Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61985CC0185

    Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 7 mai 1986.
    Union sidérurgique du Nord et de l'Est de la France (Usinor) SA contre Commission des Communautés européennes.
    Caution pour certains produits sidérurgiques.
    Affaire 185/85.

    Recueil de jurisprudence 1986 -02079

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:203

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. JEAN MISCHO

    présentées le 7 mai 1986

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    I —

    Les faits de la présente affaire peuvent être résumés de la manière suivante.

    Aux termes d'un contrat conclu en 1969 entre la société Laminoirs de Strasbourg SA (ci-après dénommée « Laminoirs »), filiale à 100 % de la société Union sidérurgique du nord et de l'est de la France (Usinor) SA, et la société Straßburger Stahlkontor GmbH (ci-après dénommée SSK), cette dernière est chargée de la distribution exclusive des produits Laminoirs sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne, y compris Berlin (Ouest).

    Après une enquête menée auprès de Laminoirs et de SSK, la Commission a relevé à la charge de Laminoirs des infractions aux règles de prix du traité CECA, commises par l'intermédiaire de SSK.

    Estimant que les éléments établis constituaient « un commencement de preuve d'infraction » au sens de l'article 2, paragraphe 7, de la décision générale no 3716/83/CECA du 23 décembre 1983 ( 1 ), la Commission, après avoir émis la communication des griefs prescrite par l'article 36 du traité, a arrêté la décision individuelle no 5462 du 2 mai 1985, bloquant provisoirement la restitution d'une partie de la caution fournie au deuxième trimestre de 1985 par Usinor à concurrence d'un montant de 2745641 FF.

    Dans les motifs de cette décision, la Commission constate que lors « des vérifications effectuées auprès de SSK, organisation de vente des Laminoirs de Strasbourg, au sens de l'article 1er, paragraphe 2, troisième tiret, de la décision no 30/53 ( 2 ), modifiée en dernier lieu par la décision no 1834/81/CECA du 3 juillet 1981 ( 3 ), il est apparu que SSK n'a pas toujours respecté, au premier trimestre de 1984, les prix minimaux fixés par la décision no 3715/83/CECA prise en application de l'article 61 du traité CECA ».

    Usinor demande dès lors:

    l'annulation de l'article 1er, paragraphe 2, troisième tiret, de la décision no 30/53 telle que modifiée par la décision no 1834/81/CECA, parce que la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en étendant au domaine des prix une définition empruntée au domaine des règles de concurrence;

    l'annulation de la décision individuelle no 5462 du 2 mai 1985 pour illégalité et détournement de pouvoir, la Commission ayant imputé — à tort — à SSK la qualité d'« organisation de vente » de Laminoirs;

    l'annulation de la même décision pour défaut de motivation, parce que la Commission n'aurait pas exposé les critères sur la base desquels elle a arrêté le montant de la caution bloquée.

    II —

    En droit — une fois écartée comme irrecevable la demande d'annulation de la décision no 1834/81/CECA (point A) —, l'affaire pose les deux problèmes majeurs suivants:

    La Commission était-elle habilitée, en vertu des articles 60 et suivants du traité CECA en matière de prix, à étendre la responsabilité des entreprises de production aux pratiques de leurs distributeurs en vente directe, lorsque ceux-ci sont contrôlés par l'entreprise de production (point B)?

    Dans le cas d'espèce, la Commission était-elle fondée à qualifier SSK d'organisation de vente de Laminoirs/Usinor au sens de la décision no 30/53 (point C)?

    Finalement, il faudra encore examiner le moyen tiré du défaut de motivation de la décision no 5462 (point D).

    A —

    Il ne saurait y avoir de doute quant à l'irrecevabilité du recours dans la mesure où il tend à l'annulation de l'article 1er, paragraphe 2, troisième tiret, de la décision no 30/53 dans la version modifiée par la décision no 1834/81/CECA, car le délai d'un mois imparti aux requérants par l'article 33, paragraphe 3, du traité CECA était venu à expiration, depuis bien longtemps, au moment de l'introduction de la requête.

    Mais comme la partie requérante invoque également l'illégalité de cette disposition à l'appui de sa demande en annulation de la décision individuelle no 5462, on peut considérer qu'on est en réalité en présence d'une exception d'illégalité.

    Il est en effet incontestable, comme le dit la partie requérante, qu'il « existe... un lien juridique entre la décision individuelle attaquée et la décision générale en vertu de laquelle l'acte individuel a été notifié au destinataire » ( 4 ).

    Bien entendu, une telle exception d'illégalité ne pourrait pas aboutir à l'annulation de la décision générale en cause, mais seulement à celle de la décision individuelle adoptée sur la base de celle-ci.

    Reste à savoir si cette exception d'illégalité est fondée. C'est ce qu'il y a lieu d'examiner maintenant.

    B —

    La partie requérante considère que la Commission a commis un détournement de pouvoir en utilisant, dans le cadre de l'application de l'article 60 du traité CECA, une définition du contrôle d'entreprise contenue dans une réglementation d'application de l'article 66 du même traité, à savoir la décision no 24/54 du 6 mai 1954 ( 5 ).

    Concrètement, la décision no 1834/81/CECA ajoute à l'article 1er, paragraphe 2, de la décision no 30/53, qui définit ce qu'il faut entendre par « organisation de vente » au sens de cette décision, un troisième tiret visant

    « les entreprises de distribution qui sont contrôlées par une entreprise de production, directement ou indirectement, au sens de la décision no 24Z54 ( 6 ), pour les cas où elles effectuent des ‘ventes directes’ de produits de l'entreprise de production en question ».

    Disons d'emblée que nous sommes ici en présence d'un simple renvoi relevant d'une technique juridique assez courante qui ne peut pas être contesté en soi. Il est évident que la décision no 1834/81/CECA, ainsi qu'il est indiqué dans son dernier considérant, ne fait appel à la décision no 24/54 que pour lui emprunter la définition du contrôle d'entreprise. A cet égard, il est sans importance que les deux décisions soient basées sur des articles du traité CECA qui poursuivent des objectifs distincts.

    Il est également sans importance, dans le cas d'espèce, que les garanties juridictionnelles attachées à l'un ou à l'autre de ces deux articles soient différentes. Ce n'est pas parce que la décision no 1834/81/CECA, basée sur l'article 60, emprunte une définition juridique à la décision no 24/54, basée sur l'article 66, que l'on se trouverait dans le cadre de l'application de ce deuxième article et que les garanties juridictionnelles y attachées devraient prendre le pas sur celles attachées à l'article 60.

    Dans la présente affaire, la Commission n'a, en aucune façon, entendu statuer sur le point de savoir si le contrat liant Laminoirs et SSK constitue ou non une concentration entre entreprises — licite ou illicite — au sens de l'article 66 du traité CECA.

    A mon sens, la Commission n'a pas non plus voulu soutenir, même implicitement, que les contrats de distribution exclusive puissent être considérés, en tant que tels, comme constitutifs d'une concentration entre entreprises.

    En effet, le rôle que joue dans la présente affaire le contrat conclu entre Laminoirs et SSK n'est pas dû au fait qu'il s'agit d'un contrat de distribution exclusive, mais au fait que SSK s'approvisionne en totalité auprès de Laminoirs et à d'autres circonstances qui caractérisent les relations entre ces deux firmes. (Nous savons d'ailleurs qu'une autre firme est chargée de vendre les produits de Laminoirs dans un secteur particulier du marché allemand.)

    Mais, au-delà de cet aspect de technique juridique, se pose naturellement la question de savoir si la Commission pouvait, sur la base de l'article 60 du traité CECA, étendre la responsabilité des entreprises de production en matière de pratiques interdites dans le domaine des prix à leurs organisations de vente présentant les caractéristiques en question.

    La partie requérante le conteste essentiellement pour les raisons suivantes.

    1.

    Elle soutient tout d'abord que le contexte de l'article 66 du traité CECA serait tel que, dans ce cadre, une définition très extensive de la notion de contrôle d'une entreprise serait parfaitement légitime. Selon la partie requérante, les entreprises participant à une opération de concentration illicite étant nécessairement toutes coupables, « il était loisible au législateur de définir le contrôle d'une entreprise par une autre dans un contexte étendu de rapports contractuels, sans qu'il soit nécessaire qu'une entreprise ait sur l'autre un pouvoir contraignant » ( 7 ).

    Il en irait différemment dans le contexte de l'article 60, étant donné que les infractions en matière de prix pourraient être le fait d'une seule entreprise sans l'intervention d'une seconde et que l'on ne saurait les reprocher à cette seconde que si elle avait effectivement les moyens juridiques d'empêcher la première de les commettre.

    A cet égard, il y a lieu de noter tout d'abord que le système mis en place par la Commission n'est pas seulement fondé sur l'existence d'un « contexte étendu de rapports contractuels » entre deux entreprises.

    La situation que la Commission a en vue est celle où une entreprise de production fait intervenir dans ses ventes directes une entreprise de distribution qu'elle contrôle (voir quatrième considérant de la décision no 1834/81/CECA).

    Il faut donc, en premier lieu, qu'on soit en présence de ventes directes, c'est-à-dire que l'expédition des marchandises soit effectuée directement de l'entreprise de production au client de l'entreprise de distribution.

    En second lieu, une condition additionnelle doit être remplie.

    On est amené à constater, en effet, que la décision no 1834/81/CECA n'a pas seulement repris les critères des « droits ou contrats » figurant dans les points 1 à 5 de l'article 1er de la décision no 24/54, mais aussi la condition énoncée dans la partie introductive de cet article, à savoir que les « droits ou contrats » doivent être de nature à conférer, « seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité de déterminer l'action d'une entreprise dans les domaines de la production, des prix, des investissements, des approvisionnements, des ventes ou de l'affectation des bénéfices ».

    La Commission sera donc tenue d'examiner, cas par cas, dans le cadre de l'application de la décision no 30/53 si, pour ce qui est de sa politique en matière de prix ou de ventes, l'entreprise de distribution peut être considérée comme « le bras prolongé » de l'entreprise de production.

    Or, il me semble difficile de contester que les cinq types de situations définis à l'article 1er de la décision no 24/54, puissent être de nature à conférer, au moins dans certaines circonstances, un tel pouvoir à l'entreprise de production.

    On ne voit dès lors pas en quoi la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en reprenant, dans le cadre de la décision no 30/53, les « éléments de contrôle » définis par la décision no 24/54, qui, répétons-le, ne prévoit aucun automatisme, mais un examen cas par cas.

    Signalons encore que l'argument de la partie requérante, comme la Commission le relève à juste titre ( 8 ), est en outre erroné, en ce sens que les éléments de contrôle définis par la décision no 24/54 ne s'inscrivent pas nécessairement « dans un contexte étendu de rapports contractuels », l'article 3, paragraphe 1, point 2, prévoyant que le contrôle peut appartenir à des personnes ou entreprises qui ne sont pas titulaires des droits ou bénéficiaires des contrats visés à l'article 1er, mais qui ont néanmoins le pouvoir d'exercer les droits qui en découlent.

    Finalement et pour autant que de besoin, je voudrais rappeler que dans, une affaire antérieure ( 9 ) — dans un contexte différent, il est vrai —, la partie requérante avait déjà utilisé le même argument ( 10 ) à l'appui d'une demande en annulation du refus de la Commission d'augmenter ses quotas pour certains produits. La Cour a rejeté cet argument en constatant que la Commission, en recourant à la notion de groupe d'entreprises au sens de l'article 66 du traité CECA comme destinataire du régime de quotas, n'a pas outrepassé le pouvoir d'appréciation que lui confère en l'occurrence l'article 58 du traité CECA et n'a nullement porté atteinte à la définition de l'entreprise donnée à l'article 80 du traité CECA (point 7).

    2.

    La seconde raison mise en avant par la partie requérante consiste à dire que la décision no 1834/81/CECA ne pouvait être prise que conformément à la procédure prévue à l'article 95 puisque le traité CECA, dans ses articles 60 et 61 relatifs aux prix, ne prévoit pas l'extension des obligations incombant aux entreprises à d'autres entreprises sous le contrôle des premières.

    Si l'article 60 prévoit expressément au paragraphe 1, dernier alinéa, que la Haute Autorité pourra définir les pratiques visées par les interdictions du paragraphe 1, cette habilitation ne viserait que la nature des pratiques à l'exclusion des auteurs de ces pratiques.

    Cette interprétation serait corroborée par le texte de l'article 63 qui figure, lui aussi, au chapitre des prix, et qui prévoit au paragraphe 2, sous b):

    « Les entreprises seront rendues responsables des infractions aux obligations ainsi contractées commises par leurs agents directs ou les commissionnaires traitant pour le compte desdites entreprises. »

    Puisque aucune habilitation n'est donnée pour étendre l'énumération figurant à cet article, le traité la considérerait donc comme limitative et elle ne pourrait être étendue que sur la base des procédures prévues à l'article 95, comme la Commission l'a fait en ce qui concerne les négociants indépendants par la décision no 1836/81/CECA ( 11 ), adoptée le même jour que la décisionno 1834/81/CECA.

    La force de cet argument ne peut être évaluée qu'à la lumière du contexte et de l'objet de la décision en question.

    Il y a lieu de noter tout d'abord que la décision no 30/53 n'est pas seulement fondée sur l'article 60, mais aussi sur l'article 63, paragraphe 2.

    Déjà dans sa première version, celle du 2 mai 1953, cette décision visait d'une manière globale les organisations de vente puisqu'elle prévoyait dans son article 7 que « les entreprises sont rendues responsables des infractions à l'obligation prévue ci-dessus (c'est-à-dire celle de respecter les articles 2 à 6 de la décision) commises par leurs agents directs, organisations de vente ou commissionnaires ».

    A ce moment-là, les organisations de vente étaient donc, pour ainsi dire, assimilées aux agents directs ou aux commissionnaires, dont il est question à l'article 63, paragraphe 2, sous b).

    Ensuite, par la décision no 19/63 du 11 décembre 1963 ( 12 ), cette notion d'organisation de vente a été précisée dans le sens indiqué dans les deux premiers tirets du paragraphe 2 nouveau de l'article 1er de la décision no 30/53.

    Les raisons de cette précision ont été indiquées dans le troisième considérant de la décision no 19/63 ( 13 ).

    Par l'article 8 de la même décision, la Haute Autorité a par ailleurs introduit la notion d'« intermédiaires » en distinguant deux sous-catégories. Dans la première figurent notamment les agents et, dans la seconde, les commissionnaires.

    La partie requérante n'a pas contesté la légalité de cette décision, qui n'est pourtant pas basée sur l'article 95, mais sur les articles 4, 60 et 63, paragraphe 2.

    Enfin, dans le cadre du dispositif de crise qu'elle a été amenée à mettre sur pied dans le secteur de l'acier, la Commission a jugé nécessaire d'entreprendre une action encore plus énergique sur les prix de vente des produits sidérurgiques et a adopté la décision no 1834/81/CECA (fondée sur l'article 60).

    L'introduction d'une nouvelle catégorie d'organisations de vente dans la décision no 30/53 (troisième tiret de l'article 1er, paragraphe 2) a été motivée comme suit dans les quatrième et cinquième considérants de la décision no 1834/81/CECA:

    « considérant que, au cours des dernières années, dans le but de développer la distribution de leurs produits, un grand nombre d'entreprises de production se sont assuré le contrôle, directement ou indirectement, d'entreprises de distribution sans que ces entreprises distribuent nécessairement surtout la production de l'entreprise dont elles dépendent; que l'expérience a montré que les entreprises de production peuvent éviter les interdictions de discrimination les concernant en faisant simplement intervenir dans leurs ventes directes les entreprises de distribution qu'elles contrôlent;

    considérant qu'il y a lieu de soumettre les entreprises de production aux obligations découlant de la décision no 30/53, pour les ventes directes, dans tous les cas où elles font intervenir les entreprises de distribution qu'elles contrôlent ».

    La Commission considère donc, en quelque sorte, que la vente directe de ses produits par une entreprise de production reste une vente effectuée par cette entreprise même lorsqu'une organisation de vente fait fonction d'intermédiaire, pour autant que l'entreprise de production est à même d'exercer un contrôle sur la politique de prix pratiquée par l'organisation de vente en question.

    Le but évident de cette nouvelle modification de la décision no 30/53 a donc été de garantir Y effet utile de l'article 60, en empêchant que les entreprises de production ne puissent échapper, par un artifice, à leurs obligations.

    Or, comme la Cour l'a déclaré à plusieurs reprises, « la doctrine et la jurisprudence sont d'accord pour admettre que les règles établies par un traité impliquent les normes sans lesquelles ces règles ne peuvent pas être appliquées utilement ou raisonnablement » ( 14 ).

    Il n'est, par ailleurs, pas possible de dire qu'on soit ici en présence d'un « cas non prévu par le traité » au sens de l'article 95.

    L'obligation de base dont il s'agit d'assurer le respect résulte clairement du traité luimême (« sont interdites en matière de prix les pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4 » — article 60, première phrase).

    Le pouvoir de définir plus en détail « les pratiques visées » par l'interdiction de l'article 60, paragraphe 1, est accordé à la Commission par la dernière phrase de l'article 60, paragraphe 1.

    Le principe suivant lequel les entreprises sont responsables des infractions commises en matière de prix par les intermédiaires qui se trouvent dans un lien de dépendance par rapport à elles peut lui aussi être dégagé du traité, à savoir de son article 63, paragraphe 2, sous b), même si cet article ne vise, expressis verbis, que les « agents directs ou les commissionnaires traitant pour le compte desdites entreprises ».

    Enfin, on peut dire que le traité CECA, en attribuant à la Commission le pouvoir de définir « les pratiques visées« par l'interdiction de l'article 60, paragraphe 1, lui a aussi conféré le pouvoir de définir ces pratiques en fonction de certaines modalités particulières selon lesquelles les entreprises de production sont susceptibles de s'y livrer, à condition que la responsabilité finale de l'agissement fautif puisse être imputée à ces dernières.

    Un recours à l'article 95 ne s'imposait donc pas.

    La situation change du tout au tout lorsque ce ne sont plus les entreprises de production qui sont les véritables auteurs de l'infraction, mais des entreprises de distribution sur lesquelles elles n'ont pas d'emprise.

    Or, en considération du fait que « le marché de l'acier forme un tout dans lequel les négociants exercent un rôle important, étant donné que passe par leur entremise plus de la moitié des aciers vendus dans la Communauté en ventes directes ou ex-magasin, y compris les ventes de produits importés de pays tiers », la Commission a estimé que « toute action destinée à agir sur les prix doit concerner non seulement les producteurs mais aussi les négociants » (cinquième considérant de la décision no 1836/81/CECA). Aussi a-t-elle, le même jour où elle adoptait la décision no 1834/81/CECA, adressé aux États membres la recommandation no 1835/81/CECA ( 15 ), afin de les obliger à prendre les mesures nécessaires pour assurer que « les entreprises de distribution de l'acier (c'est-à-dire les entreprises de distribution indépendantes, qui ne sont pas sous le contrôle d'une entreprise de production) respectent des règles en matière de prix et conditions de vente analogues à celles qui sont imposées, en vertu de l'article 60 et de ses décisions d'application, aux entreprises de production » (troisième considérant de la recommandation no 1835/81 /CECA).

    A cette fin, elle a fait usage du pouvoir que lui confère expressément l'article 63, paragraphe 3, du traité CECA.

    Comme elle était toutefois consciente du fait que la mise en oeuvre de cette recommandation par les États membres nécessiterait un certain temps, elle a, en attendant, imposé directement, par sa décision no 1836/81/CECA, lesdites obligations aux entreprises de distribution (dernier considérant de la recommandation no 1835/81/CECA).

    Pour ce faire, elle a dû recourir aux dispositions de l'article 95, alinéa 1, car, comme elle l'a constaté elle-même dans le sixième considérant de la décision no 1836/81/CECA, « le traité n'a pas prévu ce cas », l'article 60 n'étant applicable, en vertu de l'article 80, qu'aux seules entreprises exerçant une activité de production.

    Les deux décisions, bien que situées dans un même contexte, ont donc des objets différents qui justifient le recours aux deux bases juridiques distinctes: tandis que la décision no 1836/81/CECA étend le champ d'application des règles en matière de prix, au-delà de l'article 60, aux entreprises de distribution (indépendantes), la décision no 1834/81/CECA ne fait que préciser, à l'intérieur de l'article 60, les responsabilités des entreprises de production pour les agissements de leurs organisations de vente en donnant à ces dernières une définition plus précise (pour les raisons évoquées au quatrième considérant cité ci-dessus).

    Le législateur communautaire était conscient de cette distinction au point d'exclure expressément « les organisations de vente au sens de la décision no 30/53 » du champ d'application de la décision no 1836/81/CECA (article 1er, paragraphe 1, troisième tiret) comme de la recommandation no 1835/81/CECA (article 2, paragraphe 1, troisième tiret).

    C —

    Cela étant, les conditions requises par cette décision sont-elles remplies dans le cas de l'espèce? En d'autres mots, SSK est-elle l'organisation de vente de Laminoirs au sens de la décision no 30/53 telle que modifiée par la décision no 1834/81/CECA?

    Comme il résulte du texte de cette décision, seul le concours de deux conditions distinctes permet de qualifier une entreprise de distribution d'organisation de vente d'une entreprise de production à savoir:

    l'existence d'éléments de contrôle au sens de la décision no 24/54,

    la réalité de ventes directes.

    1.

    En ce qui concerne le contrôle et la possibilité pour Laminoirs de déterminer l'action de SSK dans le domaine des prix ou des ventes, il y a lieu de relever ce qui suit.

    La Commission estime déceler dans le contrat de distribution exclusive, conclu le 30 juin 1969, entre Laminoirs et SSK l'élément de contrôle dont il est question à l'article 1er, point 5, de la décision no 24/54.

    Cette disposition vise les « contrats relatifs à la totalité ou à une partie importante des approvisionnements ou des débouchés d'une entreprise, lorsque ces contrats dépassent en quantité ou en durée la portée usuelle des contrats commerciaux en la matière ».

    Or, il apparaît que:

    le contrat conclu entre Laminoirs et SSK est relatif à une partie importante des approvisionnements de SSK; il n'a en effet pas été contesté qu'au cours d'une période de référence précise les ventes des produits CECA fournis par Laminoirs constituaient 48 % du chiffre d'affaires global de SSK, les autres 52 % étant pour le surplus constitués par des ventes de produits non CECA fournis par Laminoirs;

    le contrat dépasse, en tout cas en durée, la portée usuelle des contrats commerciaux en la matière: conclu en 1969, pour une durée initiale de six ans, reconductible par tacite reconduction pour des périodes de trois ans, il a été prolongé par un avenant du 25 janvier 1980 jusqu'au 31 décembre 1987, date à partir de laquelle il pourra être reconduit par tacite reconduction, pour de nouvelles périodes de trois ans; il aura donc une durée minimale de dix-huit ans;

    les documents et lettres commerciales à entête de SSK portent, en dessous du nom de la société, le qualificatif « Verkaufsgesellschaft der Laminoirs de Strasbourg SA für Deutschland »; SSK se présente donc elle-même comme l'organisation de vente de Laminoirs, avec l'accord tout au moins tacite de cette dernière société;

    les commandes des clients de SSK font l'objet d'un accusé de réception de commande à entête de Laminoirs qui leur est adressé cosigné par SSK et accompagné des conditions générales de vente de Laminoirs;

    en vertu de l'article 5 du contrat de distribution exclusive, Laminoirs se réserve le droit de faire accompagner les employés de SSK lors de visites chez la clientèle, par un de ses propres employés ;

    en vertu de l'article 7, SSK est obligée d'envoyer à Laminoirs, pour chaque livraison de produits Laminoirs, un duplicata de la facture y relative, et de lui présenter, de façon générale, les pièces comptables se rapportant à des affaires relatives aux produits Laminoirs;

    en vertu de l'article 8, les lettres circulaires que SSK veut adresser à la clientèle allemande pour les produits Laminoirs doivent être présentées pour approbation à Laminoirs.

    La partie requérante ne conteste aucun de ces éléments, mais en relativise l'importance et la signification. C'est ainsi qu'elle estime que le contrat ne dépasse ni en quantité ni en durée la portée usuelle des contrats commerciaux en la matière et que, à défaut d'une participation de l'entreprise de production dans le capital ou dans la gestion de l'entreprise de distribution, on ne serait pas en présence d'un contrôle de SSK par Laminoirs.

    A chacun des éléments énumérés, elle essaie de donner une interprétation destinée à leur dénier toute pertinence dans la tentative de les assembler comme indices constituant la preuve que SSK est bien l'organisation de vente de Laminoirs au sens de la décision no 1834/81/CECA. C'est ainsi que les pratiques commerciales et clauses énumérées ci-devant seraient tout à fait normales dans les rapports entre fournisseur et distributeur.

    J'estime pourtant que la seule existence de l'ensemble de tous ces éléments, indépendamment de leur raison d'être ou de leur caractère normal ou non, indépendamment aussi de la mesure dans laquelle il en a été fait usage, suffit pour que les conditions de la décision no 1834/81/CECA soient remplies. Ces éléments sont précisément de nature à prouver une dépendance tellement étroite de l'entreprise de distribution par rapport à l'entreprise de production qu'on peut considérer que la première agit en réalité pour le compte de la deuxième. Pour être pertinents, ces éléments ne doivent pas nécessairement trouver leur explication, comme le soutient la demanderesse, dans des relations déterminées, pour ainsi dire préétablies, comme l'appartenance à un même groupe ou la participation de l'une à la gestion ou à la direction de l'autre.

    Dans ces derniers cas, on se trouverait en effet sur le terrain du point 1 de l'article 1er de la décision no 24/54 (droit de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise), respectivement sur celui du deuxième tiret de l'article 1er, paragraphe 2, de la décision no 30/53 qui vise « les entreprises de distribution dont la gestion dépend d'une entreprise de production... ».

    Or, nous avons déjà constaté ci-dessus que le fait de prendre en considération, à titre d'élément de contrôle, un contrat répondant aux critères de la partie introductive et du point 5 de l'article 1er de la décision no 24/54 ne pouvait être considéré comme illégal ou comme constituant un détournement de pouvoir.

    Notons enfin que, au cours de l'audience accordée par la Commission, le 16 avril 1985, aux représentants de la société Laminoirs de Strasbourg, un représentant de cette société a déclaré que « si Laminoirs effectue une vente directe elle connaît le prix fait au client. Ce prix est convenu étant donné que SSK vit des commissions versées par Laminoirs» (voir projet de procès-verbal du 8 mai 1985 annexé à la requête; dans ses observations du 29 mai 1985, Laminoirs n'a pas contesté ce passage du projet).

    En résumé, on peut donc conclure de l'ensemble des éléments cités ci-dessus que Laminoirs a la possibilité de déterminer l'action de SSK dans les domaines des prix ou des ventes, ainsi que le requiert l'article 1er de la décision no 24/54.

    2.

    En ce qui concerne l'existence de « ventes directes », rappelons tout d'abord que la décision no 30/53, modifiée par la décision no 1834/81/CECA, définit cette notion comme suit:

    « Il y a ‘vente directe’ lorsque, dans le cadre de contrats de vente conclus entre l'entreprise de production et l'entreprise de distribution, d'une part, ainsi qu'entre l'entreprise de distribution et son client acheteur de produits, d'autre part, l'expédition des produits est effectuée directement de l'entreprise de production au client de l'entreprise de distribution ou suivant les instructions du client. »

    Dans le cas d'espèce, l'existence de « ventes directes » a été reconnue explicitement par Laminoirs dans une lettre du 30 janvier 1985 et au cours de l'audience du 16 avril 1985.

    Elle est prouvée, en outre, par le fait que SSK ne dispose d'aucun dépôt de produits, de sorte que les produits Laminoirs sont toujours expédiés directement par Laminoirs aux clients de SSK.

    Enfin, les quatre derniers tirets du point 1 ci-dessus sont, eux aussi, de nature à confirmer l'existence de ce système de vente.

    Aucune conclusion ne saurait être tirée du fait que la définition des ventes directes est la même dans la décision no 30/53 modifiée et dans la décision no 1836/81/CECA relative aux négociants (article 6, paragraphe 2); cette définition constitue en effet une notion objective qui ne saurait varier selon le statut des parties contractantes.

    Ce qui compte, c'est que, même en cas de vente directe, les négociants ne se trouvent pas dans la même situation de dépendance que les organisations de vente au sens de la décision no 30/53.

    En conclusion, je suis donc d'avis que la Commission, au vu de ce qui précède, a été en droit de juger que SSK est l'organisation de vente de Laminoirs au sens de l'article 1er, paragraphe 2, troisième tiret, de la décision précitée, et qu'en l'occurrence elle n'a donc pas commis de détournement de pouvoir en adoptant la décision individuelle no 5462 du 2 mai 1985.

    D —

    La partie requérante fait encore grief à la Commission d'avoir insuffisamment motivé cette décision pour ce qui concerne les bases de calcul du montant de la caution bloquée. Elle se serait limitée à un simple renvoi à des « critères internes » non explicités par ailleurs.

    La Commission, tout en donnant des préci- sions sur ces « critères internes », estime que, en présence d'une simple mesure conservatoire prise en vue de rendre plus efficace une procédure ultérieure de sanction, la motivation peut se limiter au principe et au bien-fondé de la décision de blocage, le caractère approprié ou non de la méthode de calcul ne pouvant de toute façon être apprécié qu'à la lumière de la fixation de l'amende elle-même dans un stade ultérieur.

    Il est de jurisprudence constante que « l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité » ( 16 ).

    Or, en l'occurrence, je crois que la motivation de la décision attaquée satisfait à ces objectifs. En effet, après un rappel de la réglementation en vigueur et la constatation des infractions reprochées, la décision no 5462 ajoute que « aux termes de l'article 64 du traité CECA, ces infractions sont susceptibles d'être sanctionnées par une amende à concurrence du double de la valeur des ventes irrégulières; que le montant des sous-cotations reprochées s'élève à 595817 DM, soit 1830427 FF, convertis au taux moyen de l'Écu du premier trimestre 1984; que la Commission, sur la base de ces critères internes pour la fixation des amendes infligées pour violation de l'article 61 du traité CECA, pourrait prononcer une amende de 2745641 FF; que, par conséquent, il paraît approprié de bloquer provisoirement la restitution de la caution fournie par l'entreprise Usinor pour le deuxième trimestre de 1985 à raison d'un montant égal à celui du montant précité ».

    Elle a ainsi clairement défini les critères de référence qui ont servi de base à la fixation du montant de la caution. Ces critères, qui forment pour ainsi dire le cadre dans lequel la somme bloquée doit se situer, sont l'article 64 du traité CECA et le montant des sous-cotations reprochées.

    Qu'elle n'ait pas expressément précisé qu'elle a majoré ce dernier montant de 50 % ne me paraît pas de nature à permettre de juger la motivation insuffisante. Un simple calcul permet d'ailleurs de constater le taux de majoration appliqué au montant de la sous-cotation.

    En outre, les « critères internes » dont il est fait référence ne concernent que la fixation du montant de l'amende que la Commission pourrait ultérieurement prononcer.

    D'autre part, l'adoption de la décision attaquée a été précédée par toute une série de contacts, d'échanges de lettres et d'auditions entre les parties, de sorte que la requérante, ainsi étroitement associée au processus y aboutissant, a certainement eu l'occasion de recueillir toutes informations utiles sur les pratiques et méthodes de calcul de la Commission en la matière ( 17 ).

    Enfin, l'article 2, paragraphe 7, de la décision no 3716/83/CECA qui a servi de base à la décision incriminée, se borne à exiger que le montant de la caution bloquée soit d'un niveau « approprié ». Ce niveau est certainement approprié s'il ne sort pas du cadre précité.

    En conséquence, j'estime que le grief de défaut de motivation ne peut pas non plus être retenu.

    III — Conclusion

    Pour toutes ces raisons, je propose à la Cour:

    1)

    de rejeter comme irrecevable la demande d'annulation de l'article 1er, paragraphe 2, troisième tiret, de la décision no 30/53, telle que modifiée par la décision no 1834/81/CECA,

    2)

    de rejeter comme non fondée la demande d'annulation de la décision individuelle no 5462 du 2 mai 1985, et

    3)

    de condamner la partie requérante aux dépens.


    ( 1 ) Décision no 3716/83/CECA de la Commission, du 23 décembre 1983, instituant un système de caution pour certains produits sidérurgiques ainsi qu'un système de vérification des prix minimaux (JO L 373, p. 5).

    ( 2 ) Décision no 30/53, du 2 mai 1953, relative aux pratiques interdites par l'article 60, paragraphe 1, du traité dans le marché commun du charbon et de l'acier (JO 1953, p. 109). Pour une version codifiée à la date du 20 janvier 1964, voir JO 1963, p. 2980.

    ( 3 ) Décision no 1834/81/CECA de la Commission, du 3 juillet 1981 (JOL 184, p. 7).

    ( 4 ) Mémoire en réplique, p. 3.

    ( 5 ) Décision no 24/54, du 6 mai 1954, portant règlement d'application de l'article 66, paragraphe 1, du traité relatif aux éléments qui constituent le contrôle d'une entreprise (JO 1954, p. 345).

    ( 6 ) C'est nous qui soulignons.

    ( 7 ) Requête p. 11.

    ( 8 ) Mémoire en défense p. 7.

    ( 9 ) Arrêt du 11 octobre 1984, affaire 103/83, Usinor/Commission, Rec. 1984, p. 3483.

    ( 10 ) « La Commission ne pourrait pas appliquer la définition du groupe d'entreprises, donnée par le traité dans le cadre de la réglementation des fusions et des concentrations, à d'autres situations que celles visées à l'article 66, et passer outre aux dispositions du traité et à la jurisprudence de la Cour »(Rec. 1984, p. 3486).

    ( 11 ) Décision no 1836/81 /CECA de la Commission, du 3 juillet 1981, relative aux obligations des entreprises de distribution concernant la publication de barèmes de prix et conditions de vente ainsi qu'aux pratiques interdites à ces entreprises (JO L 184, p. 13).

    ( 12 ) Décision no 19/63, du 11 décembre 1963, modifiant la décision no 30/53 du 2 mai 1953 (JO 1963, p. 2969).

    ( 13 ) « Considérant que les entreprises de production sont également soumises à cette obligation lorsqu'elles ne vendent pas elles-mêmes leurs produits, mais font intervenir à cet effet des organisations de vente; qu'en effet une telle séparation entre l'activité de production et l'activité de distribution aurait autrement pour résultat de supprimer dans cette mesure l'interdiction de discrimination pour les entreprises de production ».

    ( 14 ) Affaire 20/59, République italienne/Haute Autorité, Rec. 1960, p. 663 et 688.

    Affaire 8/55, Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité, Rec. 1955-1956, p. 291 et 305.

    Affaire 25/59, Pays-Bas/Haute Autorité, Rec. 1960, p. 723, 757 et 758.

    ( 15 ) Recommandation no 1835/81/CECA de la Commission, du 3 juillet 1981, aux États membres, relative aux obligations de publication des barèmes de prix et des conditions de vente ainsi qu'aux pratiques interdites dans le négoce de l'acier (JO L 184, p. 9).

    ( 16 ) Arrêt 8/83 du 28 mars 1984, Bertoli/Commission, Rec. 1984, p. 1649, point 12.

    ( 17 ) Dans l'arrêt 8/83 précité, la Cour avait rappelé que « la mesure de l'obligation de motiver dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté » (point 13). Dans l'arrêt 1252/79 du 11 décembre 1980 (Lucchini/Commission, Rec. 1980, p. 3753), la Cour a plus particulièrement jugé que « la motivation d'une décision infligeant une amende pour violation de la réglementation CECA en matière de prix minimaux, bien que succincte, doit être jugée suffisante, dès lors que l'entreprise destinataire a été associée au processus d'élaboration de cette décision et a été mise au courant de la méthode de calcul des sous-cotations en cause » (sommaire, paragraphe 3, point 14).

    Top