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Document 61985CC0156

    Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 12 mars 1986.
    Procureur de la République contre Perles Eurotool et autres.
    Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Mulhouse - France.
    Accord intérimaire entre la Communauté économique européenne et la République socialiste fédérative de Yougoslavie - Notion du transport direct.
    Affaire 156/85.

    Recueil de jurisprudence 1986 -01595

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:118

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. CARL OTTO LENZ

    présentées le 12 mars 1986 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    A — Nous désirons présenter dès maintenant nos observations sur la question déférée par le tribunal de grande instance de Mulhouse, au sujet de laquelle nous avons entendu des observations orales ce matin même, puisque la solution nous paraît s'imposer clairement.

    Nous nous contenterons de rappeler brièvement ce dont il s'agit.

    La société Perles France, filiale française de la société yougoslave Iskraa Commerce (cette dernière assurant la commercialisation des produits fabriqués par la société de production Iskraa), a commandé au cours de l'année 1981 à sa société mère des machines-outils destinées à être importées en France. A la demande de la société de production yougoslave (qui a désigné la société française comme destinataire), les autorités yougoslaves ont établi à cet effet des déclarations d'origine, à avoir des certificats de circulation des marchandises EUR 1. Ceux-ci devaient avoir pour effet de faire bénéficier les marchandises, lors de l'importation dans la Communauté, du traitement préférentiel (suspension des droits de douane) prévu par l'accord intérimaire conclu entre la Communauté économique européenne et la république socialiste federative de Yougoslavie relatif aux échanges commerciaux et à la coopération commerciale (règlement n° 1272/80, JO L 130 du 27.5.1980, p. 1). Ce traitement préférentiel a du reste été accordé dans un premier temps, bien que les marchandises aient été importées via la Suisse, où elles ont été placées en entrepôts douaniers dans le port franc de Bâle.

    Mais, lorsque les douanes françaises ont constaté, au cours de contrôles, que les produits avaient fait l'objet de nouvelles factures établies par la société suisse Perles Eurotool, autre filiale de la société Iskraa Commerce, elles ont estimé qu'ils avaient ainsi été mis « dans le commerce » en Suisse au sens de l'article 5 du protocole n° 2 annexé à l'accord intérimaire (p. 33 du JO précité), ce qui excluait le traitement préférentiel. Aux termes de la disposition précitée, seuls sont considérés comme transportés directement de la Yougoslavie dans la Communauté les produits originaires dont le transport s'effectue sans emprunt de territoires autres que ceux des parties contractantes. Ce même article 5 dispose ensuite que le transport des produits originaires de Yougoslavie peut s'effectuer avec emprunt de territoires autres que ceux des parties contractantes, pour autant qu'ils n'y aient pas été mis dans le commerce ou à la consommation. Les faits étant délictueux au regard du code français des douanes, une procédure a donc été engagée pour utilisation de certificats entachés de faux en vue d'obtenir le bénéfice du régime préférentiel prévu par l'accord intérimaire déjà évoqué. La société et les personnes poursuivies dans cette procédure ont invoqué deux arguments. Elles ont soutenu, d'une part, qu'une refacturation en Suisse ne signifie pas que les produits aient ainsi « été mis dans le commerce » en Suisse. Elles ont, d'autre part, fait valoir que les produits auraient tout aussi bien pu être importés conformément au règlement n° 3510/80 de la Commission, « relatif à la définition de la notion de produits originaires pour l'application de préférences tarifaires accordées par la Commmunauté économique européenne à certains produits de pays en voie de développement », étant entendu que, aux termes de l'article 5, paragraphe 1, sous e), de ce règlement, la seule condition qui importe est qu'en cas de transport avec emprunt du territoire de la Suisse les produits « n'y aient pas été mis à la consommation ».

    Le tribunal saisi de la procédure pénale au principal estime, compte tenu de l'accord particulier conclu entre la Communauté et la Yougoslavie, que le deuxième argument n'est pas pertinent. Il est en revanche d'avis qu'il est nécessaire d'interpréter le protocole n° 2 de l'accord intérimaire conclu avec la Yougoslavie en ce qui concerne l'expression « mis dans le commerce ou à la consommation » du point de vue de la refacturation en cause.

    C'est pourquoi il a, par ordonnance du 23 avril 1985, sursis à statuer et a soumis à la Cour, en vue d'une décision à titre préjudiciel, la question suivante:

    « Dans le cadre des relations privilégiées CEE-Yougoslavie, la refacturation de marchandises originaires de Yougoslavie, dans un pays tiers, peut-elle être considérée comme une mise dans le commerce ou à la consommation au titre de l'article 5 du protocole n° 2 relatif à la définition de la notion de ‘produits originaires’ et aux méthodes de coopération administrative? »

    B — De l'avis tant de la partie défenderesse que de la Commission, il convient de répondre à cette question par la négative, et nous préconisons la même réponse.

    Cette réponse est claire dans la mesure où c'est la composante «mise à la consommation » qui est en cause. Il n'y a manifestement mise à la consommation que lorsque toutes les formalités d'importation sont remplies, de telle sorte qu'il est possible de disposer de la marchandise sur le marché intérieur. Il n'en a visiblement pas été ainsi dans l'affaire qui nous intéresse, puisque la marchandise est restée en Suisse sous scellés douaniers. Cela seul importe, alors qu'une « refacturation » est sans effet sur la « mise à la consommation ».

    La même analyse prévaut d'ailleurs pour l'expression « mise dans le commerce ».

    Certes, les arguments exposés par le représentant des prévenus sont loin d'être décisifs à cet égard. On ne peut en effet guère tenir pour pertinent le fait qu'il s'agit d'une opération qui s'est effectuée entre deux filiales d'une même société mère et qui n'a pratiquement dégagé aucun bénéfice, puisque le montant facturé par la société mère à sa filiale suisse était presque le même que celui qui a été utilisé lors de la refacturation. En effet, même dans de telles circonstances, on peut se trouver en présence de véritables opérations commerciales, et donc non pas de simples mesures de gestion interne. De même, le règlement n° 3510/80 ne fournit guère d'arguments décisifs dans ce sens, précisément parce que des dispositions spéciales — une lex specialis — ont été élaborées à l'égard de la Yougoslavie.

    Plus convaincante apparaît en revanche l'argumentation présentée par la Commission, qui invoque le but de l'accord intérimaire et de ses protocoles — promouvoir le commerce entre les parties contractantes —, et la logique de ces dispositions.

    Selon cette analyse, il est essentiel que seul le bénéfice du régime préférentiel soit réservé aux produits issus de l'économie des parties contractantes, et il convient sous ce rapport de garantir que les produits ne soient pas remplacés par d'autres au cours de leur transport vers le pays importateur et qu'ils n'aient aucune incidence sur l'équilibre du marché de pays tiers. C'est pourquoi le principe du transport direct prévaut; le produit doit être transporté directement du marché du pays d'origine sur le marché du pays destinataire. Si l'on procède ainsi, rien ne s'oppose à ce que le produit soit l'objet d'opérations commerciales durant le transport (aussi longtemps, par exemple, qu'il navigue en haute mer), et le transport de propriété éventuel, la nationalité des personnes concernées, les devises utilisées ou le lieu du paiement sont à cet égard indifférents. Il en est de même en bonne logique lorsque le produit, pour des raisons géographiques, vient au contact d'un pays tiers. Il importe seulement que la destination vers le pays partenaire soit déterminée avec certitude lors de l'exportation; en revanche, les opérations commerciales effectuées dans un pays tiers ne jouent aucun rôle si elles n'ont pas pour effet de modifier la destination initiale et si le produit n'est pas mis sur le marché d'un pays tiers, du point de vue économique. Les dispositions de l'article 5, paragraphe 2, du protocole n° 2 concernant les preuves, qui revêtent un caractère obligatoire pour les douanes, ne contribuent pas peu à conforter cette opinion. Si, aux termes de ces dispositions, la preuve que les conditions visées au paragraphe 1 sont réunies est considérée comme fournie sur simple production de certains documents, il faut en conclure qu'il est indifférent qu'une quelconque opération commerciale se soit produite durant le transport.

    C — Il conviendrait donc, comme le suggère la Commission, de répondre à la question déférée par le tribunal de grande instance de Mulhouse de la façon suivante:

    La refacturation d'un produit originaire de Yougoslavie, dans un pays tiers de transit au sens de l'article 5 du protocole n° 2 de l'accord intérimaire entre la Communauté économique européenne et la République socialiste fédérative de Yougoslavie, ne constitue pas une mise sur le marché ou une mise à la consommation au sens de cette disposition, s'il est avéré que le produit n'a jamais été destiné à un autre marché que le marché commun.


    ( *1 ) Traduit de l'allemand.

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