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Document 61983CC0265

    Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 25 octobre 1984.
    Benoît Suss contre Commission des Communautés européennes.
    Fonctionnaire - Prestations en cas d'invalidité résultant d'un accident.
    Affaire 265/83.

    Recueil de jurisprudence 1984 -04029

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1984:333

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. CARL OTTO LENZ,

    PRÉSENTÉES LE 25 OCTOBRE 1984 ( 1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    Dans l'affaire faisant l'objet des présentes conclusions, le requérant — titulaire depuis le 1er décembre 1979 d'une pension d'invalidité en raison d'une incapacité de travail totale — fait valoir des droits fondés sur les dispositions combinées de l'article 73 du statut des fonctionnaires et de la réglementation relative à la couverture des risques d'accidents et de maladies professionnelles, considération prise des séquelles d'une agression — entre autres, un traumatisme crânien et une lésion du genou gauche — dont il a été victime en mai 1977, alors qu'il se trouvait en activité.

    Les faits de la cause ayant déjà été évoqués à l'occasion d'une précédente procédure (affaire 186/80 ( 2 )), il n'est pas nécessaire d'en exposer présentement tous les détails. Nous rappellerons simplement ce qui suit:

    Le médecin désigné par la Commission a rendu le 25 mars 1979 un rapport sur les séquelles de l'accident. Selon ce rapport, le degré de l'invalidité partielle permanente était de 25 % pour la perte de la vision oculaire, de 10 % pour le traumatisme crânien et de 2,5 % pour une lésion au genou (ce qui au total, d'après une méthode qui nous a été expliquée à l'audience — dite méthode Balthazar — ne consistant pas en une simple addition des différents taux d'incapacité, donnait une invalidité partielle de 34 %).

    Se fondant sur ce rapport, la Commission a, conformément à l'article 21 de la réglementation précitée, transmis au requérant un projet de décision, fondé sur les constatations médicales opérées lors de l'examen médical du requérant du 18 mai 1979; dans ce projet de décision, la défenderesse partait d'une part de l'hypothèse d'une consolidation, à cette date, des séquelles de l'accident et faisait état, d'autre part, de l'octroi au requérant, sur la base d'un taux d'invalidité de 34 %, d'un capital de 3187129 BFR, en application de l'article 73, paragraphe 2c), du statut des fonctionnaires.

    Cette proposition n'est pas devenue définitive au sens de l'article 21, paragraphe 3, de la réglementation précitée, la requérant ayant demandé dans les délais (à savoir, le 7 septembre 1979) qu'une commission médicale, constituée conformément à l'article 23 de la réglementation, réexamine son cas. Il s'était résolu à faire une telle demande, estimant que le taux d'invalidité, eu égard aux constatations opérées à divers points de vue par d'autres médecins (absence de prise en considération d'un préjudice esthétique, autre estimation de l'invalidité résultant de la blessure au genou) était trop faible. En même temps, le requérant sollicitait, au titre de l'article 20 de la réglementation, le versement du montant visé dans le projet de décision, en tant qu'indemnité provisionnelle (faculté ouverte au cas où, après la fin du traitement médical, le taux d'invalidité ne peut pas encore être déterminé, mais qu'il s'élève en tout état de cause, et sans contestation entre les parties, à 20 % minimum).

    Cette dernière demande a été rejetée par la Commission le 22 octobre 1979, au motif qu'exception faite de la lésion à l'œil, la taux d'invalidité était encore — à un double point de vue — litigieux, de sorte qu'il appartenait à la commission constituée à la demande du requérant de fixer ce taux. Seul un montant correspondant à un taux d'invalidité de 25 % a été alors ordonnancé (soit 2343478 BFR). Le point de vue de l'institution était réitéré dans une lettre du 30 janvier 1980 (qui admettait par ailleurs que la détermination du taux d'invalidité global ne devait pas se faire selon la méthode Balthazar et qu'il y avait lieu de procéder à une simple addition arithmétique des différents taux d'invalidité, ce que le requérant avait déjà fait valoir dans une lettre du 24 septembre 1979).

    En rapport avec la constitution de la commission médicale et avec le refus opposé au requérant de verser en sus, en application de l'article 20, paragraphe 3, de la réglementation, un certain capital à titre de provision complémentaire, à concurrence d'un taux d'invalidité de 12 %, et suite à une réclamation du 12 février 1980 demeurée infructueuse, le requérant a introduit un premier recours devant la Cour (affaire 186/80 ( 3 )), auquel nous avons déjà fait allusion au début de nos conclusions. Le recours avait trait à la triple question de savoir si la Commission pouvait nommer, au sein de la commission médicale, le médecin ayant déjà rédigé la rapport de mai 1979 et officiant au surplus en tant que médecin-conseil de l'assureur de la Commission, si le requérant avait droit selon l'article 20 de la réglementation au versement d'une indemnité complémentaire correspondant à un taux d'invalidité de 12 % et si des intérêts moratoires étaient exigibles à compter de la date de consolidation des séquelles de l'accident.

    En cours d'instance, la Commission a de fait versé au requérant un complément correspondant au taux que nous venons de citer, de sorte que la Cour a pu constater dans son arrêt (au point 23 des motifs) que ce point du litige avait été réglé. Au reste, la Cour devait rejeter les autres chefs de demande.

    La commission médicale constituée à la demande du requérant s'est réunie le 13 juillet 1982, en s'attirant à cette occasion les services d'un quatrième médecin, à titre de consultant. Après examen clinique du requérant et consultation de l'ensemble des documents médicaux versés au dossier (énumérés aux pages 4 et 5 du rapport de la commission médicale), cette commission médicale a conclu à l'unanimité à l'existence d'une invalidité permanente partielle égale à 25 % pour ce qui concerne la blessure à l'œil, à 8 % pour ce qui concerne la blessure au genou et à 1 % pour ce qui concerne le préjudice esthétique, ce qui donnait une invalidité globale de 34 %. La commission médicale a également déclaré qu'aucune thérapie ultérieure n'était nécessaire et qu'on devait retenir comme date de consolidation des lésions la date du 1er avril 1979 (soit une date antérieure à celle tenue pour correcte par le médecin de la Commission en mai 1979).

    Ces constatations firent l'objet d'une lettre adressée au requérant le 3 février 1983, dans laquelle la Commission, partie défenderesse, informait le requérant qu'elle avait pris une décision dans le sens dudit rapport. Elle précisait en outre qu'en regard des constatations opérées par la commission médicale, le requérant avait perçu une indemnité provisionnelle trop élevée, d'où l'obligation pour lui de reverser la différence entre les deux montants, soit 281218 BFR. Par la même lettre, le requérant était informé qu'en raison de ce que le traitement suivi postérieurement au 1er avril 1979 (date de consolidation retenue par la commission médicale) ne pouvait plus être considéré comme une résultante de l'accident, le remboursement des frais de traitement à 100 %, au titre de l'article 73 du statut des fonctionnaires, n'était pas dû, de sorte qu'un montant de 24992 BFR devait être porté en avance, à valoir sur les prochaines demandes de remboursement de frais médicaux.

    Par la suite, le requérant a introduit, le 22 avril 1983, une réclamation à l'encontre de la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Dans cette réclamation, le requérant critiquait le rapport médical sous divers aspects (taux d'invalidité, date de consolidation des lésions et nécessité d'un traitement ultérieur), demandait le retrait de ce rapport et l'annulation de la décision de la Commission, fondée sur ce rapport, du 3 février 1983, ainsi que la fixation d'un taux d'invalidité et d'une date de consolidation des lésions dans le sens des constatations opérées par un médecin consulté par le requérant, telles qu'elles ont été consignées dans un rapport du 4 mai 1982.

    Cette réclamation n'a donné lieu, à l'intérieur du délai visé à l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, à aucune décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Ce n'est que le 3 octobre 1983 qu'une décision expresse de rejet est intervenue. Selon cette décision, le requérant n'aurait pas démontré que la constitution et le fonctionnement de la commission médicale avaient été irréguliers et le requérant n'aurait fait valoir aucun argument de nature à faire présumer que la commission médicale — qui dispose d'un large pouvoir d'appréciation — aurait commis une erreur d'appréciation dans le cas du requérant.

    C'est dans ces conditions que le requérant a été amené à former un recours, le 26 novembre 1983, par lequel il concluait à ce qu'il plaise à la Cour:

    constater la nullité du rapport de la commission médicale;

    annuler les décisions attaquées, à savoir celle du 3 février 1983 et en tant que de besoin celle implicitement intervenue le 25 août 1983;

    dire que le requérant a droit à une pension d'invalidité calculée sur un taux de 56 %;

    retenir comme date de consolidation le 1er avril 1979 pour les séquelles neurologiques et oculaires, et celle du 4 mai 1982 pour les séquelles méniscales;

    en toute hypothèse, dire que les taux d'incapacité retenus lors du versement de l'indemnité provisionnelle sont définitifs et ordonner, pour les séquelles encore en discussion, une nouvelle expertise;

    constater que des cures thermales sont nécessaires (...).

    Dans son mémoire en réplique, le requérant a conclu en outre à ce qu'il plaise à la Cour:

    condammer la Commission à lui verser une somme de 50000 BFR suile fondement des dispositions de l'article 73 du règlement de la Cour, et

    lui allouer des intérêts compensatoires sur le montant de sa créance indemnitaire, à raison du retard abusif apporté à son règlement par la Commission.

    La Commission considère que ces conclusions sont en partie irrecevables, mais qu'en tout état de cause, elles ne sont pas fondées et elle demande en conséquence à la Cour de rejeter le recours.

    Quant au litige, nous nous proposons de conclure comme suit:

    1. 

    Le requérant tire tout d'abord argument de ce que le rapport de la commission médicale sur lequel se fonde la décision du 3 février 1983 a été accepté et signé par quatre médecins, à savoir également par le médecin consulté par la commission médicale et chargé par cette dernière d'examiner l'appareil locomoteur du requérant. La circonstance qu'un quatrième médecin ait activement participé à la mise au point du rapport et soit devenu de la sorte un membre de la commission médicale constituerait une violation de l'article 23 de la réglementation mentionnée au début de nos conclusions, aux termes duquel «la commission médicale est composée de trois médecins», ces derniers ayant compétence exclusive pour établir le rapport, de sorte que le rapport précité n'aurait pas été régulièrement établi, ce qui devrait amener la Cour à ordonner une nouvelle expertise.

    Nous ralliant sur ce point à la thèse de la Commission, nous tenons une telle appréciation pour erronée. On ne saurait en réalité parler d'irrégularité quant à la formation et au fonctionnement de la commission (au sens de l'arrêt rendu dans l'affaire 156/80, Recueil 1981, p. 1374, point 20 des motifs ( 4 ))

    Il importe à cet égard de ne pas comparer la commission médicale à un tribunal, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'appliquer à une commission médicale les règles strictes applicables à la composition d'un organe juridictionnel. C'est ce qui résulte de la constatation opérée par la jurisprudence, selon laquelle le fonctionnaire devant se soumettre à un examen n'a pas le pouvoir de récuser un médecin nommé par l'autorité investie du pouvoir de nomination, et que cette dernière a la faculté de désigner, pour la représenter au sein de la commission, un médecin ayant pris part à une phase précédente de la procédure, pour le compte de l'AIPN (arrêts dans les affaires 156/80 1 et 186/80 ( 5 )).

    Il est essentiel, par ailleurs, que la commission médicale, dans l'intérêt d'une appréciation objective, ait la latitude de consulter, à propos d'un problème spécifique, un spécialiste sur le jugement duquel elle puisse se fonder. S'il en est bien ainsi et si, par suite, comme en l'espèce, elle parvient — à l'unanimité — à une certaine conclusion, on ne voit pas comment l'approbation donnée par le médecin consultant pourrait constituer une violation d'une forme substantielle susceptible de faire grief au fonctionnaire examiné. On peut supposer en effet, sans qu'il y ait lieu de rechercher plus avant, que la décision de la commission médicale n'aurait pas été différente, sans la signature du docteur consultant; la circonstance critiquée, à savoir le fait que les conclusions essentielles du rapport ont été tenues pour correctes par quatre médecins, ne saurait été considérée comme une violation des intérêts légitimes du requérant, mais plutôt (comme l'estime la Commission) en tant que garantie supplémentaire de la pertinence de l'appréciation faite par la commission médicale.

    2. 

    En second lieu, le requérant se fonde sur ce qu'une indemnité provisionnelle a été payée, en deux versements, en fonction d'un taux d'invalidité de 25 et 12 %. Il serait dès lors établi, eu égard à l'article 20, paragraphe 3, de la réglementation — lequel ne prévoit de tels versements que pour la «fraction non litigieuse du taux d'invalidité» — qu'un taux d'invalidité de 37 %, ventilé suivant les taux retenus en mai 1979 par le médecin désigné par la Commission, était constant entre les intéressés. Ni l'autorité investie du pouvoir de nomination, ni la commission médicale, ne pourraient revenir sur ce qui a ainsi été établi; seule la fraction encore litigieuse pouvait encore faire l'objet d'une discussion dans le cours ultérieur de la procédure (plus précisément, la question de l'évaluation à plus de 2 % de la lésion au genou et la prise en considération du préjudice esthétique, questions qui n'avaient pas été envisagées dans le rapport du 25 mai 1979). La constatation opérée par la commission médicale entre temps saisie du dossier, selon laquelle le taux d'invalidité partielle permanente ne serait que de 34 %, serait dès lors illicite. Si par contre on prend en considération les éléments du rapport de la commission médicale encore susceptibles de faire l'objet de constatations (à savoir 8 % pour une lésion au genou, 1 % pour le préjudice esthétique), force serait d'admettre que le requérant a droit à une indemnité correspondant à un taux d'invalidité de 44 % (à raison de 25 % pour la lésion à l'œil, 10 % pour le traumatisme crânien, 8 % pour la lésion au genou et 1 % pour le préjudice esthétique).

    C'est ce que à quoi la Commission s'est opposée avec vigueur. Elle souligne à titre de principe que selon l'article 20 de la réglementation le versement d'une indemnité provisionnelle ne peut se concevoir que dans le cas où le taux d'invalidité n'a pas encore été définitivement fixé, donc avant la consolidation des séquelles. Tel ne serait pas le cas en l'espèce, puisque la consolidation est intervenue — voir le projet de décision de la Commission — dès mai 1979; le fait que la procédure n'a pas été menée à terme est uniquement dû au refus du projet de décision précité et à la saisine d'une commission médicale. Elle maintient en outre qu'on ne peut considérer comme fraction non litigieuse du taux d'invalidité que le taux de 25 %. C'est ce qui résulterait sans équivoque de ses lettres de 22 octobre 1979 et 30 janvier 1980, dans lesquelles il était expressément souligné que les autres taux d'invalidité devaient encore être déterminés paila commission médicale. Il n'y aurait en revanche pas lieu de prendre en considération le paiement effectué en cours d'instance dans l'affaire 186/80 ( 6 ), ce versement n'étant pas intervenu sur la base de l'article 20 de la réglementation; il n'aurait été en vérité qu'un geste de conciliation, et le versement ne serait de surcroît intervenu qu'expressément assorti des mentions suivantes: «sans aucune reconnaissance préjudiciable» [pour la Commission] et «sous toutes réserves généralement quelconques, et singulièrement sous réserve de l'avis qui sera émis par la commission médicale et de la décision qui sera prise par l'AIPN au vu de cet avis». Dans ces conditions, et eu égard à la liberté d'appréciation prêtée à la Commission, par rapport aux constatations médicales opérées en mai 1979, on ne saurait critiquer le fait que, suite à l'avis rendu par la commission médicale, le taux d'invalidité ait été en définitive fixé à 34 %.

    Nous avons le sentiment qu'on ne peut guère suivre la commission sur ce chemin.

    Nous trouvons tout d'abord peu convaincante la thèse selon laquelle l'article 20, paragraphe 3, de la réglementation ne saurait être appliqué que si une consolidation définitive des lésions n'est pas encore intervenue. Il nous paraît au contraire tout à fait logique d'octroyer une indemnité provisionnelle sur la fraction non litigieuse du taux d'invalidité également dans le cas où les parties s'opposent sur le taux d'invalidité appelé à être tranché par une commission médicale, ce qui peut prendre un certain temps. On doit en tout cas reconnaître qu'en l'espèce la Commission a appliqué de fait l'article 20, paragraphe 3, de la réglementation, de sorte qu'elle doit également s'y tenir et qu'elle est tenue de supporter à son encontre les conséquences de l'application d'une telle disposition.

    En ce qui concerne la question du versement de l'indemnité complémentaire correspondant à un taux d'invalidité de 12 % — paiement effectué dans le contexte de l'affaire 186/80 1 — on doit tout d'abord observer qu'elle est intervenue en considération des conclusions du requérant tendant à la condamnation de la Commission au paiement d'une telle indemnité et que la Commission elle-même avait déclaré dans son mémoire en défense que «le chef de la demande du requérant relative à cette indemnité complémentaire devient ainsi sans objet». D'un autre côté, on doit admettre que la Commission a fourni cette prestation en faisant, ainsi qu'il a été ci-dessus précisé, toutes réserves à cet égard. D'où une contradiction manifeste. Or, la Cour a selon nous résolu cette contradiction en constatant, au point 23 des motifs dans l'arrêt 186/80 ( 7 ), que le point en litige avait été réglé par le versement d'une indemnité complémentaire. Cela veut nécessairement dire que la réserve faite par la Commission a été considérée comme dénuée de pertinence ou qu'on ne pouvait en tout cas pas lui attribuer le sens que lui prêtait la Commission (de revenir sur cette question au détriment du requérant). Il est en effet impossible de voir dans le «règlement d'un litige» une solution simplement provisoire d'une question (contrairement à ce que croit la Commission); un tel règlement présuppose au contraire que ce point du litige a été réglé à la satisfaction du requérant. Or, tel ne peut être le cas — faute de pouvoir discerner un fondement juridique différent pour la prestation servie par la Commission — que si on considère au départ que le versement est intervenu au regard de la fraction non litigieuse du taux d'invalidité au sens de l'article 20 de la réglementation, autrement dit, la fraction sur laquelle l'administration ne peut plus ultérieurement revenir.

    Il résulte de tout cela qu'un taux d'invalidité de 37 % est en quelque sorte devenu définitif (on peut au reste également renvoyer à l'interdiction de la reformatio in pejus, principe pour l'application duquel milite non seulement la disposition de l'article 22 de la réglementation, mais également l'économie de l'article 23 — afférent à la prise en charge des coûts — qui n'envisage manifestement pas l'éventualité suivant laquelle la commission médicale opérerait des constatations se situant en retrait par rapport à celles opérées par le médecin désigné). Cela signifie en outre — étant donné que l'autorité investie du pouvoir de nomination pouvait uniquement se fonder sur le rapport médical du 25 mai 1979, et que dans sa lettre du 15 octobre 1980, elle a expressément mentionné la consultation de ce médecin — qu'un taux d'invalidité de 25 % pour lésion oculaire, de 10 % pour traumatisme crânien et de 2 % pour lésion au genou, ne pouvait plus faire l'objet d'un litige. Les seuls points susceptibles de rester encore en litige — on observera partant qu'un mandat limitatif aurait dû, en ce sens, être décerné à la commission médicale — avaient trait aux séquelles esthétiques de l'accident et à l'évaluation, supérieure ou non à 2 %, du taux d'invalidité résultant de la lésion au genou.

    On doit donc tenir pour établi que la constatation à laquelle s'est livrée la commission médicale en ce qui concerne les séquelles neurologiques de l'accident a été opérée sans base légale, et qu'il convenait, partant, de l'ignorer. En supposant que le rapport de la commission médicale ne donne lieu par ailleurs à aucune critique et qu'il n'y ait dès lors aucune nécessité de recommencer cette procédure (question sur laquelle il conviendra ultérieurement de revenir), on devrait pouvoir tenir pour établies les constatations de la commission médicale ayant trait au taux d'invalidité résultant de la blessure au genou (8 %) et au taux d'invalidité présumé afférent aux séquelles d'ordre esthétique (1 %), ce qui reviendrait à dire que le requérant a droit au minimum à la réparation afférente à une invalidité permanente au taux de 44 %. Sous réserve des résultats de l'examen des autres chefs de demande, qui infirmerait ou confirmerait un tel résultat, nous ne voyons pas d'inconvénient, dans la cas d'espèce particulier qui est celui de la présente affaire, à ce qu'il y ait une déclaration en ce sens dans l'arrêt que la Cour sera appelé à rendre, même si on doit admettre que la Cour ne peut normalement pas opérer de telles constatations de caractère médical.

    3. 

    Par ailleurs, le requérant fait grief au rapport de la commission médicale de porter une appréciation erronée quant aux lésions affectant les genoux et à la consolidation, à cet égard, des séquelles; il conteste d'autre part l'affirmation contenue dans le rapport, selon laquelle aucune thérapeutique ultérieure, notamment sous forme de cures thermales, n'apparaît appropriée.

    A cet égard, il fait valoir que la commission médicale n'a procédé qu'à un examen sommaire n'excédant pas une demi-heure, lors de sa convocation devant la commission médicale (on trouvera les détails à cet égard à la page 11 de la requête). Il se réfère à des expertises, faites à sa demande par d'autres médecins, concluant — à l'encontre du rapport de la commission médicale, qui n'admettait de séquelles qu'en ce qui concerne le genou gauche — à un taux d'invalidité global de 20 % pour les deux genoux (voir rapport du Dr Schmitt du 22. 12. 1981 et rapport du Dr Chaumont du 4. 5. 1982). Enfin, le requérant renvoie au fait que sur sa carte d'invalidité établie par le ministère luxembourgeois de l'intérieur, ce dernier a concédé au requérant une invalidité classée «invalidité de 50 % ou plus». Il estime dès lors être en droit de revendiquer une indemnité correspondant à un taux d'invalidité de 56 % ou qu'il y aurait lieu, à tout le moins, d'ordonner une nouvelle expertise par les soins d'une commission médicale.

    a)

    C'est plus particulièrement dans ce contexte — compte tenu de ce que la Cour est invitée à porter une appréciation de nature médicale — la Commission a soulevé des objections quant à la recevabilité d'un tel chef de demande. Elle se réfère à cet égard à des constatations opérées dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire 156/80 ( 8 ). Dans cet arrêt, la Cour souligne effectivement d'une part que la réglementation appliquable prévoit, aux fins de l'appréciation de toutes les questions médicales, un double examen confié à des experts médicaux, ce qui traduit l'intention d'aboutir, en cas de litige, à un arbitrage définitif de toutes les questions de caractère médical (points 18 et 19 des motifs). D'autre part, la Cour souligne que le contrôle qu'elle exerce se limite aux questions relatives à la constitution et au fonctionnement régulier de la commission médicale et que l'examen de la Couine saurait s'étendre aux appréciations médicales proprement dites, lesquelles doivent être tenues pour définitives (point 20 des motifs).

    Cette solution nous apparaît tout à fait logique et on peut tout au plus ajouter — comme l'estime d'ailleurs également la Commission — qu'il y aurait, à la rigueur, lieu pour la Cour de vérifier si le rapport médical n'est pas entaché d'une erreur manifeste.

    b)

    Si on s'en tient à ces considérations, il n'y a guère de raison de critiquer la façon dont l'examen médical a été mené.

    On peut d'une part, renvoyer aux constatations de l'arrêt 156/80 ( 9 ), selon lesquelles il appartient à la commission médicale de régler les modalités et la durée de la visite médicale de l'intéressé (point 27 des motifs), ce qui signifie qu'il s'agit à cet égard d'une question médicale, dans laquelle la Cour ne saurait en principe interférer. D'autre part, la Commission a souligné avec insistance que l'examen auquel a procédé la commission médicale a été complet et sérieux, et il n'y a pas, sous cet angle, au vu des allégations du requérant, d'élucider ce point dans le détail.

    c)

    En outre, en ce qui concerne le contenu du rapport de la commission médicale, aucun élément ne milite apparemment dans le sens d'une erreur manifeste d'appréciation.

    Il ne suffit certainement pas à cet égard qu'une invalidité de 50 % ou plus ait été reconnue sur une carte, établie à des fins bien différentes, par une autorité luxembourgeoise. Il ne suffit pas non plus, à ce même égard, que deux médecins consultés par le requérant (dont les rapports ont du reste été soumis à l'appréciation de la commission médicale — ainsi qu'on peut le déduire des pages 4 et 5 du rapport de la commission médicale —) aient abouti, en ce qui concerne le taux d'invalidité et la date de consolidation, à une conclusion différente: la preuve n'est pas, pour autant, rapportée que le rapport de la commission médicale — qui comprenait le médecin désigné par le requérant — rendu à l'unanimité était médicalement insoutenable.

    d)

    Quant à la nécessité d'un traitement ultérieur, le requérant n'a rien dit de particulier à cet égard, de sorte qu'on peut tenir pour acquis que le rapport de la commission médicale — pour autant qu'on doive l'envisager en liaison avec le moyen allégué par le requérant, faisant présentement l'objet de notre examen — est sur ce point indemne de toute critique, en sorte qu'aucun élément n'autorise à lui dénier son aptitude à servir de base fiable à une décision de l'AIPN. Il n'y a a fortiori aucune raison, selon nous, pour que la Cour constate une invalidité d'un taux supérieur à 44 %, admette une autre date au regard de la consolidation des lésions et tienne pour nécessaire un traitement médical ultérieur du requérant.

    4. 

    Abordons à présent les chefs de demande additionnels, présentés pour la première fois dans la réplique, tendant à la condamnation de la Commission au paiement de 50000 BFR au titre de l'article 73 du règlement de procédure et à l'octroi d'intérêts sur le montant en capital devant encore être alloué au requérant.

    a)

    Le premier chef de demande, qui a trait à la décision sur les dépens — ce point est envisagé à l'article 73 du règlement de procédure, dans lequel il est question des dépens récupérables par une partie — n'appelle pas de notre part de commentaires approfondis.

    La décision sur les dépens, que la Cour est amenée à rendre à l'occasion de son arrêt, fait en principe uniquement paraître la ou les parties devant supporter les dépens de l'instance; la Cour précise toutefois, le cas échéant, si une partie (et dans l'affirmative, laquelle) doit supporter les frais de procédure occasionnés à l'autre partie. Nous nous proposons d'exposer à la fin de nos conclusions ce que devrait être, à notre sens, cette décision sur les dépens. Il ne nous paraît pas indiqué en tout cas de préciser une somme. Il ne pourrait en être éventuellement ainsi qu'en cas de survenance, postérieurement à la décision de principe rendue dans l'arrêt, d'un litige entre les parties quant à l'importance des dépens susceptibles de faire l'objet d'un remboursement, ce qui amènerait la chambre compétente, en application de l'article 74, paragraphe 1, du règlement de procédure, à statuer sur ce litige.

    b)

    En ce qui concerne le deuxième chef de demande, il n'y a sans doute pas d'objection à l'examiner, en dépit du fait qu'il n'a été présenté que dans la réplique (nous renvoyons à cet égard aux considérations exposées dans l'arrêt 186/80 ( 10 )).

    On peut dire, d'emblée, que la demande du requérant de se voir allouer des intérêts sur le solde d'un capital auquel, croyons-nous, eu égard au rapport de la commission médicale, le requérant a droit, ne nous semble pas totalement incongrue. Il s'est en tout cas écoulé un an postérieurement à la notification de l'arrêt 186/80 (du 14 juin 1981 ( 10 )), lequel précisait ce que devait être la composition de la commission médicale, avant que la commission médicale ne rende son rapport (juillet 1982) et à nouveau plus de six mois avant que l'administration — de façon certes non pertinente, comme nous l'avons vu — n'en tire les conclusions. On peut donc légitimement parler d'un «retard indû» au sens de l'arrêt 156/80 ( 11 ) (point 34 des motifs); mais comme nous ne savons pas les raisons du retard apporté à l'élaboration du rapport et comme il y a lieu, selon nous, postérieurement à la rédaction du rapport, d'évaluer forfaitairement un certain laps de temps nécessaire au traitement administratif de l'affaire, y compris les congés d'été, on ne peut guère vouloir faire courir les intérêts avant la date du 1er septembre 1982, et ce au taux que la Cour estimerait devoir retenir, au titre du pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu.

    5. 

    En résumé:

    Il convient selon nous que, dans son arrêt, la Cour:

    a)

    constate que le rapport de la commission médicale est erroné pour autant qu'il admet un taux d'invalidité inférieur à celui précédemment reconnu, par voie de versement, comme non litigieux par la Commission;

    b)

    annule la décision du 3 février 1982, en tant qu'elle table sur un taux d'invalidité de 34 % et fait obligation au requérant de reverser un montant égal à la différence entre le capital correspondant à ce taux d'invalidité et le montant précédemment versé par la Commission à titre d'indemnité provisionnelle;

    c)

    constate qu'en raison du comportement de la Commission, le requérant a droit, en liaison avec les constatations opérées par la commission médicale, à une indemnité correspondant à un taux d'invalidité de 44 %;

    d)

    déclare que le capital devant encore être versé au requérant, correspondant à un taux d'invalidité de 7 %, doit être assorti d'intérêts à partir du 1er septembre 1982, à un taux qu'il appartiendra à la Cour de fixer, et

    e)

    rejette les autres chefs de demande.

    Eu égard à la solution apportée à la présente affaire, il nous paraît approprié de mettre à la charge de la Commission un tiers des frais de procédure supportés par le requérant.


    ( 1 ) Traduit de l'allemand.

    ( 2 ) Arret du 14 7. 1981 dans l'affaire 186/80, Benoit Suss/Commission des Communautés européennes. Recueil 1981, p. 2041

    ( 3 ) Arrêt du 14. 7. 1981 dans l'affaire 186/80, Benoît Suss/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 2041.

    ( 4 ) Arrêt du 21. 5. 1981 dans l'affaire 156/80, Giorgio Morbelli/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 1357.

    ( 5 ) Arrêt du 14. 7. 1981 dans l'affaire 186/80, Benoît Suss/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 2041.

    ( 6 ) Arret du 14 7 1981 dans l'affaire 186/80, Benoît Suss/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 2041

    ( 7 ) Arrêt du 14. 7. 1981 dans l'affaire 186/80, Benoît Suss/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 2041.

    ( 8 ) Arret du 21 5 1981 dans l'affaire 156/80, Giorgio Morbclli/Commission des Communautés européennes. Recueil 1981, p 1357

    ( 9 ) Arrêt du 21. 5. 1981 dans l'affaire 156/80, Giorgio Morbelli/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 1357.

    ( 10 ) Arrèt du 14. 7. 1981 dans l'affaire 186/80, Benoît Suss/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p 2041.

    ( 11 ) Arrèt du 21. 5. 1981 dans l'affaire 156/80, Giorgio Morbelli/Commission des Communautés européennes, Recueil 1981, p. 1357.

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