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Document 61981CC0015

Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 16 décembre 1981.
Gaston Schul Douane Expediteur BV contre Inspecteur des droits d'importation et des accises, de Roosendaal.
Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof 's-Hertogenbosch - Pays-Bas.
Taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation de marchandises livrées par des particuliers.
Affaire 15/81.

Recueil de jurisprudence 1982 -01409

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:304

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 16 DÉCEMBRE 1981

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le Gerechtshof de Bois-le-Duc vous a saisis, par application de l'article 177 du traité de Rome, d'une demande de décision à titre préjudiciel concernant le problème de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation de marchandises livrées par des particuliers à l'intérieur du pays ou avec traversée d'une frontière. Les faits sont les suivants:

Par contrat passé à Cannes en 1978 ou au début de 1979, M. Giovanni Nanni, de nationalité suédoise, domicilié à Monaco, a vendu au comptant pour la somme de 365000 francs français à M. Han Van Zanten, de nationalité néerlandaise, domicilié à Vuren (Pays-Bas), un bateau de plaisance de plus de huit tonnes, marque «Nautor», construit en 1973-1974, avec titre de navigation et acte de francisation. Le bateau était livrable à quai à Cannes et il passait aux risques et périls de l'acheteur à compter du 15 février 1979.

Nous supposerons, pour les besoins de la cause, que M. Nanni a effectivement payé la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en France à l'achat de son bateau neuf (au taux majoré de 33 1/3 %) et qu'il n'a bénéficié d'aucune ristourne de TVA lorsqu'il a été exporté aux Pays-Bas. Nous supposons également que M. Van Zanten a bien reçu le titre de navigation et l'acte de francisation du bateau, bien que l'acte de vente n'indique pas leurs numéros.

Le 16 février 1979, M. Van Zanten a fait présenter à Wernhout (Pays-Bas), par l'intermédiaire de la société Gaston Schul, transitaire en douane, ce bateau destiné à son usage privé.

A cette occasion, l'administration fiscale néerlandaise a réclamé et perçu un montant de 31014 florins au titre de la taxe néerlandaise sur le chiffre d'affaires (TCA) au taux normal appliqué à l'intérieur du pays pour la livraison d'un bien de ce type (18 %, appliqué à 172300 florins, «valeur d'importation» du bien).

M. Van Zanten a protesté contre cette imposition en faisant valoir que le bateau avait déjà été grevé de la TVA à l'intérieur du marché commun — en France — et qu'il n'avait bénéficié d'aucune ristourne à l'exportation.

Cette réclamation ayant été rejetée au motif que la taxation avait été effectuée conformément aux dispositions de la loi néerlandaise de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, la société Gaston Schul et M. Van Zanten ont saisi la cour de Bois-le-Duc en alléguant que l'imposition litigieuse est contraire aux dispositions, d'une part, de l'article 12 et, le cas échéant, de l'article 13 et, d'autre part, de l'article 95 du traité CEE.

Selon eux, la perception de la TCA à l'importation aux Pays-Bas a été effectuée en vertu de l'article 1 de la loi néerlandaise de 1968 qui met en oeuvre l'article 2 de la deuxième directive adoptée par le Conseil le 11 avril 1967 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires. Cette directive a été ensuite remplacée par la sixième, adoptée par le Conseil le 17 mai 1977 (système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme). Mais cette dernière directive serait contraire au traité à un double point de vue:

d'une part, elle impose la perception d'une taxe à l'importation par un particulier dans un État membre d'un bien d'occasion acheté à un autre particulier dans un autre État membre; elle violerait donc les articles 12 et 13 du traité selon lesquels l'achat d'un bien d'occasion par un particulier à un autre particulier n'est grevé de TVA ni en France, ni aux Pays-Bas;

d'autre part, si la TCA perçue aux Pays-Bas relève bien d'un «système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés», au sens de l'arrêt Simmenthal du 28 juin 1978 (Recueil 1978, p. 1455 et suiv.), elle n'aurait été perçue en l'espèce ni «selon les mêmes critères, ni au même stade de commercialisation des produits nationaux», au sens du même arrêt, puisque, au stade des ventes d'occasion aux Pays-Bas, les produits concernés ne sont pas soumis à TCA en cas de transaction de particulier à particulier.

Même en admettant que la taxation à l'importation fût justifiée dans son principe, le bien aurait dû, conformément à l'article 96 du traité, bénéficier à l'exportation de France d'une ristourne d'imposition intérieure, égale à l'imposition dont il avait été frappé directement ou indirectement au titre de la TVA française. Or, la directive ne prévoirait aucune exonération en cas d'importation par un particulier dans un État membre d'un bien acheté à un autre particulier dans un autre État membre; elle serait donc illégale.

C'est dans ces conditions que la juridiction néerlandaise vous demande d'apprécier la validité de l'article 2, point 2, de la directive au regard des dispositions tant douanières (articles 12 et 13) que fiscales (articles 95 et suiv.) du traité. Nous allons successivement examiner ces deux aspects.

Mais il convient tout d'abord de préciser les limites de l'examen auquel vous convie la juridiction néerlandaise: il ne s'agit pas en effet d'apprécier dans l'absolu la validité de l'article 2, point 2, de la sixième directive, mais seulement au regard de la perception de la TCA à l'importation de marchandises d'occasion livrées de particulier à particulier, c'est-à-dire ce que l'on appelle les biens d'occasion «immatriculés».

I —

1.

Si l'on se réfère au principe de la libre circulation des marchandises, en l'espèce, le simple fait que le bien d'occasion soit passé d'un État membre à un autre a entraîné un renchérissement. Mais, bien que l'imposition à laquelle a été soumis le bateau aux Pays-Bas ait été perçue à l'importation, on ne saurait y voir une taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens de l'article 12 du traité.

Il s'agit d'une imposition intérieure qui fait partie intégrante du système fiscal en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. Le fait qu'elle appréhende éventuellement, selon des critères et à un stade différents, les produits nationaux et les produits importés ne lui enlève pas ce caractère, mais doit tout au plus être apprécié au regard des dispositions fiscales du traité.

Ces dispositions, qui figurent au chapitre 2 du titre I («les règles communes») de la troisième partie du traité («la politique de la Communauté»), sont exactement sur le même plan que celles relatives à l'élimination des droits de douane qui font partie du chapitre 1 du titre I («la libre circulation des marchandises») de la deuxième partie du traité («les fondements de la Communauté»).

Comme le rappelle opportunément le gouvernement français dans ses observations orales, ceci a été confirmé par votre arrêt Demag du 22 octobre 1974 (Recueil 1974, p. 1046) dont nous citons le sixième attendu:

«Attendu que les articles 12 et 13, d'une part, et 95, d'autre part, ne sauraient être appliqués conjointement à une même espèce, les taxes d'effet équivalant à des droits de douane, d'une part, et les impositions intérieures, d'autre part, étant soumises à des régimes et des prescriptions différents;

qu'en outre non seulement les taxes sur le chiffre d'affaires et les impôts de nature similaire sont à considérer comme des impositions intérieures, mais également les taxes et autres mesures destinées à compenser les effets de ces impositions quant à l'importation et l'exportation des biens.»

Le caractère spécial des dispositions fiscales a pour conséquence qu'elles sont autonomes par rapport aux dispositions relatives à l'union douanière. Il n'est donc pas possible de faire prévaloir celles-ci sur celles-là, ni de résoudre les difficultés que pose la mise en œuvre des secondes par l'«effet utile» attribué aux premières: union douanière n'est pas synonyme d'union fiscale.

2.

Il n'avait point échappé aux rédacteurs du traité que, selon les modalités d'application dont elle est assortie, la fiscalité directe ou indirecte est susceptible de faire obstacle à la réalisation des buts qu'ils s'étaient assignés.

Parmi les impositions intérieures de quelque nature qu'elles soient, frappant directement ou indirectement les produits, les rédacteurs du traité se sont particulièrement intéressés à la taxe sur le chiffre d'affaires (chapitre 2 du titre I, «les règles communes»).

L'imposition nationale perçue et la ristourne nationale accordée à ce titre faisaient l'objet des articles 95, 96 et 97. Nous disons «faisaient», car les législations des différents États membres en ce domaine ont commencé d'être harmonisées «dans l'intérêt du marché commun», ainsi que le prévoit l'article 99, à la seule exception de la Grèce où la TVA communautaire n'est pas encore en vigueur.

La première directive adoptée par le Conseil le 11 avril 1967 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires disposait que ceux-ci devaient remplacer leurs systèmes de taxes sur le chiffre d'affaires par un système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Sa philosophie a été exposée dans les conclusions de M. l'avocat général Mayras (Recueil 1977, p. 130 et suiv.) dans l'affaire Nederlandse Ondernemingen, sur laquelle vous avez statué par arrêt du 1er février 1977 (Recueil 1977, p. 114 et suiv.). Rappelons que, selon ce système, à chaque stade d'imposition la TVA est exigible et calculée — au taux applicable — sur le prix du bien ou service qui fait l'objet de la transaction, sous déduction du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. Ce régime, qui garantit la neutralité de la taxe sur le chiffre d'affaires quant à l'origine des biens et des prestations de services, s'accompagne de la suppression des compensations aux frontières au titre de cette taxe pour les échanges entre États membres, jusqu'alors permises en vertu des articles 95 et 96 du traité (article 2 de la première directive du Conseil du 11 avril 1967).

C'est une seconde directive, adoptée le même jour par le Conseil, qui a véritablement fixé les principes gouvernant la structure et les modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

La sixième directive, adoptée par le Conseil le 17 mai 1977, concernant l'assiette uniforme de la TVA, se situe toujours dans la perspective de la suppression des frontières fiscales en vue de réaliser à terme un marché ayant des caractéristiques analogues à celles d'un véritable marché commun. Bien que cette directive doive, ainsi que nous le verrons, être complétée, elle constitue déjà un véritable code commun de la TVA.

Le mécanisme des déductions (article 17 de la sixième directive) reste la pierre angulaire du système commun. A chaque stade du circuit de production ou de commercialisation d'un bien, la somme à verser au fisc est déterminée en portant en déduction du montant de la taxe exigible la taxe payée au stade antérieur par les fournisseurs. L'assujetti peut déduire de la TVA dont il est redevable celle qui a grevé en amont les biens livrés et les Services rendus par un autre assujetti, les biens importés ainsi que les biens livrés et les services rendus à soi-même.

L'article 17, point 4, dispose:

«Le Conseil s'efforcera d'adopter avant le 31 décembre 1977, sur proposition de la Commission et statuant à l'unanimité, les modalités d'application communautaires selon lesquelles les remboursements doivent être effectués, conformément au paragraphe 3, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis à l'intérieur du pays.»

Selon l'article 17, point 6:

«au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive (date fixée au 1er janvier 1978, mais reportée entre-temps au 1er janvier 1979 pour le Danemark, la république fédérale d'Allemagne, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas), le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la TVA. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive.»

Ainsi, les taxes sur le chiffre d'affaires perçues dans les États membres sont désormais partiellement harmonisées. Elles ont perdu — au moins en partie — leur caractère d'impositions nationales, pour relever d'un «système commun».

Il existe une raison supplémentaire de considérer que la taxe sur le chiffre d'affaires perçue selon le «système commun de taxe sur la valeur ajoutée» a un caractère communautaire: depuis la décision du Conseil du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés, «ces ressources comprennent ... celles provenant de la taxe à la valeur ajoutée et obtenues par l'application d'un taux qui ne peut dépasser 1 % à une assiette déterminée d'une manière uniforme pour les États membres, selon des règles communautaires ...» (article 4, point 1). Le règlement no 2892/77 du Conseil du 19 décembre 1977 a fait application, pour les ressources propres provenant de la TVA, de la décision du 21 avril 1970.

En termes techniques, cette assiette est l'«assiette réelle» du dernier stade du champ d'application, c'est-à-dire le prix (TVA exclue) des ventes et prestations appliqué au consommateur qui n'a pas droit à la déduction de la taxe en amont.

Il en résulte non seulement que l'imposition litigieuse perçue aux Pays-Bas ne constitue pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens de l'article 12 du traité, mais qu'elle n'est plus à proprement parler une «imposition intérieure» nationale au sens de l'article 95, comme le sont encore par exemple les droits d'accises sur les boissons alcooliques, sur le tabac, sur les produits pétroliers, les droits d'enregistrement ou autres taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires (voir article 33 de la sixième directive). Il en découle également que, si les articles 95 et 96 sont encore applicables à ces droits ou taxes, ils ont cessé de l'être — tels quels — aux taxes sur le chiffre d'affaires perçues selon le système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

II —

L'objectif de la sixième directive — comme d'ailleurs des articles 95, 96 et 97 — est d'instaurer la neutralité concurrentielle entre entreprises (article 3, sous f), du traité).

A cet effet, son article 2, qui a remplacé l'article 2 de la seconde directive, et les législations nationales adoptées ou modifiées pour s'y conformer soumettent à la TVA:

«1)

les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2)

les importations de biens.»

Pour les échanges entre États membres comme pour les échanges avec les pays tiers, le système commun de TVA reste fondé sur le principe, résultant des pratiques internationales actuelles, de l'application de la fiscalité du «pays de destination», c'est-à-dire du pays de consommation. Ce principe est à l'origine des frontières fiscales qui subsistent à l'intérieur de la Communauté; l'importation, opération qui consiste à introduire des marchandises «à l'intérieur du pays», est imposable à la frontière, avec les aménagements apportés par l'article 14 de la directive et, à l'exportation, la détaxation s'effectue également à la frontière (articles 15 et 16).

Vous avez vous-mêmes confirmé ce principe dans votre arrêt Carciati du 9 octobre 1980 (Recueil 1980, p. 2780):

«En ce qui concerne l'interdiction imposée par un État membre aux personnes qui résident sur son territoire d'utiliser des véhicules importés temporairement en franchise, elle constitue un moyen efficace pour prévenir les fraudes fiscales et assurer que les taxes sont payées dans le pays de destination des biens» (no 10).

La libre circulation des marchandises à l'intérieur du marché commun ne signifie nullement que celles-ci ne doivent pas être taxées dans le pays de destination: le seul principe que les États membres soient tenus de respecter à cet égard est l'interdiction de discrimination entre marchandises nationales et marchandises importées (article 95).

Dans la généralité des cas, l'institution du système commun de TVA assure que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun; elle contribue ainsi à l'abolition des obstacles à la libre circulation et rend superflu le recours aux taux moyens prévus à l'article 97 avant l'instauration de ce système. Comme la TVA se traduit par une imposition des biens exactement proportionnelle à leur prix, l'application à la valeur des produits importés du taux dont ils sont passibles dans le pays d'importation assure l'égalité de traitement entre la production nationale et la production étrangère. De même, l'opération d'exportation étant elle-même exonérée, le remboursement à l'exportation de la taxe facturée à l'achat des produits exportés ou des produits nécessaires à leur fabrication aboutit à détaxer effectivement les ventes à l'étranger.

Il subsiste cependant un certain nombre d'anomalies. C'est le cas pour les biens dits «d'occasion».

1.

La définition même du bien d'occasion n'est pas simple. D'une façon générale, on peut dire qu'il s'agit d'un bien susceptible d'être réemployé à la place d'un bien neuf qui ferait le même usage, éventuellement après remise en état.

Mais cette appellation recouvre:

des biens de consommation durable, qui perdent de leur valeur au cours des cycles d'utilisation successifs;

les biens d'occasion «immatriculés», tels que les voitures automobiles et les bateaux;

les objets d'art et de collection, dont la valeur est au contraire susceptible d'augmenter avec le temps.

Tous ces biens présentent la particularité qu'une fois arrivés au consommateur final au terme d'un cycle commercial ils peuvent, après un certain usage, être réintroduits dans le cycle commercial ou d'utilisation. A quelque catégorie qu'ils appartiennent, ils présentent en outre la caractéristique de pouvoir être transférés sans l'intervention d'un intermédiaire commercial, à la différence des biens neufs.

Ainsi, en l'espèce, le bateau échangé a été utilisé, du moins nous le supposons, en partie en France s'il y avait été acheté à l'état neuf et s'il y était immatriculé et en partie aux Pays-Bas, État membre où il a été ensuite importé.

Précisons que, au regard de la TCA néerlandaise, M. Van Zanten a la qualité d'assujetti, alors que la société Gaston Schul est le redevable de cette taxe.

Lorsqu'un bien détenu par un particulier, consommateur final non assujetti, est acquis d'occasion par un assujetti, unecharge fiscale résiduelle («rémanente») se trouve incorporée dans le prix d'achat payé par cet assujetti; lorsqu'à son tour celui-ci revend ce bien (éventuellement après réparation) et qu'il ne peut déduire la charge fiscale supportée au stade antérieur, la TVA — en l'absence de régime particulier — grève la totalité du prix de revente et non simplement la valeur éventuellement ajoutée par le revendeur: le bien exclu du droit à déduction subit une double imposition et, de ce fait, le produit vendu au nouveau consommateur final est grevé d'une «rémanence» d'impôt.

De même, lorsqu'un bateau de plaisance détenu par un particulier, utilisateur final non assujetti, est revendu d'occasion à un autre particulier non assujetti, il y a une rémanence de taxe dans le prix facturé à ce dernier puisque le vendeur n'a pas pu déduire la TVA ayant frappé la facturation du bateau neuf; il se produit un cumul de taxation.

La réalisation de l'objectif de neutralité fiscale, et donc la taxation des biens d'occasion, est difficile, car, dans les échanges de ces biens, toute une série de personnes très différentes peuvent intervenir: le bien peut être vendu par son premier utilisateur, qui a éventuellement pu déduire la TVA, ou par un particulier qui n'a pu la déduire s'il n'est pas un assujetti ou si une disposition spéciale interdit cette déduction même aux assujettis (voir article 13, B, c), de la directive). Le bien peut être vendu à un simple particulier ou à un assujetti, intermédiaire occasionnel ou professionnel, qui revend lui-même, éventuellement après remise en état.

Lorsque l'utilisation du bien se prolonge non plus dans l'État d'origine (France), mais dans un autre État membre (Pays-Bas) par suite de l'importation dans cet État, cette importation équivaut, au point de vue fiscal, à réintroduire le bien dans le circuit économique; tout se passe comme si, du moment qu'il franchit une frontière fiscale, le bien était réintroduit dans ce circuit; le particulier, M. Van Zanten, recouvre la qualité d'assujetti au sens de l'article 4 de la directive du simple fait que le bien d'occasion qu'il a acquis traverse une frontière.

2.

Le problème de l'absence d'imposition ou, au contraire, de la double imposition en matière de TVA à l'intérieur de la Communauté avait déjà été soulevé lors de l'élaboration de la première directive du Conseil.

Un régime communautaire d'allégement des taxations à l'importation au titre des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises a été instauré par une directive du Conseil du 28 mai 1969 dans le cadre du trafic international de voyageurs.

Une autre directive du Conseil du 19 décembre 1974 accorde une franchise fiscale à l'importation des marchandises faisant l'objet de petits envois sans caractère commercial au sein de la Communauté.

La sixième directive prévoit elle-même que, lorsque des biens meubles corporels (y compris les voitures automobiles) ont fait l'objet dans un État membre d'un travail ou d'une réparation taxés sans droit à déduction, ces biens peuvent être réimportés en franchise dans l'État membre d'où ils ont été temporairement exportés (article 14, point 1, f).

Cependant, en matière de «biens d'occasion», aucune des solutions suggérées n'a pu être retenue et l'article 32 de la sixième directive se borne à dire:

«Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, arrêtera, avant le 31 décembre 1977, le régime communautaire de taxation applicable dans le domaine des biens d'occasion ainsi que des objets d'art, d'antiquité et de collection.

Jusqu'à la mise en application de ce régime communautaire, les États membres qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente directive, appliquent un régime particulier dans le domaine visé ci-dessus peuvent maintenir ce régime.»

La Commission a présenté au Conseil, le 11 janvier 1978, une proposition d'une septième directive relative au «régime commun de TVA applicable dans le domaine des objets d'art, de collection, d'antiquité et des biens d'occasion»; elle y a apporté certaines modifications le 16 mai 1979. Ce texte vise notamment «les bateaux de plaisance» (article 4, point 1). Mais le Conseil n'a pas encore statué. De toute façon, ce texte ne vise qu'à permettre aux seuls assujettis de déduire la TVA incorporée dans le prix de vente du bien d'occasion qui leur est vendu par un particulier, en vue de supprimer toute rémanence de taxe: il laisse en dehors de son champ d'application la transmission de tels biens de particulier à particulier.

Le fait que l'échéance du 31 décembre 1977 que s'était fixée le Conseil soit passée n'a nullement pour effet de permettre aux particuliers de se prévaloir d'un quelconque «effet utile» de cette disposition.

3.

La libre circulation des biens d'occasion est, il est vrai, affectée par cette double imposition. «Afin que la population des États membres prenne plus fortement conscience de l'existence de la Communauté européenne, il convient de poursuivre en faveur des particuliers l'action entreprise en vue de créer, dans la Communauté, des conditions analogues à celles d'un marché intérieur» (premier considérant de la proposition de directive relative aux franchises fiscales applicables aux importations définitives de biens personnels des particuliers en provenance d'un État membre, présentée par la Commission au Conseil le 30 octobre 1975); toutefois, contrairement à ce que laisse entendre l'avocat de la société Gaston Schul, cette situation résulte non d'une négligence, mais d'une intention délibérée.

Il y a, dans ce mode de taxation, un choix de politique économique correspondant, à notre avis, à l'état actuel du droit communautaire.

Il faut d'abord remarquer que cette imposition à l'importation n'avantage pas spécifiquement les biens d'occasion vendus aux Pays-Bas: elle joue de la même façon en faveur des biens d'occasion vendus à l'intérieur de tous les États membres et au détriment des biens d'occasion achetés dans les autres États membres. A cet égard, tous les particuliers de tous les États membres qui importent des biens d'occasion se trouvent sur un pied d'égalité devant les charges publiques. Votre jurisprudence ne considère pas comme une discrimination arbitraire toute inégalité de traitement, mais uniquement les différenciations qui ne peuvent être objectivement justifiées.

Une taxation au moins partielle du bateau importé aux Pays-Bas reste de toute façon justifiée par le principe de la taxation dans le pays où l'utilisation du bateau se prolonge. En effet, on pourrait craindre une déviation des circuits commerciaux normaux s'il était possible d'importer dans un État membre sans payer de TVA un bien d'occasion (voiture automobile, par exemple) acquis auprès d'un simple particulier d'un autre État membre et non grevé de TVA à cette occasion, alors que l'exportation de ce même bien acquis auprès d'un assujetti n'ouvrirait pas droit à déduction.

Pour obtenir un bien au taux de TVA le plus intéressant, il suffirait qu'un particulier l'achète d'occasion dans l'État membre où ce taux est en vigueur et se fasse ensuite transmettre ce bien dans son propre État. Comme l'on sait, les taux de TVA ne sont pas unifiés à ce jour.

D'ailleurs, la TCA de 18 % perçue aux Pays-Bas est assise non pas sur le prix d'achat du bateau à l'état neuf, mais sur le prix de cession facturé par M. Nanni à M. Van Zanten; ce prix, en principe, devait tenir compte de la dépréciation du bien et du fait que la charge fiscale résiduelle incorporée dans la somme payée par M. Van Zanten n'était pas déductible par celui-ci. Si le prix de cession consenti à M. Van Zanten a été correctement calculé par M. Nanni, la taxation à l'importation n'est pas supérieure à la part de TCA répercutée aux Pays-Bas par un particulier qui vend un bateau d'occasion à un autre particulier.

4.

M. Van Zanten et la société Gaston Schul paraissent soutenir en définitive qu'à défaut d'exonération totale de TCA à l'importation aux Pays-Bas, il aurait du moins fallu permettre un dégrèvement de la rémanence indirecte de TCA et que le bateau puisse bénéficier, à l'exportation de France, d'une ristourne de l'imposition l'ayant frappé dans ce pays.

Pour partager ce point de vue, il faudrait qu'au lieu d'appliquer le régime de la déduction «taxe sur taxe» prévu par la directive (la taxe est assise sur la différence entre la taxe à la vente et la taxe à l'achat), on retienne le système de déduction «base sur base» selon lequel la taxe devrait être assise sur la différence entre le prix d'achat et le prix de vente. La facture du fournisseur servirait ainsi de justificatif pour la déduction au stade suivant. Or, précisément, cette facture ne fait pas apparaître la part de TVA dans le prix payé par l'acheteur. En outre, un tel système de ristourne supposerait la taxation de la livraison du bateau de M. Nanni à M. Van Zanten: toute exonération suppose nécessairement la preuve d'une imposition antérieure.

Observons que les particuliers qui se bornent à échanger des biens d'occasion à l'intérieur d'un même État membre ne seraient pas favorables à une telle taxation qui, au surplus, en l'état des textes communautaires, est impossible, car la directive prescrit (article 13, B, c) aux États membres d'exonérer la livraison des biens dont l'acquisition a été grevée d'une TCA non déductible (article 17, point 6).

Pour accorder, même partiellement, une ristourne de TVA à l'exportation de France, pays où le bateau a également été utilisé, il aurait fallu, à l'occasion de la vente effectuée par M. Nanni, déterminer, d'une part, la «rémanence» de taxe incorporée dans le prix payé par ce dernier et, d'autre part, asseoir et recouvrer la TCA correspondant à l'utilisation postérieure du bateau par M. Van Zanten aux Pays-Bas.

Tant les États que les institutions qui ont présenté des observations écrites ou orales dans la présente procédure ont souligné les complications d'ordre administratif que ceci entraînerait, complications qui seraient, dans certains cas, hors de proportion avec les intérêts en jeu. Les particuliers qui se livrent à de telles opérations devraient se transformer en comptables et en collecteurs d'impôts.

Au-delà de ces problèmes administratifs ardus, il existe une difficulté beaucoup plus sérieuse. Elle tient au mode de répartition entre États membres du produit de la TVA perçue sur l'utilisation d'un bien d'occasion, selon que cette utilisation a lieu totalement dans l'État d'origine du bien ou, comme en l'espèce, se prolonge dans un autre État membre, alors que les modalités d'imposition dans l'État d'origine échappent à l'emprise de l'État d'importation et inversement. Le premier considérant de la proposition de la Commission concernant le régime communautaire de taxation applicable dans le domaine des biens d'occasion pose bien le problème: ce régime «doit permettre d'éviter les détournements de trafic à l'intérieur de la Communauté et assurer que l'application du taux communautaire à ces opérations conduise à des résultats équitables dans tous les États membres aux fins des ressources propres».

5.

Avec le gouvernement italien, nous ajouterons qu'en ce qui concerne l'effet éventuel d'une double taxation en cas d'exportation vers un autre État membre, vous avez jugé par votre arrêt Larsen du 29 juin 1978 (Recueil 1978, p. 1560):

«que le traité CEE ne comporte aucune prescription visant à prohiber des effets de double taxation de ce genre;

que, si l'élimination de tels effets est sans doute désirable dans l'intérêt de la libre circulation des marchandises, elle ne peut résulter cependant que de l'harmonisation des systèmes nationaux en vertu de l'article 99 ou éventuellement de l'article 100 du traité» (trente-troisième et trente-quatrième attendus).

Pour supprimer la différence de traitement dont se plaignent M. Van Zanten et la société Gaston Schul, il faudrait:

supprimer l'exonération de TVA dont jouissent à l'intérieur des États membres les ventes occasionnelles de particulier à particulier,

prévoir un taux adéquat de TVA pour ces ventes

et

lorsque ces biens sont exportés dans un État membre autre que l'État où ils ont été acquis d'occasion, les faire bénéficier d'une ristourne d'exportation.

Tout ceci suppose une uniformisation complète de l'assiette et un rapprochement, voire une unification, des taux. On ne saurait soutenir que la sixième directive est illégale du fait qu'elle n'a pas prévu toutes ces modalités. Il n'est pas possible de suppléer à l'absence de régime communautaire particulier pour les biens d'occasion en déclarant purement et simplement l'article 2, point 2, de la directive non valide, alors que cette lacune peut être comblée selon des modalités diverses. La seule voie possible est le recours à l'article 99 du traité.

En réponse aux questions posées, nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

pour autant que l'article 2, point 2, de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires prescrit à chaque État membre d'assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée l'importation par un particulier d'un bateau d'occasion provenant d'un autre État membre, alors même que la livraison d'une telle marchandise ne serait pas assujettie à ladite taxe si elle était effectuée dans les mêmes conditions à l'intérieur de l'un et l'autre de ces États, cette disposition est valide.

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