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Document 61985CC0031
Opinion of Mr Advocate General Darmon delivered on 12 November 1985. # ETA Fabriques d'Ébauches v SA DK Investment and others. # Reference for a preliminary ruling: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgium. # Competition - Parallel imports and duty to provide a guarantee. # Case 31/85.
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 12 novembre 1985.
SA ETA Fabriques d'Ébauches contre SA DK Investment et autres.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique.
Concurrence - Marché parallèle et obligation de garantie.
Affaire 31/85.
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 12 novembre 1985.
SA ETA Fabriques d'Ébauches contre SA DK Investment et autres.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique.
Concurrence - Marché parallèle et obligation de garantie.
Affaire 31/85.
Recueil de jurisprudence 1985 -03933
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1985:456
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MARCO DARMON
présentées le 12 novembre 1985
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. |
La société de droit suisse ETA Fabriques d'Ébauches (ci-après ETA), représentée depuis décembre 1984 par Swatch SA pour la commercialisation et le service de la garantie, fabrique en grande série des montres à quartz bon marché qu'elle commercialise dans les différents États membres par l'intermédiaire d'« agents », distributeurs exclusifs du produit pour le territoire qui leur est concédé. Le contrat de distribution assujettit l'agent à un quota minimal d'achat. Il prévoit, en outre, que les montres sont garanties pendant 12 mois à dater de leur achat par le consommateur, mais au maximum 18 mois après leur livraison aux distributeurs par ETA. Sur le fondement de cette clause, ETA a saisi le tribunal de commerce de Bruxelles pour qu'il soit fait interdiction aux défenderesses au principal d'assortir de la garantie les montres qu'elles se sont procurées par la voie d'importations parallèles. Considérant que la solution du litige dont elle est ainsi saisie soulève un problème d'interprétation du droit communautaire, la juridiction de renvoi vous pose la question suivante: « L'article 85 doit-il être lu et interprété en ce sens qu'il serait permis à une entreprise distribuant ses produits dans le marché commun par l'intermédiaire de concessionnaires établis dans chacun des États membres — mais tolérant par ailleurs que ses produits soient distribués par un réseau d'importateurs parallèles — de réserver aux clients des seuls concessionnaires reconnus par elle les avantages d'une garantie qu'elle accorde sur les produits en question? » |
2. |
Cette question s'inscrit dans les limites que votre Cour s'est assignées en matière préjudicielle. Par une jurisprudence constante, vous considérez, en effet, que votre compétence d'interprétation porte exclusivement sur les règles communautaires, la charge de les appliquer revenant au juge national qui vous a saisis (voir notamment 56/65, L.T.M., Rec. 1966, p. 337, particulièrement p. 357). Dans le même ordre d'idées, vous n'aurez pas, bien que la Commission ait évoqué cette question, à déclarer si l'accord contenant la disposition critiquée peut, à cet égard, bénéficier de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3. Une telle décision relève, en effet, de la compétence exclusive de la Commission, exercée sous votre contrôle. Elle échappe donc à celle du juge national [article 9, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 17/62 du Conseil, « premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité», JO du 21.2.1962, p. 204, et 31/80, L'Oréal, Rec. 1980, p. 3775, point 13). Aussi bien le juge de renvoi ne vous inter-roge-t-il pas sur la licéité de l'accord de distribution pris dans son ensemble. En particulier, après avoir relevé qu'ETA tolère les importations parallèles, il ne vous questionne pas sur la conformité, au regard des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, de la clause du contrat faisant défense à l'agent de vendre ou distribuer des montres hors du territoire à lui concédé, et obligation d'informer la société mère de toute demande en provenance d'un autre État. Il n'y aura donc pas lieu, quoi que l'on puisse en penser, de prendre position sur ce point. Le juge national vous demande simplement d'apprécier, au regard des dispositions précitées, la conformité de la pratique consistant, pour une entreprise, à limiter le champ d'application de la garantie couvrant les défauts de la chose, en en réservant le bénéfice aux produits vendus par l'intermédiaire exclusif de son réseau de distribution, donc en le refusant à ceux commercialisés par des importateurs parallèles. Relevons au passage que le fait pour ETA d'être située dans un pays tiers ne fait pas obstacle à l'application de l'article 85 « dès lors que l'accord produit ses effets sur le territoire du marché commun » (22/71, Béguelin Import, Rec. 1971, p. 949, point 11). C'est dans cette perspective qu'il convient d'examiner les observations écrites et orales présentées par les parties au principal et la Commission, afin de parvenir à une interprétation utile des règles du traité (56/65, p. 357, précité, ainsi que 253/78 et 1 à 3/79, Giry et Guerlain, Rec. 1980, p. 2327, point 6). |
3. |
La requérante au principal précise d'emblée qu'elle n'entend pas empêcher les importations parallèles des montres dont elle assure la fabrication. Elle estime cependant qu'en pareille hypothèse la garantie attachée aux produits ne serait pas due. Elle soutient, en effet, que l'obligation de garantie, partie intégrante de l'accord de distribution, revêtirait à cet égard un caractère contractuel et qu'elle ne serait, dès lors, attachée qu'aux montres vendues par le réseau de ses distributeurs. Le refus de faire bénéficier de la garantie les tiers à ce réseau serait, au surplus, justifié par le souci de voir respecter la durée maximale de stockage — six mois — imposée aux distributeurs en vue d'assurer aux consommateurs la vente de montres en état de marche. Or, la distribution par le réseau parallèle n'offrirait pas un service de même qualité. En effet, la durée de stockage n'étant plus contrôlable, les montres pourraient être vendues avec une pile « défraîchie », ce qui nuirait à leur fonctionnement et, par là même, à l'image de marque d'ETA. Pour ces deux raisons, cette dernière serait fondée à refuser le bénéfice de sa garantie à tous ceux qui ne peuvent justifier d'avoir acquis le produit auprès d'un distributeur officiel de la marque, identifiable par ETA. A l'audience, deux des sociétés défenderesses au principal ont, en substance, rappelé les caractéristiques des produits vendus — production de masse, prix peu élevés, absence d'infrastructure particulière de service après-vente, distribution par des commerces spécialisés, mais également par des grands magasins — afin de voir rejeter toute justification, tirée des nécessités inhérentes à la distribution sélective d'un produit, du refus par ETA d'étendre le bénéfice de sa garantie aux montres vendues par le réseau parallèle. Pour sa part, la Commission décrit les effets, selon elle incompatibles avec l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, qu'un tel système de garantie est de nature à entraîner. Elle expose que la garantie, attachée à la chose vendue, doit toujours être praticable pour le consommateur. En ce sens, la possibilité de la faire jouer directement auprès du fabricant ou par l'intermédiaire de l'un de ses distributeurs contribue incontestablement à la décision d'achat. A cet égard, un accord de distribution qui réserverait la garantie aux produits achetés auprès des distributeurs sélectionnés par le fabricant, dans la limite de leur zone de commercialisation, tomberait sous le coup de l'interdiction énoncée par l'article 85, paragraphe 1. Dans ce cas, chaque concessionnaire territorialement compétent dans un État membre serait, au moyen de la garantie, artificiellement protégé contre les importations parallèles. Quant à l'acheteur, il serait, pour bénéficier de la garantie, incité à acquérir le produit dans l'un des points de vente du réseau exclusif de l'État membre où il réside. En définitive, le refus d'étendre la garantie aux importations parallèles priverait ces dernières de leur attrait: en conséquence, une telle pratique aurait incontestablement pour effet d'affecter le commerce entre les États membres. |
4. |
Deux ordres de considérations commandent, selon nous, l'interprétation du droit communautaire en l'espèce. En premier lieu, comme l'a relevé la Commission, il n'est pas contestable que, sauf perte ou vol, éventualités non invoquées en l'occurrence, la commercialisation de montres par l'intermédiaire d'un importateur parallèle trouve nécessairement sa source dans l'un des « maillons » du réseau de distribution ETA. Cette simple constatation réduit à néant l'argumentation tirée, quant à la garantie, de l'effet relatif des contrats. Le fabricant ne saurait, sans se contredire, s'en prévaloir pour refuser cette dernière au tiers acquéreur de montres provenant d'une importation parallèle: une telle importation concerne, en effet, des produits acquis auprès d'ETA par l'un de ses concessionnaires exclusifs, puis commercialisés parallèlement soit par ce dernier, soit par l'un de ses cocontractants. En second lieu, la durée maximale de stockage ne saurait davantage constituer la justification du refus de garantie. En effet, comme cela a été précisé à l'audience, ETA assurerait en principe au consommateur le service de la garantie de 12 mois, même si la durée de stockage devait excéder 6 mois. On ne saurait en être surpris. On voit mal, en effet, compte tenu de l'effet relatif des contrats, comment ETA pourrait se délier envers l'utilisateur de l'engagement exprès, annexé à la chose vendue, en se prévalant d'une condition de durée de stockage qui n'est opposable qu'à l'agent. |
5. |
Faute de pouvoir retenir les justifications avancées par ETA, on est conduit à considérer — l'audience, à cet égard, a été révélatrice — que le traitement différencié que celle-ci applique en matière de garantie obéit à une tout autre logique. En effet, la pratique discriminatoire consistant pour la requérante à refuser sa garantie parce que la chaîne de distribution n'est pas entièrement identifiable tend, en réalité, à tarir les circuits alternatifs ouverts, comme elle l'a elle-même admis, par certains de ses concessionnaires non identifiés. Or, il n'est pas douteux que l'utilisation d'une clause de garantie qui a pour effet d'exclure, en pratique, les importations parallèles est contraire au principe du marché unique et à la liberté économique des distributeurs exclusifs que l'article 85 entend garantir (voir, en particulier, 86/82, Hasselblad, Rec. 1984, p. 883, points 32 à 35, solution implicite, ainsi que 41 à 46 et conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn, p. 929-931; 25/75, Van Vliet, Rec. 1975, p. 1103, points 12 à 17; 22/71, Béguelin Import, précité, points 12 et suiv.). A juste titre, se référant notamment à sa décision Zanussi (23 octobre 1978, JO L 322 du 16.11.1978, p. 36), la Commission a rappelé que la garantie doit, en principe, être assurée quel que soit le lieu d'achat du produit dans le marché commun [voir également le considérant 12 et l'article 5, paragraphe 1, point 1, sous a) et b), du règlement (CEE) n° 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO L 15 du 18.1.1985, p. 16)]. En l'espèce, l'accord par lequel ETA convient avec ses distributeurs exclusifs que la garantie attachée à ses produits aura, en fait, une portée territoriale limitée emporte, du point de vue de l'atteinte à la concurrence, une double conséquence:
L'utilisation par un fabricant, dans les conditions et avec les conséquences précédemment décrites, d'une clause de garantie figurant dans le contrat de distribution permet de conclure, sur ce point, à l'incompatibilité de l'accord au regard des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, à la double condition que cette pratique, selon les termes mêmes de cette disposition, soit susceptible « d'affecter le commerce entre Etats membres » et ait « pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun... ». Par une jurisprudence constante, vous considérez à cet égard que « pour apprécier, d'une part, si un accord est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres, il y a lieu de déterminer, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait et, particulièrement au vu des conséquences de l'accord en cause sur les possibilités d'importation parallèle, si cet accord permet d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échange entre les États membres », et que « pour apprécier, d'autre part, si un accord doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux ». Vous concluez que « il appartient à la juridiction nationale, sur la base de toutes les données pertinentes, de déterminer si l'accord remplit, en fait, les conditions pour tomber sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1 » (31/80, L'Oréal, précité, points 18 à 20. Voir aussi 99/79, Lancôme, Rec. 1980, p. 2511, points 21 à 25). |
6. |
C'est pourquoi nous vous proposons de répondre ainsi qu'il suit à la question posée par la juridiction nationale: Le refus par un fabricant d'appliquer la garantie assortissant ses produits, telle qu'elle est définie dans le contrat de distribution exclusive conclu par lui avec des concessionnaires établis dans les différents États membres, aux produits qui sont commercialisés en dehors du territoire concédé à ces derniers, pour cette seule raison que le circuit de distribution n'en est pas entièrement identifiable, constitue, dès lors qu'il est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres et d'avoir pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun, une pratique interdite par l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE. |