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Document 61981CC0002
Opinion of Mr Advocate General Rozès delivered on 19 November 1981. # Criminal proceedings against Albert Clément, Gérard Ces and others. # Reference for a preliminary ruling: Tribunal de grande instance de Paris - France. # Common organization of the market in wines - Coupage of wines. # Case 2/81.
Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 19 novembre 1981.
Procédure pénale contre Albert Clément, Gérard Ces et autres.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France.
Organisation commune du marché viti-vinicole - Coupage des vins.
Affaire 2/81.
Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 19 novembre 1981.
Procédure pénale contre Albert Clément, Gérard Ces et autres.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France.
Organisation commune du marché viti-vinicole - Coupage des vins.
Affaire 2/81.
Recueil de jurisprudence 1981 -03339
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:276
CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,
PRÉSENTÉES LE19 NOVEMBRE 1981
Monsieur le Président,
Messieur les Juges,
Le litige sur lequel nous vous présentons aujourd'hui nos conclusions trouve son origine dans un coupage, pratiqué aux Pays-Bas, de vins d'origine grecque et algérienne qui y avaient été mis en libre pratique. Ces vins on été ensuite vendus par la société néerlandaise Europe Vins, en tant que vins destinés à la vinaigrerie, aux sociétés françaises Alben Clément et Gérard Ces. Celles-ci les on importés en France sous le couvert de documents douaniers les désignant comme «marchandises de la Communauté Origine: Pays-Bas'».
Ces importations ont été qualifiées par l'administration française des douanes d'importations sans déclaration de marchandises prohibées, au moyen d'une fausse déclaration d'origine, au sens de l'article 426, 3°, du Code français des Douanes. Cette fausse déclaration avait eu pour objet de permettre aux entreprises en cause d'échapper à l'interdiction de principe du mélange dans la Communauté de vins de pays tiers, prévue par l'article 26, paragraphe 4, du règlement n° 816/70 du Conseil du 28 avril 1970, portant dispositions complémentaires en matière d'organisation commune du marché vitivinicole.
Comme elle l'indique dans son jugement de renvoi, la 11e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris fait sienne l'analyse de l'administration des douanes en ce qui concerne les vins de table. Mais, s'agissant en l'espèce de vins destinés à la vinaigrerie, elle a préféré surseoir à statuer et vous demander à titre préjudiciel si l'article 26, paragraphe 4, déjà cité s'applique également à ces marchandises.
I —
Avant de répondre à cette question, il est utile d'examiner certaines des observations du gouvernement français et des sociétés Clément et Ces. Nos remarques seront brèves, car il s'agit de développements qui ne se situent pas dans la perspective du juge de renvoi et ne sont donc pas en harmonie avec l'esprit de la procédure préjudicielle. Suivant une jurisprudence ancienne et constante, celle-ci est basée «sur une nette séparation de fonctions entre les juridictions nationales et la Cour», de sorte que la Cour ne peut «ni connaître des faits de l'espèce», ni «censurer les motifs et objectifs de la demande d'interprétation» (15 juillet 1964, Costa/Enel, affaire 6/64, Recueil p. 1158), «les parties au principal» et les autres intervenants «étant seulement invités à se faire entendre dans le cadre juridique tracé par la juridiction nationale» (1er mars 1973, Bollmann/Hauptzollamt Ham-burg-Waltershof, affaire 62/72, attendu 4, Recueil p. 275).
Ainsi, le gouvernement français a fait valoir que le coupage lui-même — et non plus l'introduction en France des vins en résultant, qui fait seule l'objet de la présente procédure — était illicite au regard du droit français, auquel renvoie le règlement n° 1021/70 de la Commission du 29 mai 1970, autorisant, à titre transitoire, le coupage des vins importés entre eux. Or, à l'évidence, vous n'êtes aucunement compétents pour trancher pareille question d'appréciation de validité par rapport à un droit national.
De même, si, de manière générale, on ne peut que souscrire à l'opinion exprimée avec insistance par le conseil des sociétés en cause, suivant laquelle les administrations douanières de chaque État membre sont égales en droit, il n'en est pas de même de sa suggestion tendant à voir déclarer que, conformément à l'article 36, paragraphe 1, du règlement du Conseil du 18 mars 1969, relatif au transit communautaire, c'est en la matière le pays d'expédition qui est juge de l'origine. Il ressort en effet de l'ordonnance de renvoi que, pour la même raison, la société Clément a déjà soulevé devant le Tribunal de Paris une exception d'incompétence au profit des juridictions néerlandaises. Or, le tribunal a rejeté cette exception de la manière la plus nette et il ne vous appartient certainement pas de revenir sur cette solution: la Cour n'est ni juge d'appel ni juge de cassation des juridictions nationales (9 décembre 1965, Hessische Knapp-schaft/Maison Singer, affaire 44/65, Recueil p. 1198-1199; 15 juin 1972, Grassi, affaire 5/72, attendu 4, Recueil p. 448).
Les sociétés importatrices ont également soutenu que les coupages litigieux ne relèvent pas du régime défini par l'article 26, paragraphe 4, du règlement n° 816/70, car ils auraient eu lieu pour l'essentiel avant l'entrée en vigueur du règlement. Or, il résulte du jugement de renvoi que le mélange a été effectué en septembre 1970, soit après l'entrée en vigueur du règlement. Selon votre jurisprudence, les constatations souveraines du juge national en ce qui concerne les faits s'imposent à la Cour (23 janvier 1975, Hulst/Produktschap voor Siergewassen, attendu 12, Recueilp. 92; 22 mars 1978, Oehlschläger/Hauptzollamt Emmerich, affaire 104/77, attendu 4, Recueil p. 797; 15 novembre 1979, Denkavit/Finanzamt Warendorf, affaire 36/79, motif 12, Recueil p. 3455); il n'est donc pas possible de s'attarder à la discussion de cet argument.
II —
Ces questions préalables ainsi traitées, nous pouvons aborder la question même qui vous est posée: les dispositions de l'article 26, paragraphe 4, du règlement n° 816/70 du Conseil s'appliquent-elles aux vins destinés à la vinaigrerie?
L'article 26, paragraphe 4, est ainsi libellé:
«Le coupage d'un vin importé avec un vin de la Communauté, de même que le coupage, sur le territoire de la Communauté, de vins importés entre eux, sont interdits, sauf dérogation à décider par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission selon la procédure de vote prévue à l'article 43, paragraphe 2, du traité».
A l'exception de modifications de pure forme et hormis l'addition de deux alinéas supplémentaires qui concernent le cas particulier du coupage de vins destinés aux pays tiers, ce texte diffère peu de celui de l'article 43, paragraphe 4, du règlement de codification n° 337/79 du Conseil du 5 février 1979, portant organisation commune du marché vitivinicole. La décision que vous rendrez dans la présente espèce pourrait, en raison de sa motivation, revêtir la valeur d'un précédent à l'égard de faits survenus sous l'empire de la réglementation actuelle, ainsi que le souligne justement le gouvernement français.
1. |
Ce même gouvernement affirme que l'article 26, paragraphe 4, serait parfaitement clair: la simple lecture de cet article suffirait pour se convaincre que tous les coupages de vins originaires de pays tiers sont en principe interdits, sans qu'il faille distinguer suivant qu'ils sont destinés à la consommation directe ou à un usage industriel. Il lui apparaît dès lors qu'en suggérant cette distinction malgré les termes généraux du texte la question posée ajouterait sans fondement aux dispositions de l'article 26, paragraphe 4, et viserait en fait à modifier rétroactivement sa portée. Il est vrai que la disposition analysée n'énonce pas expressément que les vins destinés à des usages industriels sont exemptés de l'interdiction de principe du coupage; mais elle ne mentionne pas davantage que ces vins sont couverts par cette interdiction. On peut donc en déduire que l'article 26, paragraphe 4, soulève une difficulté d'interprétation qui doit être résolue sur la base d'arguments autres que ceux que l'on peut tirer de son libellé. Si l'analyse du seul paragraphe 4 de l'article 26 ne nous semble donc pas déterminante, l'économie générale de cet article nous paraît au contraire difficilement compatible avec la thèse du gouvernement français. Le paragraphe 1 de l'article 26 détermine les vins (vins de table et vins aptes à donner un vin de table) qui, coupés entre eux, produisent des vins qui sont euxmêmes des vins de table. Par conséquent, il ne vise que les vins cultivés dans la Communauté, destinés à la consommation humaine directe: d'une part, les vins de table sont, par définition, consommés directement par l'homme; d'autre part, la qualification de vin de table est une qualification communautaire, réservée aux vins remplissant certaines conditions, produits dans les États membres, ainsi 3ue cela ressort de l'Annexe II, point 10, u règlement n° 810/70. Pour les mêmes raisons, les paragraphes 2 et 3 de l'article 26, qui définissent les conditions que doit remplir un coupage pour donner un vin de table, ont un champ d'application identique à celui du paragraphe 1. Dans ce contexte, on peut penser que, si le législateur communautaire avait voulu que le paragraphe 4 de l'article 26 s'applique, contrairement aux dispositions précédentes, aux vins destinés à des usages industriels, il l'aurait mentionné expressément. |
2. |
Mais, pour justifier l'étendue exceptionnelle du champ d'application de ce paragraphe, une autre argumentation, tirée cette fois de l'objectif auquel il répondrait, a encore été présentée par le gouvernement français. Selon sa thèse, l'absence de distinction en fonction de la destination du vin résulterait des difficultés du contrôle de la destination véritable du vin coupé. Le seul contrôle aisément praticable serait celui du titre alcoométrique. Or, un contrôle de ce type serait insuffisant pour éviter les fraudes, réalisées par exemple en échangeant un baril de vin de table français, que l'on enverrait à la vinaigrerie, contre un baril de vin coupé originaire de pays tiers, prétendument destiné à la vinaigrerie, qui serait livré tel quel à la consommation. C'est pourquoi plusieurs gouvernements auraient voulu éliminer à la source toute possibilité de fraude en étendant l'interdiction de principe du coupage à tous les vins provenant d'un État tiers, quelle que soit leur utilisation. C'est ce que signifierait le libellé adopté pour la disposition analysée du règlement n° 816/70 et maintenu dans la disposition correspondante du règlement n° 337/79. Pour plusieurs raisons, ces considérations ne paraissent pas convaincantes. Tout d'abord, le gouvernement français n'apporte pas le moindre commencement de preuve de la volonté qu'il prête à certains États membres. Ensuite, le risque de fraude a été l'une de vos préoccupations: vous avez posé à la Commission ainsi qu'à la société Clément la question de savoir quelles sont les garanties qu'un coupage comme celui de l'espèce ait effectivement été réalisé conformément à sa destination (vinaigrerie), à supposer qu'il se soit agi d'un vin également apte à la consommation directe. Or, dans sa réponse, la Commission a décrit le système mis en œuvre à cette fin à l'échelle de la Communauté, qui résultait, à l'époque des faits, de son règlement n° 1022/70 du 29 mai 1970, établissant pour une période transitoire des certificats d'accompagnement pour certains vins. Conformément à l'article 1 de ce règlement, aucun vin destiné à la consommation directe ne pouvait faire l'objet d'échanges entre les États membres s'il n'était couvert par un certificat d'accompagnement délivré après vérifications par l'État membre d'origine, certificat de couleur différente suivant que le vin était ou non d'origine communautaire et précisant, le cas échéant, s'il était le résultat d'un coupage. En vertu de l'article 9, paragraphe 1, de ce texte, les vins non originaires de la Communauté et non admis à la consommation humaine directe étaient soumis par les États membres à un contrôle douanier ou administratif présentant des garanties équivalentes, assurant le respect de leur destination. De leur côté, les sociétés importatrices ont énuméré les précautions prises par les autorités françaises: indication de la destination industrielle sur le document douanier français; spécificité du titre de mouvement qui accompagne les vins industriels sur le territoire national; taux de TVA, celle-ci étant acquittée lors du passage de la frontière, différent pour les vins industriels et ceux destinés à la consommation directe; dernier contrôle à la vinaigrerie même. Pareilles explications sont de nature, croyons-nous, à rassurer les esprits les plus soupçonneux. Dès lors, sans qu'il soit besoin de faire appel à l'article 26, paragraphe 4, la réglementation en vigueur permet de répondre, à notre avis, aux préoccupations, certes légitimes, exprimées par le gouvernement français. En définitive, les arguments tirés des termes mêmes de l'article 26, paragraphe 4, ou de l'objectif, tel qu'il a été perçu par le gouvernement français, de cette seule disposition ne nous paraissent pas fondés. |
3. |
En revanche, aux éléments d'interprétation qui découlent de l'économie générale de l'article 26 tout entier s'ajoutent ceux qui peuvent être trouvés dans les raisons qui ont inspiré la réglementation communautaire du coupage, considérée dans son ensemble. Cette interprétation doit être opérée, nous semble-t-il, en ayant à l'esprit le 15e considérant du règlement n° 816/70 (28e considérant du règlement n° 337/79) qui est ainsi libellé: «compte tenu des effets que le coupage peut avoir, il est nécessaire d'en réglementer l'usage, notamment pour éviter des abus».
En revanche, les coupages destinés à des usages industriels sont libres. D'une part, ils ne sont pas visés par les paragraphes 1 à 3 de l'article 26. D'autre part, l'article 27, paragraphe 3, a, du règlement n° 816/70 prévoit expressément que «le vin qui ne répond pas aux définitions» de vin apte à donner un vin de table et de vin de table «et qui provient des cépages» admis à être cultivés dans la Communauté «ne peut être utilisé que pour la consommation familiale du viticulteur individuel, la production de vinaigre de vin ou la distillation». Pour comprendre cette différence de traitement, il faut, à notre sens, se référer aux objectifs de la politique viticole communautaire. Pour tous les vins, y compris ceux qui, en raison de leur qualité inférieure, sont destinés à des usages industriels comme la vinaigrerie, la réglementation doit permettre d'assurer, notamment, le respect de la santé publique, de la protection des consommateurs et de la loyauté des transactions commerciales. Mais, à l'égard des vins consommés directement, s'ajoute à ces exigences le souci d'obtenir une production de la qualité la plus élevée possible. C'est cette dernière considération qui explique la particulière sévérité de la réglementation régissant leur coupage. A l'égard des vins coupés en provenance des pays tiers, à l'inverse, l'article 26, paragraphe 4, qui forme l'essentiel de la réglementation en la matière, n'établit pas explicitement, on l'a vu, de distinction suivant leur destination. Mais, puisque la réglementation du coupage des vins de la Communauté ne vise que les vins destinés à la consommation directe, il faudrait, pour qu'il en soit autrement à l'égard des vins des pays tiers, des raisons particulières. Or, pour nous, ces raisons particulières n'existent que pour les vins destinés à la consommation humaine directe. Ceux qui sont produits dans la Communauté font en effet l'objet d'une réglementation uniforme qui se traduit, comme nous l'avons vu, par une définition commune de «vin de table», si bien qu'il n'y a pas d'inconvénient à ce que des vins répondant à cette définition soient mélangés entre eux ou avec des vins aptes à donner du vin de table, qui répondent, eux aussi, à une définition commune. Les vins des États tiers, en revanche, pris isolément, ne répondent pas, même lorsqu'ils ont fait l'objet d'un contrôle de qualité dans l'État où ils ont été produits, à des critères communs de qualité et ne sont pas davantage soumis à des contrôles comparables. Les garanties relatives à la qualité de chacun d'eux risquent donc de devenir inefficaces si ces vins sont mélangés. En revanche, pour les vins destinés à la vinaigrerie, l'exigence d'un contrôle de la qualité disparait. Dès lors, à condition évidemment que, pour le reste, ils répondent à toutes les conditions requises pour être importés dans la Communauté, l'interdiction de principe de leur coupage n'a plus de raison d'être. Comme l'exprime l'adage, «cessante ratione legis cessat lex ipsa». Quant à la justification de la différence de traitement avancée par le gouvernement français, à savoir la nécessité d'étendre au maximum les débouchés des vins communautaires dans un marché caractérisé par des excédents, elle ne nous semble pas pertinente. S'il est vrai que la préférence communautaire constitue un principe fondamental de la politique agricole commune, son respect ne peut être assuré, croyons-nous, que par les instruments mis en place à cette fin et non en étendant à l'excès la portée d'un texte dont nous ne voyons pas comment justifier juridiquement son utilisation dans un sens protectionniste. En définitive, nous pensons que les arguments que nous venons d'énoncer, tirés du fondement de la réglementation communautaire du coupage, ajoutés aux éléments que nous a paru révéler l'économie générale de l'article 26, sont décisifs pour l'interprétation de la disposition litigieuse. Nous concluons donc à ce que vous répondiez à la question que vous a posée la 11e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris en disant pour droit que les dispositions de l'article 26, paragraphe 4, du règlement n° 816/70 du Conseil du 28 avril 1970, portant disposition complémentaire en matière d'organisation commune du marché vitivinicole, ne s'appliquent pas aux vins destinés à la vinaigrerie. |