' importateur de ces produits, ne pouvait ignorer que l' ouverture de cette procédure allait conduire, en application de l' article 7, paragraphe 9, du règlement de base soit à une décision de clôture, laquelle est publiée au même Journal officiel, soit à l' institution d' un droit antidumping . L' adoption par le Conseil du règlement n° 789/82 n' avait dès lors pour cet importateur aucun caractère d' imprévisibilité .

32 . En second lieu, il existe bien un motif d' intérêt général - la protection du marché communautaire - qui justifiait l' entrée en vigueur du règlement n° 789/82 dans les plus brefs délais . Il convient d' observer d' ailleurs que le Conseil a estimé équitable de "faciliter à titre exceptionnel l' adaptation des opérateurs qui avaient pris des engagements commerciaux à la nouvelle situation créée par le droit antidumping provisoire ( 27 ), en instaurant un délai d' adaptation de quatre semaines à compter du jour de l' entrée en vigueur du droit antidumping provisoire, soit le 2 décembre 1981 . L' article 2, paragraphe 2, du règlement en cause dispose, en effet, que les sommes déposées en garantie au titre du droit antidumping provisoire sont libérées en ce qui concerne les produits mis à la consommation avant le 1er janvier 1982 . Le Conseil a donc, par cette mesure, pris en considération le principe de la protection de la confiance légitime .

33 . Enfin, vous avez déclaré, en matière de certificats d' importation que,

"si l' importateur trouve l' exécution du contrat sous le nouveau régime préjuciable à ses intérêts, c' est dans les rapports juridiques avec son cocontractant qu' il doit rechercher le remède adéquat" ( 28 ).

34 . Pas plus que le précédent, le dernier grief ne saurait donc être accueilli .

35 . C' est pourquoi nous concluons à ce que vous déclariez que l' examen de la question posée n' a pas révélé l' existence d' éléments de nature à affecter la validité des règlements n° 3453/81 de la Commission et 789/82 du Conseil .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Du 2 décembre 1981, portant institution d' un droit antidumping provisoire à l' égard des importations de certains fils de coton originaires de Turquie ( JO L 347 du 3.12.1981, p . 19 ).

( 2 ) Du 2 avril 1982, portant institution d' un droit antidumping définitif à l' égard des importations de certains fils de coton, originaires de Turquie ( JO L 90 du 3.4.1982, p . 1 ).

( 3 ) Conclusions dans l' affaire 312/84, Rec . 1987, p . 841, 858 .

( 4 ) Affaire 312/84, Continentale Produkten Gesellschaft/Commission, arrêt du 24 février 1987, Rec . p . 841, point 12 .

( 5 ) Affaires jointes 239 et 275/82, arrêt du 21 février 1984, Rec . p . 1005, point 15 .

( 6 ) Entré en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes, soit le 3 avril 1982 .

( 7 ) Voir article 2 du règlement n° 3453/81 .

( 8 ) Du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l' objet de "dumping" ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne ( JO L 339 du 31.12.1979, p . 1 ).

( 9 ) Affaires jointes 277/85 et 300/85, Rec . 1988, p . 0000 .

( 10 ) Voir mémoire de la Commission, point 1.3 .

( 11 ) Voir, à cet égard, 10/69, Portelange/Smith Corona Marchant International, arrêt du 9 juillet 1969, Rec . p . 309, point 6; 35/76, Simmenthal/Ministère des Finances italien, arrêt du 15 décembre 1976, Rec . p . 1871, point 7; 5/77, Tedeschi/Denkavit, arrêt du 5 octobre 1977, Rec . p . 1555, point 17; voir aussi 52/77, Cayrol/Rivoira, arrêt du 30 novembre 1977, Rec . p . 2261, point 32; 78/76, Steinike et Weinlig/République fédérale d' Allemagne, arrêt du 22 mars 1977, Rec . p . 595, point 14; 155/73, Sacchi/République italienne, arrêt du 30 avril 1974, Rec . p . 409, point 3 .

( 12 ) P . 6 de la traduction française .

( 13 ) Affaire 264/82, Rec . 1985, p . 849 .

( 14 ) Voir mémoire du Conseil, annexe, points 2, 1O et 11 .

( 15 ) Voir mémoire du Conseil, annexe, points 5, 6, 8 et 9 .

( 16 ) Affaire 258/84, Nippon Seiko KK/Conseil, arrêt du 7 mai 1987, point 28, Rec . p . 1923; 2O3/85, Nicolet Instrument GmbH/Hauptzollamt Frankfurt am Main-Flughafen, arrêt du 26 juin 1986, Rec . p . 2O49, point 1O .

( 17 ) Affaire 134/78, Danhuber/Bundesanstalt fuer landwirtschaftliche Marktordnung, arrêt du 22 mars 1979, Rec . p . 1007, point 6 .

( 18 ) Affaire 37/70, Rewe-Zentrale des Lebensmittel - Grosshandels GmbH/Hauptzollamt Emmerich, arrêt du 11 février 1971, Rec . p . 23, point 8 .

( 19 ) Affaire 258/84, précitée, point 21; 42/84, Remia/Commission, arrêt du 11 juillet 1985, Rec . p . 2545, point 34; 113/77, NTN Toyo Bearing Company/Conseil, conclusions de l' avocat général Warner, Rec . 1979, p . 1212, 1259; voir aussi les conclusions de l' vocat général Mme Rozès dans l' affaire 191/82, Fediol/Commission, Rec . 1983, p . 2937, 2947 .

( 20 ) Affaires jointes 277/85 et 3OO/85, précitées, point 11 .

( 21 ) Ibidem, point 17 .

( 22 ) Affaire 1/73, Westzucker GmbH/Einfuhr - und Vorratstelle fuer Zucker, arrêt du 4 juillet 1973, Rec . p . 723, point 5; 143/73, Société des produits alimentaires et diététiques/Fonds d' orientation et de régularisation des marchés et Fonds d' intervention et de régularisation du marché du sucre, arrêt du 5 décembre 1973, Rec . p . 1433, point 8; 96/77, SA Ancienne Maison Marcel Bauche et SARL François Delquignies/Administration française des douanes, arrêt du 15 février 1978, Rec . p . 383, point 48 .

( 23 ) Affaire 68/77, IFG/Commission, Rec . 1978, p . 377 .

( 24 ) Affaire 1/73, précitée, point 6 .

( 25 ) Affaire 9O/77, Hellmut Stimming KG/Commission, arrêt du 27 avril 1978, Rec . p . 995; 78/77, Johann Luehrs/Hauptzollamt Hamburg-Jonas, arrêt du 1er février 1978, Rec . p . 169 .

( 26 ) JO C 196 du 3.8.1979 .

( 27 ) Vingt-cinquième considérant du règlement n° 789/82 .

( 28 ) Affaire 68/77, précitée, arrêt du 14 février 1978, Rec . p . 353, point 11 .

Top