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Document 61977CC0007
Opinion of Mr Advocate General Warner delivered on 1 March 1978. # Bernhard Diether Ritter von Wüllerstorff und Urbair v Commission of the European Communities. # Case 7/77.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 1 mars 1978.
Bernhard Diether Ritter von Wüllerstorff und Urbair contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 7/77.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 1 mars 1978.
Bernhard Diether Ritter von Wüllerstorff und Urbair contre Commission des Communautés européennes.
Affaire 7/77.
Recueil de jurisprudence 1978 -00769
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1978:41
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. JEAN-PIERRE WARNER,
PRÉSENTÉES LE 1ER MARS 1978 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Cette affaire fait suite aux affaires 81 à 88/74, Marenco et autres/Commission (Recueil 1975, p. 1247), dans lesquelles la Cour a annulé un certain nombre de décisions de nomination que la Commission avait prises le 22 octobre 1973, motif pris de ce que ces nomimations étaient contraires aux dispositions des articles 7 et 27 du statut en ce qu'ils prévoient qu'aucun emploi ne peut être réservé aux ressortissants d'un État membre déterminé.
Le requérant en l'espèce, M. Bernhard Diether Ritter von Wüllerstorff und Urbair, figurait parmi les requérants dans ce groupe d'affaires. M. Eduardo Capuano, qui avait été nommé à un emploi du grade A 5 de la division «Tabac, houblon, pommes de terre et autres produits des cultures spécialisées» de la direction «Organisation des marchés des produits des cultures spécialisées, pêches» de la direction générale de l'Agriculture, faisait partie des personnes dont la nomination a été annulée par la Cour.
En fait, malgré la décision de la Cour, M. Capuano a été maintenu continuellement dans ses fonctions. A la suite de l'arrêt de la Cour, le contrat en vertu duquel M. Capuano avait été engagé en tant qu'agent temporaire de la Commission jusqu'à la date de sa nomination a été renouvelé jusqu'à ce qu'il soit nommé à cet emploi sur la base d'un concours, avec effet au 1er février 1977. C'est contre son exclusion de ce concours que le requérant a introduit un recours en l'espèce.
Les faits qui intéressent en l'affaire sont les suivants.
En janvier 1976, la Commission a publié l'avis COM/ 1149/75, pour porter la vacance de l'emploi à la connaissance des fonctionnaires (annexe 3 à la requête). Les fonctions afférentes à cet emploi ont été décrites dans les termes suivants:
«Accomplissement de taches de conception, d'étude et de contrôle concernant:
— |
l'établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des pommes de terre, la mise en œuvre de cette organisation ainsi que les études et analyses concernant les marchés des pommes de terre; |
— |
l'application du règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des semences et notamment l'analyse du développement du marché ainsi que l'élaboration et le contrôle de l'application des dispositions communautaires relatives à ce secteur; |
— |
les normes de qualité et de commercialisation ainsi que les problèmes de pathologie végétale de la pomme de terre.» |
Les qualifications requises étaient énoncées comme suit:
«— |
connaissances du niveau universitaire sanctionnées par un diplôme ou expérience professionnelle d'un niveau équivalent; |
— |
connaissance * approfondie des problèmes économiques et techniques dans les secteurs concernés, en particulier du marché des pommes de terre (production, échanges, prix) des pays de la Communauté et des pays tiers; |
— |
expérience dans l'accomplissement des tâches inhérentes à la gestion des organisations communes des marchés agricoles; |
— |
expérience approfondie appropriée à la fonction.» |
L'astérisque faisait référence à une note en bas de page dont les termes étaient les suivants: «Pour autant que cela ne ressorte pas de son dossier de candidature, le candidat doit déclarer explicitement, par écrit, posséder ces connaissances».
Lors de l'audience, il y a eu quelque controverse sur le fait que tant la nature des fonctions que les qualifications requises ont été décrites en termes plus exigeants dans cet avis de vacance que cela n'avait été le cas dans l'avis de vacance de 1972 sur le fondement duquel M. Capuano avait été nommé en 1973 à l'emploi en cause (annexe 2 à la requête). En particulier, le groupe de mots «les normes de qualité et de commercialisation ainsi que les problèmes de pathologie végétale de la pomme de terre» ne figuraient pas alors dans la description des fonctions, pas plus que l'énoncé des qualifications requises ne contenait les termes «en particulier du marché des pommes de terre (production, échanges, prix) des pays de la Communauté et des pays tiers». Il semblait possible que ces éléments supplémentaires aient été introduits dans l'avis de vacance pour que les conditions requises s'appliquent particulièrement aux qualifications de M. Capuano. Cependant, la Commission a pu nous persuader qu'une telle interprétation ne serait pas justifiée. Il semble qu'une pratique se soit instaurée depuis 1974 tendant à ce que les avis de vacance, du moins en ce qui concerne les emplois à la direction générale de l'Agriculture, soient plus précis et soient plus exigeants quant aux conditions à remplir. La Commission a produit un certain nombre d'avis de vacance publiés en 1974 pour illustrer cette pratique. En toute hypothèse, dans cette procédure, le requérant n'attaque pas la validité de l'avis de vacance.
L'avis de vacance a entraîné le dépôt de quatre candidatures pour l'emploi indiqué, au nombre desquelles figurait la candidature du requérant qui, à l'époque, occupait un poste de grade A 6 à la division «Vin, alcools et produits dérivés» de la même direction.
L'acte de candidature du requérant comprenait un formulaire qu'il avait complété en d'autres circonstances, dès le 1er décembre 1966 (annexe XI à la duplique), et un bref complément d'information non daté (annexe VI au mémoire en défense). La teneur de ces deux documents est importante du fait que ce sont les seules pièces concernant le candidat dont disposait le jury constitué pour le concours en question.
Il ressortait du premier de ces documents que le requérant était né en 1933. Cette pièce faisait état des enseignements reçus par le candidat depuis son entrée à l'école primaire en 1943 jusqu'à l'époque où il a quitté l'Université technique de Munich «Technische Hochschule» avec le titre de docteur en sciences agronomiques, en 1962. Cette pièce montrait que, si le candidat avait un domaine de connaissances agronomiques spécialisées, c'était celui de la production laitière. Ensuite, le document contenait une liste des différents emplois que le candidat avait occupés. Ceux-ci étaient de deux natures différentes: les emplois qu'il avait occupés en république fédérale d'Allemagne entre 1957 et 1962 et les emplois qu'il avait occupés à la Commission depuis qu'il était entré au service de celle-ci en 1963. La description de ces emplois ne faisait apparaître aucune spécialisation de la part du candidat, hormis dans des domaines afférents aux produits laitiers.
La seconde pièce du dossier était si brève qu'il nous semble plus simple de la citer in extenso. L'original de cette pièce était en allemand, mais la Commission nous en a fourni une traduction française (conformément à l'article 29, paragraphe 3, du règlement de procédure). Cette traduction est la suivante:
«Je suis affecté depuis le 1er décembre 1970 à la division VI/D/2 (Vin). Dans le cadre de cette division, je traite les règlements et documents de travail concernant la politique des prix, le trafic des marchandises, les aides, questions monétaires, les affaires d'élargissement, les interventions, les procédures d'infraction et les questions écrites.
Je possède de très bonnes connaissances des langues française et anglaise, par écrit et oralement, j'ai de bonnes connaissances de la langue néerlandaise et certaines notions des langues italienne et suédoise.»
Aucun de ces documents ne contenait donc une indication que le requérant disposait de connaissances particulières dans le domaine des pommes de terre ou du marché des pommes de terre. En fait, le mot «pomme de terre» n'apparaissait ni dans l'un ni dans l'autre des documents présentés. Le requérant n'a pas plus usé de la faculté ouverte par la note en bas de page de l'avis de vacance de déclarer qu'il avait des connnaissances approfondies de ce marché.
Chacune des quatre personnes qui avaient posé leur candidature à la suite de l'avis de vacance avait assez d'ancienneté pour être nommée à l'emploi par promotion ou mutation, et, par l'intermédiaire de M. Burns, un assistant du directeur général de l'agriculture, il fut demandé à M. Driesprong, qui était directeur en exercice de la direction en question, de donner une appréciation des qualifications respectives des candidats par rapport aux qualifications requises, fixées dans l'avis de vacance. M. Driesprong a répondu à cette demande par une note du 18 février 1976 adressée à M. Bruns, dans laquelle il expliquait que son appréciation ne se fondait pas uniquement sur le dossier des candidats mais également sur un entretien qu'il avait eu avec chacun d'eux (annexe II au mémoire en défense).
Le requérant nous a fait savoir qu'en fait il avait fait parvenir par écrit à M. Driesprong des informations complémentaires sur sa personne (annexe 8 à la requête). Ce document faisait apparaître qu'entre 1952 et 1954, il avait d'abord travaillé dans une entreprise de sélection de semences et ensuite dans une ferme de recherche de 350 hectares dont 150 hectares étaient consacrés à la culture exclusive de pommes de terre, culture destinée à la production et à la multiplication de nouvelles variétés, et que, par la suite, durant ses vacances, il avait travaillé dans des exploitations de divers pays dont certaines pratiquaient la culture de pommes de terre.
L'appréciation que M. Driesprong avait portée sur le requérant était la suivante:
«Ce candidat, affecté actuellement à la division VI-D-2, est appelé à gérer, pour le secteur de sa compétence, l'ensemble des dispositions en matière de prix, d'interventions sur le marché, d'échanges intra- et extra-communautaires et d'aides d'État, tel que spécifié dans le règlement d'organisation commune de marché. En outre, il a pu, au cours de ses activités antérieures à son entrée dans les services de la Commission, accumuler des expériences poussées en ce qui concerne la culture de la pomme de terre sous tous les aspects ainsi que de sa commercialisation non seulement à l'intérieur de la Communauté mais aussi dans un certain nombre de pays tiers.
Le candidat possède donc des connaissances approfondies du secteur des pommes de terre et une expérience de plusieurs années en matière de gestion d'organisations communes de marchés agricoles, tant dans le secteur laitier que dans celui du vin.»
M. Driesprong concluait en disant ce qui suit:
«M. von Wüllersdorff répond de par sa formation de base, son expérience, ses occupations antérieures et présentes, et ses connaissances linguistiques, parfaitement aux qualifications requises pour le poste annoncé dans l'avis de vacance. Il est, dès lors, à mon avis le candidat qui devrait être appelé à occuper le poste.
Je vous propose donc de faire le nécessaire afin que M. von Wüllerstorff soit nommé sur le poste publié sous le numéro COM/1149/75.»
L'avocat du requérant s'est naturellement fondé pour une grande part et a insisté sur l'opinion ainsi exprimée par le directeur concerné, qui le connaissait bien. Toutefois, le directeur général, M. Rabot, ne partageait pas l'avis de M. Driesprong. Dans une note du 13 mai 1976 (annexe III au mémoire en défense), adressée à M. Baichère, le directeur général du Personnel et de l'Administration, il faisait savoir qu'à son avis aucun des candidats ne remplissait pleinement les conditions requises pour l'emploi. Il estimait que le requérant manquait de connaissance spécifique et technique des secteurs concernés et qu'aucun des candidats ne se distinguait nettement des autres. En conclusion, il estimait qu'il convenait d'organiser un concours sur épreuves écrites et orales. On peut estimer que M. Rabot tenait compte de ce que M. Capuano, qui occupait alors l'emploi en cause, ne pouvait, en tant qu'agent temporaire, être candidat à cet emploi si le poste devait être pourvu par «promotion ou mutation».
En définitive, un avis de concours interne COM/1149/75 sur titres et sur épreuves écrites et orales a été publié, la date limite du dépôt des candidatures étant fixée au 18 octobre 1976. L'énoncé de la nature des fonctions et des qualifications requises des candidats ne différait en rien, pour ce qui intéresse en l'espèce, de celui que contenait l'avis de vacance.
A la suite de cet avis de concours, trois candidatures ont été déposées: celle du requérant, celle de M. Capuano et celle d'un certain M. Udo Wartenberg qui, comme M. Capuano, n'avait pas été candidat à ce poste par voie de «promotion ou de mutation». Le requérant était donc le seul candidat à la première procédure qui avait déposé sa candidature au concours interne.
La première réunion du jury a eu lieu le 16 novembre 1976. Outre son président, M. Bruns, le jury comprenait quatre membres. Toutefois, l'un d'eux chargé de «représenter» le Comité du personnel a refusé de prendre part à cette procédure, non pas pour un motif se rapportant aux circonstances de la cause, mais au titre d'une politique qui avait apparemment été adoptée par le Comité du personnel et selon laquelle ses «représentants» avaient mandat de s'abstenir de participer aux travaux des jurys de concours visant à ne pourvoir qu'un seul poste. Les trois autres membres du jury (hormis M. Bruns) étaient le chef de la division «Tabac, houblon, pommes de terre et autres produits des cultures spécialisées», le chef de la division «Recrutement, nomination, promotion» de la direction générale du Personnel et de l'Administration et un membre du service juridique de la Commission. Dans leurs mémoires, les parties ont fait un certain nombre d'affirmations et de contre-affirmations (aucune preuve n'ayant été apportée à l'appui de l'une d'elles) sur le point de savoir si M. Driesprong avait été invité, ou s'il avait dû être invité, à faire partie du jury. A cet égard, nous estimons qu'il suffit de dire que, légalement, rien n'exigeait qu'il soit membre du jury et que, dans la mesure où il avait déjà exprimé son opinion sur la manière de pourvoir le poste vacant, il aurait été probablement peu équitable qu'il fasse partie du jury.
Lors de cette première réunion, le jury a procédé à l'examen que requiert le premier paragraphe de l'article 5 de l'annexe III du statut, c'est-à-dire à l'examen des actes de candidature des candidats (ou «dossiers») aux fins de déterminer s'ils répondent aux conditions fixées par l'avis de concours. A la suite de cet examen, le jury a rejeté les candidatures du requérant et de M. Wartenberg, motif pris, dans les deux cas, de ce que le candidat manquait de «connaissance approfondie des problèmes économiques et techniques dans les secteurs concernés, en particulier du marché des pommes de terre (production, échanges, prix) des pays de la Communauté et des pays tiers» et qu'il manquait également «d'expérience approfondie appropriée à la fonction», voir le rapport du jury (annexe XII au mémoire en duplique). En conséquence, M. Capuano était le seul candidat admis au concours.
Par note du 16 novembre 1976 (annexe 1 à la requête), le requérant était informé de la décision de ne pas l'admettre au concours. Les motifs de la décision du jury lui ont été communiqués sur un formulaire rempli par le jury lui-même et signé par ses membres (annexe V au mémoire en défense). Le formulaire ainsi complété se bornait à mentionner que ni le requérant ni M. Wartenberg ne remplissaient les conditions requises au point II (1) (b) et (d) des conditions prévues sous le titre «conditions d'admission au concours» de l'avis de concours. La condition mentionnée au point II (1) (b) stipulait que le candidat devait posséder une «connaissance approfondie des problèmes économiques et techniques dans les secteurs concernés, en particulier du marché de la pomme de terre (production, échanges, prix) des pays de la Communauté et des pays tiers». Selon la condition mentionnée au point II (1) (d), il devait avoir une «expérience approfondie appropriée à la fonction».
A strictement parler, il ne relève pas de l'affaire de savoir si M. Capuano remplissait les conditions requises dans l'avis de concours. Cependant, il nous semble simplement équitable à son égard et à l'égard du jury de dire qu'à notre avis il ressortait de son dossier qu'il remplissait effectivement les conditions requises (annexe VII au mémoire en défense). La Commission a fait également référence à un curriculum vitae de M. Capuano (annexe VIII au mémoire en défense) dont, selon toute vraisemblance, le jury n'avait pas connaissance mais qu'il nous semble opportun de comparer au complément d'information que le requérant a fourni à M. Driesprong (annexe 8 à la requête). A supposer que ce curriculum vitae puisse avoir une quelconque importance, il nous semble qu'il confirme notre impression que M. Capuano avait effectivement les qualifications requises dans l'avis de concours.
En toute hypothèse, après avoir subi l'épreuve écrite le 23 novembre 1976 et l'épreuve orale le 30 novembre 1976, M. Capuano était admis aux épreuves du concours, de sorte que seul son nom était porté sur la liste d'aptitude accompagnant le rapport du jury. Il était nommé à l'emploi en question le 28 janvier 1977, avec effet au 1er février 1977.
Par décision de la Commission du 8 décembre 1976, le requérant avait été promu entre-temps à un emploi du grade A 5, avec effet au 1er janvier 1977, dans une autre direction de la direction générale de l'Agriculture, à savoir la direction responsable du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole.
En l'espèce, le requérant conclut à ce que la décision du jury refusant de l'admettre au concours soit déclarée nulle et non avenue (et qu'en conséquence, le concours et la nomination intervenus à sa suite soient également déclarés nuls) sur les trois moyens suivants: en premier lieu, que cette décision n'était pas motivée à suffisance, en second lieu qu'elle était entachée d'erreurs de droit et/ou de fait, et enfin qu'elle constituait un détournement de pouvoir.
Aucune preuve n'a été rapportée à l'appui de l'allégation de détournement de pouvoir. La Cour a été invitée à déduire un tel détournement de pourvoir de l'ensemble des faits en tant que tels. Pour notre part, il ne nous semble pas que les circonstances de la cause permettent de conclure en ce sens, la moindre des raisons à cela n'étant pas qu'un tel raisonnement impliquerait que l'on admette l'existence d'un complot entre tous les membres du jury.
Nous n'estimons pas plus que la décision n'était pas suffisamment motivée ou qu'elle était entachée d'une erreur de fait et encore moins d'une erreur de droit. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi le jury n'a pas admis le requérant au concours. Dans les documents dont disposait le jury, rien n'indiquait que le requérant possédait les qualifications requises. Il n'en aurait pas été différemment si le jury avait eu connaissance du complément d'information que le requérant a fourni à M. Driesprong. Le fait qu'il ait travaillé dans des exploitations où l'on cultivait des pommes de terre alors qu'il était jeune, même dans une ferme de recherche, n'était pas une circonstance qui permettait aisément d'en déduire qu'il avait une connaissance approfondie du marché de la pomme de terre «(production, échanges, prix)» dans la Communauté et dans les pays tiers. Le seul élément qui fût en faveur du requérant était l'avis de M. Driesprong, mais c'est une opinion à laquelle M. Rabot ne s'était pas rallié et qui, en toute hypothèse, ne pouvait lier le jury. En réalité, il n'y avait aucune raison pour qu'un membre de ce jury, hormis M. Bruns lui-même, ait connaissance de cet avis favorable.
Au vu de ces circonstances, il ne nous semble pas nécessaire d'abuser de votre temps par une discussion de la jurisprudence citée devant nous sur la question de savoir en quoi consiste une motivation suffisante d'une décision de ce genre: les affaires 44/71 et 27/72, la deuxième et la troisième affaire Marcato (Recueil 1972, p. 427, et Recueil 1973, p. 361), l'affaire 31/75, la deuxième affaire Costacurta (Recueil 1975, p. 1563), l'affaire 9/76, l'affaire Morello (Recueil 1976, p. 1415), et l'affaire 73/76, la troisième affaire Costacurta (Recueil 1977, p. 1163). Nous nous permettrons simplement de dire que, parmi ces précédents, il nous semble que ce soit les faits de la cause Morello qui présentent le plus de similitude avec ceux de l'espèce.
Ces considérations suffisent pour statuer en l'affaire.
Toutefois, pour être complet, nous devons traiter de deux questions soulevées par la Commission quant à la recevabilité de l'action.
La première a son origine dans le fait que la Cour a été directement saisie du recours sans que le requérant ait introduit auparavant une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.
Le problème n'est pas nouveau.
Vous vous souviendrez, Messieurs, que tant dans la deuxième que dans la troisième affaire Marcato, dont les faits ont eu lieu antérieurement à la modification des articles 90 et 91 du statut par le règlement no 1473/72 du Conseil, et, en conséquence, alors qu'un fonctionnaire n'était pas encore tenu d'introduire une telle réclamation avant de former un recours devant vous, votre Cour a estimé que, pour un agent qui désirait contester la validité d'une décision d'un jury, il était dépourvu de sens d'introduire un tel recours administratif du fait que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'avait pas le pouvoir d'annuler ou de modifier cette décision et que le moyen légal dont disposaient les intéressés consistait en une saisine immédiate de la Cour.
Dans la deuxième affaire Costacurta, dont les faits se sont produits après la modification des articles 90 et 91 du statut et dans laquelle le requérant avait suivi la procédure fixée par le statut ainsi modifié en introduisant une réclamation, la Cour a considéré ce qui suit:
«en l'espèce, les faits s'étant déroulés sous l'empire du nouveau statut, il serait contraire à l'équité de tenir rigueur au requérant d'avoir suivi la procédure clairement fixée par les articles 90 et 91 tels que révisés».
Ce faisant, la Cour semble avoir montré son désaccord avec l'opinion que nous avions exprimée alors (Recueil 1975, p. 1575 à 1577) que la réglementation avait été modifiée par l'amendement du statut et que, de surcroît, une réclamation introduite au titre de l'article 90, paragraphe 2, contre une décision d'un jury de concours n'était pas nécessairement sans objet en pratique, tout au moins lorsqu'elle était rapidement transmise au jury du concours.
Dans l'affaire Morello, l'avocat général M. Mayras (qui, dans la troisième affaire Marcato, avait déjà émis une thèse analogue à la nôtre, Recueil 1973, p. 375 à 376) avait admis que le droit applicable tel que la Cour l'avait interprété dans la deuxième affaire Costacurta était contradictoire (Recueil 1976, p. 1423 et 1424). Dans l'affaire Morello, la Cour elle-même avait estimé qu'il n'était pas nécessaire de traiter de cette question.
En l'espèce, la Commission nous a fait le compliment de revenir sur les problèmes que nous avions évoqués dans la seconde affaire Costacurta et de les développer. Il est évident qu'à cet égard nous éprouvons une grande sympathie pour la Commission, notamment parce que nous craignons que le droit, tel qu'il semble découler de la seconde affaire Costacurta, soit une source de litiges inutiles devant votre Cour. Toutefois, ainsi que la Commission l'a fait remarquer, dans un domaine tel que celui-ci, l'essentiel est que les intéressés puissent être sûrs du droit applicable. Les fonctionnaires de la Communauté et les institutions communautaires doivent savoir quelle est la procédure à suivre. Telle est la raison pour laquelle nous estimons que vous ne devriez pas suivre l'argumentation avancée par la Commission. Toutefois, dans l'hypothèse où vous seriez impressionnés par les considérations juridiques et pratiques qui conduisent à mettre en doute la licéité de la règle contenue dans le second arrêt Costacurta au point d'estimer qu'il convient de la reconsidérer, nous estimons que la voie à suivre serait que vous renvoyiez l'affaire devant la Cour en formation plénière conformément à l'article 95, paragraphe 3, du règlement de procédure. En fait, le requérant s'est garanti contre le risque que le présent recours soit déclaré irrecevable en introduisant une réclamation et en formant un autre recours contre le rejet de celle-ci (affaire 107/77). Dans cette affaire, la procédure a été suspendue dans l'attente d'une décision en l'espèce.
Le second problème de recevabilité soulevé par la Commission est fondé sur le fait que le requérant a été promu à un emploi du grade A 5 avec effet au 1er janvier 1977. La Commission a insisté beaucoup plus fortement sur cette question que sur la première. De l'avis de la Commission, cette promotion privait le requérant de tout intérêt légitime d'agir du fait que l'annulation de la décision ne pourrait lui apporter aucun avantage supplémentaire tant en ce qui concerne son rang qu'en ce qui concerne son ancienneté.
Pour étayer sa thèse, la Commission s'est fondée sur une règle du droit belge selon laquelle un fonctionnaire ne peut contester la nomination d'un autre agent si, entre-temps, il a lui-même été nommé à un autre emploi du même grade dans des circonstances telles qu'il n'en retire pas moins d'avantage d'ancienneté que s'il avait bénéficié lui-même de la nomination contestée (Journal des tribunaux no 50001 du 11 juin 1977, p. 391, note de bas de page no 13). Il semble qu'une règle similaire soit applicable en Italie (Consiglio dello Stato, IVe section, 27 mai 1970, no 382, Rass. 1970, I, p. 848). Néanmoins, nous ne pouvons trouver trace d'une telle règle dans le droit d'aucun des autres États membres, bien que nous devions admettre qu'en ce qui concerne nombre d'entre eux, cela soit dû à ce que leur législation ne reconnaît aucun droit aux fonctionnaires de contester la nomination les uns des autres.
Nous ne nous attendrions pas à déceler l'existence d'une telle règle en droit communautaire. Pour les fonctionnaires de la Communauté comme pour la plupart des autres mortels, le rang et l'ancienneté peuvent avoir moins d'importance que la «satisfaction dans le travail» et les perspectives de carrière. C'est ce que la Cour a reconnu expressément dans l'affaire 35/72, Kley/Commission (Recueil 1973, p. 679, à la page 688) en estimant qu'un fonctionnaire pouvait contester une décision de mutation prise contre sa volonté pour les raisons suivantes:
«attendu que, même si une décision de mutation n'affecte pas les intérêts matériels ou le rang d'un fonctionnaire, elle peut, compte tenu de la nature de la fonction en cause et des circonstances, porter atteinte aux intérêts moraux et aux perspectives d'avenir de l'agent intéressé».
Le même raisonnement est implicite dans des affaires antérieures, telle l'affaire 21/70, Rittweger/Commission (Recueil 1971, p. 7) dans laquelle la Cour a déclaré recevable un recours en annulation de la nomination d'un fonctionnaire à un poste auquel la requérante de l'espèce aurait pu être nommée par simple mutation (p. 15) et telle l'affaire 79/74, Küster/Parlement (Recueil 1975, p. 725) dans laquelle la Cour a jugé que, dans la mesure où les conditions d'accès à l'emploi ont pour effet d'exclure la candidature de fonctionnaires «qui ont vocation à la mutation ou à la promotion», l'avis de vacance constitue un acte «faisant grief à ces fonctionnaires» (à la page 730).
De l'avis de la Commission, dans l'hypothèse où le recours introduit en l'espèce serait déclaré recevable, il en résulterait une atteinte au pouvoir discrétionnaire des autorités investies du pouvoir de nomination d'accorder ou de refuser des mutations. Il nous semble toutefois que, sous-jacente à l'avis de la Commission, se trouve la confusion même que dénonçait M. l'avocat général Trabucchi dans l'affaire Kley, (aux pages 696 à 698), confusion entre l'hypothèse dans laquelle on peut considérer qu'un acte fait grief à un fonctionnaire au sens de l'article 91 du statut, de sorte qu'un recours formé contre cet acte est recevable, d'une part, et, d'autre part, l'hypothèse dans laquelle un acte peut être considéré comme entaché d'illégalité, de sorte que le fonctionnaire a un droit substantiel à ce qu'il soit annulé.
Quelle que pourrait être la situation dans d'autres cas, la Commission a également estimé qu'en l'espèce le requérant n'avait marqué aucun intérêt particulier pour des fonctions d'une certaine nature. En cinq ans, il a posé sa candidature à pas moins de dix-huit postes de grade A 5, dans des domaines très divers, et il a accepté récemment d'être muté à la nouvelle direction générale des Pêches. La Commission en conclut que l'intéressé n'a pas formé le présent recours pour défendre ses intérêts mais pour défendre un principe. A cet égard, nous nous permettrons de dire d'abord qu'il n'est nullement répréhensible d'intenter une action pour défendre un principe et, ensuite, que nous devons connaître de la question de savoir si, d'un point de vue objectif, le requérant avait un intérêt suffisant pour former ce recours et non pas de la question de savoir si, en son for intérieur, il attend vraiment avec impatience d'occuper le poste auquel M. Capuano a été nommé.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous rejetterions le deuxième moyen avancé par la Commission à l'appui de la conclusion que le recours est irrecevable.
Néanmoins, pour les raisons que nous avons déjà développées, nous estimerions qu'il convient de rejeter le recours quant au fond et, en conséquence, de laisser chacune des parties supporter ses propres dépens.
( 1 ) Traduit de l'anglais.