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Document 61985CC0039

    Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 28 novembre 1985.
    G. Bergeres - Becque contre Chef de service interrégional des douanes.
    Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Bordeaux - France.
    Taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation de marchandises par des particuliers.
    Affaire 39/85.

    Recueil de jurisprudence 1986 -00259

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1985:480

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MARCO DARMON

    présentées le 28 novembre 1985

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    Par les trois questions qu'il vous pose relativement à la taxe à la valeur ajoutée, le tribunal d'instance de Bordeaux vous demande, en substance:

    1)

    si, pour l'assujettissement à la TVA des biens importés, il y a « lieu d'opérer une discrimination suivant que l'opération est effectuée à titre onéreux ou à titre gratuit »;

    2)

    dans la négative, si la base de la taxation doit être « la valeur TTC du produit dans l'État d'exportation, diminuée de la part résiduelle de la TVA qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation », ou « la valeur hors taxes d'un produit similaire dans l'État d'importation »;

    3)

    si le montant de la TVA à percevoir par l'État d'importation est déterminé:

    « à partir d'un taux différentiel (taux en vigueur dans l'État d'importation diminué du taux en vigueur dans le pays d'exportation) »;

    par imputation de « la part résiduelle de TVA acquittée dans l'État membre d'exportation ... encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation, sur le montant de la TVA appliquée lors de l'importation »;

    s'il y a lieu, compte tenu de la restitution de cette part résiduelle par l'État membre d'exportation?

    2. 

    Posées dans le cadre d'un litige portant sur l'application, par l'administration française des douanes, de la TVA à un véhicule d'occasion importé de Belgique par un ressortissant de cet État membre résidant en France, ces questions ont déjà, pour l'essentiel, trouvé leur réponse dans les deux affaires Schul, jugées respectivement le 5 mai 1982 (affaire 15/81, Rec. 1982, p. 1409, ci-après Schul I) et le 21 mai dernier (affaire 47/84, Rec. 1985, p. 1491, ci-après Schul II).

    Le juge de renvoi ne s'y est d'ailleurs pas trompé, puisqu'il se réfère expressément, dans les motifs de son jugement, à la première de ces décisions, relevant pour la seconde, non encore intervenue à l'époque, que la Cour de cassation néerlandaise vous avait saisis de différentes questions préjudicielles, en raison des difficultés d'application de votre arrêt Schul I.

    Quant aux observations tant écrites qu'orales déposées devant vous, elles ne paraissent pas devoir remettre en cause les solutions dégagées par votre jurisprudence puisqu'elles développent, pour l'essentiel, des arguments qui sont déjà connus de vous et que vous avez soit retenus, soit rejetés.

    Nous ne retiendrons donc votre attention que sur les données juridiques propres à l'espèce, auxquelles réponse particulière doit être donnée.

    3. 

    S'agissant de la première question préjudicielle, la requérante au principal, les Pays-Bas et la Commission considèrent que le caractère gratuit de la marchandise importée ne met pas en cause l'application des principes posés par votre jurisprudence Schul I et II.

    En sens contraire, le gouvernement français, intervenu à l'audience, estime que l'importateur d'un bien cédé à titre gratuit ne peut se voir reconnaître un droit à déduction de la TVA de l'État membre d'exportation dès lors qu'il n'a pas eu à supporter personnellement cette imposition lors de l'acquisition du bien.

    Cette dernière interprétation ne peut être accueillie. En effet, le bien d'occasion importé dans le cadre d'une donation est nécessairement grevé de la TVA dont il a été frappé initialement dans l'État membre d'exportation. Refuser la prise en considération de la part de TVA encore incorporée dans la valeur du bien au moment de l'importation reviendrait à exposer le bien importé au risque d'un cumul de TVA, dès lors que la cession d'un même bien effectuée par des particuliers à l'intérieur de l'État membre d'importation, à titre gratuit comme à titre onéreux, ne donne pas lieu à nouvelle taxation (15/81, Schul I, points 15, 31 et 34).

    A cet égard, vous avez notamment déduit des articles 2, paragraphe 2, et 7 de la sixième directive TVA (directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, JO L 145), que le fait générateur de l'imposition,

    « pour ce qui est des opérations à l'importation... est constitué par la seule entrée d'un bien à l'intérieur d'un État membre, qu'il y ait ou non une transaction, que l'opération soit effectuée à titre onéreux ou à titre gratuit, par un assujetti ou par un particulier » (Schul I, point 14; c'est nous qui soulignons),

    alors que, pour les opérations effectuées à l'intérieur d'un État membre, c'est la livraison du bien à titre onéreux par l'assujetti, agissant comme tel, qui déclenche l'imposition.

    Autrement dit, l'importation étant, dès lors qu'elle existe, le fait générateur exclusif de l'imposition, peu importent les modalités du transfert de la propriété du bien importé. En conséquence, les principes dégagés par votre jurisprudence Schul I et II, à propos de l'importation d'un bien acquis à titre onéreux, trouvent à s'appliquer aux biens cédés par voie de donation.

    4. 

    Quant à la deuxième question préjudicielle, il y a lieu de rappeler que, ainsi que nous l'avions suggéré, vous avez dit pour droit, dans votre décision Schul II, que la part de la TVA de l'État membre d'exportation qui grève encore le bien au moment de l'importation

    « ne fait pas partie de la base imposable sur laquelle la TVA à l'importation est assise, étant donné que la base imposable des produits nationaux similaires est également une valeur hors taxes » (Schul II, point 21; voir également point 23).

    A elle seule, cependant, cette réponse n'épuise pas le problème soulevé par la juridiction de renvoi. Deux difficultés subsistent, en effet.

    En premier lieu, les motifs du jugement du tribunal d'instance de Bordeaux ainsi que les termes de sa seconde question préjudicielle soulèvent le problème de savoir si la base d'imposition doit être dégagée à partir de la valeur de la marchandise dans l'État membre d'importation. Selon les observations, non contestées, présentées par la requérante au principal, la pratique suivie par l'administration française des douanes consisterait à dégager la valeur du véhicule importé à partir de sa cotation à l'« argus » (cote de l'occasion) sur le territoire français.

    En second lieu, s'agissant en l'occurrence d'une donation, l'absence de tout prix de vente fixé oblige à rechercher comment évaluer le prix du bien importé. Cette difficulté est expressément réglée par les dispositions de l'article 11 B de la sixième directive selon lesquelles:

    « 1)

    La base d'imposition est constituée:

    ...

    b)

    par la valeur normale, si le prix fait défaut ...

    Est considéré comme ‘valeur normale’ à l'importation d'un bien tout ce qu'un importateur, se trouvant au stade de commercialisation où est effectuée l'importation, devrait payer à un fournisseur indépendant du pays de provenance du bien au moment où la taxe est exigible, dans des conditions de pleine concurrence, pour obtenir ce même bien. »

    Les États membres ont, en pareille hypothèse, une possibilité alternative, ouverte par le second paragraphe de l'article 11 B précité. Celui-ci précise qu'ils « peuvent retenir comme base d'imposition la valeur définie dans le règlement (CEE) no 803/68 », remplacé depuis par le règlement no 1224/80, entré en vigueur le 1er juillet 1980 [article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) du Conseil, du 28 mai 1980, relatif à la valeur en douane des marchandises, JO L 134, p. 1], c'est-à-dire la valeur en douane. Les articles 2 à 7 de ce règlement explicitent les différentes modalités permettant de déterminer cette valeur.

    Ces dispositions permettent de surmonter l'autre difficulté relevée : valeur « normale » ou « en douane », la valeur du bien importé est bien celle déterminée dans l'État membre d'exportation, en l'occurrence la Belgique. Cette solution s'inscrit dans la logique de cette imposition, qui frappe la consommation.

    Au demeurant, cette conception sous-tend vos arrêts Schul I et II. En effet, vous avez décidé que la TVA résiduelle de l'État d'exportation devait, pour la détermination de la base d'imposition, être déduite de la valeur du bien importé. Cette méthode implique que la valeur de référence soit celle de l'État membre d'exportation.

    Cela étant posé, rappelons que vous avez déclaré

    « qu'il appartient à celui qui demande la suppression ou la réduction de la TVA normalement perçue à l'occasion de l'importation d'établir que les conditions pour en bénéficier sont remplies » et que, par conséquent, « il est loisible à l'État membre d'importation d'exiger d'un tel importateur de fournir les documents nécessaires prouvant la TVA perçue dans l'État membre d'exportation et qui grève encore le produit au moment de l'importation » (Schul I, point 36).

    5. 

    Par sa dernière question, le tribunal d'instance de Bordeaux entend vous faire préciser les modalités d'application de la TVA dans l'État membre d'importation.

    A cet égard, on peut se borner à rappeler que le principe posé par votre arrêt Schul I, selon lequel le montant de la TVA perçue dans l'État membre d'exportation doit être pris en considération, impose aux autorités douanières de l'État membre d'importation de ne déduire du montant de la TVA exigible à l'importation que

    « la part résiduelle de la TVA de l'État membre d'exportation qui est encore incorporée dans la valeur du produit au moment de son importation. Le montant venant ainsi en diminution ne peut toutefois pas être supérieur au montant de la TVA effectivement acquitté dans l'État membre d'exportation » (Schul I, point 34).

    C'est précisément ce point que la Cour de cassation néerlandaise vous demandait de préciser dans l'affaire Schul II. Suivant nos conclusions, vous avez dit pour droit que le montant de la TVA déjà acquittée dans l'État membre d'exportation — TVA résiduelle encore incorporée dans la valeur du produit lors de l'importation — équivalait:

    « —

    en cas de dépréciation de la valeur du produit entre le moment de la dernière perception de TVA dans l'État membre d'exportation et celui de l'importation: au montant de TVA effectivement acquitté dans l'État membre d'exportation, diminué à proportion du pourcentage de cette dépréciation;

    en cas d'augmentation de la valeur du produit au cours de cette même période: au montant intégral de la TVA effectivement acquitté dans l'État membre d'exportation » (Schul II, point 34; c'est nous qui soulignons).

    Si besoin est, cette méthode confirme que la valeur du bien doit s'apprécier dans cet État membre. Telle que l'éclairent les attendus 34 de vos deux arrêts Schul, elle consiste, une fois dégagée la valeur, hors TVA résiduelle, du bien importé, à déduire du montant de la TVA exigible en principe dans l'État membre d'importation le montant de la part de la TVA perçue dans l'État membre d'exportation, encore incorporée dans la valeur de ce bien. Cette interprétation nous semble de nature à lever les incertitudes exprimées par le juge de renvoi et à guider, de façon claire, la pratique des autorités douanières en cette matière.

    6. 

    Nous vous proposons donc de répondre de la manière suivante aux questions renvoyées par le tribunal d'instance de Bordeaux:

    1)

    En cas d'importation, le fait générateur de la TVA est constitué par l'entrée du bien à l'intérieur de l'État membre, sans qu'il y ait lieu de considérer si l'opération est effectuée à titre onéreux ou gratuit.

    2)

    La base d'imposition sur laquelle est calculé le montant de la TVA de l'État membre d'importation est constituée par la valeur du bien dans l'État membre d'exportation, telle que déterminée conformément aux dispositions de l'article 11 B de la sixième directive 77/388 du 17 mai 1977, déduction faite de la TVA de l'État membre d'exportation encore incorporée dans cette valeur.

    3)

    Le montant de la TVA de l'État membre d'exportation qui doit venir en déduction du montant de la TVA applicable dans l'État membre d'importation est égal:

    en cas de dépréciation de la valeur du produit entre le moment de la dernière perception de TVA dans l'État membre d'exportation et celui de l'importation, au montant de TVA effectivement acquitté dans l'État membre d'exportation, diminué à proportion du pourcentage de cette dépréciation;

    en cas d'augmentation de la valeur du produit au cours de cette même période, au montant intégral de la TVA effectivement acquitté dans l'État membre d'exportation.

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