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Document 61978CC0118
Opinion of Mr Advocate General Mayras delivered on 22 November 1978. # C.J. Meijer BV v Department of Trade, Ministry of Agriculture, Fisheries and Food and Commissioners of Customs and Excise. # Reference for a preliminary ruling: High Court of Justice, Queen's Bench Division - United Kingdom. # Potato import restrictions. # Case 118/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 22 novembre 1978.
C.J. Meijer BV contre Department of Trade, Ministry of Agriculture, Fisheries and Food and Commissioners of Customs and Excise.
Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.
Restrictions à l'importation de pommes de terre.
Affaire 118/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 22 novembre 1978.
C.J. Meijer BV contre Department of Trade, Ministry of Agriculture, Fisheries and Food and Commissioners of Customs and Excise.
Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.
Restrictions à l'importation de pommes de terre.
Affaire 118/78.
Recueil de jurisprudence 1979 -01387
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1978:207
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS
PRÉSENTÉES LE 22 NOVEMBRE 1978
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — |
Le requérant au principal exerce ses activités aux Pays-Bas dans le secteur de la production, de la commercialisation et de l'exportation des pommes de terre; il fait partie de l'Association des exportateurs néerlandais de ces tubercules (VNEA). Il a embarqué, le 5 janvier 1978, un lot de vingt tonnes de pommes de terre tardives à destination de Londres pour «tester» le marché britannique, comme il le déclare ouvertement. Ce lot est bien arrivé à Great Yarmouth le jour même, mais le service des douanes et accises de Sa Majesté a refusé de laisser entrer ces produits sur le territoire national en se fondant sur une «interdiction d'importation des pommes de terre, quelle qu'en soit la provenance». Le requérant a alors formé un recours devant la High Court of Justice, Queen's bench division, Commercial Court, et c'est dans ces conditions que cette juridiction vous pose, à titre préjudiciel, la question suivante: S'agissant d'un produit agricole qui, à la date de l'adhésion, ne relevait pas d'une organisation commune des marchés et qui, le 1er janvier 1978, n'en relevait toujours pas, l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion ou toute autre disposition de droit communautaire permettent-ils de continuer d'appliquer des restrictions quantitatives à l'importation à l'égard de ce produit après le 31 décembre 1977 (pour autant que ces restrictions fissent partie intégrante d'une organisation nationale des marchés à la date de l'adhésion) dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien d'une telle organisation nationale en attendant la réalisation de l'organisation commune des marchés dans le secteur de ce produit? Avant que ne s ouvre la procédure orale dans la présente affaire, la Commission vous a saisis, le 19 octobre 1978, d'une requête au titre de l'article 169 du traité CEE, tendant à déclarer qu'en n'abrogeant ni ne modifiant les dispositions contestées en ce qui concerne les restrictions à l'importation de pommes de terre de saison le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE. Vous n'avez cependant pas cru pouvoir joindre la présente affaire à ce recours en manquement; la connexité évidente entre ces deux affaires nous amènera néanmoins à anticiper quelque peu sur le déroulement de la procédure ouverte au titre de l'article 169. |
II — |
Sans faire une étude exhaustive du secteur de la pomme de terre dans la Communauté, qui aurait sa place dans le cadre de ce recours en manquement, il convient cependant de brosser en toile de fond les intérêts des protagonistes, qui ne sont pas seulement ceux des ménagères britanniques pour lesquelles la Commission marque tant de sollicitude. Nous ne nous référerons en principe qu'aux pommes de terre tardives, encore appelées pommes de terre de saison ou pommes de terre de consommation. Même si la plante chère à Parmentier est un produit agricole au sens du traité, elle n'est, pas plus à ce jour qu'à la date de la signature de l'acte d'adhésion, le 22 janvier 1972, soumise à une organisation commune des marchés. Comparativement aux Pays-Bas, le nombre des producteurs de pommes de terre est plus élevé au Royaume-Uni où les petites exploitations sont beaucoup plus nombreuses. L'indice des prix perçus par les producteurs était, en 1973-1974, respectivement de 137,4 aux Pays-Bas et de 146,4 au Royaume-Uni. Après la république fédérale d'Allemagne et l'Italie, le Royaume-Uni est le plus important importateur de pommes de terre de la Communauté. Il y existe un organisme, le «Potato Marketing Board», qui est un élément d'une organisation nationale de marché couvrant l'ensemble du Royaume-Uni. S'il n'a pas le monopole de l'achat des pommes de terre, cet organisme contrôle néanmoins la production par un contingentement des superficies cultivées; il a en outre pour mission d'acheter les surplus et d'interdire les importations, à l'exception des pommes de terre nouvelles. C'est précisément une mesure de ce genre qui fait grief au requérant au principal. Si les cours sont inférieurs aux prix garantis fixés par le Board avant la campagne de commercialisation, le gouvernement lui verse des «déficiency payments» qui doivent lui permettre d'intervenir sur le marché en périodes de surplus. Le régime britannique présente donc manifestement les traits d'une organisation nationale de marché: contrôle de la production, des importations et soutien des prix, et nous admettrons, comme le juge qui vous saisit, que la mesure qui fait grief au requérant au principal est nécessaire au maintien de cette organisation. La Commission émet également l'opinion, dans sa requête no 231/78, que ces restrictions sont nécessaires pour assurer le maintien de l'organisation nationale sous sa forme actuelle, puisqu'il est probable que la suppression des restrictions à l'importation en période excédentaire forcerait le gouvernement du Royaume-Uni à abandonner son système d'intervention. Ce point pourrait faire éventuellement l'objet d'un examen particulier dans le cadre du recours en manquement de l'article 169. En regard, la Hollande est le premier pays exportateur de pommes de terre de la Communauté. Au cours des cinq dernières années, la superficie plantée en pommes de terre est restée à peu près stationnaire dans les différents États membres, sauf aux Pays-Bas où elle a augmenté de 41 %. Cette efficacité ne s'explique pas seulement par une différence de rendement et les implications de l'organisation néerlandaise du marché de la pomme de terre revêtent une signification considérable. Un trait caractéristique du marché néerlandais est constitué par l'intégration verticale et l'organisation horizontale. Au plan «vertical», il existe, en vertu de la loi sur l'organisation professionnelle «Wet op de Bedrijfsorganisatie», depuis le 18 décembre 1968, un Office de droit public (dénommé Produktschap) qui regroupe, au plan de l'interprofession, sur une base paritaire, les opérateurs économiques, qu'ils soient employeurs ou salariés. A cote de l'Association des transformateurs de pommes de terre (VAVI) et de l'Association pour l'encouragement du commerce néerlandais de la pomme de terre (VBNA), l'Association des exportateurs, dont fait partie le requérant, est ainsi représentée au sein de l'Office public. C'est l'Office qui prend à sa charge les frais d'inspection phytosanitaires à l'exportation; il encourage divers organismes de recherches au moyen de subsides financés par des prélèvements. Au plan «horizontal», en sus des associations volontairement constituées (telle l'Association des exportateurs précitée), il existe, depuis le 15 novembre 1955, un Office public des grossistes et intermédiaires de la pomme de terre (dénommé Bedrijfschap) qui assure une représentation également paritaire des représentants des employeurs et des salariés. Il faut encore mentionner l'Office public des détaillants en pommes de terre, fruits et légumes, créé le 21 janvier 1969. Des liens personnels existent entre ces différents offices. En 1976, par exemple, le président de l'Association pour l'encouragement du commerce néerlandais de la pomme de terre (VBNA) était en même temps président de l'Office professionnel des grossistes et intermédiaires et membre de la direction de l'Office interprofessionnel. Ces différents offices sont habilités à arrêter des règlements dans des domaines très divers, notamment en matière de culture pour certaines régions (ce fut le cas, en 1974, pour la province de Groningue), de commercialisation et de stabilisation du marché. L'Office central interprofessionnel des produits agricoles, qui regroupe les offices sectoriels, a ainsi arrêté, en 1975, un règlement en matière d'autorisations d'exportation vers les pays membres de la CEE et, en 1976, un règlement en matière d'exportation vers les pays tiers. Au cours du printemps 1976, la hausse des prix a conduit les autorités à fixer un prix maximum et à accorder des subventions aux grossistes enregistrés à l'Office professionnel pour la vente de pommes de terre répondant aux critères nationaux de qualité afin d'assurer les livraisons aux détaillants à un prix «normal» fixé par l'Office interprofessionnel. Au total, il faut reconnaître, avec la Commission (requête no 231/78, no 6, p. 11), que si, au Royaume-Uni, le marché est étroitement contrôlé et aidé par le gouvernement par l'intermédiaire du «Potato Marketing Board», il existe, aux Pays-Bas, un secteur professionnel hautement organisé, ce qui dispense l'État d'intervenir directement, sauf en certaines circonstances, notamment pour les pommes de terre de semence. |
III — |
Passons à présent aux considérations plus proprement juridiques. Le problème qui vous est soumis est de savoir si l'article 60, paragraphe 2, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion et aux adaptations des traités, communément appelé «acte d'adhésion», joint au traité de Bruxelles du 22 janvier 1972, implique que les règles du traité en matière de libre circulation des marchandises peuvent être invoquées dans ces nouveaux États membres après le 31 décembre 1977, s'agissant de produits agricoles non couverts par une organisation commune des marchés et provenant des pays originaires, alors que ces mêmes produits agricoles font l'objet d'une organisation nationale dans ces nouveaux États membres. En ce qui concerne les produits industriels (titre I de l'acte, «Marchandises», l'article 42 de l'acte d'adhésion dispose, en son alinéa 1, que les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre la Communauté, dans sa composition originaire, et les nouveaux États membres sont supprimées dès l'adhésion. Aux termes de l'alinéa 2 du même article, «les mesures d'effet équivalant à ces restrictions sont supprimées au plus tard le 1er janvier 1975». Pour les produits agricoles (titre II de l'acte), l'application pure et simple et immédiate de tout le droit communautaire aux nouveaux États membres était, plus encore, impensable. C'est pourquoi un certain nombre de dispositions générales (chapitre 1) et particulières à certaines organisations communes de marchés (chapitre 2) apportent des aménagements dans les domaines où ils apparaissent indispensables. L'article 52 prévoit que les prix à appliquer dans chacun des nouveaux États membres aux produits agricoles couverts par une organisation commune des marchés seront rapprochés des prix communs en six étapes, dont la dernière se termine le 31 décembre 1977: «les prix communs, dit le paragraphe 4, sont appliqués dans les nouveaux États membres au plus tard le 1er janvier 1978». Parallèlement, l'article 59 prévoit un rythme de réduction des droits de douane à l'importation entre la Communauté, dans sa composition originaire, et les nouveaux États membres; cette réduction progressive doit aboutir à la suppression complète des droits le 1er janvier 1978, date à laquelle les nouveaux États membres doivent appliquer intégralement le tarif douanier commun. A son article 60, l'acte fait cependant une distinction, aussi bien pour les droits de douane et taxes d'effet équivalent que pour les restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent, entre «les produits soumis, lors de l'adhésion, à l'organisation commune des marchés» et ceux qui, à la même date, n'y sont pas soumis. Pour les premiers, en matière de droits de douane et taxes d'effet équivalent, le régime est, dès le 1er février 1973, celui applicable dans la Communauté dans sa composition originaire, sous réserve des dispositions des articles 55 et 59 qui traitent essentiellement des montants compensatoires en matière d'adhésion, c'est-à-dire des montants perçus ou octroyés en vue de permettre les échanges entre les nouveaux et les anciens États membres au fur et à mesure que les régimes des prix sont graduellement alignés entre eux. L'article 60, paragraphe 1, constitue, pour les mesures d'effet équivalent, une dérogation au régime général de l'article 36 de l'acte. La date du 1er février 1973 est celle qui est prévue par l'article 151 de l'acte pour l'application, aux nouveaux États membres, de la réglementation communautaire en matière agricole. Pour ce qui est des restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent, l'article 60 déroge de même aux règles générales de l'article 42 et prescrit leur élimination totale pour le 1er février 1973. En revanche, pour les produits qui n'étaient pas soumis, lors de l'adhésion, à une organisation commune des marchés, l'article 60, paragraphe 2, dispose: «… les dispositions du titre I concernant la suppression progressive des taxes d'effet équivalant à des droits de douane et des restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent ne s'appliquent pas à ces taxes, restrictions et mesures lorsqu'elles font partie d'une organisation nationale de marché à la date de l'adhésion. Cette disposition n'est applicable que dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale et jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés pour ces produits.» Dans le contexte de l'article 60, paragraphe 2, la disposition selon laquelle, pour les produits qui ne sont pas soumis à l'organisation commune des marchés lors de l'adhésion, les dispositions du titre I concernant la suppression progressive des taxes d'effet équivalant à des droits de douane et des restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent ne s'appliquent pas, ne peut viser que celles des restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent qui, entre les anciens États membres et les nouveaux, devaient être supprimées selon les modalités prévues au second alinéa de ce paragraphe 2 lui-même. Il apparaît dès lors que l'article 42 de l'acte n'a aucune incidence sur les interdictions d'importations nécessaires pour assurer le maintien d'une organisation nationale de marché. Cette matière est soumise au principe inhérent au traité et à l'acte selon lequel les dispositions des traités instituant les Communautés européennes, relatives à la libre circulation des marchandises, et, en particulier, de l'article 30 CEE sont applicables dès l'adhésion aux nouveaux États membres, sauf s'il y est expressément dérogé. Mais le maintien de ces taxes, restrictions et mesures, s'il est de droit jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés, ne l'est que dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale, ce que souligne bien, comme le fait observer le gouvernement britannique, la version allemande de ce texte qui porte littéralement: «l'alinéa 1 vaut jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés pour ces produits et» — restriction à cette proposition inconditionnelle — «uniquement dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale.» Le paragraphe 2 de l'article 60 ne précise pas qui est compétent pour apprécier dans quelle mesure le maintien, en tout ou en partie, des taxes, restrictions et mesures en cause est nécessaire. On peut penser qu'il appartient aux autorités nationales de décider sur ce point, sous réserve du pouvoir de contrôle des institutions de la Communauté. Ces dispositions sont d'une grande importance. En effet, le texte reconnaît expressément qu'il existait, au moment où l'adhésion est devenue effective, le 1er janvier 1973, des produits encore soumis à une organisation nationale de marché, ce qui était d'ailleurs l'évidence (voir également le point 2 du protocole no 19 concernant les boissons spiritueuses obtenues à partir de céréales). Il «légalise» en quelque sorte cette situation en lui reconnaissant des effets juridiques, même après le 1er janvier 1970, date d'expiration de la période de transition de l'article 8, paragraphe 7, du traité CEE. Une première question se pose: la date du 31 décembre 1977, prévue aux articles 52 et 59 de l'acte, doit-elle être considérée comme la fin d'une période de transition, en ce sens que l'application intégrale des règles du traité devrait être admise de plein droit à partir de cette date, même si au 1er janvier 1978 l'organisation nationale n'a pas été relayée par une organisation commune? En général, le souci des négociateurs a été d'éviter que, sauf circonstances exceptionnelles, la durée d'application des mesures transitoires puisse dépasser cinq ans. C'est ce qu'exprime l'article 9 de l'acte, dont le second paragraphe dispose: «sous réserve des dates, délais et dispositions particulières prévus par le présent acte, l'application des mesures transitoires s'achève à la fin de l'année 1977.» Comme l'écrit M. Puissochet dans son ouvrage sur «L'élargissement des Communautés européennes» (p. 201 et suiv.), l'«article 9 répond au principe reconnu pendant la négociation, selon lequel les difficultés que pourrait entraîner une adhésion pure et simple dans les nouveaux États membres doivent trouver leur solution non pas dans des modifications définitives du droit dérivé, mais dans de simples dérogations transitoires à ce droit. Il répond ainsi à une double fonction: il atténue temporairement la portée des articles 2, 3 et 4 de l'acte en reconnaissant l'existence de dispositions dérogatoires, il affirme que ces dispositions ne peuvent avoir qu'un caractère transitoire et leur application doit, en principe, s'achever à la fin de l'année 1977 . . . Même dans le cas où aucune date précise n'est fixée pour l'expiration de certaines mesures dérogatoires, la reconnaissance du caractère “transitoire” de la mesure en cause a pour effet de suggérer qu'il y soit un jour mis fin. Elle constitue donc une indication politique et, même, un engagement de la part des institutions compétentes de la Communauté de ne pas en permettre la prolongation indéfinie, à supposer que la date limite de l'article 9, paragraphe 2, ne soit d'application». Cet article est, en quelque sorte, le pendant de l'article 8, paragraphe 7, du traité CEE. La date du 31 décembre 1977 marque bien, en principe, l'achèvement de la période pour laquelle des mesures transitoires, à condition qu'elles aient été limitées dans le temps, sont prévues et ne concerne pas seulement les dispositions des articles 52 et 59. Cependant, de sensibles différences de rédaction peuvent être notées entre ces deux textes. L'article 8 du traité CEE, qui prévoit l'établissement progressif du marché commun au cours d'une période de transition de douze années (susceptible d'être portée à quinze, ce qui n'a pas été fait), dispose en son paragraphe 7 : «sous réserve des exceptions ou dérogations prévues par le présent traité, l'expiration de la période de transition constitue le terme extrême pour l'entrée en vigueur de l'ensemble des règles prévues et pour la mise en place de l'ensemble des réalisations que comporte l'établissement du marché commun.» Comme on le sait, le gouvernement français s'est précisément appuyé sur cette dispositions pour exiger et obtenir que la politique agricole commune soit établie, avant le 1er janvier 1970. Or, l'article 9, paragraphe 2, de l'acte, qui est la disposition correspondante, a été négocié dans un contexte différent: lors de ces négociations, et les Hautes parties contractantes ne l'ignoraient évidemment pas, l'achèvement de l'établissement du marché commun était loin d'être réalisé, notamment du fait qu'un bon nombre de règlements ou directives nécessaires à cet achèvement n'étaient pas encore intervenus (droit d'établissement, taxe sur la valeur ajoutée, etc.). Même en matière agricole, quelques secteurs n'avaient pas encore été «organisés». L'article 9, paragraphe 2, de l'acte emploie les expressions «sous réserve des dates, délais et dispositions particulières prévus par le présent acte . . .». La formule «dispositions particulières» doit sans doute se prêter à des interprétations plus souples. Il en est de même des termes «l'application des mesures transitoires s'achève à la fin de l'année 1977», si on les rapproche de la rédaction de l'article 8, paragraphe 7, du traité CEE: «l'expiration de la période de transition constitue le terme extrême pour l'entrée en vigueur de l'ensemble des règles prévues …». Les gouvernements anglais et français insistent avec force sur cet aspect des choses, comme le faisait déjà M. Puissochet dans l'ouvrage cité (p. 47 et suiv.): dans l'acte, «il s'agit de mesures transitoires» et non pas d'une véritable «période de transition» d'une durée unitaire telle que les traités originaires ont pu en prévoir … Ni l'article 9, ni aucune disposition de l'acte n'emploie le terme de «période transitoire». En effet, le mécanisme retenu n'est pas celui d'une période transitoire comparable, par exemple, à celle ayant existé dans la CEE en vertu de l'article 8 du traité de Rome. Certes, les différentes mesures transitoires sont loin d'être dépourvues de liens entre elles. Notamment les négociateurs ont pris soin d'établir un parallélisme qualifié d'«adéquat» entre le rythme et le calendrier du désarmement tarifaire intracommunautaire et du rapprochement vers le tarif douanier commun, d'une part, et le rythme d'application par les nouveaux États membres de tous les éléments de la politique agricole commune, et notamment des prix qui la caractérisent, d'autre part. Mais, dans le cas de l'adhésion, on se trouve en présence d'une série de mesures transitoires dans des domaines divers, dont la durée peut être différente. Si les plus importantes de ces mesures ont une durée d'environ cinq ans, il en est de plus brèves (par exemple, en matière de libéralisation des mouvements de capitaux, articles 121 à 126), mais surtout de plus longues. Il faut citer à cet égard des dispositions financières (l'article 131 prévoit la possibilité de prolonger jusqu'au 31 décembre 1979 l'application des mesures de transition par l'introduction de correctifs particuliers, qualifiés pendant les négociations de «correctifs post-transitoires»), les mesures concernant le régime de la pêche (articles 100 à 103 qui prévoient un régime dérogatoire pendant dix ans au moins) et le protocole no 18 concernant les produits laitiers en provenance de Nouvelle-Zélande. Au demeurant, il faut encore noter, avec M. Puissochet (p. 201), qu'une bonne partie des mesures transitoires et la quasi-totalité de celles qui concernent l'agriculture ont pour objet d'assurer l'application progressive non pas des dispositions du traité lui-même, mais des dispositions du droit dérivé tel qu'il existait à l'époque de l'adhésion; ces mesures constituent des dérogations temporaires au principe de l'application immédiate et générale du droit dérivé dans les nouveaux États membres. Le second alinéa de l'article 9 reflète néanmoins l'hésitation qu'ont eue les négociateurs à abandonner complètement la notion de «période de transition». On en trouve la trace, comme nous l'avons vu, dans la rédaction employée dans cette disposition. Cet alinéa prévoit que l'application des mesures transitoires doit s'achever à la fin de l'année 1977, ce par quoi il faut entendre le 31 décembre 1977, c'est-à-dire cinq ans après l'adhésion. Toutefois, cette disposition ne constitue pas une norme susceptible d'exécution directe. En effet, le terme de la fin de l'année 1977 n'est fixé que «sous réserve des dates, délais et dispositions particulières» prévus par l'acte. La référence aux dates et aux délais est claire. L'expression «dispositions particulières» est beaucoup plus vague. Elle ne semble pouvoir désigner que les dispositions figurant en quelques endroits de l'acte et par lesquelles les négociateurs ont conclu certaines des discussions les plus difficiles en employant des formulations volontairement vagues. C'est le cas pour la détermination du régime qui s'applique en matière de pêche après le 31 décembre 1982; c'est aussi le cas, à notre avis, pour l'article 60, paragraphe 2. L'article 9, qui figure dans la première partie de l'acte, «les principes», comme du reste l'article 60, qui figure dans la quatrième partie, «mesures transitoires», titre 2: «agriculture», reposent donc sur une conception sélective, de dates, délais et dispositions qui devaient, dans leur ensemble, être respectés ou mis en œuvre au plus tard à la fin de l'année 1977, mais sous réserve des dispositions expresses de l'acte lui-même. Il existe non pas une période de transition, mais des mesures sélectives transitoires. Si la thèse de la Commission, appuyée par le gouvernement néerlandais, était exacte, le second alinéa du paragraphe 2 de l'article 60 aurait dû être rédigé de la façon suivante: «cette disposition n'est applicable que dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 1977». La phrase «et jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés pour ces produits» aurait été totalement superflue ou, comme le disait M. l'avocat général J.-P. Warner dans ses conclusions sous l'affaire Charmasson (Recueil 1974, p. 1401): «l'article 60, paragraphe 2, de cet acte serait en effet privé de sens dans n'importe quelle autre optique». Pour nous aussi, cette rédaction correspond beaucoup mieux à l'interprétation qui — la Commission le reconnaît — prévalait à l'époque des négociations qu'à l'interprétation que la Commission prétend déduire «a posteriori» de l'arrêt Charmasson. A ce stade, nous constatons que l'article 60, paragraphe 2, veut dire deux choses:
Pour ce qui est de l'acte, on peut raisonnablement soutenir que l'application de la «disposition particulière que constitue, au sens de l'article 9, paragraphe 2, l'article 60 est subordonnée à la réalisation des conditions qu'elle définit, c'est-à-dire, selon les termes parfaitement explicites de l'article 60, paragraphe 2, deuxième alinéa, “la mise en application de l'organisation commune des marchés” et seulement “dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale pour les produits en cause”. Le lien juridique ainsi établi entre la disparition de l'organisation nationale et son remplacement par une organisation commune est tellement clair qu'il doit permettre et même rendre nécessaire le maintien de l'organisation nationale au-delà du 1» janvier 1978 si, contrairement au traité CEE, mais comme il était à craindre dès le 1er janvier 1973, l'organisation commune n'était pas mise sur pied à cette date. On ne détruit que ce que l'on remplace. |
IV — |
Il convient à présent d'examiner si cette interprétation de l'acte est remise en cause par la «clarification» apportée par l'arrêt préjudiciel Charmasson (Recueil 1974, p. 1383) et si la doctrine de cet arrêt est purement et simplement transposable aux effets de l'expiration d'une «période transitoire» qui serait visée aux articles 52 et 59 de l'acte d'adhésion. Cet arrêt a été rendu — la date est importante — le 10 décembre 1974 dans le cadre d'une procédure préjudicielle ayant pour objet de répondre à deux questions posées par le Conseil d'État français à l'occasion d'un litige opposant à l'administration française un importateur français de bananes provenant de pays tiers autres que ceux entretenant des relations particulières avec la France. L'une des questions avait trait au point de savoir si l'existence d'une organisation nationale de marché dans un secteur déterminé était de nature à faire obstacle à l'application de l'article 33 du traité CEE pour les produits considérés, c'est-à-dire à l'élimination progressive des contingents pendant la période de transition du traité CEE, expirant le 31 décembre 1969. La Cour a répondu que, «si une organisation nationale de marché existant à la date d'entrée en vigueur du traité pouvait, au cours de la période de transition, faire obstacle à l'application de l'article 33 de celui-ci, pour autant que cette application aurait porté atteinte à son fonctionnement (ce qui était le cas en l'espèce, si bien que le recours de M. Charmasson a finalement été rejeté par le Conseil d'État), il ne saurait cependant en être ainsi après l'expiration de cette période, au-delà de laquelle les dispositions de l'article 33 doivent porter leur plein effet». S'agissant d'un contentieux d'interprétation du traité en vertu de l'article 177, il va de soi que la réponse donnée par la Cour n'est pas limitée au secteur de la banane, objet du litige, mais est valable pour tous les secteurs régis par une organisation nationale de marché subsistant après le 1er janvier 1970 et non encore remplacée par une organisation commune au titre de l'article 40. A cet égard, la réponse est nette: aucun système de contingents ne peut être maintenu. L'article 33 produit son plein effet et devient directement applicable, le bénéfice de cette application pouvant être revendiqué, en justice s'il en est besoin, par tout intéressé. Ce qui était en cause dans l'interprétation qui vous était demandée, c'était le régime de contingentement que comportait une organisation nationale de marché, en l'occurrence l'organisation du marché de la banane en France. A supposer que cette organisation eût comporté autre chose qu'un tel régime de contingentement — ce qui, pour vous, paraissait pour le moins douteux, bien que vous vous soyez gardés de qualifier, dans tous ses aspects, le régime français, puisque vous n'étiez saisis que d'un renvoi préjudiciel — vous ne vous êtes directement prononcés que sur l'incidence que revêtait l'échéance de la période de transition du traité CEE sur l'applicabilité de l'article 33 dudit traité à ce régime. Si vous avez ajouté que même une véritable organisation de marché, plus structurée, comportant autre chose qu'un simple système de contingentement, cessait d'être opérante après la fin de la période de transition, c'est que, en formulant sa question, le Conseil d'État avait présenté le système français comme faisant partie intégrante d'une organisation nationale de marché. C'est pour rester dans le cadre tracé par le Conseil d'État que vous avez dit qu'à supposer même qu'il existât une organisation nationale de marché de la banane en France, une telle organisation ne se justifiait plus au-delà de cette échéance. En droit strict, la portée de l'arrêt, ce que les juristes appellent «l'autorité de la chose jugée», est limitée aux termes mêmes de son dispositif, à savoir l'incompatibilité avec le traité du maintien, après le 1er janvier 1970, de restrictions quantitatives résultant d'une organisation nationale de marché. Cependant, les «attendus» de l'arrêt font clairement apparaître que c'est l'organisation nationale elle-même qui ne peut subsister après la fin de la période transitoire, dans toute la mesure où elle comporte des dérogations aux règles générales du traité (et pas seulement à celles des articles 30 et 33 sur les contingents), même si, à la date du 1er janvier 1970, elle n'a pas encore été remplacée par une organisation commune au titre de l'article 40, comme elle aurait dû l'être. Par ailleurs, il est permis de supposer que, dans votre esprit, toutes les organisations de marchés prévues par le traité devaient avoir été mises en place ou le seraient à bref délai et avoir pris le relais des organisations nationales, et votre affirmation était d'autant plus aisée à formuler qu'il n'était pas prévu et qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'organisation agricole commune, ni même de politique commune de la banane, fruit qui n'est produit, dans la Communauté actuelle, que dans les départements français d'outre-mer. Ultérieurement, la jurisprudence Charmasson a été reprise dans une série de décisions. L'arrêt Miritz du 17 février 1976 (Recueil p. 217) est venu confirmer cette jurisprudence et l'étendre à tous les obstacles à la libre circulation (droits de douane ou taxes d'effet équivalent). Citons encore l'arrêt du 16 mars 1977, Commission/République française (Recueil 1977, p. 515), rendu précisément dans le secteur de la pomme de terre, et, en dernier lieu, l'arrêt du 20 avril 1978, Société des Commissionnaires réunis et autres, par lequel vous avez jugé que les articles 39 à 46 du traité CEE ne contiennent aucune disposition qui, soit formellement, soit par implication nécessaire, prévoit ou autorise, après la fin de la période de transition, l'instauration de taxes d'effet équivalant à des droits de douane dans les échanges intracommunautaires de produits agricoles (Recueil p. 928). A propos de ce dernier arrêt, nous ne pouvons cependant manquer de noter qu'un exemple flagrant de dérogation au principe de la libre circulation des marchandises entre États membres originaires, nonobstant la fin de la période de transition visée à l'article 8, est constitué par un règlement du Conseil du 20 mars 1970 au profit des vins luxembourgeois, règlement pris sur la base de l'article 1, paragraphe 1, deuxième alinéa, du protocole concernant le grand-duché de Luxembourg. Ce règlement a été itérativement prolongé, en dernier lieu, le 19 décembre 1977, par règlement du Conseil no 2875/77, jusqu'au 31 décembre 1978. Naturellement, on pourra dire que c'est l'exception qui confirme la règle! Au sujet de toute cette jurisprudence, nous ferons deux observations:
L'arrêt Charmasson ne doit donc être ni absolutisé, ni détaché de son contexte. Il n'a pas, à l'égard de l'acte d'adhésion, autorité de la «chose jugée». Il s'agit en effet d'un traité distinct, et la question de savoir si une interprétation analogue doit prévaloir pour les rapports entre la Communauté et les nouveaux États membres qui font l'objet de l'acte n'est pas préjugée. |
V — |
A ce point de la discussion, le requérant au principal, soutenu par la Commission et par le gouvernement néerlandais, fait valoir que, à supposer même que l'acte d'adhésion s'écarte du traité CEE, la doctrine Charmasson devrait cependant guider l'interprétation de cet acte, sous peine de créer une discrimination fâcheuse entre, d'une part, les anciens États membres et, d'autre part, les nouveaux, ce qui aurait pour effet de maintenir, au moins pour quelque temps, une sorte de «Communauté à deux étages ou à deux niveaux». Nous voudrions à présent examiner cette objection. Tout d'abord, depuis Charmasson, les États membres originaires ont pu avoir le temps de s'adapter, tandis que les nouveaux États (dont Charmasson ne parle pas) pouvaient penser que cette jurisprudence ne leur était pas applicable. Une autre considération peut être tirée de la relative brièveté de la deuxième «période transitoire» —si tant est qu'elle existe — par rapport à la première, alors que des problèmes tout aussi difficiles se posaient du fait de l'entrée des nouveaux États membres dans la Communauté. La présente affaire n'en est qu'un exemple parmi d'autres. Ensuite, il apparaît que la mesure adoptée par le Royaume-Uni s'applique sans discrimination à tous les producteurs de la Communauté, et pas seulement aux producteurs néerlandais. Si l'on examine l'acte en ce qui concerne les obligations contractées par les nouveaux États membres, on s'aperçoit que ces obligations sont définies dans des termes parfois assez lâches. C'est ainsi qu'à l'article 54, paragraphe 2, on lit: «le Royaume-Uni s'efforce, pour chacun des produits auxquels s'appliquent les dispositions du paragraphe 1, d'abolir ces subventions aussitôt que possible au cours de la période visée à l'article 9, paragraphe 2». De même, l'article 154 énonce que les principes concernant les régimes généraux d'aides à finalité régionale, élaborés dans le cadre de l'application des articles 92 à 94 du traité CEE «seront complétés pour tenir compte de la nouvelle situation de la Communauté après l'adhésion, afin que tous les États membres se trouvent dans la même situation à leur égard». Qu'adviendrait-il si, d'aventure, ces subventions à la production n'ayant pas été éliminées entièrement le 1er janvier 1978, le rapprochement entre les prix nationaux garanties et les prix communautaires uniques n'avait pu être réalisé comme il aurait dû l'être? Il n'en résulterait pas pour autant que les obligations contractées par les États originaires pour l'établissement de la politique commune seraient suspendues. En effet, la condition de réciprocité, admise en droit international pour les traités bilatéraux, n'est pas applicable dans un traité comme celui de marché commun, dans lequel l'inobservation par un État membre de ses obligations est sanctionnée institutionnellement et n'autorise pas les autres États membres à s'en prévaloir pour se dispenser de leurs propres obligations. Sans doute cela ne rend-il pas vaine la distinction entre les dispositions «self executing» et celles qui ne le sont pas; il y a là toutefois une raison supplémentaire très forte incitant à ne pas considérer comme «self executing» les dispositions du traité qui, en l'absence d'organisation commune des marchés, dans un secteur intéressé par la suppression des «deficiency payments», priveraient les intéressés de la protection que leur organisation nationale leur assurait jusque-là. Mais, bien que cette situation de fait soit éminemment regrettable, il est un principe fondamental dont la violation serait encore plus fâcheuse que celle de la libre circulation des marchandises, nous voulons parler du principe de la sécurité juridique dont il est souvent question dans ce prétoire. A l'époque où l'élargissement a été négocié, l'idée de progressivité et de continuité sans faille qui nous paraît être l'un des piliers de l'établissement de la politique agricole commune et dont on trouve l'expression, notamment, aux articles 38, paragraphe 4, 43, paragraphes 2 et 3, et 45, paragraphe 1, était universellement admise et l'acte a tenu compte de cet impératif de manière particulièrement circonstanciée. S'il y avait une chose bien «acquise» et une «option prise» dont le caractère «équitable» a conditionné l'avis favorable émis par la Commission le 19 janvier 1972 relatif à l'élargissement, c'est bien que la suppression progressive des restrictions quantitatives ne s'applique pas à celles de ces restrictions qui font partie d'une organisation nationale de marché à la date de l'adhésion et qu'une organisation commune ne peut être substituée à l'organisation nationale que dans les conditions prévues à l'article 43 du traité CEE. Il nous semble que l'ordre public communautaire exige que deux des Hautes parties contractantes à l'acte d'adhésion, et non des moindres, puissent se prévaloir de cet «acquis communautaire». Au demeurant, il est tout à fait remarquable que, même après Charmasson, la Commission, en tant qu'organe de proposition au «législateur», ait tenu et tienne encore actuellement un langage singulièrement différent de celui de ses observations dans la présente affaire, et que le «législateur» lui-même continue de partager l'opinion qui prévalait à l'époque des négociations, tant en ce qui concerne les secteurs faisant l'objet d'une organisation commune que ceux qui sont encore inorganisés. C'est ce que nous allons à présent tenter de montrer. |
VI — |
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VII — |
Pour terminer, nous voudrions élever quelque peu le débat. En présence des carences du pouvoir «législatif», on aurait pu considérer que les règlements ou directives prévus pour mettre en application certaines dispositions du traité ne pouvaient plus, désormais, intervenir, les pouvoirs accordés à cet effet étant limités à la période de transition et qu'en conséquence les droits reconnus par le traité pourraient être pleinement exercés. Inversement, on aurait pu admettre que le retard apporté à la mise en vigueur des règlements ou directives ne dispensait pas de l'obligation de les prendre, même après le 1er janvier 1970, et qu'en attendant les dispositions du traité, dans la mesure où elles ne peuvent être mises en oeuvre que par le moyen de ces règlements ou directives, ne sont pas directement applicables. Dans votre arrêt Reyners du 21 juin 1974 (Recueil p. 631), vous avez pris parti pour une thèse intermédiaire en faisant une distinction entre les règles considérées comme directement applicables par leur nature et celles qui nécessitent des mesures d'application pour être effectivement mises en oeuvre. La Cour allait-elle recourir à une telle distinction à l'égard des retards survenus dans la mise en oeuvre de la politique agricole commune, notamment quant à l'établissement d'une organisation commune de marchés dans certains secteurs? D'après l'article 38, paragraphe 2, du traité, les règles prévues pour l'établissement du marché commun (celles des articles 30 et suiv., par exemple) ne sont applicables aux produits agricoles que sous réserve des dispositions des articles 39 à 46, c'est-à-dire de l'établissement d'une politique agricole commune telle qu'elle est définie à l'article 39. Or, la mise sur pied d'une telle organisation ne peut être le résultat que de règles claires et précises, exhaustivement définies et créant des droits en faveur des justiciables. Il va de soi que les dispositions de l'article 40 du traité CEE ne sont pas «directement applicables». Telle a toujours été la thèse de la Commission, avant comme après l'arrêt Charmasson. Cependant, avec cet arrêt, la Cour a sensiblement élargi sa conception de l'effet direct. Il ne s'agit pas uniquement de vérifier que telle ou telle disposition est par elle-même de nature à être appliquée immédiatement, il convient en outre de rechercher, au cas où plusieurs règles seraient applicables simultanément, quelle est celle qui est la plus fondamentale par rapport aux principes généraux du traité. Selon l'arrêt Charmasson, l'élimination des restrictions quantitatives, l'un des fondements du marché commun, étant d'application directe, cette règle doit l'emporter sur la nécessité de la politique, agricole commune, dans la mesure où celle-ci comporte une atténuation du principe de libre circulation des produits et n'a pu être mise sur pied dans les délais fixés par le traité CEE. Il ne s'agit plus seulement d'une notion d'applicabilité directe, fondée sur la seule inutilité de toute mesure d'application, mais d'une prise de position destinée à exercer une pression sur l'exécutif communautaire et, par son intermédiaire, sur les États membres en vue de parvenir à une pleine application du traité. Encore faut-il qu'un tel résultat, nécessitant, par hypothèse, l'intervention de règlements ou d'autres mesures d'exécution, puisse être obtenu rapidement sans entraîner les graves distorsions ou les bouleversements qu'une intégration brutale serait susceptible de provoquer dans un secteur économique déterminé, notamment en matière agricole, si elle risquait d'aboutir à la négation des principes posés par l'article 39 du traité. Des mesures transitoires peuvent objectivement s'avérer nécessaires. Le juge ne peut, si légitimes soient ses efforts en vue de faire triompher les objectifs du traité, substituer entièrement sa responsabilité à celle de l'exécutif qui, pour une large part, est aussi le législateur. Ce qui nous paraît certain, en tout cas, c'est qu'une telle attitude s'impose lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de l'application non des dispositions mêmes du traité, mais de celles de l'acte d'adhésion. Nous croyons avoir montré que la période expirant le 31 décembre 1977 était bien différente, quant à sa nature et quant à ses effets, de la période transitoire de quinze ans prévue par le traité, et que les règles édictées pour réaliser l'assimilation de l'économie des nouveaux États membres pendant un aussi court délai étaient sensiblement plus souples que celles que le traité avait établies pour la réalisation du marché commun entre les États fondateurs. La politique agricole commune, telle qu'elle est définie à l'article 39, ne peut s'accompagner du risque de disparition, dans un État membre ayant souscrit à l'acquis communautaire en 1972-1973, de tout un secteur de production, comme ce peut être le cas, au moins théoriquement, en matière industrielle. |
Sous réserve de ce que nous pourrions dire dans l'affaire 231/78, nous concluons à ce qu'il soit répondu à la question posée que:
s'agissant d'un produit agricole qui, à la date de l'adhésion, ne relevait pas d'une organisation commune des marchés et qui, le 1er janvier 1978, n'en relevait toujours pas, l'application de restrictions quantitatives à l'importation à l'égard de ce produit après le 31 décembre 1977, pour autant que ces mesures fissent partie intégrante d'une organisation nationale des marchés en vigueur à la date de l'adhésion et dans la mesure nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale en attendant la réalisation de l'organisation commune des marchés dans le secteur du produit en cause, n'est pas contraire à l'article 60, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion.