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Document 61979CC0089

Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 7 février 1980.
Francesco Bonu contre Conseil des Communautés européennes.
Statut des fonctionnaires - Jurys de concours.
Affaire 89/79.

Recueil de jurisprudence 1980 -00553

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1980:37

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 7 FÉVRIER 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente procédure porte sur la validité d'une décision, par laquelle un jury a refusé d'admettre un candidat aux épreuves prévues dans le cadre d'une procédure de concours.

Le 7 novembre 1978, le requérant posait sa candidature au concours organisé en vue de la constitution d'une réserve de recrutement de traducteurs (traductrices) d'expression italienne, faisant l'objet de l'avis de concours général Conseil/LA/170 (JO no C 231 du 29.9.1978, p. 6). Cet avis indiquait entre autres que le concours aurait lieu sur titres et sur épreuves, que le jury arrêterait la liste des candidats remplissant les conditions d'admission au concours et qu'il désignerait sur cette liste les candidats admis aux épreuves. Le communiqué concernant les dispositions relatives à l'organisation de concours généraux, publié au Journal officiel précité, aux pages 2 et suivantes, prévoyait ensuite, sous le point 7 du deuxième chapitre, intitulé «Procédure», ce qui suit:

«Les travaux du jury sont secrets. Par conséquent, ni les raisons d'une éventuelle non-admission aux épreuves, ni les notes obtenues par les candidats ne peuvent être communiquées.»

Après avoir accusé réception de la candidature du requérant, le Conseil communiquait à celui-ci, dans une lettre rédigée en langue italienne et datée du 5 mars 1979, ce qui suit:

«Me référant à votre candidature pour le concours cité en objet, j'ai le regret de devoir vous informer que le jury n'a pas inscrit votre nom sur la liste des candidats admis à participer aux épreuves.

Ainsi qu'il est prévu au point 7 du chapitre II du communiqué précédant l'avis de concours (voir JO no C 231, p. 3), les travaux du jury sont secrets. Par conséquent, il ne m'est pas possible de vous communiquer les raisons pour lesquelles vous n'avez pas été admis aux épreuves.»

Le requérant a ensuite formé un recours en date du 5 juin 1979, par lequel il a conclu à l'annulation de la décision précitée, la défenderesse étant condamnée aux dépens de l'instance.

Sur ces chefs de conclusion, nous prenons position comme suit.

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, l'introduction d'un recours contre les décisions d'un jury n'est pas subordonnée à la présentation préalable d'une réclamation administrative. Le présent recours a été formé dans le délai de 3 mois, prévu à l'article 91, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires et il est donc recevable.

Le requérant fonde son recours en premier lieu sur le vice formel de l'absence de motivation. Selon lui, un principe général de droit exigerait que toute décision faisant grief soit motivée au moment où elle est prise, cela en vue de permettre, d'une part, à l'intéressé de la contester le cas échéant et, d'autre part, à la Cour, si elle est saisie, d'exercer le contrôle judiciaire. Aussi la jurisprudence constante de la Cour serait-elle en ce sens que les décisions des jurys doivent être adéquatement motivées. En particulier, l'obligation de motivation ne serait pas mise en question par l'article 6 de l'annexe III au statut des fonctionnaires qui prévoit seulement que les travaux du jury sont secrets. Cette disposition viserait uniquement à sauvegarder le secret des délibérations internes, mais elle n'interdirait pas de communiquer le résultat final de celles-ci au candidat. Aussi, le point 7 du chapitre II du communiqué concernant les dispositions relatives à l'organisation des concours généraux, d'après lequel les raisons du refus éventuel d'admettre un candidat aux épreuves ou les notes obtenues par celui-ci ne peuvent être communiquées, serait illégal ou, du moins, inapplicable dans la mesure où les motifs justifiant le refus éventuel d'admettre le candidat n'ont pas été communiqués à ce dernier.

Le Conseil souligne en revanche que conformément aux dispositions du statut, annexe III, article 5, alinéas 1, 3 et 4, les travaux du jury dans le cadre d'un concours sur titres et épreuves se décomposent en plusieurs stades. Les jurys arrêteraient la liste des candidats remplissant les conditions de l'avis de concours, puis établiraient les critères sur la base desquels les titres des candidats seront appréciés et réexamineraient ensuite les candidatures en fonction de ces critères, afin d'arrêter la liste des candidats admis aux épreuves. Ce ne serait qu'en cas de non-admission aux épreuves que les candidats recevraient une décision motivée, conformément à la jurisprudence de la Cour. La communication du 5 mars 1979 dont il s'agit en l'espèce aurait toutefois été faite dès le deuxième stade, après que l'intéressé avait été admis à participer au concours. A ce stade, le jury procéderait à l'examen des titres en vue de dresser la liste des candidats admis aux épreuves. Dans l'exécution de cette tâche, le jury serait tenu au secret de ses délibérations en vertu de l'article 6 de l'annexe III du statut des fonctionnaires, obligation qui devrait garantir son indépendance. Cette disposition entraînerait une dérogation à l'obligation de motiver, ce que le Conseil aurait voulu exprimer dans sa communication des dispositions relatives à l'organisation des concours généraux et rien d'autre.

Nous ne pouvons partager l'opinion juridique du Conseil.

Il n'est guère nécessaire d'insister spécialement sur le fait que les décisions faisant grief aux particuliers doivent être motivées. Ce principe général de droit se déduit déjà du principe de légalité, lequel est inhérent à l'ordre juridique communautaire, et il a notamment trouvé son expression dans les articles 15 du traité CECA, 190 du traité CEE et 162 du traité Euratom, ainsi que dans l'article 25, alinéa 2, du statut des fonctionnaires. Il résulte déjà du sens et du but de cette obligation de motiver les décisions faisant grief, qui est de permettre à l'intéressé d'apprécier si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d'un vice permettant d'en contester la légalité (voir affaires jointes 4, 19 et 28/78, Enrico Salerno, Xavier Authié et Giuseppe Massangioli/Commission, arrêt du 30.11.1978, Recueil 1978, p. 2403; et 112/78, Dorothea Sonne, épouse Kobor/Commission, arrêt du 5.4.1979), que la motivation doit être communiquée à l'intéressé ensemble avec la décision lui faisant grief. Comme le requérant le souligne à juste titre, la rapport motivé établi par le jury et adressé, conformément à l'article 5, alinéa 6, de l'annexe III au statut des fonctionnaires, seulement à /'autorité investie du pouvoir de nomination, ne satisfait pas à cette exigence.

En outre et contrairement à l'opinion du requérant, la disposition de l'article 6 de l'annexe III au statut des fonctionnaires, aux termes de laquelle les travaux du jury sont secrets, n'écarte pas non plus le principe élémentaire de l'obligation de motiver. Le sens et le but de cette disposition sont uniquement de garantir l'indépendance des membres du jury, d'une part, et, d'autre part, d'empêcher que le candidat ait connaissance d'informations confidentielles concernant ses concurrents. Une interprétation correcte de cette disposition exige que la motivation tienne compte de cet objecif.

Du reste, ajouterons-nous incidemment, le Conseil ne semble pas non plus convaincu du caractère strict de l'obligation relative au secret des travaux du jury, puisqu'il a offert de déposer à l'instance le rapport motivé du jury, lequel contient le cas échéant, conformément à l'article 5, alinéa 6, de l'annexe III au statut des fonctionnaires, les observations de ses membres, ce qui aurait pour conséquence que le requérant prendrait connaissance du contenu dudit rapport — hors délais toutefois.

Le fait, comme le pense l'institution défenderesse, que le principe du secret écarte entièrement celui de l'obligation de motiver, ne peut notamment pas se déduire non plus de la jurisprudence de la Cour. Dans les arrêts qu'elle a rendus dans les affaires 44/71 (Antonio Marcato/Commission, arrêt du 14.6.1972, Recueil 1972, p. 427), 37/72 (Antonio Marcato/Commission, arrêt du 15.3.1973, Recueil 1973, p. 361) et 31/75 (Mario Costacurta/Commission, arrêt du 4.12.1975, Recueil 1975, p. 1563), celle-ci a fourni des précisions sur les formalités que le jury doit respecter lors de l'examen des candidatures en vue de dresser la liste des candidats admis au concours. Elle distingue le premier stade d'une procédure de concours du stade suivant, celui de l'examen des aptitudes des candidats à l'emploi à pourvoir, et elle observe que si les travaux du second stade sont généralement de nature comparative et si, de ce fait, ils sont couverts par le secret imposé aux travaux d'un jury de concours, ceux du premier stade consistent, notamment dans le cas du concours sur titres, en une confrontation des titres avec les qualifications requises dans l'avis de concours, opérée sur la base d'éléments objectifs et connus de chacun des candidats pour ce qui le concerne. Aussi les arrêts cités, dans lesquels il s'agissait de l'admission à un concours en tant que tel, aboutissent-ils tous à la conclusion que les résultats de cette confrontation «doivent être motivés de façon suffisante». Par là, il n'est pas dit pour autant que les travaux du deuxième stade, dans la mesure où ils concernent le choix des candidats admis au concours, ne doivent nullement être motivés à l'égard des candidats qui ont été écartés. La Cour a plutôt voulu dire qu'en cas de décision de rejet d'une candidature au deuxième stade de la procédure, il convient, le cas échéant, de tenir compte dans la motivation des exigences de l'obligation au secret, alors que cela n'est pas nécessaire en cas de refus d'admettre des candidats à la procédure de concours, circonstance soumise à l'appréciation de la Cour dans les affaires précitées. Il s'ensuit seulement que dans l'hypothèse d'une décision écartant un candidat de la participation aux épreuves, il n'est pas nécessaire de communiquer à celui-ci des détails permettant d'opérer des déductions quant au déroulement des délibérations du jury ou aux titres d'autres candidats considérés individuellement. Nonobstant cela, les motifs qui sont communiqués au candidat doivent être rédigés dans des termes qui font apparaître clairement les motifs de son exclusion et lui facilitent le contrôle de la légalité de l'acte.

Or, il faut constater dans le cas d'espèce que le refus de l'institution défenderesse d'admettre le requérant aux épreuves du concours n'est accompagné d'aucune motivation. A u lieu de cela, la lettre du 5 mars 1979 fait seulement référence au point 7 du chapitre II des dispositions relatives à l'organisation de concours généraux, dans lequel le Conseil a élaboré une interprétation qui n'est pas conforme au sens et au but de l'article 6 de l'annexe III au statut des fonctionnaires. En l'absence d'une décision d'admission au concours, le requérant qui ne connaissait pas les détails du concours, ne pouvait pas établir quelles étaient les conditions particulières d'admission aux épreuves écrites qu'il ne remplissait pas. La lettre est ambiguë dans la mesure où elle ne révèle pas s'il n'a pas été admis au concours en tant que tel parce qu'il ne satisfaisait pas aux conditions d'admission ou si sa candidature n'a été rejetée qu'au deuxième stade de la procédure de concours.

Même si, connaissant parfaitement la procédure de concours, le requérant avait pu établir que sa candidature n'a été rejetée qu'au stade de l'examen des titres au regard des critères d'évaluation fixés à l'avance, l'absence de motivation ne lui permettait pas de vérifier si cette évaluation avait été objective et exempte d'arbitraire.

Nous proposons donc d'annuler la décision du 5 mars 1979, par laquelle le requérant a été informé qu'il n'a pas été admis aux épreuves du concours Conseil/LA/170, pour vice de forme consistant en l'absence de motivation et de condamner le Conseil aux dépens de l'instance.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

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