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Document 61982CC0033

    Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 10 avril 1984.
    Murri frères contre Commission des Communautés européennes.
    Fonds européen de développement - Responsabilité du fait de sa gestion.
    Affaire 33/82.

    Recueil de jurisprudence 1985 -02759

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1984:151

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

    présentées le 10 avril 1984 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. Introduction

    Dans cette affaire, l'entreprise « Murri frères » demande à la Cour de condamner la Commission, sur la base de l'article 215, alinéa 2, du traité CEE, à réparer le préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait d'une faute de service commise par les services de la Commission chargés de l'exécution du projet 6907/FED/72. Ce projet, à financer par le Fonds européen de développement, a abouti le 11 septembre 1972, après une adjudication publique, à la conclusion d'un contrat par la requérante avec la république de Madagascar. Le projet concernait l'aménagement et l'asphaltage d'une partie de la route nationale 5A de Madagascar (voir les annexes 1, 2 et 3 au mémoire de la Commission du 31 mars 1982).

    Fin 1973, la requérante a constaté qu'à la suite des hausses subites de prix des produits pétroliers décidées par l'OPEC peu de temps auparavant, les prix du bitume avaient plus que doublé et que la formule de révision des prix prévue à l'article 313 du cahier des prescriptions spéciales (annexe 3 au mémoire précité) ne permettait plus de couvrir les coûts réels d'achat et de transport de bitume nécessaire. C'est ainsi qu'à diverses dates du mois de janvier 1975, les parties contractantes ont signé et visé un premier avenant au contrat. L'article 304 de cet acte additionnel était rédigé comme suit: « Le présent avenant ne pourra être invoqué pour éteindre les réclamations du titulaire relatives à la hausse des prix de fourniture du bitume. » Nous renvoyons à cet égard à l'annexe 2 à la requête.

    En raison de la répartition des compétences entre les États associés et la Communauté, la requérante devait partir de la prémisse qu'une pareille indemnité pour d'importants coûts extraordinaires imprévus ne pouvait pas être mise par la république de Madagascar à la charge du Fonds européen de développement sans concertation préalable avec la Commission (voir à ce propos l'article XX des clauses générales constituant l'annexe 3 à la convention de financement no 1030/MA, qui est jointe comme annexe 1 au mémoire précité de la Commission). Sur ce point de la répartition des compétences, qui est important pour la question de recevabilité, nous reviendrons plus en détail tout à l'heure. Comme première approche, nous voudrions toutefois résumer brièvement comme suit les griefs que la requérante adresse à la Commission. A un premier stade, la Commission aurait suscité auprès de la requérante, par l'intermédiaire de son délégué sur place, la confiance dans le fait qu'elle était d'accord tant sur le principe de l'octroi d'une indemnité que sur le mode de calcul de celle-ci, tel qu'il était appuyé par les autorités malgaches. De nombreux mois plus tard, elle aurait allégué la nécessité d'examiner de plus près ledit mode de calcul. Finalement, la Commission aurait, d'une part (le 10 août 1976), exprimé des objections définitives à l'encontre du mode de calcul proposé, sans toutefois approuver déjà une autre formule. Celle-ci aurait encore dû être élaborée d'abord par les autorités malgaches. D'autre part (le 26 septembre 1978), la Commission aurait renvoyé simplement la requérante aux autorités compétentes de Madagascar (sans qu'apparaissent clairement ni l'existence, entre-temps, d'un accord avec ces autorités sur une formule de calcul déterminée, ni la nature de celle-ci).

    Compte tenu de la condition précitée d'un accord préalable de la Commission, il nous semble clair qu'après la lettre du 26 septembre 1978 citée en dernier lieu, la requérante devait effectivement arriver à la conclusion que la satisfaction de sa demande d'indemnité, ou du moins une satisfaction de cell-ci en conformité avec la méthode de calcul proposée par elle, était bloquée définitivement par la Commission; Même une procédure d'arbitrage conformément à l'article 316 du cahier des prescriptions spéciales pour le projet en question (annexe 3 au mémoire précité de la Commission du 31 mars 1982) ne pouvait plus rien y changer. Dans ces circonstances, il nous paraît logique que la requérante ait attribué la responsabilité du préjudice causé par ce blocage définitif, sur la base de l'article 215 du traité CEE, à la Commission. C'est donc de façon tout à fait incorrecte, à notre avis, que la Commission a fait valoir dans tous ses mémoires, puis de nouveau à l'audience, que la requérante cherchait en fait à obtenir de la Commission, par le biais de l'article 215, alinéa 2, l'exécution d'une obligation contractuelle pesant sur la république de Madagascar.

    La réponse à la question de savoir jusqu'à quel point il peut être fait droit à la demande de la requérante dépend naturellement, d'une part, d'un examen approfondi de sa recevabilité et, d'autre part, d'un examen approfondi de son bien-fondé. La question de la recevabilité dépend à son tour, en partie, d'une analyse approfondie de la répartition des responsabilités entre la Communauté et la république de Madagascar et, en partie, de la manière dont ces responsabilités sont exercées dans la réalité, c'est-à-dire d'une part des faits pertinents.

    La question du bien-fondé de la demande dépend en premier lieu d'une analyse approfondie de tous les faits pertinents. Une partie de ceux-ci a toutefois aussi de l'importance, comme nous l'avons déjà dit, pour l'appréciation finale de la question de recevabilité. C'est pourquoi, au deuxième paragraphe de nos présentes conclusions, nous examinerons plus en détail à la fois la répartition des responsabilités et tous les faits pertinents. Au troisième paragraphe, nous examinerons ensuite le problème de la recevabilité et, au quatrième paragraphe, les questions de fond. Dans ce paragraphe final, nous formulerons, enfin, notre conclusion.

    Sur un point, nous voudrions toutefois anticiper dès maintenant ce jugement final. C'est seulement au cours de la procédure orale qu'il est apparu, en réponse à une série de questions posées par la Cour, que, malgré le texte impératif montrant clairement le contraire, la Commission s'estime liée dans la pratique soit par un accord auquel la requérante pourrait encore arriver avec les autorités malgaches, directement ou par le canal de la procédure de conciliation prévue à cette fin, soit par une décision arbitrale. Sur l'importance de cet éclaircissement quelque peu surprenant de la position juridique de la Commission pour l'appréciation du litige, nous nous prononcerons plus en détail dans nos analyses qui suivent. En toute hypothèse, il nous semble toutefois clair que, dans ces conditions, tant avant que durant toute la procédure écrite devant la Cour, la Commission a égaré la requérante en ce qui concerne les voies de recours ouvertes. La prémisse sur laquelle la requérante devait logiquement se fonder, comme nous l'avons déjà dit, en raison des textes impératifs concernant la répartition des compétences financières, à savoir que la Commission avait définitivement bloqué, le 26 septembre 1978, une indemnisation calculée conformément aux propositions de la requérante, s'avère, en effet, a posteriori inexacte. Dans ces circonstances, nous sommes d'avis que sur la base des paragraphes 2 et 3, alinéa 2, de l'article 69 du règlement de procédure, la Commission doit, en tout cas, que le recours soit accueilli ou qu'il soit partiellement ou totalement rejeté, être condamnée aux dépens.

    2. La répartition des responsabilités et les faits les plus importants pour l'appréciation

    2.1. La répartition des responsabilités

    Le rapport d'audience contient un aperçu complet des dispositions conventionnelles, réglementaires et contractuelles invoquées par les parties. Afin de ne pas prendre inutilement de votre temps, nous nous permettrons, par conséquent, de renvoyer pour l'essentiel à cet aperçu. Nous nous limiterons ici aux principales conclusions qui peuvent être tirées, notamment, de ces dispositions en ce qui concerne la répartition des responsabilités.

    L'article 17, paragraphe 1, du protocole no 6, annexé à la convention de Yaounde II (JO 1970, L 282, p. 21) montre que les autorités compétentes des États associés sont responsables de l'exécution des projets présentés par leur gouvernement et financés par la Communauté.

    En vue de ce financement, les États membres ont institué, par un accord interne (JO 1970, L 282), un Fonds européen de développement, que nous appellerons ci-après le FED.

    Par le règlement no 71/68/CEE du Conseil (JO 1971, L 31) a été arrêté le règlement financier du FED, dont il apparaît, entre autres, que la responsabilité pour le financement des projets pris en charge par le FED est confiée à la Commission (voir notamment les articles 1er et 5). La responsabilité des États associés pour Y exécution des projets n'a évidemment qu'une signification limitée lorsque le financement de ces projets n'est pas garanti. Comme, sur ce point essentiel du financement, les responsabilités sont confiées à la Commission, il est clair que tant en ce qui concerne la conclusion de contrats d'exécution pour les projets qu'en ce qui concerne tous les actes juridiques ou circonstances qui sont susceptibles d'entraîner de nouvelles obligations de paiement, il faut une concertation entre l'État associé et la Commission (voir notamment les articles 20 à 23 du règlement financier). De même, il est clair que l'égalité juridique entre les États associés et la Communauté exige un mode de règlement des litiges entre ces parties contractantes qui permette une appréciation juridique objective de ces litiges. L'article 64 du règlement financier assure que soit prévue à cette fin la possibilité d'un recours devant cette Cour. Le même article garantit également que les litiges concernant l'exécution de contrats passés par les États associés pour l'exécution de projets financés par le FED puissent être réglés par la voie d'un arbitrage. Nous avons déjà fait remarquer dans nos observations introductives qu'au centre de la présente procédure se trouve la question de la relation qui existe entre cette procédure d'arbitrage et la procédure précitée de concertation entre l'État associé en cause et la Commission.

    Pour la réponse à donner à cette dernière question, il faut se reporter, en premier lieu, aux modalités de la procédure de concertation prévues dans le règlement (CEE) no 229/72 de la Commission, du 28 janvier 1972 (JO 1972, L 29). Il apparaît de ce règlement que, lors de cette concertation, entre autres les fonctionnaires suivants jouent un rôle important, après que la Commission a passé une convention de financement avec l'État associé en cause (en l'occurrence la convention de financement entre la CEE et République malgache no 1030/MA du 13 mars 1972):

    1)

    l'ordonnateur principal du FED, nommé par la Commission, à savoir le directeur général du développement à la Commission (pour celles de ses tâches qui ont de l'importance en l'espèce, voir notamment les articles 16, 17 et 25, dont il apparaît qu'il est responsable pour l'exécution des décisions de financement, les mesures d'adaptation de ces dernières, l'engagement des dépenses, l'ordonnancement de celles-ci et la solution des problèmes de paiement qui se posent après l'exécution d'un projet);

    2)

    l'ordonnateur local désigné dans la convention de financement, qui est dans la pratique une autorité de l'Etat associé en question (article 18); d'après l'article 20 du règlement, aucune dépense excédant le montant fixé dans la convention de financement ne peut être mise à la charge du FED si elle n'a fait l'objet, en temps utile, d'un engagement supplémentaire dans les conditions visées aux articles 20 à 23 du règlement financier; dans le cadre des crédits qui lui sont accordés, l'ordonnateur local peut toutefois engager des dépenses;

    3)

    le contrôleur délégué, nommé par la Commission pour assurer le contrôle financier et technique sur place des projets et qui se trouve également sur place (article 27); il est chargé de veiller au déroulement correct d'une adjudication (article 28 en combinaison avec l'article 22) et il appose son visa sur les marchés, contrats, devis et avenants y afférents, avant signature par les autorités compétentes (article 29); comme la portée de ce visa n'est pas tout à fait claire dans ce contexte, il est important de noter que d'après l'article 11 du règlement financier, uniquement l'ordonnateur principal et, dans les limites indiquées il y a un instant, l'ordonnateur local peuvent engager des dépenses; le contrôleur délégué sur place est exclusivement chargé de la surveillance de l'engagement des dépenses par l'ordonnateur local et de leur exécution; en cas de litige entre l'ordonnateur local et le contrôleur délégué sur place, c'est la Commission qui décide (règlement financier, articles 20 à 23).

    L'agent de la Commission a insisté fortement sur cette répartition des responsabilités, également lors de la procédure orale.

    Le dossier montre toutefois que, dans la pratique, tant du côté de l'État associé en question que du côté de la Commission, les fonctions en cause sont diluées entre un grand nombre de services, d'autorités et de fonctionnaires. C'est ainsi que dans la correspondance on trouve, certes, des prises de position exprimées par une direction et par plusieurs divisions de la direction générale du développement, mais pas expressément par l'ordonnateur principal. En outre, le principe de la séparation entre les fonctions d'ordonnateur, de contrôleur financier et de comptable, tel qu'il est établi à l'article 11 du règlement financier, ne se vérifie guère dans la correspondance. C'est ainsi que dans les notes échangées, comme déjà dans le premier mémoire de la Commission, le contrôleur délégué sur place du FED est systématiquement appelé le délégué du Fonds, ce qui semble indiquer une confusion de fonctions devant en principe être séparées. Ce sentiment est renforcé par le contenu de ses lettres.

    Pour ce qui est de la convention de financement no 1030/MA du 13 mars 1972, qui a été conclue entre la CEE et la république de Madagascar en relation avec le présent projet le 12 mars 1973, on notera notamment les dispositions, citées dans le rapport d'audience, de l'article XX des clauses générales. Comme nous l'avons déjà fait remarquer dans nos observations introductives, cet article confirme qu'une demande d'indemnité pour le préjudice causé à la requérante par l'augmentation du prix du bitume ne peut être accueillie qu'après accord préalable de la Commission.

    L'article 316 du cahier des prescriptions spéciales du marché en cause no 6907/FED/72 déclare qu'après épuisement des procédures locales relatives au règlement amiable des litiges, tous les différends seront tranchés définitivement suivant le règlement de conciliation et d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, par un ou plusieurs arbitres. Au sujet du contenu des procédures locales de règlement amiable des litiges, quelques informations complémentaires ont été fournies par la Commission à l'audience, en réponse à des questions que vous lui avez posées. Davantage de clarté a toutefois été faite par la Commission alors notamment en ce qui concerne la relation entre les procédures locales de conciliation et le règlement d'arbitrage, d'une part, et ledit article XX des clauses générales de la convention de financement qui est en cause ici, d'autre part. Manifestement à la surprise de la requérante et aussi, compte tenu du texte de l'article précité, d'une manière assez surprenante pour nous-même, l'agent de la Commission a déclaré que, sur la base d'une pratique en ce sens d'environ dix ans, la Commission s'estime liée par une décision arbitrale. Puis la réponse donnée à une question de la Cour a montré qu'en cas d'hésitations de l'État associé à payer l'indemnité fixée par les arbitres, au moins dans un cas, dans le passé, le FED a payé l'indemnité lui-même, sans attendre un arrêt de cette Cour à ce sujet, alors qu'elle avait été saisie de l'affaire. Enfin, la Commission a encore précisé, en réponse à des questions posées par vous, Monsieur le Président, que la Commission s'inclinerait également devant une indemnité sur laquelle la requérante et les autorités compétentes de Madagascar se seraient accordées directement, pour autant que cet accord soit basé sur la formule de calcul que la Commission a déjà proposée à ces autorités à un stade antérieur.

    2.2. Les faits les plus importants pour l'appréciation et leur interprétation

    Comme nous l'avons déjà signalé dans nos observations introductives, le présent litige a concrètement pour origine, mais pas comme fondement juridique, les hausses de prix des produits pétroliers en 1973 et le doublement des prix du bitume qui en a résulté. Il n'est pas contesté que le premier avenant au contrat d'adjudication, qui se rapporte à cet événement, y compris l'article 304 qu'il comporte et que nous avons cité dans nos observations introductives, a reçu, conformément à l'article 29 du règlement no 229/72, le visa du contrôleur délégué. Au cours de la procédure orale, la Commission a finalement confirmé expressément, à la suite d'une question posée par nous-même, qu'elle a effectivement reconnu ainsi, en principe, un droit à une indemnité pour le préjudice subi en l'occurrence par la requérante. La confiance dans le fait que la Commission reconnaissait ce « droit en principe » devait déjà être suscitée.chez la requérante à un stade antérieur, à notre avis, notamment par la lettre qui lui a été adressée par l'ingénieur en chef compétent de Madagascar le 19 novembre 1975 (annexe 8 à la requête). D'une manière plus claire que l'échange de télégrammes antérieur entre la requérante et le contrôleur délégué sur place du FED, qui est susceptible de diverses interprétations (annexes 6 et 7 à la requête), cette lettre comporte, en effet, explicitement, et cela en accord avec le FED, une déclaration des autorités malgaches exprimant leur intention de réparer le préjudice et d'établir un deuxième avenant ayant pour objet la solution résultant de l'étude du problème. La requérante était invitée à fournir ses propositions à cet égard. Simultanément, la lettre signalait cependant qu'en raison du caractère exceptionnel de l'avenant, l'approbation de celui-ci pourrait poser certains problèmes. La lettre constituait une réponse à une lettre de la requérante du 20 septembre 1975 et n'avait donc aucun lien, selon nous, avec l'échange de télégrammes susvisé.

    La requérante a présenté les propositions demandées par lettre du 1er décembre 1975 (annexe 10 à la requête). La proposition que les autorités malgaches ont adressée ensuite au « délégué de la Commission des Communautés européennes » à Tananarive pour approbation (annexe 11 à la requête) montre que ces autorités étaient également d'accord avec la méthode de calcul proposée par la requérante en vue de la révision des cinq prix unitaires en cause. Il apparaît, toutefois, d'une comparaison de leurs propositions avec celles de la requérante que, bien qu'elles aient appliqué la même méthode de calcul, elles sont arrivées à des montants finals inférieurs.

    Par lettre du 29 mai 1976 (annexe 12 à la requête), la requérante a demandé au « délégué du FED » à Madagascar de bien vouloir intervenir en faveur d'une solution immédiate au problème du rajustement des prix et de lui donner l'assurance que ce rajustement serait opéré en juin 1976. La lettre contenait également un décompte des paiements non encore effectués pour des travaux déjà exécutés. La réponse du délégué à cette lettre en date du 29 juin 1976 (annexe 13 à la requête) confirme, en premier lieu, que la direction générale compétente de la Commission « ne peut pas contester la réalité du préjudice subi ». En deuxième lieu, la lettre semble confirmer qu'à un moment donné les autorités communautaires compétentes étaient parvenues à un accord avec l'administration malgache sur la proposition de la requérante « d'actualiser les prix unitaires des travaux dans lesquels intervient le bitume, à la date de septembre 1975 » ( 1 ). Comme la lettre parle en l'occurrence de l'accord avec l'administration (malgache), il est difficilement pęnsable, en effet, qu'il s'agissait d'autre chose que d'une approbation donnée par les autorités communautaires compétentes. Ainsi, on a clairement suscité l'impression que, du moins initialement, entre la Communauté et la république de Madagascar était effectivement intervenu un accord, non seulement sur le principe de l'indemnisation, mais aussi sur la méthode de calcul à appliquer, qui reprenait la proposition de la requérante. A ces considérations, la lettre ajoutait cependant que la division des projets de la direction était maintenant d'avis qu'une autre méthode de calcul devait être suivie et était en discussion avec les services financiers consultés. Simultanément, le délégué promettait d'informer la requérante aussi rapidement que possible au sujet de la position finale des autorités compétentes à Bruxelles. Enfin, le délégué observait encore, dans trois alinéas terminaux de sa lettre, que l'élaboration de la solution finale dans un deuxième avenant et l'approbation de celui-ci prendraient un certain temps. Il se déclarait toutefois persuadé qu'une solution honnête aux problèmes posés serait apportée à court terme. Il nous semble clair, en tout cas, que cette lettre ne comportait pas encore de prise de position définitive sur la méthode de calcul à appliquer.

    Par lettre du 10 août 1976 adressée à la requérante (annexe 14 à la requête et citations à la page 6 du rapport d'audience), le délégué sur place a, en tout cas, mis fin à toute illusion à cet égard. Cette lettre déclare clairement que la direction concernée (sans qu'il apparaisse toutefois s'il faut entendre par là le directeur généralordonnateur principal) n'était pas d'accord avec la méthode de calcul. Comme la lettre précédente signalait expressément qu'il existait bien un accord sur ce point et parlait seulement de discussions nées à ce sujet par la suite, lesquelles n'avaient pas encore abouti à un résultat, il est un peu étrange de constater que ce retrait manifeste d'un agrément donné précédemment ait été présenté comme le maintien d'une position adoptée précédemment. Pour d'autres particularités de cette lettre, nous renvoyons à son texte et au rapport d'audience. En bref, ces autres particularités consistent dans le fait que le nouveau point de vue était porté à la connaissance des autorités malgaches, en les invitant à étudier de nouvelles formules de révision des prix, ainsi que dans le fait que le délégué conseillait à la requérante d'y apporter son concours. Il nous semble clair qu'une solution du problème de l'indemnisation a ainsi été renvoyée aux calendes grecques ou a, du moins, été fortement retardée, et que la responsabilité de ce retard incombait non pas aux autorités malgaches (à l'ordonnateur local), mais à l'ordonnateur principal, c'est-à-dire à la Communauté. De plus, il nous semble clair, sur la base du texte de la lettre, que la procédure prescrite de concertation interne entre l'ordonnateur principal et l'ordonnateur local n'était pas encore terminée. La lettre invite, en effet, à étudier de nouvelles formules de révision des prix. Il n'est donc pas (encore) question d'une approbation des formules à appliquer finalement. L'opinion selon laquelle la lettre du 10 août 1976 ne comportait pas (ou plus) d'obligation de la Communauté à l'égard de la requérante (page 6 du mémoire de la Commission du 31 mars 1982 et pages 6 et 7 de la duplique) nous paraît exacte en soi. La lettre du 10 août 1976 montre toutefois également, comme nous l'avons déjà dit, que la procédure prescrite de concertation interne entre la Communauté et Madagascar sur le calcul de l'indemnité, en principe reconnue, était poursuivie. Dans cette mesure, la requérante n'avait pas encore de motif, non plus sur la base de cette lettre, de déclarer la Communauté responsable. Comme la lettre restait extrêmement vague sur la méthode de calcul à suivre, la requérante pouvait encore toujours penser qu'une solution satisfaisante se dégagerait finalement. Dans la lettre du délégué à la requérante du 29 juin 1976, à laquelle la lettre du 10 août renvoyait, cet espoir était même exprimé formellement. Il est certain qu'il peut difficilement être reproché à la requérante d'avoir encore attendu la suite de la procédure de concertation, même après la lettre du 10 août 1976. Cette concertation préalable entre la Communauté et Madagascar était, en effet, une condition explicite de l'indemnisation. Cette constatation nous semble être importante en rapport avec la question de savoir si le recours a été introduit à temps.

    La manière dont cette procédure de concertation s'est déroulée exactement entre le 10 août 1976 et le 23 juin 1978 n'est pas apparue clairement au cours de la procédure. Des réponses que la Commission a données à diverses questions posées par vous, Monsieur le Président, lors de l'audience, nous déduisons que la concertation poursuivie entre les deux administrations a abouti alors à un accord sur la méthode de calcul à suivre. Il n'est pas apparu à quel moment cet accord a été atteint, ni pourquoi la requérante n'en a apparemment pas été informée.

    Le 23 juin 1978, la requérante s'est adressée directement à la Commission pour lui demander son intervention immédiate afin que soit réglée la question du rajustement des prix des produits bitumeux (annexe 15 à la requête). Simultanément, elle annonçait qu'à défaut d'une solution dans les meilleurs délais, elle soumettrait l'affaire à un arbitrage.

    Le 26 septembre 1978, un fonctionnaire de la Commission, dont il doit être supposé qu'il était compétent pour ce faire ( 2 ), a répondu à la requérante que sa lettre avait été transmise au délégué de la Commission à Madagascar afin qu'il examine avec l'administration malgache si une décision avait été prise localement. En outre, cette lettre rappelait que toute correspondance concernant le litige devait être adressée à l'administration compétente de Madagascar, dès lors que c'est à celle-ci qu'il appartenait de prendre position sur le bien-fondé de la demande d'indemnité, le FED ne pouvant intervenir qu'à la demande du gouvernement malgache (annexe 16 à la requête).

    Contrairement à ce que la Commission a allégué à l'audience, notamment en réponse à une série de questions de la Cour, nous pensons qu'il est difficilement possible de déduire du texte de cette lettre autre chose que la conclusion selon laquelle la procédure prescrite de concertation interne entre les deux administrations, à laquelle était consacrée la correspondance précitée, n'avait pas encore permis d'aboutir à un accord et que même le bien-fondé en principe des demandes d'indemnité pour les hausses de prix intervenues n'était plus reconnu par la Commission. Vu sous cet angle, nous estimons, tout à fait justifié que le recours soit dirigé spécialement contre cette dernière lettre. Pour la question de savoir s'il y a prescription du délai de recours, c'est donc cette lettre que nous jugeons décisive. Dans toutes les lettres antérieures, le résultat de la procédure prescrite de concertation interne préalable entre les deux administrations était en effet, de toute évidence, encore incertain. C'est seulement sur la base des déclarations faites par la Commission à l'audience, que nous avons relatées tout à l'heure (et impliquant, entre autres, qu'elle s'estime liée par une décision de la commission d'arbitrage, prévue à l'article 316 du cahier des prescriptions spéciales), que cette lettre peut également être interprétée a posteriori en ce sens que la Commission entend finalement que le litige soit résolu conformément aux dispositions concernant le règlement des différends qui sont prévues pour les litiges entre la requérante et les autorités malgaches et qu'elle s'estime liée par une solution intervenant dans ce cadre. Notamment à la lumière des prescriptions imperatives reproduites ci-dessus, la correspondance échangée antérieurement pouvait toutefois difficilement être interprétée par la requérante autrement qu'en ce sens que, sans l'accord préalable du. FED, une concertation de sa part avec les autorités malgaches ou même une procédure d'arbitrage ne pourrait jamais aboutir à un résultat satisfaisant pour elle.

    Par lettre du 21 septembre 1979, la requérante a engagé la procédure d'arbitrage (annexe 13 au mémoire de la Commission du 31 mars 1982). Les arbitres désignés se sont réunis en avril 1980 et ils ont constaté, d'après ce qui est dit à la page 8 du mémoire de la Commission du 31 mars 1982, que la procédure prescrite de conciliation préalable n'était pas épuisée ( 3 ). Précédemment, il était apparu d'une lettre des autorités malgaches à la requérante en date du 16 janvier 1979 (annexe 1 à la duplique) et de la réponse de la requérante à cette lettre en date du 12 mars 1979 (annexe 1 à la réplique) que — sûrement à la suite de la correspondance échangée avec la direction générale du développement — un litige au sujet de la méthode de calcul à appliquer avait effectivement surgi également entre la requérante et les autorités malgaches. De plus, il est constant qu'aussi après l'interruption de la procédure d'arbitrage (pour laquelle la requérante a une autre explication), celle-ci a encore tenté, par lettres du 8 août 1980, du 19 janvier 1981 et du 14 janvier 1982 (annexes 9, 10 et 11 au mémoire de la Commission du 31 mars 1982), d'aboutir à un accord avec les autorités malgaches.

    2.3. C'est sur l'arrière-plan des dispositions réglementaires et contractuelles, citées tout à l'heure, et de la profusion de correspondance et autres faits, que nous avons décrite ensuite, que nous allons tenter maintenant d'apprécier le recours de la requérante. L'échange triangulaire de correspondance entre les deux administrations concernées et la requérante ne fait certainement pas moins penser à des romans de Kafka que la coordination entre deux organismes nationaux dans le domaine de la sécurité sociale, à laquelle la Commission a attribué un pareil caractère kafkaïen dans l'affaire Baccini (voir nos conclusions préalables à l'arrêt du 23 mars 1982 dans l'affaire 79/81, Rec. 1982, p. 1063). Dans Le château et dans Le procès de Kafka, il apparaît certes clairement, comme on le sait, que le citoyen est la victime, mais il n'est pas possible de constater aisément qui en est responsable et quelles prescriptions sont applicables.

    3. La question de recevabilité

    3.1.

    Dans son mémoire du 31 mars 1982, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité du recours (que la Cour a joint au fond, comme on le sait, par ordonnance du 22 septembre de la même année).

    En premier lieu, la Commission prétend à ce sujet que la requérante détourne en l'espèce la finalité de l'article 215, alinéa 2, du traité CEE en vue d'obtenir le paiement par la Communauté d'une créance contractuelle que la requérante a sur la République malgache (point 11 du mémoire). et argument principal de la Commission devra être rejetée à notre avis. Ce que la requérante reproche en effet à la Commission, à juste titre ou à tort, c'est de ne pas avoir donné l'accord préalable, prescrit à l'article XX de la convention de financement en cause, sur la demande d'indemnité introduite par la requérante auprès de l'administration malgache et jugée fondée par cette dernière. De ce fait, la Commission aurait rendu d'avance le versement de cette indemnité impossible, même après une éventuelle décision arbitrale favorable. Ensuite, la requérante reproche à la Commission (à juste titre ou à tort) d'être revenue, de nombreux mois plus tard, sur son accord initial, tant en ce qui concerne le principe de l'indemnisation qu'en ce qui concerne le principe du préjudice et de l'avoir renvoyée finalement, après près de trois ans et sans prendre clairement position de manière définitive, à l'administration malgache. Le recours de la requérante est donc dirigé manifestement contre un acte de la Commission qui lui a fait grief. Le texte de la correspondance produite montre aussi que tant les autorités malgaches que le délégué sur place du FED et les services à Bruxelles ont constamment donné à penser à la requérante que l'accord de la Commission était une condition préalable à la satisfaction de ses demandes. Cela correspond entièrement, comme nous l'avons déjà fait observer, avec le texte de l'article XX de la convention de financement. La responsabilité pour le retard qui s'est ainsi produit dans l'examen de la demande d'indemnité, sinon pour son rejet total ou partiel comme le prétend la requérante, doit être attribuée à la Commission et à personne d'autre.

    3.2.

    L'invocation de la jurisprudence de la Cour en matière agricole, dont la Commission se prévaut sous ce rapport, doit tout simplement être rejetée. Contrairement à ce qui est le cas ici d'après notre analyse des dispositions concernées, les actes d'exécution nationaux des États membres, dont il est question dans cette jurisprudence en matière agricole, ne sont pas soumis, en effet, à un accord préalable de la Commission, comme la requérante aussi l'a observé dans ses mémoires. Nous répétons à ce propos que tant l'administration malgache que les fonctionnaires communautaires concernés (notamment le délégué local) n'ont cessé de souligner cette nécessité d'un accord préalable et ont itérativement demandé à la requérante, sous ce rapport, de faire preuve d'un peu de patience.

    L'arrêt Ireks-Arkady (affaire 238/89, Rec. 1979, p. 2955), qui est cité au point 15 du mémoire susmentionné, reconnaît du reste qu'un recours introduit contre la Communauté sur la base de l'article 215, alinéa 2, est recevable s'il ne tend pas à obtenir le paiement d'un montant qui est dû (définitivement) en vertu de la réglementation communautaire (à appliquer par les autorités nationales) et si le juge national ne peut pas donner suite à cette demande. Le fait que la Commission tire de cet arrêt une conclusion différente doit indubitablement être mis en relation avec son opinion — indéfendable, comme nous l'avons déjà dit — selon laquelle le recours n'est pas dirigé en fait contre des actes de la Communauté même (le blocage de l'accord préalable requis et la pression exercée sur la requérante jusqu'à la lettre du 26 septembre 1978 pour qu'elle attende cet accord). C'est également à tort que la Commission invoque l'arrêt dans l'affaire Grands Moulins des Antilles (affaire 99/74, Rec. 1975, p. 1531), puisque l'attendu 24 de cet arrêt déclare expressément que — contrairement à la situation dans l'affaire actuelle — « ses droits éventuels [c'est-à-dire ceux de l'entreprise Grands Moulins] à l'égard de celles-ci [c'est-à-dire des autorités nationales] ne sauraient dépendre d'une autorisation préalable de financement par la Communauté » (précisions entre crochets et soulignement ajoutés par nous).

    La mesure dans laquelle, malgré l'autorisation préalable de financement exigée en revanche par les prescriptions applicables dans l'affaire actuelle, une telle autorisation n'était pas exigée néanmoins dans les faits peut seulement être déterminée par un examen au fond. Les considérations que la Commission a consacrées à cette question dans sa première plaidoirie à l'audience font apparaître qu'à ce moment-là encore, la Commission subordonnait le financement de l'indemnité à verser, et donc, en fait, son paiement, à cet accord préalable. Au surplus, il reste en toute hypothèse la question de la responsabilité de la Commission pour avoir donné, pendant près de trois ans, le sentiment que cette autorisation préalable était effectivement requise.

    3.3.

    Enfin, l'exception que la Commission tire de la prescription de l'action doit également être rejetée. Notre analyse des faits montre déjà (voir paragraphe 2.2 de nos présentes conclusions) que le recours de la requérante est basé à juste titre, selon nous, sur la lettre de la Commission du 26 septembre 1978. C'est pourquoi nous nous bornerons pour l'essentiel à renvoyer à cette analyse. Les lettres antérieures des 29 juin et 10 août 1976 permettaient, en tout cas, à la requérante d'en déduire que la concertation entre la Commission et les autorités malgaches n'était pas encore terminée. Nous ajouterons simplement une nouvelle fois, à titre de précision, que l'indemnité demandée dans la requête concerne le préjudice que la Commission a causé à la requérante en rejetant, après l'avoir d'abord approuvée, la méthode de calcul du préjudice proposée par la requérante et en renvoyant finalement celle-ci, par la lettre précitée, aux autorités malgaches, sans indiquer clairement que la procédure de concertation entre la Commission et Madagascar sur une autre formule était terminée. On n'a certainement pas indiqué clairement sur quelle base cette procédure de concertation avait éventuellement été clôturée, et cela malgré le fait que, du côté de la Commission, comme nous l'avons déjà dit, on avait constamment expliqué à la requérante, au cours des phases antérieures, qu'elle devait attendre une prise de position claire de la Commission en la matière, ou sinon un deuxième avenant, avant de pouvoir régler le problème avec les autorités malgaches. A notre avis, le recours a donc bien été formé dans le délai prescrit de cinq ans à partir de l'acte de la Commission qui a finalement été décisif pour le préjudice allégué.

    3.4.

    L'exception d'irrecevabilité du recours, soulevée par la Commission, doit, par conséquent, être rejetée, selon nous. Cette constatation n'est pas non plus modifiée a posteriori par le fait qu'au cours de la dernière phase de la procédure orale, la Commission a déclaré, en réponse à des questions posées par la Cour, qu'elle s'estime liée par une décision arbitrale du genre décrit précédemment, malgré les dispositions en la matière allant en sens contraire. Cette déclaration laisse à tout le moins entier le préjudice considérable que la requérante a subi sous la forme d'une perte d'intérêts suite aux actes des institutions communautaires. Il est toutefois pensable que les retards occasionnés par la Commission ne permettent plus non plus la reprise des procédures internes à Madagascar, notamment la réouverture de la procédure d'arbitrage après épuisement des procédures locales de conciliation. Durant la procédure, aucune des parties n'a pu donner d'indication à ce sujet.

    Ensuite, il faut en tout cas déduire des déclarations de la Commission à l'audience que, même en cas de reprise de la concertation avec la requérante, l'administration malgache ne peut pas s'écarter de la position que la Commission a prise entre-temps en ce qui concerne la méthode de calcul, si elle veut que l'indemnité à payer soit financée par le FED. Cette conséquence juridique de la lettre de la Commission à la requérante du 26 septembre 1978 est donc déjà définitive maintenant.

    Notre conclusion en ce qui concerne la recevabilité n'est pas non plus infirmée par la circonstance que tant avant qu'après la lettre du 26 septembre 1978, la requérante a aussi eu certaines divergences d'opinions avec les autorités malgaches. Avant la lettre du 26 septembre 1978, ces divergences d'opinions concernaient, d'après les annexes 11 et 12 à la requête, le montant de l'indemnité dérivant de la méthode de calcul proposée par la requérante et acceptée initialement, en soi, par lesdites autorités. Après la lettre du 26 septembre 1978, les divergences d'opinions concernaient une autre méthode de calcul, proposée alors par ces autorités en raison des objections formulées par la Commission à l'encontre de la méthode de calcul initiale (voir la lettre de la requérante du 12 mars 1979, annexe 1 à sa réplique). Il est logique qu'à cause des griefs exprimés par la Commission à l'endroit de la méthode de calcul initiale, la requérante ait finalement, en rapport avec les prescriptions concernés, relatives à l'accord préalable de la Commission, estimé qu'une poursuite de la procédure d'arbitrage sur l'application de cette méthode de calcul, après épuisement des procédures internes de conciliation de Madagascar, n'avait pas de sens.

    4. L'appréciation au fond

    4.1.

    Il apparaît de notre analyse des faits (paragraphe 2.2 des présentes conclusions) que la Commission reconnaît, en principe, tant la réalité d'un préjudice que l'existence d'un droit à obtenir réparation de celui-ci. La mesure dans laquelle la Commission a aussi accepté initialement la méthode de calcul du préjudice à indemniser proposée par la requérante et par l'administration malgache ne nous semble pas, finalement, avoir une importance décisive pour la présente procédure. Dans la requête, le montant (contesté) du préjudice subi est en tout cas concrétisé suffisamment. La contestation de ce montant par la Commission ne nous paraît pas non plus importante pour l'actuelle procédure.

    4.2.

    Ce que la Commission conteste principalement au fond est l'affirmation selon laquelle ce préjudice serait dû à des fautes de ses services. Sur ce point, il est certain, sur la base de notre analyse détaillée des faits, que, par l'intermédiaire de ceux de ses fonctionnaires qui ont signé les lettres en cause, la Commission a bloqué le règlement de l'indemnité demandée, au moins jusqu'au 21 septembre 1978. Ensuite, la Commission a déclaré expressément à la fin de la procédure orale, en réponse à des questions de la Cour, qu'elle honore aussi financièrement des décisions arbitrales en la matière, telles qu'elles sont prévues dans les prescriptions concernées. Ne fût-ce que pour cette raison, l'illégalité dudit blocage est donc établie également, à notre avis. Le fait que ce blocage de la concertation entre l'administration malgache et la requérante a été causé par les lettres de fonctionnaires de la Commission à la requérante apparaît enfin clairement des textes des lettres citées. Également les lettres à la, requérante des 29 juin 1976, 10 août 1976 et 21 septembre 1978, dont il apparaît que la Commission s'est abstenue de donner son accord préalable à la méthode de calcul proposée par la requérante, d'abord provisoirement, puis seulement d'une manière clairement définitive le 21 septembre 1978, doivent être considérées comme ayant des conséquences juridiques défavorables et péremptoires pour les intérêts de la requérante. Par ce comportement, sauf la possiblité, apparue seulement par la suite, de neutraliser ces conséquences juridiques par un recours à la procédure d'arbitrage mentionnée, l'importante possibilité concrète que l'indemnité demandée puisse être financée par le FED a en effet été anéantie. Notamment la possibilité d'un accord direct avec les autorités malgaches sur la base des propositions de la requérante a, en tout cas, été annihilée, comme nous l'avons montré tout à l'heure (au paragraphe 3.4). En outre, pas plus que n'importe quelle lettre antérieure, la lettre du 21 septembre 1978 ne donnait aucune indication à la requérante sur une formule de révision qui lui aurait effectivement permis d'aboutir à un accord avec les autorités en question, et cela malgré l'annonce antérieure d'une prise de position définitive à ce sujet. D'après l'arrêt de la Cour du 15 mars 1967 dans les affaires CBR Cementbedrijven e.a. (affaires jointes 8 à 11/66, Rec. 1967, p. 93), sur lequel la Commission s'est appuyée à tort dans la procédure, des lettres entraînant de pareilles conséquences doivent être considérées comme des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours. Selon les circonstances, il pourra s'agir d'un recours en annulation ou d'un recours en indemnité.

    4.3.

    Enfin, il existe également un lien de causalité entre lesdites mesures de blocage de la part de la Commission et le (ou au moins une partie du) préjudice subi par la requérante. Non seulement sur la base des prescriptions reproduites au paragraphe 2.1 de nos conclusions, mais aussi sur la base de la correspondance échangée avec elle, dont nous avons analysé le texte au paragraphe 2.2, la requérante devait effectivement arriver à la conclusion que l'accord préalable de la Commission (ordonnateur principal) sur la demande d'indemnité présentée par elle, ainsi que sur la méthode de calcul du préjudice subi proposée par elle, était une condition préalable à une concertation fructueuse avec les autorités malgaches (ordonnateur local, qu'il faut bien distinguer du contrôleur délégué sur place du FED, lequel est un fonctionnaire de la Commission), voire une condition préalable à un arbitrage.

    4.4.

    S'il devait apparaître que, par suite de la responsabilité reconnue en principe sur la base de l'article 304 du premier avenant précité (c'est-à-dire d'une responsabilité contractuelle cette fois), les possibilités de concertation, de conciliation ou d'arbitrage à Madagascar n'existent plus entre-temps pour des raisons de fait ou de droit (par exemple pour cause de prescription du droit à un arbitrage), la Commission devra être déclarée responsable de tout le préjudice. Si, en revanche, soit un règlement avec les autorités malgaches (à l'inclusion des instances de conciliation), soit une décision de la commission d'arbitrage intervient encore, la Commission pourra seulement être attraite par la requérante devant cette Cour afin d'obtenir réparation de la perte d'intérêts que les mesures de blocage lui ont causée * et qu'elle a fait valoir dans la requête. D'après les déclarations de la Commission au cours de la procédure orale, la décision de la commission d'arbitrage ou un accord réalisé éventuellement plus tôt avec les autorités malgaches ( 4 ) sera en effet honoré. Il ne semble toutefois pas probable que la commission d'arbitrage s'estimera également compétente pour se prononcer sur les faits extraordinaires causés par la Commission à la requérante.

    4.5.

    Compte tenu des incertitudes que nous venons de décrire, un arrêt interlocutoire nous paraît finalement inévitable. Un renvoi partiel et provisoire de la requérante aux autorités locales, en vue du règlement final de l'indemnisation, sera en effet nécessaire. Pour ce motif, mais également en raison de la confusion que la Commission a créée par son comportement au sujet de la répartition exacte des responsabilités entre la Communauté et la république de Madagascar, la formulation de votre arrêt sous cet angle aura une grande importance pour la requérante, comme aussi pour les autorités malgaches et pour la commission d'arbitrage. Il pourra notamment être pris acte dans votre arrêt, selon nous, de toutes les déclarations citées, que la Commission a faites en la matière au cours de la procédure orale en réponse à des questions de la Cour. De surcroît, votre arrêt pourra également avoir de l'importance pour la solution de problèmes comparables qui sont susceptibles de se poser lors de l'exécution d'autres projets du FED. Dans le « château de Kafka », que la Commission a créé, la clarté nécessaire pourra ainsi être faite en ce qui concerne les responsabilités.

    5. Conclusion

    Sur la base de nos considérations qui précèdent, nous vous proposons dès lors de rendre un arrêt interlocutoire:

    5.1.

    déclarant le recours de la requérante fondé, sauf en ce qui concerne le montant du préjudice à réparer par la Communauté;

    5.2.

    surséant à la fixation du montant du préjudice à réparer par la Communauté jusqu'après la date à laquelle la requérante aura épuisé les moyens disponibles pour régler ses différends avec les autorités malgaches compétentes (concertation directe avec ces autorités, procédures de conciliation en vigueur sur place et procédure d'arbitrage prévue dans le contrat d'adjudication);

    5.3.

    enjoignant à la requérante de faire rapport tous les six mois à la Commission et à la Cour sur l'état du règlement de son litige avec les autorités compétentes de la république de Madagascar, et de faire rapport à la Commission et à la Cour sur l'épuisement des moyens disponibles pour la solution du litige;

    5.4.

    enjoignant aux deux parties de faire rapport à la Cour, dans les six mois suivant le rapport cité en dernier lieu, sur les éventuelles divergences d'opinions subsistant encore à propos de l'étendue de la responsabilité de la Communauté existant encore à ce stade;

    5.5.

    condamnant la Commission aux dépens jusqu'au stade actuel de la procédure.

    Enfin, nous remarquerons encore qu'en rapport avec la responsabilité résiduaire de la Communauté, que nous avons reconnue en principe, la Commission a naturellement un intérêt à favoriser elle aussi, de son côté, un règlement rapide du litige entre la requérante et les autorités compétentes de la république de Madagascar. Nous estimons souhaitable que la Commission soit condamnée dès à présent aux frais judiciaires exposés jusqu'à maintenant, parce que la solution proposée prendra sûrement encore beaucoup de temps. C'est pourquoi nous n'estimons pas raisonnable de faire supporter provisoirement à la requérante ses propres dépens, en attendant l'arrêt définitif.


    ( *1 ) Traduit du néerlandais.

    ( 1 ) Voir le dernier alinéa de la page 2 de la lettre en question. En raison de la répartition des compétences citée, sur laquelle la Commission a tant insisté au cours de la procédure, la requérante pouvait assurément supposer que cet accord avait été atteint par les autorités communautaires compétentes. Dans cette mesure, l'interprétation que la Commission donne de ce passage à la page 7 du mémoire en défense et à la page 6 de la duplique n'est pas digne de foi.

    ( 2 ) Cette compétence n'a, en tout cas, jamais été contestée par la Commission au cours de la procédure devant la Cour, mais a plutôt été reconnue implicitement.

    ( 3 ) La justesse de ces affirmations de la Commission n'a pas pu être confirmée ni infirmée par l'avocat de la requérante à l'audience, étant donné qu'il n'était pas informé suffisamment sur le déroulement de la procédure d'arbitrage.

    ( 4 ) C'est-à-dire, dans ce dernier cas, dans le cadre des conditions fixées par la Commission pour la méthode de calcul.

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    CONCLUSIONS COMPLÉMENTAIRES DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

    présentées le 26 février 1985 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. Introduction

    Les observations écrites et orales que les parties ont présentées après la réouverture de la procédure orale nous amènent à prendre position comme suit, en complément de nos conclusions du 10 avril 1984. Rappelons tout d'abord que la réouverture de la procédure orale devant la Cour a été engagée par une lettre dans laquelle les cinq questions suivantes ont été posées aux parties:

    Première question

    « La Commission peut-elle préciser, même d'une façon approximative, quel est, à son avis, le montant du préjudice subi à cause des ‘difficultés qui ont surgi à propos du règlement des travaux faisant intervenir des produits bitumineux après les hausses brutales du bitume en novembre 1973 et en mars 1974’, dont la direction générale du développement était, comme il résulte de la lettre, du 29 juin 1976, du délégué du FED, ‘parfaitement informée’? »

    Deuxième question

    « Existe-t-il, la lettre du délégué de la Commission du 29 juin 1976 mise à part, d'autres éléments pour étayer la thèse que la Commission a reconnu le caractère justifié d'une réparation? »

    Troisième question

    'administration nationale malgache admetelle le principe de la révision des prix litigieux et un accord a-t-il été établi à ce sujet entre le Fonds européen de développement (FED) et cette administration? »

    Quatrième question

    « La Commission peut-elle dire à la Cour pour quelle raison le problème relatif aux prix litigieux, apparu à la fin de l'année 1973, n'avait pas encore été réglé lors de l'introduction du recours le 20 janvier 1982, soit neuf années après »?

    Cinquième question

    « La requérante et la Commission sont priées de s'expliquer sur les questions de savoir si, au cours des négociations relatives à la révision des prix litigieux, la requérante a manifesté l'intention de discontinuer les travaux dans l'attente d'une telle révision et si elle a décidé de poursuivre les travaux suite à des promesses ou des assurances données par le délégué de la Commission. »

    Les nouveaux éléments les plus importants figurent dans les réponses à la deuxième et à la troisième question. Ces nouveaux éléments ont également de l'importance pour l'appréciation des réponses données aux autres questions. C'est pourquoi nous allons examiner d'abord ces nouveaux éléments.

    2. Réponses à la requérante aux deuxième, troisième et quatrième questions

    2.1.

    Les annexes 8 à 15 au mémoire comportant la réponse de l'entreprise Murri frères aux questions de la Cour (réponse qui a été enregistrée le 20 septembre 1984) n'ont pas été produites devant la Cour précédemment. Elles montrent qu'au cours de la période postérieure à la lettre du délégué du FED du 10 août 1976, Murri frères n'est pas restée inactive, mais a tenté jusqu'au 21 janvier 1978 d'aboutir directement à un accord avec l'admnistration malgache. Ces éléments ont notamment de l'importance en rapport avec votre quatrième question relative aux causes de la longue durée de l'examen de la demande de révision des prix. Le seul autre fait nouveau de quelque importance (en rapport avec votre deuxième et votre troisième question), que nous ayons trouvé dans ces lettres, est la communication verbale de l'admnistration malgache du 2 septembre 1977, mentionnée à la page 4 de l'annexe 13, qui montre que cette administration maintenait encore toujours à cette époque son point de vue concernant la méthode à suivre pour le réajustement des prix (alors qu'environ un an s'était écoulé depuis la lettre du 10 août 1976, par laquelle le délégué avait signalé, entre autres, à la requérante que la Commission avait demandé à ladite administration d'examiner les formules de révision des prix proposées par la Commission). Pour le surplus, ces nouveaux documents ne comportent rien qui exigerait que nous modifiions ou complétions nos conclusions antérieures.

    2.2.

    Une importance plus grande en rapport avec vos deuxième et troisième questions aux parties présentent, en revanche, les nouveaux documents que la requérante a déposés par son mémoire ampliatif du 9 octobre 1984 (et qu'elle a reçus, d'après ce qu'elle nous a dit à l'audience, de l'administration malgache). La lettre du 26 mars 1976, adressée par le délégué du FED au secrétaire général du ministère des Travaux publics de Madagascar et qui constitue l'annexe 1 à ce mémoire ampliatif, confirme que le délégué n'avait pas d'objection contre les prix unitaires révisés pour le bitume qui lui avaient été présentés, sauf en ce qui concerne une quantité de bitume de 2400 tonnes, qui aurait dû être amenée sur place, d'après le contrat, dès avant le mois de décembre 1973 et qui aurait donc également dû être achetée avant les hausses de prix des produits pétroliers. La lettre comporte, en outre, les règles pour la révision des prix sur la base des nouveaux prix unitaires, qui devaient être appliquées de l'avis du délégué et qui devaient ensuite être fixées dans un ordre de service pour le bitume utilisé après la date précitée. Enfin, l'attention de l'administration malgache était attirée sur le retard dans l'exécution des travaux qui résulterait d'un règlement immédiat de la révision des prix en raison des crédits disponibles limités.

    Dans la lettre suivante du délégué, au même secrétaire général en date du 15 avril 1976, qui est jointe comme annexe 2, l'évidence de la nécessité d'une pareille révision des prix est, certes, confirmée. Cette fois, la lettre ajoute cependant que la division concernée à Bruxelles a donné la préférence à un réexamen global de la formule de révision des prix. Comme motif, la lettre mentionnait le souhait d'exclure l'effet, sur la formule de révision des prix, de deux paramètres favorables à la requérante. Le délégué priait l'administration malgache de lui faire de nouvelles propositions sur cette base.

    De la réponse du secrétaire général datée du 18 mai 1976 (annexe 3), il apparaît que celui-ci estimait la solution de rechange proposée contraire aux conditions initiales de l'adjudication. En outre, il conteste de manière motivée le point de vue de la Commission selon lequel, en cas de révision des seuls prix unitaires du bitume, Murri frères bénéficierait, par comparaison à d'autres adjudicataires, d'un avantage injuste. Il répète que la formule de révision des prix convenue avec Murri frères lui semble être la seule formule correcte et il rappelle que le délégué avait du reste marqué son accord sur elle, sauf en ce qui concerne les 2400 tonnes citées tout à l'heure, pour lesquelles, à son avis non plus, les prix ne devaient pas être révisés.

    La lettre de l'ingénieur en chef compétent de Madagascar au délégué du FED du 2 décembre 1976 (annexe 4 au mémoire ampliatif) confirme qu'il avait été convenu que toutes les réclamations de la requérante (notamment le problème du bitume et les indemnités cycloniques) seraient réglées à la fin des travaux, « conformément aux chiffres arrêtés lors de la dernière mission de programmation FED ».

    3. Les réponses de la Commission à vos deuxième et troisième questions

    Les nouveaux éléments précités font partie de la réponse de la requérante aux deuxième et troisième questions de la Cour. La réponse de la Commission à votre deuxième question déclarait qu'il n'existait, à son avis, aucun élément susceptible d'étayer ladite thèse. A la lumière des éléments que nous avons mentionnés dans nos premières conclusions et des nouveaux éléments produits par la requérante, cette réponse de la Commission peut difficilement être comprise autrement qu'un désaveu des lettres que son délégué a écrites à la requérante et aux autorités compétentes de Madagascar. De la même manière, la Commission semble désavouer par cette réponse les déclarations faites par ses représentants lors de la première audience et que nous avons citées dans nos conclusions antérieures. Le fait que le délégué ait reconnu dans les lettres en question qu'une indemnité pour le préjudice causé par la hausse du prix du bitume était justifiée, peut difficilement être nié.

    En ce qui concerne la troisième question posée par la Cour, la Commission reconnaît dans sa réponse écrite que l'administration malgache inclinait initialement à rechercher une solution en procédant à l'actualisation des prix unitaires, comme Murri frères le demandait. A la deuxième partie de votre troisième question [demandant si un accord a été conclu à ce sujet entre le Fonds européen de développement (FED) et cette administration], la Commission répond d'une manière quelque peu evasive, dans son mémoire, qu'à la suite de contacts entre la Commission et l'administration malgache, cette dernière s'est prononcée en faveur de la méthode de refonte globale des formules de révision des prix, comme son délégué l'avait déjà exposé dans sa lettre à Murri frères du 10 août 1976. En outre, la Commission rappelle dans sa réponse que par lettre du 16 janvier 1979, l'administration malgache a invité la requérante à collaborer à l'application de cette formule.

    Nous observerons en premier lieu, à propos de cette réponse, que les lettres de l'administration malgache que la requérante a produites maintenant montrent d'une manière irréfutable que l'administration malgache a effectivement reconnu tant le principe de la nécessité d'une révision des prix que la justesse en principe de la méthode de révision proposée par la requérante. En deuxième lieu, nous remarquerons que contrairement à ce que la Commission suggère dans sa réponse, il n'apparaît nullement de la lettre du 10 août 1976 que l'administration malgache fût déjà d'accord à cette date avec la méthode globale proposée par la Commision. Ainsi que nous l'avons déjà signalé dans nos conclusions antérieures, il apparaît uniquement de cette lettre que la Commission avait invité l'administration malgache à examiner la nouvelle formule de révision des prix, qu'elle estimait plus correcte, et que le délégué a conseillé à la requérante de collaborer à cet examen. Sur la base de l'annexe 13 à la réponse de la requérante, que nous avons citée tout à l'heure, il nous semble plausible que même en septembre 1977, l'administration malgache maintenait encore son point de vue initial sur la méthode de révision des prix.

    Enfin, la réponse de la Commission à une question que nous-même lui avons posée à l'audience indique que, contrairement à ce que nous avjons estimé vraisemblable dans nos conclusions initiales, aucun accord n'a jamais été conclu entre le Fonds européen de développement et l'administration malgache au sujet de l'effet de la méthode de révision des prix souhaitée par la Commision d'après la lettre du 10 août 1976 (par exemple sous la forme d'un projet d'avenant). C'est seulement de la lettre de l'administration malgache à la requérante du 16 janvier 1979 que la Commission a tiré la conclusion que l'administration malgache avait finalement marqué son accord sur la méthode de révision des prix souhaitée par la Commission. Il eût donc en fait été plus correct que la Commission réponde à la deuxième partie de votre troisième question par la négative. C'est pourquoi nous maintenons la conclusion à laquelle nous sommes arrivé précédemment (au paragraphe 4.2 de nos conclusions du 10 avril 1984, à savoir que du moins jusqu'au 26 septembre 1978, la Commission a bloqué irrégulièrement le règlement de l'indemnisation demandée. Dans sa réponse à notre question à l'audience, la Commission n'a même pas pu signaler le moindre élément concret donnant une quelconque indication sur le résultat de sa concertation avec les autorités de Madagascar après le 10 août 1976.

    4. La réponse de la Commission à votre première question

    En réponse à votre première question, la Commission a déclaré dans son mémoire qu'elle n'était pas en mesure de préciser le montant du réajustement éventuel du prix du marché qui pourrait résulter de la prise en considération de la hausse du prix du bitume intervenue entre novembre 1973 et mars 1974. Puis, elle remarque que la requérante aurait pu éviter les conséquences des augmentations de prix en question si elle avait commandé la quantité de bitume nécessaire, comme elle aurait dû le faire, avant les derniers mois de l'année 1973.

    Eu égard à la correspondance produite par la requérante, cette dernière remarque nous paraît tout au plus défendable en ce qui concerne les 2400 tonnes de bitume, évoquées tout, à l'heure, que la requérante aurait dû utiliser, d'après le contrat, avant la fin de 1973. Indépendamment de la question de savoir si la requérante a raison lorsqu'elle prétend que pour des motifs techniques, le bitume peut être approvisionné, au plus, un mois avant son utilisation, il nous paraît en tout cas indéfendable d'opposer après coup à la requérante qu'elle aurait dû tenir compte, lors de ses achats, des hausses de prix des produits pétroliers, qui n'étaient pas prévisibles à l'époque et, partant, acheter le bitume nécessaire dès avant ces hausses. Dans l'optique de nos conclusions antérieures, cet aspect devrait, du reste, être soumis à la commission d'arbitrage, avant que la Cour prenne une décision définitive. Plus important, sous l'angle de la réponse dans son ensemble, nous paraît toutefois être le fait que (à l'audience non plus) la Commission n'a pas contesté le passage de la lettre de l'ingénieur en chef de Madagascar cité par nous tout- à l'heure et disant qu'un accord avait été réalisé sur les chiffres de- l'indemnisation. A l'audience, elle a seulement déclaré sur ce point que la production de la correspondance jointe au mémoire ampliatif de la requérante lui paraissait douteuse. En outre, en réponse à une question posée par nous-même, elle a déclaré, ainsi que nous l'avons déjà dit, qu'elle ne disposait pas de données sur le résultat de la concertation entre la Commission et Madagascar après le mois d'août 1976.

    5. La réponse de la Commission à votre quatrième question

    La Commission attribue le retard intervenu à la lenteur dont l'administration malgache a fait preuve entre le mois d'août 1976 et le mois de janvier 1979, ainsi qu'au manque total de collaboration de la part de la requérante, qui a donné la préférence à une procédure d'arbitrage, pour ensuite l'abandonner. Elle rejette toute responsabilité propre de ce retard et elle rappelle que son intervention dépendait de l'existence d'une proposition de l'État associé, qu'elle aurait invité, dès le mois d'août 1976, à étudier une pareille proposition. Enfin, elle souligne que son obligation éventuelle d'intervenir se limite, d'après l'article 25, du règlement no 229/72 du 28 janvier 1972, déterminant les modalités de fonctionnement du Fonds européen de développement, aux cas dans lesquels l'ordonnateur principal se substitue à l'ordonnateur local en raison d'un retard dans l'acquittement d'une somme incontestablement due.

    A propos de cette réponse, nous observerons tout d'abord qu'elle concerne seulement les retards intervenus après le 10 août 1976. Ensuite nous rappellerons la conclusion à laquelle nous sommes arrivé précédemment, à savoir que la Commission doit au moins être considérée comme responsable du blocage (irrégulier, selon nous) du règlement de l'indemnisation jusqu'au 26 septembre 1978.

    6. La réponse des parties à votre cinquième question

    La réponse de la Commission à votre cinquième question, consistant notamment à dire que le délégué n'avait pas marqué son accord sur la correction des prix unitaires concernés, nous paraît encore plus contestable, à la lumière des lettres que la requérante a produites maintenant, qu'elle ne l'était déjà sur la base des documents que nous avons analysés dans nos conclusions du 20 avril 1984.

    7. Observations finales et conclusion

    Les plaidoiries des parties à l'audience appellent peu d'observations complémentaires de notre part. La plaidoirie de la requérante renforce le fondement matériel des conclusions auxquelles nous sommes arrivé précédemment. La Commission avait sûrement raison de dire, comme elle l'a fait à l'audience, que le FED comme tel n'avait pas pris des engagements contraignants à l'égard de la requérante. Ainsi qu'il apparaît de notre exposé qui précède, nous ne sommes cependant pas d'avis que la responsabilité de la Commission repose sur de pareils engagements. Ce ne serait du reste pas pensable dans le cadre de la répartition des compétences entre le FED et Madagascar, comme la Commission l'a observé à juste titre dans la suite de sa plaidoirie. Son renvoi, sous ce rapport, à votre arrêt du 10 juillet 1984 dans l'affaire 126/83 (STS Consorzio/Commission, Rec. 1984, p. 2769) nous semble toutefois non pertinent, notamment parce que le point 20 des motifs de cet arrêt a expressément laissé ouverte, entre autres, la question de la possibilité d'une invocation de l'article 215, alinéa 2, du traité CEE. La responsabilité de la Commission, nous continuons de la baser notamment, ainsi que nous l'avons déjà dit, sur le blocage irrégulier d'un accord entre la requérante et les autorités de Madagascar. Sous réserve des observations complémentaires que nous avons faites à ce sujet aujourd'hui, nous maintenons donc l'appréciation que nous avons exprimée à ce propos au paragraphe 4.2 de nos conclusions du 20 avril 1984.

    Enfin, selon nous, l'exposé qui a été fait à l'audience présente un certain intérêt en réponse à des questions posées par la Cour, au sujet des raisons pour lesquelles la Commission ne pouvait pas accepter la méthode de révision des prix proposée par Madagascar. Nous estimons ne pas être en mesure de juger si ces arguments sont défendables à la lumière des arguments en sens contraire des autorités de Madagascar, tels qu'ils ont été présentés par la requérante. Nous restons toutefois d'avis, notamment, que compte tenu de la répartition des compétences entre la Communauté et Madagascar, seule la Commission d'arbitrage peut prononcer, sur ce point décisif du litige, une sentence qui, ainsi que nous l'avons déjà constaté dans nos conclusions antérieures, devra également être considérée comme liant la Communauté.

    Pour conclure, les nouveaux éléments qui sont apparus après la réouverture de la procédure orale — et qui sont partiellement importants — justifient donc uniquement, à nos yeux, le maintien, sans modification, de la proposition que nous vous avons faite le 10 avril 1984, sous réserve toutefois de compléter et de modifier les motifs, que nous avons indiqués alors, dans le sens exposé dans les présentes conclusions ampliatives.


    ( *1 ) Traduit du néerlandais.

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