Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61984CC0216

    Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 17 avril 1986.
    Commission des Communautés européennes contre République française.
    Manquement d'État - Libre circulation des marchandises - Succédanés de lait en poudre et de lait concentré.
    Affaire 216/84.

    Recueil de jurisprudence 1988 -00793

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:155

    61984C0216

    Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 17 avril 1986. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'État - Libre circulation des marchandises - Succédanés de lait en poudre et de lait concentré. - Affaire 216/84.

    Recueil de jurisprudence 1988 page 00793


    Conclusions de l'avocat général


    ++++

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    Aux termes de l' article 1er de la loi du 29 juin 1934 relative à la protection des produits laitiers ( JORF du 1 . 7 . 1934 ): "Il est interdit de fabriquer .., de vendre, d' importer ...

    3 ) sous la dénomination "lait en poudre", "lait concentré" suivie ou non d' un qualificatif, ou sous une dénomination de fantaisie quelconque, un produit présentant l' aspect de lait en poudre ou lait concentré destiné aux mêmes usages et ne provenant pas exclusivement de la concentration ou de la dessiccation de lait ou de lait écrémé sucré ou non, l' addition de matières grasses étrangères étant notamment interdite ."

    La Commission prétend que cette disposition a pour effet d' interdire l' importation en France de tout produit destiné à remplacer la poudre de lait et le lait concentré, mais composé de substances différentes, quelle que soit la dénomination commerciale de ce produit . En conséquence, elle demande à la Cour de déclarer que, en maintenant et en appliquant ces dispositions, la France viole l' article 30 du traité .

    La France ne nie pas que cette disposition équivaut à interdire complètement l' importation de ces produits, mais prétend que trois motifs justifient cette interdiction : a ) protéger la santé publique; b ) protéger le consommateur contre toute tromperie; c ) éviter de faire obstacle à l' application de l' article 39 du traité CEE .

    Il ne fait aucun doute qu' à première vue cette disposition relève de l' article 30 en tant que mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative telle qu' elle est définie dans l' affaire 8/74, Procureur du Roi/Dassonville ( Rec . 1974, p . 837, 852 ), bien qu' elle soit applicable tant aux produits nationaux qu' aux produits importés ( affaire 120/78, Cassis de Dijon, Rec . 1979, p . 649 ).

    A l' appui de sa thèse selon laquelle cette mesure est justifiée par des raisons de santé publique, la France invoque à la fois l' article 36 du traité et l' article 15 de la directive 79/112/CEE relative au rapprochement des législations des États membres concernant l' étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard ( JO 1979 L 33, p . 1 ) qui autorise les États membres à interdire pour des raisons de protection de la santé publique le commerce des denrées alimentaires conformes par ailleurs aux règles prévues dans la directive . Cet argument comporte trois points . En premier lieu, selon le gouvernement français, les succédanés du lait fabriqués à partir de substances végétales ont une valeur nutritive inférieure à celle du lait . Ils renferment, par exemple, moins de protéines et une plus faible quantité de certains sels minéraux et de vitamines . La Commission l' admet pour quelques produits de base tels que l' huile de coco et l' huile de palme mais le conteste pour d' autres produits comme le soja . Sur la base des éléments dont nous disposons, il n' est, à notre avis, pas possible de dire que tous les produits dont sont issus les succédanés sont nécessairement de qualité inférieure . En tout état de cause, selon nous, le simple fait qu' un produit soit meilleur qu' un autre ne justifie pas nécessairement l' exclusion totale du dernier . En second lieu, la France fait valoir que ces produits sont ou peuvent être réellement nocifs . Il y a manifestement désaccord entre médecins et scientifiques sur les mérites respectifs des graisses animales et des graisses végétales ainsi que sur leurs effets sur le taux de cholestérol et les maladies cardiaques par exemple . Nous pensons qu' aucun des éléments fournis, pas même le fait que le régime alimentaire des Français comprend déjà une trop forte proportion de matières grasses que les succédanées du lait ne feraient qu' accroître, ne parvient à établir le bien-fondé de cet argument . En admettant qu' il soit valable, on comprend difficilement pourquoi la margarine et les autres produits à base de substances végétales ne sont pas, eux aussi, frappés d' une interdiction absolue . En troisième lieu, il est affirmé que ces produits présentent des carences particulièrement importantes pour certaines catégories de personnes comme les jeunes enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes qui ont besoin de lait . A supposer que cette affirmation soit exacte, elle ne peut pas justifier une interdiction absolue pour l' ensemble de la population, même si ces personnes se trouvent contraintes de faire des recherches particulières pour s' assurer qu' elles consomment du lait .

    Le second argument avancé réside en ce que ces produits doivent être interdits à défaut de quoi le consommateur ne saura jamais ce qu' on lui donne . Dans la mesure où les succédanés du lait en poudre sont vendus de manière séparée directement au consommateur dans un magasin, il n' y a manifestement aucun problème . Un étiquetage clair, qui est en tout état de cause requis par la directive 79/112/CEE, constitue une protection adéquate . Le problème est plus grand lorsque la poudre est incorporée dans une boisson composée servie par un appareil de distribution automatique, l' acheteur de la poudre en tant que telle n' étant pas le consommateur final . Toutefois, il nous semble qu' il ne s' agit pas là d' un problème insurmontable . Le produit de base vendu à l' intermédiaire peut être étiqueté de manière à ce qu' il sache ce qu' il achète et rien n' empêche un État membre d' exiger que les appareils de distribution indiquent de manière claire si le produit utilisé est du lait en poudre ou un succédané . Cependant, toujours selon la défenderesse, c' est dans les cantines ou restaurants que le problème se pose avec plus d' acuité, les succédanés en poudre pouvant y être utilisés dans le café ou le thé et dans la préparation d' autres aliments . Il s' agit là, à l' évidence, d' un problème bien plus vaste que celui du lait - le consommateur ne sait pas, à moins de le demander, si ce qu' il mange est sucré par du sucre ou de la saccharine, préparé avec du beurre ou de la margarine végétale, aromatisé par des produits naturels ou artificiels . Si pour des raisons de goût ou de santé il lui importe de le savoir, il peut s' en enquérir . Si les États membres y attachent de l' importance, libre à eux de prendre des dispositions imposant aux restaurants et cantines d' informer clairement le consommateur du détail des produits qu' ils utilisent . L' article 1er, paragraphe 2, de la directive en question leur confère ce pouvoir bien qu' il existe, à notre sens, indépendamment de celle-ci .

    Il est clair qu' un État membre peut interdire l' emploi de dénominations trompeuses qui, en l' espèce, suggéreraient, par exemple, qu' une poudre est dérivée du lait lorsqu' elle ne l' est pas ou qu' elle a les propriétés nutritives du lait alors qu' elle ne les a pas . A notre avis, cela constitue une protection suffisante et une interdiction absolue reposant sur ce motif n' est pas justifiée .

    Toutefois, le gouvernement français prétend que l' étiquetage n' est pas suffisant pour une autre raison . En réalité, selon lui, le consommateur n' a pas le choix : les produits de substitution sont meilleur marché; la marge bénéficiaire de l' intermédiaire ou du détaillant est plus élevée, tous les distributeurs automatiques et toutes les cantines utiliseront donc un succédané du lait en poudre . Mais, il s' agit d' un argument à double tranchant . Si le choix est le facteur déterminant, à l' heure actuelle en France la personne qui désire des succédanés dérivés de produits végétaux n' a pas le choix, de sorte que cet argument devrait conduire à admettre l' importation de ces produits . Cependant, nous avons là encore le sentiment que la décision appartient au consommateur . S' il ne veut que du lait, il en demandera dans un restaurant et ne se servira pas de café au lait à un distributeur qui n' utilise qu' un succédané de lait . Il lui faut décider entre payer moins cher et obtenir le produit qu' il désire réellement . Si la demande en lait est aussi importante qu' on le prétend, les pratiques commerciales se modifieront . Une telle interdiction pour des raisons de choix ne serait justifiée que s' il était possible de prouver que l' utilisation de succédanés est préjudiciable à la santé . Cette preuve n' a pas été rapportée en l' espèce .

    Enfin, le gouvernement français fait valoir que la Communauté a d' importants excédents laitiers . Admettre les succédanés fabriqués à base de substances végétales contribuerait à ébranler la politique agricole commune, une forte proportion de ceux-ci n' étant pas d' origine communautaire . Cela constituerait également une charge pour le budget communautaire . La Commission répond à cela qu' une quantité croissante d' oléagineux est maintenant produite dans la Communauté et que la quantité de succédanés de lait en poudre vendue est si faible qu' elle ne peut avoir aucun effet appréciable sur les excédents laitiers .

    A notre avis, la question de savoir si une interdiction d' importer et de vendre un produit viole ou non l' article 30 ne peut pas dépendre de l' existence, à quelque moment que ce soit, dans la Communauté d' un excédent ou d' une pénurie d' un autre produit . En tout état de cause, c' est à la Communauté, et non aux États membres, qu' il incombe de rechercher une solution à ce problème dans le cadre de la politique agricole commune .

    En conséquence, dans la mesure où elle interdit de vendre ou d' importer un produit présentant l' aspect de lait en poudre ou de lait concentré destiné aux mêmes usages et ne provenant pas exclusivement de la concentration ou de la dessiccation de lait ou de lait écrémé sous quelque dénomination que ce soit ( autre qu' une dénomination indiquant que ce produit est du lait ou un dérivé du lait ), la disposition de l' article 1er de la loi française du 29 juin 1934 relative à la protection des produits laitiers constitue, à notre avis, une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative à l' importation et est interdite par l' article 30 du traité CEE .

    Selon nous, les dépens de la Commission en l' espèce devront être mis à charge de la France .

    (*) Traduit de l' anglais

    Top