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Document 61978CC0014
Opinion of Mr Advocate General Mayras delivered on 8 November 1978. # Denkavit Commerciale Srl and Denkavit Nederland BV v Commission of the European Communities. # Case 14/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 8 novembre 1978.
Denkavit Commerciale Srl et Denkavit Nederland BV contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 14/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 8 novembre 1978.
Denkavit Commerciale Srl et Denkavit Nederland BV contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 14/78.
Recueil de jurisprudence 1978 -02497
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1978:196
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GENERAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 8 NOVEMBRE 1978
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — |
La société italienne Denkavit Commerciale, première requérante dans la présente affaire, vend des aliments pour animaux qu'elle achète à un fournisseur néerlandais faisant partie du même groupe. Elle a de nouveau entrepris, le 9 novembre 1977, d'importer des Pays-Bas en Italie un lot de ces aliments dont la teneur en nitrates de potassium était supérieure à la limite fixée par les autorités italiennes le 7 septembre 1976. Par cette mesure, ces autorités ont unilatéralement introduit une teneur maximale de cette substance qu'elles jugeaient nocive et qu'elles estimaient avoir été ajoutée à des aliments pour animaux et elles ont appliqué des restrictions de commercialisation propres à lui donner effet. Vous avez déjà eu à en connaître par la procédure qui a abouti à votre arrêt préjudiciel du 5 octobre 1977, Tedeschi/Denkavit (Recueil p. 1556), rendu sur renvoi du pretore de Lodi. Nous ne savons pas le profit que ce juge a tiré de votre arrêt, toujours est-il que, comme en septembre 1976, le chargement a été refusé par la douane italienne et a dû être réexpédié aux Pays-Bas. Par lettre du 23 novembre 1977, cette société a mis la Commission en demeure de prendre, dans un délai de deux mois, les mesures prévues à l'article 10 de la directive du Conseil 74/63, concernant la fixation de teneurs maximales pour les substances et produits indésirables dans les aliments des animaux et, entre-temps, de prescrire au gouvernement italien d'abolir la mesure adoptée le 7 septembre 1976, le tout sous peine de dommages-intérêts. Le 11 décembre 1977, le secrétaire général de la Commission a accusé réception de cette lettre en indiquant à la requérante qu'il l'avait transmise aux services compétents. Le 19 janvier 1978, soit avant l'expiration du délai fixé par la requérante, la Commission, sous la plume du directeur général à l'agriculture, lui a fait savoir qu'elle venait d'adresser à l'Italie l'avis motivé prévu au premier alinéa de l'article 169 du traité, sans toutefois lui en communiquer le texte, semble-t-il. Cet avis motivé, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir, n'a été adressé au gouvernement italien que le 25 janvier 1978. Ce gouvernement avait un délai d'un mois pour s'y conformer. Parallèlement, au plan «normatif», le directeur général indiquait que, dès que le comité scientifique de l'alimentation animale aurait formellement adopté son avis en cette matière, la Commission envisageait de prendre sans délai les initiatives nécessaires dans le cadre de l'article 5 de la directive 74/63. Le 24 janvier 1978, la Fédération européenne des fabricants d'aliments composés pour animaux, à laquelle sont affiliées les deux requérantes, soumit au directeur général la question de l'«exécution de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire 5/77». Constatant «que le problème de fond concernant l'arrêt susmentionné, en suspens depuis le mois de septembre 1976», n'a pas encore été résolu, cette Fédération demandait à la Commission «de bien vouloir adopter dans les plus courts délais les décisions adéquates afin d'éviter les difficultés à l'exportation des aliments pour animaux vers l'Italie, plusieurs fois dénoncées, et, en même temps, une aggravation des dommages subis par les importateurs italiens des mêmes produits en provenance des États membres». Par la présente requête, la société italienne et son fournisseur néerlandais vous demandent à présent de condamner la Communauté à réparer le dommage qui leur aurait été causé par la Commission dont la responsabilité, en l'espèce, découlerait directement du fait que cette institution aurait omis de condamner avec la diligence voulue les mesures italiennes qui constituent, à leurs yeux, un moyen de discrimination arbitraire et une restriction déguisée dans le commerce entre États membres. Le recours n'a donc et ne saurait d'ailleurs avoir pour objet de vous faire déclarer que la disposition arrêtée le 7 septembre 1976 par les autorités italiennes était contraire au traité. En fait, les requérantes se plaignent du retard, fautif à leurs yeux, avec lequel la Commission a adopté sa décision du 30 mai 1978, relative aux mesures de la République italienne limitant la teneur en nitrates de certains aliments pour animaux, et de sa carence à réagir contre l'immobilisation de leurs camions à la frontière italienne. En admettant même que la mesure nationale eût un semblant de justification du point de vue scientifique, il aurait été clair, dès le départ, ainsi que la Commission l'a finalement constaté dans l'avis motivé qu'elle a adressé au gouvernement italien le 25 janvier 1978, que, pour contrôler raisonnablement la teneur en nitrates, il n'était point nécessaire que les camions restent bloqués pendant une longue période à la frontière dans l'attente des résultats de l'analyse chimique; l'objectif poursuivi pouvait être atteint par d'autres moyens, entravant les échanges dans une mesure moindre, tels que la vérification d'un certificat délivré par le pays d'origine ou le plombage des camions après prélèvement d'échantillons à la frontière. En raison de leur caractère disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi, les modalités de contrôle mises en œuvre par les autorités italiennes rendaient plus onéreuses et, dès lors, plus difficiles les importations en provenance d'autres États membres de la Communauté. |
II — |
Formellement, les requérantes concluent à ce que vous constatiez [illégalité du comportement de la Commission pour avoir omis d'adopter, à l'égard de l'État italien, une mesure visant à imposer l'abolition de la note urgente du 7 septembre 1976. La Commission a en effet toléré que, pendant près de deux ans, le principe de la libre circulation des produits en cause, pourtant consacré par l'article 30 du traité et par la directive, n'ait pas été respecté; de ce fait, le bon fonctionnement de l'organisation commune dans le secteur des produits laitiers, établie par le règlement no 804/68, n'a pas été assuré. Cette constatation devrait remonter au 7 octobre 1976, soit un mois après l'ouverture de la procédure visée à l'article 10 de la directive, ou en tout cas au 5 novembre 1977, soit un mois après le prononcé de votre arrêt préjudiciel. Elles vous demandent, en second lieu, d'imposer à la Commission d'adopter d'urgence, sur la base des dispositions combinées des articles 5 et 10 de la directive, une mesure visant à rétablir la liberté de circulation des aliments destinés aux veaux. Elles concluent enfin à ce que vous condamniez la Communauté à leur rembourser, à titre de dédommagement, une somme restant à déterminer. Au sujet de ces conclusions, nous voudrions faire les observations préalables suivantes: Quant au premier chef, la computation par les requérantes des dates à partir desquelles l'illégalité du comportement de la Commission devrait être constatée nous paraît assez arbitraire: en effet, ce n'est qu'après le 5 octobre 1977 qu'il est apparu que le problème de la présence des nitrates dans les aliments pour animaux devait être examiné dans le cadre de la directive 74/63 “substances indésirables” et non pas dans celui de la directive 70/524 “additifs”. En outre, l'article 10 de la directive “substances indésirables” n'enferme dans aucun délai précis la prise d'une décision par la Commission; les seuls délais chiffrés dont il soit question à cet article sont, d'une part, celui de deux jours dans lequel le comité permanent, s'il procède à un vote, doit se prononcer sur le projet qui lui est soumis par la Commission et, d'autre part, le délai de quinze jours dont dispose le Conseil pour arrêter, s'il le juge utile, à la majorité qualifiée, les mesures proposées par la Commission. Quant au deuxième chef de conclusions, il nous paraît sans objet depuis que le résultat visé a été atteint pour l'avenir par la décision de la Commission du 30 mai 1978, relative aux mesures de la République italienne limitant la teneur en nitrates de certains aliments pour animaux. Cette décision a été adoptée postérieurement à l'introduction de la requête, mais elle aura au moins déjà eu pour conséquence que la Commission a formellement constaté que la substance en question, qui n'est pas un additif au sens de la directive 70/524, n'est pas non plus une substance indésirable. La mesure italienne a été supprimée par un “billet urgent” du 13 juillet 1978 et aucun dommage ne pourra à l'avenir être causé aux requérantes à raison de son maintien. Nous n'insisterons pas sur ce point et nous nous bornerons à examiner si, en l'espèce, l'existence de la responsabilité de la Commission se trouve engagée dans son principe. Nous admettrons, pour les besoins de la cause, qu'il y a bien eu dommage et que la cause directe de celui-ci aurait été, au moins en partie, l'omission par la Commission d'agir dans le sens souhaité par les requérantes. Bien évidemment, nous nous garderons de nous prononcer, dans le cadre du présent litige, sur la part de responsabilité éventuelle des autorités italiennes, en premier lieu parce que vous avez jugé que, en vertu de l'article 5, 2), de la directive 74/63, la mesure incriminée pouvait être maintenue aussi longtemps qu'aucune décision n'aurait été arrêtée soit par le Conseil, soit par la Commission; mais aussi en raison du fait que le gouvernement italien n'a pas été associé à la présente procédure. Il conviendra cependant d'interpréter le libellé des conclusions des requérantes, car une illégalité n'est pas forcément, à elle seule, de nature à engager la responsabilité de la Communauté. Il faut qu'il y ait eu “violation suffisamment caractérisée d'une règle ou d'un principe supérieur de droit” au sens que vous donnez à cette expression. Nous rechercherons si, comme le soutiennent les requérantes, la Commission a engagé la responsabilité de la Communauté à un double titre:
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III — |
Au plan “normatif”, les requérantes soutiennent que la Commission a commis un excès ou un détournement des pouvoirs que lui confèrent les articles 5 et 10 de la directive. Il faut donc rechercher quelle est la nature des compétences que la Commission tire de ces dispositions. Rappelons que l'article 5 laisse aux États membres la faculté, lorsqu'un produit non mentionné dans l'annexe menace la santé animale ou humaine, d'en interdire, par une mesure immédiatement applicable, la présence dans les aliments pour animaux ou de fixer des teneurs maximales. Lorsqu'il fait usage de cette faculté, l'État membre concerné doit communiquer sans délai aux autres États membres et à la Commission la teneur et les motifs de la mesure qu'il édicté. Le paragraphe 2 de cet article dispose que, selon la procédure prévue à l'article 10, il est décidé immédiatement si l'annexe doit être modifiée, mais qu'aussi longtemps qu'aucune décision n'a été arrêtée soit par le Conseil, soit par la Commission l'État membre peut maintenir les mesures qu'il a mises en application. C'est dire que la procédure de l'article 10 est elle-même conditionnée par le rythme des travaux du Comité permanent et que l'adverbe “immédiatement”, s'il ne veut pas dire “indéfiniment”, est susceptible de revêtir une signification assez élastique selon l'usage qui est fait de la procédure de l'article 10. Cette procédure comporte l'adoption d'une décision de la Commission, après consultation du Comité permanent des aliments des animaux. Toutefois, en l'absence d'avis de ce comité ou lorsque la Commission se propose d'édicter des mesures non conformes à cet avis, elle doit saisir le Conseil qui statue à la majorité qualifiée. Si, à l'expiration d'un délai de quinze jours, le Conseil n'a pas arrêté de mesures, la Commission prend elle-même les mesures appropriées et les met immédiatement en application, sauf dans le cas où le Conseil s'est prononcé à la majorité simple contre lesdites mesures. Grâce aux extraits de procès-verbaux des réunions tenues par ce comité entre le 15 octobre 1976 et le mois d'avril 1978, qui ont été produits par la Commission à votre demande, il est possible de reconstituer les activités de ce comité en ce qui concerne les nitrates de potassium. Il semble que le “projet des mesures à prendre”, soumis par le représentant de la Commission au Comité permanent (article 10, 3), visait à fixer des limites pour les teneurs en nitrates de potassium. D'après cette même disposition, le comité disposait de deux jours pour émettre son avis sur ces mesures. Le 7 septembre 1976, selon le procès-verbal cité par les requérantes et produit par la Commission, tout en faisant part de leur étonnement et de leurs regrets quant aux mesures prises par l'Italie, les autres délégations “considèrent que la question de savoir s'il y a lieu de limiter ou non la teneur en nitrates des aliments des animaux ne peut être tranchée qu'en se fondant sur l'examen d'un dossier scientifique établi à cet effet” et le président du comité conclut que le dossier scientifique que la délégation italienne était priée de fournir dans les meilleurs délais “sera soumis au Comité scientifique de l'alimentation animale dès son fonctionnement … L'avis du comité scientifique sera pris en considération par les services de la Commission pour établir les propositions appropriées qui seront soumises au Comité permanent des aliments des animaux”. Un comité d'experts-conseils capables de fournir des renseignements scientifiques à la Commission avait déjà commencé à fonctionner, à titre officieux, dès l'adoption des premières mesures de réalisation du programme communautaire d'harmonisation des législations en matière alimentaire. Ce comité s'est vu attribuer un rôle permanent dans l'élaboration de la législation communautaire en matière alimentaire par suite de son institution officielle le 16 avril 1974 (JO no L 136 du 25 mai 1974, p. 1) en tant que comité scientifique de l'alimentation humaine. En revanche, le Comité scientifique de l'alimentation animale n'existait pas au 7 septembre 1976; son institution remonte à une décision de la Commission du 24 septembre 1976 QO no L 279 du 9 octobre 1976, p. 35). Dès lors, son avis devait être pris en considération pour établir les propositions appropriées à soumettre au Comité permanent et celui-ci avait marqué, à plusieurs reprises, son assentiment sur cette procédure. Le 7 juin 1977, encore, “à la demande des délégations, le président décide d'ajourner l'avis du Comité permanent afin que le Comité scientifique soit saisi des observations formulées par la délégation allemande et voit s'il y a lieu de modifier son avis”. Le 1er février 1978, le Comité permanent n'avait toujours pas pris formellement position sur le projet de mesures qui lui avait été soumis par la Commission en vue de modifier l'annexe de la directive du Conseil 74/63 concernant la fixation de teneurs maximales pour les substances et produits indésirables dans les aliments des animaux. Le 3 mai 1978, saisi du projet qui est devenu la décision de la Commission statuant sur les mesures de la République italienne, le président rappelle que, «selon l'article 5 de la directive 74/63, la Commission se devait de décider immédiatement si une modification de l'annexe était nécessaire; que, dès le début, les données sanitaires fournies par l'Italie se sont avérées insuffisantes; que, toutefois, dans le souci de prendre toutes les précautions nécessaires en matière sanitaire, la Commission a demandé l'avis du Comité scientifique que a été dans l'obligation d'attendre le résultat d'expertises; que, dès lors que le Comité scientifique a remis son avis, il incombe à la Commission de prendre immédiatement les mesures nécessaires». Ce qui l'amènera une fois encore à ajourner à huitaine l'avis du Comité permanent. Finalement, ce comité a émis un avis conforme; la Commission a alors pu arrêter sa décision le 30 mai 1978. Ainsi, le Comité permanent n'avait jamais, avant le mois de mai 1978, formellement procédé à un vote sur ce projet. Il ne pouvait donc y avoir ni avis conforme, ni avis défavorable, ni même «absence d'avis», c'est-à-dire un avis ne permettant pas de faire apparaître la majorité requise (41 voix) pour qu'il y ait un «avis conforme ou défavorable». Le retard mis par le Comité permanent à procéder au vote ne peut être assimilé à une «absence d'avis». Par ailleurs, les seules mesures que la Commission se proposait de prendre avant le mois de mai 1978 consistaient, comme nous l'avons dit, dans une modification de l'annexe de la directive: à supposer même que le Comité permanent ait procédé à un vote et que la Commission ait passé outre à cette consultation, ces mesures n'auraient eu pour effet que de fixer une nouvelle teneur maximale en nitrates pour les aliments complets pour porcelets jusqu'à l'âge de quatre semaines, ce qui n'aurait pas constitué une prise de position explicite sur la mesure adoptée par les autorités italiennes. Les requérantes suggèrent que la Commission, plutôt que de recourir à la procédure qu'elles qualifient d'«urgence» des articles 5 et 10, aurait dû se servir de la procédure «scientifique» des articles 6 et 9. Il est bien possible, en effet, qu'il y ait eu au départ une erreur d'aiguillage, mais une fois entamée la procédure de l'article 10, celle-ci devait être poursuivie et menée à son terme. Même si la Commission avait choisi la voie de l'article 9, elle aurait dû parallèlement suivre la procédure de l'article 10 puisque l'Italie avait pris des mesures unilatérales. Nous ne voyons du reste guère comment la procédure des articles 6 et 9 pourrait s'appliquer sans qu'en même temps soit ouverte la procédure des articles 5 et 10 et nous estimons qu'en pratique il est bien difficile de distinguer ces deux procédures. Les requérantes ont par ailleurs parfaitement raison de rappeler que la directive en matière de substances indésirables procède de l'idée d'assurer un degré plus élevé d'intégration communautaire. Vous avez vous-mêmes jugé (attendu no 35 de votre arrêt du 5 octobre 1977, Recueil p. 1576) que, «lorsque, par application de l'article 100 du traité, des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à assurer la protection de la santé des animaux et des personnes et aménagent des procédures communautaires de contrôle de leur observation, le recours à l'article 36 cesse d'être justifié, et c'est dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation que les contrôles appropriés doivent être effectués et des mesures de protection prises». Mais, cela veut simplement dire que les raisons qui pouvaient justifier des mesures prises par les États membres au titre de l'article 36 doivent continuer de guider l'action de la Commission dans le maniement de l'article 10. Dès lors, celle-ci se trouve dans une situation de conflit de devoirs: d'une part, assurer la libre circulation des marchandises, qui nous parait en effet constituer une règle ou un principe supérieur de droit communautaire, mais, d'autre part, tenir dûment compte des impératifs de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, tâche dont elle a pour ainsi dire hérité des États membres dans le domaine particulier des aliments pour animaux. Les requérantes soutiennent qu'un simple coup d'œil sur le dossier scientifique transmis à la Commission par les autorités italiennes le 7 octobre 1976 suffit à prouver le manque total de fondement de la demande de modification présentée par ces autorités; en effet, toutes les données scientifiques dont fait état ce dossier auraient déjà été connues au moment de l'adoption de la directive. De même, sans doute pour répondre à la remarque que nous avions faite dans nos conclusions du 6 juillet 1977 (Recueil p. 1583), elles rappellent opportunément que, selon le règlement no 804/76 de la Commission, à partir du 15 avril 1976, les aliments pour animaux devaient obligatoirement contenir au moins 60 % de poudre de lait pour pouvoir bénéficier de l'aide communautaire prévue par l'article 10, 3), du règlement no 804/68. En d'autres termes, les producteurs avaient intérêt, dès avril 1976, à réduire les quantités de lactosérum en poudre utilisées pour la fabrication de leurs aliments composés et la teneur en nitrates de ces produits était dorénavant nécessairement inférieure à ce qu'elle était auparavant. Nous ne savons pas si cet intérêt des producteurs s'est nécessairement traduit par la réduction dont font état les requérantes. De toute façon, le problème de l'innocuité des nitrates pouvait se trouver à nouveau posé en fonction de l'état des connaissances scientifiques. Si cette innocuité avait été déjà définitivement établie avant l'adoption de la directive «substances indésirables», ce fait n'aurait pas dû échapper aux membres éminents du Comité permanent et du Comité scientifique. Nous ne pouvons que difficilement admettre, pour notre part, que ces personnalités aient siégé pour le plaisir de se réunir ou que les recherches complémentaires qu'elles ont effectuées étaient, au départ, inutiles. Nous avions dit dans nos conclusions sur l'affaire Tedeschi que le système organisé par l'article 5 de la directive ne nous paraissait pas illégal; nous n'avions cependant pas exclu qu'il puisse en être fait usage de façon abusive par les États membres ou par la Commission. Peut-on faire grief à la Commission d'avoir cherché à obtenir, et d'avoir finalement obtenu, un avis conforme du Comité permanent, plutôt que de prendre le risque d'une décision sans que ce comité se soit formellement prononcé? Compte tenu de ses responsabilités en ce domaine, nous ne le pensons pas. Ou bien alors il faudrait considérer qu'en instituant le Comité scientifique, le 25 septembre 1976, la Commission visait en réalité à paralyser les travaux du Comité permanent sur les teneurs maximales en nitrates. Les requérantes elles-mêmes n'allèguent pas l'illégalité de la création du Comité scientifique par la Commission ni de sa consultation par la Commission et par le Comité permanent. Ainsi, l'usage que la Commission a fait, au plan «normatif», des articles 5 et 10 de la directive ne nous paraît pas constitutif d'un abus suffisamment caractérisé de la notion de «protection de la santé publique», susceptible d'engager sa responsabilité. |
IV — |
Il nous reste à examiner les griefs que les requérantes formulent à rencontre de la Commission au plan «administratif». Selon l'attendu no 56 de votre arrêt du 5 octobre 1977, «l'alinéa final de l'article 10 n'a pas pour effet de paralyser la Commission ni de permettre une prolongation indéfinie de la mesure nationale adoptée à titre provisoire» et, selon l'attendu no 55, «la Commission reste cependant compétente pour édicter, suivant la procédure prévue à l'alinéa 1 du paragraphe 4 de l'article 10, toute autre mesure qu'elle estimerait appropriée». Nous ne voyons pas très bien, pour notre part, de quelle nature pourrait être la mesure dont l'adoption restait de la compétence de la Commission au titre de l'article 10, à moins que vous n'ayez songé aux mesures que la Commission peut prendre dans le cadre, beaucoup plus général, des articles 155 et 169 du traité. L'objectif du traité est d'aboutir à l'élimination effective des manquements et de leurs conséquences passées et futures, ainsi que vous l'avez dit dans votre arrêt Commission/Allemagne du 12 juillet 1973 (Recueil p. 829). Vous avez également jugé qu'en présence tant d'un retard à exécuter une obligation que d'un refus définitif, un arrêt rendu par la Cour au titre des articles 169 et 171 du traité peut comporter un intérêt matériel en vue d'établir la base d'une responsabilité qu'un État membre peut être dans le cas d'encourir en conséquence de son manquement à l'égard d'autres États membres, de la Communauté ou de particuliers (arrêt du 7 février 1973, Commission/Italie, Recueil, p. 112). Vous avez ainsi souligné l'importance de vos arrêts rendus au titre de l'article 169 et, du même coup, tout l'intérêt que revêt l'initiative à prendre par la Commission. Mais, encore faut-il que le manquement ait été constaté par la Cour et, à supposer intervenue la constatation du manquement d'un État membre, comme il incombe à celui-ci de prendre les mesures que comporte l'exécution de cet arrêt, c'est cet État qui, en définitive, selon votre jurisprudence, «peut être dans le cas d'encourir, en conséquence de son manquement, une responsabilité à l'égard des particuliers». Assurément, les requérantes ou la Fédération européenne des fabricants d'aliments composés pour animaux à laquelle elles sont affiliées ont invité à plusieurs reprises et de façon pressante la Commission à agir. Mais, étant donné le pouvoir discrétionnaire que vous avez jusqu'ici reconnu à la Commission en ce domaine, il ne nous paraît pas possible d'aller plus loin. Pour parvenir à un résultat différent, il faudrait considérer qu'en ne mettant pas en action, en temps opportun, la procédure de l'article 169 et en omettant d'introduire une requête devant la Cour au titre de cette disposition du traité, la Commission est susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté. Vous avez jugé, le 3 avril 1968, dans l'affaire Molkerei-Zentrale Westfalen Lippe (Recueil p. 227) que «les garanties accordées aux particuliers, en vertu du système du traité, pour la sauvegarde de leurs droits individuels et les attributions reconnues aux institutions communautaires en ce qui concerne le respect, par les États, de leurs obligations ont un objet, des fins et des effets différents et ne peuvent être mises en parallèle». Dans l'arrêt Lütticke du 1er mars 1966 (Recueil p. 27), vous aviez déjà jugé qu'un particulier n'a pas qualité pour contester la validité d'une décision par laquelle la Commission refuse d'agir contre un État membre au titre de l'article 169. Il doit en aller ainsi, que la décision soit explicite ou qu'il n'y ait pas de décision. Dans l'affaire Meyer-Burckhardt (arrêt du 22 octobre 1975, Recueil p. 1171), M. l'avocat général Warner exposait dans ses conclusions (p. 1190) qu'«une grande partie du raisonnement suivi par M. l'avocat général Gand (dans l'affaire 48/65, Lütticke, précitée), nous semble conduire également à la conclusion qu'une telle personne ne peut poursuivre la Commission en dommages-intérêts en raison d'une telle décision. En particulier, la connaissance par la Cour d'un recours de ce genre impliquerait que celle-ci devrait décider si un État membre a ou non violé le traité, alors même que cet État membre serait absent en tant que partie et sans lui offrir l'une quelconque des garanties accordées à un État membre par l'article 169». Et plus loin (p. 1191): «le devoir de la Commission à l'endroit du requérant était, tout au plus, d'examiner sa demande avec soin. Elle ne saurait avoir eu envers lui une obligation d'exercer, dans un sens précis, le pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 169, cette obligation n'étant pas d'une nature telle que la violation de celle-ci aurait pu donner lieu à un recours devant votre juridiction». Les requérantes ne sauraient donc faire grief à la Commission de ne pas avoir adopté son avis plus tôt, non plus que de n'avoir pas saisi la Cour après le délai d'un mois qu'elle avait fixé elle-même dans cet avis. Pour leur donner satisfaction, il eût fallu que la Commission s'exécutât avant le 23 janvier 1978 (délai fixé par la première requérante dans sa lettre du 23 novembre 1977), alors que le gouvernement italien avait, selon l'avis motivé, un délai expirant au plus tôt le 25 février 1978, voire jusqu'au 30 juin 1978, selon l'article 2 de la décision du 30 mai précédent. Saisir la Cour en demandant l'adoption de mesures provisoires eût été contraire au délai que la Commission avait elle-même laissé au gouvernement italien. Il nous paraît impossible d'admettre que les particuliers puissent interférer avec les délais fixés par la Commission au titre de l'article 169. |
Dans toutes ces conditions, nous estimons que ni au plan «normatif», ni au plan «administratif» la Commission n'a engagé, par son comportement, la responsabilité de la Communauté et nous concluons au rejet de la requête et à ce que les dépens soient supportés par les requérantes.