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Document 61977CC0029
Opinion of Mr Advocate General Warner delivered on 27 September 1977. # SA Roquette Frères v French State - Administration des douanes. # Reference for a preliminary ruling: Tribunal d'instance de Lille - France. # Monetary compensatory amounts. # Case 29-77.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 27 septembre 1977.
SA Roquette Frères contre État français - Administration des douanes.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Lille - France.
Montants compensatoires monétaires.
Affaire 29-77.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 27 septembre 1977.
SA Roquette Frères contre État français - Administration des douanes.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Lille - France.
Montants compensatoires monétaires.
Affaire 29-77.
Recueil de jurisprudence 1977 -01835
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1977:138
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,
PRÉSENTÉES LE 27 SEPTEMBRE 1977 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
La présente affaire est déférée à la Cour, à titre préjudiciel, par le tribunal d'instance de Lille.
Le demandeur dans le procès pendant devant cette juridiction est la société anonyme Roquette Frères, laquelle exerce ses activités commerciales à Lille, notamment en tant que fabricant et exportateur de produits amylacés dérivés du maïs. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cette entreprise s'est trouvée en cause dans le cadre de procédures dont la Cour a eu à connaître: vous vous souviendrez sans doute, Messieurs, de l'affaire 34-74 Roquette/France, Recueil 1974, p. 1217) — «la première affaire Roquette» — et de l'affaire 26-74, Roquette/Commission, (Recueil 1976, p. 677).
Le défendeur au principal est l'État français, en la personne de l'administration des douanes.
Les griefs du demandeur au principal ont pour objet l'imposition, depuis le 25 mars 1976, de montants compensatoires monétaires sur ses exportations de produits amylacés au départ de la France. Ces montants compensatoires monétaires ont été établis par le règlement de la Commission (CEE) no 652/76, du 24 mars 1976. La société Roquette soutient que ce règlement était non valide, du moins en tant qu'il imposait l'application de montants compensatoires monétaires aux exportations de produits dérivés du maïs au départ de la France. Dans le procès pendant devant le tribunal d'instance de Lille, le demandeur au principal demande à cette juridiction de dire que l'administration des douanes a indûment perçu les montants compensatoires monétaires en question et d'ordonner le remboursement des sommes qu'il a versées au titre de ceux-ci. L'administration des douanes soutient, en bref, pour sa défense qu'elle n'a rien fait d'autre que mettre à exécution la législation communautaire en cause, qui la lie.
Ainsi le tribunal d'instance de Lille a-t-il été amené à déférer à la Cour un certain nombre de questions visant à obtenir que celle-ci contrôle la validité du règlement no 652/76. Ces questions reflètent pour l'essentiel les motifs sur la base desquels le demandeur au principal a soutenu la non-validité du règlement en cause devant la juridiction de renvoi.
II n'est guère nécessaire de vous rappeler, Messieurs, que les montants compensatoires monétaires ont été établis pour la première fois en vertu du règlement du Conseil (CEE) no 974/71, du 12 mai 1971, et que le système instauré par ce règlement a subi de nombreuses modifications depuis lors. En mars 1976, le système se présentait essentiellement comme suit.
Par règlement du Conseil (CEE) no 475/75 du 27 février 1975 (remplacé ensuite par le règlement du Conseil (CEE) no 557/76 du 15.3.1976, modifié par le règlement du Conseil (CEE) no 650/76 du 24. 3. 1976), il a été fixé pour la monnaie de chaque État membre un taux de change «représentatif» par rapport à l'unité de compte (qui est encore toujours, en vertu du règlement du Conseil no 129 du 23 octobre 1962, équivalente à 0,88867088 gramme d'or fin). Le règlement no 475/75 prévoyait que ces taux «représentatifs», qui sont communément connus sous le nom de «taux verts», seraient désormais utilisés «lorsque les opérations à effectuer en application des actes concernant la politique agricole commune» exigent que la monnaie d'un État membre soit exprimée dans une autre monnaie ou en unités de compte. Les taux représentatifs des monnaies des États membres ont été modifiés depuis lors de temps à autre par d'autres règlements du Conseil.
L'article 1, paragraphe 1, du règlement no 974/71, modifie ultérieurement par les règlements du Conseil (CEE) no 2746/72 du 19 décembre 1972 et no 509/73 du 22 février 1973, prévoyait, en tant que cela regarde la présente affaire, que lorsque la moyenne arithmétique des cours de change au comptant de la monnaie d'un État membre constatés au cours d'une période déterminée s'écartait de 1 % au moins du «taux de conversion» (en fait, le taux représentatif), cet État membre était tenu
a) |
de percevoir à l'importation et d'octroyer à l'exportation des montants compensatoires en cas de valorisation de sa monnaie; |
b) |
de percevoir à l'exportation et d'octroyer à l'importation des montants compensatoires en cas de dépréciation de sa monnaie. |
L'article 1, paragraphe 2, du règlement no 974/71 définissait les produits pour lesquels des montants compensatoires devaient être octroyés ou perçus comme étant, en tant que cela regarde la présente affaire:
a) |
«les produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles;» et |
b) |
«les produits dont le pnx est dépendant de celui des produits visés sous a) et qui relèvent de l'organisation commune des marchés.» |
Comme vous le savez, Messieurs, le maïs est un produit pour lequel des mesures d'intervention sont prévues dans le cadre de l'organisation commune du marché des céréales. Les produits dérivés de cette céréale qui ont été exportés par le demandeur au principal, relèvent de la lettre b) du paragraphe 2 de l'article 1 du règlement no 974/71. Il est constant entre le demandeur au principal et la Commission que, si des mesures d'intervention sont, certes, prévues pour le maïs, le fait que la production de cette céréale est déficitaire dans la Communauté et que cette dernière dépend ainsi largement des importations, signifie toutefois que le prix du maïs dans la Communauté est proche de son prix de seuil et que ces mesures d'intervention n'ont donc jamais joué.
L'article 1, paragraphe 3, du règlement no 974/71, tel qu'il a été remplace par le règlement no 2746/72, prévoyait en effet que l'article 1, paragraphe 1, ne s'appliquerait qu'autant que la situation monétaire visée par le règlement «entraînerait des perturbations dans les échanges de produits agricoles». L'article 1, paragraphe 3, est important dans la présente affaire, parce qu'il constitue un des fondements de l'argumentation du demandeur au principal.
L'article 2, paragraphe 1, du règlement no 974/71, modifié par les règlements du Conseil (CEE) no 1112/73, du 30 avril 1973, et no 475/75, auquel référence a déjà été faite, établissait la méthode de calcul des montants compensatoires monétaires pour les produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues, c'est-à-dire pour les produits visés sous a) du paragraphe 2 de l'article 1 du règlement no 974/71. Cette méthode différait suivant que la monnaie d'un État membre faisait ou non partie du «serpent monétaire», c'est-à-dire du système institué en mars 1973 et qui vous est familier, Messieurs, dans le cadre duquel la majorité des monnaies des États membres font l'objet d'un flottement concerté par rapport à d'autres monnaies, tout en maintenant constamment entre elles une fluctuation maxima de leur cours de change au comptant de 2,25 %. Point n'est besoin, croyons-nous, aux fins de la présente affaire, de décrire par le détail ces deux méthodes de calcul. Qu'il suffise de dire qu'elles impliquaient l'usage des «taux centraux» des monnaies du«serpent» comme grandeur de référence (au lieu du dollar US qui avait joué ce rôle jusqu'en 1973) et que, dans le cas d'un État membre dont la monnaie ne se trouvait pas dans le «serpent», les montants compensatoires monétaires devaient être égaux aux montants obtenus en appliquant aux prix concernés la moyenne des différences en pourcentage entre, d'une part, le rapport entre le taux «représentatif» de la monnaie de cet Etat membre et le «taux central» des monnaies du «serpent» et, d'autre part, le cours de change au comptant de cette monnaie par rapport aux monnaies du «serpent». Cela était assorti d'une restriction, introduite par l'article 5 du règlement no 475/75, modifié par l'article 4 du règlement no 557/76, aux termes de laquelle la moyenne en question devait être «diminuée de 1,50 point pour les États membres dont la monnaie est dépréciée». Il semble que cette restriction ait eu pour objet de modérer l'incidence des montants compensatoires monétaires dans ces États membres.
L'article 2, paragraphe 2, du règlement no 974/71 établissait la méthode de calcul des montants compensatoires monétaires pour les produits visés sous b) du paragraphe 2 de l'article 1 du même règlement, c'est-à-dire pour les produits dont le prix était dépendant de celui des produits pour lesquels des mesures d'intervention étaient prévues. Cette disposition prévoyait que, pour ces produits, «les montants compensatoires sont égaux à l'incidence, sur les prix du produit concerné, de l'application du montant compensatoire au prix du produit visé au paragraphe 1, dont ils dépendent».
Enfin, il nous faut encore citer l'article 6 du règlement no 974/71, prévoyant que les modalités d'application du règlement, relatives notamment à la fixation des montants compensatoires, seraient arrêtées selon la procédure des comités de gestion.
Or, vous vous souviendrez, Messieurs, qu'en mars 1976, le 15 de ce mois, le franc français est sorti du «serpent», avec ce résultat qu'il a fluctué immédiatement à la baisse. Point n'est besoin, croyons-nous, d'abuser de votre temps en vous narrant les détails de l'histoire contemporaine du taux représentatif du franc français. L'essentiel des faits est qu'aussi longtemps que le franc français avait été dans le «serpent», l'application des formules adéquates de l'article 2 du règlement no 974/71 avait eu pour résultat que la France n'avait pas été tenue de percevoir ou d'accorder des montants compensatoires monétaires sur ses importations ou ses exportations, alors que la chute du cours de cette monnaie, après qu'elle avait quitté le «serpent», impliquait que la France perçoive des montants compensatoires monétaires sur ses exportations et en accorde sur ses importations.
Le règlement no 652/76 dont le demandeur au principal conteste la validité, a été adopté par la Commission conformément «à l'avis des comités de gestion concernés» (ainsi qu'il est affirmé dans son dernier considérant), en vue de fixer les montants compensatoires monétaires à percevoir et à accorder par la France à partir du 25 mars 1976. Il est un fait que les considérants de ce règlement ne contiennent aucune référence aux perturbations des échanges pouvant se produire en l'absence de ces montants compensatoires monétaires.
De l'exploit d'assignation du demandeur au principal qui se trouve à l'origine du procès pendant devant le tribunal d'instance de Lille, il apparaît que la société Roquette a fondé son action sur trois arguments principaux.
Elle a souligné tout d'abord le fait que les considérants du règlement ne contiennent aucune référence au risque de perturbation des échanges, bien que l'existence d'un tel risque ait été la raison profonde de l'institution des montants compensatoires monétaires. Il est à présumer que son intention était de faire allusion à l'article 190 du traité CEE, aux termes duquel les règlements de la Commission doivent être motivés.
En second lieu, le demandeur au principal a fait valoir que l'institution des montants compensatoires monétaires en cause par le règlement no 652/76 est dépourvue de base légale, étant donné que les mesures d'intervention prévues pour le maïs n'avaient jamais été mises en oeuvre pour les raisons que nous avons déjà indiquées, si bien qu'il n'y avait pas lieu de craindre de perturbations au niveau de ces mesures et qu'il n'y avait pas lieu non plus de craindre de perturbations des échanges d'une autre nature, de sorte que ces montants compensatoires monétaires n'auraient pas été justifiés. Pour souligner le caractère inadéquat de ces montants compensatoires, le demandeur au principal s'est référé au fait qu'ils étaient perçus sur les exportations françaises à destination de pays de la zone franc où, selon lui, les vicissitudes du franc français ne pouvaient avoir aucune incidence sur les marchés.
En troisième lieu, le demandeur au principal a fait valoir que l'imposition des montants compensatoires monétaires en question était en contradiction avec l'article 39 du Traité, en tant que cette disposition (plus particulièrement son paragraphe 1 b) assigne comme objectif à la politique agricole commune, entre autres, «d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture», alors que l'imposition des montants compensatoires monétaires en question a précisément pour effet de diminuer le revenu des agriculteurs français dont les coûts de production augmentent. Nous croyons qu'il faut inférer du texte de l'ordonnance de renvoi que le demandeur au principal a cité, en relation avec cet argument, une proposition soumise par la Commission au Conseil le 5 novembre 1976 d'un règlement du Conseil «relatif à la fixation des taux de conversion représentatifs dans le secteur agricole» (JO no C 274 du 19. 11. 1976, p. 3). La Commission proposait que ce règlement contienne un considérant libellé dans les termes suivants:
«Considérant que l'évolution de la monnaie de certains États membres a conduit plusieurs fois à des montants compensatoires monétaires tels qu'ils détournent le régime de ces objectifs originels; qu'en effet, ces montants ont été introduits dans le but d'empêcher que les changements à court terme des taux de change soient répercutés immédiatement sur les prix agricoles exprimés en monnaies nationales; que toutefois leur maintien en permanence provoque des effets perturbateurs pour l'unicité du marché agricole et des distorsions de concurrence.»
Les questions déférées à la Cour par le tribunal d'instance sont les suivantes:
«A — |
Pour l'instauration ou le maintien des montants compensatoires monétaires, l'article 1, alinéa 3, du règlement no 974/71 du Conseil du 12 mai 1971:
|
B — |
En quoi les perturbations visées doivent-elles consister? |
C — |
Le risque de perturbations doit-il être apprécié au niveau des produits de base (visés à l'article 1, paragraphe 2 a) ou bien au niveau des produits transformés qui sont concernés (visés à l'article 1, paragraphe 2 b) du règlement no 974/71)? |
D — |
Le règlement no 652/76 de la Commission en date du 24 mars 1976 et les règlements subséquents doivent-ils être considérés comme valables au regard de la législation communautaire de base en ce qu'ils instaurent des montants compensatoires monétaires, sur le maïs (10.05 B) et les produits visés à l'article 1, paragraphe 2 b) du règlement no 974/71 qui en dépendent, égaux à l'incidence monétaire totale sur le prix du produit de base, ajustée simplement d'un abattement forfaitaire, sans considérer si cette mesure globale est strictement nécessaire? |
E — |
L'institution et le maintien des montants compensatoires monétaires par le règlement no 652/76 de la Commission et les textes ultérieurs sont-ils conformes aux dispositions de l'article 39 du traité de Rome, alors qu'introduits dans le but d'empêcher que les changements à court terme des taux de change soient répercutés immédiatement sur les prix agricoles en monnaie nationale, ils provoquent selon la Commission (proposition de règlement du 5. 11. 1976) des effets perturbateurs pour l'unicité du marché agricole et des distorsions de concurrence et, alors que selon la société Roquette, ils diminuent le revenu réel des agriculteurs français?» |
La Commission suppose — avec raison, croyons-nous — que l'«abattement forfaitaire» visé à la question D est la réduction de 1,50 point dont il est question dans la disposition introduite par le règlement no 475/75.
Nous croyons qu'il convient d'examiner les questions déférées par le tribunal d'instance dans un ordre légèrement différent de celui dans lequel elles ont été posées.
Il ne saurait faire de doute, à notre avis, que le système des montants compensatoires monétaires a fondamentalement pour but d'éviter que les modifications intervenant dans les cours de change n'affectent directement les prix agricoles exprimés en monnaie nationale en perturbant le fonctionnement des organisations communes de marché. Cela ressort en effet clairement des considérants du règlement no 974/71 lui-même et, de plus, la Cour l'a souligné à plusieurs reprises — voir par exemple l'affaire 5-73, «la première affaire Balkan», Recueil 1973, p. 1091 (en particulier les attendus 13 et 14 de l'arrêt), l'affaire 9-73, Schlüter/Hauptzollamt Lörrach, ibidem, 1135 (en particulier les attendus 14 et 33 de l'arrêt), l'affaire 10-73 Rewe-Zentrale/Hauptxollamt Kehl, ibidem, p. 1175 (en particulier les attendus 14 et 20 de l'arrêt) et très récemment encore l'affaire 97-76 Merkur/Commission (arrêt du 8 juin 1977, non encore publié — en particulier les attendus 16 et 17).
La jurisprudence qui se dégage de ces arrêts ainsi que d'autres encore, tel l'arrêt de la Cour dans l'affaire 55-75 «la seconde affaire Balkan», Recueil 1976, p. 19 (en particulier l'attendu 10 de l'arrêt), montre qu'ainsi que l'a affirmé la Commission, les perturbations de ce genre, intervenant dans les échanges de produits agricoles, peuvent, d'une façon générale, être de deux ordres. Le premier type de perturbations pouvant survenir dans le domaine considéré consiste en la perturbation directe des mesures d'intervention. La Cour en a connu un exemple vivant dans une série d'affaires dont elle a été saisie par le passé et dont la dernière en date était l'affaire 2-75 EVSt für Getreide und Futtermittel/Mackprang, Recueil 1975, p. 607. Vous vous souviendrez, Messieurs, que ces affaires avaient pour objet les conséquences de la dévaluation du franc français intervenue en 1969, laquelle avait incité des négociants allemands à acheter des céréales en France en vue de les revendre avec profit à l'office d'intervention de leur pays, et cela en des quantités telles que la capacité de stockage de cet office risquait d'être épuisée. Le second type de perturbations se situe au niveau du détournement de trafic centre la Communauté et les pays tiers et, en particulier du détournement d'importations via les États membres à monnaie dévaluée, afin d'acquitter des prélèvements moins élevés, et du détournement d'exportations via les États membres à monnaie réévaluée, afin de percevoir des restitutions plus importantes.
Il n'est pas douteux non plus, fût-ce en considération de la disposition de l'article 1, paragraphe 3, du règlement no 974/71, que la Commission n'a pas le pouvoir de fixer des montants compensatoires monétaires ou de maintenir ceux-ci en vigueur, sauf si elle estime qu'à leur défaut, de telles perturbations risquent de se produire. Cela, la Cour l'a également affirmé à de nombreuses reprises — voir en particulier l'affaire 43-72 Merkur/Commission, Recueil 1973, p. 1055, la «première affaire Merkur» (attendus 12 et 16 de l'arrêt où référence est faite au dernier alinéa de l'article 1, paragraphe 2, du règlement qui était la disposition correspondant à celle de l'article 1, paragraphe 3, avant la modification introduite par le règlement no 2746/72) et l'affaire 74-74, CNTA/Commission, Recueil 1975, p. 533 (attendus 19 et 20 de l'arrêt). Il n'en découle cependant pas que, dans les procédures judiciaires ayant pour objet le contrôle de l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire d'appréciation, il y ait une quelconque obligation à la charge de la Commission de démontrer dans un sens positif l'existence d'un risque de perturbation en relation avec les échanges d'un État membre particulier dans le secteur d'un produit déterminé. La Cour a établi trois critères à cet égard.
Le premier est qu'en raison de la célérité avec laquelle la Commission doit agir après un «événement monétaire» dans le domaine considéré, telle que la dévaluation ou la réévaluation d'une monnaie, ou sa sortie du «serpent», et en considération également du grand nombre et de l'énorme variété de produits, produits de base et produits dérivés, relevant des organisations communes des marchés agricoles, il est impossible en pratique pour la Commission, à tout le moins initialement, de considérer chaque type de produit de manière séparée. Elle doit nécessairement procéder de façon globale. Voir, à ce propos, la première affaire Merkur (attendu 24 de l'arrêt), la première affaire Balkan (attendus 20 à 22 de l'arrêt), l'affaire Schlüter (attendus 20 à 22 de l'arrêt) et la seconde affaire Balkan (attendu 9 de l'arrêt).
Comme le montre cette dernière jurisprudence, le deuxième critère est étroitement lié au premier. C'est que, même une fois passé le premier émoi causé par un événement monétaire soudain, la Commission n'est pas tenue de considérer individuellement des produits déterminés; elle peut les considérer en groupes. Ces groupes peuvent consister notamment en produits relevant de la même position tarifaire et assujettis aux mêmes règles en matière de prélèvement. Cet élément n'était pas nouveau dans la seconde affaire Balkan; il avait déjà été souligné dans la première affaire du même nom (voir attendu 41 de l'arrêt). Il est à noter cependant que la présente affaire se rapporte à un groupe de produits de ce genre.
Le troisième critère — qui est, à notre avis, de loin le plus important — tient en ce que la Commission, et les comités de gestion, jouissent d'un large pouvoir d'appréciation pour décider si l'établissement de montants compensatoires monétaires est nécessaire en vue de prévenir un risque de perturbation des échanges dans un secteur particulier. Comme l'exercice de ce pouvoir implique l'évaluation d'une situation économique complexe, le juge appelé à contrôler la légalité de celle-ci «doit se limiter à examiner si elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si cette autorité n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation» — voir l'arrêt dans la seconde affaire Balkan (8e attendu). Une jurisprudence antérieure, tendant vers la même conclusion, se retrouve dans la première affaire Merkur (attendu 23 de l'arrêt), la première affaire Balkan, l'affaire Schlüter et les affaires Rewe-Zentrale (6e attendu de chacun de ces arrêts) et dans l'affaire CNTA (21e attendu de l'arrêt).
C'est cela qui, à notre avis, fait que l'argumentation développée devant la Cour par le demandeur au principal se situe pour une large part, à côté de la question. Celui-ci a cherché, en effet, à nous convaincre qu'en fait, l'imposition de montants compensatoires monétaires aux exportations françaises de produits dérivés du maïs n'était pas nécessaire pour prévenir des perturbations des échanges. Le point capital de l'argumentation du demandeur au principal dans ce domaine tient évidemment dans le fait qu'aucun office d'intervention n'a jamais eu à acheter du maïs, ce qui a amené la Commission à lui répondre que le maïs est substituable, dans une certaine mesure, à l'orge, en particulier en tant qu'aliment pour animaux de même que pour certains usages en matière de brasserie, et que l'orge est certainement un produit qui a donné lieu à intervention, si bien que l'imposition de montants compensatoires monétaires pour le maïs et les produits dérivés de celui-ci était nécessaire en vue de protéger les mesures d'intervention prévues pour l'orge. Un débat s'est ensuite engagé sur cette base entre le demandeur au principal et la Commission au sujet de l'étendue de l'interéchangeabilité du maïs et de l'orge. Mais ce n'est pas à la Cour qu'il appartient, Messieurs, à tout le moins dans le cadre d'une procédure du genre de celle de l'espèce, de décider de la mesure dans laquelle l'orge et le maïs sont interchangeables. Ce qui est essentiel, c'est que le demandeur au principal n'est pas parvenu à établir qu'à cet égard, la Commission et le comité de gestion des céréales ont commis une erreur manifeste ni à démontrer qu'en imposant les montants compensatoires monétaires en question, ceux-ci ont clairement dépassé les limites de leur pouvoir d'appréciation. En fait, il n'a pas été suggéré qu'ils avaient commis un détournement de pouvoir.
Les mêmes considérations confèrent, à notre avis, un caractère inadéquat à la question posée par le tribunal d'instance qui est celle de savoir si le risque de perturbations doit être évalué au niveau des produits de base ou à celui des produits dérivés en cause. La réponse est qu'il peut être évalué à l'un comme à l'autre niveau, ainsi qu'aux deux. C'est à la Commission et au comité de gestion concerné qu'il appartient d'apprécier les risques de perturbation existant soit pour les échanges du produit de base, soit pour les échanges des produits dérivés, soit pour l'un et pour l'autre. Tout ce que l'on peut dire, c'est que s'il leur est permis de fixer les montants compensatoires monétaires pour le produit de base sans les fixer pour les produits dérivés (voir la première affaire Merkur), le contraire n'est pas possible (voir la première affaire Roquette).
La Commission a compris la question D du Tribunal d'instance en ce sens que celui-ci chercherait à s'informer de la validité non seulement de l'imposition des montants compensatoires monétaires ici en cause, mais également de la manière selon laquelle ceux-ci ont été calculés. Et il est dit qu'on ne s'est pas écarté en fait, dans leur calcul, de la méthode imposée par l'article 2 du règlement no 974/71 (tel qu'il a été modifié ultérieurement). Pour notre part, nous n'interprétons pas la question D en ce sens, et, dans les conclusions développées par le demandeur au principal, nous ne trouvons aucune critique spécifique de la méthode de calcul de ces montants compensatoires monétaires. Il nous faut cependant examiner, fût-ce brièvement, deux éléments développés a titre auxiliaire par le demandeur au principal.
Celui-ci a rappelé tout d'abord devant nous l'argument qu'il avait développé devant le tribunal d'instance au sujet des exportations au départ de la France vers les pays de la zone-franc. Cette argumentation est mal conçue, selon nous, étant donné que les montants compensatoires monétaires ont été appliqués en France pour régler les niveaux de prix auxquels le commerce français des produits agricoles a lieu. Dans ce cadre, il importe peu de connaître, dans l'hypothèse du commerce avec des pays tiers, ce que sont leurs propres monnaies.
En second lieu, le demandeur au principal a annexé à ses observations écrites un tableau destiné à montrer que, du fait de l'application des montants compensatoires monétaires, le maïs était moins cher en Allemagne et aux Pays-Bas qu'en France. A l'audience, l'agent de la Commission a démontré, de manière convaincante selon nous, que ce tableau avait été établi sur une base erronée. Nous ne croyons pas devoir dire davantage à ce sujet.
Aussi nous tournerons-nous maintenant vers la question de savoir si le règlement no 652/76 était non valide parce qu'il ne mentionnait pas dans ses considérants le risque de perturbation des échanges.
Il est clair que ce ne saurait avoir été le devoir de la Commission d'établir dans ses considérants, pour chaque produit ou groupe de produit à l'égard desquels les montants compensatoires monétaires étaient instaurés par le règlement, les raisons pour lesquelles, en l'absence de ces montants compensatoires monétaires, il y avait lieu de craindre des perturbations des échanges. Non seulement une telle exigence eût été incompatible avec l'attitude globalisante que la jurisprudence autorisait la Commission d'adopter, mais, une fois de plus, la célérité avec laquelle la Commission était obligée d'agir ainsi que le nombre et la variété des produits qu'elle était tenue de prendre en considération lui eût rendu cette tâche impossible. Il suffit de jeter un regard sur les annexes du règlement et de noter leur nombre et leur complexité pour le comprendre. La position à cet égard est semblable à celle qui se présentait dans l'affaire 5-67 Beus/Hauptzollamt Munich (Recueil 1968, p. 125, 143-144).
Ainsi la question peut-elle seulement être celle de savoir si la Commission était tenue d'affirmer en termes généraux qu'en l'absence des montants compensatoires monétaires fixés par le règlement il y aurait eu un risque de perturbation des échanges — ou, plus exactement, si l'absence d'une telle déclaration constituait une «violation des formes substantielles» (au sens de l'article 173 du Traité), rendant le règlement non valide.
A notre avis tel n'était pas le cas.
Nous vous ferons grâce, Messieurs, de l'énumération détaillée de la jurisprudence de la Cour sur l'interprétation de l'article 190. (Ce travail a d'ailleurs été fait récemment par la doctrine: voir «La motivation des actes des institutions communautaires», par Christian Hen, Cahiers de Droit Européen, 1977, no 1, p. 49). Cette jurisprudence montre que l'exigence de l'article 190, aux termes de laquelle les règlements, directives et décisions du Conseil et de la Commission doivent être motivés, n'est pas une formalité. Son but principal est de permettre aux personnes affectées par ces actes de contester, dans le cadre d'une action engagée par elles, la validité de ces motifs et de permettre à la Cour d'exercer son contrôle juridictionnel. Il existe une certaine jurisprudence (voir par exemple affaire 24-62 Allemagne/Commission, Recueil 1963, p. 129-143), selon laquelle cette règle a encore un autre but, à savoir d'informer les autres intéressés, en particulier les États membres, des circonstances dans lesquelles une institution communautaire a exercé ses pouvoirs.
Or, il est clair que l'insertion par la Commission dans un règlement fixant les montants compensatoires monétaires d'un simple considérant aux fins de dire qu'en leur absence il y aurait lieu de craindre des perturbations des échanges, serait une simple formalité. Cela n'aiderait en rien la personne (tel que le demandeur en l'espèce) voulant contester la validité de ces montants compensatoires, ni la Cour à exercer son contrôle juridictionnel. Aussi, l'omission d'un tel considérant ne saurait-elle constituer une violation des formes substantielles. Nous croyons comprendre que la Commission va plus loin et soutient que l'insertion d'un tel considérant serait inapproprié, étant donné que la matière serait couverte par une présomption. Elle affirme que dès lors qu'il apparaît que sont réunies les conditions monétaires qui, en vertu du règlement du Conseil no 974/71 modifié à plusieurs reprises, appellent à première vue l'application des montants compensatoires monétaires, il y a présomption qu'en l'absence de ces montants compensatoires monétaires, il se produirait des perturbations non souhaitables aux échanges. Nous croyons que cet argument présente un certain attrait, étant donné qu'il est compatible avec la nécessité pour la Commission d'adopter une attitude globale dans la fixation des montants compensatoires monétaires. Peut-être signifie-t-il que la Commission doit seulement indiquer ses raisons lorsque, eu égard à l'article 1, paragraphe 3, du règlement no 974/71, elle estime qu'en dépit des conditions monétaires, il convient d'abroger l'application des montants compensatoires monétaires. Bien que nous jugions cet argument attrayant, ainsi que nous l'avons indiqué, nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'exprimer une opinion concluante à son sujet.
Nous aborderons enfin la question E, déférée par le tribunal d'instance.
Au sujet de cette question, la Commission a fait valoir in limine litis que toute contestation de la validité du règlement no 652/76, motif pris de ce qu'il serait incompatible avec l'article 39 du Traité (ou encore avec l'article 40 auquel l'avocat du demandeur au principal a également fait allusion à l'audience), est mal fondée, étant donné qu'entre ce règlement no 652/76 et le Traité s'insère la législation du Conseil, en particulier le règlement no 974/71. Le règlement no 652/76 ne fait rien de plus, affirme la Commission, que de compléter la législation du Conseil. Si le résultat est incompatible avec le Traité, le vice doit se trouver dans la législation du Conseil.
Ce point nous paraît manifestement correct, mais nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de poursuivre son examen, étant donné qu'il ne nous semble pas qu'il ait été démontré que les résultats de l'application du règlement no 652/76 sont incompatibles avec le Traité.
Il est sans aucun doute correct de dire qu'un de ces résultats a été de réduire les revenus des agriculteurs français, en ce sens que ces revenus ont été rendus inférieurs à ce qu'ils eussent été en l'absence de l'application de montants compensatoires monétaires. Inévitablement, et même axiomatiquement, l'application de montants compensatoires monétaires dans un État membre doté d'une monnaie dévaluée rend les prix des produits agricoles dans cet État membre inférieur à ce qu'ils seraient autrement. Il ne s'ensuit pas toutefois que leur application constitue une violation des articles 39 et 40 du Traité. En premier lieu, il ne faut pas perdre de vue que les divers objectifs de la politique agricole commune, tels qu'ils sont exposés à l'article 39, sont inséparables. La compatibilité avec ces objectifs de toute mesure particulière, adoptée conformément à cette politique, ne saurait être, appréciée en considérant un de ces objectifs isolément. Ainsi que la Cour l'a indiqué dans la première affaire Balkan (attendu no 24 de l'arrêt), en poursuivant ces objectifs, les institutions de la Communauté doivent toujours chercher à concilier les contradictions inhérentes à ceux-ci. En second lieu, à supposer même qu'il faille considérer isolément l'objectif défini sous b), ce qui ne saurait être le cas, il ne serait pas permis de juger séparément, par référence à cet objectif, une mesure déterminée, adoptée en exécution de la politique agricole commune, telle que la fixation de montants compensatoires monétaires. Ce qui devrait être jugé, ce serait tout le complexe de mesures adoptées en exécution de cette politique, en ce compris celles qui ont pour effet d'accroître les revenus des agriculteurs, dont non les moindres sont les prélèvements à l'importation et les restitutions à l'exportation. Lorsque l'article 39, paragraphe 1 b), parle du «relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture», il ne peut viser que le relèvement de ces revenus au-delà de ce qu'ils pourraient être en l'absence du Traité. Il ne saurait vouloir dire qu'il faut les relever au-delà de ce qu'ils pourraient être, compte tenu de tout ce qui découle du Traité, à l'exception des montants compensatoires monétaires. Et lorsque, dans cette disposition, il est question d'un «niveau de vie équitable» de la population agricole, il s'agit là d'un concept politique, dont la portée doit être appréciée par le Conseil, et non pas d'un concept juridique pouvant former (en l'absence, en tout cas, d'inéquité manifeste) la base d'un arrêt de la Cour.
Nous ne croyons pas non plus que la référence à la proposition de la Commission du 5 novembre 1976 puisse aider le demandeur au principal en sa cause. Ainsi que la Commission elle-même nous l'a dit, et cela découle manifestement du texte même de cette proposition, le but que poursuivait la Commission en présentant celle-ci était d'éviter que le système des montants compensatoires monétaires puisse être détourné de son objet initial et devenir une cause de perturbation du fonctionnement du marché commun, en raison du maintien en vigueur de cours de change représentatifs inadéquats des monnaies de certains États membres. Il se peut que la Cour ait à examiner un jour les conséquences juridiques d'une telle situation. Mais rien dans le cadre de la présente affaire n'a été dit qui permette de croire que le cours représentatif du franc français se soit trouve à un niveau inadéquat à un quelconque moment depuis le 25 mars 1976.
En conséquence, nous estimons que rien dans les arguments avancés dans le cadre de la présente affaire ne peut avoir pour effet de jeter le doute sur la validité du règlement no 652/76.
Si vous partagez notre opinion sur ce point, Messieurs, votre décision pourrait prendre deux formes. Elle pourrait, d'une part, répondre par le détail aux questions qui vous sont déférées par le tribunal d'instance. D'autre part, en suivant les précédents établis par la Cour dans des situations similaires dans les deux affaires Balkan, elle pourrait — et c'est la formule que nous vous suggérons — dire simplement que l'examen de ces questions n'a pas révélé d'éléments de nature à affecter la validité du règlement en cause.
( 1 ) Traduit de l'anglais.