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Document 61977CC0064

Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 15 novembre 1977.
Mario Torri contre Office national des pensions pour travailleurs salariés.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Liège - Belgique.
Affaire 64-77.

Recueil de jurisprudence 1977 -02299

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1977:184

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 15 NOVEMBRE 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire est soumise à la Cour par le biais d'une demande à titre préjudiciel formée par le tribunal du travail de Liège. Dans le litige pendant devant ce tribunal, le demandeur est M. Mario Torri, le défendeur, l'Office national belge des pensions pour travailleurs salariés («ONPTS»). La question contestée dans ce litige est de savoir si M. Torri, qui est bénéficiaire d'une pension de vieillesse, est en droit de recevoir du défendeur un complément à sa pension, en application de l'article 50 du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil.

Selon ce qui nous a été dit, il apparaît que cette affaire a la valeur d'un précédent, votre décision, Messieurs, devant aussi déterminer la solution donnée à de nombreuses autres affaires dont sont saisies, à l'heure actuelle, certaines juridictions belges.

Voici les faits de la cause.

M. Torri, un ressortissant italien, est né le 25 octobre 1909. Il a travaillé en Italie de 1924 à 1947 et en Belgique de 1948 à 1974, date à laquelle il a atteint ses 65 ans, l'âge de la retraite pour les hommes dans ce pays où il vit toujours. Dans la perspective de sa retraite, il a adressé une demande de pension de vieillesse à l'ONPTS. A cette époque, les informations dont disposaient l'ONPTS et l'institution de sécurité sociale italienne compétente étaient incomplètes, pour ce qui est des périodes durant lesquelles M. Torri avait travaillé en Italie. La conséquence a été que ses droits à pension, et en Belgique, et en Italie, ont été calculés compte tenu du fait qu'il n'avait travaillé en Italie que de 1926 à 1942 et de 1946 à 1947. Sur cette base, il avait droit à une pension belge de 132333 francs belges par an et à une pension italienne de 224250 lires, à savoir 12970 francs belges par an. Le total de ces deux pensions était de 145303 francs belges, un montant inférieur de 33777 francs belges au «montant théorique de la prestation» belge de M. Torri, tel qu'il est défini par l'article 46, paragraphe 2, a), du règlement no 1408/71, c'est-à-dire le montant de la pension à laquelle il aurait pu prétendre en Belgique, si toutes les périodes d'assurance accomplies par lui en Italie et en Belgique l'avaient été dans ce dernier pays. L'objet de la demande qu'il a introduite devant le tribunal du travail est de se voir accorder un complément de 33777 francs belges. A la lumière des informations disponibles maintenant, il est constant que les chiffres devront être révisés, notamment par une augmentation de sa pension italienne, qui sera portée à 397900 lires, et une augmentation des deux «montants théoriques de la prestation» belge et italien. Mais cela n'affecte pas la question de principe sur laquelle, Messieurs, vous avez à statuer, et qui est essentiellement une question d'interprétation de l'article 50 du règlement no 1408/71.

Cet article fait partie intégrante du chapitre 3 du titre III de ce règlement, intitulé «Vieillesse et décès (pensions)» et, comme vous le savez, applicable également par analogie, dans certains cas, aux pensions d'invalidité.

L'intitulé et le texte de l'article 50, tel qu'il a été remplacé par l'Acte d'adhésion (annexe I (IX) (1)), sont les suivants:

«Attribution d'un complément lorsque la somme des prestations dues au titre des législations des différents États membres n'atteint pas le minimum prévu par la législation de celui de ces États sur le territoire duquel réside le bénéficiaire.

Le bénéficiaire de prestations auquel le présent chapitre a été appliqué ne peut, dans l'État sur le territoire duquel il réside et au titre de la législation duquel une prestation lui est due, percevoir un montant de prestations inférieur à celui de la prestation minimale fixée par ladite législation pour une période d'assurance ou de résidence égale à l'ensemble des périodes prises en compte pour la liquidation, conformément aux dispositions des articles précédents. L'institution compétente de cet État lui verse éventuellement, pendant toute la durée de sa résidence sur le territoire de cet État, un complément égal à la différence entre la somme des prestations en vertu du présent chapitre et le montant de la prestation minimale.»

L'ONPTS, soutenu en cela par la Commission, prétend que la référence faite ici à «la prestation minimale fixée par ladite législation» désigne une prestation minimale prévue par la législation de l'État membre en question et que, lorsque cette législation n'en prévoit aucune, l'article 50 ne peut s'appliquer. En Belgique, des prestations minimales ne sont prévues que dans le cas de pensions d'invalidité attribuées aux mineurs et dans celui de pensions de vieillesse pour travailleurs frontaliers et saisonniers. Comme M. Torri n'a jamais été un travailleur frontalier ou saisonnier, l'ONPTS et la Commission estiment qu'il ne peut donc formuler aucune prétention dans le cadre de l'article 50.

M. Torri soutient que, dans un cas comme le sien, la prestation minimale visée à l'article 50 est «le montant théorique de la prestation», calculé en application de l'article 46, paragraphe 2, a).

Nous dirons dès maintenant que nous partageons le point de vue de l'ONPTS et de la Commission, et cela pour deux raisons.

Il nous semble d'une part que si les auteurs du règlement no 1408/71 avaient eu l'intention de donner à l'article 50 l'effet qu'y voit M. Torri, ils l'auraient formulé d'une manière différente. Ils auraient eu recours à une formule telle que «la prestation minimale fixée par cette législation ou, si cette législation ne prévoit aucune prestation minimale, le montant théorique de la prestation calculé par l'institution compétente de cet État, en application de l'article 46, paragraphe 2, a)».

D'autre part, au nombre des données qui, aux termes de l'article 5 du règlement no 1408/71, doivent être mentionnées dans les déclarations à fournir par les États membres en vertu de cet article (tel qu'il est complété par l'article 96), figurent «les prestations minimales visées à l'article 50». Cela signifie que les prestations minimales en question doivent être établies sur la base des législations des États membres et qu'il ne s'agit pas de montants qui peuvent être calcules conformément aux dispositions du règlement no 1408/71 lui-même.

A l'appui de cette interprétation, la Commission cite son propre exposé des motifs joint à la proposition originale qu'elle a adressée au Conseil et qui a conduit à l'adoption du règlement no 1408/71. Nous estimons toutefois qu'il n'est pas possible de recourir à cet exposé pour interpréter le règlement en question parce que, premièrement, ce document n'est pas publié et parce que, deuxièmement, rien n'autorise à supposer que les membres du Conseil, ou les auteurs de l'Acte d'adhésion, ont partagé, à tous points de vue, les intentions de la Commission quant au sens de l'article 50.

Comme vous le savez, Messieurs, les déclarations faites, conformément aux articles 5 et 96 du règlement no 1408/71, par les États membres originaires ont été publiées sous une forme unifiée au Journal officiel no C 12 du 24 mars 1973, page 11. Sous le libellé «prestations minimales visées à l'article 50 du règlement», la Belgique, la république fédérale d'Allemagne et les Pays-Bas ont indiqué la mention «Néant». D'un autre côté, la France, l'Italie et le Luxembourg ont mentionné chacun un certain nombre de prestations de sécurité sociale qui, d'après leurs législations respectives, étaient, dans différentes circonstances, sujettes à minima. Les déclarations des nouveaux États membres ont été publiées au Journal officiel no C 43 du 18 juin 1973, page 1. Sous le libellé en question, le Danemark a fait figurer la mention «Néant», tandis que l'Irlande et le Royaume-Uni ont chacun mentionné certaines prestations sujettes à minima ou à taux uniformes. Le 12 octobre 1973, est paru au Journal officiel no C 84, page 7, un corrigendum à la déclaration belge, par lequel le terme «Néant» était remplacé par celui de «Pensions d'invalidité des ouvriers mineurs». Le 25 octobre 1975 a été publié au Journal officiel no C 245, page 2, un «remplacement» à la déclaration du Royaume-Uni, consécutif à la codification de la législation sur la sécurité sociale du Royaume-Uni par la loi sur la sécurité sociale de 1975 (Social Security Act 1975). Le Journal officiel no C 89 du 14 mai 1977, page 2, a publié une modification à la déclaration du Royaume-Uni qui substituait le terme «Néant» aux indications fournies dans la déclaration du 25 octobre 1975. Vous vous souviendrez, Messieurs, des commentaires de la Commission à ce sujet. Mais il ne s'agit pas d'une matière directement pertinente en l'espèce.

Ce qui est intéressant dans cette affaire c'est qu'aucune des déclarations faites par la Belgique ne contient une quelconque mention des minima applicables aux pensions de vieillesse attribuées à des travailleurs frontaliers et saisonniers. L'ONPTS nous a déclaré ne pas pouvoir nous fournir une explication sur cette omission. Les minima en question ont été introduits par une loi du 27 décembre 1973; celle-ci ajoutait un nouveau paragraphe, le paragraphe 5, à l'article 10 de l'Arrêté royal no 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés en Belgique.

Durant l'audience publique devant la Cour, l'avocat de M. Torri a présenté, pour la première fois, un argument aux termes duquel l'article 10, paragraphe 5, était incompatible avec le droit communautaire, et cela notamment du fait que (a) le bénéfice en était expressément limité aux ressortissants belges et que (b) il était limité aux travailleurs frontaliers et saisonniers. Sur le premier point, il semble bien que l'article 10, paragraphe 5, soit manifestement inconciliable avec l'article 3 du règlement no 1408/71. Mais, sur le second point, nous ne serions pas d'avis d'admettre, sur la base de l'argumentation incomplète qui nous a été exposée, que ces dispositions étaient incompatibles avec le droit communautaire. D'après les déclarations faites par l'ONPTS, il semble que le Parlement belge était convaincu du fait qu'il existait des raisons valables d'assurer aux travailleurs frontaliers et saisonniers un traitement différent de celui des autres travailleurs, et c'est un fait que le règlement no 1408/71 lui-même contient de nombreuses dispositions spéciales applicables aux travailleurs frontaliers et saisonniers. Quoi qu'il en soit, la question de la compatibilité de l'article 10, paragraphe 5, avec le droit communautaire nous semble excéder la portée des questions déférées à la Cour par le tribunal du travail de Liège.

Avant d'aborder ces questions, il conviendrait, à notre avis, d'indiquer que, comme cela ressort des annexes jointes aux observations écrites présentées par M. Torri, l'ONPTS était, pour une large part, à l'origine du présent litige, en faisant figurer dans les «explications» imprimées au verso du formulaire qu'il utilise et qui sont destinées à informer les gens sur le montant des pensions auxquelles ils ont droit et sur la méthode de calcul de ce montant, un paragraphe 4 rédigé de manière à faire apparaître qu'il existe une prestation minimale prévue dans tous les cas. Il semble de plus que, dans certains cas (bien que cela ne soit pas vrai dans la situation personnelle de M. Torri), l'ONPTS ait fait figurer, au recto du formulaire, le montant d'une prestation minimale, même si un tel minimum n'était pas applicable. La prestation minimale ainsi inscrite coïncidait parfois, mais pas toujours, avec le montant théorique de la prestation accordée à la personne concernée. De l'avis de M. Torri, au cas où les arguments présentés par l'ONPTS dans cette affaire seraient pertinents, il devrait être mis fin à ces pratiques qui créent une certaine confusion. Nous partageons ce point de vue.

Les questions déférées à la Cour par le tribunal du travail sont les suivantes:

«Que faut-il entendre par “prestation minimale” au sens de l'article 50 du règlement no 1408/71 du Conseil lorsque la législation d'un État ne connaît pas de pension minimale d'un montant fixe du fait que le calcul des prestations repose sur le montant des salaires et sur la durée des périodes d'assurance accomplies?

Est-ce que la prestation minimale correspond dans cette hypothèse au montant de la “pension théorique” calculée selon les dispositions de l'article 46, paragraphe 2 a), du règlement?»

Notre réponse à ces questions serait tout simplement que, dans les cas où la législation d'un État membre ne prévoit pas de prestation minimale, l'article 50 du règlement no 1408/71 ne s'applique pas.


( 1 ) Traduit de l'anglais.

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