This document is an excerpt from the EUR-Lex website
Document 61977CC0059
Opinion of Mr Advocate General Mayras delivered on 29 November 1977. # Établissements A. De Bloos SPRL v Société en Commandite par Actions Bouyer. # Reference for a preliminary ruling: Cour d'appel de Mons - Belgium. # Old agreements which have been notified. # Case 59-77.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 29 novembre 1977.
Établissements A. De Bloos SPRL contre société en commandite par actions Bouyer.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique.
Anciens accords notifiés.
Affaire 59-77.
Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 29 novembre 1977.
Établissements A. De Bloos SPRL contre société en commandite par actions Bouyer.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique.
Anciens accords notifiés.
Affaire 59-77.
Recueil de jurisprudence 1977 -02359
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1977:195
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 29 NOVEMBRE 1977
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Après avoir occupé le prétoire de la Cour de justice à propos de l'application de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dans le domaine des concessions de vente exclusive (affaire 14-76), le litige opposant les établissements De Bloos à la société Bouyer revient devant vous, cette fois à propos de l'application des règles de concurrence du traité.
Vous vous souvenez que, dans la première affaire, la controverse portait notamment sur le point de savoir si, pour l'application de l'article 5-1o de la Convention, il y avait lieu de considérer que l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi belge du 27 juillet 1961 (modifiée le 13 avril 1971) sur les concessions de vente exclusive et, éventuellement, l'indemnité complémentaire prévue par l'article 3 de cette loi constituent des obligations autonomes, nées de la résiliation unilatérale d'une concession exclusive à durée indéterminée ou si, au contraire, il s'agissait d'obligations simplement accessoires, compensatoires de l'inexécution ou de l'expiration de l'obligation principale du concédant.
Dans son arrêt du 6 octobre 1976 (Recueil, p. 1497), la Cour a jugé qu'«en ce qui concerne les actions en paiement d'indemnités compensatoires, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, d'après le droit applicable au contrat, il s'agit d'une obligation contractuelle autonome ou d'une obligation remplaçant l'obligation contractuelle inexécutée». Votre arrêt ne précise pas si, par «indemnités compensatoires», il faut comprendre la seule indemnité complémentaire prévue par l'article 3 de la loi de 1961 ou bien si ces termes visent également la juste indemnité dispensant du préavis de l'article 2 de la loi. Mais, de toute façon, l'arrêt exclut que le terme«obligation» employé à l'article 5-1o de la Convention puisse couvrir n'importe quelle obligation d'un contrat cadre de concession de vente exclusive; «l'obligation à prendre en considération est celle correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l'action du demandeur». Si le litige porte sur les conséquences de la violation par le concédant d'un contrat de concession exclusive, l'obligation à laquelle il faut se référer est «celle qui découle du contrat à la charge du concédant et dont l'inexécution est invoquée pour justifier la demande de dommages-intérêts ou de résolution du contrat de la part du concessionnaire».
I. — |
De Bloos, concessionnaire belge, ayant appris en septembre 1972 que Bouyer, son concédant français, confiait également la représentation de son matériel aux établissements Ferunion-Cultim de Bruxelles, avec lesquels il organisait des expositions, campagnes publicitaires, etc., se plaignit à Bouyer par lettre du 27 mars 1973 et le cita à comparaître le 9 avril 1973, en invoquant un manquement grave à ses obligations et en demandant la «résiliation» — il faut comprendre «résolution» — rétroactive du contrat au 1er octobre 1972 aux torts et griefs du concédant et l'allocation d'une indemnité complémentaire équitable (article 2 de la loi de 1961) du chef de rupture unilatérale sans préavis. Cette action était donc fondée non pas sur la résiliation irrégulière, mais sur une violation de la protection territoriale et du monopole de représentation, pour la Belgique, des produits fabriqués par Bouyer dont De Bloos prétendait bénéficier en vertu de la convention litigieuse. Une telle résolution judiciaire est en effet possible puisque la clause résolutoire est sous-entendue dans tous les contrats synallagmatiques. Mais le juge belge ne peut prononcer cette résolution et faire application des dispositions de la loi de 1961 que s'il s'agit d'un contrat valable ou valide, qui n'est pas nul en vertu d'autres dispositions: on ne peut priver d'effet qu'une convention qui n'est pas déjà nulle de plein droit, à moins de supposer, ce que nous ne croyons pas, que la loi belge ait entendu «sauver ce qui était perdu», auquel cas se poserait la question de la compatibilité de cette loi avec les dispositions du traité et de la réglementation communautaire en matière de concurrence. De fait, devant le juge belge, Bouyer a fait valoir que l'accord dont il s'agit comportait une protection territoriale absolue et, dès lors, ne pouvait bénéficier de l'exemption par catégorie accordée par le règlement no 67/67 de la Commission du 22 mars 1967. Même s'il ne l'avait pas fait, du reste, le juge aurait pu et dû envisager d'office l'hypothèse de la nullité de plein droit de l'accord liant Bouyer à De Bloos en vertu de l'article 85, paragraphes 1 et 2. De son côté, De Bloos s'est prévalu d'une «décision de classement» prise par la Commission sur la base de l'examen provisoire de la notification qu'il avait faite. C'est ainsi que vous êtes, en définitive, interrogés sur la compatibilité de l'accord De Bloos/Bouyer avec l'article 85, paragraphe 1. Mais le juge belge vous pose, au préalable, une question très générale sur laquelle il nous fait tout d'abord nous expliquer. |
II — |
L'affaire présente une double originalité par rapport à certains des cas où vous vous êtes déjà prononcés, directement ou indirectement, sur un accord à l'occasion d'une procédure de l'article 177. A la différence d'une contestation mettant en cause les droits civils de tiers (par exemple, violation par des importateurs parallèles d'une convention d'exclusivité ou demandes de dommages-intérêts ou autres à l'encontre de concurrents déloyaux pour «tierce complicité», vous êtes saisis en l'espèce à propos d'un litige mettant directement aux prises les deux parties à un accord. Par ailleurs, l'accord a été notifié par les deux parties à la Commission et celle-ci a procédé au «classement» de l'affaire en vertu du règlement no 67/67. Aucune des parties, bien entendu, n'a protesté à l'époque contre ce classement qui répondait à ce qu'ils avaient souhaité, du moins à l'origine, et ne leur faisait donc pas grief. Le juge, qui doit examiner d'office si un accord ne tombe pas sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, doit-il aussi tenir compte de la position prise par la Commission à propos de cet accord et peut-il (ou doit-il, s'il s'agit d'une juridiction statuant en dernier ressort) vous demander d'apprécier la validité d'une telle prise de position? Ceci suppose que soit précisée, au préalable, la portée de cette prise de position et que soit éclaircie la question de savoir si elle constitue bien «un acte pris par une institution de la Communauté à l'encontre duquel la partie qui en conteste la validité est forclose à introduire un recours de l'article 173», c'est-à-dire de savoir si la lettre de la Commission constitue bien une «décision dont De Bloos était le destinataire» au sens de l'article 173. Cette question ne vous est pas formellement posée, mais nous pensons qu'il convient de l'examiner avant tout progrès en cause. Nous ne croyons donc pas qu'il soit opportun ni nécessaire de faire une théorie générale de ce qu'il faut entendre par acte au sens de l'article 177 et nous nous bornerons à rechercher ce qu'il en est, de ce point de vue, de l'«acte» de la Commission. Il ressort du dossier national que, outre les motoculteurs Bouyer, De Bloos assurait la représentation des tracteurs diesel Hatz et des charrues Bajac. Il notifia à toutes fins utiles ou en vue de se prévaloir des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité cette convention à la Commission le 30 janvier 1963, sur la base des articles 4 et 5 du règlement no 17. Il semble que la première hypothèse soit la bonne puisque De Bloos a rempli les points V et VI du formulaire qui ont trait à la «justification» de l'accord. Bouyer, par contre, dans sa propre notification, n'a pas fourni d'indications sur ces points, mais a exposé en annexe les faits et motifs d'où résultait à son avis la non-applicabilité de l'article 85, paragraphe 1. Quoi qu'il en soit, même la dispense de notification n'implique pas la validité de l'accord: elle a seulement pour effet de permettre d'obtenir l'attestation négative, sans notification préalable dans les délais prévus par le règlement. Cette notification de De Bloos fut enregistrée le 31 janvier 1963 par les services de la Commission sous le numéro IV/A 04166 et sous le mot clé «tracteurs Hatz». De Bloos avait avisé son cocontractant de cette notification la veille. De son côté, Bouyer procéda à la notification de l'accord le 31 janvier 1963, mais celle-ci ne fut enregistrée que le 6 février 1963, sous le numéro IV/A 20523. Nous ne savons pas s'il en avisa De Bloos. Il s'agit donc, en principe et sous réserve de ce que nous dirons plus loin, d'une «ancienne entente», au sens de l'arrêt du 6 février 1973, de Haecht no II, c'est-à-dire d'un accord intervenu avant le 13 mars 1962, date d'entrée en vigueur du règlement no 17/62 (l'accord a été signé le 24 octobre 1959). De plus, il s'agissait d'un accord auquel ne participaient que deux entreprises dont le siège social était situé dans deux États membres différents. Par une nouvelle lettre du 20 janvier 1964, la Direction générale de la concurrence fit savoir à De Bloos que cette notification était incomplète et pria cette entreprise de compléter le point II-2o du formulaire B qu'elle avait rempli; en particulier, elle était priée de préciser «…
De Bloos ne réagit à cette demande qu'en envoyant une copie certifiée conforme de la convention passée avec Bouyer, dans laquelle d'ailleurs était omise une clause selon laquelle «la SA Bouyer accordera à tout moment aux établissements A. De Bloos les meilleures conditions qu'elle consent à l'exportation». Le 22 mars 1967, la Commission a adopté le règlement no 67/67, qui est entré en vigueur le 1er mai 1967. Ce règlement déclare inapplicable, jusqu'au 31 décembre 1972, l'article 85, paragraphe 1, à tous les contrats d'exclusivité «ouverte» ou «imparfaite», qui n'entravent pas les importations parallèles, en excluant de cette exemption les accords dans lesquels «les contractants restreignent la possibilité pour les intermédiaires ou utilisateurs de se procurer les produits visés au contrat auprès d'autres revendeurs à l'intérieur du marché commun …» (article 3, b). Les accords existant au 13 mars 1962 et notifiés avant le 1er février 1963 sont exemptés rétroactivement à partir du moment où les conditions d'application du règlement no 67/67 ont été réunies (article 4). Ceux qui ont été notifiés plus tard sont, eux aussi, exemptés rétroactivement au moment où ils réunissent les conditions d'application du règlement no 67/67, mais ce moment ne peut être antérieur à la date de la notification. Cette dernière hypothèse n'entre pas en ligne de compte puisque les relations d'affaires ont cessé entre les parties et qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'elles reprennent après adaptation du contrat. Même les accords intervenus avant le 1er mai 1967 et non notifiés sont exemptés à partir de cette date si les conditions d'application posées par le règlement no 67/67 sont respectées. Quant aux contrats intervenus après l'entrée en vigueur de ce règlement, ils sont en principe eux aussi exemptés dès le jour de leur conclusion pour autant qu'ils satisfassent aux conditions énumérées par les articles 1 à 3, sous réserve de l'application de l'article 6. Le bénéfice de l'exemption par catégorie ne peut être retiré que pour l'avenir. Comme nous le verrons, le règlement no 67/67 a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1982. Après avoir arrêté, le 22 mars 1967, le règlement no 67/67, la Commission a «décidé, le 17 juillet 1968, de classer les notifications d'accords de distribution exclusive qui, sur la base des éléments et informations que les entreprises lui ont fait parvenir, ne prévoient pas de protection territoriale absolue». Ce sont les termes mêmes d'une lettre recommandée qui a été adressée le 29 avril 1969 aux établissements De Bloos (une lettre identique paraît avoir été envoyée à Bouyer le 18 mai 1969). Cette lettre, qui porte en référence le numéro et le mot clé sous lesquels la notification avait été enregistrée, faisait part aux établissements De Bloos ainsi, paraît-il, qu'à toutes les entreprises qui se trouvaient dans le même cas qu'«il résulte de l'examen provisoire de la notification de votre accord, enregistrée sous le numéro susmentionné, que celle-ci se trouve dans la situation visée plus haut». Nous pensons que cet «acte de la Commission» ne constitue pas une décision contre laquelle son destinataire, De Bloos, aurait pu former un recours de l'article 173 et qu'il ne peut non plus faire l'objet d'un examen de validité dans le cadre de l'article 177. Cette opinion n'est pas dictée par la circonstance que la partie qui se prévaut de cette «invalidité» (Bouyer) serait forclose à contester la légalité de la «décision de classement» prise par la Commission le 29 avril 1969 à l'endroit de l'accord d'exclusivité litigieux. Elle n'est pas non plus inspirée par la considération que tant De Bloos que Bouyer, parties à l'accord, devraient être jugés à présent comme sans intérêt à se prévaloir de la nullité du contrat en raison de leur comportement passé, qui aurait amené chacun d'eux à croire que la question était réglée entre eux par l'accord. En effet, la règle «meno auditur turpitudinem suam allegans …» ou «nemo contra factum suum venire potest …» (doctrine de l'estoppel, en droit anglais) ne rend point l'une des parties irrecevable à invoquer la nullité du contrat ou seulement l'«invalidité» d'une véritable décision en se fondant sur la violation des dispositions de l'article 85, car celles-ci sont d'ordre public. Il est unanimement admis à présent que les dispositions impératives des articles 85 et suivants régissent les conventions privées: il n'est donc pas possible de dire que ces dispositions ne concernent que les tiers et qu'elles ne s'appliquent pas aux relations contractuelles entre parties. Vous l'avez dit dans votre arrêt Béguelin du 25 novembre 1971 (Recueil, p. 962 et 963): «la nullité visée à l'article 85, paragraphe 2, ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants et n'est pas opposable aux tiers». Vous l'avez encore rappelé dans votre arrêt de Haecht du 6 février 1973 en ce qui concerne les ententes nouvelles: «le règlement suppose que, tant que la Commission ne s'est pas prononcée, l'entente ne peut être mise en œuvre qu'aux risques et périls des parties» (Recueil, p. 86). C'est en raison de deux ordres de considérations que, pour notre part, nous estimons que l'appréciation de validité de la lettre du 29 avril 1969 ne peut être entreprise dans le cadre de la présente affaire. En premier lieu, une telle appréciation revient en fait à apprécier la compatibilité d'un contrat bien déterminé au regard de l'article 85 ou du règlement no 67/67, ce qui reviendrait à faire application du droit communautaire à un cas d'espèce. Or, ceci ne peut être effectué que dans le cadre d'un recours en annulation de l'article 173, ou lorsqu'il appartient au juge national d'appliquer le droit communautaire à un cas concret. La procédure de l'article 177 est une procédure non contentieuse; la partie qui se prévaut de la nullité, Bouyer, ne s'est même pas manifestée par des observations écrites, tout en se présentant à l'oral, et elle a même indiqué qu'elle s'apprêtait — si elle ne l'a déjà fait — à former un recours en cassation contre la décision de la cour d'appel, en faisant état de moyens, peut-être très sérieux, qui n'ont pas été portés à la connaissance de la Cour; l'autre partie, De Bloos, n'a également présenté que des observations. Même la Commission, qui est seule en possession du dossier administratif complet, prend la précaution d'entourer sa réponse de toute une série de réserves. La deuxième considération tient à ce que la décision» de la Commission du 17 juillet 1968 nous paraît constituer, jusqu'à nouvel ordre, une instruction interne par laquelle la Commission tire, en ce qui la concerne et pour ses services, les conséquences du règlement no 67/67, mais laisse entières la responsabilité et la liberté d'appréciation du juge national. Quant à la lettre du 29 avril 1969, c'est une mesure qui n'a pas de caractère décisoire et qui, si elle avait un tel caractère, ne ferait que confirmer une exemption résultant de l'article 85, paragraphe 1, ou du règlement no 67/67. On peut évidemment s'interroger sur les raisons pour lesquelles la Commission a procédé à une telle «communication» si, comme elle l'admet elle-même, c'est en vertu du règlement no 67/67 que l'article 85, paragraphe 1, est inapplicable à un tel contrat. Quoi qu'il en soit, en raison de l'effet direct de l'article 85, paragraphe 1, et du règlement no 67/67, il appartient au juge national d'apprécier lui-même si l'accord en question rentre dans le champ d'application de ce règlement. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la Cour de cassation belge dans l'affaire Bussing, sur laquelle nous aurons à nous prononcer prochainement. Si l'on décidait que les positions prises par la Commission dans le cadre du règlement no 67/67 ne peuvent pas faire l'objet d'une demande d'appréciation de validité de l'article 177 suggérée par les parties originaires à l'accord, soit parce qu'une telle prise de position ne saurait leur faire grief, soit parce que les parties ne sauraient revenir sur leur comportement passé, les questions qui vous sont soumises par la Cour de cassation belge dans l'affaire Bussing devraient, dès l'abord, être déclarées elles aussi irrecevables. |
III — |
Le juge national ne pose en vérité qu'une question relative à l'accord d'exclusivité litigieux. Cette question repose sur une erreur puisque, comme il a été très justement fait observer à la barre, les faits se sont passés pendant la durée de validité du règlement no 67/67 du 25 mars 1967 et que ce règlement, dont la validité expirait à la fin de 1972, a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1982 par le règlement no 2591/72 du 8 décembre 1972. Subsidiairement, si, contrairement à votre jurisprudence constante en matière d'article 177, vous estimiez pouvoir déduire de la décision de renvoi les points sur lesquels le juge national désire être éclairé et si vous estimiez devoir prendre position sur le contrat en cause, nous ferons pour notre part les observations suivantes sur la base des éléments qui ressortent du dossier national et des précisions fournies par la Commission. Le contrat litigieux du 24 octobre 1959 est un contrat synallagmatique à caractère commercial, suivant lequel le défendeur, Bouyer, accordait au demandeur, De Bloos, l'exclusivité de la vente pour la Belgique, le grand-duché de Luxembourg et le Congo belge, des motoculteurs, motobineuses, motofaucheuses de la marque Bouyer et de tous les accessoires et outils pour ceux-ci, de même que des pièces de rechange, et ce pour les appareils fabriqués par Bouyer ou vendus sous cette même marque. Ce contrat était conclu pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par Bouyer un an avant son échéance. Les établissements De Bloos pouvaient mettre un terme à tout moment à la convention. Elle a donc été mise en oeuvre pendant près de quinze ans. En principe, cette convention ne paraissait pas empêcher De Bloos de réexporter les produits Bouyer; elle n'empêchait pas non plus les produits similaires fabriqués par Bouyer d'être importés en Belgique en provenance d'éventuels concessionnaires Bouyer implantés dans les autres États membres, ni de venir s'opposer au matériel Bouyer importé par le concessionnaire De Bloos. Dès lors, toujours à première vue, le contrat ne cloisonnait pas le marché de ces produits. On pourrait cependant se demander s'il ne s'agit pas en réalité d'une exclusivité parfaite. En effet, une concession portant réellement exclusivité ne se conçoit pas sans être assortie, expressément ou tacitement, d'une clause territoriale limitant géographiquement l'aire d'activité du concessionnaire. Il va de soi que, si un concessionnaire bénéficie d'une exclusivité de vente pour la Belgique, il ne peut vendre en dehors de ce territoire que pour autant qu'il n'existe pas de convention analogue en faveur d'un concessionnaire étranger bénéficiant d'une identique exclusivité pour son territoire. Pour être tout à fait sûr que la possibilité d'importations parallèles était assurée, il faudrait savoir si Bouyer n'a pas passé d'autres accords de distribution avec d'autres concessionnaires dans d'autres États membres et connaître les termes exacts de ces accords. Il appartiendra au juge national de vérifier si le privilège accordé au concessionnaire est assez étendu et délimité d'une manière suffisamment précise pour décider s'il se trouve ou non en présence d'un réel contrat de concession de vente exclusive. Un indice dans le sens d'une exclusivité parfaite, au moins dans l'esprit de De Bloos, pourrait être constitué par le fait que, comme nous l'avons dit, celui-ci ne s'est pas contenté de notifier l'accord à toutes fins utiles, mais a exposé les raisons justifiant son exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3. D'un autre côté, Bouyer, qui lui estimait que l'article 85, paragraphe 1, n'était pas applicable et ne notifiait l'accord qu'à toutes fins utiles, exposait en annexe à sa notification: «1. L'accord améliore la distribution parce qu'il permet à l'agent de consacrer avec une certaine sécurité tous ses efforts à faire connaître le matériel … La clause d'exclusivité d'achat conduit à employer le maximum de son temps au développement de la vente du produit au lieu de répondre passivement aux demandes des utilisateurs.» Il y a peu de place dans tout cela pour une réexportation vers d'autres pays que la Belgique des produits importés par De Bloos. A l'appui de son assertion selon laquelle «les consommateurs tirent une partie équitable du profit résultant de cette amélioration ou de ce progrès», Bouyer alléguait que «l'exécution de la garantie et des réparations ne peut être le fait que d'un importateur exclusif, ayant un service spécialisé, intervenant auprès de son réseau de vente pour que toute satisfaction soit donnée à la clientèle en service après vente». Enfin, il ajoutait que «les commandes prises par des agents étrangers ou des importateurs parallèles ne pourraient être que le résultat de l'action visée au point 1 ci-dessus» (c'est-à-dire si le concessionnaire ne consacrait pas tous ses efforts à faire connaître le matériel). «Elles priveraient le concessionnaire de sa rémunération normale et le contraindraient à se limiter à une attitude beaucoup plus passive». Ni De Bloos ni Bouyer n'ont eu recours à la possibilité d'utiliser le formulaire B 1 («formulaire pour la notification simplifiée») dont la création avait été décidée par l'adjonction d'un paragraphe 2 bis à l'article 4 du règlement no 27, en vertu du règlement no 153 de la Commission du 21 décembre 1962 pour les «accords dits de concession exclusive qui ne contiennent pas certaines clauses particulièrement susceptibles de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun». Il s'agit notamment des «accords de concession exclusive auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels l'une s'engage vis-à-vis de l'autre à ne livrer certains produits qu'à celle-ci, dans le but de la revente à l'intérieur d'une partie définie du territoire du marché commun …». Assurément, l'article 4, paragraphe 2 bis, du règlement no 27/62 du 3 mai 1962 a été abrogé par l'article 7 du règlement no 67/67, mais seulement à partir du 1er mai 1967, et le paragraphe 2 de cet article 7 n'a pas touché au reste du règlement no 27/62. De Bloos, semble-t-il, n'est pas un représentant de commerce au sens de la communication de la Commission du 24 décembre 1962, relative aux contrats de représentation exclusive conclus avec les représentants de commerce, mais un négociant indépendant. Or, selon cette communication, «on ne peut exclure que l'article 85, paragraphe 1, soit applicable aux contrats de représentation exclusive conclus avec des négociants indépendants. La restriction de concurrence consiste, dans le cas de contrats d'exclusivité de cette nature, soit dans la réduction de l'offre lorsque le vendeur s'engage à fournir exclusivement à un seul acheteur un produit déterminé, soit dans la réduction de la demande lorsque l'acheteur s'engage à se procurer un produit déterminé exclusivement auprès d'un seul vendeur … La question de savoir si une restriction de concurrence de cet ordre est susceptible d'affecter le commerce entre États membres dépend du cas d'espèce». Il n'est donc pas exclu que De Bloos entendait se prévaloir des liens noués à l'occasion d'une exclusivité absolue pour demander une résolution judiciaire du contrat, assortie de dommages-intérêts, sur la base de la loi belge de 1961 qui visait en effet à protéger les efforts en investissements et autres que comporte une telle exclusivité. Il est cependant une considération qui pourrait dispenser le juge national de procéder à une telle recherche. En effet, vous avez expressément jugé qu'il est possible qu'un accord d'exclusivité, même avec protection territoriale absolue, n'affecte le marché que d'une manière insignifiante compte tenu de la faible position des intéressés sur le marché des produits en cause dans la zone faisant l'objet de la protection absolue et, dès lors, échappe à la prohibition de l'article 85 (voir par exemple arrêt du 9 juillet 1969, Völk, Recueil, p. 296). Il en est ainsi, à plus forte raison, lorsqu'un tel accord ne s'oppose ni à ce que des tiers puissent effectuer des importations parallèles sur le territoire concédé, ni à ce que le concessionnaire réexporte les produits qui en font l'objet. C'est ce que vous avez jugé par votre arrêt Cadillon du 6 mai 1971 (Recueil, p. 352), en ajoutant toutefois qu'il appartenait à la juridiction nationale, d'examiner si ces conditions étaient remplies en l'espèce. Un accord d'exclusivité tombant sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, conclu après l'entrée en vigueur du règlement no 67/67, peut, même en l'absence de notification à la Commission, bénéficier de l'exemption par catégorie prévue à l'article 1 de celui-ci s'il remplit les conditions posées par les articles 1 à 3 du même règlement. Par conséquent, pour apprécier la compatibilité de l'accord litigieux avec l'article 85, paragraphe 1, il incombera au juge national de vérifier si, compte tenu des obstacles aux échanges interétatiques qui peuvent en découler, cet accord en tant que tel était susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre États membres, condition nécessaire pour que les interdictions de l'article 85 soient applicables. Ce qui est vrai pour des accords conclus après l'entrée en vigueur du règlement no 67/67 et n'ayant pas fait l'objet d'une notification à la Commission, vaut évidemment pour les accords conclus avant l'entrée en vigueur de ce règlement et qui, de surcroît, lui ont été notifiés. S'il existait, comme le soutenaient De Bloos et Bouyer, d'autres importations de matériels similaires d'autres marques, la convention n'affecterait donc pas sérieusement les courants d'échanges à l'intérieur de la Communauté. Cependant, même en ce cas, il se pourrait que le contrat litigieux fût contraire à l'article 85, paragraphe 1, en ce qu'il prévoyait un tarif imposé par le concédant. Le règlement no 153/62 de la Commission du 21 décembre 1962 (JO du 24 décembre 1962, p. 2919) disposait que le déclarant devait certifier sur le formulaire B 1 «que les accords ne comportent pas l'obligation, pour le concessionnaire, de respecter un prix de vente minimum fixé par le concédant». Comme l'écrit M. Bricmont (La résiliation unilatérale des concessions de vente, p. 127), «le règlement no 67/67 n'a abrogé le règlement no 153 que parce que les accords qui pouvaient être notifiés sur formulaire B 1 rentrent normalement dans le champ d'application de l'exception. Mais il n'a en rien abrogé les conditions d'application énoncées dans le règlement no 153. On peut dès lors tenir pour acquis que l'exemption d'office ne joue pas lorsque le concessionnaire prend l'engagement de respecter des prix imposés». Sur ce point encore, il appartiendra au juge national de vérifier si l'application combinée du «tarif Bouyer» et de la clause selon laquelle «la SA Bouyer accordera à tout moment aux établissements De Bloos les meilleures conditions qu'elle consent à l'exportation» ainsi que l'observation des prix d'achat» visée au point III du formulaire notifié par Bouyer ont ou n'ont pas eu cette portée. |
IV — |
Puisque, comme nous l'avons dit, la troisième question qui vous est posée repose sur un malentendu, il ne nous reste à nous expliquer que sur la quatrième question, qui tend à savoir si un accord d'exclusivité qui est intervenu avant le 22 mars 1967, mais a été notifié avant le 1er février 1963, peut se voir, de toute manière, reconnaître une validité provisoire aussi longtemps que la Commission n'a pas statué à son sujet. Cette question rejoint certaines des interrogations qui vous sont soumises dans l'affaire Bussing, et nous ne nous expliquerons à ce sujet que sous réserve de ce que nous serons amenés à dire à cette occasion. Il nous paraît qu'un point doit être éclairci au préalable. La question part de la prémisse que l'accord a été notifié avant le 1er février 1963, au sens des articles 4 ou 5 du règlement no 17. En vertu de l'article 5 du règlement no 27 de la Commission du 3 mai 1962, «la Commission peut demander qu'un formulaire dûment rempli lui soit remis dans le délai qu'elle fixe. Dans ce cas, les demandes de notification ne sont considérées comme régulières que si les formulaires sont remis dans le délai fixé et conformément aux dispositions du présent règlement». Or, comme nous l'avons dit, la firme De Bloos a fait l'objet d'une demande de renseignements complémentaires le 20 janvier 1964. La Commission lui demandait de préciser, notamment, la nature de l'exclusivité de vente convenue. Le point de savoir si Bouyer a fait l'objet, lui aussi, d'une telle demande, n'a pas été éclairci. Strictement parlant, la notification ne peut donc être considérée comme régulière que si les dispositions du règlement no 27 ont été respectées, dispositions qui sont toujours en vigueur. Nous ne savons pas si cela a été fait, ni à quelle date. Il faut en outre faire un effort pour admettre que la notification datée par Bouyer du 31 janvier 1963, mais enregistrée le 6 février 1963, a été régulièrement effectuée. Normalement, la notification prend effet à la date indiquée par le cachet de la poste du lieu d'expédition (article 5 du règlement no 67/67). La photocopie du formulaire B rempli par De Bloos, produite par la Commission, porte d'ailleurs la mention «lettre nouvelle entente/tardif». Une fois encore, il appartiendra au juge national de vérifier ce point de fait. Nous nous placerons cependant dans l'hypothèse envisagée par le juge national, selon laquelle le contrat a bien été notifié avant le 1er février 1963. Il s'agit donc de préciser ce qu'il faut entendre par «validité provisoire» en attendant que la Commission ait «statué». A cet égard, sans préjudice de ce que nous avons dit du caractère éventuellement insignifiant de l'atteinte portée à la concurrence, les choses nous paraissent relativement simples: ou bien l'accord échappe à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, parce qu'il rentre dans l'une des catégories exemptées en vertu du règlement no 67/67, avec la possibilité pour la Commission de retirer le bénéfice de cette exemption dans les conditions prévues à l'article 7 du règlement du Conseil no 19/65, ou bien il est incompatible avec l'article 85, avec toutefois la possibilité de bénéficier d'une exemption au titre de son paragraphe 3. En vertu de l'article 7, paragraphe 2, du règlement no 17, même si l'entente tombe sous le coup de l'article 85, paragraphe 1, parce qu'elle ne peut bénéficier de l'exemption catégorielle, la Commission peut, en vertu de l'article 7, paragraphe 1, dudit règlement, l'«amnistier» pour autant, bien entendu, que cette entente ait, par la suite, été mise en conformité avec le traité. Mais il ne saurait être question d'amender un contrat régissant les rapports entre des parties qui ont cessé de commercer et il nous paraît tout à fait théorique que la Commission puisse encore «statuer» au sujet d'un tel accord. Du moins, sa lettre du 28 avril 1969, si elle veut dire quelque chose, laisse présumer le contraire. Par conséquent, comme nous le disions dans nos conclusions sous l'affaire 47-76, de Norre, il ne saurait plus être question de validité ou de nullité provisoire, mais simplement de validité ou de nullité tout court, comportant la possibilité, pour les tribunaux, d'ordonner des mesures définitives sous réserve d'une décision ultérieure de la Commission, prise dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3. Il nous paraît normalement improbable que la Commission s'avise de prendre une telle décision, car il n'est ni absurde ni déraisonnable de penser que, pris isolément, un accord «plurinational» tel que celui de l'espèce, même «susceptible de notification», soit beaucoup moins de nature à compromettre le fonctionnement du marché commun que, par exemple, certains accords, même purement nationaux, du type «contrats de brasserie». Si, à l'estime du juge national, l'accord tombe sous l'application de l'article 85, paragraphe 1, sans bénéficier de l'exemption catégorielle du règlement no 67/67, celui-ci devra déclarer le contrat nul. Par contre, même si le juge national reconnaît qu'un accord restreint et affecte le commerce entre les États membres au sens de votre arrêt du 13 juillet 1966 (Consten, Recueil, p. 433), il ne tient qu'à lui de déclarer cet accord pleinement valide s'il n'a pas, en fait, empêché, restreint ou faussé de façon sensible le jeu de la concurrence au sens de votre arrêt du 30 juin 1966 (L.T.M., Recueil, p. 340) et il pourra en prononcer la résolution judiciaire aux fins d'application de la loi belge de 1961. Mais la cause de l'exemption de l'accord sera non pas la position prise par la Commission en avril 1969, mais les dispositions mêmes du traité, directement applicables et appliquées par le juge national (attendu no 4 de l'arrêt de Haecht no II). Ce n'est que si l'accord avait été formellement exempté au titre de l'article 85, paragraphe 3, qu'une telle décision d'exemption ne pourrait plus faire l'objet d'une appréciation de validité dans le cadre de l'article 177, alors que la partie qui se prévaut de cette invalidité était elle-même bénéficiaire de l'exemption et n'avait pas jugé bon d'attaquer cette décision sur la base de l'article 173. |
Sous le bénéfice de ces observations, nous concluons à ce que vous disiez pour droit;
1. |
Le classement par la Commission, le 29 avril 1969, de l'accord litigieux n'est pas un «acte» quant à la validité duquel une question préjudicielle puisse être posée sur la base de l'article 177. |
2. |
La validité ou la nullité de plein droit qu'il incombe au juge national de reconnaître à un accord d'exclusivité intervenu, comme celui de l'espèce, avant le 22 mars 1967 et notifié avant le 1er février 1963 a un caractère absolu. |