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Document 61981CC0108

Conclusions jointes de l'Avocat général Reischl présentées le 23 septembre 1982.
G. R. Amylum contre Conseil des Communautés européennes.
Affaire 108/81.
SA Roquette Frères contre Conseil des Communautés européennes.
Affaire 110/81.
Tunnel Refineries Limited contre Conseil des Communautés européennes.
Affaire 114/81.
Isoglucose.

Recueil de jurisprudence 1982 -03107

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1982:310

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 23 SEPTEMBRE 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les affaires 108, 110 et 114/81 présentant pour l'essentiel les mêmes pro blêmes, nous nous permettons de les traiter ensemble dans le cadre des mêmes conclusions.

Il s'agit une nouvelle fois de l'isoglucose, cet édulcorant liquide que nous connaissons déjà au travers d'autres affaires. Étant donné que les dispositions de droit communautaire applicables à l'isoglucose ont déjà été maintes fois exposées devant la Cour, nous pouvons à présent nous limiter dans nos remarques introductives à quelques observations essentielles.

Le Conseil a adopté le 17 mai 1977 le règlement no 1111/77, établissant des dispositions communes pour l'isoglucose (JO L 134 du 28. 5. 1977, p. 4 et suiv.). Ce règlement prévoyait en son titre II (articles 8 et 9) que, pour les campagnes sucrières 1977-1978 et 1978-1979, les États membres percevraient du fabricant d'isoglucose une cotisation à la production d'un montant ne pouvant être supérieur, pour la période correspondant à la première campagne sucrière précitée, à 5 unités de compte pour 100 kg de matière sèche. Par règlement du Conseil no 1298/78 du 6 juin 1978 (JO L 160 du 17. 6. 1978, p. 9 et suiv.), le règlement no 1111/77 a été modifié, en ce sens qu'une cotisation à la production d'isoglucose serait également perçue pour la période correspondant à la campagne sucrière 1979-1980 et que, pour la période correspondant à la campagne sucrière 1978-1979, on en resterait à une cotisation de 5 unités de compte pour 100 kg de matière sèche.

Le régime précité a été attaqué par les producteurs d'isoglucose, qui ont utilisé à cette fin plusieurs voies de recours en saisissant des juridictions nationales, qui ont à leur tour saisi la Cour, conformément à l'article 177 du traité CEE, de la question de validité du règlement no 1111/77, cependant que certains d'entre eux formaient un recours direct devant la Cour, dans le but d'obtenir une indemnité, suite à l'adoption du règlement précité. C'est ainsi que par arrêt du 5 octobre 1978 rendu dans les affaires préjudicielles 103/77 et 145/77 ( 2 ), la Cour a déclaré que le règlement no 1111/77 n'était pas valide, dans la mesure où ses articles 8 et 9 imposaient une cotisation à la production d'isoglucose de 5 unités de compte pour 100 kg de matière sèche pour la période correspondant à la campagne sucrière 1977-1978. Le fait décisif à cet égard était, selon la Cour, que le régime instauré était incompatible avec le principe général d'égalité. Le 5 décembre 1979, la Cour a rendu son arrêt dans les recours en responsabilité pour faute de service 116 et 124/77 ( 3 ). Dans cet arrêt, la Cour a déclaré qu'il n'y avait pas de responsabilité extracontractuelle de la Communauté au motif que même si la fixation de la cotisation à la production de l'isoglucose de 5 unités de compte pour 100 kg de matière sèche était entachée d'erreur, il y avait néanmoins lieu d'observer que, compte tenu du fait qu'une cotisation appropriée était pleinement justifiée, l'erreur n'était pas d'une gravité telle que le comportement des institutions défenderesses confinât en tant que tel à l'arbitraire.

Le Conseil a tiré les conséquences qui s'imposaient, après la constatation de la non-validité du règlement no 1111/77, en adoptant le 25 juin 1979 le règlement no 1293/79 (JO L 162 du 30. 6. 1979, p. 10 et suiv.), entré en vigueur le 1er juillet 1979. L'article 2 de ce règlement abrogeait, avec effet au 1er juillet 1977, les dispositions du titre II du règlement no 1111/77 instituant un régime de cotisation à la production. L'article 3 donnait une nouvelle mouture au titre II du règlement no 1111/77, en instituant à l'instar de l'organisation des marchés dans le secteur du sucre un régime de quotas, comportant des quotas maximaux et des quotas de base, ces derniers étant fixés pour chaque entreprise dans une annexe II. En outre, ce règlement instituait une cotisation à la production pour la quantité d'isoglucose produite dépassant le quota de base sans dépasser le quota maximal. Ce régime devait s'appliquer pour la période du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980. Il a été prorogé, par règlement no 1592/80 du Conseil du 24 juin 1980 (JO L 160 du 26. 6. 1980, p. 12 et suiv.), pour la période du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981, sans modification des quotas de base déjà fixés pour la période 1979-1980.

Le règlement no 1293/79 a fait l'objet, aux mois d'août/septembre 1979, de deux recours (affaires 138/79 ( 4 ) et 139/79 ( 5 )), par lesquels les sociétés requérantes ont fait valoir une série de griefs concernant le fond et la forme (en l'occurrence, défaut de consultation du Parlement européen). Ces affaires ont donné lieu aux arrêts du 29 octobre 1980 ( 4 ), 2, par lesquels la Cour, tout en rejetant les griefs de fond — à savoir: atteinte aux règles de concurrence du traité, violation du principe de non-discrimination ainsi que principe de proportionnalité —, annulé ce règlement no 1293/79 en raison de l'absence d'avis du Parlement européen.

A la suite de ces arrêts, et après avoir cette fois régulièrement recueilli l'avis du Parlement, le Conseil a pris le règlement no 387/81 du 10 février 1981 (JO L 44 du 17. 2. 1981, p. 1 et suiv.) abrogeant, avec effet au 1er juillet 1977, le titre II de règlement no 1111/77 modifié par le règlement no 1298/78. Il a en outre rétabli — pour la période du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980 — le régime des quotas et des cotisations du règlement no 1293/79, exception faite d'une modification affectant les quotas de base de la société Maizena, tenant compte, ce faisant, d'observations faites à cet égard dans l'affaire 130/79 et qui nous semblaient d'ailleurs justifiées à l'époque. Le même jour est paru le règlement no 388/81 du Conseil du 10 février 1981 (JO L 44 du 17. 2. 1981, p. 4) modifiant le règlement no 1592/80. Ledit règlement précise que l'article 9 du règlement (CEE) no 1111/77 est également applicable à la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981 et que, pour cette période, les quotas de base accordés à chacune des sociétés fabriquant l'isoglucose seraient les mêmes que ceux résultant de l'application du règlement no 387/81 pour la période du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980. Le règlement no 388/81 devait s'appliquer à partir du 1er juillet 1980.

Il y a encore lieu de signaler que le règlement no 1592/80 a également fait l'objet de deux instances (affaire 176/80 ( 6 ) et 179/80 ( 7 )). La première affaire a été radiée par ordonnance du 2 avril 1981, après que la requérante — ayant pris connaissance de l'arrêt du 29 octobre 1980 ( 5 ) — eut déclaré que l'affaire était désormais sans objet. Quant à la seconde, l'audience a eu lieu le 8 juillet 1981. Nous avons considéré dans nos conclusions que cette affaire était, pour l'essentiel, également réglée. La Cour n'a pas encore statué; on peut penser qu'elle le fera dans le sillage des présentes affaires.

Par requêtes des 4 mai, 7 mai et 11 mai 1981, les sociétés G. R. Amylum NV, Roquette frères et Tunnel Refineries Limited ont saisi la Cour de recours dirigés contre le règlement no 387/81 et elles concluent respectivement à ce qu'il plaise à la Cour:

affaire 108/81:

annuler le règlement no 387/81, ou tout au moins annuler l'article 1, paragraphes 3 et 4, dudit règlement;

affaire 110/81:

annuler les règlements nos 387/81 et 388/81 ainsi que les décisions individuelles qu'ils contiennent, en tant du moins que ces actes concernent la société requérante;

affaire 114/81:

annuler le règlement no 387/81, à titre subsidiaire, annuler l'article 1, paragraphes 3 et 4, de ce règlement.

A l'appui de leurs conclusions, les requérantes font valoir que le Conseil aurait indûment conféré à ce règlement une portée rétroactive, que ledit règlement porterait atteinte à l'autorité du Parlement et de la Cour et qu'il ne serait pas suffisamment motivé. Deux des requérantes font en outre valoir dans leurs répliques que le Conseil se serait ménagé des ressources nouvelles sous forme de cotisations à la production de l'isoglucose, en violation de la procédure prévue à l'article 201 du traité et en méconnaissance des dispositions de la décision du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés.

Sur tous ces moyens, que le Conseil et la Commission — cette dernière en qualité d'intervenante à l'appui des conclusions du Conseil — considèrent comme non fondés et, pour ce qui est du moyen nouveau soulevé dans la réplique, comme même irrecevable, nous nous proposons de conclure en nous limitant tout d'abord à l'examen du règlement no 387/81, avant d'envisager — mais en dernier lieu seulement — le règlement no 388/81, lequel ne fait l'objet d'une contestation que dans le cadre du recours 110/81.

I — L'interdiction de rétroactivité

Les requérantes invoquent ce moyen en faisant valoir à cet égard des arguments relativement différents; pour le détail, nous renvoyons au rapport d'audience.

1.

Il y a tout d'abord lieu de constater dans ce contexte que le règlement litigieux no 387/81 a effectivement réintroduit à titre rétroactif des quotas de production pour la campagne 1979-1980, dans le sens d'une vraie rétroactivité, allant au-delà de la rétroactivité «amatérielle» ou «apparente». Ce qui est en cause, ce n'est pas l'application d'un acte normatif aux effets futurs d'une situation née sous l'empire d'une loi ancienne (ce que les requérantes appellent la rétroactivité «matérielle»), mais qu'un acte normatif s'applique à une situation entièrement accomplie, autrement dit — telle est au premier chef l'argumentation des requérantes — le Conseil a réintroduit, pour la période correspondant à la campagne 1979-1980 et après l'expiration de celle-ci, une cotisation à la production qui avait été supprimée par un arrêt de la Cour de justice.

2.

Les requérantes — notamment la requérante Amylum — se sont livrées à un examen (étendu) de droit comparatif afin de démontrer l'existence d'un principe général commun aux systèmes juridiques nationaux, interdisant d'imposer des charges et obligations aux citoyens au moyen de dispositions rétroactives.

ïl n'y a pas lieu selon nous de vérifier ces allégations dans le détail. Nous pouvons à cet égard renvoyer non seulement à l'examen auquel a procédé l'avocat général M. Warner dans ses conclusions dans l'affaire 7/76 ( 8 ), mais encore et surtout à l'abondante jurisprudence de droit communautaire qui s'est développée depuis lors et dont on peut déduire des tendances et des critères suffisamment nets. Bien que développée avant tout dans le contexte de la résolution de problèmes monétaires, cette jurisprudence n'en a pas moins, très certainement, une portée plus grande.

a)

Dans le premier cas d'espèce sérieux, l'affaire 37/70 ( 9 ), l'autorisation accordée à la république fédérale d'Allemagne de prendre rétroactivement des mesures de sauvegarde à la suite d'une réévaluation du DM a été justifiée au seul motif que le but visé par les mesures de sauvegarde ne pouvaient atteindre leur but — à savoir, le maintien, indéfectible, d'un certain niveau de prix dans le secteur agricole — que dans la mesure où les décisions avaient un effet rétroactif.

b)

Dans l'affaire 7/76 ( 10 ) précitée, il s'agissait d'un règlement en matière de montants compensatoires monétaires, entré en vigueur le jour de sa publication, mais applicable à partir du 26 février 1973, cependant qu'un autre règlement, publié le 7 avril 1973, a été appliqué à une importation faite le 22 mars précédent. Or, dans ce cas manifeste de rétroactivité «véritable», la Cour n'a pas non plus émis d'objection à cet égard, même si une nouvelle fois on ne discernait pas (encore) nettement les critères décisifs, la Cour se contentant de renvoyer au fait que le système des montants compensatoires monétaires rend inévitable que les montants applicables soient fréquemment fixés après coup, et qu'en raison même de la cessation des effets, au 26 février 1973, du règlement précédemment applicable, il était judicieux d'éviter des lacunes dans l'application du système, le fait essentiel étant que les intéressés devaient depuis longtemps être conscients des nécessités du mécanisme institué.

c)

Dans l'affaire 88/76 ( 11 ) également citée au cours de la procédure, la Cour n'a émis aucun jugement négatif à l'endroit de la rétroactivité et elle a souligné au contraire expressément et de manière très générale que le droit communautaire n'exclut pas toute possibilité de réglementation rétroactive. Rien dans l'instance ne permettait cependant de supposer que la rétroactivité au jour de la publication de l'acte aurait été intentionnelle: dans ce cas d'espèce en effet, le Journal officiel avait été diffusé non le jour indiqué sur le numéro du Journal officiel — correspondant à la date prévue de l'entrée en vigueur du règlement — mais, de façon tout à fait inopinée, un jour après.

d)

Dans l'arrêt rendu dans l'affaire 98/78 ( 12 ), la Cour a pour la première fois utilisé, sur cette question de la rétroactivité, des formulations qu'elle devait régulièrement reprendre par la suite. Il s'agissait, une nouvelle fois, de l'application rétroactive de montants compensatoires monétaires. S'agissant de l'application de règlements à des opérations effectuées antérieurement à la publication du règlement — et donc, avant sa mise en vigueur —, la Cour a constaté à titre de principe qu'une telle rétroactivité pouvait, à titre exceptionnel, être considérée comme légale, «lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée» (attendu no 20). La Cour a estimé que ces deux conditions étaient remplies en l'espèce, la première par référence au système des montants compensatoires, la seconde eu égard au fait que la Commission avait porté en temps utile à la connaissance des milieux professionnels intéressés les montants destinés à être appliqués.

e)

L'arrêt rendu dans les affaires 212 à 217/80 ( 13 ) a fait ensuite apparaître que le principe précité avait une portée générale, et ne s'appliquait pas uniquement en matière de montants compensatoires. Ces affaires concernaient le recouvrement a posteriori des droits à l'importation ou à l'exportation, éventuellement assortis de l'effet rétroactif. La Cour a souligné à cet égard que des règles de fond ne sont susceptibles de s'appliquer à des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur «que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie, qu'un tel effet doit leur être attribué». Se référant en outre à sa jurisprudence dans les affaires 98/78 ( 14 ) et 99/78 ( 15 ), la Cour a insisté sur le fait que le principe de la sécurité juridique s'oppose normalement à ce que la portée dans le temps d'un acte communautaire voit son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication et qu'il ne peut en être autrement qu'à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée, la législation communautaire devant être prévisible pour les intéressés.

f)

Il y a lieu enfin de citer encore l'arrêt de la Cour dans l'affaire 84/81 ( 16 ) dans lequel les critères précités ont à nouveau trouvé à s'appliquer à propos d'une mesure véritablement rétroactive en matière de compensation monétaire, à savoir un règlement publié le 26 avril 1980, destiné à s'appliquer à partir du 1er avril de la mėme année. La Cour a considéré en l'espèce qu'eu égard au respect de la confiance légitime des intéressés, il importait de savoir ce à quoi les opérateurs concernés devaient s'attendre à la lumière de l'historique de la réglementation en cause et des buts qu'elle poursuivait, et qu'à cet égard — s'agissant d'un acte du Conseil ayant une portée rétroactive — on devait prendre en considération des actes préparatoires tels qu'une proposition de ¡a Commission et une communication publiée par cette dernière. La Cour a également expressément souligné, à propos d'une réserve énoncée dans cet acte et concernant des droits individuels, qu'une telle réserve ne peut avoir pour effet d'exclure l'application du règlement du Conseil à une date antérieure à la date de son entrée en vigueur et qu'elle ne vise que les droits définitivement constitués au profit de ces opérateurs par des décisions individuelles adoptées, entre le 1er et le 25 avril 1980, par l'autorité nationale compétente.

g)

On peut donc constater que le droit communautaire n'exclut nullement la rétroactivité — y compris une rétroactivité véritable — et que le caractère licite de cette rétroactivité est uniquement fonction de deux critères: le premier pose la question de savoir si le but recherché exigeait un tel effet — on pourrait à cet égard également parler d'un intérêt public péremptoire — ou, selon la formulation du Bundesverfassungsgericht, de raisons péremptoires inspirées du bien public — alors que le second consiste à vérifier s'il n'a pas été porté atteinte à l'intérêt légitime des intéressés, autrement dit, si ces derniers pouvaient ou devaient compter avec un acte assorti de l'effet rétroactif. Il ne semble pas par contre qu'on doive attribuer une importance décisive — au regard notamment de la jurisprudence nationale applicable dans ce domaine — à la question de savoir si la rétroactivité s'applique à une période de temps plus ou moins longue: ce point de vue peut tout au plus revêtir de l'importance en rapport avec les deux critères précédemment évoqués, et notamment celui de la protection de la confiance légitime.

3.

La jurisprudence antérieure nous permet donc de tirer, aux fins de la présente affaire, les conclusions suivantes:

a)

L'argument de la requérante dans l'affaire 110/81, selon lequel les recours dirigés contre le règlement no 1293/79 doivent être admis, compte tenu de ce que ce dernier acte contient des éléments individuels, et le corollaire d'un tel argument, selon lequel il y aurait lieu de qualifier de la même façon également le règlement destiné à remplacer rétroactivement le règlement no 1293/79, ne nous paraît guère décisif. Or, selon la thèse de la requérante Roquette, on devrait pouvoir déduire de l'article 191 du traité CEE que les décisions individuelles prennent effet avec leur notification, ce qui — si on admettait cette thèse — aurait pour conséquence que l'acte litigieux ne pouvait être assoni de la rétroactivité, en raison même de son caractère individuel.

Sur ce point, on peut estimer que l'article 191 du traité CEE contient certes une indication au regard de la formation d'un acte juridique, mais non sur la question de l'éventuelle rétroactivité affectant des décisions individuelles. Il y a donc lieu en principe de répondre à cette dernière question de la même manière pour des actes individuels et pour des actes normatifs.

On ne saurait notamment perdre de vue le fait que le règlement no 1293/79 n'était constitué qu'en partie d'éléments individuels, et que dans la mesure où il fixait des critères abstraits, il présentait au reste sans nul doute un caractère normatif. En outre, le règlement a été annulé dans sa totalité à l'issue de l'instance, eu égard au défaut de consultation du Parlement européen; or, l'avis du Parlement européen n'était certes nécessaire qu'au regard des parties normatives du règlement. Partant, s'agissant de combler le vide juridique né de l'annulation, on est obligé d'attribuer, à tout le moins en partie, un caractère normatif au règlement no 387/81, qui avait précisément pour objet de combler ce vide.

La question de la rétroactivité de cet acte appelle donc sans réserve une réponse fondée sur des critères applicables en général aux actes législatifs.

b)

Les requérantes sont essentiellement d'avis que, suite à l'arrêt ayant prononcé l'annulation du règlement no 1293/79, ledit règlement a été supprimé avec effet rétroactif. Les institutions communautaires compétentes seraient dès lors tenues, avant toute chose, conformément à l'article 176 du traité CEE, d'effacer rétroactivement les effets de ce règlement, en adressant à cette fin les directives appropiées aux autorités nationales chargées de l'application des règlements, en vue de réaliser de la sorte ce que les requérantes appellent un droit au remboursement des cotisations à la production qu'elles ont versées.

Il est difficile cependant de souscrire à ce point de vue.

i)

En principe, l'anéantissement rétroactif d'un acte annulé ne représente rien d'autre qu'une fiction. On ne peut en réalité, dans un cas comme celui-ci, faire à tous égards comme si l'acte annulé n'avait jamais existé. Il y a lieu selon nous au contraire de traiter en principe le problème d'une nouvelle réglementation, destinée à remplacer rétroactivement un acte annulé, différemment du problème de l'introduction rétroactive d'une charge entièrement nouvelle, inexistante jusqu'alors dans la réalité juridique et par rapport à laquelle on ne saurait, sinon au prix de grandes difficultés, modifier un comportement antérieur.

ii)

Il n'est pas justifié en outre de parler tout bonnement de droit au remboursement, à la suite d'un arrêt annulant un régime de cotisations. Selon l'article 176 du traité CEE, les organes compétents sont tenus dans une telle situation de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt: ces mesures ne consistent pas nécessairement en un remboursement; la question qui se pose est bien plutôt de savoir s'il ne serait pas indiqué de procéder à une régularisation rétroactive. Ce n'est que dans le cas d'une réponse négative à cette question qu'on pourrait véritablement parler d'un droit au remboursement. Les requérantes ne sauraient donc invoquer a priori un droit au remboursement, ni attendre que ce droit joue un rôle décisif dans l'appréciation du caractère éventuellement licite de la rétroactivité.

iii)

Dans ce contexte, il nous paraît encore indiqué d'examiner de plus près une décision du Bundesverfassungsgericht, citée par la requérante Amylum, en raison de l'importance et, également, de l'utilité que cette jurisprudence présente effectivement au regard des présentes affaires. Nous pensons en l'occurrence à la décision publiée au volume 7 du Recueil des décisions du Bundesverfassungsgericht (p. 89 et suiv.), qui portait sur la question de savoir si des droits de matricule sur les chiens acquittés des années durant et considérés comme dépourvus de base légale par l'Oberverwaltungsgericht en 1950 pouvaient être réintroduits par une loi de la même année, avec effet rétroactif au 1er avril 1948. Le Bundesverfassungsgericht a reconnu, à la lumière du principe de l'État de droit, la validité de cette loi, compte tenu en effet du caractère prévisible de la charge et des considérations matérielles qui la justifiaient. Selon cette juridiction, les droits en cause n'étaient pas si manifestement injustifiés que les citoyens auraient pu tabler qu'ils n'étaient pas tenus d'acquitter la taxe pour la période de rétroactivité. De mėme, le principe de l'État de droit peut inciter le législateur à adopter une réglementation rétroactive, si ce dernier estime qu'une situation qu'il tenait pour réglée, ne l'est pas ou se trouve réglée différemment par suite d'une décision juridictionnelle. Compte tenu enfin de ce que l'État tablait sur les ressources dont il s'agit, le recours à une base juridique différente pouvait apparaître comme un moyen approprié. Dans ces conditions, la juridiction a considéré que les limites s'imposant à la rétroactivité n'avaient pas été atteintes ni dépassées, étant donné qu'il ne s'était agi que de remettre de l'ordre dans un état de fait, là où une erreur de droit avait semé la confusion.

c)

S'agissant de résoudre le problème soumis à notre attention, la question qui nous préoccupe au premier chef est certainement celle de savoir si on peut discerner un intérêt général peremptoire militant en faveur de la rétroactivité du règlement litigieux.

Les requérantes font valoir, à l'encontre d'une telle thèse, que l'objectif poursuivi par le régime particulier à l'isoglucose, à savoir la limitation de la production d'isoglucose dans la Communauté, s'est trouvé effectivement réalisé par la mise en application du règlement no 1293/79, étant donné qu'aucune entreprise n'avait dépassé les quotas de production et que le règlement no 387/81 n'était plus à cet égard d'aucune utilité. Or, interprétant sur ce point la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht, la requérante Amylum, comme d'ailleurs les autres requérantes, entend exclure que des considérations uniquement fiscales, le désir de parvenir à une législation uniforme, ou le redressement d'erreurs passées, puissent fonder un intérêt péremptoire gouvernant la rétroactivité.

Nous ne souscrirons pas à cette opinion.

i)

Il paraît tout d'abord erroné — également à la lumière de la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht — que, s'agissant d'apprécier l'intérêt général, déterminant au regard de la rétroactivité on doive faire abstraction d intérêts fiscaux.

ii)

Autre élément militant en faveur du maintien rétroactif de la cotisation à la production et à l'encontre d'un remboursement aux requérantes des sommes versées: le principe de coresponsabilité au regard de la production d'excédents sur le marché du sucre, qui se traduit précisément par la cotisation à la production et qui requiert une participation à la réduction des penes résultant des exportations. S'agissant du rapport isoglucose/sucre, il y a lieu, selon la jurisprudence, d'appliquer le principe selon lequel ces deux produits directement concurrents ne doivent pas être traités différemment (affaire 125/77 ( 17 )), et qu'il est même justifié, dans l'intérêt des producteurs agricoles, d'accorder une certains préférence au sucre (affaires jointes 116 et 124/77 ( 18 )). Partager le point de vue des requérantes reviendrait à faire manifestement fi des principes précités. Les producteurs de sucre seraient discriminés pour la période d'application du règlement no 387/81. En outre, on aurait pu craindre à cet égard d'autres effets négatifs au détriment des producteurs de sucre, étant donné que même à défaut d'une augmentation rétroactive, rendue impossible par la limitation, à l'époque, de la cotisation à la production pour le sucre en fonction du prix d'intervention, on ne pouvait exclure — dans le contexte de l'élaboration d'un nouveau règlement et suite au pronconcé de l'arrêt annulant le règlement no 1293/79 — que les cotisations à la production pour le sucre dussent être augmentées pour la campagne en cours ou la campagne suivante, afin d'éviter toute ponction sur le budget général, par suite de la diminution des recettes liée à l'abandon de la taxe sur l'isoglucose.

iii)

Il importe, en outre, de remarquer qu'un remboursement des cotisations à la production versées par les fabricants d'isoglucose pouvait faire craindre une nouvelle extension de la fabrication d'isoglucose et une amélioration de leur situation concurrentielle, ce qui aurait risqué de mettre en péril l'objectif de stabilisation du marché du sucre. Les requérantes ne peuvent certainement pas objecter à cet égard que leur capacité de production s'aligne sur les quotas fixés par la Communauté, ni qu'il n'y avait pas lieu de craindre une augmentation de leur fabrication, tant que les quotas ne seraient pas modifiés. En effet, la production destinée à l'exportation ou s'inscrivant dans le cadre du régime de perfectionnement actif n'était nullement limitée. Pour montrer que ses craintes n'étaient pas vaines, la Commission a pu en outre renvoyer à la constante augmentation de la fabrication d'isoglucose depuis 1976 et, par-dessus tout, au fait que la requérante Amylum avait accru sa capacité de production de 1979 à 1980 de près de 15000 tonnes et que la majorité des fabricants ont demandé pour les années 1980 et 1981 une augmentation de leurs quotas, en raison d'une augmentation de leurs capacités et en prévision de nouveaux investissements.

iv)

Ont peut enfin, s'agissant d'apprécier l'intérêt général, considérer la question également du point de vue de l'équité. A cet égard, les institutions communautaires ont pu faire remarquer — et ceci milite certainement à l'encontre d'une exonération des fabricants d'isoglucose pour la période qui nous intéresse en l'espèce — que ces derniers avaient, à la suite des arrêts préjudiciels d'octobre 1978, déjà été avantagés, du fait du défaut de rétroactivité du règlement qui s'en était suivi; selon nous, cette objection n'est pas réfutée par l'argumentation, avancée par la requérante Amylum dans le contentieux de pleine juridiction (affaire 116/77 ( 19 )), selon laquelle l'application du règlement no 1111/77 s'est traduite dans le chef de la requérante par un sérieux manque à gagner. On ne doit pas non plus oublier sur ce point que les fabricants d'isoglucose ont toujours tiré avantage de l'organisation commune de marché pour le sucre ainsi que du régime particulier applicable à l'isoglucose, étant donné qu'ils bénéficiaient d'une garantie indirecte de prix en fonction du prix d'intervention prévu pour le sucre en l'état et compte tenu de l'existence de restitutions à l'exportation pour les produits transformés.

Au vu des considérations qui précèdent, nous avons donc la conviction qu'il y a lieu de reconnaître l'existence d'un intérêt public peremptoire justifiant la rétroactivité des dispositions du règlement no 387/81.

d)

Quant à la deuxième condition posée par la jurisprudence, au regard de la rétroactivité d'un acte communautaire — sauvegarde de la confiance légitime — ce qui revient, en l'espèce, à poser la question de savoir si les requérantes pouvaient véritablement tabler sur l'abandon du système de cotisations et sur le remboursement des cotisations versées dans le cadre de la campagne 1979-1980, nous ferons les observations suivantes:

i)

Ce qui est déterminant à cet égard n'est pas tant la conviction subjective de fait que l'existence d'un intérêt légitime juridiquement protégé, autrement dit le problème est de savoir si les requérantes étaient en droit de supposer — eu égard à l'ensemble des aspects essentiels de la question, connus à l'époque — qu'on leur rembourserait les cotisations. C'est pourquoi la correspondance échangée entre la requérante Amylum et l'organisme belge d'intervention — versée au dossier — n'est certainement pas décisive (on sait que dans une lettre de septembre 1980, la requérante avait supposé, ayant eu connaissance des recours intentés par Roquette et Maizena, que la Cour allait annuler le règlement no 1293/79 pour vice de forme; il résulte également de cette correspondance que la requérante n'a acquitté, sous réserve, les cotisations à la production pour la campagne 1979-1980 qu'en mars 1981, postérieurement à l'entrée en vigueur du règlement no 387/81, après avoir été menacée de devoir payer des intérêts substantiels).

ii)

Tant que le règlement no 1293/79 était en vigueur, les intéressés devaient présumer que ce règlement était légal et se comporter en conséquence. L'annulation rétroactive de ce règlement ne constitue par contre — encore une fois — qu'une fiction, insusceptible de priver la mesure de tout effet et ne conférant en tout cas pas le droit — eu égard au critère qu'il y a présentement lieu d'examiner — de faire comme si le règlement précité n'avait jamais existé. Les intéressés n'auraient pu se comporter différemment que si ce règlement était manifestement illégal. Or, on ne saurait nullement inférer de conclusion en ce sens de l'arrêt déclarant invalide le règlement dont s'agit, envisagé sous l'angle du droit au fond et on ne saurait non plus inférer de conclusion en ce sens au regard des règles de forme applicables en l'espèce (avis du Parlement), étant donné qu'on ne pouvait prévoir à coup sûr — eu égard aux faits de la cause — que la Cour statuerait comme elle l'a fait.

iii)

S'il est donc impossible de parler de confiance légitime des requérantes au regard de la suppression de la cotisation à la production pour la campagne 1979-1980 jusqu'au prononcé de l'arrèt d'octobre 1980 déclarant invalide le règlement no 1293/79, on ne saurait non plus affirmer tout de go qu'une telle confiance ait pu naître à la suite de l'arrêt précité. En effet, cet arrêt a explicitement rejeté tous les moyens de fond présentés dans la requête et fait ainsi apparaître le caractère non critiquable (en droit) de mesures restrictives frappant les fabricants d'isoglucose. Le renvoi tout à fait inhabituel figurant à la fin de l'arrêt, par lequel la Cour laisse au Conseil la faculté de prendre, à la suite de l'arrêt, «toute mesure appropriée» est particulièrement significatif à cet égard, en ce qu'il laissait pressentir, selon toute probabilité, l'adoption de mesures de portée rétroactive.

iv)

En outre, les requérantes ne sauraient, en s'appuyant sur le comportement de la Commission et du Conseil, invoquer le principe de la confiance légitime aux fins du remboursement.

Une conclusion en ce sens est d'autant plus certaine que l'intention des institutions communautaires de prendre des mesures de restriction à l'encontre de la fabrication de l'isoglucose était manifeste dès 1977, et que cette intention est demeurée inchangée au cours des années qui ont suivi.

On peut également déduire de l'arrêt annulant le règlement no 1293/79 le fait que la Commission avait incité la Cour à examiner les griefs de fond, ce qui autorisait à conclure qu'elle n'avait nullement l'intention, au cas où la Cour ferait droit sur le fond aux conclusions des requérantes, de proposer un remboursement des cotisations versées. C'est pourquoi, peu de temps après le prononcé de l'arrêt, elle a déclaré, au début du mois de novembre 1980, au sein du comité de gestion «sucre» qu'elle avait l'intention de proposer la remise en vigueur rétroactive des dispositions annulées, ce dont les groupes économiques intéressés ont sans nul doute eu connaissance. Une proposition publiée en décembre 1980, qui constitue selon la jurisprudence tant communautaire que nationale un instrument de référence pertinent au regard de la question de la protection de la confiance légitime — contrairement à l'opinion des requérantes, qui ne veulent considérer à cet égard qu'une décision formelle du législateur compétent —, milite de surcroît dans le même sens.

Enfin, on ne saurait à bon droit tirer de conclusions allant dans le sens de la confiance légitime à présent revendiquée par les requérantes du fait que le Conseil n'a assoni le règlement no 1293/79 d'aucun effet rétroactif, suite à la déclaration d'invalidité du règlement no 1111/77. Cette décision s'explique tout simplement par la diversité des situations: alors que le règlement no 1293/79, auquel a succédé le règlement no 387/81, n'a été annulé que pour violation des formes substantielles — les griefs de fond étant expressément rejetés pour le surplus —, dans la procédure ayant abouti à la constatation de la nullité du règlement no 1111/77, le grief de fond, consistant dans la violation de l'interdiction de discrimination — autrement dit, le fait que des charges plus lourdes pesaient sur l'isoglucose (par rapport au sucre) —, avait constitué au contraire le moyen d'annulation décisif. Le fait que le Conseil ait exercé à l'époque le pouvoir d'appréciation qui est le sien en matière de politique agricole dans le sens de l'introduction d'une cotisation, nouvelle dans ses modalités, sans l'assortir d'un effet rétroactif — dans le but manifeste d'opérer ce faisant une certaine compensation, liée au fait que la perception à un niveau trop élevé des cotisations isoglucose avait pu se traduire au bout d'un certain temps par des effets préjudicables, ou peut-être également considération prise du fait que la cotisation perçue initialement sur l'isoglucose n'avait pas en réalité été payée par tous les fabricants — ne permettait pas pour autant de supposer qu'après l'annulation du règlement no 1293/79, il allait procéder de même dans un contexte radicalement différent.

La conclusion qui se dégage nécessairement de toutes ces considérations est la suivante: sans qu'il soit nécessaire, semble-t-il, d'examiner la question (également discutée) de savoir à qui incombe la charge de l'exposé et de la preuve, on doit admettre, eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent et notamment en raison de la jurisprudence non équivoque autorisant, pour la période de temps couverte par la rétroactivité, des mesures appropriées aux fins de garantir le fonctionnement du marché des édulcorants (affaires jointes 10 et 145/77 ( 20 )) ainsi que la perception de cotisations pour l'isoglucose (affaires jointes 116 et 124/77 ( 21 )), que des entreprises prudentes et bien informées devaient s'attendre à ce que le règlement no 387/81 soit assorti de la rétroactivité et qu'aucune des cotisations acquittées au titre de la campagne 1979-1980 ne ferait l'objet d'un remboursement.

e)

Dans ces conditions, on doit selon nous exclure une annulation du règlement litigieux pour violation de l'interdiction de rétroactivité.

II — Violation de l'équilibre institutionnel; méconnaissance de l'autorité du Parlement européen

Les requérantes dans les affaires 108 et 114 estiment ensuite que la légalité du règlement no 387/81 peut également être mise en doute du point de vue de l'équilibre institutionnel. Elles soulignent que le droit de contrôle du Parlement, visé à l'article 137 du traité CEE, s'exprime notamment à travers la consultation du Parlement, consultation considérée comme une condition de forme substantielle par la jurisprudence. Cette formalité s'impose, tout naturellement, préalablement à la mise en vigueur de l'acte sur lequel le Parlement est appelé à prendre position. Selon les requérantes, le droit de contrôle serait pratiquement réduit à néant si le Conseil pouvait, après annulation d'un texte pris en violation de l'obligation de consultation, édicter à nouveau le même acte en l'assortissant d'un effet rétroactif. Si tel était en effet le cas, le Conseil pourrait sans autre forme de procès passer par-dessus le droit de participation reconnu au Parlement, étant donné qu'une régularisation ultérieure serait toujours possible.

Nous estimons que cette critique est également non fondée, sans qu'il y ait lieu pour le moment de prendre parti sur le point de savoir si, comme le soutient la Commission, ce grief ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport au premier moyen et s'il tombe dès lors qu'on ne reconnaît pas le bien-fondé du premier moyen. Il est certain en tout cas que que la procédure de consultation prévue au traité doit permettre au Parlement de s'exprimer sur le contenu des dispositions sur lesquelles il est appelé à rendre un avis. Or, même dans le cas d'une consultation ayant lieu «après coup», un tel examen n'est pas exclu. Le Parlement peut à cette occasion exprimer un avis sur la question de la rétroactivité, ce qui peut avoir pour effet de dissuader le législateur communautaire d'assortir les dispositions d'un effet rétroactif, sans que cela ait été le cas en l'espèce, étant donné que dans la résolution du Parlement du 9 février 1981 (JO C 50 du 9. 3. 1981, p. 14) faisant suite au rapport de la commission de l'agriculture du 13 janvier 1981 (doc. I-792/80, p. 10) la rétroactivité avait été expressément approuvée. Le Parlement peut à cette occasion exprimer également son point de vue sur l'économie de ¡a réglementation en cause, ce qui peut éventuellement se traduire par un autre régime rétroactif, ne coïncidant pas forcément avec le régime annulé par la Cour.

Il ne nous semble pas pertinent, en tout cas, d'émettre des craintes au sujet du risque qui existerait, dans un cas tel qu'en l'espèce, que le Conseil, fort d'une autorisation d'arrêter des normes à caractère rétroactif, puisse ignorer à l'avenir l'obligation de consulter le Parlement. On ne doit pas oublier en tout état de cause que cela ne s'est produit qu'une fois jusqu'à présent et encore dans une situation très particulière, puisqu'il s'agissait d'arrêter rapidement un nouveau régime pour éviter des discriminations et qu'en l'occurrence, le Parlement n'avait pas précisément fait diligence. On doit également considérer la fait que le Conseil s'est vu assigner le rang de législateur communautaire, au sens propre du terme, ce qui constitute une garantie que les règles du traité sont prises très au sérieux, mais que, le cas échéant, d'autres institutions, telle la Commission, peuvent également y veiller. Enfin, le Conseil ne peut nullement arrêter ex abrupto des dispositions de caractère rétroactif, de sorte qu'il ne saurait constamment tabler sur ce que l'avis du Parlement pourrait être recueilli après coup et qu'on en resterait, ce faisant, à l'état de droit que lui, Conseil, entendait instaurer dans un premier temps sans la participation du Parlement.

III — Violation de l'équilibre institutionnel; méconnaissance de l'autorité de la Cour

Les requérantes dans les affaires 108 et 114/81 estiment, en outre, que le règlement litigieux peut également être attaqué au moyen que l'autorité de la Cour aurait été méconnue. Selon elles, il appartient à la Cour, en cas d'annulation d'un règlement et conformément à l'article 174 du traité CEE, de fixer les conséquences dans le temps de son arrêt d'annulation.

N'ayant pas indiqué ceux des effets du règlement devant être considérés comme définitifs — à l'instar de ce que la Commission et nous-même avions suggéré dans le cas du règlement no 1293/79 —, la Cour aurait entendu que l'annulation qu'elle prononçait produisît un effet pleinement rétroactif. Il ne serait plus possible dans ces conditions de faire renaître une situation comme si l'arrêt d'annulation n'était jamais intervenu. Admettre le contraire aurait pour effet de dissuader les intéressés — en tout cas, lorsque le grief invoqué est un vice de forme — de former un recours, ce qui les priverait en pratique d'une panie de la protection juridique qui leur serait due; le législateur pourrait en outre être tenté, de ce fait, d'ignorer les conditions de forme de la nature de celles envisagées en l'espèce, étant donné que même le Parlement ne pourrait pas imposer le respect de ces conditions de forme, même au moyen d'un recours.

Cette argumentation ne nous convainc pas davantage.

Il est difficile tout d'abord, au vu des arrêts rendus dans les affaires 138/79 ( 22 ) et 139/79 ( 23 ), de faire valoir que ces arrêts auraient entendu interdire des mesures à caractère rétroactif ou prévoir le remboursement des cotisations à la production. Ces arrêts feraient plutôt apparaître des indices en sens contraire: on pourrait — comme nous l'avons déjà exposé — interpréter en effet en ce sens la circonstance que la Cour a examiné également les griefs de fond et jugé bon de les réfuter. C'est en tout cas en ce sens qu'on peut comprendre le renvoi tout à fait inhabituel à des mesures «appropriées», dont l'absence dans le libellé de l'article 176 du traité CEE permet de supposer que la Cour n'entendait apparemment pas par là la consultation du Parlement, procédure de toute façon obligatoire. C'est ce que donne d'ailleurs également à penser la jurisprudence antérieure de la Cour, difficilement compatible avec l'intention prêtée à cette dernière d'avoir voulu établir une situation discriminatoire au détriment des producteurs de sucre, ce qui se serait effectivement produit en cas de remboursement des cotisations à la production.

Enfin et surtout, on ne saurait dire que la Cour, du fait qu'elle n'avait fourni aucune indication en application de l'article 174, paragraphe 2, avait entendu exclure que le nouveau régime fût assorti de la rétroactivité. Cette circonstance peut en réalité s'expliquer encore autrement: le fait que l'acte soumis à l'appréciation de la Cour dans les affaires 138/79 ( 24 ) et 139/79 ( 25 ) n'était pas purement et simplement un règlement — en ce qu'il comportait également des éléments de décisions individuelles — a pu jouer un rôle. Mais il est également et surtout plausible et vraisemblable que la Cour n'ait pas fait application de l'article 174, paragraphe 2, afin de respecter l'autorité du Parlement, car elle voulait éviter de créer un «fait accompli» résultant du maintien en vigueur du règlement no 1293/79. Ce règlement a en effet simplement été annulé en raison de l'absence de consultation du Parlement; c'est ce règlement qu'il y avait lieu de refaire après coup et il aurait été peu judicieux à cet égard de disposer en même temps que le règlement, élaboré sans l'avis du Parlement, continuait de porter ses effets. On ne doit pas oublier en outre qu'à la suite de l'annulation du règlement no ¡293/79, se posait le problème d'une reconstitution rétroactive et qu'il y avait lieu de réserver la question, essentielle à cet égard, de «l'intérêt général» à l'appréciation des organes législatifs (le Conseil et le Parlement).

En ce qui concerne, en outre, la crainte de voir les personnes privées affectées par ces décisions renoncer à former un recours pour vice de forme alors que les institutions communautaires seraient tentées de leur côté d'ignorer certaines conditions de forme, on doit, d'une part, considérer qu'il existe encore d'autres possibilités — par exemple du côté de la Commission — de déclencher un contrôle juridictionnel; on ne saurait, d'autre part, ni surtout oublier que dans le cas de l'annulation d'un acte pour vice de forme, la réintroduction rétroactive n'est nullement automatique, et que la licéité de cette opération doit être, au contraire, examinée dans chaque cas d'espèce et au moyen de critères très stricts.

IV — Défaut de motivation

Toutes les requérantes font valoir, en outre, comme moyen d'annulation le fait que le règlement no 387/81 ne contient aucune motivation particulière justifiant la rétroactivité. La requérante Tunnel Refineries fait au surplus grief à ce même règlement d'être globalement dépourvu de motivation. En ce qui concerne le premier point, les requérantes ont souligné que la portée essentielle du règlement no 387/81 — du fait de la concordance de son contenu avec le règlement no 1293/79 — réside dans l'effet rétroactif de cette disposition. Elles sont d'avis que la prétendue «constatation quant au fond» de la conformité du règlement avec le droit communautaire — abstraction faite de ce que la Cour n'aurait pas opéré une telle constatation et qu'elle se serait bornée à rejeter les moyens qui avaient été alors invoqués à l'encontre de l'acte contesté — pourrait, à la rigueur, justifier la réintroduction du régime, mais certainement pas l'effet rétroactif dont il a été assoni. Quant au second point, la requérante Tunnel Refineries estime — mais son avis n'est apparemment pas partagé par la requérante dans l'affaire 108/81 — qu'il aurait été judicieux de motiver ledit règlement de manière exhaustive, à l'instar du règlement no 1293/79; selon elle, la motivation ne pouvait être remplacée par un simple renvoi à ce règlement, étant donné que ce dernier avait été annulé.

1.

Il nous parait, là encore, impossible d'accueillir le moyen présenté par les requérantes dans sa première branche.

On peut en effet trouver dans les considérants du règlement no 387/81 une phrase à propos de l'effet rétroactif — ce qui empêche déjà de parler de défaut total de motivation —, en l'occurrence le renvoi au fait que dans la procédure ayant pour objet l'annulation du règlement no 1293/79, la Cour a rejeté l'ensemble des griefs, ce qui signifie pour le Conseil que ce règlement est conforme, quant au fond, avec le droit communautaire. Et c'est pourquoi, dans la dernière phrase des considérants du règlement no 387/81, le Conseil a estimé qu'il convenait de rétablir le régime des quotas avec effet rétroactif. On ne doit pas oublier à cet égard qu'en ce qui concerne les conditions de forme d'une motivation, le législateur n'est tenu d'indiquer que son propre point de vue; à l'opposé, il importe peu dans ce contexte que ce point de vue suffise en tant que justification de fond (s'agissant d'actes rétroactifs, des considérations telles que l'intérêt public et la protection de la confiance légitime). En outre, le Conseil a fait valoir à cet égard, et non sans raison, que la constatation précitée devait également être appréciée à la lumière du fait que les groupes économiques intéressés devaient connaître depuis 1977 la volonté politique du Conseil de prendre des mesures restrictives et qu'ils étaient dès lors en mesure de conclure au caractère inéluctable d'un régime [de quotas] avec effet rétroactif.

2.

On ne saurait non plus, selon nous, parler de défaut de motivation, au sens que lui prête la requérante Tunnel Refineries. Le Conseil a pu à bon droit renvoyer à cet égard à la jurisprudence y afférente, selon laquelle les règlements peuvent être assortis d'une motivation plus brève que dans le cas de décisions individuelles et selon laquelle, dans le cas d'un règlement considéré comme partie d'un régime d'ensemble, il y a lieu d'en apprécier la motivation dans le cadre de cet ensemble (voir par exemple, les affaires 125/77 ( 26 ) et 230/78 ( 27 )). En l'espèce, il ne fait pas de doute qu'on doit à cet égard prendre en considération les motifs exposés dans le règlement no 1111/77, dans lesquels le Conseil met l'accent sur le fait que l'isoglucose est un produit de substitution en concurrence directe avec le sucre liquide, que l'isoglucose retire des avantages économiques du fait des contraintes de production s'appliquant au sucre de betteraves, que les excédents constatés pour ce dernier produit rendent nécessaires les exportations et qu'il y avait lieu, dès lors, de prévoir pour la production d'isoglucose un régime de cotisations, complémentaire de celui applicable au sucre, en vue d'une contribution aux charges à l'exportation. On peut en outre rapprocher implicitement ce dernier point de l'exposé des motifs du règlement no 1293/79 en ce qui concerne le régime de quotas et de cotisations: en effet, même si ce règlement a été annulé, il n'est pas pour autant devenu à tous points de vue inexistant, puisque sa publication au Journal officiel a assuré son maintien en tant qu'élément d'information.

V — Violation de l'article 201 du traité CEE et de l'article 2 de la décision du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés

Nous devons encore examiner à présent un moyen que les requérantes dans les affaires 108 et 110/81 n'ont produit que dans leur réplique. Elles font valoir qu'en instituant une cotisation sur l'isoglucose le Conseil avait voulu se procurer des ressources propres au sens de la décision du 21 avril 1970 (JO L 94 du 28. 4. 1970, p. 19 et suiv.). Or, compte tenu de l'inapplicabilité en l'espèce des dispositions de l'article 2, paragraphe 1, lettre b), seules pourraient être considérées comme ressources propres au sens de cette décision les ressources visées à l'article 2, paragraphe 1, lettre a), en tant qu'elles sont constituées par les recettes provenant

«des prélèvements, primes, montants supplémentaires ou compensatoires, montants ou éléments additionnels et des autres droits établis ou à établir par des institutions des Communautés sur les échanges avec les pays non membres, dans le cadre de la politique agricole commune, ainsi que des cotisations et autres droits prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, ci-après dénommés ‘prélèvements agricoles’».

Or, la cotisation isoglucose n'a pas été prévue dans le cadre de l'organisation commune des marchés du sucre, d'où l'obligation — selon les requérantes — de respecter sur ce point l'article 2, paragraphe 2, et partant la procédure de l'article 201 du traité instituant la Communauté économique européenne, autrement dit, le Conseil aurait dû recommander l'adoption de mesures idoines, par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Les requérantes ont sur ce point fait état en particulier de ce que la cotisation isoglucose n'existait pas encore lors de l'adoption de la décision du 21 avril 1970. Le seul produit comparable à l'époque — le glucose, d'où on tire l'isoglucose — ne relevait manifestement pas de l'organisation commune des marchés, laquelle s'est uniquement appliquée — selon les requérantes — au saccharose, ainsi qu'il résulte de l'article 1 du règlement no 1009/67 (JO 308 du 18. 12. 1967, p. 1 et suiv.). Le glucose tomberait au contraire dans le champ d'application de l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, ainsi qu'il résulte, par déduction, de l'article 1 du règlement no 120/67 (JO 117 du 19. 6. 1967, p. 2269) et des règlements nos 1862/76 (JO L 206 du 31. 7. 1976, p. 1) et 2158/76 (JO L 241 du 2. 9. 1976, p. 21) concernant l'octroi de restitutions à la production. Enfin, lors de la création, par le règlement no 1111/77, d'une organisation commune de marché pour l'isoglucose, le règlement no 1110/77 (JO L 134 du 27. 5. 1977, p. 1) a en même temps bien précisé que l'isoglucose ne fait pas partie de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre.

1.

il se pose tout d'abord, par rapport à ce moyen, quelques questions liées à sa recevabilité.

a)

La première se pose compte tenu du fait que ce moyen n'était pas contenu dans les requêtes et que l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour n'est manifestement pas susceptible de s'appliquer, étant donné que ce moyen nouveau ne se fonde pas sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure écrite. Les requérantes entendent surmonter cet obstacle en faisant observer que le moyen tardivement produit par elles constitue un moyen d'ordre public, tout comme les moyens tirés de l'incompétence, de la violation des formes substantielles et de la violation du traité.

Or, étant donné que de tels moyens peuvent être soulevés d'office, conformément à la jurisprudence de la Cour, il devrait être également possible de les produire ultérieurement, en cours d'instance.

Il nous paraît très douteux qu'on puisse suivre les requérantes dans cette voie.

La Cour a certes déjà eu l'occasion d'examiner d'office à maintes reprises certains moyens, tels que l'insuffisance de motifs d'un acte (affaire 18/57 ( 28 )), la consultation obligatoire d'organismes consultatifs (affaire 6/54 ( 29 )), la légalité d'une décision de caractère général, servant de base à l'acte litigieux (affaire 14/59 ( 30 )) ou des questions de compétence (affaire 19/58 ( 31 )). En outre, on peut déduire de certaines allusions contenues dans l'affaire 37/71 ( 32 ) que cet examen d'office apparaît approprié pour des moyens considérés comme d'ordre public, autrement dit, dès lors qu'il s'agit de questions importantes et de violations graves du droit. En ce qui concerne l'argumentation avancée par les requérantes dans leurs répliques, on ne doit cependant pas perdre de vue que des arguments semblables avaient déjà été avancés dans l'affaire 103/77 ( 33 ). Nous les avons discutés à l'époque dans nos conclusions, avec un résultat négatif pour la requérante. La Cour n'a cependant pas abordé cet examen, ni dans cette affaire-là, ni dans les recours concernant le règlement no 1293/79, la Cour s'étant manifestement préoccupée dans ces affaires d'élucider autant que possible tous les problèmes de fond, en vue de fournir aux institutions communautaires des indications claires sur la conduite à tenir pour l'avenir.

Partant, on est tenté de fait d'admettre qu'il ne s'agit pas en réalité d'arguments d'une importance telle qu'il serait justifié de les examiner ex officio, à moins qu'on ne considère opportun d'en tirer la conclusion que la Cour a voulu tacitement rejeter de la sorte le bien-fondé d'une telle critique.

b)

On doit en outre admettre que la recevabilité du moyen présentement examiné suscite des objections également à deux autres points de vue :

i)

Les requérantes n'ont rien opposé à l'encontre du bien-fondé de la cotisation à la production en tant qu'instrument de régulation des marchés dans le cadre de la politique agricole commune, ce qui serait d'ailleurs difficilement concevable compte tenu d'une jurisprudence qui a souligné à maintes reprises la légalité de mesures restrictives pour l'isoglucose. La critique des requérantes porte au contraire uniquement sur le traitement budgétaire des recettes constituées par le produit des cotisations, à savoir leur affectation au budget de la Communauté. Sur ce point, le Conseil a fait valoir — à juste titre — qu'un tel grief échappe à l'intérêt des requérantes, étant donné que même si leur critique était fondée, il en résulterait non une libération du versement des cotisations, mais uniquement un transfert des recettes ainsi créées au profit des budget nationaux. Dans ces conditions, on doit pouvoir admettre la thèse du défaut d'intérêt des requérantes, à faire valoir ce moyen-là, si on part du point de vue qu'un intérêt doit être prouvé non seulement dans le cadre de la requête en tant, que telle, mais également lors de la production des différents griefs.

ii)

Les recours n'étant dirigés, pour autant qu'il importe dans ce contexte, que contre le règlement no 387/81, il est intéressant en outre de noter que ce règlement ne prévoit nulle part que les cotisations doivent être considérées comme des ressources propres de la Communauté. La qualification de ces ressources résulte au contraire, fondamentalement, du règlement no 1110/77, qui contient un article 4 relatif à l'affectation du produit des cotisations à la production. Dans le même esprit, le septième considérant du règlement no 1111/77 stipule que la cotisation prévue sur la production d'isoglucose est à assimiler à celle prévue à l'article 27 du règlement (CEE) no 3330/74 et constitue, dès lors, une ressource propre des Communautés au sens de l'article 2 de la décision du Conseil du 21 avril 1970. On peut, dès lors, considérer sans doute que le moyen fondé sur l'article 201 du traité CEE n'est pas directement en relation avec l'acte présentement attaqué, et qu'il s'agit au contraire uniquement en l'espèce du traitement budgétaire d'une mesure liée à l'organisation des marchés, ayant fait l'objet d'une décision par ailleurs, à savoir dans le budget lui-même.

2.

A supposer qu'on veuille faire abstraction desdites objections (notamment, la dernière) au motif, par exemple, qu'on peut inférer du règlement no 387/81 une qualification à tout le moins tacile de la cotisation à la production, eu égard au fait que le but poursuivi par ce règlement ne peut être atteint que si la Communauté peut disposer des recettes y afférentes, l'examen concret du nouveau moyen fait apparaître que ce dernier ne saurait assurément faire aboutir les recours. Nous avons déjà essayé de fonder ce point de vue dans nos conclusions dans l'affaire 103/77 ( 34 ) et nous ne voyons pas non plus de raison, à l'issue des débats ayant eu lieu dans les présentes affaires, de modifier notre point de vue à cet égard.

Nous sommes en effet convaincu de ce que les requérantes partent d'une interprétation beaucoup trop étroite du membre de phrase contenu à l'article 2 de la décision du Conseil du 21 avril 1970, dans lequel il est question des «droits prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre», lorsqu'elles estiment que ces termes ne peuvent que viser les droits perçus en 1970, sur le sucre même, en fonction de l'organisation commune des marchés existant à cette époque. Si tel était le but recherché, il aurait été clairement exprimé et on n'aurait pas employé — comme cela a été fait — le pluriel «droits», ni la formulation vague «dans le cadre de l'organisation commune des marchés pour le sucre», ni le participe «prévus», lequel se démarque nettement de la tournure employée dans la phrase précédente, à savoir «établis». Plus évidente nous paraît être la thèse selon laquelle il y a lieu d'interpréter le membre de phrase précité à la lumière du principe défini pour les prélèvements opérés dans le cadre de la politique agricole commune dans la première partie de l'article 2, paragraphe 1, lettre a), à l'aide de la formulation «établis ou à établir». Seul un tel éclairage permet une interprétation raisonnable, dynamique, capable d'appréhender de manière rationnelle des développements imprévus et d'éviter des résultats manifestement absurdes, à coup sûr non recherchés lors de l'élaboration de ces normes, telle — pour reprendre un exemple choisi par le Conseil, discutant à cet égard la thèse des requérantes — une diminution des ressources propres de la Communauté en rapport avec l'apparition d'un produit de substitution. Il y a donc lieu de comprendre l'expression «cotisations et autres droits prévus dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre» en ce sens qu'elle inclut les cotisations perçues sur des produits se trouvant en très étroite relation de fait avec l'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre et constituant, au regard de cette dernière organisation, des mécanismes indispensables à la réalisation de ses objectifs. Partant, on ne saurait tenir pour décisif le fait qu'au premier stade de la production de cet édulcorant, l'isoglucose ait été à l'origine, dans le contexte de restitutions à la production, rattaché à l'organisation commune des marchés pour les céréales et qu'à cette même fin on ait ultérieurement créé une organisation spécifique de marché, dont il était évident qu'elle ne devait pas avoir de signification autonome, mais qu'elle s'expliquait, au contraire, au regard de l'organisation des marchés dans le secteur du sucre, à laquelle elle se référait d'ailleurs expressément. L'isoglucose fait en tout cas partie, par nature, en tant que principal produit de substitution connu pour le sucre, du secteur du sucre et il dépend de ce secteur, ce que la jurisprudence a d'ailleurs admis.

Pour cette raison et compte tenu du fait que la jurisprudence non seulement a souligné le rapport étroit entre les marchés de l'isoglucose et du sucre (affaires 103/77 ( 35 ) et 138/79 ( 36 )), mais également tenu pour correcte la prise en compte des interférences existant entre des produits appartenant à des organisations de marché différentes (affaire 125/77 ( 37 )) ainsi que l'édition de mesures prises par le Conseil aux fins d'assurer le fonctionnement du marché des édulcorants (affaires jointes 103 et 145/77'), on ne peut positivement rien objecter au fait que le Conseil a aligné la cotisation isoglucose sur celle correspondante du sucre et que les recettes ainsi perçues ont été considérées comme ressources propres au sens de la décision du 21 avril 1970.

VI — En ce qui concerne la demande tendant à l'annulation du règlement no388/81

Cela étant, nous devons encore brièvement examiner la demande distincte, formulée dans la seule affaire 110/81, tendant à l'annulation du règlement no388/81.

Comme nous l'avions d'entrée expliqué, ce règlement est intervenu aux fins de la modification du règlement no 1592/80. Ce dernier — qui n'a pas été annulé jusqu'à présent et qui a été apparemment adopté après avis du Parlement européen — se référait à l'article 9 du règlement no 1111/77, en le déclarant applicable, initialement pour la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981, et fixait le quota de base de chaque entreprise productrice d'isoglucose pour cette campagne aux mêmes chiffres que pour la période allant du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980. Ce faisant, ce règlement se référait au règlement — ultérieurement annulé par la Cour — no 1293/79. Le règlement no 388/81 disposait, en outre, que pour la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981, l'article 9 du règlement no 1111/77, dans sa version modifiée par le règlement no 387/81, était applicable à la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981 et que, pour cette même campagne, le quota de base de chaque entreprise productrice d'isoglucose était celui appliqué pendant la période allant du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980 en vertu du règlement no 387/81. Ainsi qu'il résulte du rapport de la commission de l'agriculture du Parlement européen, déjà cité, cette précaution trouve son explication dans le fait que le règlement no 1592/80 renvoyait initialement au règlement no 1293/79 et qu'on a voulu, ce faisant, éviter toute incertitude juridique.

La requérante Roquette n'a produit aucun moyen particulier, autonome, à l'encontre de la légalité du règlement no 388/81. On doit donc admettre qu'elle est d'avis que, si on annule le règlement no 387/81, le règlement no 388/81 ne saurait avoir aucune existence légale, dès lors qu'il se réfère au premier règlement et que, pour cette raison, sa validité dépendrait dudit premier règlement. Or, nous avons vu qu'il n'y avait aucune raison de tenir pour nul le règlement no 387/81, de sorte qu'il est évident par là même qu'on doit rejeter la demande d'annulation du règlement no 388/81.

VII —

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous ne pouvons que proposer à la Cour de rejeter comme non fondés les recours formés par les sociétés Amylum, Roquette et Tunnel Refineries et de mettre les dépens des instances à la charge des requérantes respectives.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans les affaires jointes 103 et 145/77, Royal Scholten-Honig (Holdings) Limited/Intervention Board for Agricultural Produce, Tunnel Refineries Limned/intervention Board for Agricultural Produce, Recueil 1978, p. 2037 et suiv.

( 3 ) Arrêt du 5. 12. 1979 dans les affaires iointes 116 et 124/77, G.R. Amylum NV et Tunnel Refineries Limited/Conseil et Commission; Recueil 1979, p. 3497 et suiv.

( 4 ) Arrêt du 29. 10. 1980 dans l'affaire 138/79, SA Roquette frères/Conseil, Recueil 1980, p. 3333.

( 5 ) Arret du 29. 10. 1980, daru l'affaire 139/80, Maizena GmbH/Conseil, Recueil 1980, p. 3393.

( 6 ) Affaire 176/80, Maizena/Conseil, radiée.

( 7 ) Affaire 179/80, SA Roquette frères/Conseil, encore pendante.

( 8 ) Arrêt du 7. 7. 1976 dans l'affaire 7/76, Société IRCA (Industria Roma Carni e Affini SpA)/Administration des finances de l'Etat, Recueil 1976, p. 1213, specialement p. 1236 et suiv.

( 9 ) Arrêt du 11. 2. 1971 dans l'affaire 37/70, Rewe-Zentrale des Lebensmittel-Großhandels GmbH/Hauptzollamt Emmerich, Recueil 1971, p. 23.

( 10 ) Arret du 7. 7. 1976 dans l'affaire 7/76, Société IRCA (Industria Roma Carri e Affini SpA)/Administration des finances de l'État, Recueil 1976, p. 1213, spécialement p. 1236 et suiv.

( 11 ) Arrêt du 31. 3. 1977 dans l'affaire 88/76, Société pour l'exportation des sucres SA/Commission, Recueil 1977, p. 709.

( 12 ) Arrêt du 25. I. 1979 dans l'affaire 98/78. Firma A. Racke/Hauptzollami Mainz, Recueil 1979, p. 69.

( 13 ) Arrêt du 12. 11. 1981 dans les affaires iointes 212 à 217/80, Amministrazione delle finanze dello Stato/S.r.l. Meridionale Industria Salumi et autres; Ditta Italo Orlandi fit figlio et Ditta Vincenzo Divella/Amministrazione delle finanze dello Stato, Recueil 1981, p. 2735.

( 14 ) Arrêt du 25 I. 1979 dans l'affaire 98/78. Firma A. Racke/Hauptzoliamt Mainz, Recueil 1979, p. 69.

( 15 ) Arrêt du 25 I. 1979 dans l'affaire 99/78, Weingut Gustav Denker KG/Hauptzollamt Landau. Recueil 1979. p. 101

( 16 ) Arret du 19, 5 1982 dans l'affaire 84/81, Staple Dairy Products Limited/Intervention Board for agricultural Produce. Recueil 1982, p 1783

( 17 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans l'affaire 125/77, Koninklijke Scholten-Honig NV et De verenigde Zctmeelbedriiven «De Biienkorf» BV/Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten, Recueil 1978, p. 1991.

( 18 ) Arret du 5. 12. 1979 dans les affaires jointes 116 et 124/77, G. R. Amylum NV et Tunnel Refineries Limited/Conseil et Commission; Recueil 1979, p. 3497 et suiv.

( 19 ) Arret du 5. 12. 1979 dans les affaires jointes 116 et 124/77, G. R. Amylum NV ei Tunnel Refineries Limited/Conseil ei Commission; Recueil 1979, p. 3497 et suiv.

( 20 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans les affaires jointes 103 et 145/77, Royal Scholten-Honig (Holdings) Limited/Intervention Board for Agricultural Produce; Tunnel Refineries Limited/Intervention Board for Agricultural Produce, Recueil 1978, p. 2037 et suiv.

( 21 ) Arrêt du 5. 12. 1979 dans les affaires jointes 116 et 124/77, G. R. Amylum NV et Tunnel Refineries Limited/Conseil et Commission; Recueil 1979, p 3497 et suiv.

( 22 ) Arrêt du 29. 10. 1980 dans l'affaire 138/79, SA Roquette frères/Conseil, Recueil 1980, p. 3333.

( 23 ) Arret du 29. 10. 1980 dans l'affaire 139/80, Maizena GmbH/Conseil, Recueil 1980, p. 3393.

( 24 ) Arrêt du 29. 10. 1980 dans l'affaire 138/79, SA Roquette frères/Conseil, Recueil 1980, p. 5333.

( 25 ) Arret du 29. 10. 1980 dans l'affaire 139/80, Maizena GmbH/Conseil, Recueil 1980, p. 3393.

( 26 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans l'affaire 125/77, Koninklijke Schoken-Honig NV et De verenigde Zetmeelbedrijven «De Bijenkorf» BV/Hoofdprodukischap voor Akkerbouwprodukten, Recueil 1978, p. 1991.

( 27 ) Arret du 27. 9. 1979 dans ľaffaire 230/78, SpA Eridania Zuccherifici Nazionali et SpA Società Italiana per l'industria degli zuccheri/Ministre de l'agriculture et des forėts, ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat et SpA Zuccherifici Meridionali, Recueil 1979, p. 2749.

( 28 ) Arrêt du 20. 3. 1959 dans l'affaire 18/57, Firma I. Noid KG. Kohlen- und Bausioffgroßhandlung/Haute Autorite, Recueil 1958/59, p. 89, spécialement p. I M.

( 29 ) Arrêt du 21. 3. 1955 dans l'affaire 6/54, Gouvernement du royaume des Pays-Bas/Haute Autorité, Recueil 1954/55, p. 205, spécialement p. 218.

( 30 ) Arrêt du 17. 12. 1959 dans l'affaire 14/59, Société des fonderies de Pont-a-Mousson/Haute Autorité, Recueil 1958/59, p. 445, spécialement p. 473.

( 31 ) Arrêt du 10. 5. 1960 dans l'affaire 19/58, Republique fédérale d'Allemagne/Haute Autorité, Recueil 1960, p. 468, spécialement p. 496.

( 32 ) Arrêt du 28. 6. 1972 dans l'affaire 37/71, Michel Jamei/Commission, Recueil 1972, p. 478, spécialement p. 485.

( 33 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans les affaires įointes 103 et 145/77. Royal Scholten-Honig (Holdings) Limited/Intervention Board for Agricultural Produce; Tunnel Refineries Limited/Intervention Board for Agricultural Produce, Recueil 1978, p. 2037 et suiv.

( 34 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans les affaires jointes 103 et 145/77, Royal Scholten-Honig (Holdings) Limited/Intervention Board for Agricultural Produce; Tunnel Refineries Limited/Intervention Board tor Agricultural Procuce. Recueil I97S, p. 2037 et suiv. CONCLUSIONS DE M. REISCHL — AFFAIRE 114/81

( 35 ) Arrêt du 25. 10. 1978 dans les affaires jointes 103 et 145/77, Royal Scholten-Honig (Holdings) Limited/Intervention Board for Agricultural Produce; Tunnel Refineries Limited/Intervention Board for Agricultural Produce, Recueil 1978, p. 2037 et suiv.

( 36 ) Arret du 29. 10. 1980 dans l'affaire 138/79, SA Roquette freres/Conseil, Recueil 1980, p. 3333.

( 37 ) Arret du 25. 10. 1978 dans l'affaire 125/77, Koninklijke Scholten-Honig NV et De verenigde Zetmeelbednjven «De Bijenkorf» BV/Hoofdproduktschap voor Akkerbouwprodukten, Recueil 1978, p. 1991.

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