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Document 61977CC0154

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 1 juin 1978.
Procureur du Roi contre P. Dechmann.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Neufchâteau - Belgique.
Marge commerciale maximum.
Affaire 154/77.

Recueil de jurisprudence 1978 -01573

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1978:119

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 1ER JUIN 1978

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Le tribunal de première instance de Neufchâteau (chambre correctionnelle) vous saisit, avant de statuer sur les poursuites dont fait l'objet devant cette juridiction le sieur Deckmann ou Dechmann, associé-gérant de la société de personnes à responsabilité limitée du même nom, détaillant en viande dont la boucherie est sise à Bouillon, d'une question préjudicielle en ce qui concerne la compatibilité d'une réglementation en matière de prix maximaux, adoptée unilatéralement par le gouvernement belge, et de la fixation, par arrêté ministériel, de marges bénéficiaires avec les dispositions du droit agricole communautaire, et en particulier celles qui concernent l'organisation des marchés dans le secteur de la viande de porc.

En réponse à la question que vous lui avez posée, le prévenu a précisé que la société dont il est le gérant a également pour objet le commerce des «jambons d'Ardennes». Pour ses salaisons, la société s'approvisionnerait exclusivement en Belgique, sur pied ou à la cheville, et vendrait «pratiquement exclusivement» par d'autres canaux que la boucherie dépendant d'elle. En revanche, pour les besoins de cette dernière, le boucher achèterait en gros, principalement sur le marché français voisin.

Comme d'habitude en pareil domaine, pour mettre le juge interne en mesure de sauvegarder les droits éventuels des intéressés, il nous faudra confronter la réglementation communautaire avec la réglementation nationale. Nous commencerons par un bref exposé de la réglementation belge à propos de laquelle est né le litige au principal.

I —

La loi du 30 juillet 1971 sur la réglementation économique et les prix, modifiant l'arrêté-loi du 22 juillet 1945 concernant la répression des infractions à la réglementation relative à l'approvisionnement du pays, habilite le ministre chargé des affaires économiques tant à fixer des prix maximaux pour tous les produits et denrées, y compris les animaux, qu'à «fixer la limite du bénéfice à prélever par tout vendeur ou intermédiaire».

En ce qui concerne la vente au détail des viandes bovine et porcine, un arrêté ministériel du 27 mars 1975, ultérieurement complété, et en tout cas applicable aux faits de la cause, a fait usage de ce pouvoir en fixant une marge commerciale identique pour ces deux catégories de viandes.

Cet arrêté n'est pas la première mesure prise en Belgique en matière de prix à la consommation de viande de porc: il s'inscrit dans une série continue de textes dont il ne fait que prendre le relais, même s'il est vrai qu'il modifie et renforce le régime des prix.

Des deux griefs articulés contre le sieur Deckmann, seul le second nous intéresse. Ce chef d'inculpation est tiré du fait que le prévenu n'aurait pas respecté les prix de vente au consommateur des viandes porcines tels qu'ils résultent des prescriptions de l'arrêté ministériel susmentionné.

Les dispositions pertinentes de ce texte sont les suivantes:

 

article 2:

«Les prix de vente au consommateur, taxe sur la valeur ajoutée comprise, des viandes porcines pratiqués par les détaillants … ne peuvent dépasser les montants qui résultent du prix d'achat moyen pondéré, majoré d'une marge commerciale maximum de 22 BFR et du montant de la taxe sur la valeur ajoutée, suivant le mode de calcul défini à l'article 3.»

 

En vertu des paragraphes 2 et 3 dudit article. 2,

1)

la marge commerciale est définie comme étant la moyenne pondérée des différences établies par type d'achat entre, d'une part, le prix de vente moyen pondéré, taxe sur la valeur ajoutée non comprise, et, d'autre part, le prix d'achat moyen pondéré, taxe sur la valeur ajoutée non comprise;

2)

le prix de vente moyen pondéré est déterminé, par type d'achat, en fonction de la multiplication du prix de vente de chaque morceau par la quantité reprise dans les découpes, telles qu'elles sont définies par les annexes à l'arrêté;

3)

quant au prix d'achat moyen pondéré, il est précisé par le paragraphe 4 de l'article 3 et s'obtient en divisant le total des factures par type d'achat, taxe sur la valeur ajoutée non comprise, pendant les quatre semaines précédentes, par le nombre de kilogrammes de viande correspondant à ces factures, moins 2,5 %.

Lorsque le détaillant effectue ses achats sur pied, le poids de viande abattue des viandes porcines achetées est le résultat de la multiplication du poids sur pied par 0,8; pour obtenir le prix d'achat en viande abattue, le prix d'achat peut être majoré de 4 francs au kg sur pied.

Telles sont les dispositions auxquelles le prévenu au principal se serait soustrait, les infractions ainsi commises étant, en vertu de l'article 9 de la loi sur la réglementation économique et les prix, punissables de peines correctionnelles d'emprisonnement et/ou d'amende.

II —

On peut discuter sur le point de savoir si la réglementation nationale visait à imposer des prix à la consommation ou si elle ne tendait qu'à en contrôler l'évolution. Quoi qu'il en soit, pour sa défense, le prévenu a soulevé une exception d'illégalité contre les dispositions précitées de l'arrêté ministériel du 27 mars 1975 qui, à son opinion, serait incompatible avec le règlement du Conseil no 121/67 du 13 juin 1967 instituant l'organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine.

Le tribunal correctionnel de Neufchâteau, faisant droit à la demande de l'intéressé, vous a soumis la question préjudicielle suivante:

«L'arrêté ministériel du 27 mars 1975 déterminant le prix de vente au consommateur des viandes porcines a-t-il contenu une violation du règlement no 121/67 CEE du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, et plus particulièrement des articles 3, 4 et 5 des règlements ayant établi le prix de base de la viande porcine?»

Selon l'usage, il conviendra de reformuler les termes de la question posée, car vous n'êtes pas compétents, dans le cadre de l'article 177, pour y répondre directement sous la forme où elle vous est soumise.

Nous voudrions encore faire observer qu'il s'agit d'un procès type, car, à notre connaissance, au moins neuf autres affaires similaires et sans doute plus encore ont été portées devant les juridictions belges.

Dans toutes ces affaires, les juges belges ont posé une question identique à celle qui vous est transmise par le greffe du tribunal de Neufchâteau et nous ne pouvons dissimuler notre étonnement qu'aucun de ces jugements de renvoi, qui ont été prononcés entre le début du mois de juin 1975 et le début du mois de novembre 1977 et qui auraient dû vous être notifiés conformément aux dispositions de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour, ne soit parvenu à Luxembourg.

La raison en est, paraît-il, qu'ils ont tous été frappés d'appel par le ministère public. Il y a là une situation qui ne laisse pas d'être quelque peu inquiétante au regard de l'«effet utile» de l'article 177, tel que vous l'avez défini dans vos arrêts de Geus du 6 avril 1961 (Recueil, p. 101), Rheinmühlen du 16 janvier 1974 (Recueil, p. 38, attendu no 2) et B.R.T. du 30 janvier 1974 (Recueil, p. 61, attendu no 7).

III —

A propos de l'affaire 83/78, Pigs marketing board/Remond, vous aurez à nouveau l'occasion de vous pencher sur la réglementation communautaire dans ce secteur. Rappelons que, succédant au règlement no 20/62 du Conseil portant établissement graduel d'une organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc, le règlement no 121/67 porte organisation commune des marchés dans ce secteur à compter du 1er juillet 1967. Il a été adopté à la même date qu'un ensemble de textes organisant les marchés des céréales, des œufs et de la volaille (règlements nos 120, 122 et 123/67 du 13 juin 1967). En fait, c'est l'entrée en vigueur, à partir du 1er juillet 1967, du prix commun des céréales qui a permis la constitution d'un marché unifié à l'intérieur de la Communauté pour les produits dérivés que constituent les viandes de porc, de volaille et les œufs. On peut donc transposer à ce texte ce que votre arrêt Galli du 23 avril 1975 (Recueil, p. 46) disait du règlement no 120/67 (attendu no 8, p. 61): cette organisation de marché, ainsi qu'il est itérativement souligné par son préambule, a pour objet la réalisation d'un «marché unique» de la viande porcine pour la Communauté, soumis à une gestion commune.

En vue d'aboutir à cette unité de marché, le règlement a institué un système comportant un ensemble de règles matérielles et de pouvoirs, y compris un «cadre d'organisation» permettant de faire face à toutes les situations prévisibles (attendu no 9, arrêt Galli).

Dans ce système, une «place centrale» revient au «régime des prix» prévu par les articles 3, 4 et 5 du règlement et applicable, aux termes de l'article 4, paragraphes 1 et 2, au stade de l'«animal abattu» d'une qualité type définie d'après une grille communautaire de classement des carcasses de porc sur les marchés «représentatifs» de la Communauté, c'est-à-dire au stade du porc abattu «rendu à l'abattoir au crochet». Cette définition a été reprise à l'article 4, paragraphe 1, du règlement du Conseil no 2759/75 du 29 octobre 1975, qui ne fait que codifier les dispositions antérieures.

Il s'agit donc d'un prix d'orientation aux niveaux de la production et du commerce de gros; l'abattoir constitue en effet généralement le stade auquel sont commercialisées les carcasses de porc. Le prix de base du porc abattu est un prix «politique», qui constitue un compromis entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs.

Il existe également un prix d'intervention qui peut déclencher l'adoption de mesures prenant la forme d'aides au stockage privé ou d'achats (article 3); ce prix est égal au maximum à 92 % et au minimum à 85 % du prix de base du porc abattu («prix d'achat minimal») (article 5, paragraphe 1).

Cette fourchette doit précisément permettre aux autorités communautaires de peser sur les prix de marché. Selon les précisions fournies par la Commission, au cours de la période allant de juillet 1974 à juin 1975, les mesures d'intervention communautaires n'ont pris la forme que d'aides au stockage privé.

Sont abolis, dans le commerce intérieur de la Communauté, tous les droits de douane et taxes d'effet équivalent, toutes les restrictions quantitatives ou mesures d'effet équivalent, ainsi que le recours à l'article 44 (prix minimal), ceci en vertu de l'article 19.

Toute cette réglementation vise à organiser non seulement les échanges entre États membres et avec les pays tiers, mais aussi à déterminer les facteurs qui influent sur la qualité des produits susceptibles de faire l'objet d'échanges ainsi que sur les conditions de leur production.

Par conséquent, les constatations émises dans votre arrêt Galli (attendu no 31, Recueil 65) demeurent, en principe, également valables pour la viande porcine:

«Le pouvoir de prendre les dispositions appropriées en vue de faire face à une hausse des prix, sur les marchés considérés, étant réservé aux institutions de la Communauté, les mesures unilatérales que les États membres prendraient dans ce domaine ne sauraient être imposées aux particuliers qui relèvent des règlements communautaires».

Comme vous l'avez dit encore dans l'arrêt Galli (p. 63), il convient d'écarter d'emblée le recours aux dispositions de l'article 103 du traité, relatives à la politique de conjoncture, et la référence à la résolution du Conseil relative à la lutte contre l'inflation, dont se prévaut le gouvernement belge; en effet (attendu no 24), «… l'article 103, qui vise la politique de la conjoncture des États membres, ne concerne pas les domaines déjà devenus communs, comme l'organisation des marchés agricoles»; donc même à la supposer établie, l'incompatibilité d'une réglementation nationale avec les dispositions du règlement no 121/67 ne saurait être couverte par ces dispositions.

IV —

Après Galli sont intervenus plusieurs arrêts qui ont fait l'objet d'appréciations diverses des commentateurs et praticiens, dont certains soutiennent qu'ils constitueraient un «retour en arrière» rendu nécessaire par le fait que, même en présence d'une organisation «complète» de marché, fondée sur un régime commun des prix, la Communauté n'a pas intérêt à dépouiller les États membres de leurs compétences, alors que ses institutions ne sont pas encore en mesure d'«occuper le terrain», car ceci créerait un vide indésirable, notamment en période de crise économique et monétaire. L'influence du droit communautaire sur les politiques économiques nationales et sur le processus d'intégration aurait donc été quelque peu surestimée et il faudrait parler, au lieu d'incompétence radicale des États membres, d'incompatibilité éventuelle ou de risque d'incompatibilité entre une réglementation nationale et les dispositions du droit commun agricole.

Il convient donc de tenter de faire le point sur cette jurisprudence. Dans une série d'arrêts encore récents, votre Cour paraissait avoir une conception très extensive de la notion de «mesures d'effet équivalent» de l'article 30 (citons, par exemple, l'attendu no 5 de l'arrêt Dassonville du 11 juillet 1974, Recueil, p. 852 ou l'attendu no 12 de l'arrêt De Peijper du 20 mai 1976, Recueil p. 635), puisqu'elle ne se réfère pas aux effets concrets des mesures en cause:

«Toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives.»

Cette formule, applicable au commerce des produits industriels, a été, à plus forte raison, transposée au commerce des produits agricoles couverts par une organisation commune de marché; en ce domaine, au moins, le fait qu'une telle réglementation nationale soit indifféremment ou indistinctement applicable aux produits nationaux ou aux produits importés ne joue aucun rôle (arrêt Tasca du 26 février 1976, attendu no 13, Recueil, p. 309; arrêt Sadam du 26 février 1976, attendu no 15, Recueil, p. 340).

Le point de départ, et pour ainsi dire la position la plus libérale, nous paraît avoir été exprimée dans l'attendu no 27 (Recueil, p. 64) de l'arrêt Galli:

«L'existence même d'une organisation commune de marché au sens de l'article 40, paragraphe 2, lettre c, a pour effet d'empêcher l'extension au domaine considéré de mesures unilatérales des États membres, susceptibles d'entraver le commerce intracommunautaire».

Cette affirmation vaut pour une organisation de marché, même légère, telle que celle des graines oléagineuses, qui prévoit simplement une protection douanière vis-à-vis des États tiers et la possibilité d'adopter des mesures de sauvegarde.

A fortiori, «l'incompatibilité de mesures nationales destinées à influencer la formation des prix peut être particulièrement apparente dans le cas d'organisations de marché comportant un régime communautaire de formation des prix».

V —

Cependant, la jurisprudence ultérieure semble avoir quelque peu émoussé ce que l'attendu no 27 de l'arrêt Galli — [qui n'est pas sans rappeler l'attendu no 20 de l'arrêt Charmasson du 10 décembre 1974 (Recueil p. 1395)] — pouvait avoir de trop apodictique.

1)

En fait, une réglementation nationale en matière de prix agricoles visant les mêmes stades commerciaux que le régime de prix communautaire «risquera»normalement d'entrer en collision avec ledit régime, davantage qu'une réglementation s'appliquant exclusivement à d'autres stades (attendu no 6 de l'arrêt Tasca). C'est ce que nous qualifierions de «collision directe».

Nous interprétons cette notion comme signifiant qu'il y a un conflit patent entre la mesure nationale et les objectifs et le fonctionnement de l'organisation commune des marchés, dans la mesure où le stade de fixation nationale des prix coïncide précisément avec celui qui est régi par le droit communautaire. Il y a incompatibilité entre réglementation nationale et réglementation commune, au moins lorsqu'elles visent les mêmes stades commerciaux et que le prix maximal national est inférieur au niveau du prix garanti communautaire.

Il en irait de même si le prix national maximal au détail était fixé à un niveau inférieur au prix communautaire indicatif ou d'orientation.

2)

Cependant, déjà selon l'arrêt Galli (attendu no 34), lorsque le régime des prix instauré par une réglementation commune des marchés agricoles s'applique exclusivement aux stades de la production et du commerce de gros, il laisse intact le pouvoir des États membres — sans préjudice d'autres dispositions du traité — de prendre les mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, à condition qu'elles ne mettent pas en danger les objectifs et le fonctionnement de l'organisation commune de marché en question.

L'arrêt Tasca cerne plus étroitement le problème (attendu no 6, Recueil, p. 306). Vous avez dit, en effet:

«Une distinction rigoureuse, sous l'angle de la compatibilité avec la règle communautaire de la fixation de prix par les autorités nationales, entre prix maximaux à la consommation et prix maximaux applicables à des stades antérieurs se heurterait au fait que … une réglementation des prix au stade de la vente au consommateur final risque de se répercuter sur la formation des prix auxdits stades antérieurs…»

Il nous semble impossible, en effet, de soutenir, en termes économiques, qu'une réglementation nationale des prix de détail ne se répercute en aucune façon non seulement sur les prix pratiqués par les intermédiaires situés en amont, mais encore sur les prix à la production et, en définitive, sur la production elle-même; c'est plutôt l'inverse qui, pour les économistes, serait vrai.

De même qu'il existe un rapport certain entre les prix pratiqués aux divers stades de la commercialisation, les prix des produits «dérivés» se trouvent normalement dans une certaine relation avec le prix de la viande ou des découpes de porc (règlement no 2767/75 du Conseil du 29 octobre 1975).

La Commission a d'ailleurs eu 1 occasion de le préciser en réponse à deux questions écrites parlementaires (JO du 13 octobre 1971, no C 101, p. 4, et JO du 29 septembre 1973, no C 78, p. 3). Elle a en particulier fait savoir aux autorités néerlandaises qu'une fixation par voie d'autorité du prix de vente au détail (qu'il s'agisse d'un prix maximal ou d'un prix minimal) était de nature à empêcher toute concurrence au niveau de la distribution et à exclure tout effet bénéfique de la concurrence au profit du consommateur.

Pour ce qui concerne les prix ou les marges maximales, l'expérience montre que ces prix ou marges tendent rapidement à devenir les prix ou marges effectivement pratiqués. Chaque entreprise connaît les prix de ses concurrents et sait que le risque de voir sa part du marché diminuer sous l'effet d'offres avantageuses provenant de tiers est quasiment nul.

C'est pourquoi vous avez pris soin d'ajouter dans votre arrêt Galli que, même applicable aux stades ultérieurs de commercialisation, c'est-à-dire à ceux du commerce de détail et de la consommation, une réglementation nationale en matière de prix ne doit pas «mettre en danger les objectifs ou le fonctionnement de l'organisation de marché en question» (attendu no 34).

La même idée vous a amenés à constater, dans votre arrêt Tasca (attendu no 10, dernier alinéa, Recueil, p. 308), que fait indirectement obstacle à ce que le prix payé au fabricant de sucre soit au moins égal au prix d'intervention le fait, pour un État membre, même sans réglementer les prix au stade de la production, de fixer, «pour les stades du commerce de gros ou de détail, des prix maximaux de vente à un niveau tellement bas que le producteur se trouve pratiquement dans l'impossibilité de vendre au prix d'intervention puisque, ce faisant, il contraint les grossistes ou les détaillants, liés par lesdits prix maximaux, à vendre à perte». C'est ce que nous qualifierions de «collision indirecte».

Constituerait un obstacle indirect — mais incompatible avec le régime commun de prix — à ce que le prix payé aux producteurs de porcs sur pied soit au moins égal à un certain pourcentage du prix de base du porc abattu le fait, pour un État membre, d'encadrer le prix de vente au stade du commerce de détail de manière telle que les détaillants percevraient une marge commerciale si réduite que le producteur se trouverait pratiquement dans l'impossibilité de vendre au prix qui lui est ainsi garanti puisque, ce faisant, il contraindrait les détaillants, liés par cette discipline, à vendre à perte.

3)

Enfin, l'attendu no 15 de l'arrêt Galli porte que:

«Un tel régime (c.-à-d. un régime commun de prix aux stades de la production et du commerce de gros, visant à libéraliser les échanges intracommunautaires) exclut toute réglementation nationale entravant directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire».

C'est ce que nous traduisons, pour notre part, comme signifiant que toute réglementation nationale en matière de prix, pour un produit couvert par une organisation commune de marché, est incompatible avec le droit agricole commun, dès lors qu'elle est susceptible («potentiellement») d'affecter, ne serait-ce donc qu'indirectement, les échanges intracommunautaires.

La pierre de touche est ici constituée non pas par le revenu des producteurs agricoles nationaux, mais par l'évolution des échanges entre les États membres.

Certains commentateurs ont prétendu que les arrêts Sadam et Tasca constituaient un «revirement» complet par rapport à cet attendu, estimant que la Cour n'excluait plus la compatibilité de mesures nationales, même intervenant à des stades qui sont directement soumis au régime communautaire des prix.

Nous ne le pensons pas, et nous avons d'ailleurs seulement parlé d'infléchissement de la jurisprudence dans notre récent exposé à la réunion des avocats, mais la réponse définitive vous appartient. Il nous paraît en tout état de cause exact que vous avez ultérieurement atténué la rigueur de votre jurisprudence en exigeant qu'il devait ressortir du dossier que les mesures nationales avaient pour effet d'affecter les échanges: il ne suffit donc pas que l'effet restrictif soit théoriquement possible, il faut encore prouver dans chaque cas que la mesure exerce ou a exercé cet effet en pratique. Nous vous posons la question de savoir si un tel «infléchissement» était fondé ou non. Nous y voyons des inconvénients sérieux pour la continuité de votre jurisprudence.

VI —

Toutefois, si une réglementation nationale du genre de celle de l'espèce est susceptible, de proche en proche, de se répercuter en amont sur les prix du commerce de gros et sur les prix à la production, nous reconnaissons qu'il est juridiquement difficile de le prouver et de démontrer qu'elle constitue bien en fait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation dont il appartiendrait au juge national, livré à sa seule appréciation, d'assurer l'interdiction.

Ce qui le démontre, c'est que l'on pourrait tout aussi bien inverser les termes de la réponse que la Commission propose de donner à la question posée et dire qu'une mesure prise unilatéralement par un État membre pour limiter le prix à la vente des viandes porcines est compatible avec le règlement no 121/67 dès lors qu'elle ne met pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette organisation, en particulier son régime des prix; et, au contraire, qu'une réglementation nationale, applicable uniquement au stade de la vente des viandes par le détaillant aux consommateurs et se bornant à limiter la marge commerciale que ce détaillant est autorisé à inclure dans ses prix de vente, est incompatible avec le règlement no 121/67, dans la mesure où la marge commerciale maximale qu'elle impose est fixée à un niveau tel que les effets de la réglementation sont susceptibles de se répercuter aux stades antérieurs de la production ou de la commercialisation ou de se faire sentir sur les courants d'échanges.

Nous n'entendons donc pas, pour notre part, soutenir de manière absolue que les États membres auraient perdu toute compétence en ce qui concerne la fixation des prix des produits agricoles soumis à organisation commune de marché à un autre stade que celui de la production ou du commerce de gros, notamment lorsque cette intervention est motivée par des raisons de politique de conjoncture.

Certes, il est peu conforme à la «certitude du droit» de faire dépendre le contenu de la réglementation communautaire agricole de faits contingents et changeants, tels que les interventions des autorités nationales en matière de prix; mais, dans une matière dominée par l'opportunité économique, il serait paradoxal d'ériger la «certitude du droit» en règle absolue.

Nous voudrions cependant tenter de cerner d'un peu plus près le problème en vue d'alléger le fardeau du juge national auquel il incombe, selon votre jurisprudence, en chaque cas d'espèce, de décider si le régime de détermination des prix dont il est appelé à connaître produit ou non des effets incompatibles avec les dispositions communautaires.

Certes, pas plus qu'il n'appartient à la Cour de justice d'interpréter, dans le cadre de la procédure de l'article 177, le droit national, elle n'est compétente pour en apprécier les effets (arrêt Benedetti du 3 février 1977, attendu no 25, Recueil, p. 164).

Mais le louable souci de décentraliser la juridiction communautaire et de laisser au juge du fait le soin d'apprécier la compatibilité du droit national avec le droit communautaire ne doit pas aboutir à placer celui-ci devant une tâche insurmontable, ce qui risquerait de compromettre l'effet direct que vous attachez aux règlements communautaires et de susciter des appréciations divergentes; un tel résultat serait incompatible avec le principe de la sécurité juridique.

Qu'il nous suffise de citer, à cet égard, l'ordonnance du 26 janvier 1971 du Hoge Raad (Strafkamer) des Bays-Bas, selon laquelle les dispositions du traité relatives à l'agriculture n'affectent pas la compétence des États membres d'arrêter une réglementation des prix, ou la décision par laquelle le Conseil d'État italien a consacré la légalité des interventions de l'administration nationale en matière de prix de vente du sucre ou, en sens contraire, l'arrêt du même Conseil d'État du 25 septembre 1974, qui a jugé qu'une décision nationale fixant le prix obligatoire du lait à la production était illégale et, enfin, l'ordonnance rendue par le préteur de Rome le 10 janvier 1976 en matière de viande bovine.

VII —

Nous voudrions tenter, en terminant, de synthétiser les critères d'appréciation.

En premier lieu, il convient de rechercher si la réglementation nationale intervient au même stade que la réglementation communautaire. Il y aurait, par exemple, incompatibilité totale si la marge nationale imposée ne permettait même pas au détaillant d'atteindre le prix de base du porc abattu et l'obligeait à vendre à perte. Le recours à ce critère découle, nous l'avons dit, de l'attendu no 10, dernier alinéa, de votre arrêt Tasca.

En second lieu, le caractère normal ou, au contraire, excessivement réduit de la marge bénéficiaire allouée au détaillant a nécessairement un effet.

Cette considération découle des attendus nos 13 et 14 de votre arrêt plus récent Van Tiggele, du 24 janvier 1978:

«Attendu que, si une réglementation nationale de prix applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés ne saurait, en général, produire un tel effet (c'est-à-dire équivalant à une restriction quantitative), il peut en aller autrement dans certains cas spécifiques;

qu'ainsi une entrave à l'importation pourrait résulter notamment de la fixation, par une autorité nationale, de prix ou de marges bénéficiaires à un niveau tel que les produits importés seraient défavorisés par rapport aux produits nationaux identiques, soit parce qu'ils ne pourraient pas être écoulés profitablement dans les conditions fixées, soit parce que l'avantage concurrentiel résultant de prix de revient inférieurs serait neutralisé;»

Mais en l'état actuel des choses, il paraît difficile de fournir des indications plus précises. Si un producteur ne peut se plaindre de ne pouvoir obtenir un prix supérieur aux prix indicatif ou au prix d'orientation, quelle est, en revanche, la situation des opérateurs qui se trouvent en aval dans la chaîne de commercialisation, c'est-à-dire les détaillants?

A quel niveau doit se situer le prix de leur propre intervention?

Quelle est la marge «normale» qu'il faut ajouter au prix de base du porc abattu pour tenir légitimement compte de la rémunération de leur activité? Tout au plus peut-on dire que la fixation de la marge bénéficiaire à un montant déterminé, et non à un pourcentage du prix de revient, n'est pas incompatible avec le fonctionnement et les objectifs de l'organisation commune de marché lorsque ce montant constitue une part relativement faible du prix de détail définitif. Mais, que faut-il entendre par «relativement faible»?

A cet égard, le prévenu au principal allègue qu'il serait défavorisé par rapport aux «grandes surfaces» en raison, d'une part, de la non-inclusion dans les prix payés à l'achat des frais de «mise sur le marché», notamment en cas d'importation, que cette situation résulte de la réglementation interne ou de la pratique, et, d'autre part, du décalage dans le temps entre le prix du jour auquel la viande est effectivement vendue et les prix de la période de reference. Il appartiendra au juge national de rechercher, en s'aidant des précisions fournies par la Commission en réponse aux questions que vous lui avez posées, si la conjonction de ces deux circonstances a abouti en fait à ce que le blocage de la marge commerciale à 22 BFR empêchait tout bénéfice.

En troisième lieu, il convient d'examiner l'incidence effective de la réglementation nationale sur le volume des échanges intracommunautaires. Cette incidence peut se manifester tant à l'importation qu'à l'exportation. Comme l'expose la Commission, il peut se produire, en effet, que les prix imposés dans un État soient jugés tellement insuffisants par les opérateurs que ceux-ci préfèrent exporter leurs produits vers d'autres États membres ou vers les pays tiers plutôt que de les livrer sur le marché national. Mais, cette analyse est compliquée par le jeu des montants compensatoires monétaires. L'application de ces montants a entraîné, vous le savez, à certaines périodes, des distorsions de concurrence.

Ainsi, la réduction des montants applicables aux exportations françaises de céréales a favorisé les échanges à destination de la Belgique, provoquant, en 1974, la chute des cours français du porc, concurrencés par les exportations de porcs belges. D'un autre côté, dans les secteurs dépourvus d'intervention permanente, les prix de marché se forment plus librement et la distorsion monétaire joue à plein; quand c'est le cas, les montants compensatoires ne suffisent pas à rétablir l'équilibre. C'est aussi ce que vous avez déjà eu l'occasion de constater à plusieurs reprises.

Seule la Commission nous paraît donc en mesure de fournir les précisions nécessaires. C'est à elle qu'il appartient au premier chef de décider, dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'article 155, si la réglementation belge a pu ou peut encore constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, et de mettre en œuvre les moyens adéquats en vue d'éliminer cet état de choses, y compris, le cas échéant, en recourant à la procédure prévue par l'article 169 du traité.

Nous concluons, en définitive, à ce que vous disiez pour droit que:

1)

le règlement no 121/67 assure, dans le secteur de marché considéré, avec effet direct pour les particuliers, la libre circulation des marchandises, notamment par l'élimination des restrictions quantitatives et de toutes mesures d'effet équivalent;

2)

la détermination unilatérale, par un État membre, du prix de vente au consommateur de la viande porcine par le blocage de la marge commerciale est incompatible avec le règlement no 121/67 portant organisation commune des marchés dans le secteur considéré, dès lors qu'elle met en danger les objectifs ou le fonctionnement de cette organisation, en particulier le régime de prix qu'elle institue;

3)

dans la mesure où un prix de vente, déterminé unilatéralement par un État membre, serait incompatible avec les dispositions du droit agricole de la Communauté, l'État membre concerné ne saurait se fonder, pour justifier cette détermination, ni sur l'article 103 du traité, ni sur la nécessité de protéger l'économie contre des pratiques spéculatives, ni encore sur un changement intervenu dans la situation économique du secteur considéré.

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