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Document 61984CC0191

    Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 13 mars 1986.
    Jean-Pierre Barcella et autres contre Commission des Communautés européennes.
    Reclassement de fonctionnaires.
    Affaire 191/84.

    Recueil de jurisprudence 1986 -01541

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:120

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MARCO DARMON

    présentées le 13 mars 1986

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    Les requérants, tous fonctionnaires de la Commission, estiment que le classement de leur emploi dans la catégorie D ne correspond pas aux tâches qu'ils accomplissent effectivement et qui relèveraient de la catégorie C, conformément au « tableau des descriptions des emplois types prévus à l'article 5 du statut », publié au n° 373 des Informations administratives de la Commission, du 9 juillet 1982.

    Ils se sont, par conséquent, adressés à la Commission sur le fondement de l'article 90, paragraphe 1, du statut, pour lui demander

    «de procéder, en ce qui les concerne, au reclassement... de l'emploi qu'ils occupent à la Commission »,

    précisant que

    «l'acte de nomination, (les) classant dans la catégorie D, est contraire au tableau des descriptions des emplois types de la Commission »

    du 9 juillet 1982, par lequel cette dernière serait liée.

    Alors que les emplois de la catégorie D regroupent, selon ce tableau,

    «des fonctions manuelles ou de service nécessitant des connaissances du niveau primaire, éventuellement complétées par des connaissances techniques »,

    ils exerceraient en fait des tâches

    « à caractère technique (nécessitant) une formation et une qualification professionnelles sanctionnées en principe par un certificat d'aptitude professionnel ou acquises à la suite de la pratique du métier ».

    Ainsi décrites, ces tâches relèveraient, dans le tableau précité, de la catégorie C.

    Après la décision de l'AIPN rejetant explicitement cette prétention, les requérants ont introduit une « réclamation » qui reprend aussi bien l'objet de la demande — leur reclassement en C — que sa cause, c'est-à-dire la contrariété entre l'acte de nomination les classant en D et le tableau du 9 juillet 1982, pour conclure que

    « ils doivent par conséquent être classés en catégorie C, et non pas en catégorie D ».

    La Commission n'a pas donné suite à cette « réclamation ». Invoquant les dispositions de l'article 91, paragraphe 3, second tiret, les requérants vous ont donc saisis, par la présente instance, aux fins de vous voir:

    annuler la décision de rejet explicite de leur « demande » ainsi que celle, implicite, de leur « réclamation »;

    « dire pour droit » que l'AIPN doit, conformément à l'article 7 du statut, « affecter un fonctionnaire à un emploi correspondant effectivement, dans son ensemble, à un emploi de sa catégorie (ou de son cadre) correspondant à son grade, tel que défini dans les Informations administratives n° 373 du 9 juillet 1982»;

    condamner la Commission aux dépens.

    2. 

    Avant d'envisager l'exception d'irrecevabilité soulevée en défense par la Commission, il convient de délimiter l'objet du présent recours. Cet examen préliminaire est commandé par le mémoire en réplique, dans lequel les requérants ont précisé que leur action visait, en réalité, à faire « constater » par la Cour « leurs droits au refus d'effectuer, sans qu'une sanction disciplinaire puisse être prise à leur encontre, des fonctions qui ne correspondraient pas à leur grade ».

    Autrement dit, il s'agirait, pour les requérants, non plus de contester le classement de leur emploi dans la catégorie D, mais de voir reconnaître leur droit de refuser d'exercer des tâches qui, selon eux, relèveraient de la catégorie C.

    Sans entrer dans le mérite de cette prétention que la Commission vous demande de rejeter, il suffit de relever qu'elle vient transformer l'objet initial de la requête introductive d'instance ou, à tout le moins, s'y ajouter, sans qu'aucun élément nouveau, de fait ou de droit, puisse venir justifier une telle modification, incompatible avec les dispositions tant de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure que de l'article 91, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires.

    A cet égard — vous l'avez encore relevé récemment —, l'article 91, ayant pour finalité de favoriser un règlement amiable des différends, exige, à cet effet, que 1ΆΙΡΝ « soit en mesure de connaître les griefs ou desiderata de l'intéressé ». Vous en déduisez que cet article

    « n'a pas pour objet de lier, de façon rigoureuse et définitive, la phase contentieuse éventuelle, du moment que les demandes présentées à ce dernier stade ne modifient ni la cause ni l'objet de la réclamation» (173/84, Rasmussen, arrêt du 23 janvier 1986, Rec. 1986, p. 197, point 12; c'est nous qui soulignons).

    La nouvelle demande présentée en réplique doit, par conséquent, être déclarée irrecevable, le litige ayant, dès l'origine, pour objet, comme le libellé de la « demande » et de la « réclamation » l'atteste, le reclassement dans la catégorie supérieure des emplois occupés par les requérants.

    3. 

    La Commission, excipant la forclusion, conteste la recevabilité du recours ainsi redéfini.

    Au soutien de cette exception, elle observe que, ayant pour objet leur reclassement, l'action des requérants serait nécessairement dirigée contre une décision de classement, en l'occurrence celle résultant de leur nomination. Loin d'être destinée, conformément à l'article 90, paragraphe 1, du statut, à provoquer de sa part une décision, leur « demande » viserait, en réalité, à contester une décision préexistante et devrait, par conséquent, être considérée comme une réclamation. Or, aucune des réclamations ainsi présentées par les requérants n'aurait été introduite dans le délai de trois mois, prévu par l'article 90, paragraphe 2, suivant leur nomination comme fonctionnaires stagiaires.

    Par ailleurs, ni la publication le 9 juillet 1982 du tableau des emplois types précité ni la promotion au grade supérieur de certains des requérants, intervenue ultérieurement, n'auraient pu réouvrir les délais de recours statutaires, dans la mesure où la promotion ne ferait que confirmer le classement des requérants concernés en catégorie D et la parution du tableau ne viendrait qu'expliciter la nature des tâches par eux accomplies, dès l'origine. En tout état de cause, le recours serait, dans l'un comme dans l'autre cas, tardif.

    Les requérants font valoir que dix d'entre eux seraient recevables en leur action, ayant introduit leur « demande » dans les trois mois suivant leur titularisation. Quant aux autres, ils auraient agi dans un délai raisonnable, eu égard à la période d'observation qui leur aurait été nécessaire pour leur permettre de constater la non-correspondance alléguée. La formation élémentaire des requérants expliquerait aussi le délai de plusieurs mois mis par certains d'entre eux pour introduire leur recours.

    4. 

    L'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission doit, selon nous, être accueillie.

    Comme nous l'avons déjà relevé, les « demandes » adressées par les requérants ont expressément pour objet le reclassement de leur emploi dans la catégorie C. Elles mettent clairement en cause leur classement initial dans la catégorie D tel qu'il résulte de l'acte de nomination. Ce dernier doit donc être considéré comme l'acte faisant grief aux requérants, point de départ du délai du recours contentieux, sous les réserves suivantes, selon nous non pertinentes en l'espèce.

    En effet, la préexistence d'un acte faisant grief ne suffit pas, à elle seule, pour permettre de qualifier le recours administratif de réclamation plutôt que de demande. Mais, à cet égard, votre conception est rigoureuse. Par une jurisprudence constante, vous estimez certes que, si un fonctionnaire a la faculté d'inviter l'AIPN à prendre à son égard une décision, cela ne l'autorise pas pour autant à

    « écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 pour l'introduction d'une réclamation et d'un recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d'une demande, une décision antérieure qui n'avait pas été contestée dans les délais ».

    En effet,

    « seule l'existence de faits nouveaux substantiels (pourrait) justifier la présentation d'une demande tendant au réexamen d'une telle décision » (231/84, Valentini, arrêt du 26 septembre 1985, Rec. 1985, p. 3027, point 14).

    Or, lorsqu'un agent des Communautés met en cause le principe de correspondance posé par les dispositions des articles 5 et 7 du statut entre l'emploi exercé et le grade attribué, il peut utilement faire valoir qu'une discordance est apparue ultérieurement à la décision de nomination le concernant. Ainsi avez-vous considéré qu'il est « légitime » qu'un agent, en raison, par exemple, d'une évolution de ses attributions due à une réorganisation des services, demande à l'institution

    « un nouvel examen de sa situation administrative en fonction des changements apportés dans la structure du service auquel il appartenait » (28/72, Tontodonati, Rec. 1973, p. 779, point 4).

    Également, l'apparition, postérieurement à la décision originaire, de nouveaux critères de classement énoncés par l'institution peut constituer un fait nouveau justifiant un tel réexamen. En ce sens, vous avez décidé que s'il est, en principe,

    «inadmissible qu'un fonctionnaire remette en question les conditions de son recrutement initial après que celui-ci est devenu définitif »,

    il peut néanmoins se prévaloir de la décision de l'AIPN modifiant les critères de classement existant lors du recrutement, portée à sa connaissance bien après sa nomination, pour introduire une demande de révision de son classement (190/82, Blomefield, Rec. 1983, p. 3981, point 10).

    Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, c'est l'existence d'un fait nouveau qui permet l'introduction d'une demande tendant au réexamen d'une décision antérieure.

    On chercherait en vain un tel fait en l'espèce. Vous avez tenu à vous en assurer et les requérants, en réponse à l'une des questions que vous leur avez posées à l'audience, ont reconnu que leurs fonctions étaient demeurées les mêmes depuis leur recrutement. Quant au tableau du 9 juillet 1982 décrivant les emplois types, il ne saurait constituer un fait nouveau de nature à justifier une demande. Les requérants ont certes invoqué ce document pour faire ressortir le décalage existant entre leur classement statutaire et leurs fonctions réelles. Cependant, ce tableau, qui actualise celui établi précédemment par la Commission, intègre les modifications intervenues au cours de l'année 1981 pour les catégories A et Β ainsi que pour certains emplois « ayant trait au secteur de l'informatique » de la catégorie C. Force est de constater qu'aucune de ces modifications ne concerne la description des emplois des requérants, telle qu'elle résulte, inchangée, du tableau paru au n° 272 des Informations administratives du 4 septembre 1973.

    Aussi les demandes introduites par les requérants nous paraissent-elles, conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 2 de l'article 90, devoir être requalifiées de réclamations. Or, une réclamation doit, selon l'article 90, paragraphe 2, second tiret, du statut, être adressée à l'AIPN dans les trois mois suivant la notification de l'acte faisant grief à son destinataire. A cet égard, on ne peut, comme l'ont fait les requérants, choisir comme point de départ du délai de recours la décision par laquelle l'AIPN a titularisé chacun d'entre eux. Nous l'avons relevé, le libellé même des demandes met en cause le classement résultant de l'acte de nomination. Au demeurant, la décision de titularisation ne vient que confirmer le classement originaire des requérants dans la catégorie D et, selon une jurisprudence constante, vous considérez qu'un acte confirmatif n'est de nature ni à faire grief ni, par conséquent, à faire renaître un droit de recours si celui-ci est éteint.

    La décision de nomination étant l'acte faisant grief, il y a lieu de constater qu'aucun des vingt-huit requérants n'a introduit sa réclamation dans le délai statutaire. En effet, dans le meilleur des cas, l'examen du dossier révèle que le délai écoulé entre la date de la décision de nomination et celle de la réclamation est supérieur à sept mois.

    A supposer même que ces réclamations n'aient pas été frappées de forclusion, le recours contentieux n'en devrait pas moins être déclaré irrecevable, car tardif. En effet, daté du 18 juillet 1984, il a été introduit après l'expiration du délai de trois mois suivant la réponse explicite de l'AIPN, qui, dans le cas le plus favorable, est intervenue le 11 janvier 1984. Les «réclamations» datées, selon les cas, du 19 décembre 1983 et du 18 janvier 1984, pas plus que les décisions implicites de rejet qui, d'après les requérants, les ont suivies, ne sauraient réouvrir le délai du recours contentieux, dès lors qu'elles procèdent de l'erreur de qualification, commise initialement par les requérants, dont la responsabilité ne saurait être imputée à la Commission.

    En définitive, il faut donc considérer que les réclamations adressées par les requérants à l'AIPN ne tendent qu'à remettre en cause une décision administrative devenue inattaquable. Or, les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut

    « sont d'ordre public et ne sont pas à la disposition des parties et du juge, ayant été institués en vue d'assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques » (227/83, Moussis, Rec. 1984, p. 3133, point 12).

    Pour ces motifs, il y a lieu de déclarer le présent recours irrecevable.

    5. 

    C'est donc à titre tout à fait subsidiaire que nous examinerons la requête au fond.

    Rappelons-le, les présents recours ne peuvent avoir pour objet l'affectation des intéressés à de nouvelles tâches correspondant plus exactement, selon eux, à leur classement catégoriel actuel. Ils tendent à leur reclassement dans une catégorie supérieure au motif que celle-ci correspondrait aux tâches effectivement exercées.

    Or, comme le relevait M. l'avocat général Mayras, dans ses conclusions dans l'affaire van Reenen,

    « la circonstance qu'un fonctionnaire se trouve dans le cas d'assumer, même pour une durée prolongée, des fonctions relevant d'un emploi d'une catégorie supérieure ne lui confère aucun droit inconditionnel à être nommé dans cette catégorie »,

    dès lors que l'article 45, paragraphe 2, du statut

    « subordonne... expressément l'accès à une catégorie supérieure à un concours » (189/73, van Reenen, Rec. 1975, p. 445, conclusions, p. 459).

    C'est pourquoi vous avez constamment jugé que

    « si, en vertu de l'article 7, paragraphe 1, il ne saurait être exigé d'un fonctionnaire qu'il remplisse des fonctions d'un niveau supérieur à son grade, hormis le cas d'intérim, le fait que celui-ci accepte d'exercer de telles fonctions constitue un élément à retenir en vue d'une promotion, mais ne confère à l'intéressé aucun droit à être reclassé » (189/73, précité, point 6).

    A fortiori, le même principe doit-il s'appliquer en cas de changement de catégorie. Au demeurant, cette règle traduit la nécessité fondamentale de séparer l'action administrative de la fonction juridictionnelle. On en trouve déjà l'illustration dans votre arrêt Morina, où vous avez jugé que

    « l'appréciation de l'opportunité ou de la nécessité d'organiser un concours est du ressort exclusif de l'autorité investie du pouvoir de nomination »

    et, dès lors, que

    « la Cour ne saurait ordonner l'ouverture ou la réouverture d'un concours sans empiéter sur les prérogatives de l'autorité administrative » (11/65, Morina, Rec. 1965, p. 1259).

    6. 

    En conséquence, nous proposons à la Cour:

    de déclarer le recours irrecevable;

    subsidiairement de le déclarer mal fondé;

    quant aux dépens, de faire application de l'article 70 du règlement de procédure.

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