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Document 61985CC0192

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 juillet 1986.
George Noel Newstead contre Department of Transport et Her Majesty's Treasury.
Demande de décision préjudicielle: Employment Appeal Tribunal - Royaume-Uni.
Égalité de traitement entre hommes et femmes - Pension de survie pour le conjoint - Obligation de cotiser.
Affaire 192/85.

Recueil de jurisprudence 1987 -04753

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:296

61985C0192

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 juillet 1986. - George Noel Newstead contre Department of Transport et Her Majesty's Treasury. - Demande de décision préjudicielle: Employment Appeal Tribunal - Royaume-Uni. - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Pension de survie pour le conjoint - Obligation de cotiser. - Affaire 192/85.

Recueil de jurisprudence 1987 page 04753


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . C' est un cas de discrimination selon le sexe quelque peu atypique qui a amené l' Employment Appeal Tribunal ( cour du travail ) de Londres à poser à votre Cour quatre questions préjudicielles .

L' appelant au principal, alléguant un traitement discriminatoire de son employeur à son égard en raison du sexe, est, cette fois, un homme, M . G.*N . Newstead, âgé de 58 ans, fonctionnaire titulaire depuis 1970, actuellement employé au service de presse du ministère britannique des Transports .

Le litige trouve son origine dans une réforme, intervenue en 1974, du système national de pensions pour la fonction publique ( Principal Civil Service Pension Scheme 1974, régime principal des pensions dans la fonction publique, ci-après "régime principal "), notamment en ce qui concerne le régime des pensions pour veuves . Il s' agit d' un régime professionnel de retraite élaboré en application du "Superannuation Act 1972" ( loi de 1972 sur les retraites pour limite d' âge ) et conforme, dans sa version modifiée, au "Social Security Pensions Act 1975" ( loi de 1975 sur les pensions de sécurité sociale ).

L' avocat général M . Warner, dans ses conclusions dans l' affaire 69/80 ( arrêt du 11 mars 1981, Worringham et Humphreys/Lloyds Bank, Rec . p.*767, 798 et 799 ) a très précisément décrit le fonctionnement d' un tel régime . Il faut, dans le système britannique, distinguer entre deux composantes des pensions de retraite : la composante de base, identique pour tous, dont le financement est assuré par l' État, et celle liée au salaire, variable en proportion de celui-ci, en fonction duquel sont fixés tant le montant des cotisations versées par l' employeur et le salarié que celui de la prestation qui sera payée lors du départ à la retraite . Sous certaines conditions légales de fond - ayant trait notamment aux règles régissant les pensions de veuves - ou de forme - agrément par un organisme officiel -, des régimes de retraite indépendants peuvent être institués pour la mise en oeuvre de la seconde composante, qui est alors exclue du régime légal . C' est pourquoi ces régimes sont dénommés "contracted out", en ce sens que les affiliés sont "conventionnellement exclus" du régime légal pour ce qui concerne la composante de la pension de retraite liée au salaire . Le régime indépendant se substitue alors partiellement au régime légal . Dans ce cas, employeur et salarié cotisent à taux réduit au régime national pour la constitution de la pension de base, les sommes versées au régime indépendant étant les seules sources du financement de celui-ci . En vertu du "Social Security Pensions Act 1975", un régime indépendant, pour pouvoir être qualifié de "contracted out", doit prévoir une pension pour veuves, pareille obligation n' étant pas imposée en ce qui concerne la pension de veuf .

Auparavant, les fonctionnaires étaient libres de cotiser ou non à ce régime, et M . Newstead avait préféré ne pas s' y affilier . Mais, en application du "régime principal", son salaire brut a été soumis, depuis le 1er juin 1973, comme celui de tous les fonctionnaires de sexe masculin, mariés ou non, à un prélèvement obligatoire sous la forme d' une cotisation égale à 1,5 % de son traitement brut en vue de la constitution d' une pension de veuve .

Par contre, en dehors de quelques cas spécifiques, qui n' ouvrent d' ailleurs qu' une faculté et non une obligation de cotiser, les fonctionnaires de sexe féminin ne sont pas obligés ni même autorisés à acquitter de telles cotisations en vue de la constitution d' une pension de veuf .

Certes, les montants ainsi prélevés sur les traitements des fonctionnaires de sexe masculin, non mariés au moment de la cessation de leur activité, font-ils l' objet d' un remboursement, majoré d' intérêts composés au taux de 4 % l' an avec échelonnement annuel, aux intéressés en cas de départ à la retraite ou à leurs ayants droit en cas de décès . Cependant, M . Newstead, qui se déclare "célibataire endurci" sans aucune intention de contracter mariage, estime être privé de la jouissance immédiate d' une partie de sa rémunération, alors que ses collègues de sexe féminin, dans les mêmes situation et intentions, ne subissent pas cet inconvénient : il considère donc qu' il est victime d' un traitement discriminatoire en raison de son sexe .

C' est, en effet, ce qu' a admis la juridiction saisie en première instance au regard des dispositions nationales applicables en la matière, l' "Equal Pay Act 1970" ( ci-après "EPA 1970 ") et le "Sex Discrimination Act 1975" ( ci-après "SDA 1975 "). Le tribunal du travail a en effet considéré qu' au regard du premier de ces textes M . Newstead était désavantagé sur le plan du salaire et qu' il existait une discrimination en raison du sexe sur le fondement du second . Néanmoins, le juge national de première instance a jugé que pouvaient s' appliquer les dispositions dérogatoires incluses dans ces textes, relatives aux cas de décès ou de départ à la retraite ( article 6, paragraphe 1, sous A, de l' "EPA 1970", et 6, paragraphe 4, du "SDA 1975 ").

Devant le juge de renvoi, M . Newstead, appelant au principal, a fait valoir que l' obligation qui lui est imposée est contraire à l' article 119 du traité et à une ou plusieurs directives communautaires .

Les questions du juge a quo, formulées en accord avec les parties, peuvent être résumées comme suit :

- En présence d' un prélèvement obligatoire sur salaire brut du type de celui en cause, exclusivement applicable aux hommes, y a-t-il violation

- de l' article 119 pris isolément ou en combinaison avec la directive 75/117/CEE du Conseil, prise pour son application, du 10 février 1975, "concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l' application du principe d' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins" ( JO L*45 du 19.2.1975, p.*19 ),

- ou de la directive 76/207/CEE, du 9 février 1976 "relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail" ( JO L*39 du 14.2.1976, p.*40 )?

- En cas de réponse affirmative, dans quelles conditions le droit communautaire, originaire ou dérivé, est-il d' effet direct?

Observons que le juge de renvoi n' a visé dans sa troisième question que la directive 76/207, mais qu' il s' interroge manifestement, les motifs de la décision de renvoi le révèlent, sur les champs d' application respectifs de l' article 119 et des directives destinées à mettre en oeuvre le principe de l' égalité de traitement, y compris la directive 79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978, "relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale" ( JO L*6 du 10.1.1979, p.*24 ), ainsi que sur les règles applicables lorsque, dans ce domaine, certains secteurs n' ont encore fait l' objet d' aucune mise en oeuvre, tel celui des régimes professionnels de sécurité sociale pour lequel existe seulement, depuis le 5 mai 1983, une simple proposition de directive présentée par la Commission au Conseil ( JO C*134 du 21.5.1983 ).

2 . Examinons tout d' abord les observations des parties en ce qui concerne la norme communautaire éventuellement applicable . Pour M . Newstead, il ne serait pas contesté par les intimés au principal, le ministère des Transports et le ministère des Finances britanniques, qu' en raison de son sexe il est traité moins favorablement qu' une femme se trouvant dans une situation comparable .

Procédant à une exégèse des termes employés par l' article 119 et de la jurisprudence de la Cour, il soutient qu' il y a violation de ce texte lu en combinaison avec la directive 75/117, parce que, dans la version anglaise de l' article 119, il est fait état de ce qu' un travailleur "perçoit" (" receives ") et que la rémunération que lui-même perçoit serait d' un montant différent de celui versé à une employée de sexe féminin se trouvant dans une situation comparable . Il y aurait discrimination fondée sur le sexe en rapport avec un élément et une condition de rémunération .

L' article 119 serait, selon lui, vidé d' une grande part de sa substance si l' on suivait l' interprétation, proposée par le juge national de première instance, de l' arrêt 69/80 ( Worringham, précité ), selon laquelle la différence de rémunération devrait s' apprécier en fonction du salaire brut . Cela permettrait toute déduction ou retenue, avant même que le salaire ne soit "perçu ".

Le fait qu' il s' agisse de cotisations à un régime professionnel ne ferait pas obstacle à l' applicabilité de l' article 119 ou de la directive 75/117 . De même que, dans les affaires Worringham ( 69/80, précitée ) et Liefting/Academisch Ziekenhuis bij de Universiteit van Amsterdam ( 23/83, arrêt du 18 septembre 1984, Rec . p.*3225 ), la question ne se poserait pas en termes de versement de prestations alimentées par un fonds de retraite professionnel . L' article 119 ne comporterait pas d' exception pour les retenues effectuées aux fins de versement à un régime professionnel .

A titre subsidiaire, l' appelant au principal soutient que les articles 1, paragraphe 1, 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 seraient violés en ce qu' une condition de travail serait discriminatoire à l' encontre des hommes qui, au contraire de leurs collègues féminins se trouvant dans une situation comparable, ne se voient pas verser immédiatement 1,5 % de leur rémunération .

Ne s' agissant de versements de prestations ni d' une caisse professionnelle ni de sécurité sociale, il n' y aurait pas lieu de s' interroger sur les conditions dans lesquelles la directive 76/207 s' appliquerait à de tels cas . La destination de la somme retenue - caisse de pensions - importerait peu . En tenir compte empêcherait la directive d' atteindre tous ses objectifs .

3 . Ni le gouvernement du Royaume-Uni ni la Commission ne partagent ce point de vue .

Pour le gouvernement du Royaume-Uni, il n' existerait pas d' inégalité de rémunération . On ne saurait comparer des rémunérations que sur la base des traitements bruts, avant prélèvements de toute nature - impôts, cotisations sociales, retraites ... -, la détermination de ces retenues pouvant considérablement varier en fonction de la situation personnelle, dont le sexe peut être une donnée, du salarié concerné .

La rémunération doit être égale pour un même travail : il résulterait de l' arrêt Worringham ( points 12 à 15 ) que cette égalité n' est pas constituée lorsque les salaires nets sont égaux, même si les salaires bruts ne le sont pas . L' égalité des salaires bruts et nets serait souvent impossible .

Le recours aurait pour objet le versement de cotisations, condition d' accès à un régime de pensions . Or, il résulterait notamment de la distinction faite dans l' affaire 19/81 ( Burton/British Railways Board, arrêt du 16 février 1982, Rec . p.*555, point 8 ) entre prestations perçues au titre d' un régime de retraite et conditions d' accès à ce régime, que cette matière relèverait non pas de l' article 119 du traité et de la directive 75/117, mais de la directive 76/207 .

Si cette affirmation se révélait cependant inexacte, il faudrait préciser, ce que n' aurait pas encore fait la jurisprudence de façon détaillée et complète, si les prestations versées au titre d' une retraite professionnelle constituent une "rémunération" au sens de l' article 119 du traité . Or, les régimes professionnels de retraite, tant parce qu' ils garantissent une couverture financière que parce qu' ils peuvent couvrir d' autres risques ( décès, maladie, accident ...), relèveraient de la sécurité sociale, pour laquelle les articles 117 et 118, et non l' article 119, prévoiraient une coopération étroite entre les États membres . L' avocat général M . Warner, dans ses conclusions, déjà évoquées, dans l' affaire Worringham, aurait estimé qu' un système de pension tel que celui en cause, lié au système national de sécurité sociale, la pension se substituant en tout ou partie au régime légal national, serait étranger à l' article 119 et à la notion de rémunération . Le droit dérivé le prouverait, particulièrement l' article 3, paragraphe 3, de la directive 79/7 sur la sécurité sociale, selon lequel :

"3.*En vue d' assurer la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement dans les régimes professionnels, le Conseil arrêtera, sur proposition de la Commission, des dispositions qui en préciseront le contenu, la portée et les modalités d' application",

et la proposition de directive du 5 mars 1983 en matière de régimes professionnels de sécurité sociale qui, selon le gouvernement du Royaume-Uni, n' aurait pas encore été adoptée, en raison, notamment, de la référence erronée à l' article 119 que contiennent ses deux premiers considérants .

Soulignant les aspects spécifiques de la constitution de fonds de retraite dépendant notamment des espérances de vie - différentes pour les hommes et les femmes - le gouvernement du Royaume-Uni soutient que l' on ne saurait remettre en cause, par une simple application de l' article 119, les règles financières jusqu' ici adoptées dans ce domaine .

Les régimes professionnels de retraite relèveraient par nature des articles 117 et 118, ce qui serait confirmé par la jurisprudence de la Cour qui a exclu du champ d' application de l' article 119 les régimes légaux de sécurité sociale . Le régime en cause, substitut au régime national légal, relèverait, comme l' aurait déjà dit l' avocat général M . Warner dans l' affaire Worringham, "des rubriques plus larges de l' article 118" ( Rec . 1981, p.*806 ).

Examinant alors, dans le cadre de la troisième question, les directives 76/207, 79/7 et la proposition de directive du 5 mars 1983, le gouvernement du Royaume-Uni estime que le quatrième considérant et l' article 1er, paragraphe 2, de la directive 76/207 renvoient la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement en matière de sécurité sociale à des instruments ultérieurs . L' article 5, paragraphe 1, du même texte ne pourrait, selon lui, couvrir les conditions d' un régime de retraite . Or, l' article 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 79/7, prise en application de l' article 1er, paragraphe 2, de la directive 76/207, exclurait de son champ d' application tant les régimes professionnels que les dispositions concernant les pensions de survivant . La proposition de directive du 5 mars 1983, prévue par l' article 3, paragraphe 3, de la directive 79/7, viserait précisément les régimes professionnels dans lesquels les prestations sont "destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s' y substituer selon que l' affiliation à ces régimes est obligatoire ou facultative ". Le régime en cause correspondrait à cette définition .

En outre, l' article 9, paragraphe 1, de la même proposition prévoirait que les États membres auraient la faculté de différer l' application du principe d' égalité de traitement en matière de pensions de conjoint survivant . Dès lors, la discrimination dont se plaint M . Newstead ne serait pas interdite par le droit communautaire .

4 . Pour la Commission, il faudrait déterminer s' il s' agit d' un problème de rémunération ou de conditions de travail . Or, le prélèvement des cotisations en cause ne pourrait jamais profiter à l' employeur pour lequel, à égalité d' emploi, le coût serait le même, qu' il s' agisse d' un homme ou d' une femme . Dès lors, ne serait pas remis en cause l' objectif économique de l' article 119 consistant à éviter l' apparition de distorsions de concurrence entre États membres selon que le principe de l' égalité de rémunération est ou non respecté .

La Commission souligne que les fonds prélevés sur le traitement ne sont d' ailleurs pas perdus pour le travailleur masculin ou ses héritiers, ce qui renforcerait l' idée qu' en aucun cas l' employeur ne pourrait en tirer avantage et qu' il n' y aurait pas de discrimination entre fonctionnaires des deux sexes en ce qui concerne la rémunération .

On pourrait, ajoute-t-elle, s' interroger sur l' existence même d' une discrimination entre hommes et femmes . La discrimination serait plutôt à rechercher entre hommes mariés et célibataires, encore que, dans ce cas, on ne saurait exclure, quelles que soient les intentions définitives exprimées, qu' un célibataire finisse tout de même par se marier .

Pour déterminer s' il y a égalité de rémunération, il ne pourrait suffire de comparer les salaires bruts sans faire de même pour les salaires nets, certains prélèvements résultant, au moins pour partie, comme en l' espèce, d' une décision de l' employeur . Cependant, il ne serait pas question, en réalité, d' une inégalité quant à un avantage pécuniaire qu' octroierait l' employeur, mais d' une différence dans une condition d' emploi avec conséquences pécuniaires . Dans l' arrêt Defrenne III ( affaire 149/77, arrêt du 15 juin 1978, Rec . p.*1365, point 21 ), la Cour aurait précisé que le fait que certaines conditions d' emploi puissent avoir des conséquences pécuniaires ne serait pas une raison suffisante pour les faire entrer dans le champ d' application de l' article 119 .

La Commission estime, dès lors, que le problème relève de l' article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, relatif à "l' application du principe de l' égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail ". Sous cet angle, elle admet que, même si la véritable inégalité de traitement concerne plutôt les fonctionnaires masculins célibataires par rapport à leurs collègues mariés, on peut reconnaître qu' il existe également une discrimination entre fonctionnaires masculins et féminins : le fonctionnaire célibataire masculin ne peut, en effet, jouir de son traitement dans les mêmes conditions que son homologue féminin .

On ne pourrait toutefois dissocier la retenue opérée de la raison qui en fonde l' existence : la cotisation obligatoire serait justifiée par une prestation d' un régime de sécurité sociale, l' une étant indissociable de l' autre . Il faudrait donc, s' agissant d' une pension de survivant, rechercher quelles dispositions du droit communautaire lui sont applicables . L' analyse faite par la Commission des articles 1, paragraphe 2, de la directive 76/207, 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 79/7, et 9 de la proposition de directive du 5 mars 1983 l' amène, comme le gouvernement du Royaume-Uni, à conclure qu' il n' existe pas encore d' instrument de droit communautaire prévoyant l' égalité de traitement en ce qui concerne les régimes professionnels de sécurité sociale et que, même si le texte actuellement à l' état de proposition devait être adopté, il n' en résulterait pas nécessairement une obligation pour les États membres de garantir l' égalité dans le cas de pensions de survivant .

5 . L' enjeu de la présente affaire est, une fois encore, la délimitation du champ d' application de l' article 119 . Alors que le requérant estime que la mesure critiquée au principal s' analyse comme une condition de rémunération, différente selon le sexe, le gouvernement du Royaume-Uni considère que le recours porte sur une condition d' accès à un régime professionnel, tandis que la Commission prétend qu' il s' agit en l' espèce d' une condition de travail avec conséquence pécuniaire, liée à une question de sécurité sociale . Il importe donc de situer avec précision le problème d' interprétation dont la Cour est saisie .

M . Newstead se plaint de ne pas pouvoir disposer d' une partie de son salaire net dans les mêmes conditions que ses collègues de sexe féminin . Son action tend donc à la suppression de cette différence de traitement . Celle-ci disparaîtrait :

- soit si les femmes devaient elles-mêmes cotiser, au même titre que les hommes, en vue de la constitution d' une pension de veuf;

- soit si l' obligation de cotiser des fonctionnaires célibataires de sexe masculin était supprimée, solution qui doit avoir la préférence de M . Newstead .

Le problème d' interprétation dont est saisie la Cour concerne une obligation de cotiser à un régime professionnel en vue de la constitution d' une pension de survivant, n' incombant, sauf exception, qu' aux hommes, mariés ou non . C' est cette obligation qui est la cause de la mesure qualifiée de discriminatoire par M . Newstead, laquelle n' en est que la conséquence .

Dans l' affaire 19/81 ( Burton, précitée ), le requérant soutenait qu' il était traité moins favorablement qu' un travailleur de sexe féminin dans la mesure où, parce qu' âgé de 58 ans, il ne pouvait bénéficier d' une indemnité de départ volontaire, alors qu' une femme du même âge pouvait y prétendre . Allant au-delà de l' effet, vous avez recherché la cause et constaté que les questions posées visaient non l' indemnité en tant que telle, mais, en substance, à savoir si les conditions d' âge, différentes selon le sexe des travailleurs, déterminant le droit à bénéficier de l' indemnité en cause, constituaient une discrimination interdite par le droit communautaire . La différence de traitement trouvait sa cause dans les conditions d' âge, l' impossibilité de bénéficier d' une indemnité dans les mêmes conditions que les femmes n' en étant que l' effet .

En l' espèce, la cause est l' obligation de cotiser imposée aux seuls fonctionnaires de sexe masculin et l' effet, une différence, avec leurs collègues de sexe féminin, quant à la disponibilité immédiate d' une partie du salaire .

Si, à l' instar du requérant, on se limitait au seul effet, on devrait se poser la question de savoir s' il s' agit véritablement d' une discrimination en raison du sexe . Ne s' agirait-il pas plutôt, comme l' a d' ailleurs évoqué la Commission, d' un problème de discrimination consistant à imposer injustement la même obligation à tous les hommes, sans prendre en considération leur situation matrimoniale? En effet, puisqu' il n' existe en principe - sauf rares cas - pas de pensions de veuf, on peut hésiter à soutenir qu' il y a discrimination de rémunération entre hommes et femmes, puisque les hommes bénéficient d' un avantage futur, la garantie financière à l' égard de leurs épouses, dont les femmes ne bénéficient pas au profit de leurs époux . Sous l' angle du progrès social, on pourrait même soutenir que ce sont les femmes qui sont en réalité, de ce fait, professionnellement discriminées . A l' audience, le représentant de M . Newstead a d' ailleurs admis que la situation aurait sans doute été considérée comme moins injuste par le requérant si celui-ci avait été marié, justement parce qu' alors son épouse aurait pu prétendre à une pension de réversion . Il résulte, par ailleurs, des mêmes observations orales que M . Newstead voudrait être placé dans la même situation que les femmes célibataires, c' est-à-dire que, comme elles, les hommes célibataires soient dispensés de cotiser . Des négociations entre gouvernement et syndicats de la fonction publique seraient actuellement en cours en vue de soumettre tous les fonctionnaires, quels que soient leur sexe et leur situation matrimoniale, à la même retenue sur salaire . Ce n' est pas ce que souhaite M . Newstead qui, en réalité, ne veut pas cotiser pour une épouse qu' il n' aura, selon lui, jamais, mais qui, si nous l' avons bien compris, serait tout de même moins insatisfait parce que les femmes célibataires, et tenant comme lui à le rester, seraient aussi peu favorablement traitées .

Ce type de revendication ne peut trouver appui dans les articles 117 à 119 du traité et, si la question devait être limitée à cet aspect, il faudrait dire qu' aucune des normes évoquées n' a vocation à s' appliquer .

Il n' en demeure pas moins que cette affaire pose un réel problème qui est, nous l' avons dit, de savoir dans quelle mesure le principe de l' égalité de traitement s' applique à l' obligation de cotiser en vue de la constitution d' une pension de survivant, ce qui revient à poser la question de la nature de cette obligation .

6 . La réponse se trouve, pensons-nous, tout simplement dans la directive 79/7, qui s' applique aux régimes légaux assurant une protection contre les risques de maladie, invalidité, vieillesse, accident du travail et maladie professionnelle, chômage . L' article 4 de ce texte interdit, en effet, l' absence de toute discrimination fondée sur le sexe, par référence, notamment, à l' état matrimonial et, en particulier, en ce qui concerne "l' obligation de cotiser et le calcul des cotisations" ( c' est nous qui soulignons ).

Mais, selon son article 3, paragraphe 2, la directive "ne s' applique pas aux dispositions concernant les prestations de survivants" et le paragraphe 3 du même article renvoie la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement dans les régimes professionnels à des dispositions que devra arrêter le Conseil sur proposition de la Commission . Nous l' avons indiqué, un tel projet a été présenté par la Commission au Conseil le 5 mars 1983 . Il vous a été dit que son adoption risquait de demander encore de longs délais .

Selon l' article 2, paragraphe 1, de cette proposition :

"1.*Sont considérés comme régimes professionnels les régimes qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d' une entreprise ou d' un groupement d' entreprises, ou d' un secteur professionnel ou interprofessionnel, les prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux ou à s' y substituer selon que l' affiliation à ces régimes est obligatoire ou facultative ".

Le régime de pensions de survivants en cause présente ces caractéristiques puisque, dans sa composante liée au salaire, il se substitue partiellement au régime légal .

L' article 5 de la proposition, tout comme l' article 4 de la directive 79/7, interdit toute discrimination fondée sur le sexe, par référence, notamment, à l' état matrimonial, en particulier en ce qui concerne "l' obligation de cotiser ".

Une constatation s' impose : l' obligation de cotiser à un régime de sécurité sociale, que le requérant considère comme affectant sa condition de rémunération et, à ce titre, entrant dans le champ d' application de l' article 1er, alinéa 1, de la directive 75/117, échappe cependant, selon la directive 79/7 du Conseil et les dispositions de la proposition, au domaine régi par l' article 119 et la directive prise pour son application, pour entrer dans celui des articles 117 et 118, ce dernier régissant expressément les matières relatives à la sécurité sociale .

L' avocat général M . Capotorti, dans ses conclusions dans l' affaire 149/77 ( Defrenne III, précitée, Rec . 1978, p.*1365 et 1383 ), avait déjà mis en évidence que la rémunération figure certainement parmi les conditions de travail visées de façon plus générale par les articles 117 et 118 . Dès lors, ces textes, par l' intermédiaire des conditions de travail, peuvent-ils avoir une incidence sur les modalités de rémunération . Il en va ainsi tout spécialement des matières relatives à la sécurité sociale, dont il est à peine besoin de rappeler les liens étroits qui les unissent aux politiques étatiques de protection sociale .

Il en résulte que les retenues sur salaire, effectuées en vertu d' une obligation de cotiser à un régime de sécurité sociale, relèvent des conditions de travail auxquelles ne s' applique le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes que lorsque celui-ci a été mis en oeuvre par une directive du Conseil . Or, si la directive 76/207 concerne "les conditions de travail, y compris les rémunérations" ( premier considérant ), elle a exclu de son champ d' application, par renvoi à une directive à prendre par le Conseil, celles qui ont trait à la sécurité sociale ( article 1er, paragraphe 2 ), partiellement régies depuis par la directive 79/7 .

En conséquence, une situation telle que celle présentée en l' espèce ne relève pas du champ d' application de l' article 119, lequel "en contraste avec les dispositions de caractère essentiellement programmatique des articles 117 et 118", est "limité au problème des discriminations en matière salariale entre travailleurs masculins et travailleurs féminins ( et ) constitue une règle spéciale, dont l' application est liée à des données précises" ( point 19 de l' affaire Defrenne III, précitée ).

L' article 119 est "fondé sur le lien étroit qui existe entre la nature de la prestation de travail et le montant du salaire" ( point 21 du même arrêt, c' est nous qui soulignons ). Lui ayant reconnu une applicabilité directe dans son domaine propre, vous avez énoncé qu' "on ne saurait ( en ) élargir les termes *... au point ... d' intervenir dans un domaine réservé, par les articles 117 et 118, à l' appréciation des autorités y visées" ( point 23 ).

Plus peut-être que dans d' autres domaines, la collaboration étroite des institutions communautaires et des États membres dont fait état l' article 118 doit être respectée en matière de sécurité sociale . Certes, les difficultés financières que connaissent les États membres des Communautés ( voir, à cet égard, Dr Leo Crijns, "Les pensions de vieillesse et les problèmes y afférents dans les dix États membres de la Communauté européenne", dans Droit social n°*9-10, septembre-octobre 1984, p.*573 ) ne facilitent-elles guère l' action du Conseil en vue de faire progresser rapidement la suppression des discriminations selon le sexe en ce qui concerne les régimes de pensions professionnelles . La Commission en a officiellement exprimé ses vifs regrets ( voir JO C*314 du 26.11.1984, p.*22, réponse donnée le 11 octobre 1984 à un parlementaire européen au nom de la Commission par M . Richard ). Cependant, si nous estimons que ce retard est effectivement très regrettable, nous sommes contraint de constater que le régime en cause présente les caractéristiques des régimes professionnels à l' égard desquels le principe de l' égalité de traitement n' a pas encore été mis en oeuvre . De plus, s' agissant d' une obligation de cotiser en vue de la constitution d' une pension de survivant, si le texte proposé par la Commission en 1983 entrait en vigueur en l' état, il comporterait encore une exception applicable à un cas du genre de celui qui vous est soumis . En effet, bien que son article 4, sous b ), prévoie expressément qu' il s' appliquerait à des "régimes professionnels qui prévoient *... notamment des pensions de survivant *..., si ces prestations sont destinées à des travailleurs salariés et constituent dès lors des avantages payés par l' employeur au travailleur en raison de l' emploi de ce dernier", les États membres pourraient encore différer la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement en ce qui concerne ces pensions (( article 9, paragraphe 1, sous b ), de la proposition de directive )), sauf si cette égalité était déjà réalisée dans les régimes légaux de sécurité sociale .

En l' état actuel du droit communautaire, il n' existe donc pas d' obligation pour un État membre d' appliquer le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes à une obligation de cotiser en vue de la constitution d' une pension de survivant .

7 . Il reste cependant encore à vérifier si une telle constatation est compatible avec votre jurisprudence selon laquelle une cotisation due par un travailleur à un régime, fût-il légal, de sécurité sociale, peut être considérée comme rémunération au sens de l' article 119 .

Il convient en effet de rappeler ici que vous avez jugé que :

"... les sommes que les autorités publiques sont tenues de verser à titre de cotisations dues de sécurité sociale par des personnes travaillant dans l' administration et qui sont englobées dans le calcul du salaire brut dû aux fonctionnaires sont à considérer commme rémunération au sens de l' article 119, pour autant qu' elles déterminent directement le calcul d' autres avantages liés au salaire" ( affaire 23/83, Liefting/Academisch Ziekenhuis bij de Universiteit van Amsterdam, arrêt du 18 septembre 1984, Rec . p.*3225, 3239, point 13 ).

Vous repreniez ainsi une jurisprudence déjà développée dans l' affaire 69/80 ( Worringham, précitée, points 14 à 17, Rec . 1981, p.*790 ).

En réalité, le problème s' éclaire dès lors que l' on se réfère, comme vous l' avez fait dans votre arrêt Defrenne III, suivant les conclusions de l' avocat général M . Capotorti, à la distinction qu' il y a lieu d' opérer entre les champs respectifs d' application des articles 117 et 118 du traité, d' une part, et 119, d' autre part .

Les articles 117 et 118 sont des textes de portée générale soulignant "la nécessité de promouvoir l' amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d' oeuvre permettant leur égalisation dans le progrès" ( article 117, alinéa 1 ) et conférant à la Commission "mission de promouvoir une collaboration étroite entre les États membres dans le domaine social", notamment en matière de sécurité sociale ( article 118, alinéa*1 ).

Nous avons rappelé que ces dispositions étaient de nature programmatique et qu' elles nécessitaient, pour leur mise en oeuvre, l' intervention de dispositions communautaires dérivées . C' est ainsi que les directives 76/207 et 79/7 ont été prises par le Conseil . Leur intervention ne suffit pas à assurer la mise en oeuvre complète des deux articles précités .

L' article 119 du traité est, par contre, un texte de portée spécifique, relatif à "l' application du principe de l' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail" ( alinéa 1 ). Son champ d' application, plus restreint, s' inscrit dans celui, plus général, des articles 117 et 118 . Le caractère fondamental du principe qu' il énonce vous a conduit à en affirmer l' applicabilité directe à l' encontre des "discriminations susceptibles d' être constatées à l' aide des seuls critères d' identité de travail et d' égalité de rémunération retenus par l' article précité, sans que des mesures communautaires ou nationales déterminant ces critères soient nécessaires pour la mise en oeuvre de ceux-ci" ( affaire 12/81, Garland/British Rail Engineering, arrêt du 9 février 1982, Rec . p.*359 ).

C' est dans ce dispositif d' ensemble que s' inscrivent vos décisions, invoquées tant par le juge de renvoi que, devant votre Cour, par les parties au principal et les intervenants .

Votre jurisprudence traduit la recherche d' un équilibre entre :

- d' une part, le caractère fondamental du principe affirmé par l' article 119, appelant une garantie communautaire de son efficacité;

- d' autre part, l' observation des compétences respectives réservées par les articles 117 et 118 tant aux institutions communautaires qu' aux États membres, ces derniers devant pouvoir continuer à maîtriser leur politique sociale et, bien entendu, ses incidences financières ( voir, à cet égard, L . Imbrechts, "L' égalité de rémunération entre hommes et femmes", dans RTDE, 2e cahier, avril-juin 1986, p.*231, 236 et 237 ).

C' est ainsi que, comme nous l' avons dit, la sécurité sociale - dont relèvent les pensions de survivant - est l' une des matières expressément visées à l' article 118 .

C' est pourquoi il n' y a nulle contradiction entre la solution que nous vous proposons en l' espèce et celle que vous avez retenue dans les affaires Worringham et Liefting, où ce qui est pris en compte est non l' obligation de cotisation, condition de travail, mais les sommes versées à ce titre - c' est-à-dire le montant de celle-ci - englobées dans le salaire brut et concourant à déterminer le calcul d' autres avantages liés au salaire . En clair, il ne faut pas confondre cette obligation et la cotisation, qui n' en est que la conséquence pécuniaire .

Il va de soi qu' un travailleur célibataire de sexe masculin qui percevrait une rémunération globale, montant de cotisation sociale incluse, inférieure à celle versée à ses homologues féminins, serait fondé à se prévaloir tant de l' article 119 que de la directive 75/117, prise pour son application . Mais, dans la mesure où la législation applicable à l' intéressé se limite à prélever, sur une rémunération égale quel que soit le sexe du travailleur, une cotisation en matière de sécurité sociale imposée exclusivement aux hommes, la disposition en vertu de laquelle ce prélèvement est opéré relève des articles 117 et 118 du traité, et des directives 76/207 et 79/7 . Nous avons vu qu' en l' état actuel du droit communautaire ces textes ne font pas obstacle à un traitement différencié en raison du sexe .

On comprend que ceux qu' il frappe le déplorent et on ne peut que souhaiter l' intervention aussi rapprochée que possible d' une réglementation communautaire en la matière . Quoi qu' il en soit, tant que la proposition de directive en cours d' examen au Conseil n' aura pas valeur de droit positif, une mesure du type de celle critiquée au principal ne nous paraît pas pouvoir être considérée comme incompatible avec le droit communautaire, originaire ou dérivé .

Ajoutons, pour être complet, que cette analyse ne saurait être interprétée comme permettant toute retenue sur salaire qui serait effectuée de façon discriminatoire en raison du sexe . En effet, tout prélèvement de ce type qui n' entrerait pas dans le champ d' application d' une disposition dérogatoire expresse serait contraire à l' article 5 de la directive 76/207 dont vous avez affirmé l' effet direct par votre arrêt Marshall ( affaire 152/84, arrêt du 26 février 1986, Rec . p.*723 ).

Eu égard aux observations qui précèdent, nous vous proposons de répondre ainsi qu' il suit aux questions posées par l' Employment Appeal Tribunal .

Compte tenu des dispositions des articles 1, paragraphe 2, de la directive 76/207 du Conseil du 9 février 1976 ( JO L*39 du 14.2.1976 ), et 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978 ( JO L*6 du 10.1.1979 ), une retenue, opérée sur les salaires bruts des seuls travailleurs de sexe masculin en vue de la constitution d' une pension de survivant dans le cadre d' un régime professionnel, n' est pas contraire au droit communautaire, en son état actuel .

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