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Documento 61978CC0225

Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 5 juillet 1979.
Procureur de la République de Besançon contre Bouhelier et autres.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Besançon - France.
Montres à ancre - Pays tiers.
Affaire 225/78.

Recueil de jurisprudence 1979 -03151

Identificador Europeu da Jurisprudência (ECLI): ECLI:EU:C:1979:182

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 5 JUILLET 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

Dans la présente affaire il s'agit d'interpréter certaines dispositions concernant les échanges internationaux, contenues dans les accords conclus par la Communauté économique européenne avec la Grèce le 9 juillet 1961, avec l'Espagne le 29 juin 1970 et avec l'Autriche le 22 juillet 1972. En substance, la Cour de justice est appelée à dire si ces accords prévoient ou non une interdiction des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'exportation.

Les faits qui sont à l'origine du litige peuvent être résumés comme suit.

L'exportation vers tout pays des montres produites en France était subordonnée jusqu'au 14 juillet 1977 à la délivrance d'une licence ou bien d'un certificat d'homologation du Cetehor (Centre technique de l'industrie horlogère), attestant la conformité de la marchandise à certaines normes de qualité. Un cas de falsification de ce certificat qui s'est produit en 1972, aux fins de l'exportation d'un lot de montres sans contrôle de qualité, a donné lieu à une procédure pénale actuellement pendante devant le tribunal correctionnel de Besançon et ouverte contre Messieurs Bouhelier, Girardet, Zimmermann et Thiery. Dans le cadre de cette procédure, la Cour de justice a été saisie en 1976 d'une question préjudicielle visant à établir si la notion des restrictions quantitatives à l'exportation et des mesures d'effet équivalent (article 34 du traité CEE) doit être entendue en ce sens qu'elle s'applique à une réglementation nationale exigeant pour l'exportation de certains produits une licence ou un certificat d'homologation. La Cour, par arrêt rendu le 3 février 1977 (affaire 53/76, Recueil 1977, p. 197), a répondu affirmativement. A la suite de cet arrêt, le gouvernement français a décidé (par un avis aux exportateurs publié au Journal officiel du 14 juillet 1977) que ni la licence, ni le certificat du Cetehor n'étaient plus nécessaires pour l'exportation des produits horlogers à destination des autres États membres de la CEE.

Tenant compte du principe énoncé par la Cour, le tribunal correctionnel de Besançon a, par jugement rendu le 28 septembre 1978, relaxé les prévenus des délits de faux matériel et usage de certificats falsifiés aux fins des exportations vers des pays membres de la CEE; tandis que, avant de se prononcer sur les mêmes délits en ce qui concerne les exportations vers des pays tiers (et précisément vers la Grèce, l'Espagne et l'Autriche), il a estimé nécessaire de saisir de nouveau la Cour de justice. Les trois questions préjudicielles posées cette fois-ci par le juge au principal se réfèrent aux trois accords que nous avons mentionnés au début et tendent à établir s'ils permettent à un pays membre de la CEE d'exiger de ses exportateurs à destination de la Grèce, de l'Espagne et de l'Autriche, une licence d'exportation ou un certificat en tenant lieu, lequel ne donne lieu à la perception d'aucune taxe et ne peut être refusé que lorsque la qualité de la marchandise n'est pas conforme aux normes édictées par l'auteur du certificat. Dans le cadre des accords conclus avec l'Espagne et l'Autriche, le tribunal correctionnel de Besançon cherche en outre à savoir si le fait d'exiger le certificat précité constitue ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce.

2.

L'Accord d'association avec la Grèce dispose à l'article 28, paragraphe 1, en employant une expression quasiment identique à celle de l'article 34, paragraphe 1, du traité CEE, «les restrictions quantitatives à l'exportation ainsi que toute mesure d'effet équivalent sont interdites entre les parties contractantes». La deuxième partie de ce même paragraphe dispose cependant que «les États membres de la Communauté et la Grèce suppriment entre eux au plus tard à la fin de la période de transition prévue à l'article 6 les restrictions quantitatives à l'exportation et toute mesure d'effet équivalent». Il apparaît donc clairement que les parties avaient le temps, jusqu'à la fin de la période de transition, c'est-à-dire jusqu'au 1er novembre 1974, d'éliminer dans leurs rapports les restrictions quantitatives à l'exportation et les mesures d'effet équivalent, à moins que le Conseil d'association ne leur adresse entre-temps une recommandation tendant à éliminer les restrictions et mesures d'effet équivalent selon un rythme plus rapide et que les parties se déclarent disposées à suivre une telle recommandation (cela résulte de l'article 29 de l'accord). Mais une telle anticipation — qui aurait dû être compatible avec la situation économique générale et avec la situation de la branche intéressée — ne s'est pas produite: jusqu'au 1er novembre 1974, le Conseil d'association n'avait adressé aucune recommandation aux parties pour les inviter à éliminer plus rapidement les restrictions quantitatives respectives. En conséquence, l'obligation imposée par l'article 28, paragraphe 1, précité est restée liée au délai a quo du 1er novembre 1974, alors que les faits que le juge au principal est appelé à apprécier sont antérieurs à cette date puisqu'ils se sont produits entre le mois de juin et le mois d'octobre 1972.

3.

L'Accord avec l'Espagne — qui a naturellement une portée beaucoup plus réduite que celui avec la Grèce, dans la mesure où il vise à créer une zone de libre-échange et non pas un lien d'association — ne comporte pas de clause imposant l'interdiction des restrictions quantitatives à l'exportation ou des mesures d'effet d'équivalent. Il contient cependant une disposition (l'article 12) aux termes de laquelle «les dispositions de l'accord ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce». On constate aisément que cette disposition reproduit, avec des variantes marginales et très légères, les termes de l'article 36 du traité CEE; nous sommes donc amenés à nous demander si les deux dispositions ont la même portée. Compte tenu du fait que l'article 36 constitue une dérogation aux interdictions énoncées par les articles 30 à 34 de ce même traité, une réponse affirmative impliquerait qu'il y aurait lieu de considérer que ces interdictions existent d'une façon implicite également dans l'accord dont il s'agit. Disons immédiatement que cette conclusion nous semble absolument insoutenable. En premier lieu, il n'est pas concevable que des interdictions d'une si grande importance puissent être déduites d'une disposition qui a un objet différent.

En second lieu, il est significatif qu'alors que l'article 36 du traité commence par la phrase «les dispositions des articles 30 à 34 inclus ne font pas obstacle …», l'article 12 de l'accord conclu avec l'Espagne se limite, en revanche, à une référence générale à l'ensemble de ses propres dispositions puisqu'il commence en affirmant que «les dispositions de l'accord ne font pas obstacle …». En réalité, les contextes dans lesquels les deux dispositions parallèles s'insèrent respectivement sont si profondément différents qu'il serait arbitraire de les interpréter de la même manière et, partant, de soutenir que l'article 12 de l'accord suppose, à l'instar de l'article 36 du traité, l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent, tant à l'exportation qu'à l'importation.

A notre avis, c'est à juste titre que la Commission a fait observer que les instruments juridiques de la politique commerciale commune ont des objectifs propres sur la base desquels ils doivent être interprétés. Cela implique évidemment que même lorsqu'ils ont un contenu semblable à celui de certaines dispositions du traité, leur signification n'est pas nécessairement identique. Ce qui importe c'est le contexte propre à tout accord qui doit être interprété séparément du contexte du traité communautaire; en effet, il ne fait pas de doute que, comme l'a affirmé la Cour de justice, «… les dispositions du traité relatives à la politique commerciale de la Communauté ne prévoient … aucune obligation des Etats membres d'étendre aux échanges avec les pays tiers les principes impératifs régissant la libre circulation des marchandises entre les États membres …» (arrêt du 15 juin 1976, affaires 51/75, Emi Records CBS United Kingdom, Recueil 1976, p. 811; 86/75, Emi Records CBS Grammofon, Recueil 1976, p. 871, et 96/75, Emi Records CBS Schallplatten, Recueil 1976, p. 913, 17e attendu).

En ce qui concerne l'accord entre la CEE et l'Espagne, nous avons déjà rappelé qu'il vise à constituer une zone de libre-échange. Son article 1, no 1, prévoit en particulier que «la suppression progressive des obstacles pour l'essentiel des échanges entre la Communauté économique européenne et l'Espagne s'opère en deux étapes …»; le no 3 de ce même article précise que «le passage de la première à la deuxième étape s'effectue par un commun accord des parties contractantes …». Ce passage n'est pas encore intervenu; et pour le moment il existe encore des droits à l'exportation avec la seule limitation du régime de la nation la plus favorisée (article 6). En matière de restrictions quantitatives, il y a une disposition de l'annexe II (article 4, no 1) aux termes de laquelle «l'Espagne s'abstient d'introduire de nouvelles restrictions quantitatives à l'importation des produits originaires de la Communauté autres que …»; mais tant la formulation de cette clause que son caractère limité confirment que les parties sont libres de maintenir les restrictions préexistantes aux importations comme aux exportations.

Pour toutes ces considérations, il nous semble raisonnable d'interpréter l'article 12 comme un catalogue de dérogations aux dispositions de l'accord qui libéralisent les échanges sans préjudice du contenu de ces dispositions et de leur portée plus ou moins limitée.

En ce qui concerne la dernière phrase de l'article 12, elle sert clairement à limiter les dérogations prévues dans la première phrase. En d'autres termes, sa fonction n'est pas d'édicter une interdiction autonome et générale des discriminations et des restrictions aux échanges mais de préciser jusqu'à quel point les mesures restrictives spéciales adoptées par les États, que la première partie de l'article admet, restent justifiées. En l'espèce, aucune mesure de restriction spéciale, susceptible d'entrer dans l'énumération de l'article 12 précité, n'est en jeu. D'autre part, une interprétation différente de la dernière phrase de l'article 12 — qui aboutissait à voir implicitement dans cette phrase une interdiction générale des discriminations arbitraires ou des restrictions déguisées dans le commerce — se heurterait aux mêmes objections que celles que nous avons déjà formulées contre l'hypothèse selon laquelle l'interdiction des restrictions quantitatives à l'exportation ou des mesures d'effet équivalent pourrait se déduire du contexte de l'article 12 compte tenu de son parallélisme avec l'article 36 du traité CEE. A cet égard, il convient encore de souligner que des interdictions de portée considérable — et de nature à avoir une incidence sur l'équilibre global de l'accord — ne peuvent pas être considérées comme édictées implicitement, et qu'une limite aux mesures nationales admises n'équivaut pas à une interdiction de caractère général.

Il faut enfin rappeler qu'une clause telle que celle de l'article 12 est reproduite sans modifications dans de nombreux accords internationaux conclus par la Communauté: par exemple, dans l'article 11 de l'accord d'association entre la CEE et Malte du 5 décembre 1970 (Journal officiel no L 61 du 4. 3. 1971); dans l'article 20 de l'accord entre la CEE et l'Autriche du 22 juillet 1972 (Journal officiel no L 300 du 31. 12. 1972); dans l'article 23 de l'accord entre la CEE et la République portugaise du 22 juillet 1972 (dans le Journal officiel no L 301 du 31. 12. 1972); dans l'article 20 de l'accord entre la CEE et la Confédération helvétique du 22 juillet 1972 (dans le Journal officiel no L 300 du 31. 12. 1972). Cela permet de constater que l'on ne s'est jamais préoccupé d'adapter, cas par cas, le contenu de ces mêmes clauses à la portée variable des différents accords. Une telle technique de rédaction mérite, à notre avis, d'être critiquée en raison du déséquilibre qui résulte de la formulation choisie, lorsqu'elle est utlisée dans un contexte tout à fait différent du contexte originaire de l'article 36. Ce déséquilibre finit toutefois par être corrigé lorsque la disposition en question se trouve incorporée dans un régime plus intégré des échanges commerciaux entre les parties avec la réalisation complète des objectifs de l'accord. Cela devrait se vérifier, dans le cas de l'accord CEE-Espagne, à l'issue de la deuxième étape, mais dépendrait en tout état de cause d'un nouvel accord de caractère complémentaire (à moins que n'intervienne entre-temps l'adhésion attendue de l'Espagne à la CEE, ce qui changerait évidemment les termes du problème).

4.

Enfin, quant à l'accord provisoire entre la CEE et l'Autriche qui était en vigueur à l'époque des faits en cause dans le litige au principal, le juge du fond appelle en particulier l'attention de la Cour sur les articles 10 et 16. Mais, à notre avis, ni l'une ni l'autre disposition ne contient une interdiction des restrictions à l'exportation ou des mesures d'effet équivalent.

En effet, (article 10, en disposant que «les parties contractantes s'abstiennent d'introduire entre elles de nouvelles restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent ou de rendre plus restrictives les restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent existantes», se limite en substance à fixer une règle de «standstill» qui, en tant que telle, oblige lés parties contractantes non pas à supprimer les mesures existantes mais seulement à ne pas en introduire de nouvelles. D'autre part, l'article 16 correspond dans son contenu et dans sa formulation à l'article 12 de l'accord CEE-Espagne que nous venons d'examiner; il n'est donc pas possible d'en déduire une obligation de supprimer les restrictions quantitatives à l'exportation, étant donné que les dispositions spécifiques qui prévoient cette suppression font défaut dans le contexte de l'accord. A cet égard, nous pensons qu'il est superflu de répéter les considérations que nous avons développées à propos de la disposition équivalente de l'accord CEE-Espagne.

5.

En conséquence, nous proposons à la Cour de donner aux questions formulées par le tribunal correctionnel de Besançon dans son jugement du 29 septembre 1978 les réponses suivantes:

1.

Les articles 6, 28 et 29 de l'accord d'association conclu le 9 juillet 1961 entre la Communauté économique européenne et la Grèce doivent être interprétés en ce sens que jusqu'au 31 octobre 1974, il était permis à un pays membre de la Communauté d'exiger de ses opérateurs qui exportaient en Grèce une licence d'exportation ou un certificat en tenant lieu.

2.

L'accord conclu le 29 juin 1970 entre la CEE et l'Espagne (en particulier ses articles 1, 8 et 12) de même que l'accord intérimaire conclu le 22 juillet 1972 entre la CEE et la république d'Autriche (en particulier en ce qui concerne ses articles 10 et 16) doivent être interprétés en ce sens qu'ils permettent à un État membre de la Communauté d'exiger de ses opérateurs qui exportent respectivement en Espagne et en Autriche une licence d'exportation ou un certificat en tenant lieu; en particulier, dans le cadre des deux accords, le fait d'exiger ledit certificat est une mesure nationale licite sans qu'il soit nécessaire d'apprécier si elle constitue un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce au sens des articles précités 12 de l'accord avec l'Espagne et 16 de l'accord avec l'Autriche.


( 1 ) Traduit de l'italien.

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