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Document 61981CC0039

Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 12 janvier 1982.
Halyvourgiki Inc. et Helliniki Halyvourgia SA contre Commission des Communautés européennes.
Quotas de production d'acier.
Affaires jointes 39, 43, 85 et 88/81.

Recueil de jurisprudence 1982 -00593

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1982:1

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 12 JANVIER 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs ies Juges,

1. Introduction

Les conclusions que nous avons l'honneur de présenter aujourd'hui ont trait aux affaires jointes 39, 43, 85 et 88/81, lesquelles, après le désistement de Metallurgiki Halyps SA, restent encore inscrites au rôle de la Cour. Dans ces quatre affaires, les producteurs grecs d'acier ont demandé, sur la base de l'article 33 du traité de la CECA, l'annulation de décisions individuelles par lesquelles la Commission a fixé, en ce qui les concerne, des quotas de production pour l'acier brut et les produits laminés relativement au premier trimestre de 1981.

Les décisions individuelles dont il s'agit, étaient basées sur les décisions générales de la Commission 2794/80/CECA, du 31 octobre 1980, (JO 1980, L 291), instaurant un régime de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique et 3381/80/CECA du 23 décembre 1980 (JO 1980, L 355). Le motif principal ayant déterminé l'adoption de ces mesures de crise était, ainsi qu'il ressort du considérant de la mesure première citée, la chute brutale de la demande d'acier tant sur le marché communautaire que sur le marché mondial dans le courant du troisième trimestre 1980. Le taux d'utilisation des entreprises sidérurgiques de la Communauté, qui atteignait environ 70 %, durant le deuxième trimestre de 1980, était, selon ledit considérant, tombé à 58 % au mois de septembre, ce qui représentait le taux le plus bas jamais enregistré dans la Communauté. Les prévisions pour le quatrième trimestre indiquaient une chute ultérieure du taux d'utilisation, lequel pouvait descendre au-dessous de 55 %.

Entre les mois de janvier et septembre 1980, le recul de la demande avait entraîné, toujours selon le considérant précité, un effondrement des prix de l'acier dans la Communauté, lesquels avaient diminué de 13 %, alors que les coûts de production avaient augmenté pendant la même période de 5 %. De ce fait, la situation financière des entreprises s'était à nouveau détériorée, ce qui risquait de provoquer des dommages irréparables pour la structure de la sidérurgie européenne.

Pour ces raisons, la Commission estimait que la sidérurgie européenne se trouvait dans une période de crise manifeste, au sens visé à l'article 58 du traité CECA. Comme elle avait également constaté, ainsi qu'il ressort du considérant de la décision générale première citée, que les moyens d'action indirecte dont elle disposait en vertu de l'article 57 du traité précité, s'étaient révélés inefficaces ou insuffisants, elle concluait dans ledit considérant à la nécessité d'instaurer un régime de quotas de production dans les conditions de procédure de l'article 58. Par la décision générale 3381/80/CECA déjà citée, la Commission fixa, le 23 décembre 1980, dans le cadre de la décision générale citée plus tôt, des taux d'abattement pour le premier trimestre 1981.

Le recours en annulation n'est pas basé sur la fixation inexacte des quotas individuels pour les entreprises grecques dont il s'agit; il est fondé au contraire sur les deux moyens suivants, qui sont formulés en termes très généraux:

1)

les décisions générales 2794/80/CECA et 3381/80/CECA ne sont pas applicables aux entreprises sidérurgiques grecques; subsidiairement, elles sont nulles en ce qui les concerne;

2)

la décision générale 2794/80/CECA qui constitue le fondement des décisions individuelles attaquées, est elle-même illégale pour violation de formes substantielles, consistant en une motivation insuffisante; subsidiairement, pour violation des articles 58, 74 et 14 du traité CECA.

Bien qu'ils soient formellement dirigés contre les décisions qui concernent individuellement les requérantes, les recours dont il s'agit sont, par le moyen d'une exception d'illégalité, dirigés en substance, par le fait même, contre les décisions déjà citées, voire même contre le régime, accepté de façon générale, de l'acte d'adhésion. Il n'est pas apparu que les requérantes possédaient un quelconque intérêt individuel dans ce contexte. Nous reparlerons dans la suite de notre exposé des questions qui pourraient surgir à ce propos en ce qui concerne la recevabilité des requêtes. Ces questions n'ont pas été abordées en cours d'instance.

Notre exposé s'articulera de telle sorte que soit examiné tout d'abord le premier moyen et analysé ensuite le second. Il se terminera par un résumé des constatations auxquelles nous sommes parvenu.

Nous renvoyons au rapport d'audience pour ce qui est des éléments de fait se rapportant aux décisions individuelles entreprises en l'espèce. En tant que telles, ces décisions individuelles, de même que les données individuelles en matière de production et de quotas qui s'y rapportent, n'ont guère joué un rôle dans la procédure. Nous l'avons déjà indiqué plus tôt.

2. Sur le premier moyen

Le moyen de non-applicabilité des décisions générales et, subsidiairement, de nullité relative de celles-ci, est basé, ainsi qu'il ressort des précisions qui ont été fournies, sur l'idée que les décisions prises par les institutions communautaires pendant la période intermédiaire après la décision du Conseil du 24 mai 1979 relative à l'adhésion de la République hellénique à la Communauté européenne du charbon et de l'acier, mais avant l'adhésion proprement dite, ne sont pas applicables à la Grèce, étant donné qu'elles n'ont pas pu faire l'objet de négociations relativement à l'acte d'adhésion. Aussi les institutions devraient-elles déclarer formellement les décisions applicables à la Grèce après l'adhésion de celle-ci, et cela, partant, d'un commun accord avec ce pays.

Aussi la requête pose-t-elle le problème du champ d'application après l'adhésion de décisions prises pendant la période intermédiaire.

Comme le recours est dirigé contre les décisions individuelles en cause, ainsi que nous l'avons relevé, le premier moyen doit être considéré comme une exception d'illégalité visant ces décisions individuelles. Sous cette forme, il peut être jugé recevable, ainsi qu'il se déduit de votre premier arrêt Meroni (affaire 9/56, Recueil 1958, p. 9), même si, comme il apparaît de l'arrêt en question, ce moyen ne saurait aboutir dans ce cas à l'annulation de la décision générale, ainsi qu'il est demandé à titre subsidiaire. La Cour considère à ce sujet:

... «que l'annulation d'une décision individuelle, fondée sur l'irrégularité des décisions générales dont elle est tirée, n'affecte les effets de la décision générale que dans la mesure où ceux-ci se concrétisent dans la décision individuelle annulée».

Il est également précisé dans les attendus suivants qu'en invoquant une telle exception d'illégalité, la partie requérante, à l'occasion d'un recours dirigé contre une décision individuelle, est fondée à invoquer, pour mettre en cause la régularité de la décision générale sur, laquelle la décision individuelle est fondée, les quatre moyens énumérés au premier alinéa de l'article 33. Vous avez encore confirmé cette façon de voir dans votre arrêt dans l'affaire 15/57 (Recueil 1958, p. 159) et dans de nombreux arrêts ultérieurs. Par conséquent, il pourrait également être conclu à l'annulation des décisions individuelles attaquées dans la présente affaire, mais en ce cas exclusivement pour ces décisions, si les décisions générales dont celles-ci sont tirées, étaient illégales pour un des quatre motifs énoncés à l'article 33 et invoqués par les requérantes.

Les requérantes concluent en effet, ainsi que nous l'avons relevé, à la non-applicabilité ou à l'illégalité des décisions générales en ce qui les concerne pour violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, motif étant pris de ce que l'extension à la Grèce du champ d'application de décisions prises pendant ce qu'il est convenu d'appeler la période intermédiaire ne se déduirait ni de l'article 2 ni d'aucune autre disposition de l'acte d'adhésion. Outre l'article 2, elles commentent notamment dans ce contexte les articles 9 et 146 de l'acte d'adhésion. A titre subsidiaire, elles font notamment valoir encore que la procédure d'information et de consultation convenue n'a pas été appliquée en l'espèce et que le considérant des dispositions générales ne faisait pas état de l'application de cette procédure. Il est permis de supposer que les requérantes voient dans ce moyen subsidiaire une violation de formes substantielles au sens visé à l'article 33 du traité CECA.

Le coeur de l'argumentation des requérantes ne nous paraît défendable ni sur la base de principes généraux du droit des gens, ni sur le fondement du texte et de l'économie de l'acte d'adhésion.

En droit des gens, le consentement d'un État à être lié par un traité existe en principe à partir de la ratification ou de l'adhésion. Ce n'est que s'il est expressément stipulé dans un traité que la signature de celui-ci lui confère force obligatoire que cet acte peut avoir un tel effet juridique (voir par exemple l'article 2, paragraphe 1, b, de la convention de Vienne sur le droit des traités:

«b.

les expressions ‘ratifications’, ‘acceptation’, ‘approbation’ et ‘adhésion’ s'entendent, selon le cas, de l'acte international ainsi dénommé par lequel un État établit sur le plan international son consentement à être lié par un traité».

Pour l'État adhérent, l'objectif essentiel de l'adhésion à un traité préexistant de droit des gens est de faire valoir, au moment de l'adhésion, des droits et obligations identiques à ceux des parties contractantes originaires. Nous renvoyons à ce sujet à Rousseau, «Principes généraux de droit international public», 1944, p. 279; Rousseau, «Droit international Public», Tome I, 1970, p. 115, Rousseau, «Droit International Public», 1977, p. 46 et McNair, «The law of treaties» (1961), p. 153. Dans le même sens, l'article 16 de la convention de Vienne sur le droit des traités (Nederlands Tractatenblad 1972, p. 51) dispose également, en ce qui concerne l'adhésion à un traité existant, ce qui suit:

«A moins que le traité n'en dispose autrement, les instruments de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion établissent le consentement d'un État à être lié par un traité au moment:

...

b)

de leur dépôt auprès du dépositaire,

...»

L'article 2 de la décision du Conseil des Communautés européennes, du 24 mai 1979, relative à l'adhésion de la République hellénique à la Communauté européenne du charbon et de l'acier, prévoit que l'adhésion prend effet le 1er janvier 1981, à condition, entre autres, que la République hellénique ait déposé son instrument d'adhésion à cette date.

Il ressort donc de tous les textes que nous venons de citer que c'est, en principe, la date de l'adhésion, et non pas une autre date quelconque, antérieure à celle-ci, qui est déterminante pour établir les droits et obligations applicables aux États adhérents et à leurs ressortissants au moment de l'adhésion. Il apparaît également que le principe de l'égalité des droits et obligations des États adhérents et des États déjà antérieurement liés au moment de l'adhésion est considéré comme une des caractéristiques fondamentales de l'adhésion. Ni la doctrine, ni la jurisprudence, ni la convention de Vienne de 1969 ne permettent de conclure à l'existence d'une limitation du droit de préciser l'étendue des droits et obligations en vigueur au moment de l'adhésion, comme il a d'ailleurs été fait dans l'acte d'adhésion dont il s'agit en l'espèce. McNair s'exprime, lui aussi, explicitement dans ce sens, op. cit., p. 149: «the law permits to the parties responsible for the negotiation of a treaty an almost complete discretion in the provisions that they make as to the manner in which states may become parties to it» ( 2 ). En définitive, la thèse principale des requérantes doit donc s'apprécier exclusivement sur la base du contenu de l'acte d'adhésion proprement dit.

Dans le cadre de l'examen de cet acte, relevons d'emblée que ses articles 9 et 146 sont manifestement sans intérêt dans la présente procédure. L'article 9 a trait à des dispositions transitoires s'écartant du droit communautaire primaire et secondaire applicable en principe après le 1er janvier 1981 aux Etats intéressés. Ces dispositions dérogatoires ne regardent pas l'application de l'article 58 du traité CECA. L'article 146 règle l'adaptation technique d'actes pris par les institutions avant l'adhésion de la Grèce. Il n'est toutefois pas question en l'espèce de l'adaptation de tels actes pris avant l'adhésion; ce qui est en cause ici, c'est l'applicabilité et, subsidiairement, la légalité de certaines décisions en tant que telles, prises avant l'adhésion, dans la mesure où elles ont été appliquées par la Commission à la Grèce après l'adhésion.

Finalement, en ce qui concerne le moyen de non-applicabilité des décisions générales 2794/80/CECA et 3381/80/CECA aux entreprises grecques, subsidiairement leur nullité relative à l'égard de ces entreprises, seul le texte invoqué de l'article 2 de l'acte d'adhésion importe. Cet article est libellé comme suit:

«Dès l'adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris par les institutions des Communautés lient la République hellénique et sont applicables dans cet État dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte». Or, les requérantes font valoir qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, on ne saurait considérer que la République hellénique ait accepté par traité des actes juridiques futurs, inconnus au moment de la conclusion de ce traité, entièrement indéterminés quant à leur contenu et devant être arrêtés unilatéralement à une date ultérieure par des institutions dont la Grèce ne faisait pas partie à ce moment et sans aucune possibilité d'intervention de sa part. Une telle délégation de souveraineté ne serait pas imaginable sans la participation de la Grèce aux institutions. Seule une disposition expresse et non équivoque inscrite dans le traité d'adhésion eût pu rendre possible une cession de souveraineté aussi indéterminée et illimitée.

Il devra toutefois se déduire déjà de la thèse inférée du droit des gens, que nous avons énoncée plus tôt et selon laquelle un État adhérent doit être placé au moment de l'adhésion dans la même situation juridique que les États membres originaires, une interprétation de l'article 2 de l'acte d'adhésion selon laquelle il faut entendre par «actes» tous les actes pris avant l'adhésion, y compris les décisions adoptées entre le 25 mai 1979 et le 1erjanvier 1981. Puissochet relève, lui aussi, dans son manuel bien connu sur l'élargissement des Communautés européennes que les neuf premiers articles de l'acte relatif à l'adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de l'Irlande, qui sont de même teneur à cet égard, constituent sous différents aspects un simple développement d'une idée qui se trouve incluse dans la notion même d'adhésion. Cette idée implique que les nouveaux États membres doivent se trouver, dès le moment de l'adhésion, dans une situation juridique identique à celle des anciens États membres, être soumis aux mêmes obligations et jouir des mêmes droits que ces derniers. Cela sous réserve des dispositions particulières conventionnellement arrêtées en la matière (J. P. Puissochet, «L'élargissement des Communautés européennes», Paris 1974, p. 175). Nous avons déjà souligné qu'il n'est pas possible de déduire d'autres conclusions des principes généraux du droit des gens. Une interprétation semblable à celle que préconisent les requérantes eût précisément nécessité une disposition explicite.

En outre, la Commission a souligné expressément dans son mémoire en défense, à juste titre selon nous, que toute autre interprétation serait impensable. Une interprétation comme celle qui est proposée par les requérantes paralyserait en effet entièrement la gestion et le développement des Communautés pendant toute la période de plus d'un an et demi séparant les décisions d'adhésion de l'adhésion proprement dite. En tout cas, elle impliquerait le risque que l'extension à la Grèce du champ d'application des dispositions législatives prises au cours de cette période intermédiaire et, partant, leur applicabilité uniforme à tous les États membres après la date de l'adhésion pourraient être frappées d'un veto grec. Du moins, il serait créé un vide dans le système juridique aussi longtemps qu'aucune décision n'aurait été prise sur l'élargissement du champ d'application. Il nous paraît évident en effet que des conséquences de ce genre, par exemple dans le domaine de la politique agricole commune, seraient absolument impensables et entièrement inacceptables. On ne saurait dès lors supposer que les rédacteurs de l'article 2 aient eu l'intention de mettre sur pied un tel système. Le texte de cet article ne contient, ainsi que nous l'avons dit, aucune limitation du genre de celle en faveur de laquelle plaident les requérantes. L'interprétation de l'article 2 qu'elles préconisent ne trouve d'ailleurs aucun appui non plus dans l'application qu'a reçue le droit après les première et deuxième extensions des Communautés. Certes, il peut se déduire de la référence que fait l'article 2 aux conditions prévues par les traités et par l'acte d'adhésion un renvoi à des limitations découlant d'autres dispositions de ces traités et de l'acte d'adhésion, mais on ne saurait en conclure, comme le font les requérantes, que l'article 2 n'est pas applicable à des dispositions générales du genre de celles dont il s'agit en l'espèce, en l'absence d'habilitation complémentaire expresse inscrite dans ces autres dispositions (voir Puissochet, op. cit., p. 180).

En ce qui concerne le moyen pris à titre subsidiaire de la circonstance que le gouvernement grec, contrairement à la procédure d'information et de consultation convenue (JO 1979, L 291, p. 191), n'aurait pas été informé en temps utile des décisions générales proposées, relevons tout d'abord que l'accord de procédure en question est seulement mentionné dans l'acte final, et cela en ces termes que «les plénipotentiaires et le Conseil ont, de même, pris acte de l'accord concernant la procédure d'adoption de certaines décisions» (JO 1979, L 291, p. 181). C'est donc à tort que les requérantes soutiennent, à la page 3 de leur requête, qu'il s'agit là d'une déclaration commune approuvée dans l'acte final. Selon McNair, l'acte final constitue seulement en droit des gens (o.e., p. 24) une sorte de relevé de pièces qui n'emporte pas en soi l'acceptation de celles-ci. L'acte final n'est d'ailleurs pas ratifié en tant que tel. L'acte d'adhésion proprement dit ne fait aucune mention de la procédure. Celle-ci ne saurait dès lors être considérée, selon nous, comme une condition d'application des actes dont il est question à l'article 2 de l'acte d'adhésion. Cela suffit déjà à montrer que c'est vainement que l'on se prévaut devant votre Cour, dans le cadre de la présente affaire, des accords en matière d'information et de consultation, et cela en dépit de leur intérêt politique et pratique évident.

Enfin, les requérantes n'ont nullement rendu plausible l'idée que la procédure n'a pas été respectée. Nous croyons qu'il convient plutôt de déduire le contraire des communications de la Commission. Celle-ci a souligné dans ce cadre qu'il a été fait application de la procédure comme d'une pratique standard. De plus, il entre dans la nature même de la procédure que c'est à la République hellénique qu'il appartiendrait de réagir en cas de non-respect de celle-ci. Or, il n'est pas apparu dans la présente affaire que tel a été le cas. Aussi longtemps que des parties ne soutiennent pas le contraire dans le cadre de la procédure d'information et de consultation, il conviendra d'admettre que celle-ci a effectivement été respectée. Voilà donc encore une raison pour laquelle ce moyen devrait être rejeté comme non pertinent en droit. Ce sont les mêmes raisons qui doivent également entraîner le rejet du moyen tiré du défaut de motivation que les requérantes ont encore pris dans ce contexte (à savoir la circonstance que le considérant des décisions générales ne fait pas mention de la procédure d'information et de consultation en ce qui concerne la Grèce).

Comme les décisions générales dont il s'agit ici concernaient, au moment où elles ont été arrêtées, les seules entreprises des neuf États membres de l'époque et que l'acte d'adhésion ne dit rien d'autre à ce sujet, seules les règles de procédure substantielles en vigueur au titre du traité CECA devaient être respectées à peine de nullité lors de l'adoption de ces dispositions. Les formes substantielles qui devaient être respectées au moment de l'adoption des décisions générales consistent seulement, bien sûr, à cette époque en des garanties pour les entreprises des neuf États membres d'alors qu'il convenait de lier en ce temps. Les avis et appréciations que la Commission doit mentionner dans ses décisions aux termes de l'article 15 du traité CECA sont exclusivement les avis du Comité consultatif et l'avis conforme du Conseil, ainsi que le prévoit l'article 58, paragraphe 1.

3. Sur le deuxième moyen

3.1.

Comme nous l'avons noté précédemment, les requérantes prennent leur deuxième moyen de l'illégalité pour cause de violation de formes substantielles consistant en une motivation insuffisante de la décision générale 2794/80, de laquelle sont tirées les décisions individuelles attaquées; subsidiairement, pour violation des articles 58, 74 et 14 du traité CECA. Ce moyen est formulé lui aussi sous la forme d'une exception d'illégalité. Après ce que nous avons déjà relevé dans le cadre de l'examen du premier moyen au sujet de la recevabilité d'une telle exception, il semble que la recevabilité du deuxième moyen ne puisse faire de doute, elle non plus, en considération de votre jurisprudence dont nous avons déjà parlé plus tôt.

Nous examinerons maintenant séparément les divers éléments de ce moyen dans l'ordre que nous avons indiqué. Dans la mesure où des vices de motivation avaient déjà été invoqués en cours d'instance au titre du premier moyen, ils ont été analysés dans le cadre de l'examen de celui-ci. Comme le deuxième moyen recouvre partiellement le premier sous cet aspect, quelques points spécifiques seront de nouveau analysés ici.

3.2 Vices de motivation

a)

Dans l'argumentation relative à leur premier moyen, les requérantes ont soutenu qu'il y a eu violation d'une forme substantielle du fait que le considérant de la décision générale 2794/80 n'indique pas que la Grèce a été informée, conformément à la procédure d'information et de consultation que nous avons déjà mentionnée, des décisions prises avant l'adhésion. Il a été soutenu également que l'entrée en vigueur future de la décision en Grèce n'avait pas été motivée. Enfin, la non-applicabilité de cette décision générale dans la République hellénique serait confirmée par l'absence de considérations relatives à la situation économique de ce pays qui justifieraient l'application de la décision générale dans ce nouvel État membre.

Pour cette argumentation, nous renvoyons tout d'abord à ce que nous avons déjà relevé dans le cadre de la discussion du premier moyen. Les décisions étant basées exclusivement sur le traité CECA, elles ne devaient respecter dès lors que les seules formes ayant valeur substantielle dans ce cadre.

Point n'était besoin non plus que la décision énonce les motifs de son entrée en vigueur future en Grèce. Celle-ci découle automatiquement de l'article 2 de l'acte d'adhésion.

Enfin, à supposer même qu'il en soit autrement, nous estimons, avec la Commission, et cela constitue donc — selon notre vision des choses — un argument purement subsidiaire, que la motivation d'une décision générale, du genre de celle dont il s'agit en l'espèce, ne doit pas s'étendre sur les circonstances particulières à chaque État membre. Toutes les entreprises sidérurgiques font partie, en effet, d'une seule Communauté dotée d'un marché communautaire unique. Ce qui importe exclusivement, dans ce cas, selon les termes de l'article 58, c'est de savoir si cette Communauté dans son ensemble se trouve dans un état de crise manifeste et si les autres conditions d'application de l'article 58 sont remplies pour cette Communauté dans son entier. Il est sans importance de savoir si chaque pays considéré individuellement connaît, lui aussi, une telle situation de crise. Nous renvoyons à ce sujet également à vos arrêts «ronds à béton» (Recueil 1980, p. 907, 22eattendu). Du reste, il peut aussi se déduire de l'interdépendance existant entre le marché national grec, le marché communautaire et le marché mondial qu'en ce qui concerne les producteurs grecs, la chute brutale de la demande tant sur le marché communautaire que sur le marché mondial, dont il est fait état dans le règlement no 2794/80, doit aussi inévitablement avoir fait sentir ses effets en Grèce. Ce qui revêt toutefois également ici une importance capitale, c'est que les entreprises sidérurgiques grecques avaient les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres entreprises sidérurgiques de la Communauté dès l'adhésion de la Grèce, sauf exceptions formellement stipulées. Comme il s'agit ici d'un principe général régissant l'applicabilité de tout le droit communautaire, point n'est besoin d'en faire mention une fois de plus en termes explicites ou de le motiver de la même manière dans le préambule d'actes particuliers. Ce principe général interdit, de même, de conclure de l'absence d'une motivation plus précise que la décision n'était pas applicable à la Grèce.

b)

En second lieu, les requérantes voient une violation de formes substantielles dans la circonstance que la décision générale ne précise pas les raisons pour lesquelles il est fait application de l'article 74 du traité CECA, lequel permet la mise en oeuvre de mesures de politique commerciale. La Commission fait observer toutefois sous ce rapport, à juste titre selon nous, qu'il se déduit clairement du texte de l'article 58 que seule l'application simultanée de mesures, au sens visé à l'article 74, aurait dû être motivée de manière plus explicite. Nous estimons, nous aussi, que la non-application de l'article 74 ne doit pas être motivée.

3.3 Violation des articles 58, paragraphe 1, et 74

Les requérantes estiment que l'application non simultanée de l'article 74 en l'espèce constitue une violation des articles 58, paragraphe 1, et 74. Il serait clair non seulement qu'une diminution de la production à l'intérieur de la Communauté est insuffisante pour y adapter l'offre à la demande, mais encore et principalement que depuis le premier trimestre 1981, en l'absence de mesures suffisantes de politique commerciale, unilatérales ou de droit conventionnel, une réduction de la production à l'intérieur des États membres entraînera nécessairement une augmentation de la part de marché des producteurs des pays tiers. En ce qui concerne cette branche du deuxième moyen, nous nous rallions entièrement à ce que l'avocat général M. Reischl a déjà exposé de manière circonstanciée à propos de thèses analogues développées par les requérantes dans les affaires 258/80 (Rumi) et 14/81 (Alphasteel) (non encore publiées). A cette occasion, l'avocat général s'est référé également à votre jurisprudence antérieure en la matière. Comme la Commission l'a souligné aussi à juste titre dans la présente affaire, celle-ci doit tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière non seulement des importations d'acier, mais également des exportations de ces produits ainsi que des obligations de la Communauté dans le cadre du GATT de même que de l'éventualité de mesures de rétorsion de la part de pays tiers en réponse aux contingentements des importations instaurés unilatéralement par la Communauté. Les requérantes n'ont pas non plus fait valoir d'arguments convaincants dans les présentes affaires qui permettraient d'établir qu'en évaluant tous les éléments d'appréciation pertinents en l'espèce, la Commission aurait agi contrairement à une règle supérieure de droit..

3.4. .Discrimination

La branche du deuxième moyen par laquelle il est soutenu qu'il y a eu traitement inéquitable du fait notamment de la discrimination dont auraient fait l'objet les entreprises grecques est, à nos yeux, réfutée de manière convaincante par la Commission. Nous aimerions toutefois renvoyer également ici aux conclusions de l'avocat général M. Reischl, du 29 octobre 1981, dans l'affaire Alphasteel (affaire 14/81). La requérante dans cette affaire avait invoqué des arguments partiellement comparables à ceux qu'ont développés les entreprises sidérurgiques grecques.

Pour mettre un terme à cette partie de nos conclusions, nous relèverons cependant encore ce qui suit. La valeur d'un arbre s'apprécie à ses fruits. Telle est aussi la raison pour laquelle, au cours des débats oraux, la Commission, à juste titre selon nous, s'est attachée à démontrer, chiffres à l'appui, l'incidence de fait que la réglementation attaquée à eue pour les entreprises sidérurgiques grecques. Ces chiffres montrent clairement que les quotas respectifs attribués à ces entreprises, loin d'être inéquitables, tenaient largement compte de leurs possibilités de production et de vente. Il n'est apparu en aucun cas que ces quotas auraient entraîné une limitation de ces possibilités. Tout au contraire, aucune entreprise sidérurgique grecque n'a épuisé son quota au cours du trimestre déterminant dans la présente procédure. Ces chiffres ne sont d'ailleurs pas contestés par les requérantes. D'autre part, il n'a pas non plus été rendu plausible d'une manière quelconque que si le régime des quotas avait été basé sur la capacité de production plutôt que sur la production effective au cours de la période de référence, les résultats eussent été meilleurs et plus équitables pour les entreprises grecques. Et nous renonçons même ici à parler des inconvénients que le système préconisé par les requérantes aurait pu présenter, selon l'optique de la Commission que nous faisons nôtre et qu'elle base sur l'objectif, poursuivi, d'une adaptation de l'offre à la demande ainsi que sur des considérations empruntées à l'économie de marché et sous-jacentes au traité CECA. Un régime de quotas basé sur la capacité de production décourage, en effet, le démantèlement nécessaire des surcapacités, plutôt qu'il ne le favorise. Et, qui plus est, il aboutit à conférer un avantage relatif aux entreprises moins efficientes, ayant un degré d'occupation relativement bas.

Les chiffres cités par la Commission soulèvent, après coup, la question de savoir si les requérantes avaient effectivement un intérêt raisonnable, à leur recours, lequel est basé exclusivement sur l'exception d'illégalité. Dans ce contexte, on peut aussi se demander si l'idée, parfaitement raisonnable en général, que l'intérêt de l'entreprise touchée par une décision individuelle peut se présumer dans l'hypothèse d'une exception d'illégalité, l'est effectivement toujours. Cette question soulève à son tour celle de la nécessité de rendre plausible l'existence d'un intérêt raisonnable de la requérante aux fins de la recevabilité de l'exception d'illégalité, lorsque cet intérêt raisonnable ne peut pas se présumer sans plus. Comme votre jurisprudence ne donne aucune indication claire à ce sujet et que, d'autre part, la recevabilité des requêtes dont il s'agit ici n'a pas été contestée par la Commission, nous croyons qu'il serait injuste d'attacher une conséquence quelconque à ces questions dans le cadre des présentes affaires. Nous relèverons toutefois qu'au niveau des risques d'abus de procédure et des considérations en matière d'économie des procès, il n'y a pas de différence, en principe, entre les présentes affaires et les recours formés au titre de l'article 215, deuxième alinéa, contre des dispositions de portée générale. Nous renvoyons à ce sujet à nos conclusions récentes dans les affaires Walzmühle Erling et autres (affaires 197-200, 243, 245 et 247/80, non encore publiées).

4. Conclusions

Sur la base des constatations auxquelles nous sommes parvenu, nous nous bornerons, en résumé, à conclure que les requêtes dont il s'agit ici, doivent être rejetées comme non fondées et les requérantes condamnées aux dépens de la procédure non encore liquidés.


( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) Ndt. : en anglais dans le texte. «Le droit laisse aux parties responsables de la négociation d'un traité une liberté presqu'entière pour définir les modalités d'adhésion des États à ce traité.»

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