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Document 61976CC0047

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 7 décembre 1976.
Époux de Norre contre N. V. Brouwerij Concordia.
Demande de décision préjudicielle: Hof van Beroep te Gent - Belgique.
Affaire 47-76.

Recueil de jurisprudence 1977 -00065

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1976:175

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 7 DÉCEMBRE 1976

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

C'est tout le problème de l'appréciation des contrats dits «de brasserie», au regard de l'article 85 (paragraphe 1) et des rapports entre autorités communautaires et autorités judiciaires nationales dans l'application de cet article à ces conventions, qui se trouve reposé à l'occasion de la présente affaire.

Rappelons les faits:

Le 7 avril 1966, la brasserie Concordia, de Geraardsbergen (Belgique), a passé avec un couple de cabaretiers un contrat aux termes duquel elle leur prêtait, au taux de 5 % l'an, une somme de 300000 francs belges, remboursable dans un délai de dix ans. Ces débitants s'engageaient, en contrepartie, à ne vendre, dans leur commerce, de boissons autres que celles de la brasserie en question ou fournies par elle, à partir du 1er mai 1966 et pour une durée de 25 années consécutives. Ils s'engageaient en outre, au cas de cession de leur fonds, à transférer cette obligation à leurs ayants cause. Observations que, même si le prêt à l'occasion duquel il avait été pris avait été totalement remboursé, cet engagement de non-concurrence devait continuer jusqu'au 1er mai 1991, bien qu'il ne s'accompagnât plus, dès lors, à strictement parler, d'aucune contrepartie de la brasserie, sinon l'engagement d'approvisionner les tenanciers.

Le fonds de commerce en question a été cédé, le 9 février 1973, aux époux de Norre. Bien qu'ayant assumé entièrement les conditions acceptées par les débitants originaires, les nouveaux tenanciers ont vendu des boissons autres que celles de la brasserie. En conséquence, celle-ci a saisi le tribunal de première instance d'Oudenaarde qui, par jugement (interlocutoire) du 18 octobre 1973, les a condamnés, sans toutefois déclarer son jugement exécutoire par provision, à payer, à titre de dommages-intérêts, à la société Concordia la somme de 25000 francs belges, la fixation définitive du montant du dommage restant réservée.

En appel, les époux de Norre ont notamment fait valoir que le contrat litigieux dont se prévaut la brasserie était interdit et frappé de nullité en vertu de l'article 85 du traité CEE. C'est dans ces conditions que la cour d'appel de Gand, par arrêt interlocutoire du 26 mai 1976, a décidé de surseoir à statuer et de vous soumettre un certain nombre de questions sur lesquelles nous avons à nous expliquer.

Rappelons qu'en droit belge il faut entendre par «contrat de brasserie» un contrat par lequel un brasseur ou un négociant en bière se réserve notamment l'exclusivité de la fourniture d'une ou de plusieurs ou de toutes les boissons vendues ou offertes en vente par un débitant. Rappelons également que ce genre de contrat a fait, en Belgique, l'objet d'une réglementation instaurée pour la première fois par arrêté royal du 28 novembre 1961, qui a été ensuite périodiquement reconduite avec certains aménagements, la dernière fois par arrêté royal du 29 décembre 1972. Ces arrêtés, selon leurs propres termes, «accueillent une requête relative aux obligations de brasserie», déposée en application de l'arrêté royal no 62 du 3 janvier 1935, permettant l'institution d'une réglementation économique de la production et de la distribution. Cette réglementation a chaque fois été prise à la demande d'une majorité «indiscutable» de brasseurs, négociants et débitants, demande qui n'a soulevé «aucune» opposition. Elle étend à tous les intéressés, jusqu'à une date déterminée, un certain nombre d'obligations types, «librement» assumées par les membres des associations ou unions professionnelles de producteurs et de distributeurs.

Il ne vous appartient pas de qualifier le contrat de brasserie en cause. Mais, afin de donner une réponse utile à la juridiction qui vous saisit et de cerner la portée des questions posées, qu'il nous soit permis de préciser qu'il s'agit d'une entente «nouvelle», selon la terminologie en usage, puisque conclue après le 13 mars 1962, à laquelle ne participaient que des entreprises ressortissant à un seul État membre et qu'elle ne concernait, à proprement parler ni l'importation, ni l'exportation entre États membres. En conséquence, elle était dispensée de notification et elle n'a pas été notifiée à la Commission. Elle n'a, par ailleurs, fait l'objet ni d'une «plainte» auprès de la Commission par les cafetiers intéressés, en vertu de l'article 3 du règlement no 17, ni d'une demande d'attestation négative au sens de l'article 2 du règlement no 17, ni d'une demande d'exemption individuelle (au titre de l'article 85, paragraphe 3), ni enfin d'une procédure engagée d'office par la Commission au titre de l'article 85, paragraphe 1.

Toutefois, le 9 octobre 1969, la Commission a décidé d'entreprendre une enquête générale dans le secteur de la brasserie (conformément à l'article 12 du règlement no 17/62 du Conseil; JO du 19 novembre 1969, no C 148, p. 3 et, le 18 juin 1971, elle a adressé trois décisions individuelles à deux brasseries françaises et à une brasserie belge pour leur demander des renseignements, en application de l'article 11, paragraphe 5, du règlement no 17, notamment sur les «contrats d'obligation de fourniture de bière» passés par ces brasseries (JO du 19 juillet 1971, no L 161, p. 2 à 13).

Vous avez déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion de vous prononcer sur les conditions dans lesquelles les articles du traité de Rome relatifs à la concurrence étaient applicables à de tels contrats.

Sans avoir la prétention de mettre, pour ainsi dire, sur ordinateur votre jurisprudence en cette matière, nous essaierons tout d'abord d'en rappeler les traits essentiels, du moins dans la mesure où elle est pertinente et applicable à un cas tel que celui de l'espèce, et, pour ce faire, nous l'analyserons dans l'ordre chronologique.

Selon le dispositif de votre arrêt du 12 décembre 1967, affaire 23-67, de Haecht (Recueil 1967, p. 536 et suiv.), les conventions par lesquelles une entreprise s'engage à ne se fournir que dans une entreprise à l'exclusion de toute autre (en l'espèce, un contrat de brasserie), lorsqu'elles sont susceptibles soit isolément, soit simultanément avec d'autres d'affecter le commerce entre États membres et lorsqu'elles ont soit pour objet, soit pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, réunissent les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec le marché commun, prévus à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Il faut donc rechercher si, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, l'accord est en mesure d'exercer éventuellement une influence directe ou indirecte sur les courants d'échanges entre États membres, de contribuer au cloisonnement du marché et de rendre plus difficile l'interpénétration économique voulue par le traité. Il faut observer les effets d'un tel contrat dans le contexte économique et juridique au sein duquel il se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.

Vous avez ajouté que l'existence d'accords similaires était une circonstance qui, avec d'autres, peut former un ensemble constitutif du contexte économique et juridique dans lequel le contrat doit être apprécié, et que, pour l'appréciation de cet élément l'accord ne peut donc pas non plus être séparé de tous autres au milieu desquels il est inséré.

Cet arrêt nous paraît rester dans la ligne de votre arrêt du 30 juin 1966, La Technique minière, notamment des motifs reproduits aux pages 359 et 360 du Recueil, ainsi que de son dispositif.

En second lieu, appelés à vous prononcer sur le point de savoir si «un contrat de livraison de bière passé antérieurement au 13 mars 1962 entre deux entreprises d'un Etat membre concerne l'importation et l'exportation entre États membres, au sens de l'article 4, paragraphe 2, no 1, du règlement no 17», ainsi que sur le point de savoir si «un tel accord doit être notifié au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, et de l'article 4, paragraphe 2, no 1, du règlement no 17», vous avez jugé, par votre arrêt du 18 mars 1970, affaire 43-69, Bilger (Recueil 1970, p. 135 et suivantes), que, «si un tel accord — passé après ou avant le 13 mars 1962 — considéré dans un ensemble de contrats similaires liant à quelques producteurs nationaux un nombre important de détaillants du même État, peut, le cas échéant, être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, ces pratiques elles-mêmes sont, aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du règlement no 17, dispensées de notification dès lors qu'elles ne concernent ni l'importation, ni l'exportation entre États membres».

Le dispositif de votre arrêt énonce qu'un contrat entre producteur et détaillant autonome, par lequel ce dernier s'engage à se fournir exclusivement chez ledit producteur, établi dans le même État membre et dont l'exécution n'appelle pas le franchissement de frontières nationales par les marchandises en cause, ne concerne ni l'importation ni l'exportation entre États membres, au sens de l'article 4, paragraphe 2, no 1, du règlement no 17, et est, par conséquent, dispensé de la notification prévue aux paragraphes respectifs des articles 4 et 5 de ce règlement.

Sur le point de savoir si le juge national a compétence pour statuer sur la nullité, au regard du droit communautaire, d'un accord qui, tout en relevant de l'article 85, paragraphe 1, du traité, est dispensé de notification et n'a pas été notifié, vous avez dit: «qu'on ne saurait considérer que des accords, conclus avant ou après le 13 mars 1962 et qui sont, par le règlement no 17 même, dispensés de notification, puissent être, avec rétroactivité, frappés de nullité s'ils devaient être ultérieurement reconnus passibles des paragraphes 1 et 2 de l'article 85». Autrement dit, «un accord dispensé de notification et n'ayant pas été notifié sort son plein effet aussi longtemps que sa nullité n'a pas été constatée». C'est le système dit «de la validité provisoire».

Et ceci s'inscrivait dans le droit fil de votre arrêt Portelange du 9 juillet 1969, affaire 10-69 (Recueil 1969, p. 316) dans lequel vous avez dit, notamment: «Aussi longtemps que n'est pas intervenue! a constatation explicite que l'espèce, considérée dans son individualité, réunit non seulement les éléments énoncés par le paragraphe 1 de l'article 85, mais encore ne justifie pas la dérogation prévue par le paragraphe 3, tout accord dûment notifié (ou dispensé de notification, ajouterons-nous) doit être considéré comme valable; il n'en va autrement que si la Commission a fait application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement no 17».

Entre-temps, le 23 janvier 1969, la brasserie de Haecht avait notifié à la Commission un contrat de brasserie type (reprenant toutes les clauses des conventions litigieuses).

Elle soutenait que, par l'effet de cette notification, la procédure était engagée devant la Commission au sens des articles 2, 3. ou 6 du règlement no 17 de sorte que, conformément à l'article 9, paragraphe 3, dudit règlement, seule cette dernière pouvait décider de la conformité ou de la non-conformité des conventions litigieuses avec le traité. En conséquence, elle affirmait qu'en attendant cette décision les conventions devaient être considérées comme valables.

Le tribunal de commerce de Liège, qui était en possession de votre arrêt du 12 décembre 1967, hésitait cependant à considérer que la procédure se trouvait «engagée» au sens de l'article 9, paragraphe 3, et se demandait s'il ne fallait pas exiger en outre un acte positif émanant de la Commission, dans lequel celle-ci aurait manifesté son intention de poursuivre cette procédure.

Par ailleurs, comme la demanderesse demandait au tribunal de statuer sans désemparer sur le mérite de son action en alléguant que les obligations litigieuses de fourniture exclusive auraient dû être respectées, celui-ci, qui ne s'estimait pas complètement éclairé par votre arrêt du 12 décembre 1967, vous a soumis, le 27 juin 1972, de nouvelles questions, dont l'une portait sur le point de savoir si la nullité des accords dispensés de notification est censée constatée à la date où l'une des parties contractantes l'a régulièrement invoquée, à la date du jugement, ou enfin à la date de la décision de la Commission qui la constate.

La portée de votre arrêt rendu le 6 février 1973 (Recueil 1973, p. 85 et suiv.) sur cette seconde affaire de Haecht (48-72) nous paraît pourvoir être analysée comme suit:

A côté de l'intervention éventuelle de la Commission, en vertu des règlements et directives visés à l'article 87, les autorités judiciaires nationales ont compétence, en vertu de l'effet direct de l'article 85, paragraphe 2, pour sanctionner les accords et décisions interdits par la constatation de leur nullité de plein droit.

Il convient donc de déterminer les modalités selon lesquelles l'application judiciaire du deuxième paragraphe de l'article 85 doit se combiner avec le respect dû au principe général de la sécurité juridique.

A cet effet, il faut distinguer entre les accords existant dès avant la mise en vigueur de l'article 85 par le règlement no 17 («anciennes ententes») et les accords intervenus après cette date («ententes nouvelles»).

En ce qui concerne les premiers, la sécurité des contrats exige que, notamment lorsque l'entente a été notifiée conformément aux dispositions du règlement no 17, le juge ne constate sa nullité de plein droit qu après que la Commission a pris une décision en vertu de ce règlement (effet suspensif de la notification).

En ce qui concerne les seconds, la notification effectuée en vertu de l'article 4, paragraphe 1, du règlement no 17 (et, ajouterons-nous, à plus forte raison l'absence de notification) est dépourvue d'effet suspensif: l'entente ne peut être mise en œuvre qu'aux risques et périls des parties.

Dans un tel cas, il appartient au juge d'apprécier, sous réserve de l'application éventuelle de l'article 177, s'il y a lieu de suspendre la procédure afin de mettre les parties en mesure d'obtenir une prise de position de la Commission, à moins qu'il ne constate soit que l'entente n'exerce pas d'effets sensibles sur le jeu de la concurrence ou sur les échanges entre États membres, soit que l'incompatibilité de l'entente avec l'article 85 ne peut faire de doute.

Ces considérations visent notamment les ententes sujettes à l'obligation de notification, conformément à l'article 4 («ententes généralement plus nocives»); mais elles s'appliquent également aux ententes dispensées de notification, cette dispense ne constituant qu'une indication non décisive que les ententes visées sont de façon générale «moins nocives» pour le bon fonctionnement du marché commun. Par conséquent, ces dernières, même si elles sont dispensées de notification, peuvent être notifiées puisqu'elles peuvent concerner, au moins indirectement, l'importation ou l'exportation entre États membres.

La nullité édictée par l'article 85, paragraphe 2, est susceptible d'affecter tous les effets, passés ou futurs, de l'accord; elle produit des effets rétroactifs.

Votre second arrêt de Haecht avait lui-même été préparé par par votre arrêt Béguelin du 25 novembre 1971 (affaire 22-71, Recueil 1971, p. 950) dans lequel vous aviez jugé (p. 961, attendu no 26) qu'«un accord relevant du paragraphe 1 de l'article 85 et n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration d'inapplicabilité individuelle ou collective au titre du paragraphe 3 est frappé de nullité dans la mesure où son objet ou ses effets sont incompatibles avec l'interdiction énoncée dans ce paragraphe», et (attendu no 29) «la nullité visée à l'article 85, paragraphe 2, ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n'a pas d'effet dans les rapports entre les co-contractants et n'est pas opposable aux tiers».

En même temps, cet arrêt était venu étendre aux accords comportant une exclusivité territoriale auxquels ne participent que deux ou plusieurs entreprises ressortissant à des États membres différents ou à un État membre et à un pays tiers la jurisprudence sur l'«effet cumulatif» que vous aviez développée à propos des contrats de brasserie.

«Il convient — avez-vous dit (Recueil p. 959, attendu no 13) — de prendre en considération non seulement les droits et obligations découlant des clauses de l'accord, mais encore le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe, et notamment l'existence éventuelle d'accords similaires passés par le même producteur avec des concessionnaires établis dans d'autres États membres.»

Et encore (p. 960, attendu no 18), pour juger si l'accord affecte de façon sensible le commerce entre États membres et le jeu de la concurrence et est donc justiciable de l'article 85, paragraphe 1, «il y a lieu de prendre en considération, notamment, la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l'objet de l'accord, la position et l'importance du concédant et celles du concessionnaire sur le marché des produits concernés, le caractère isolé de l'accord litigieux ou, au contraire, la place de celui-ci dans un en semble d'accords, la rigueur des clauses destinées à protéger l'exclusivité ou, au contraire, les possibilités laissées à d'autres courants commerciaux sur les mêmes produits par le moyen de réexportations ou d'importations parallèles».

Toutefois, selon une information reçue du greffe du tribunal de commerce de Liège, depuis que vous avez rendu votre second arrêt de Haecht le 6 février 1973, «plus aucun acte de procédure n'a été diligenté» devant ce tribunal. Mais, par arrêt du 30 janvier 1974, affaire 127-73, Sabam/BRT (Recueil 1974, p. 51), vous avez confirmé que les articles 85, paragraphe 1, et 86 engendraient directement, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, notamment dans les litiges de droit privé portés devant elles, mettant en cause, à titre incident, l'abus d'une position dominante ou la licéité d'une entente.

Si la Commission a engagé une procédure en application de l'article 3 du règlement no 17 (aussi bien sur le fondement de l'article 85, paragraphe 1, que de l'article 86), la juridiction nationale saisie peut soit surseoir à statuer en attendant l'issue de l'action de la Commission, si elle l'estime nécessaire pour des motifs de sécurité juridique, soit poursuivre la procédure en constatant ou bien que le comportement litigieux n'est manifestement pas susceptible d'exercer des effets sensibles sur le jeu de la concurrence ou sur les échanges entre États membres, ou bien que l'incompatibilité de ce comportement avec l'article 86 (ou avec l'article 85) ne fait pas de doute.

Enfin, la cour d'appel de Gand se réfère à votre arrêt du 3 février 1976 rendu dans l'affaire 63-75, Fonderies de Roubaix (Recueil 1976, p. 116 et suiv.).

Cette affaire posait la question de savoir si un contrat d'exclusivité de vente dans un État membre de marchandises importées depuis un autre État membre, conclu entre deux entreprises du premier de ces États, devait être ou non considéré comme «concernant» l'importation et, de ce fait, être ou non soumis à la notification prévue à l'article 4, paragraphe 1, du règlement du Conseil no 17.

Par ailleurs, elle soulevait le point de savoir si un tel contrat, à supposer qu'il tombe sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, et ne bénéficie pas de i'exemption par catégorie prévue par l'article 1 du règlement no 67/67 de la Commission du 22 mars 1967 (JO no 57 du 25 mars 1967, p. 849), devait, pour pouvoir bénéficier, en vertu de l'article 85, paragraphe 3, d'une exemption individuelle d'interdiction, avoir été préalablement notifié.

Vous avez jugé que l'article 4, paragraphe 1, du règlement no 17 dispose que les accords visés à l'article 85, paragraphe 1, intervenus après le 13 mars 1962 — date d'entrée en vigueur du règlement no 17 — doivent, pour pouvoir bénéficier de l'article 85, paragraphe 3, avoir été notifiés à la Commission; mais, aux termes du paragraphe 2, 1o, du même article, cette notification n'est pas nécessaire s'il s'agit d'accords auxquels ne participent que des entreprises ressortissant à un seul Etat membre et si ces accords ne concernent ni l'importation ni l'exportation entre États membres.

«L'article 4 du règlement no 17 — avez-vous dit — poursuit des objectifs de simplification administrative en n'obligeant pas les entreprises à notifier des contrats qui, tout en pouvant relever de l'article 85, paragraphe 1, apparaissent, de façon générale, en raison de leurs particularités, moins nocifs et, dès lors, très probablement aptes à bénéficier du paragraphe 3 de l'article 85.»

Telle nous paraît être, Messieurs, rapportée aussi objectivement que possible, votre jurisprudence et, suivant un principe de bonne administration de la justice, nous nous alignerons sur le dernier état de celle-ci. Il faut seulement l'adapter au cas d'espèce dont est saisie la juridiction nationale en répondant aux questions qu'elle vous pose.

I —

Par sa première question, cette juridiction voudrait savoir quels sont les éléments qui, en dehors de l'effet cumulatif qui résulterait éventuellement du jeu de l'ensemble des conventions d'approvisionnement exclusif dans le domaine considéré, doivent lui permettre d'apprécier si la convention particulière dont elle a à connaître est interdite aux termes de l'article 85, paragraphe 1.

Cette question nous paraît solliciter quelque peu votre jurisprudence: vous avez dit qu'il fallait rapprocher la convention en cause de «toutes autres» pour procéder, en quelque sorte, à un «bilan économique» ou, pour reprendre les termes du législateur belge, «rechercher si la réglementation en cause tend, en fait, dans son ensemble, à maintenir les conditions nécessaires en vue de promouvoir une concurrence loyale parmi les producteurs et distributeurs». C'est cette appréciation d'ensemble qui permettra de porter un jugement sur la convention particulière. Vous n'avez pas dit qu'il fallait, outre l'effet cumulatif de ces conventions, prendre en considération d'autres critères. Ces critères, que le juge belge voudrait vous faire préciser, ne doivent être recherchés, dans la mesure où ils ne s'identifient pas avec l'effet cumulatif précité, que si l'appréciation de cet effet ne suffisait pas à faire apparaître que l'accord réunit les conditions de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Par conséquent, pour apprécier l'effet que peut avoir le réseau des contrats de brasserie, le juge devra rechercher quels sont la nature et le volume de la bière distribuée par le canal de tels contrats, quelles sont les possibilités, pour le débitant «tenu», de s'approvisionner en bières étrangères; il devra, à cet effet, apprécier la rigueur plus ou moins stricte des clauses du contrat.

Cet examen devra porter non seulement sur les accords qui lient la même brasserie, considérée en elle-même, à d'autres débitants, mais encore sur l'ensemble des accords qui lient toutes les brasseries de l'État membre considéré aux débitants de cet État.

On comprend qu'une telle perspective n'enchante pas les tribunaux nationaux, qui ne sont guère outillés pour rechercher si, au-delà d'un contrat isolé, considéré dans son individualité, liant tel producteur à tel distributeur, il n'existe pas une pratique concertée qui aurait pour effet, au moins indirectement, d'empêcher que les échanges dans le marché commun ne s'effectuent en pleine concurrence.

Pour tenter de remédier à cette difficulté, la Commission propose, dans ses obersvations écrites, de «faire une différence entre les contributions minimes à l'effet cumulatif visé et les contributions importantes à cet effet… Les entraves à l'accès au marché qui ne revêtent qu'une importance réduite diffèrent notablement des entraves plus importantes … Il est possible de déterminer si la fermeture du marché est à imputer, dans une large mesure, à une accumulation d'entraves minimes ou à l'effet cumulatif de restrictions plus importantes». La Commission ajoute que l'application de cette distinction «ne soulève aucune difficulté insurmontable». En définitive, elle propose, quoique avec des réserves importantes, des «orientations quantitatives» qu'elle voudrait vous faire avaliser à l'occasion du présent renvoi préjudiciel, à défaut d'une «pratique décisionnelle administrative»: tous les réseaux de contrats de brasserie écoulant moins de 100000 hl par an (cas de la brasserie Concordia) devraient échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1.

C'est là peut-être la substance du projet que la Commission se propose, en d'autres instances, d'élaborer en vue de prendre des dispositions normatives concrètes concernant les contrats de brasserie.

Mais, il nous paraît impossible, Messieurs, de répondre, dans le cadre de la présente procédure, à cette sollicitation de la Commission, qui rappelle fâcheusement sa théorie des «petits» abus de position dominante qu'elle a développée devant vous à une autre occasion.

En premier lieu, les pratiques restrictives de la concurrence qui n'ont qu'une importance réduite par rapport à d'autres, plus notables, restent néanmoins «restrictives» par définition. Le problème n'est pas de déterminer la part relative de l'incidence respective des entraves minimes et des restrictions plus importantes sur la fermeture du marché et de savoir si un accord est susceptible de renforcer encore la fermeture d'un marché. Il est de savoir si ce marché est en fait ouvert ou fermé et si cette situation résulte du jeu combiné de l'ensemble des entraves considérées globalement, qu'elles soient importantes ou minimes.

Que la contribution à l'«effet cumulatif» soit minime ou importante, elle participe de cet effet cumulatif.

En second lieu et en tout cas, il nous paraît extrêmements difficile de fixer, à supposer que vous soyez compétents pour le faire, le seuil quantitatif à partir duquel une contribution à une restriction de la concurrence doit être considérée comme interdite. Il n'entre pas dans votre rôle, «dans le cadre de la coopération judiciaire», de fixer des «pourcentages» à partir de données statistiques, au surplus assez différentes selon leurs sources, qui ont bien entendu été contestées à la barre et qui nous paraissent, en effet, contestables.

Les cafetiers en cause au principal, liés à la brasserie Concordia à l'occasion d'un prêt de 300000 francs belges par une exclusivité de 25 ans, et, ajoutons le, les clients de ces cafetiers, désireux d'obtenir une bière autre que celle de cette brasserie, ne comprendraient pas que, par application de la règle des 100000 hl suggérée par la Commission, puisse leur être valablement opposé un contrat de brasserie à raison de ce que cette brasserie n'écoule, par son réseau de contrats, que 75000 hl au plus par an, alors qu en vertu de cette même règle les cafetiers en litige avec la brasserie de Haecht, qui avaient contracté un prêt de 52000 francs belges et qui avaient accepté une exclusivité d'achat pour seulement 5 ans, pourraient valablement exciper de l'incompatibilité du contrat de brasserie alors en cause: le fait que la brasserie de Haecht détienne environ 7 % de la production belge de bière et écoule, par son réseau de contrats, plus de 100000 hl ne change rien à l'affaire. Les uns comme les autres doivent pouvoir exiger que les droits que leur confère l'article 85, paragraphe 1, soient sauvegardés par les juridictions nationales. La moindre «pratique décisionnelle administrative» de la Commission serait plus utile que toutes les observations présentées à l'occasion d'une demande d'interprétation et, puisque le contrat en cause dans l'affaire de Haecht lui a été notifié, on ne comprend pas pourquoi la Commission n'a pas pris position, dans un sens ou dans l'autre, sur ce contrat.

Pour notre part, nous vous avions proposé, dans nos conclusions préliminaires sur l'affaire Sabam/BRT, au moins pour l'hypothèse où la Commission aurait engagé une procédure en application des articles 2, 3 ou 6 du règlement no 17, de dire que les juridictions nationales étaient tenues de surseoir à statuer. Mais, outre le fait que la Commission n'a encore engagé aucune procédure au sens de l'article 9, 3o, de ce texte (l'enquête générale qu'elle a ouverte en octobre 1969 en application de l'article 12 du règlement no 17 ne saurait en tenir lieu, aux termes de votre arrêt du 6 février 1973), l'obligation pour ces juridictions d'appliquer directement l'article 85, paragraphe 1, nous paraît résulter inéluctablement de votre dernière jurisprudence.

En particulier, il est exclu qu'elles puissent ordonner une suspension de la procédure afin de mettre les parties en mesure d'obtenir une prise de position de la Commission (possibilité que vous aviez encore retenue dans votre arrêt du 6 février 1973), alors que l'accord litigieux n'a même pas été notifié et que même l'engagement d'une procédure par la Commission ne dispense pas automatiquement les autorités nationales de se prononcer.

Celles-ci restent donc compétentes — sous réserve d'un recours à l'article 177 — pour se prononcer suivant les critères que nous venons de rappeler.

La suite des questions posées par la cour d'appel de Gand traduit le souci de sortir de ce dilemme soit par la voie d'une exemption catégorielle, soit par celle d'une exemption individuelle, et ce sont les points que nous allons à présent examiner.

II —

Par sa deuxième question, la cour d'appel de Gand voudrait savoir si la déclaration d'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 1, autrement dit «l'exemption par catégorie» instituée, jusqu'au 31 décembre 1982, par l'article 1, 1o, du règlement de la Commission no 67/67 du 22 mars 1967, ne peut et ne doit profiter, notamment, qu'aux accords auxquels ne participent que deux entreprises d'États membres différents et par lesquels l'une s'engage à n'acheter qu'à l'autre dans le but de la revente à l'intérieur d'une partie définie du territoire du marché commun.

Comme le contrat de brasserie en cause ne lie que deux entreprises ressortissant à un seul État membre et qu'il ne détermine aucun territoire au sens de cette disposition, il n'y aurait lieu, par définition, ni à exemption, ni à interdiction.

Une convention du type de celle qui est en cause nous paraît relever de l'alinéa b) de l'article 1, paragraphe 1, du règlement no 67/67. Cet alinéa ne parle que d'un engagement d'achat (dans le but de la revente) exclusif d'une partie à l'autre, sans préciser que cette revente doit avoir lieu «à l'intérieur d'une partie définie du territoire du marché commun». Mais, il est évident qu'un contrat de brasserie vise l'achat exclusif de bière en vue de revente dans un «commerce» bien individualisé «à l'intérieur d'un État membre», c'est-à-dire en définitive «à l'intérieur d'une partie définie du territoire du marché commun».

L'absence de délimination précise d'une partie du territoire du marché commun n'est pas déterminante.

Mais il reste à voir si votre jurisprudence Fonderies de Roubaix peut être appliquée aux conventions d'approvisionnement exclusif classiques dans le secteur de la brasserie, passées entre des entreprises d'un même État membre.

A cet égard, la question posée revient à savoir si l'accord en cause, qui n'avait pas à être notifié, pouvait automatiquement bénéficier d'une exemption catégorielle, ou bien si le fait qu'il n'avait pas à être obligatoirement notifié ne préjuge absolument pas de la possibilité de lui refuser une telle exemption.

L'accord en question est intervenu après le 13 mars 1962; n'y participent que deux entreprises d'un même Etat membre; mais, s'il ne concerne directement ni l'importation, ni l'exportation entre États membres, la cour de Gand relève elle-même «qu'on ne saurait exclure la possibilité que, par l'effet cumulatif des contrats de même nature, les échanges entre les États membres soient affectés de manière perceptible» et que, «si l'exécution des conventions d'approvisionnement exclusif entre entreprises d'un même État membre ne nécessite le franchissement d'aucune frontière», il n'est pas exclu que «de telles conventions reviennent en réalité dans le chef d'une des parties à une interdiction directe d'importation de marchandises en provenance d'autres État membres». De tels accords ne sont pas soumis à notification. Mais rien n'interdit aux entreprises intéressées de procéder à leur notification, avec les avantages que comporte un telle démarche. Il leur appartient de prendre leurs responsabilités à cet égard.

Il est possible que ces accords soient «aptes à bénéficier du paragraphe 3 de l'article 85», comme vous l'avez dit vous-mêmes. Mais l'absence d'obligation de notification ne peut être invoquée en faveur du bénéfice automatique d'une exemption catégorielle et ne préjuge pas non plus de la possibilité de refuser une exemption individuelle. La circonstance que le produit, objet de l'accord en cause, soit un produit national (il n'est d'ailleurs pas exclu que la bière fournie par la brasserie soit en réalité importée d'un autre État membre), n'a pas non plus à elle seule pour conséquence qu'un ensemble de pratiques«liant à quelques producteurs nationaux un nombre important de détaillants du même État» — accompagnées de pratiques similaires dans d'autres États membres — et donc aussi l'accord en cause doivent être considérés comme n'étant pas susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. C'est d'ailleurs ce que relevait l'arrêt de l'Oberlandesgericht de Karlsruhe du 22 juillet 1971, rendu en considération de votre arrêt Bilger.

Un considérant de votre arrêt du 6 mars 1974 dans les affaires jointes 6 et 7-13, Commercial Solvents (Recueil 1974, p. 255) procède de la même idée: il faut envisager, avez-vous dit, la pratique ou l'accord en question «dans toutes ces conséquences pour la structure de la concurrence dans le marché commun sans distinguer entre les productions destinées à l'écoulement à l'intérieur du marché commun et celles destinées à être exportées». S'il est vrai que l'effet pratique des contrats de brasserie se traduit normalement par l'intensification des relations contractuelles entre le brasseur et le cafetier assujetti au respect de ses clauses, il faut aussi rappeler un argument invoqué en 1956 en Belgique contre l'adoption, un moment envisagée, d'une proposition de loi visant à contrôler les contrats de brasserie. «Le dernier argument des brasseurs est tiré de la pratique de tous les autres pays brassicoles (Angleterre, Allemagne, Hollande, France, Luxembourg) où les clauses d'exclusivité sont de règle, à tel point qu'il est extrêmement difficile d'exporter vers ces pays où la distribution est entièrement monopolisée par la production. Aux dires des brasseurs, la réglementation qu'on voudrait imposer chez nous serait de nature à faciliter l'introduction de bières étrangères alors que la porte resterait fermée pour les nôtres chez tous nos voisins.

Ce danger se renforce encore à l'heure actuelle où précisément les barrières douanières vont être abolies entre ces pays» (Yves Ranscelot, Les contrats de brasserie et leur réglementation, in Annales de la faculté de droit de Liège, 1957, p. 197).

Pour que l'arrêt Fonderies de Roubaix soit applicable par analogie, il faudrait que la juridiction nationale constate que le contrat de brasserie en question n'est pas — rapproché de tous autres — susceptible d'affecter le commerce entre États membres. Mais la cour d'appel de Gand ne veut pas aller jusque là, elle se demande seulement si cet accord ne peut pas être traité comme s'il avait été effectivement notifié. Tel n'est, évidemment, pas le cas.

A vrai dire, on pourrait se demander si votre arrêt Fonderies de Roubaix (attendu no 15) n'a pas entendu formellement exempter de l'article 85, paragraphe 1, de façon générale et définitive, la catégorie d'accords auxquels ne participent que des entreprises d'un même État membre et qui concernent la revente de produits à l'intérieur de cet État membre (paragraphe 2 de l'article 1 du règlement no 67/67), en se fondant sur le quatrième considérant du règlement no 67/67, selon lequel «les accords d'exclusivité de ce genre passés à l'intérieur d'un État membre n'étant susceptibles d'affecter le commerce entre États membres que de manière exceptionnelle, il n'est pas besoin de les inclure dans le présent règlement».

Nous en doutons parce que:

1)

même la Commission, seule compétente en vertu des dispositions combinées de l'article 85, paragraphe 3, et de l'article 87 du traité, ainsi que de l'article 1 du règlement du Conseil no 19/65 du 2 mars 1965, n'a pas expressément exempté cette catégorie d'accords;

2)

une telle déduction serait contraire à toute votre jurisprudence antérieure sur «l'effet cumulatif», notamment des contrats dits de brasserie;

3)

vous avez vous-mêmes précisé (Recueil 1976, p. 120, attendu no 19) que le paragraphe 2 de l'article 1 du règlement no 67/67 n'a pas pour objet d'exclure du bénéfice de l'exemption par catégorie (et donc d'exclure du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, et, par voie de conséquence, du règlement no 67/67) les accords qui, quoique passés entre deux entreprises d'un État membre, sont néanmoins, à titre exceptionnel, susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre États membres, mais qui, pour le surplus, remplissent toutes les conditions prévues à l'article 1 du règlement no 67/67. Une exemption par catégorie reste toujours possible pour de tels accords, mais elle ne peut être expressément édictée que par la Commission.

III —

Puisque d'après l'article 1, paragraphe 2, du règlement no 67/67 «le paragraphe 1 n'est pas applicable aux accords auxquels ne participent que des entreprises d'un même État membre et qui concernent la revente de produits à l'intérieur de cet État membre» et à supposer que les contrats de brasserie, qui répondent à cette définition, échappent de piano à l'application de l'article 85, paragraphe 1, et soient automatiquement exemptés de l'interdiction édictée par cet article sans limitation dans le temps et sans qu'il soit besoin de se conformer aux «conditions prévues par le présent règlement», cette juridiction vous demande par sa troisième question si l'exemption de l'obligation de notification au sens de l'article 4, paragraphe 2-1o du règlement no 17 joue au profit de tels accords lorsqu'ils reviennent en réalité à une interdiction directe d'importation en provenance d'autres États membres.

Ainsi se trouve reposé le problème de l'appréciation économique d'ensemble, auquel nous faisions allusion plus haut. Nous nous bornerons quant à nous à relever qu'il n'est nullement interdit aux entreprises de notifier de tels accords à la Commission; au contraire, l'article 4 in fine du règlement no 17 dispose que «ces accords peuvent être notifiés à la Commission». C'est là le préalable nécessaire à l'obtention d'une exemption individuelle pour les ententes «nouvelles». Il leur est également loisible de demander à la Commission une attestation négative au sens de l'article 2 du règlement no 17.

Il appartient donc aux entreprises de se motiver elles-mêmes, d'apprécier la «nocivité» de leurs contrats et de se ménager éventuellement le bénéfice d'une notification préventive.

IV —

A supposer que de tels accords relèvent de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, ils sont nuls de plein droit (article 85, paragraphe 2), avez-vous dit. Mais la cour d'appel paraît quelque peu désorientée par votre jurisprudence à ce sujet.

Par sa quatrième question qui rejoint ainsi la première, elle voudrait savoir si, nonobstant «l'effet cumulatif de tous autres contrats», une convention d'approvisionnement exclusif, relativement sans importance en elle-même, peut échapper à la nullité de l'article 85, paragraphe 2 et, dans l'affirmative, sur la base de quels critères, ou si au contraire la nullité de plein droit frappe l'ensemble des accords dont l'effet cumulatif est négatif.

Permettez-nous de nous référer à cet égard à ce que nous avons dit plus haut. Nous ajouterons que, dans un tel domaine, l'intervention de la Commission paraît hautement souhaitable, sinon nécessaire, pour la sécurité juridique, soit pour interdire en bloc tous les accords de brasserie, soit pour les exempter tous en bloc, soit pour les autoriser sous réserve de certaines conditions en fonction de leur durée et de la quantité écoulée. Mais la Commission a besoin à cet effet de renseignements: d'où l'utilité des notifications et d'une enquête qu'elle s'est finalement résolue à entreprendre en 1969, mais qui n'a encore abouti à aucune mesure concrète. La Commission peut d'ailleurs, conformément à l'article 8 du règlement no 17, aménager sa décision et l'assortir de conditions; si l'accord, quoique dispensé de notification, a été en fait notifié, elle peut déclarer l'article 85, paragraphe 3, applicable et indiquer la date à partir de laquelle sa décision prend effet; cette date peut être antérieure à sa décision et remonter jusqu'à la date de la notification; dans certains cas même, notamment lorsque les accords étaient dispensés de notification, l'effet de la décision peut remonter jusqu'au jour de la conclusion des accords (article 6, paragraphe 2).

Mais, aux tribunaux nationaux, votre jurisprudence ne laisse que l'arme absolue de la nullité de plein droit. Ceux-ci sont placés devant de dilemme suivant: ou faire application de l'article 85, paragraphe 1, ou estimer que l'accord n'entre pas dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, comme étant étranger à la matière, sans même qu'il soit besoin de faire application de l'article 85, paragraphe 3, avec toutefois la faculté de surseoir à statuer, mais seulement pour autant qu'une procédure ait été engagée par la Commission. On comprend, ici encore, que la responsabilité devant laquelle ce juge se trouve placé l'embarrasse quelque peu.

Un point paraît avoir été établi par votre arrêt du 30 juin 1966, affaire La Technique minière (Recueil 1966, p. 360), la nullité de plein droit s'applique aux seuls éléments de l'accord frappés par l'interdiction, ou à l'accord dans son ensemble si ces éléments n'apparaissent pas séparables de l'accord lui-même; toutes autres dispositions contractuelles non affectées par l'interdiction, ne relevant pas de l'application du traité, échappent au droit communautaire.

Mais cette réponse ne saurait satisfaire la juridiction nationale: sur la base de certaines indications de vos arrêts, elle insiste pour savoir si elle peut considérer qu'un accord peut, compte tenu de la faible position des intéressés sur le marché des produits en cause, n'affecter le marché que d'une manière insignifiante et échapper à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1. Pour ce faire, il faudrait considérer cet accord dans son individualité, détaché des pratiques similaires existant dans l'ensemble du territoire du marché commun (arrêt Bilger, Recueil 1970, p. 136), en examiner les effets «détachés du faisceau d'effets, convergents ou non, au milieu desquels ils se produisent» (arrêt Haecht no 1, Recueil 1967, p. 537). Une telle façon de voir nous paraît certes possible et vous l'aviez admise, avant votre arrêt Béguelin, pour les contrats liant des entreprises ressortissant à des États membres différents et concernant les échanges entre États membres.

L'appréciation à laquelle était tenu de se livrer le juge national — aux termes de votre arrêt du 12 décembre 1967 — devrait par ailleurs respecter les principes que vous avez énoncés par arrêt du 9 juillet 1969, Völk, relatif aux accords d'exclusivité avec protection territoriale absolue liant des entreprises ressortissant à des États membres différents, et qui sont les suivants:

«Un accord d'exclusivité, même avec protection territoriale absolue, peut, compte tenu de la faible position des intéressés sur le marché des produits en cause dans la zone faisant l'objet de ladite protection, échapper à l'interdiction prévue à l'article 85, paragraphe 1» (affaire 5-69, Recueil 1969, p. 302).

Mais c'est à la condition qu'il existe des échanges importants entre États membres et que ces contrats, même rapprochés des contrats similaires, n'aient qu'une incidence minime sur ces échanges. Toutefois, la prise en considération de la position ou de l'importance relatives des firmes concernées, s'agissant de produits qui font l'objet d'échanges minimes ou faibles, aboutirait à énerver votre jurisprudence constante relative à l'effet cumulatif et nous ne prendrons pas la responsabilité de vous proposer un tel aménagement en ce qui concerne les contrats de brasserie.

V —

Par sa cinquième question, la juridiction nationale voudrait savoir s'il existe pour elle une obligation ou une faculté de surseoir à statuer tant qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, reste possible. Nul doute que ses préférences n'aillent à une réponse qui lui laisserait une certaine latitude à cet égard. Mais nous estimons que la question a été clairement tranchée par votre jurisprudence Sabam/BRT. On aurait pu, en effet, penser que, si une exemption avait été demandée par l'une ou par les deux parties à l'accord, ou si du moins une procédure avait été effectivement engagée par la Commission, la juridiction devant laquelle le contrat était mis en cause aurait dû surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission ait elle-même pris une décision sur la demande d'exemption ou jusqu'à ce que la procédure intentée par elle ait été close dans un sens ou dans un autre. Or, vous n'avez pas cru devoir vous rallier à cette solution: le juge a la faculté de surseoir à statuer, mais seulement lorsqu'une procédure a été engagée par la Commission. La même solution devrait, à notre sens, être retenue dans l'hypothèse où une demande d'exemption a été formulée, sur laquelle il appartient à la Commission de prendre parti.

Mais le fait qu'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, demeure, en théorie, possible dans l'avenir, sur une demande purement éventuelle, ne dispense pas le tribunal national de statuer.

Il est également exclu que ce tribunal puisse ordonner une suspension de la procédure en vue d'obtenir une prise de position de la Commission, ainsi que vous l'aviez mentionné en passant dans votre arrêt du 6 février 1973. Il ne peut pas non plus se prononcer sur l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3, car l'exercice de cette compétence est réservé à la Commission par l'article 9, paragraphe 1, du règlement no 17. En vertu de l'effet direct de l'article 85, paragraphe 1, le juge national est tenu de statuer sous la seule réserve de recourir à l'article 177. Il n'a le choix qu'entre deux solutions, ou bien constater que l'accord est manifestement contraire à l'article 85, paragraphe 1, ou bien constater que l'accord est manifestement situé en dehors du champ d'application de l'article 85, paragraphe 1. C'est donc une réhabilitation éclatante de la théorie de l'«acte clair» au profit des juridictions nationales, en vertu du principe de la décentralisation et de la sécurité juridique, avec tous les risques de contrariété de jugements que comporte une telle théorie.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième partie de la cinquième question posée par le juge: puisque les juridictions nationales sont tenues de statuer au regard des seules dispositions de l'article 85, paragraphe 1, elles ne peuvent, pour reprendre les termes de l'arrêt de la cour d'appel, «se prononcer négativement sur l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 3».

VI —

Par sa sixième question, la juridiction nationale voudrait savoir quel est le statut d'une convention nouvelle «dont le sort n'est pas immédiatement réglé». Nous supposons que, par ces termes, cette juridiction se réfère à une convention qui, seule ou avec «toutes autres» conventions du même type, est susceptible d'affecter de façon sensible la concurrence et les échanges, mais dont il n'est pas non plus exclu qu'elle puisse bénéficier de l'application de l'article 85, paragraphe 3. Dans ce cas, le «statut» de l'accord en question devrait être réglé par la décision finale de la Commission, sous réserve d'un recours éventuel devant la Cour de justice. Mais, ceci suppose qu'une «procédure» du règlement no 17 ait été engagée soit par la Commission (procédure d'office), soit par les parties à l'accord (notification accompagnée d'une demande d'attestation négative ou d'exemption, «plainte»). Si tel n'est pas le cas, le «statut» de cette convention découle de son appréciation «judiciaire» au regard de l'article 85, paragraphe 1.

Certes, la circonstance que la Commission ait adressé une décision individuelle à trois entreprises bien déterminées peut constituer un préjugé défavorable pour les contrats de brasserie passés par ces trois entreprises ou pour leur compte, mais ne saurait préjuger, ni dans un sens ni dans l'autre, de la validité des autres accords de brasserie. Par ailleurs, le fait qu'une entreprise ait adressé une notification et surtout une demande d'exemption déplace, dans une certaine mesure, la responsabilité de l'état de choses sur la Commission: celle-ci devra en tenir compte dans sa décision finale; mais, en attendant, ceci est sans influence sur l'appréciation judiciaire de l'accord.

Depuis votre arrêt du 6 février 1973, il nous paraît qu'il ne saurait plus être question de validité ou de nullité provisoires, mais simplement de validité ou de nullité tout court, comportant pour les tribunaux la possibilité d'ordonner des mesures définitives, sous réserve d'une décision ultérieure contraire de la Commission. Par conséquent, la notification ou la dispense de notification d'un accord nouveau ne prive pas d'effet rétroactif la constatation par un juge national, statuant à titre incident, de la validité ou de la nullité d'un tel accord.

VII —

Par sa dernière question, la cour d'appel de Gand voudrait que vous lui fournissiez les éléments d'interprétation du droit communautaire qui lui permettent d'apprécier si les dispositions de la réglementation belge régissant les contrats de brasserie sont compatibles avec le droit communautaire.

Il nous paraît que, dans le cadre de l'article 177, vous êtes manifestement incompétents pour répondre à une telle question.

Certes, vous avez jugé (arrêt du 9 juillet 1969, affaire 10-69, Portelange, Recueil 1969, p. 315/316) «que l'article 177 du traité, basé sur une nette séparation de fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, ne permet à celle-ci ni de connaître des faits de l'espèce, ni de censurer les motifs des demandes en interprétation; que la question de savoir si les dispositions ou les notions de droit communautaire dont l'interprétation est demandée sont effectivement applicables au cas d'espèce échappe à la compétence de la Cour et relève de celle de la juridiction nationale; que, dès lors qu'une juridiction demande l'interprétation d'un texte communautaire ou d'une notion juridique rattachée à ce texte, il y a lieu de considérer qu'elle estime cette interprétation nécessaire à la solution du litige dont elle est saisie». Mais vous venez de rappeler encore dans votre arrêt Saieva du 13 octobre 1976 que:

«la Cour n'est pas appelée, cependant, dans le cadre d'un recours préjudiciel en vertu de l'article 177 du traité, à se prononcer sur le sens et la portée de dispositions législatives nationales, mais doit se limiter à l'interprétation des dispositions de droit communautaire en cause».

Le contrat de brasserie en cause est un élément d'un réseau de contrats ayant la même portée dans plusieurs États membres. Il est possible qu'il y ait là un ensemble de pratiques, pratiques non seulement concertées entre les intéressés, mais encore résultant de l'application de textes législatifs ou réglementaires nationaux, même si ces textes interdisent certaines clauses léonines qui compromettraient l'établissement d'une concurrence loyale. Cette situation n'est pas nouvelle. Il appartient au tribunal national de se déterminer à la lumière des textes communautaires et de votre jurisprudence pour donner effet direct aux dispositions du traité qui ont ce caractère.

Nous rappellerons simplement qu'un contrat d'approvisionnement exclusif est susceptible d'affecter le commerce entre États membres et peut avoir pour effet d'entraver la concurrence dès lors que le fournisseur peut empêcher les importations parallèles en provenance d'autres États membres dans une partie du marché commun grâce à la combinaison de ce contrat avec les effets d'une législation nationale en matière de concurrence déloyale.

Pour le reste, vous n'êtes pas compétents, dans le cadre du présent litige, pour vous prononcer sur les mérites de la réglementation belge: la seule voie ouverte à cet effet est le recours en manquement de l'article 169.

Nous pensons enfin qu'il conviendrait de limiter la portée des réponses à donner à la cour d'appel aux contrats de brasserie et de se garder de l'étendre à l'ensemble des contrats liant des entreprises d'un même État membre et portant sur l'exclusivité de vente ou de fourniture d'une marchandise quelconque.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que:

s'agissant d'un contrat d'obligation de fourniture de bière, postérieur au 13 mars 1962, c'est-à-dire d'un accord qui, quoique dispensé de notification, pouvait l'être mais ne l'a pas été et n'a pas fait l'objet de l'engagement d'une procédure formelle par la Commission, il existe des indications non décisives que l'accord en question pourrait être, de façon générale, nocif pour le fonctionnement du marché commun.

Si la nullité d'un tel accord est invoquée à titre incident devant un juge national, celui-ci est tenu de statuer et de constater soit que l'accord n'entre manifestement pas dans le champ d'application de l'article 85, paragraphe 1, soit que son incompatibilité avec cette disposition ne fait pas de doute.

A cet effet, il devra rechercher si, par-delà l'accord en question, il n'existe pas une ou des pratiques concertées entre certains producteurs et certains distributeurs, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l'intérieur du marché commun.

Si ce juge constate que ces pratiques ne sont manifestement pas susceptibles d'avoir cet effet, cet accord est pleinement valide, sous réserve de l'application ultérieure par la Commission de l'article 6 du règlement no 17.

S'il constate que l'incompatibilité de ces pratiques et de cet accord avec l'article 85, paragraphe 1, ne fait pas de doute, cet accord est nul à partir du jour de sa conclusion, sous la même réserve.

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