Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61980CC0002

Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 18 septembre 1980.
Hubert Dautzenberg contre Cour de justice des Communautés européennes.
Fonctionnaire - Promotion.
Affaire 2/80.

Recueil de jurisprudence 1980 -03107

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1980:218

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 18 SEPTEMBRE 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire est introduite au titre de l'article 91 du statut par un membre du propre personnel de la Cour. Il s'agit ainsi d'une de ces affaires, rares mais embarrassantes, où la Cour, dans l'exercice de sa compétence juridictionnelle, se voit contrainte de statuer sur elle-même en tant qu'institution responsable de sa propre administration. Être juge de sa propre cause et, qui plus est, dans des circonstances où tous les participants au drame sous-jacent à celle-ci lui sont personnellement connus, voilà un rôle que personne de nous n'accepterait normalement de jouer! Mais dans les espèces de ce genre, nous ne pouvons hélas nous y soustraire. Nous abordons cette affaire en considérant qu'il est de notre devoir de faire abstraction, à une exception près, de tout ce que nous pouvons savoir au sujet des faits de la cause, hormis ce qui peut se déduire des mémoires qui ont été déposés par les parties et des documents annexés à ceux-ci. L'exception dont nous venons de parler, consiste en ce qu'après l'audience, l'attention des membres de la Cour, agissant dans l'exercice de leurs fonctions administratives, a été fortuitement attirée sur un fait qui peut être pertinent aux fins de l'espèce et qui n'avait pas été mentionné durant la procédure. Ce fait, nous ne nous sentons pas en mesure de l'ignorer et nous en parlerons en temps utile.

Le requérant en la cause est M. H. G. F. L. Dautzenberg, lequel est chef du service de la bibliothèque de la Cour. Il est aujourd'hui âgé de 53 ans. Entré en fonctions auprès de l'institution en 1963 au grade A 6, il a été promu au grade A 5 en 1966 et au grade A 4 en 1974.

La bibliothèque est un des deux services constituant la direction bibliothèque et documentation de la Cour, à la tête de laquelle se trouve un fonctionnaire de grade A 2. L'autre service de cette direction est le service de documentation qui est dirigé par un fonctionnaire de grade A 3, Mademoiselle Maggioni.

Mademoiselle Maggioni a bénéficié de ce qui a été décrit comme une «carrière-éclair». Entrée en fonctions à la Cour en 1969 au grade A 6, elle a été promue au grade A 5 en 1974, au grade A 4 en 1976 et au grade A 3 en 1978. Elle est aujourd'hui âgée de 41 ans. Encore que M. Dautzenberg reconnût les mérites de Mademoiselle Maggioni, il fut néanmoins désappointé par la promotion de cette dernière au grade A 3, étant donné qu'il avait aspiré à être nommé à l'emploi vacant de grade A 3 qu'elle fut choisie pour occuper. Il ne contesta toutefois d'aucune façon la promotion de celle-ci à l'emploi en question.

Les fonctionnaires qui se sont succédé à la tête de la direction bibliothèque et documentation (MM. Speri et Daig) ont demandé instamment depuis 1976 à ce que M. Dautzenberg soit promu au grade A 3. Ce faisant, ils ont souligné l'excellence de son travail, son âge et son ancienneté, particulièrement au regard de l'âge et de l'ancienneté de Mademoiselle Maggioni, l'absence d'équilibre consistant en ce qu'un service de la direction soit dirigé par un fonctionnaire de grade A3 et un autre par un fonctionnaire de grade A 4, alors que les responsabilités de ce dernier ne sont pas moindres que celles du premier, ainsi que l'incongruité qui découle d'une décision du greffier, du 9 mars 1966, et qui n'a jamais été révoquée, confiant à M. Dautzenberg les responsabilités d'adjoint du directeur.

Dans ses propositions budgétaires pour l'année 1979, la Cour avait demandé la «transformation» de trois postes de grade A 4 en postes de grade A 3, à savoir celui de M. Dautzenberg, celui du chef du service financier, M. Fetler, et celui du chef du service du personnel, M. Koens. Les autorités budgétaires lui en accordèrent seulement une, sans spécifier quelle elle devait être.

Le 21 mars 1979, la Cour, agissant en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination pour ses fonctionnaires de la catégorie A, arrêta une décision formelle par laquelle, sur la base des articles 45 et 46 du statut ainsi que d'une proposition du greffier, elle nomma M. Fetler chef de division avec effet au 1er avril 1979 et le promut du grade A 4 au grade A 3. (Une copie de cette décision est annexée au mémoire en défense). Les articles 45 et 46 du statut ont trait aux promotions, comme vous vous en souvenez Messieurs. Il n'apparaît pas du dossier qu'il existait une décision antérieure attribuant le nouveau poste A3 au service financier ou qu'un avis de vacance avait été publié relativement à ce poste.

Le 25 juin 1979, M. Dautzenberg présenta une réclamation au titre de l'article 90 du statut contre la décision du 21 mars 1979. (Une copie de cette réclamation figure en annexe 5 à la requête). M. Dautzenberg fondait sa réclamation sur deux moyens. Le premier consistait à dire qu'à l'occasion de la promotion de Mademoiselle Maggioni, en 1978, M. Speri lui avait dit que le greffier avait assuré que le prochain poste A 3 disponible lui serait accordé. Le fait que la Cour n'avait pas agi conformément à ces assurances décevait, disait-il, sa légitime confiance. Par le second moyen le réclamant excipait de l'illégalité de la décision, motif pris de ce que cette dernière ne pouvait avoir été prise, selon sa conviction, en pleine connaissance des faits et des arguments plaidant respectivement en faveur de M. Fetler et de luimême.

Sans contester les mérites de M. Fetler, M. Dautzenberg considérait, en particulier, que la Cour aurait dû tenir compte de ce que sa propre promotion avait été recommandée dès 1976, alors que l'avancement de M. Fetler ne l'avait été pour la première fois qu'en 1978. Pour ces motifs, M. Dautzenberg demandait à ce ?[ue la décision fût annulée et à ce qu'il ût promu au grade A 3.

Le 5 octobre 1979, la Cour, agissant dans l'exercice de ses fonctions administratives, adoptait une décision rejetant la réclamation en question (annexe 7 à la requête). Les raisons données dans le préambule de cette décision au rejet du premier moyen de l'intéressé consistaient à dire que l'article 45 stipule que la promotion est attribuée par décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination, que même si des assurances quant aux perspectives de promotion ont été données soit par le chef hiérarchique du réclamant, soit par le greffier, de telles assurances ne pourraient lier l'autorité investie du pouvoir de nomination et que M. Dautzenberg ne pouvait ignorer cela. Les raisons données au rejet du second moyen étaient les suivantes:

«En attribuant une promotion, l'Autorité investie du pouvoir de nomination fixe son choix compte tenu de l'examen comparatif des mérites de chaque candidat et de leur rapport de notation.

Dans le cas présent, l'Autorité investie du pouvoir de nomination a fait un choix en conformité avec ces principes, tenant compte de l'ensemble de la carrière des intéressés, des exigences des différents services et de tous les aspects qu'impliquait le choix à faire.»

M. Dautzenberg a formé le recours dans la présente affaire le 8 janvier 1980. (Nous proposons de nous référer désormais à la Cour, agissant en sa capacité d'autorité investie du pouvoir de nomination et en tant que partie défenderesse au litige, sous le vocable «la défenderesse», afin de la distinguer de la Cour agissant dans l'exercice de ses compétences juridictionnelles).

Les conclusions de la requête et de la réplique de M. Dautzenberg sont identiques à celles qu'il avait formulées dans sa réclamation administrative, à savoir l'annulation de la décision du 21 mars 1979 et sa promotion au grade A 3.

Le requérant a toutefois formulé «in limine litis» ce qui était à première vue une demande, libellée en des termes plutôt ambigus, tendant à obtenir la production de documents. Son avocat nous a toutefois expliqué qu'il s'agissait d'une demande visant à obtenir la production des documents soumis à la défenderesse en 1978 et en 1979, sur la base desquels cette dernière avait décidé de promouvoir Mademoiselle Maggioni dans le premier cas et M. Fetler dans le second. Vous n'avez pas donné droit à cette demande et la plaidoirie de l'avocat de M. Dautzenberg à l'audience a largement porté sur cette circonstance. Nous estimons que c'est avec raison que vous avez agi en ce sens. Les documents relatifs à la promotion de Mademoiselle Maggioni n'eussent été d'aucun intérêt en l'espèce, étant donné que la promotion de ce fonctionnaire n'est pas en jeu en la cause. Quant à ceux ayant trait à la promotion de M. Fetler, la demande tendant à obtenir leur production a été présentée sur le fondement de ce que le problème qui se posait en l'espèce était de savoir si la défenderesse avait correctement fait application de l'article 45 du statut, c'est-à-dire avait dûment pris en considération les mérites comparés de M. Fetler et de M. Dautzenberg. Pour les raisons qui apparaîtront dans un instant, nous ne croyons pas que là soit la question.

Dans la requête, le mémoire en défense et la réplique, les parties ont fait porter leur argumentation sur les deux questions soulevées par la réclamation de M. Dautzenberg et par le raisonnement tenu par la défenderesse dans la décision rejetant cette réclamation, à savoir si M. Dautzenberg avait été déçu dans sa légitime confiance, d'une part, et, de l'autre, si l'article 45 avait été appliqué de manière adéquate.

Sur le premier point, le débat n'a guère apporté de données nouvelles. L'avocat de M. Dautzenberg a soutenu que l'interprétation donnée par la défenderesse au concept de «légitime confiance» était trop étroite et, en particulier, qu'elle perdait de vue la mesure dans laquelle, dans l'esprit des fonctionnaires de la défenderesse, le greffier incarne son autorité. Pour nous, il ne peut cependant faire de doute qu'hormis peut-être des circonstances pouvant fonder une «estoppel» (ce qui n'est pas le cas des circonstances de la cause telle qu'elle a été plaidée), les assurances données par le greffier ne sauraient lier la défenderesse dans l'exercice de ses compétences d'autorité investie du pouvoir de nomination.

Sur le second point, la défenderesse a développé un nouvel argument dans sa duplique, lequel consiste à soutenir qu'au moment où elle s'est rendu compte que les autorités budgétaires n'avaient accordé qu'une des trois «transformation» de postes A 4 en postes A 3 qu'elle avait demandées, sans spécifier le service auquel celle-ci était destinée, la défenderesse était tenue d'opérer un choix non pas entre trois fonctionnaires, mais entre trois services. Elle devait décider lequel de ces services devait, avec la plus grande urgence, avoir à sa tête un fonctionnaire du grade A 3 eu égard aux responsabilités lui incombant. Cet argument se trouvait à l'avant-plan de la plaidoirie de la défenderesse à l'audience.

Il est, à notre avis, bien fondé en droit. La «transformation» de poste n'est pas prévue expressément par le statut. Ce qui est abusivement qualifié de «transformation» de poste consiste strictement parlant, croyons-nous, en la suppression d'un emploi du tableau dont il est question à l'article 6 du statut et en l'insertion dans ce tableau d'un nouvel emploi d'un grade supérieur. Ce nouvel emploi doit alors être attribué conformément à la procédure fixée aux articles 4 et 29 (voir affaire 21 /68 Huybrecbts/Commission, Recueil 1969, p. 85). Toutefois, avant que cette procédure puisse être engagée, les fonctions afférentes à ce nouvel emploi doivent être définies. Lorsqu'il serait en soi justifié de transférer au nouvel emploi les fonctions attachées à plusieurs emplois existants, le choix entre ceux-ci doit être opéré par référence au degré de responsabilité attaché à chacun d'eux respectivement et non par référence aux mérites respectifs de leurs titulaires actuels (voir affaire 25/77 De Roubaix/Commission, Recueil 1978, p. 1081; voir particulièrement les 19e et 20e attendus de l'arrêt et nos conclusions, aux pages 1094-1085; cet arrêt est préfiguré par une observation de la Cour dans l'affaire 90/74, Deboeck/Commission, Recueil 1975, p. 1123 [9e et 10e attendus de l'arrêt et nos conclusions, page 1146]). Ainsi l'article 45 ne peut-il entrer en jeu qu'après que les fonctions afférentes au nouveau poste ont été définies, si l'autorité investie du pouvoir de nomination décide, conformément à l'article 29, paragraphe 1 a), de pourvoir au nouvel emploi par voie de promotion et s'il y a plusieurs candidats à celui-ci.

Il a été soutenu au nom de la défenderesse que ces principes avaient été respectés en l'espèce, quand bien même la procédure aurait été un tant soit peu bousculée. Cela n'apparaît cependant pas du dossier de l'affaire. La décision du 21 mars 1979 nomme simplement M. Fetler chef de division et le promeut au grade A 3, sans mentionner le service financier. Le préambule de la décision du 5 octobre 1979, s'il mentionne les «exigences des différents services», le fait seulement après avoir fait référence à «l'examen comparatif des mérites de chaque candidat» et à «l'ensemble de la carrière des intéressés» et avant de poursuivre en faisant référence à «tous les aspects qu'impliquait le choix à faire», suggérant par là nettement que la distinction entre la pertinence des besoins des divers services et la pertinence des mérites de chaque candidat n'était pas présente à l'esprit de ses auteurs. Circonstance encore plus significative: l'argumentation développée dans la partie en droit du mémoire en défense passe entièrement cette distinction sous silence. On ne peut s'empêcher d'en déduire que ce n'est qu'au moment où ils ont rédigé leur duplique que les conseillers de la défenderesse se sont soudain rendu compte de ce qu'était effectivement le droit.

Cela étant, nous pensons que cette action doit aboutir, parce qu'il est impossible d'avoir la certitude que, si la défenderesse s'était posée les questions pertinentes dans l'ordre exact, elle serait parvenue au même résultat.

Quelle réparation conviendrait-il dès lors que vous accordiez à M. Dautzenberg? Il est clair que, dans l'exercice de vos compétences judiciaires, vous ne pouvez pas le promouvoir au grade A 3, comme il le demande. D'autre part, nous ne sommes point convaincu qu'il est nécessaire en l'occurrence d'infliger à M. Fetler l'épreuve consistant en l'annulation de sa promotion. C'est ici que l'élément d'information dont nous avons dit d'entrée avoir eu fortuitement connaissance depuis l'audience, pourrait intervenir. Il s'agit de ce que la défenderesse dispose d'un poste vacant de grade A 3 qui est actuellement attribué au service d'information, mais dont ce service n'a pas besoin à l'heure actuelle. II ne m'appartient naturellement pas de dire cet après-midi si ce poste pourrait être transféré à la bibliothèque ni a fortiori qu'il devrait l'être. Ce qui est clair, selon nous, c'est que l'affaire devrait être renvoyée à la défenderesse es qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination aux fins d'être réexaminée. Ce résultat peut être obtenu en annulant sa décision du 5 octobre 1979, ce qui l'amènera à considérer à nouveau la réclamation de M. Dautzenberg. Dans ce contexte, il convient de ne pas perdre de vue que cette décision n'est pas simplement confirmative d'une décision antérieure et, partant, non susceptible de recours. C'est la seule décision de la défenderesse adressée à M. Dautzenberg et, en outre, sa seule décision motivée dans toute l'affaire. Les affaires 33 et 75/79 Kuhner/Commission (28 mai 1980 — arrêt inédit à ce jour) sont, selon nous, différentes sous ce rapport.

En conclusion, nous estimons que vous devriez, Messieurs:

1)

déclarer nulle la décision de la défenderesse du 5 octobre 1979 rejetant la réclamation de M. Dautzenberg et renvoyer l'affaire à la défenderesse pour plus ample examen;

2)

condamner la défenderesse aux dépens de l'instance.


( 1 ) Traduit de l'anglais.

Top