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Document 61974CC0029
Opinion of Mr Advocate General Warner delivered on 12 December 1974. # Raphael de Dapper v European Parliament. # Case 29-74.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 12 décembre 1974.
Raphael de Dapper contre Parlement européen.
Affaire 29-74.
Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 12 décembre 1974.
Raphael de Dapper contre Parlement européen.
Affaire 29-74.
Recueil de jurisprudence 1975 -00035
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1974:139
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,
PRÉSENTÉES LE 12 DÉCEMBRE 1974 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Le 20 décembre 1972, le secrétariat général du Parlement a publié l'avis de vacance no 707 concernant trois postes de réviseurs dans la carrière L/A 5-4 (annexe 1 au recours). Ces postes devaient être vacants à partir du 1er janvier 1973 dans la division néerlandaise du service de traduction du Parlement. L'avis indiquait que le président du Parlement (qui était l'autorité investie du pouvoir de nomination) avait décidé de prendre tout d'abord en considération la possibilité de pourvoir à ces postes par promotion ou mutation; et les membres du personnel du secrétariat général ont été invités à poser leur candidature sur cette base. Ces candidatures devaient être introduites par lettre en deux exemplaires.
Dix candidatures ont été reçues et, le 17 janvier 1973, le directeur général de l'administration du personnel et des finances en a transmis la liste à M. Bruch, le directeur compétent, en y joignant une note indiquant qu'aucune de ces candidatures n'était recevable au titre de la mutation, mais que huit d'entre elles, parmi lesquelles celle de M. de Dapper, le requérant dans la présente espèce, étaient recevables au titre de la promotion. Les huit candidats en question étaient tous traducteurs de grade L/A 5, dans la carrière L/A 6-5.
Le 25 janvier 1973, M. Bruch a informé le directeur général (annexe 2 au recours) que les candidatures en cause avaient fait l'objet d'un examen très attentif de la part du directeur du service de traduction et du chef de la division néerlandaise, avec le concours des réviseurs de cette division, et qu'ils en avaient conclu qu'il était impossible, au simple vu des dossiers personnels des candidats, d'affirmer que l'un ou l'autre possédât des qualités si évidentes que l'on puisse «sans hésitation» en proposer trois au titre de la promotion. M. Bruch, en accord avec le directeur du service de traduction et le chef de la division néerlandaise, a suggéré qu'il soit en conséquence proposé à l'autorité investie du pouvoir de nomination de procéder à un concours interne sur épreuves.
Cependant, l'autorité investie du pouvoir de nomination n'était pas favorable à l'organisation d'un tel concours et a demandé qu'un effort soit fait en vue d'opérer une sélection parmi les candidats de telle sorte que, dans la mesure du possible, les postes puissent être pourvus par des promotions.
Le chef de la division néerlandaise et ses trois réviseurs les plus anciens ont alors tenu une réunion et procédé à un nouvel examen comparatif des mérites des candidats. A l'issue de celui-ci, ils ont décidé à l'unanimité d'en proposer trois au titre de la promotion. Le requérant n'était pas de ce nombre. En annexe à une note datée du 9 mai 1973 (annexe 3 au recours), une note signée par le chef de la division néerlandaise et par ses réviseurs les plus anciens, où figuraient leurs propositions (annexe 4 au recours), a été transmise au directeur général par M. Bruch. Dans cette note, M. Bruch mentionnait que ces propositions avaient été approuvées par le directeur du service de traduction. Il ajoutait que pour aboutir à ces propositions il avait été tenu compte de l'ancienneté de grade, de l'ancienneté de service et des notations des candidats.
Le 21 mai 1973, l'autorité investie du pouvoir de nomination a décidé de promouvoir les trois candidats proposés au poste de réviseur dans la carrière L/A 5-4, en grade L/A 5. Cette décision a été publiée le 9 août 1973.
Le 5 novembre 1973, le requérant a introduit auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination une réclamation dirigée contre cette décision en application de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires (annexe 5 au recours). L'autorité investie du pouvoir de nomination a rejeté cette réclamation par lettre du 14 février 1974 (annexe 6 au recours). Le recours introduit par le requérant devant la Cour est dirigé contre la décision de rejet de cette réclamation.
La mise en cause par le requérant de la validité de la décision est fondée sur un certain nombre de moyens.
A notre avis, parmi ces moyens, il en est un, Messieurs, sur la base duquel le requérant doit aboutir.
Vous vous rappelez, Messieurs, que l'article 43 du statut du personnel dispose :
«La compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire, à l'exception de ceux des grades A 1 et A 2, font l'objet d'un rapport périodique établi au moins tous les deux ans dans les conditions fixées par chaque institution, conformément aux dispositions de l'article 110.
Ce rapport est communiqué au fonctionnaire. Celui-ci a la faculté d'y joindre toutes observations qu'il juge utiles.»
Dans la mesure où elles jouent ici, les dispositions adoptées par le Parlement en application de l'article 110 prévoient une période de deux ans entre les rapports et disposent que le premier rapport concernant un fonctionnaire intervient dans un délai de deux années à compter de la titularisation (annexe 1 à la réplique).
L'article 45 du statut dispose entre autres :
«La promotion se fait exclusivement au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d'un minimum d'ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant voca tion à la promotion ainsi que des rapports dont ils ont fait l'objet.»
La Cour a été laissée dans le doute, à la fin de l'audience, quant à la nature précise des documents dont disposaient, à l'époque, les fonctionnaires qui ont fait en mai 1973 les propositions en question. La défense a affirmé, ce que n'a pas contesté le requérant en dernier lieu, que ces fonctionnaires avaient à leur disposition les dossiers personnels des candidats. Il n'est pas certain qu'ils aient disposé des copies des actes de candidatures des candidats ni que ces lettres aient contenu des informations susceptibles d'entrer en ligne de compte, qui n'auraient pu ressortir à la lecture des dossiers. Mais nous n'entendons pas abuser de votre temps, Messieurs, en Vous entraînant dans une discussion sur les preuves portant sur ces points, parce qu'il est une chose qui ne fait aucun doute: les fonctionnaires en question ne disposaient pas de rapports à jour sur le requérant et sur certains autres candidats. C'est ce qu'a admis à l'audience l'avocat de la défense, bien qu'il ait affirmé qu'à l'époque les rapports en question se trouvaient à un stade d'élaboration suffisamment avancée pour qu'il soit possible de les prendre en considération, affirmation que nous trouvons très surprenante, étant donné la jurisprudence de la Cour.
Le dernier rapport sur le requérant a été produit devant la Cour (annexe 2 à la réplique). Il est signé du 21 décembre 1973. Il ressort du dossier personnel du requérant, dont la Cour dispose également, qu'il a été titularisé en janvier 1967, et qu'en conséquence le rapport avait environ onze mois de retard. D'après la partie défenderesse, ce retard est dû aux difficultés nées de l'élargissement des Communautés et du recrutement de personnel supplémentaire qui en est résulté.
Messieurs, nous ne mettons pas en doute l'existence de telles difficultés ni qu'elles puissent expliquer que le rapport sur ce requérant n'ait pas été prêt en janvier, comme il aurait dû l'être, bien que nous observions, à nouveau, à partir du dossier personnel du requérant, que les rapports dont il avait fait l'objet précédemment (datés de 1969 et de 1971) avaient également, chaque fois, été en retard, quoique dans une moindre mesure. A supposer qu'elles constituent une excuse valable en droit, les difficultés auraient à notre avis dû être surmontées en mai. En effet, aucun argument ne nous a été présenté pour justifier qu'elles ne l'aient pas été.
La Cour a affirmé tout à fait clairement que l'article 45 impose un examen scrupuleux des dossiers personnels des candidats, et en particulier des rapports périodiques dont ils ont fait l'objet, de façon à garantir que le large pouvoir d'appréciation qui est conféré par cet article soit exercé en toute connaissance de cause [voir affaire 27-63, Raponi/Commission (Recueil 1964, p. 265 et suiv.), affaires 94 et 96-63, Bernusset/Commission (Recueil 1964, p. 608 et suiv.) et affaire 97-63, De Pascale/Commission (Recueil 1964, p. 1036)]. Plus récemment, la Cour a mis l'accent sur l'obligation de respecter la faculté dont jouit le fonctionnaire, en vertu de l'article 43, de formuler des observations à l'égard du rapport périodique dont il fait l'objet avant que celui-ci ne soit utilisé dans un but quelconque, en particulier dans l'optique de promotions [voir arrêt dans l'affaire 21-70, Rittweger/Commission (Recueil 1971, p. 18) et les conclusions de M. l'avocat général Dutheillet de Lamothe dans cette affaire (Recueil 1971, p. 21 et 22)]. Il n'aurait donc pas été correct de prendre en considération le rapport périodique dont a fait l'objet le requérant en 1973 ayant même qu'il ait été signé.
Il à été dit, au nom de la défense, que l'article 45 n'impose pas de tenir compte des rapports périodiques couvrant une période particulière, et que, en conséquence, peu importait qu'en l'espèce le dernier dont on eut pu disposer sur le requérant soit daté de 1971. Il nous semble, Messieurs, qu'il suffit d'énoncer cette affirmation pour la repousser. L'ar ticle 43 exige que les rapports soient «établis au moins tous les deux ans» et l'article 45 exige que les rapports ainsi établis soient pris en considération.
Nous concluons donc que les promotions en cause dans la présente affaire doivent être déclarées nulles.
Cela étant, nous nous proposons de ne traiter que très brièvement des autres moyens avancés au nom du requérant.
En premier lieu, il a été dit en son nom que l'article 45 dispose qu'une promotion «entraîne pour le fonctionnaire la nomination au grade supérieur de la catégorie ou du cadre auquel il appartient» mais que, cela nonobstant, les trois fonctionnaires promus en l'espèce sont restés dans leur grade.
La défense objecte, à notre avis à très juste titre, que cela ne saurait constituer un moyen légitime de la part du requérant: même s'il y a lieu de donner, en la matière, une interprétation respective à l'article 45, il n'a été lésé dans aucun de ses droits. Mais en toute hypothèse, nous ne pensons pas qu'on puisse interpréter l'article 45 sans se référer à l'annexe I du statut du personnel qui établit les correspondances entre les emplois types et les carrières dans chacune des catégories et cadres. Une analyse de cette annexe révèle l'existence d'un certain nombre de cas où les carrières se chevauchent. Ainsi les carrières dont il est question en l'espèce, c'est-à-dire celles de «réviseur» et de «traducteur» se chevauchent en grade L/A 5. Il semble que, de façon analogue, les carrières de «chef de la division de traduction» et de «réviseur» se chevauchent en grade L/A 4; de même, il existe plusieurs exemples de «chevauchement» entre les carrières du personnel des bureaux d'études et du personnel des ateliers de fabrication de l'Euratom. Il ne saurait faire de doute que le fait, pour un fonctionnaire, d'être nommé dans une carrière supérieure, ainsi par exemple pour un traducteur être nommé réviseur, constitue une «promotion» au sens ordinaire du terme. Peut-on dire, dans le cas d'un traducteur de grade L/A 5, qu'il n'y a pas promotion au sens de l'article 45 s'il n'est pas nommé au grade L/A 4? Nous ne le pensons pas, car cela signifierait qu'en pareil cas, le choix de l'autorité investie du pouvoir de nomination serait soit de ne pas le promouvoir du tout, soit de le promouvoir en passant par-dessus des réviseurs déjà en fonction en grade L/A 5? Il nous semble inconcevable qu'une telle absurdité ait été souhaitée par les auteurs du statut. A notre avis, c'est là un cas où s'applique le principe illustré dans une décision de la Chambre des Lords, intervenue dans l'affaire Luke/CIR (1963) AC 557, selon lequel les termes d'une disposition ne doivent pas être appliqués à la lettre lorsqu'une telle application impliquerait «d'aller à l'encontre de l'intention manifeste du législateur et aboutirait à un résultat tout à fait absurde» (Lord Reid, p. 577).
On a suggéré au nom du requérant que les trois fonctionnaires en cause ont été «mutés» plutôt que «promus» mais, cela ne saurait, à notre avis, être exact. Il nous semble que dans le statut du personnel la «mutation» suppose un transfert à un autre poste dans la même carrière, car aucun procédé de sélection des candidats n'a été prévu à cet effet.
Un autre moyen avancé au nom du requérant était que les fonctionnaires qui ont fait les propositions en question à l'autorité investie du pouvoir de nomina tion, se sont bornés à sélectionner les trois candidats les plus anciens qu'ils n'avaient aucune raison particulière d'exclure. C'est ce que la Cour est invitée à déduire du contenu de la note de M. Bruch du 9 mai 1973, de même que des doutes exprimés quant au point de savoir si les copies des lettres de candidature étaient à la disposition de ces fonctionnaires. En ce qui concerne la note de M. Bruch, cette déduction nous paraît purement et simplement impossible. Nous en déduisons que l'ancienneté a été, à très juste titre, prise en considération comme l'un des facteurs entrant en ligne de compte. A supposer en faveur du requérant qu'elle soit prouvée, l'absence des lettres de candidature n'ajouterait, à ce qu'il nous semble, aucun élément.
En dernier lieu, le requérant affirme que l'autorité investie du pourvoir de nomination s'est rendue coupable d'un détournement ou d'un abus de pouvoir en repoussant la suggestion qui lui a été soumise en premier lieu, d'effectuer un concours interne, et en demandant qu'une autre tentative soit faite pour sélectionner des candidats au titre de la promotion. Messieurs, nous rejetons cette affirmation car elle équivaut à affirmer que l'autorité investie du pouvoir de nomination qui, en droit, prend la décision, était liée par les opinions de ses propres fonctionnaires.
Il reste la question des dépens. Si vous partagez notre opinion sur le fond, Messieurs, le requérant aura abouti et aura droit, prima facie, au remboursement de ses frais. Il aura échoué sur tous ces moyens sauf sur un, mais nous ne pensons pas que les moyens sur lesquels il aura échoué soient de nature à le priver, même partiellement, du droit qu'il a au rembousement de ses frais, pour les avoir pris comme fondement. Nous concluons par conséquent que la défenderesse soit condamnée aux dépens de la procédure.
( 1 ) Traduit de l'anglais.