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Document 61978CC0001
Opinion of Mr Advocate General Mayras delivered on 23 May 1978. # Patrick Christopher Kenny v Insurance Officer. # Reference for a preliminary ruling: National Insurance Commissioner - United Kingdom. # Case 1/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 23 mai 1978.
Patrick Christopher Kenny contre Insurance Officer.
Demande de décision préjudicielle: National Insurance Commissioner - Royaume-Uni.
Affaire 1/78.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 23 mai 1978.
Patrick Christopher Kenny contre Insurance Officer.
Demande de décision préjudicielle: National Insurance Commissioner - Royaume-Uni.
Affaire 1/78.
Recueil de jurisprudence 1978 -01489
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1978:111
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 23 MAI 1978
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — |
La présente affaire préjudicielle vous est déférée par le National Insurance Commissioner, compétent au Royaume-Uni pour statuer en appel sur certains litiges en matière de sécurité sociale. Elle vous conduira de nouveau à vous occuper de la situation, au regard des prestations en espèces de l'assurance maladie, des travailleurs «ne se trouvant pas en Grande-Bretagne» au sens du règlement no 1408/71. A la différence de l'affaire Brack, sur laquelle vous avez statué par arrêt du 29 septembre 1976 (Recueil p. 1430), il s'agit en l'espèce d'un séjour ou d'une résidence d'un caractère un peu particulier puisque l'intéressé se trouvait incarcéré dans un autre État membre. Nous serons ainsi amené à faire une incursion dans le domaine de la sécurité sociale des détenus qui, sauf erreur de notre part, n'a jamais donné lieu à jurisprudence de votre Cour. L'affaire Welchner (arrêt du 5 décembre 1967, Recueil p. 428) avait trait, en effet, à une période de captivité au titre de faits de guerre. Le litige au principal oppose un ressortissant de la république d'Irlande, résidant actuellement en Angleterre, à l'Insurance Officer qui représente le Ministère britannique de la santé et de la sécurité sociale. Le 9 janvier 1973, le sieur Kenny avait été reconnu coupable de voies de fait sur la personne de sa femme par la Cour criminelle centrale de Dublin et condamné de ce chef à douze mois de prison avec sursis, sous la condition de respecter une interdiction de séjourner en république d'Irlande à proximité du domicile de son épouse pendant une période de deux ans. Ayant enfreint cette interdiction le 16 juin 1973, l'intéressé fut arrêté et requis, le 28 juin, de purger une peine de douze mois d'emprisonnement à la prison de Mountjoy. Au cours de sa détention, l'intéressé fut reconnu dans l'incapacité de travailler en raison d'un «ulcère de contrainte», accompagné d'hématémèse, déclaré avant même son incarcération et, son état de santé ayant réclamé des soins qui ne pouvaient lui être administrés dans l'établissement pénitentiaire ou à l'infirmerie de celui-ci, il fut transféré, le 23 octobre 1973, au Mater Hospital, situé à proximité de la prison, mais ne dépendant pas de celle-ci. Il y demeura jusqu'au 2 novembre suivant date à laquelle il réintégra la prison. Il fut libéré par anticipation pour bonne conduite le 28 mars 1974. Après son élargissement, l'intéressé réclama le bénéfice des prestations en espèces de l'assurance maladie à la sécurité sociale anglaise pour toute la durée de l'incapacité de travail due à sa maladie, tant en prison qu'à l'hôpital. Nous ne savons pas exactement dans quelle profession il était employé, mais il est constant qu'après avoir servi dans l'armée britannique le dernier emploi qu'il occupait le 19 juin 1973, peu avant la période au titre de laquelle il a introduit son recours, était situé en Angleterre; il n'est pas non plus contesté que, pendant cette période, il était, au sens du règlement du Conseil no 1408/71, soumis à la législation de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire d'une partie du Royaume-Uni. Les services anglais lui ont, néanmoins, refusé le bénéfice des prestations de maladie en espèces pour ladite période. La thèse de l'Insurance Officer est la suivante: l'article 1, a), i), du règlement no 1408/71 dispose qu'aux fins de l'application du règlement le terme «travailleur» désigne toute personne qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire (ou facultative continuée) contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale s'appliquant aux travailleurs salariés (sous réserve des limitations inscrites à l'annexe V). Selon l'article 1, o), «le terme institution compétente désigne: i) l'institution à laquelle l'intéressé est affilié au moment de la demande de prestations …». Le requérant ayant été employé comme travailleur salarié au Royaume-Uni jusqu'au 19 juin 1973, le droit à prestations maladie réclamé par lui devait être examiné par une institution du Royaume-Uni. Selon l'article 19, paragraphe 1, b), «le travailleur qui réside sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent et qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'Etat compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 18, bénéficie, dans l'État de résidence: … b) des prestations en espèces servies par l'institution compétente selon les dispositions qu'elle applique …». Selon l'article 18, paragraphe 1, «l'institution compétente d'un État membre dont la législation subordonne l'acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations à l'accomplissement de périodes d'assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'assurance accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sous la législation qu'elle applique». De même, l'article 22, paragraphe 1, dispose: «le travailleur qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 18, et:
Un travailleur qui se déplace dans la Communauté aurait donc droit aux prestations de maladie en espèces s'il «satisfait aux conditions requises par la législation de l'État compétent pour avoir droit aux prestations» et ces prestations correspondraient à celles servies par l'institution compétente «selon les dispositions de la législation qu'elle applique». Or, la section 49 du National Insurance Act de 1965, en vigueur à l'époque et reprise depuis lors dans des termes pratiquement identiques à la section 85, paragraphe 5, du Social Security Act de 1975, porte:
(Par la suite, nous emploierons les termes «détention judiciaire» pour traduire cette expression). De telles dispositions ont été introduites par la Regulation 11 des General Benefit Regulations de 1970, selon laquelle la déchéance ne joue pas, à moins que les poursuites dont fait l'objet le détenu n'aboutissent à une condamnation pénale. De même, elle ne joue pas pour toute période durant laquelle cette personne est détenue à l'issue d'une procédure pénale si, durant cette période, elle était passible de détention pour troubles mentaux dans un hôpital ou dans un établissement similaire en Grande-Bretagne, à moins que, conformément à une décision judiciaire de détention rendue à l'issue de cette procédure, elle n'ait pas été pénalement détenue dans une prison et qu'elle n'ait été transférée dans un hôpital ou dans un établissement similaire alors qu'elle était passible d'être détenue sur la base de cette décision. Seul l'emprisonnement qui a un rapport avec un acte délictuel ou criminel entraîne la suspension du droit à prestations: il n'y a pas de suspension en cas d'emprisonnement pour dettes, c'est-à-dire en cas de contrainte par corps. Vous voyez donc, Messieurs, que la nature de l'emprisonnement ou de la détention, selon la législation du Royaume-Uni, n'est pas sans effet sur le maintien des droits de l'assuré au regard des prestations maladie. D'autre part, le fait que l'intéressé ait été détenu à l'infirmerie de l'établissement pénitentiaire ou dans un hôpital distinct de la prison n'est pas sans importance. L'absence de Grande-Bretagne, qui était la première raison pour refuser le bénéfice des prestations et qui est encore citée en première ligne par le Social Security Act de 1975, ne peut évidemment pas être invoquée à l'égard des travailleurs des États membres qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, en vertu même des dispositions des articles 18 et 19 du règlement. Mais l'institution compétente soutient que l'expression «emprisonnement ou détention judiciaire» vise non seulement un emprisonnement, mais toute détention qui présente un lien de connexité suffisant avec des poursuites pénales. Elle concernerait notamment la détention dans un hôpital ou dans un établissement similaire, résultant de poursuites pénales. Par ailleurs, s'il est vrai que le requérant a été hospitalisé, il l'a été au cours de la période d'emprisonnement qu'il purgeait et non parce qu'il était passible d'être détenu dans un hôpital. Enfin, l'exclusion du bénéfice couvrirait toute détention, quel que soit le lieu où elle s'est produite, et non pas seulement en Grande-Bretagne. En conséquence, le requérant au principal s'est vu refuser le bénéfice des prestations maladie en espèces pour ladite période au motif qu'il faisait, pendant l'année de cotisations à prendre en considération, l'objet d'une mesure de détention judiciaire. Si nous avons bien compris le système anglais, le seul fait d'un emprisonnement ou d'une détention judiciaire entraîne de piano une déchéance du droit aux prestations en espèces, qui vient s'ajouter à la sanction pénale encourue à la suite de l'inobservation, par l'intéressé, de l'interdiction de séjour dont il faisait l'objet. Il s'agit donc d'une véritable peine accessoire. Bien entendu, il restera encore au juge national à se prononcer sur le point de savoir si la condamnation avec sursis prononcée par la Cour criminelle centrale de Dublin constitue une «peine» au sens de la section 49 (1) (b) du National Insurance Act de 1965 et de la Regulation 11 de 1970. De même, il devra juger si une détention à proximité d'une prison peut être assimilée, au regard du droit anglais, à une détention dans une prison. Mais, sans attendre, ce juge se préoccupe de savoir si la réglementation communautaire relative à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ou si les principes fondamentaux sousjacents à cette réglementation viennent limiter la portée de la réglementation anglaise aux périodes d'emprisonnement ou de détention en Grande-Bretagne, rendant ainsi inopposables aux assurés sociaux les déchéances découlant d'un emprisonnement ou d'une détention purgés dans un autre Etat membre, ou si, au contraire, cette réglementation ou ces principes communautaires lui imposent de se référer aux dispositions de la réglementation anglaise. Il est ainsi amené à vous poser les trois questions suivantes:
|
II — |
La réponse abstraite que vous serez amenés à donner à ces questions risquerait de déborder du cas d'espèce; il s'agit, en effet, de savoir si la détention, l'emprisonnement ou tout autre fait intervenu dans un État membre — et pas seulement en république d'Irlande, dont le système de répression reste encore très proche du système anglais, bien qu'il présente, depuis la Partition, certains traits originaux — constitue un motif valable de déchéance du droit aux prestations de maladie en espèces dans les autres États membres, et pas seulement au Royaume-Uni, au regard tant d'un travailleur que de son conjoint. Contrairement à ce que propose la Commission, nous examinerons les questions dans l'ordre où elles sont posées, en regroupant toutefois la première et la troisième. |
1o |
Il est constant que l'incapacité de travail de l'intéressé était antérieure à son incarcération, ce qui n'est guère étonnant vu la nature de sa maladie, et que, s'il ne s'était pas rendu en Irlande, les prestations auraient pu commencer à lui être versées à la fin du «délai de carence». Par ailleurs, il est établi que le requérant s'est trouvé, durant une partie au moins de sa détention, dans la même incapacité que celle qui lui avait été ou qui aurait dû lui être reconnue avant son incarcération. Il n'est pas, enfin, allégué que le fait de la détention retirait à la caisse anglaise la possibilité de charger un médecin de son choix de faire constater l'incapacité physique de l'assuré de continuer ou de reprendre le travail. D'ailleurs, le National Commissioner reconnaît que cette incapacité a persisté jusqu'à son élargissement le 28 mars 1974. |
2o |
La seule raison pour laquelle le Commissioner n'a pas fait droit à la demande du requérant est que l'octroi des prestations dans son cas serait discriminatoire par rapport aux ressortissants du Royaume-Uni, non migrants, placés dans la même situation et soumis à la législation anglaise. La Commission, pour sa part, illustre cette disparité de traitement en citant également l'exemple d'un travailleur migrant qui, au lieu de retourner dans son pays d'origine (la république d'Irlande), déciderait de rester dans le pays dans lequel la peine d'emprisonnement serait purgée (le Royaume-Uni). Ainsi s'explique la question relative à l'«applicabilité directe» de l'article 7 du traité de Rome, dont l'alinéa 1 dispose, comme vous le savez, que: «Dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité». La règle du «traitement national» constitue, il est vrai, l'une des dispositions juridiques fondamentales de la Communauté; en tant que renvoi à un ensemble de dispositions législatives effectivement appliquées par le pays d'établissement à ses propres nationaux, cette règle est, par essence, susceptible d'être invoquée directement par les ressortissants de tous les autres États membres (par exemple, arrêt Reyners, 21 juin 1974, Recueil p. 651). Il appartient donc à toute juridiction d'un État membre de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de la règle de non-discrimination, ainsi que vous l'avez jugé dans l'arrêt Walrave du 12 décembre 1974 (Recueil p. 1421). |
3o |
L'article 7 interdit donc à un État membre de traiter les ressortissants d'autres États membres moins favorablement que ses propres ressortissants. Cette disposition, selon M. le doyen Cohen Jonathan (Revue du marché commun 1978, p. 74, «La Cour des Communautés et les droits de l'homme») «n'est que l'expression d'une nécessité économique — assurer la libre circulation — sans véritable but social et humanitaire». Peut-on déduire de cette règle qu'elle impose à un État membre de ne pas traiter les ressortissants d'autres États membres de façon plus favorable que ses propres nationaux, en raison de disparités législatives ou autres? En d'autres termes, l'article 7 comporte-t-il un principe d'application directe que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder, même s'il tourne au désavantage des particuliers? Tel est le problème qui paraît préoccuper le plus le National Commissioner et qu'il cherche à cerner par sa troisième question. Il nous paraît clair que l'article 7 ne vise pas les éventuelles disparités de traitement et les distorsions qui peuvent résulter, pour les personnes et entreprises soumises à la juridiction de la Communauté, des divergences existant entre les législations des différents États membres, dès lors que celles-ci affectent toute personne tombant sous leur application, selon des critères objectifs et sans égard à leur nationalité (arrêt Wilhelm, 13 février 1969, Recueil p. 16). Cette constatation vaut aussi bien en matière de sécurité sociale qu'en matière de droit des ententes. L'interdiction des discriminations selon la nationalité ne s'oppose pas non plus à l'application d'un régime d'imposition fiscal différent suivant la résidence du contribuable, ainsi que l'a jugé le Finanzgericht de Düsseldorf le 8 mai 1974 (Sperl 1974, no 545). Il ne résulte pas du traité qu'en matière d'imposition le fisc soit tenu de traiter le territoire des États membres comme territoire intérieur. Sinon, il faudrait admettre qu'une autre règle est tout aussi impérative, à savoir qu'un national ne doit pas être traité différemment de ses compatriotes selon qu'il demeure dans l'État membre dont il est le ressortissant ou dans un autre État membre. Nous ne pensons donc pas que, formulée de cette façon, cette règle ait un «effet direct» au sens que vous donnez à cette expression, dans la mesure où elle est susceptible de tourner au désavantage des particuliers; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces particuliers ne seront pas amenés à s'en prévaloir. |
III — |
En revanche, le principe fondamental de non-discrimination en fonction de la nationalité fait l'objet d'une réglementation spécifique aux chapitres du titre III de la deuxième partie du traité, relatifs à la libre circulation des travailleurs, au droit d'établissement et aux prestations des services. L'article 3, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 transpose ce principe dans le domaine de l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté: «Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement». Si l'on considère que par «obligations» il faut également comprendre toute circonstance entraînant la déchéance d'un droit à prestations, on devrait admettre qu'un événement survenu dans un État membre (la république d'Irlande) doit avoir les mêmes conséquences qu'un événement analogue qui survient dans un autre État membre (le Royaume-Uni). Sinon, il risquerait de se produire une discrimination «à rebours» au détriment des travailleurs nationaux du Royaume-Uni, placés dans une situation identique, ou au détriment des travailleurs migrants qui, au lieu de retourner dans leur pays d'origine, décideraient de rester dans le pays où il serait procédé à l'incarcération (en l'espèce, le Royaume-Uni). Nous pensons, pour notre part, que le terme «obligations» employé à l'article 3 du règlement no 1408/71 se réfère au strict domaine de la sécurité sociale: il s'agit des conditions mises par la législation nationale à l'acquisition, au maintien ou au recouvrement du droit à la sécurité sociale (conditions d'assujettissement, nombre minimum d'heures de travail, salarié ou assimilé, minimum d'immatriculation, etc.) et non pas de modalités étrangères à la sécurité sociale, tenant par exemple au statut «civique» des assurés. Toute comme l'article 7 du traité, l'article 3 du règlement no 1408/71 concerne l'assimilation des ressortissants de chacun des États membres aux nationaux de l'État d'accueil, mais non l'assimilation de faits qui se sont produits sur le territoire de chacun des États membres à des faits «analogues» qui se seraient produits sur le territoire de l'État d'accueil ou de l'État compétent. |
IV — |
Mais existerait-il spécifiquement, en matière de sécurité sociale, une telle règle interdisant les discriminations «à rebours» découlant d'un principe général de droit communautaire non écrit? Dans l'affaire d'Amico, sur laquelle vous avez statué par arrêt du 9 juillet 1975 (Recueil p. 891), M. l'avocat général Alberto Trabucchi avait été amené à exposer dans ses conclusions du 12 juin 1975 ce qui suit. «Il serait certainement excessif d'affirmer d'une manière générale que, pour l'application des législations sociales nationales aux travailleurs communautaires, le principe de territorialité est, à tous égards, dépassé; mais, sauf disposition contraire expresse, il serait tout aussi inadmissible d'écarter en principe l'importance de faits qui se sont passés en dehors du territoire de l'État compétent pour l'application d'une législation sociale nationale. Votre jurisprudence nous montre que, même en l'absence de dispositions spéciales dans ce sens, des faits qui se sont produits en dehors du territoire d'un État membre déterminé doivent être assimilés à des faits correspondants que la législation nationale considère comme n'engendrant des effets juridiques que s'ils ont eu lieu sur le territoire national» (Recueil p. 902). L'avocat général faisait ainsi référence en particulier à l'arrêt rendu dans l'affaire Ugliola (15 octobre 1969, Recueil p. 363) qui portait sur le point de savoir si une législation nationale, qui prévoyait qu'un contrat d'emploi était maintenu pendant une période de service militaire, s'appliquait à une telle période accomplie dans un autre État membre. Cette affaire ne concernait pas la sécurité sociale, mais la libre circulation des travailleurs. En l'espèce, vous aviez jugé que, sur la base du principe de l'égalité de traitement mis en œuvre, en vertu de l'article 48 du traité, par la réglementation communautaire sur le droit à l'emploi, les périodes de service militaire accomplies dans un autre État membre devaient être prises en considération. Mais, dans le domaine de la sécurité sociale, vous vous êtes nettement écartés de cette position, précisément par votre arrêt dans l'affaire d'Amico, en jugeant qu'il n'y avait pas lieu, aux fins d'acquisition du droit aux prestations dans un autre État membre, de tenir compte depériodes accomplies dans un autre État membre, qui, tout en étant, par leur nature, des périodes assimilées, ne sont pas, d'après le droit interne de cet État, prises en compte pour obtenir la période d'affiliation nécessaire pour ouvrir le droit aux prestations, ne sont pas évaluées pour le calcul des prestations et dont l'accomplissement, avant l'introduction de la demande, ne constitue qu'une condition supplémentaire à laquelle est subordonné le droit aux prestations. Il est vrai qu'aucune disposition communautaire n'exclut la déchéance découlant d'une incarcération dans un État membre ou dans un État tiers, mais aucune disposition ne prévoit non plus une telle déchéance. Certes, si, dans la liste des circonstances motivant une suspension du versement des prestations de chômage, le formulaire élaboré par la Commission administrative des travailleurs migrants ne comporte pas l'emprisonnement ni la détention, cette circonstance n'interdit pas, à elle seule, à un État membre de considérer ce fait comme un motif de déchéance, à condition qu'il existe un principe général de droit commun aux régimes de sécurité sociale des États membres imposant cette prise en considération. Dans la perspective d'un «espace judiciaire européen», nous pensons en effet qu'il y aurait lieu de tenir compte, dans chacun des États membres, des faits analogues qui se sont produits dans un autre État membre; mais, alors, il faudrait que les faits soient retenus sans discrimination, aussi bien lorsqu'ils sont susceptibles de tourner à l'avantage des intéressés que lorsqu'ils peuvent tourner à leur désavantage. Dans l'arrêt précité, vous avez dit qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte d'un fait, pourtant étroitement connexe à la sécurité sociale, qui pouvait tourner à l'avantage d'un travailleur se déplaçant à l'intérieur de la Communauté; nous ne voyons guère comment, en l'état actuel, vous pourriez juger qu'il y a lieu de tenir compte, en vertu d'une disposition non écrite du droit communautaire de la sécurité sociale, d'un fait susceptible de tourner au désavantage d'un tel travailleur. Dans une décision déjà ancienne, le Landessozialgericht de Bade-Wurtemberg a jugé, le 30 août 1968 (Sperl 1968, no 3337) «que l'article 8 du règlement no 3 (qui correspond substantiellement à l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 1408/71) vise en premier lieu à interdire toute discrimination ou désavantage des travailleurs migrants vis-à-vis des ressortissants nationaux demeurant dans l'État membre, mais non l'inverse, et d'exclure un traitement plus avantageux qui pourrait découler des dispositions communautaires applicables aux travailleurs migrants». |
V — |
Il resterait à rechercher s'il existe un principe général commun aux droits des États membres permettant à l'institution nationale compétente d'assimiler les faits qui se sont déroulés sur le territoire d'un autre État membre à des faits analogues qui, s'ils avaient eu lieu dans son propre État, auraient entraîné le retrait d'une partie ou de la totalité du droit aux prestations en espèce de l'assurance maladie. En présence d'une telle question de droit et non de fait, il serait peu satisfaisant de répondre qu'il appartient au juge national d'apprécier si une personne incarcérée dans un État membre dont elle est ou non ressortissante est dans la même situation que les nationaux ou les personnes originaires d'un autre État membre détenues dans cet État. Le fait que le règlement no 1408/71 vise exclusivement à coordonner l'application des régimes de sécurité sociale des États membres et non à les harmoniser ne saurait aboutir à admettre, sans plus, un alignement sur le régime applicable aux détenus dans l'État membre du juge qui vous saisit. Un tel renvoi au droit national reviendrait, en l'absence d'harmonisation au niveau communautaire, à aligner le droit communautaire sur le droit de la juridiction nationale qui vous saisit et sur les conceptions en vigueur dans ce droit. Avant de faire un tel pas, il conviendrait de se livrer à une étude approfondie de droit comparé pour rechercher, dans tous les États membres, quelle est l'incidence de l'incarcération ou de la détention sur le droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie, afin de pouvoir affirmer qu'«en substance» la situation est la même, que les travailleurs soient détenus dans l'État dont ils ont la nationalité ou dans l'État où ils travaillent. Une telle recherche nous paraît aussi importante, par exemple que de dresser le tableau des mesures de contrôles sanitaires aux frontières des États membres en matière d'importation d'animaux et de viande des pays tiers. Nous n'avons pu, pour notre part, que faire une incursion dans le régime de notre État membre d'origine. Il faut tout d'abord bien distinguer du problème qui nous intéresse le régime des détenus exécutant un travail pénal au regard de la réparation des accidents du travail. Les accords intérimaires européens de sécurité sociale conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe n'envisageaient absolument pas ce problème. Toutefois, un certain nombre des réserves, énumérées dans une annexe III à chacun de ces accords, avaient été formulées par les parties contractantes. Ces réserves visaient notamment, pour la France, la législation relative à la réparation des accidents du travail des détenus. Les prestations prévues par cette législation ne pouvaient donc être accordées dans le cadre des accords intérimaires et ne l'étaient que si un accord spécifique avait été passé avec le pays considéré. En France, cette réserve a été levée avec effet du 1er octobre 1962. Un décret du 19 novembre 1962 a supprimé la restriction figurant à l'article L. 416-5o du code de la sécurité sociale en ce qui concerne la garantie contre les risques d'accidents du travail du détenu de nationalité étrangère exécutant un travail pénal. A partir du 23 novembre 1962, les détenus de nationalité étrangère ont donc été couverts, dans les mêmes conditions que les détenus français, pour tout accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail pénal. Il faut ensuite mettre à part du cas qui nous intéresse le problème des prestations en nature de l'assurance maladie puisque les soins aux détenus sont dispensés gratuitement à l'infirmerie ou à l'hôpital. En ce qui concerne le bénéfice des prestations en espèces (indemnités journalières) de l'assurance maladie, le régime des détenus est le suivant: Il n'y a pas lieu de distinguer suivant la nature de l'internement, qu'il soit administratif, préventif ou pénal, ou selon que le détenu bénéficie en définitive d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement. L'assuré social qui, à la date de son incarcération aurait eu droit aux indemnités journalières à la suite d'un arrêt de travail pour cause de maladie a droit à ces indemnités, pendant la durée de son incapacité. La condition est que l'arrêt de travail soit intervenu avant l'incarcération; il suffit donc que le droit aux indemnités journalières ait été admis avant la détention. Le droit aux prestations est en tout cas maintenu lorsque l'assuré les percevait effectivement au jour de l'incarcération; peu importe, en revanche, que le service des prestations ne soit pas repris après l'élargissement. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation française, élaborée notamment à propos de travailleurs d'origine nord-africaine, les caisses ont l'obligation légale de servir les prestations journalières qui n'ont pas le caractère d'une rémunération ni d'une compensation de celle-ci et qui trouvent leur cause dans la perception des cotisations de l'affilié, aussi longtemps que la maladie entraîne pour l'intéressé une incapacité de travailler, «sans avoir à se préoccuper de tous autres événements qui mettraient ledit assuré dans l'impossibilité de se livrer à une activité salariée». Tout au plus, les détenus ne pouvant être traités plus favorablement que les assurés hospitalisés, il convient d'appliquer des réductions identiques aux indemnités journalières qui sont versées à ces deux catégories de personnes. Par conséquent, en droit français, l'emprisonnement ou la détention ne sont pas exclusifs d'une incapacité de travail résultant de circonstances antérieures à l'incarcération. Nous ne savons pas exactement quel est, en l'état des informations fournies, sous toutes réserves, à l'audience par la Commission, le régime dans les autres États membres, à part le Royaume-Uni et la république d'Irlande, mais il n'y a aucune raison pour que le droit communautaire s'aligne sur le droit de l'un de ceux-ci, ni que vous admettiez qu'il existe un principe général commun aux droits des États membres selon lequel la totalité de la réglementation d'un État membre en matière de détention des travailleurs est applicable à la détention dans les autres États membres. Il y a là une véritable lacune du droit communautaire et, en ce domaine comme en bien d'autres, un large champ d'action s'ouvre au «législateur européen». Enfin, si une discrimination «à rebours» risque de se produire par rapport aux nationaux qui n'auraient pas quitté le Royaume-Uni, discrimination due à l'absence d'harmonisation des régimes de sécurité sociale des détenus, adopter l'assimilation défendue par l'Insurance Officer serait elle-même génératrice d'autres disparités. Il suffit d'imaginer les cas suivants: un travailleur anglais ayant été occupé dans un autre Etat membre (la France, par exemple) et résidant dans cet État où, par hypothèse, n'existerait pas une telle déchéance, aurait droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie, même s'il était détenu en Angleterre; un Français qui, ayant travaillé en Angleterre, retournerait en France et serait incarcéré dans les mêmes conditions que le requérant au principal, serait donc traité différemment d'un Français qui, sans avoir quitté la France, y bénéficierait, quoique incarcéré, des indemnités journalières de maladie; enfin, si le requérant avait été détenu en France au lieu de l'être en Irlande et si la déchéance prévue par la législation du Royaume-Uni lui était appliquée, il se trouverait discriminé par rapport aux Français demeurant en France. De telles disparités, aggravant une sanction pénale, sont susceptibles d'apporter indirectement une restriction à la liberté de circulation des travailleurs. Pour citer l'expression employée par un membre de cette Cour (Pierre Pescatore, Communication à la conférence parlementaire sur les droits de l'homme, Vienne 1971), «dans le travail de comparaison et de rapprochement auquel devra se livrer la Cour de justice, elle sera amenée, par la force des choses, à prendre égard chaque fois au standard de protection le plus élevé puisqu'on conçoit difficilement comment le droit communautaire pourrait conserver son autorité s'il devait descendre au-dessous d'un niveau de protection considéré comme essentiel dans tel ou tel État membre». Comme le dit encore le doyen Cohen Jonathan (article déjà cité, p. 97), «la Cour de Luxembourg a pour mission de rechercher le standard de protection le plus élevé: peu importe qu'elle le trouve dans une norme nationale ou internationale qui n'est pas unanimement acceptée par tous les États membres». |
VI — |
Enfin, quelle que soit la réponse que vous donnerez aux questions qui vous sont posées, nous pensons, comme nous l'avons déjà dit, qu'il convient de vous garder de déborder du problème du versement des prestations maladie en espèces aux assurés détenus et de dire, de façon abrupte, comme vous le suggère l'Insurance Officer dans ses observations écrites, que tout fait survenu dans un État membre et susceptible de tourner au désavantage d'un assuré est assimilable à un fait analogue qui aurait eu lieu dans l'État compétent, en étendant cette règle au cas des membres de la famille des assurés détenus. Il nous paraît, à cet égard, peu admissible de pénaliser gravement un conjoint ou des enfants qui ne sont en rien responsables des erreurs du chef de famille et qui sont non seulement privés de celui qui doit normalement pourvoir à leurs besoins, mais encore démunis de moyens pour faire face à l'adversité lorsque survient un événement qui, normalement, justifierait l'intervention de la sécurité sociale. |
Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que ni l'article 7 du traité CEE, ni les articles 19 et 22 du règlement no 1408/71, ni un quelconque principe de droit communautaire ou principe général commun aux droits des États membres n'imposent aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des ressortissants de l'État compétent qui, à raison des conséquences que la législation de cet État attache à une détention judiciaire sur son territoire au regard des prestations en espèce de l'assurance maladie, feraient l'objet d'un traitement moins favorable que les travailleurs ou les membres de leur famille d'autres États membres résidant dans l'État compétent, qui viendraient à être détenus dans des conditions analogues dans leur État d'origine ou dans un autre État membre.