This document is an excerpt from the EUR-Lex website
Document 61975CC0122
Opinion of Mr Advocate General Reischl delivered on 11 November 1976. # Berthold Küster v European Parliament. # Case 122-75.
Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 11 novembre 1976.
Berthold Küster contre Parlement européen.
Affaire 122-75.
Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 11 novembre 1976.
Berthold Küster contre Parlement européen.
Affaire 122-75.
Recueil de jurisprudence 1976 -01685
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1976:148
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,
PRÉSENTÉES LE 11 NOVEMBRE 1976 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Dans l'affaire que nous examinons aujourd'hui il s'agit d'un rapport de notation établi sur le requérant en vertu de l'article 43 du statut des fonctionnaires.
Ce rapport relatif «à la compétence, au rendement et à la conduite dans le service» porte sur les années 1973 et 1974. Conformément à l'article 43 du statut des fonctionnaires, il a été communiqué au requérant. N'étant pas d'accord avec son contenu, le requérant y a joint des observations le 5 mars 1975. Il s'y déclare surpris de n'avoir obtenu pour la compétence et le rendement que la note «très bon» alors que deux rapports précédents lui avaient attribué à cet égard la note «excellent». Le requérant constate en outre dans les appréciations de synthèse l'absence de remarques relatives à sa vocation à la promotion telles qu'elles avaient figuré dans les deux rapports de notation précédents. A son avis, c est d'autant plus surprenant qu'il a assumé, pendant environ 8 mois de la période couverte par le rapport de notation, l'intérim de chef de division.
Le directeur général du requérant a, dans une note du 12 mars 1975, pris position sur ces observations. Il a notamment indiqué que, dans l'intérêt d'une harmonisation des notations, des directeurs généraux ont décidé de réserver la note «excellent» aux rendements exceptionnels. Il ne voyait donc pas de raison de modifier la notation. Dans une lettre du 21 mars 1975, le requérant a été invité à présenter ses observations sur cette prise de position. Là dessus le requérant a notamment souligné dans sa lettre du 16 avril 1975 que le rapport de notation ne constatait pas le fait qu'il avait assumé dans la période du 1er septembre 1973 au 20 mai 1974 les fonctions d'un chef de division du secrétariat de la commission de la santé publique et de l'environnement. En outre il a rappelé une nouvelle fois que, contrairement aux rapports de notation antérieurs, sa vocation à la promotion n'était pas mentionnée. Si cela signifiait que le requérant n'était plus considéré comme méritant une promotion il aurait, à son avis, été nécessaire de le motiver, conformément à la directive de la présidence du Parlement européen du 21 décembre 1966.
La demande du requérant tendant à faire modifier sa notation dans le sens de ses observations n'ayant pas été accueillie, il a introduit le 17 juin 1975 une réclamation auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Il demandait que lui soit attribuée la note «excellent» pour la compétence et le rendement et que l'on mentionne dans les appréciations de synthèse sa vocation à la promotion. Il exigeait par ailleurs que l'on rappelle qu'il avait assumé pendant la période précitée les fonctions de chef de division. Il souhaitait enfin que les sommaires des arrêts 35-62 et 16-63 (arrêts rendus le 5 décembre 1963, André Leroy/Haute Autorité CECA, Recueil 1963, p. 423) soient retirés de son rapport de notation parce qu'on pouvait supposer que leur citation, et notamment l'accent mis sur le fait que la Cour de justice ne peut pas contrôler le bien-fondé de l'appréciation par l'administration des aptitudes professionnelles d'un fonctionnaire, ne visait qu'à intimider le requérant.
Dans sa lettre du 21 octobre 1975, le président du Parlement européen a souligné d'avance que la réclamation était irrecevable pour forclusion puisque le rapport de notation avait été notifié au requérant au plus tard le 5 mars 1975. Au demeurant, la réclamation aurait été en partie satisfaite lorsque les sommaires évoqués ont été éliminés du rapport et que l'on y a ajouté a posteriori une note relative à l'intérim de chef de division assumé par le requérant. Au reste, la réclamation a été considérée comme non fondée, motif pris de ce que les notes du rapport de notation ne sauraient être contestées et parce que le requérant ne pouvait pas exiger des remarques relatives à sa vocation à la promotion.
En conséquence, le requérant a saisi la Cour de justice le 16 décembre 1975 et conclu à ce qu'il plaise à la Cour:
— |
annuler la décision de rejet de sa réclamation; |
— |
annuler le rapport de notation pour les années 1973 et 1974 et dire qu'il soit retiré de son dossier individuel; |
— |
condamner le Parlement européen a verser un franc luxembourgeois au titre de dommages-intérêts. |
I — |
Pour se prononcer sur ce litige il y a d'abord lieu d'examiner certaines exceptions d'irrecevabilité que le Parlement, partie défenderesse en l'espèce, a opposé au recours. |
1. |
Le Parlement soutient avant tout que les rapports de notation visés à l'article 43 du statut des fonctionnaires ne constituent pas des actes attaquables. Il se réfère à cet égard à l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires et il en conclut que, abstraction faite des abstentions, seules des décisions peuvent être considérées comme actes faisant grief. Il renvoie par ailleurs à la jurisprudence des affaires 177-73 et 5-74 (arrêts rendus le 11 juillet 1974, Andréas Reinarz contre Commission, Recueil 1974, p. 819) selon laquelle peuvent seuls être considérés comme faisant grief les actes «susceptibles d'affecter directement une situation juridique déterminée» (Recueil 1974, p. 828). Le Parlement relève en outre que le statut des fonctionnaires prévoit expressément la faculté pour les fonctionnaires d'apporter des observations aux rapports de notation dont ils font l'objet; en vérité, leur droit de réclamation serait ainsi épuisé. Enfin il y aurait encore lieu de rappeler qu'un recours n'entraîne que le contrôle de la légalité et qu'il ne saurait donc aboutir à ce que la Cour de justice substitue son appréciation à celle de l'autorité compétente. Mais si l'affaire était renvoyée à l'autorité compétente, celle-ci resterait souveraine dans son appréciation du rendement d'un fonctionnaire. A notre avis, il faut d'abord rappeler que les rapports prévus par l'article 43 du statut des fonctionnaires revêtent une importance considérable pour la carrrière des fonctionnaires. Cette constatation résulte de l'article 45 aux termes duquel les promotions sont attribuées après examen des rapports de notation. Ces rapports ont en outre, comme nous l'avons constaté à maintes reprises, un grand poids dans le déroulement des concours. Force est donc d'admettre que des rapports erronés peuvent parfaitement affecter la situation juridique des fonctionnaires et qu'il y a de ce fait un intérêt à ce que les rapports soient contrôlés par la Cour de justice. Même la faculté, prévue par l'article 43 du statut des fonctionnaires, de joindre des observations à ces rapports n'y change rien puisque ces annotations n'entraînent pas dans chaque cas la suppression d'une éventuelle erreur d'appréciation et souvent on ne leur accorde pas une grande importance parce qu'elles émanent de l'intéressé lui-même. Par ailleurs, il nous semble significatif que, également selon la doctrine dominante dans certains États membres (nous avons renoncé à une analyse exhaustive de droit comparé), de tels rapports figurent certainement parmi les actes juridiques attaquables. C'est le cas en droit allemand, comme le révèlent le commentaire de Plog-Wiedow relatif à la «Bundesbeamtengesetz» (loi allemande relative au statut des fonctionnaires fédéraux) et les arrêts cités du Bundesverwaltungsgericht (note 17 sur l'article 172). Le même principe s'applique désormais — au début la jurisprudence était négative — également en droit français. A ce sujet nous renvoyons à Plantey, Traité pratique de la fonction publique, 3e édition, volume 2, no 2311, 2312, et à la jurisprudence du Conseil d'État que l'on y cite. A cet égard il ne s'agit évidemment pas de procéder à un contrôle approfondi et de remplacer l'appréciation portée par l'administration. La procédure juridictionnelle permet cependant de révéler certaines incorrections — par exemple des erreurs de procédure, des données de fait erronées, des lacunes évidentes ou des contradictions — entraînant l'annulation de la notation que l'administration doit ensuite reprendre en évitant les erreurs mises en évidence. Pour ces raisons nous estimons que le terme «décision» de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires ne doit pas être compris dans son sens technique étroit et qu'il y a lieu, dans l'intérêt d'une protection juridique appropriée du fonctionnaire des Communautés dont on ne saurait admettre qu'elle demeure en-deçà du niveau national, de considérer également les rapports de notation de l'article 43 du statut des fonctionnaires comme des actes attaquables. Autrement il ne resterait en effet que la possibilité de révéler d'éventuelles incorrections dans le cadre de procédures engagées contre des actes pour lesquels les rapports de notation ont joué un rôle. Mais cela peut, le cas échéant, retarder l'adoption de décisions importantes à l'égard des fonctionnaires et ce procédé n'est certainement pas dans l'intérêt d'une bonne gestion administrative. La première exception d'irrecevabilité devrait donc être rejetée comme non fondée. |
2. |
Selon une deuxième exception, la réclamation du requérant à laquelle s'applique, aux termes de l'article 90 du statut des fonctionnaires, un délai de 3 mois, n'a pas été introduite à temps. A cet égard, la date de la notification du rapport à l'intéressé serait déterminante et, comme le révèle la signature du requérant, elle serait intervenue au plus tard le 5 mars 1975. En revanche, la signature définitive du rapport par le secrétaire général du Parlement, qui n'a eu lieu que le 17 avril 1975, ne revêtirait aucune importance. A cet égard, il nous semble important que l'article 43 du statut des fonctionnaires confère expressément au fonctionnaire le droit de joindre au rapport toutes les observations qu'il juge utiles. Le requérant a exercé ce droit et, comme nous l'avons vu, son directeur général a pris position à ce sujet le 12 mars 1975. En outre le requérant a été explicitement invité dans une lettre du 21 mars 1975 à se prononcer à cet égard, ce qu'il a fait dans une lettre du 16 avril 1975. Compte tenu de ces faits, on peut certainement affirmer que la procédure de notation n'était pas encore close avec la notification du rapport au requérant et, partant, que le requérant qui avait mis en œuvre la discussion prévue, n'avait pas de raison d'entreprendre une démarche officielle en vue d'ouvrir la procédure juridictionnelle dès la notification du rapport. En outre il importe de relever que la note de service no 66/19 du 21 décembre 1966 dispose expressément que les notations établies par les directeurs généraux ne sont définitives «qu'après visa du secrétaire général». En conséquence, le requérant pouvait à juste titre considérer que la procédure n'était close qu'avec cet acte. Mais comme la réclamation s'avère avoir été introduite dans les délais — l'administration en a été saisie le 17 juin 1975 — en partant de la date du visa du secrétaire général — apposé le 17 avril 1975 —, il y a lieu de constater que la deuxième exception d'irrecevabilité n'est pas non plus pertinente. |
3. |
De l'avis de la partie défenderesse, le recours serait enfin également irrecevable parce qu'il ne saurait en aucun cas être question d'un acte faisant grief, eu égard à l'appréciation de premier ordre que contient le rapport du requérant. Au sujet de cet argument, nous pensons que, dans le cadre du problème de la recevabilité du recours, il importe uniquement de savoir si, selon les allégations du requérant, l'acte attaqué peut être considéré comme un acte lui faisant grief. On peut parfaitement l'affirmer en l'espèce puisque le requérant soutient qu'en comparaison avec les rapports antérieurs, le rapport attaqué contient une diminution objectivement non justifiée dans la notation. Par contre, la question de savoir s'il y a effectivement un acte faisant grief et s'il porte atteinte au statut, ne relève pas de l'examen de la recevabilité mais ne doit être abordée qu'au cours de l'analyse sur le fond du recours. En conséquence, il n'y a pas lieu de rejeter le recours comme irrecevable. |
II — Sur le fond
Avant d'entamer l'examen du bien-fondé du recours, il y a lieu de rappeler que le Parlement a en partie donné satisfaction à la réclamation du requérant, c'est-à-dire tant en ce qui concerne la mention du fait que le requérant a assumé l'intérim d'un chef de division qu'à propos du retrait de son rapport des sommaires d'arrêts gênant le requérant. Il ne s'agit donc à présent que de deux critiques: d'une part, le fait que dans son rapport pour les années 1973 et 1974, le requérant n'ait obtenu pour la compétence et le rendement que la notation «très bon», et d'autre part, la circonstance que les appréciations de synthèse ne mentionnent plus sa vocation à la promotion.
1. |
A cet égard le requérant incrimine d'abord le fait que la modification par rapport aux notations antérieures n'ait pas été motivée, invoquant à l'appui de sa thèse une violation de l'article 25, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, aux termes duquel «toute décision faisant grief doit être motivée». A propos de cette critique, on peut, à notre avis, soulever à juste titre la question de savoir si l'article 25 du statut des fonctionnaires est effectivement applicable aux rapports de notation visés à l'article 43. On peut en effet estimer que seules entrent en ligne de compte à cet égard les dispositions particulières que chaque institution a arrêtées aux fins de l'établissement des rapports de notation, dispositions aux termes desquelles — en ce qui concerne le Parlement — seules les notations extrêmes sont à motiver, mais non pas les modifications par rapport aux notations précédentes — à cet égard les termes de l'article 5 de la note de service no 66/19 précitée sont parfaitement clairs. Mais en définitive, cette question peut rester en suspens, car même si l'on se fonde sur l'application de l'article 25, on ne peut en effet tout au plus en déduire que l'obligation de motiver les notations de caractère négatif. Or, dans le cas du requérant, il ne saurait être question d'une notation négative, puisqu'aucune des notes attribuées au requérant n'est inférieure à «très bon»; par ailleurs, les appréciations de synthèse sont également positives et équivalentes (abstraction faite de l'absence d'une remarque sur la vocation à la promotion) à celles qui figuraient dans les rapports précédents. La critique fondée sur la violation de l'obligation de'motivation n'est donc certainement pas pertinente. |
2. |
En ce qui concerne, ensuite, la justification des notations «très bon» en remplacement des notes «excellent», il convient de constater d'une part, que l'existence d'une appréciation manifestement erronée — la Cour de justice est, comme on le sait, particulièrement prudente dans ce domaine (voir les affaires 27 et 30-64, Fulvio Fonzi/Commission de la CEEA, arrêt rendu le 8 juillet 1965, Recueil 1965, p. 676) — n'a pas été prouvée. Certes, il faut admettre que le Parlement, partie défenderesse en l'espèce, a reconnu en automne 1973, dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, la vocation à la promotion du requérant. D'autre part, il est exact que le requérant a assumé l'intérim d'un chef de division et que les appréciations de synthèse portées à son égard dans le rapport attaqué sont très favorables. Il se peut également, comme le requérant l'a affirme, qu'il ait fait l'objet d'éloges de la part du président et du vice-président des commissions du Parlement. A notre avis, tout ceci ne signifie cependant pas nécessairement qu'il aurait été indiqué de ne lui attribuer que la notation «excellent» au lieu de «très bon». A ce propos, il nous a été expliqué aussi que les directeurs généraux et le secrétaire général étaient convenus de ne plus attribuer la notation «excellent» qu'avec modération et dans de rares cas exceptionnels. Contrairement à la thèse défendue par le requérant, une telle harmonisation dans la pratique des notations est parfaitement possible et ce, parce qu'il s'agit de mesures purement internes au sens de l'arrêt rendu dans l'affaire 16-64 (Gertrud Rauch/Commission de la CEE, arrêt du 31 mars 1965, Recueil 1965, p. 203), même sans l'adoption des dispositions générales d'exécution visées à l'article 110 du statut des fonctionnaires. Comme le Parlement l'a démontré à l'aide d'une statistique, cette harmonisation a, semble-t-il, eu pour conséquence de réduire à un niveau raisonnable l'utilisation de la notation «excellent», qui était très fréquemment attribuée au cours des années précédentes. Or, de ce point de vue, on peut très bien supposer que le requérant a également été traité d'une manière correspondante et qu'il ne s'agit nullement d'une diminution isolée sans raisons objectives de sa notation. La critique formulée par le requérant contre la notation «très bon» dont il a fait l'objet, ne saurait donc être considérée comme bien-fondée. |
3. |
Enfin, le fait critiqué par le requérant, que les appréciations de synthèse du rapport attaqué ne mentionnent plus, contrairement aux rapports précédents, sa vocation à la promotion, appelle les remarques suivantes. A ce propos il convient d'abord de faire abstraction du rapport couvrant les années 1969-1970, car les observations qu'il contient se réfèrent visiblement à une promotion au grade A 4, qui est d'ailleurs intervenue par la suite. A notre avis, il importe d'autre part de souligner qu'une telle constatation n'est imposée par aucune disposition. Le fait qu'elle ait été mentionnée une fois dans le cas du requérant n'établit naturellement pas encore une pratique de caractère obligatoire. Enfin, l'absence d'une remarque relative à la vocation du requérant à la promotion ne signifiait pas — le Parlement en a donné l'assurance — que le requérant ne méritait pas une promotion. D'ailleurs, le contraire résulte en effet d'autres documents, tel que le révèlent précisément les actes de procédures juridictionnelles antérieures auxquels le requérant s'est référé. L'absence d'une proposition de promotion dans le rapport couvrant les années 1973-1974 ne saurait donc pas non plus être considérée comme un motif justifiant son annulation. |
III — |
Par conséquent, nous sommes convaincu que le recours est non fondé dans son ensemble, y compris ses conclusions tendant à la condamnation de la partie défenderesse au versement de dommages-intérêts. Nous suggérons que la Cour de justice statue en ce sens et applique, quant aux dépens, les dispositions de l'article 70 du règlement de procédure. |
( 1 ) Traduit de l'allemand.