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Document 61985CC0004

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 21 mai 1987.
Commission des Communautés européennes contre République hellénique.
Radiation.
Affaire 4/85.

Recueil de jurisprudence 1987 -04383

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1987:242

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 21 mai 1987

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

I — Le cadre du litige

1.

Par le présent recours, la Commission des Communautés européennes vous demande de constater que, par les articles 50, 65, 71 et 72 du règlement de police des marchés no 72/77 (ci-après « RPM »), tel que modifié en 1982, la République hellénique a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l'article 30 du traité CEE et de la directive 71/307/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dénominations textiles ( 1 ) (ci-après « directive« ).

2.

A l'origine, la Commission a articulé quatre griefs. Les modifications apportées en 1985 au règlement incriminé l'ont conduite à se désister de l'un des deux chefs de son action (interdiction, dans certaines circonstances, de commercialisation de fils de coton importés des autres États membres) concernant l'article 65. Vous n'aurez donc à statuer que sur les trois griefs subsistants, en limitant votre examen aux textes visés tant par l'avis motivé que par le recours introductif d'instance, sans égard aux modifications apportées ultérieurement par l'État défendeur aux dispositions qui demeurent contestées. En effet, précédant obligatoirement le recours,

« l'avis motivé (prévu par l'article 169) a pour fonction de définir l'objet du litige » ( 2 ).

La Commission peut certes, au cours de la procédure, renoncer à certains griefs. Mais, si elle ne le fait pas malgré l'intervention de modifications de la législation nationale critiquée, la Cour ne peut statuer sur d'autres éléments que sur ceux initialement visés et qui, seuls, sont dans le débat ( 3 ).

3.

Toujours en vue de cerner l'objet du litige, il y a lieu de relever, s'agissant de l'article 50 du RPM, que, en dépit de la réserve exprimée par la République hellénique, il a été régulièrement invoqué tant par l'avis motivé que par le recours. Le texte de l'avis consacre, en effet, des développements séparés à l'article 50, disposition générale, et aux articles 65, 71 et 72 qui concernent «plus particulièrement les produits textiles » ( 4 ) régis par la directive. De même le recours vise-t-il expressément l'article en question.

4.

S'agissant de l'article 72, la Commission, prenant en considération le « projet de modification » de l'article 71 dont elle considère que l'article 72 est l'accessoire, a indiqué, dans sa réplique, qu'elle se réservait de réexaminer cette dernière disposition « à la lumière de ces nouveaux éléments ». A l'audience, son représentant, en relevant que l'amendement de l'article 71 ne supprimait que la majeure partie — et non la totalité — des arguments à faire valoir à l'encontre de l'article 72, a déclaré que la Commission ne retirait pas son action à l'encontre de ce texte. Demeurent donc visés au titre du dernier grief l'article 71, à titre principal, et l'article 72 en tant qu'il est en relation avec le précédent.

5.

Par conséquent, il y a lieu de rechercher si et dans quelle mesure:

l'article 50 du RPM, dans sa rédaction de 1982, est contraire à l'article 30 du traité CEE;

l'article 65, également dans sa version de 1982, et seulement en tant qu'il est relatif à l'étiquetage obligatoire en langue grecque sur les emballages extérieurs des fils et filés destinés à la vente aux entreprises, et les articles 71 et 72 du RPM, dans leur formulation de 1977, sont contraires tant à l'article 30 du traité CEE qu'à la directive.

II — Sur l'article 50 du RPM

6.

Dans sa rédaction du 13 août 1982, applicable à compter du 1er janvier 1983, l'article 50 du RPM prévoit que « l'emballage des articles importés de toute nature,... doit comporter, ... mentionnées en langue grecque, de manière distincte et lisible », les indications relatives aux nom, prénom ou dénomination sociale du représentant, de l'importateur ou du conditionneur, l'adresse du siège de ces opérateurs, le type de produit contenu, son poids net exact ou son volume, le pays producteur et, le cas échéant, la mention « conditionné en Grèce ». Il précise que cette mesure n'est pas applicable aux produits importés qui font l'objet de dispositions spéciales visant leur mode d'étiquetage. Il ajoute que la responsabilité de l'apposition de ces indications incombe au représentant, à l'importateur ou au conditionneur. Enfin, il a été notifié le 14 janvier 1983 à toutes les autorités douanières en prescrivant que « les produits non conformes aux dispositions (précitées) ne pourront être dédouanés ».

7.

Avec la Commission, il y a lieu de considérer qu'une telle réglementation, dans la mesure où elle entraîne, pour un produit importé en l'état où il pourrait être légalement commercialisé dans l'État membre producteur, des opérations et des coûts supplémentaires à la charge des opérateurs économiques concernés, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, au sens de l'article 30 tel qu'il a été interprété par votre arrêt Dassonville ( 5 ). A juste titre, la Commission fait observer que la formulation bien connue de l'attendu 5 de cet arrêt ( 6 ), régulièrement reprise par votre jurisprudence, est restée de portée générale et qu'elle englobe les mesures applicables indistinctement aux produits tant nationaux qu'importés.

8.

Au demeurant, la défense présentée par la République hellénique a moins porté sur la contestation de cette analyse de la Commission que sur la justification de la disposition en cause par la nécessité d'assurer la protection du consommateur final. Invoquant cet objectif dans sa réponse à l'avis motivé, elle a ajouté que « tel qu'il a été modifié en dernier lieu par le règlement de police des marchés no 52/83, l'article 50 prévoit que les indications exigées sur l'emballage des produits importés de toute nature concernent des articles destinés à la vente au consommateur final». C'est sans doute ce qui la conduit, dans son mémoire en duplique, à affirmer que « cet article traite des obligations du détaillant, et non de celles de l'importateur », ajoutant que « rien n'empêche que les produits visés à cet article soient importés sans les indications en question ». Cela est peut-être exact sous l'empire de l'actuelle rédaction, au demeurant non versée au débat, de l'article 50, mais non de celle visée par le présent recours.

9.

Depuis votre arrêt Cassis de Dijon ( 7 ) de 1979, votre jurisprudence a établi un principe qualifié par la doctrine ( 8 ) de « rule of reason », venant tempérer la règle fondamentale établie par l'arrêt Dassonville. Il permet d'exclure des mesures d'effet équivalent certaines réglementations nationales lorsqu'elles tendent à la satisfaction d'exigences impératives d'ordre général, « tenant, entre autres, à la défense des consommateurs » ( 9 ). Trois conditions doivent être remplies pour qu'il s'applique:

les mesures nationales en cause doivent être indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés;

il ne doit pas exister de réglementation commune de la commercialisation des produits en cause;

les mesures doivent être nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi.

10.

On discerne mal en quoi la protection du consommateur grec serait subordonnée à l'inscription sur l'emballage des articles importés, dès leur entrée sur le territoire hellénique, des mentions énumérées à l'article 50 dans sa rédaction de 1982. Le problème de savoir si ces mentions ou certaines d'entre elles doivent, dans l'intérêt du même consommateur, être portées à sa connaissance par le détaillant n'a pas à être examiné dans le cadre de la présente procédure. Il y a lieu, dès lors, de considérer que le texte visé est contraire aux dispositions de l'article 30 du traité CEE.

III — Sur l'article 65 du RPM

11.

Ayant abandonné le grief relatif à l'interdiction de commercialisation de fils de coton n'obéissant pas à certaines conditions de présentation, la Commission se borne à incriminer les dispositions de l'article 65 du RPM relatives à l'obligation d'étiquetage en langue grecque, mise à la charge des importateurs, industriels, artisans et fabricants ou conditionneurs, des fils et filés destinés à la vente aux industries grecques de tissage et de bonneterie.

12.

Avec la Commission, il y a lieu de considérer que cette exigence est contraire à certaines dispositions de la directive, prise sur le fondement de l'article 100 du traité CEE, dont l'article 1er dispose que:

« Les produits textiles ne peuvent être mis sur le marché à l'intérieur de la Communauté, soit antérieurement à toute transformation, soit au cours du cycle industriel et au cours de diverses opérations inhérentes à leur distribution, que s'ils satisfont aux dispositions de la présente directive. »

13.

En tant qu'elle impose en tout cas un étiquetage, elle s'affranchit de l'obligation, imposée aux États membres par l'article 8, paragraphe 1, de la directive, de permettre aux opérateurs de remplacer celui-ci « par des documents commerciaux d'accompagnement, lorsque (les produits textiles) ne sont pas offerts en vente au consommateur final ». A cet égard, s'il est vrai que la directive ne définit pas la notion de « consommateur final », on ne peut considérer comme tel que celui qui peut faire l'acquisition du produit textile pour son usage personnel, familial, voire professionnel, sans intention, a priori, de le revendre en l'état ou après transformation. Cela exclut de la définition non seulement l'importateur, l'industriel et le grossiste, mais également l'artisan.

14.

En tant qu'elle oblige ces mêmes opérateurs à effectuer l'étiquetage en langue grecque, en amont de l'offre et de la vente au consommateur final, c'est-à-dire de l'utilisateur potentiel du produit, elle outrepasse les limites imposées par l'article 8, paragraphe 2, sous c), aux termes duquel:

« Les États membres peuvent exiger que, sur leur territoire, lors de l'offre et de la vente au consommateur final, l'étiquetage ou le marquage prévus par le présent article soient exprimés également dans leurs langues nationales. »

15.

Dans la mesure où elle impose la mention d'indications non prévues par la directive relatives à la dénomination ou à la composition des produits — il en est ainsi, notamment, du type et du titre (ou numéro du fil) —, elle est contraire aux dispositions de l'article 14 de la directive, dont le paragraphe 1 prescrit que

« les États membres ne peuvent, pour des motifs concernant les dénominations ou les indications de la composition, ni interdire ni entraver la mise sur le marché des produits textiles si ceux-ci satisfont aux dispositions de la présente directive »,

sous réserve de la clause de standstill ci-après, faisant l'objet de son paragraphe 2 :

« les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle à l'application des dispositions en vigueur dans chaque État membre, relatives à la protection de la propriété industrielle et commerciale, aux indications de provenance, aux appellations d'origine et à la répression de la concurrence déloyale »

et non invoquée au soutien de la mesure en cause par la République hellénique.

16.

Quant aux autres indications également non prévues par la directive, telles que le nom ou la dénomination sociale de l'entreprise et de la ville où celle-ci a son siège ou de la provenance des produits, dans la mesure où elles ne concernent pas la dénomination et la composition, elles n'entrent pas dans le champ d'application de la directive. Comme pour l'article 50, nous relèverons que, l'exigence de ces mentions se situant antérieurement au stade de l'offre au consommateur final, elle n'est pas justifiée au regard de l'article 30 du traité.

17.

Au demeurant, la République hellénique ne conteste pas réellement le manquement reproché à cet égard, se bornant, dans ses mémoires en défense et en duplique, à se prévaloir de la nouvelle rédaction de l'article 65, résultant d'une modification ultérieure à l'avis motivé, et donc étrangère à la présente instance.

18.

Il y a lieu, en conséquence, de constater que, dans sa formulation antérieure, visée tant par l'avis motivé que par la requête introductive d'instance, l'article 65 du RPM était contraire tant à l'article 30 du traité CEE qu'aux dispositions précitées de la directive.

IV — Sur les articles 71 et 72 du RPM

19.

La Commission considère que, dans la mesure où ils prévoient des dénominations différentes de celles énumérées par la directive, les articles 71 et 72 sont contraires aux dispositions de cette dernière, quel que soit le mode de marquage des produits textiles: pancarte apposée sur la marchandise ou inscription dans l'établissement. Elle ajoute que ces textes enfreindraient également l'interdiction contenue à l'article 30 du traité CEE, en raison des coûts supplémentaires qu'ils mettraient à la charge des opérateurs économiques, y compris des fabricants étrangers. Elle soutient, enfin, que les dispositions litigieuses ne pourraient être justifiées par la nécessité de protection du consommateur final:

ni, ratione temporis, lorsqu'elles s'appliquent au stade du commerce de gros,

ni, ratione materiae, s'agissant, au stade du commerce de détail, des obligations prescrites par l'article 72 en ce qui concerne l'indication du numéro de la facture d'achat et de l'origine ou la provenance de la marchandise.

20.

Pour contester ce grief, la République hellénique s'est essentiellement fondée sur les « nouvelles dispositions » de l'article 71, telles qu'elles résultent de la modification de ce texte, postérieure à l'avis motivé, donc étrangère à l'instance. Quant à l'article 72, elle considère que l'indication du numéro de la facture d'achat constitue le seul moyen, pour le consommateur, de contrôler la nature de la matière première et que la mention relative à l'origine ou la provenance de la marchandise est autorisée par l'article 14, paragraphe 2, de la directive. Si la clause de standstill de l'article 14, paragraphe 2, peut être valablement invoquée en l'occurrence eu égard à la date d'adhésion de la République hellénique, il y a lieu, pour les autres raisons, à juste titre développées par la Commission, de considérer que l'article 71, dans sa formulation visée par le présent recours, et l'article 72 sont contraires aux dispositions tant de l'article 30 du traité CEE que des articles 8, paragraphes 1 et 2, sous c), ainsi que 14, paragraphe 1, de la directive.

V — Conclusion

21.

Nous vous suggérons en conséquence:

1)

de constater:

que, en subordonnant, sauf exception, par l'article 50 du règlement de police des marchés dans sa rédaction de 1982, l'importation de produits de toute nature à l'inscription sur leur emballage et en langue grecque de mentions diverses, même si lesdits produits pouvaient être légalement commercialisés dans l'État membre producteur, la République hellénique a manqué aux obligations mises à sa charge par l'article 30 du traité CEE;

que, en imposant à divers opérateurs économiques,

au stade de la vente en gros de fils et filés destinés à la fabrication d'articles textiles et de bonneterie, un étiquetage en langue grecque,

au stade de la vente en gros et au détail de produits textiles, l'apposition de pancartes comportant diverses mentions, dont certaines non prévues par la directive 71/307 du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dénominations textiles,

la République hellénique a manqué aux obligations lui incombant tant en vertu de cette directive, et notamment de ses articles 8, paragraphes 1 et 2, sous c), et 14, que de l'article 30 du traité CEE;

2)

de condamner l'État défendeur aux dépens.


( 1 ) JO L 185 du 16.8.1971, p. 16.

( 2 ) Arrêt du 27 mai 1981 dans les affaires jointes 142 et 143/80, Administration des finances de l'État/Essevi et Salengo, point 15, Rec. p. 1413.

( 3 ) Voir, a cet êgard, arrêt du 10 mars 1970 dans l'affaire 7/69, Commission/Gouvernement de la Rêpublique italienne, Rec. p. 111.

( 4 ) Souligné par nous.

( 5 ) Arrêt du 11 juillet 1974 dans l'affaire 8/74, Rec. p. 837.

( 6 ) « Attendu que toute réglementation commerciale des États membres susceptible d entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est a considérer comme mesure d'effet équivalant a des restrictions quantitatives ».

( 7 ) Arrêt du 20 février 1979 dans l'affaire 120/78, Rewe, Rec. p. 649; voir aussi arrêt du 10 novembre 1982 dans l'affaire 261/81, Rau/De Smedt, Rec. p. 3961; en dernier lieu, arrêts du 12 mars 1987 dans les affaires 178/84, Commission/République federale d'Allemagne, et 176/84, Commission/République hellénique, Rec. p. 1227, 1193.

( 8 ) Voir, par exemple, Timmermans dans l'ouvrage collectif Trente ans de droit communautaire, p. 283.

( 9 ) Affaire 261/81, Rau, précitée, point 12.

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