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Document 61974CC0008
Opinion of Mr Advocate General Trabucchi delivered on 20 June 1974. # Procureur du Roi v Benoît and Gustave Dassonville. # Reference for a preliminary ruling: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgium. # Case 8-74.
Conclusions de l'avocat général Trabucchi présentées le 20 juin 1974.
Procureur du Roi contre Benoît et Gustave Dassonville.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique.
Affaire 8-74.
Conclusions de l'avocat général Trabucchi présentées le 20 juin 1974.
Procureur du Roi contre Benoît et Gustave Dassonville.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique.
Affaire 8-74.
Recueil de jurisprudence 1974 -00837
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1974:66
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,
PRÉSENTÉES LE 20 JUIN 1974 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. |
Quelques dizaines de bouteilles de whisky de deux marques britanniques connues, achetées en France à des concessionnaires exclusifs du producteur après avoir été régulièrement importées et dédouanées, ont été importées en Belgique, en 1970, pour y être vendues. Le produit, régulièrement mis en bouteilles par le producteur, était présenté dans les bouteilles d'origine, sur lesquelles les acquéreurs (le commerçant Gustave Dassonville et son fils Benoît) avaient apposé, avant la mise en vente, une étiquette sur laquelle figurait notamment l'inscription imprimée: «British customs certificate of origin», suivie de l'inscription manuscrite du numéro et de la date de la bouteille attestant le versement de la caution prescrite à l'administration française. A la suite d'une descente sur les lieux effectuée ultérieurement à Uccle dans un magasin d'alcools appartenant aux Dassonville par un inspecteur attaché au contrôle des produits alimentaires, il a été constaté que les Dassonville ne possédaient pas le certificat d'origine de la marchandise, délivré par l'autorité britannique. Bien que l'authenticité du produit ne soit pas contestée, le procureur du roi a intenté contre eux une action pénale, en les accusant d'avoir commis des faux en apposant l'étiquette et les mentions rappelées ci-dessus, en violation tant de l'article 2 du décret royal belge no 57, du 20 décembre 1934, relatif aux eaux-de-vie, que de l'article 1 du même décret, pour avoir importé, vendu, exposé au public, détenu et transporté du whisky portant l'appellation «Scotch Whisky» régulièrement adoptée par le gouvernement belge sans que la marchandise soit accompagnée d'un document attestant officiellement le droit à cette appellation. En substance, les deux accusations pour lesquelles sont prévues des sanctions susceptibles d'aller jusqu'à la réclusion, peuvent se ramener à l'absence de ce document. Dans son ordonnance de renvoi à la Cour, le tribunal des Bruxelles observe que les règles en vigueur en Belgique en matière d'appellation d'origine pourraient avoir pour effet d'isoler complètement le marché belge, surtout du moment que d'autres États membres, comme c'est le cas de la France, ne connaissent pas une réglementation analogue en matière de certificats d'origine: avec cette conséquence, que le tiers acquéreur dans ces États ne serait pas en mesure de se procurer le document exigé pour l'importation en Belgique. La qualité «d'importateur exclusif» des produits considérés qui est revendiquée, pour la Belgique, par les deux entreprises qui se sont constituées parties civiles dans le procès pénal afin de protéger leurs droits d'agents exclusifs de ces produits, revêt un aspect important dans le cadre de cette affaire. Le juge belge observe que le contrat d'exclusivité intervenu entre ces deux entreprises et les producteurs britanniques a été notifié en temps utile à la Commission qui, jusqu'à présent, n'a pas engagé la procédure visée à l'article 9 du règlement no 17. De son côté, dans les observations qu'elle a présentées dans cette affaire, la Commission fait savoir que ses services examinent actuellement un cas pilote de contrat d'exclusivité entre un producteur de whisky et un concessionnaire français, à propos surtout de l'interdiction d'exporter, laquelle, pour ce qui nous intéresse, semble se retrouver également dans les contrats d'exclusivité passés entre chacune des deux entreprises belges qui se sont constituées parties civiles et le fournisseur britannique respectif. Compte tenu de l'effet restrictif que l'application pourrait avoir sur le commerce entre les États membres de la législation belge en vigueur et les prétentions des «importateurs exclusifs» susmentionnés, le tribunal de Bruxelles a demandé à la Cour de justice:
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2. |
L'exigence du certificat d'origine des marchandises provenant d'autres États est d'usage dans le cadre des zones de libre-échange, où, en l'absence d'un tarif douanier extérieur commun, il est nécessaire de distinguer les produits originaires de la zone, admis, comme tels, en libre circulation, des produits en provenance des pays tiers. Dans notre cas cependant, cette exigence n'a pas une fonction douanière, mais elle vise uniquement à protéger le respect des appellations d'origine adoptées par l'autorité belge. A défaut d'une définition communautaire, il est certainement permis à un État membre d'accepter la définition d'un produit typique telle qu'elle est donnée par les autorités compétentes de l'État tiers producteur, afin de protéger l'appellation d'origine de produits étrangers, en exécution d'accords internationaux. Ce que la première question met en cause, ce n'est pas la conformité au traité des législations nationales visant à protéger l'origine des marchandises, mais seulement la licéité du moyen particulier employé par la législation belge, relative à la preuve que le produit est conforme à la définition légale, et qui consiste à exiger un certificat d'origine délivré par les autorités du pays où les marchandises ont été produites même dans le cas où les marchandises ont déjà été régulièrement admises en libre pratique dans un autre État membre. La crainte du tribunal de Bruxelles que cette exigence n'entrave la libre circulation entre les États membres, au point même de l'empêcher radicalement dans certains cas, est certainement fondée. Manifestement, cela se produirait surtout si l'on exigeait un certificat d'origine mis directement au nom de l'importateur belge; ou si, même indépendamment de l'indication du destinataire de la marchandise, l'autorité nationale exigeait le certificat original, sans possibilité de copies équivalentes, fussent-elles authentifiées légalement. En effet, même si on les considère séparément, ces exigences ne pourront pas être facilement satisfaites par celui qui achète les produits de seconde main dans un État membre de la Communauté en vue de les réexporter en Belgique. Mais, sans nous arrêter maintenant sur ces cas extrêmes, nous concentrerons notre examen sur la question plus générale de la compatibilité avec le droit communautaire, de l'exigence du certificat d'origine pour des marchandises portant une appellation régulièrement adoptée dans l'État importateur. L'exigence du certificat d'origine délivré par les autorités du pays de production généralement au moment de l'importation a un effet restrictif sur la circulation des produits entre les États membres en raison des difficultés pratiques que les commerçants de seconde main, lesquels se limitent normalement à acheter au concessionaire exclusif un lot d'une fourniture plus importante, rencontrent pour se procurer le certificat. Bien que les tiers, eux aussi, aient théoriquement la possibilité de demander ultérieurement le certificat à l'autorité britannique, la nécessité de disposer d'une série de données précises permettant d'identifier exactement le lot qui fait l'objet d'une opération d'exportation déterminée rend pratiquement très difficile, sinon tout à fait impossible, l'obtention de ce certificat, surtout pour les petites quantités extraites de lots plus importants. Cela vaut a fortiori lorsque les différents concessionnaires exclusifs des divers États membres ne sont pas disposés à coopérer de quelque manière avec les tiers commerçants — soit parce qu'ils ont pris avec l'exportateur l'engagement formel de ne pas exporter, soit pour éviter de troubler une répartition territoriale commode des marchés. En pratique, il en résulterait une imperméabilité des différents marchés nationaux à une libre circulation, laquelle ne pourrait se faire qu'à sens unique, dans des directions fixes, avec les possibilités bien connues de différenciations objectivement injustifiées des niveaux des prix d'un même produit dans les différents États membres. En effet, les produits en question ne pourraient être importés légalement en Belgique que par les concessionnaires ou les agents exclusifs des producteurs, puisque seuls ceux-ci bénéficieraient des fournitures de première main et pourraient donc obtenir le certificat d'origine sans difficultés. Du fait de son caractère antiéconomique, la possibilité qu'ont les pays tiers d'importer librement en Belgique le Scotch whisky original en le déclassant en un whisky générique ne suffit pas à faire apparaître sous un autre jour la situation décrite ci-dessus. Nous retrouvons ici une situation qui présente des analogies avec celle dont la Cour s'est occupée dans les affaires Grundig/Consten. Mais il y a également des différences importantes. Tout d'abord, l'effet restrictif de la libre circulation et de la concurrence, dérivant ici non du droit de marque, mais de la réglementation relative à la protection de l'appellation d'origine des marchandises, découle objectivement et nécessairement de la loi elle-même, qui est applicable sans que l'initiative de particuliers intéressés soit nécessaire. Tandis qu'alors, la marque était employée expressément dans l'intérêt privé d'entreprises particulières en vue d'exclure les importations parallèles des produits d'un même fabricant, dans notre cas, les sanctions prévues par la loi visent à garantir le respect d'une exigence légale établie pour protéger un intérêt public que, dans l'État importateur, s'identifie en substance avec l'intérêt qu'ont les consommateurs à pouvoir déterminer la qualité des marchandises. En outre, tandis que dans l'affaire Grundig l'entrave aux importations parallèles résultant de la marque était un obstacle juridique insurmontable en droit interne en raison de l'exclusivité absolue garantie directement au titulaire national de la marque, dans la présente affaire, il n'existe aucune interdiction légale aux importations parallèles en Belgique des produits portant une appellation d'origine; il est seulement exigé un document qu'en théorie chacun pourrait posséder et qui, considéré en soi, constitue indubitablement un moyen efficace de contrôler l'authenticité du produit. |
3. |
Conjointement avec la première question, il s'agit d'établir des critères qui puissent permettre au juge national de décider si les règles relatives au certificat d'origine dont on invoque l'application sont ou non compatibles avec le traité. A cet égard, la première règle qui revêt de l'importance est l'article 30 concernant l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent. Mais il faut tout d'abord débarrasser la discussion d'une manière — à notre avis erronée — de poser la question. Nous avons observé que, lorsque des effets restrictifs pour la circulation des marchandises entre les États membres résultent non pas d'une mesure nationale incompatible avec le traité, mais simplement de la coexistence de législations nationales différentes, ces inconvénients ne pourront être éliminés en principe que par le rapprochement des législations selon la procédure prévue par la traité. Nous pourrions nous demander si tel n'est pas également le cas en l'espèce. On pourrait en effet estimer que les difficultés dont on se plaint seraient considérablement atténuées si la législation française, elle aussi, posait, pour l'importation et la commercialisation du Scotch whisky en France, la même exigence que la législation belge relative au certificat d'origine, de sorte qu'une nouvelle vérification pour le passage de la frontière vers la Belgique paraîtrait absolument superflue. Cela pourrait nous conduire à la conviction que la situation créée dans notre cas dépend d'une situation objective de diversité des législations nationales, à laquelle il ne peut être remédié que par la procédure de rapprochement des législations. Mais tel n'est pas le moyen de résoudre le problème. Tout d'abord on ne peut parler de rapprochement des législations que dans la mesure où les dispositions internes considérées ne sont pas, en elles-mêmes, interdites par le traité. Cet examen de compatibilité a donc la priorité logique sur la solution des difficultés constatées par le renvoi à la procédure de rapprochement des législations. En outre, la discussion repose sur un sophisme: en réalité, la restriction au commerce, constatée en l'espèce entre la France et la Belgique, découle non pas du fait que la législation française n'exige pas la même formalité que la législation belge, mais de ce que celle-ci exige une condition que le tiers acquéreur sur le marché français n'est pas en mesure de remplir. D'ailleurs, il est absolument impossible d'affirmer avec certitude que, même si la loi française exigeait pour l'introduction de ces produits en France la même formalité que la loi belge, le tiers qui n'achèterait, par exemple, qu'un lot de marchandise importée par le concessionnaire exclusif en France pourrait obtenir de celui-ci, ou d'un acquéreur ultérieur, une copie du certificat d'origine. Pour celà, il faudrait, en effet, que la législation française impose au concessionnaire exclusif de délivrer une copie de ce document après demande de ses acquéreurs ou de tiers qui ont acheté, même de seconde ou troisième main, les marchandises qu'il a importées et, qu'après plusieurs passages et subdivisions successives de lots de marchandises, il soit encore possible de déterminer tous les intermédiaires. Nous pouvons donc conclure que les difficultés que l'on a constatées pour le commerce entre les États membres à la suite de l'exigence du certificat d'origine découlent directement de la législation de l'État qui impose ce document. Il nous faut donc considérer maintenant la compatibilité de cette exigence avec le droit communautaire en liaison avec l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent. |
4. |
Tandis que la notion des restrictions quantitatives est bien précise et s'identifie avec le contingent, celle de mesure d'effet équivalent est moins facile à définir, attendu que l'effet restrictif qui en découle pour les importations ou exportations est seulement indirect et étant donné la multiplicité des moyens qui peuvent concourir à produire un effet de ce genre. La Commission a eu l'occasion de circonscrire cette notion, en accomplissant la tâche que l'article 33, paragraphe 7, mentionné du traité lui attribue. Conformément à cette disposition, elle a prescrit, par des directives adoptées à différentes époques, l'abolition des mesures d'effet équivalant à des contingentements existant à la date d'entrée en vigueur du traité. La directive du 22 décembre 1969 (JO 1970, no L 13, p. 29) surtout revêt pour nous de l'importance: elle ordonne l'élimination des «mesures autres que celles applicables indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, qui font obstacle à des importations qui pourraient avoir lieu en leur absence, y compris celles qui rendent les importations plus difficiles ou onéreuses que l'écoulement dé la production nationale» (art. 2, paragraphe 1). Selon le paragraphe 2 du même article, sont notamment visées les «mesures qui subordonnent l'importation ou l'écoulement, à tout stade de commercialisation, des produits importés ou à une condition différente et plus difficile à satisfaire que celle requise pour les produits nationaux». Outre ces mesures, l'article 3 prescrit aussi l'abolition des mesures régissant la commercialisation des produits, et portant notamment sur leur identification, applicables indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, «dont les effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises dépassent le cadre des effets propres d'une réglementation de commerce». Selon le même article, tel est notamment le cas «lorsque ces effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises sont hors de proportion par rapport au résultat recherché; lorsque le même objectif peut être atteint par un autre moyen qui entrave le moins les échanges». La Commission a fait ici application d'un critère général régissant la mise en œuvre des limitations autorisées à la pleine efficacité des libertés fondamentales qui sont à la base du Marché commun. La réglementation interne relative à l'appellation d'origine constitue un aspect de la réglementation du commerce. La compétence que l'on peut encore reconnaître aux États membres dans ce secteur doit être exercée dans le respect des limites rigoureuses établies par le traité CEE. La liberté de circulation dans la Communauté des produits qui se trouvent en libre pratique dans un État membre est un des principes fondamentaux du traité. Une réglementation étatique du commerce autre qu'une mesure de contingentement qui, envisagée dans le contexte dans lequel elle s'applique, est susceptible d'entraver sérieusement le trafic de catégories déterminées de marchandises entre les États membres devrait être considérée en principe comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative. Contrairement à ce qu'estime le gouvernement britannique, l'interdiction des mesures d'effet équivalant à des contingements n'est pas soumise, pour son applicabilité, à la condition qu'une diminution quantitative dans la circulation des marchandises entre les États membres se produise concrètement. Conformément à la ligne tracée par votre jurisprudence en matière de droits de douane et de mesures d'effet équivalent, qui répond à des exigences logiques et pratiques, l'interdiction joue automatiquement du seul fait que les mesures considérées, bien qu'elles n'aient pas un caractère discriminatoire ou protectionniste, constituent une charge non justifiée pour les importateurs, ce qui les rend propres à provoquer des restrictions illégitimes au commerce intracommunautaire (affaire no 2-3/69, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, Recueil 1969, p. 221 et suiv.). Cela est parfaitement conforme au texte du traité qui, après la fin de la période transitoire, interdit de la manière la plus absolue et automatique, tant les restrictions quantitatives que les mesures d'effet équivalent, indépendamment de la preuve cas par cas des effets quantitatifs que la mesure considérée a eus concrètement sur les échanges. Autrement, du point de vue que nous critiquons ici, on devrait admettre également le maintien de contingentements lorsqu'il apparaît que la quantité de marchandises importée a été inférieure au contingent. |
5. |
Toutefois, l'article 36 du traité CEE permet aux États de déroger à l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent pour certains buts et dans des limites déterminées. Cette possibilité de dérogation est prévue en particulier pour permettre aux États de remplir leurs fonctions relatives à la protection de la propriété industrielle et commerciale et à la protection de la moralité, de la santé des personnes, etc. Il s'agit d'une clause d'exception et, comme telle, d'interprétation stricte, qui permet aux États de protéger des intérêts nationaux de différente nature liés à l'exercice de leurs compétences retenues de manière exclusive. La protection de l'appellation d'origine des produits entre certainement dans le domaine de la protection de la propriété industrielle et commerciale pour laquelle l'article 36 autorise les dérogations nécessaires à l'interdiction de restrictions quantitatives et de mesures d'effet équivalent. Toutefois, sur la base de cette règle, les États ne peuvent apporter ces dérogations qu'en vue de la protection de leurs propres intérêts et non pas pour protéger des intérêts d'autres États. Ainsi, par exemple, les limitations à la libre circulation qu'un État peut apporter pour la défense de la santé publique sur la base de cette règle ne pourraient en aucun cas justifier des limitations à l'exportation de produits jugés nocifs afin de protéger la santé publique de la population d'autres États membres. L'article 36 permet à chaque État de protéger exclusivement ses propres intérêts nationaux. Ainsi donc, pour la protection de la propriété industrielle et commerciale, chaque État peut apporter des limitations à la liberté de circulation des marchandises uniquement en vue de protéger les droits subjectifs et les intérêts économiques compris dans sa sphère de compétence. Dans la perspective du droit de propriété, il est clair que la protection de l'appellation d'origine est en fonction de l'intérêt économique du producteur. S'il s'agit de produit étranger, et à plus forte raison dans le cas d'un États tiers, l'intérêt à protéger sort de la zone de protection permise à chaque État par l'article 36. Ainsi, à propos de l'appellation d'origine, ce sera l'État producteur qui aura un titre à se prévaloir de l'habilitation de l'article 36 en vue d'établir les conditions (relatives, par exemple à la fabrication, à l'étiquetage, à la vente, etc.) qu'il estime nécessaires pour garantir la protection du produit d'origine, et non pas un État importateur. Quand l'État producteur est un tiers par rapport à la Communauté, comme c'était le cas de la Grande-Bretagne, en l'espèce, les États membres qui ont pris avec lui des engagements internationaux pour la protection de leurs produits typiques, pourront adopter toutes les mesures nécessaires à cet égard, mais dans le respect des limites que le droit communautaire fixe à leur liberté d'action. Il ne serait certainement conforme ni à l'esprit ni à la fonction de l'article 36 d'admettre des dérogations à la liberté de circulation des marchandises dans la Communauté dans une mesure plus ou moins grande, à l'égard des différents États, en fonction de leurs diverses obligations internationales avec des pays tiers. Peut-être est-ce en considération de cela que les parties civiles ont cherché à justifier l'applicabilité de l'article 36 exclusivement pour la protection de la santé publique dans l'État importateur. Mais, comme la Commission l'a observé, à cette fin, on pourrait justifier des interdictions d'entrée de produits nocifs dans l'État, et non pas, en revanche, les difficultés à l'entrée d'un produit liées simplement à son appellation. Nous avons vu que rien ne s'opposerait à l'entrée et à la vente en Belgique d'un Scotch whisky non muni de certificat d'origine, s'il était appelé whisky purement et simplement. Il nous semble donc que l'on devrait exclure radicalement que l'article 36 puisse permettre à un État membre d'appliquer aux importations en provenance d'autres États membres des mesures restrictives équivalant à des contingentements en vue de protéger l'appellation d'origine de produits d'États tiers. |
6. |
Quoi qu'il en soit, même si l'article 36 devait être considéré comme abstraitement applicable, il reste qu'une dérogation fondée sur cette disposition ne serait autorisée qu'à la condition que les interdictions ou les restrictions établies par les États dans la poursuite des finalités prévues ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction dissimulée au commerce entre les États membres. Outre cela, conformément à un critère général relatif à l'application des règles qui permettent les dérogations aux principes fondamentaux du Marché commun, les exceptions aux interdictions de l'article 30 ne sont autorisées que dans la mesure strictement nécessaire à la poursuite de l'objectif légal. Parmi toutes celles qui pourraient être susceptibles d'atteindre cet objectif, seules sont autorisées les mesures qui perturbent le moins le fonctionnement du Marché commun, et cela conformément à votre jurisprudence. Ce critère général d'interprétation qui délimite le pouvoir dérogatoire des États va — comme nous l'avons vu — dans le même sens que celui qui est énoncé dans la dernière partie de l'article 3 de la directive susmentionnée de la Commission du 22 décembre 1969. Il faut donc voir si les limitations en question peuvent être justifiées quant à leur adéquation aux objectifs, en ce sens qu'elles ne comportent pas de restrictions plus graves qu'il n'est nécessaire; dans ce cas, on pourrait considérer que la limite même que l'article 36 pose expressément en interdisant les «restrictions dissimulées» au commerce intracommunautaire est violée. Nous devrons également examiner si, même en cas d'absence de différences de traitement avec les produits nationaux similaires, ces restrictions ne se résolvent pas, en fait, en une différence de traitement non justifiée entre les sujets communautaires, et donc en une discrimination arbitraire. Il pourra peut-être apparaître un peu artificiel de considérer séparément ces deux conditions, puisqu'il est difficilement concevable qu'une restriction puisse être considérée comme adéquate au but, dans le sens indiqué ci-dessus, lorsqu'elle a pour effet de créer une discrimination arbitraire. Si l'on peut estimer qu'une restriction à l'importation est l'unique moyen adéquat pour atteindre un des objectifs autorisés par l'article 36, on pourra exclure en principe que les différences de traitement qui en découleraient, puissent être considérées comme des discriminations arbitraires. Inversement, une différence de traitement injustifiable semblerait impliquer qu'il existe, pour atteindre le but légal, des moyens différents de celui qui provoque cette inégalité. Toutefois, pour la clarté de l'exposé, on pourra procéder sur la base d'un examen distinct des conditions auxquelles est subordonnée la licéité de la dérogation de l'article 36. |
7. |
Nous pouvons tout d'abord constater le caractère excessif et injustifié des restrictions à la circulation déjà signalées au début et découlant du fait d'exiger que le certificat d'origine indique le nom du destinataire dans l'État membre qui en fait usage pour l'importation et la commercialisation des produits. En effet, il existe certainement d'autres moyens moins restrictifs que la mention de ce nom sur le certificat qui puissent permettre d'identifier clairement le lot de marchandises auquel se réfère un certificat d'origine, surtout s'il s'agit d'un produit habituellement mis en bouteille à l'origine. Par conséquent, une condition de ce genre comporterait des limitations au commerce entre les États membres qui ne seraient pas justifiées sur la base de l'article 36, première partie. Le refus d'accepter des copies authentifiées du certificat original ne serait pas non plus admissible. Il faut voir maintenant si le certificat d'origine n'a pas un caractère plus restrictif qu'il n'est nécessaire, même au cas où il ne doit pas être établi directement pour l'importation dans un État membre déterminé et lorsque, en outre, il ne doit pas être nominatif. Il est impossible d'affirmer de manière générale et abstraite que l'exigence du certificat d'origine est le seul moyen efficace de protection. Cela ne peut être établi qu'en référence aux caractéristiques des différents produits et compte tenu de la situation dans laquelle leur commerce s'effectue. Sur un plan général, on peut affirmer que, puisque la raison d'être du certificat d'origine — et la justification de la charge qui peut en résulter pour le commerce — est de protéger les producteurs contre les fraudes et de donner aux consommateurs une garantie de qualité, le fait d'exiger ce cerfiticat de quelqu'un qui — sans sa faute — ne peut pas se le procurer facilement, même quand il ne peut exister aucun doute raisonnable quant à la régularité et à l'authenticité d'une marchandise, peut constituer un obstacle inutile et par conséquent injustifiée au commerce. Cette observation coïncide avec le principe général restrictif concernant l'application des clauses dérogatoires dont un aspect particulier est le critère affirmé dans l'arrêt que vous avez rendu dans l'affaire 78-70 (Deutsche Grammophon) à propos précisément de l'application de l'article 36, qui n'est admise en matière de propriété industrielle et commerciale que pour la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété (Recueil 1971, p. 499, no 11). Il est vrai qu'en appréciant la charge qu'une réglementation déterminée relative aux moyens de preuve de l'authenticité des marchandises peut faire peser sur le commerce, il faut également tenir compte des avantages pratiques qui peuvent en résulter pour le déroulement rapide de l'activité des autorités douanières de l'État importateur. Mais la facilité des tâches de ces autorités doit être en fonction de la liberté de circulation des marchandises. Sur le plan du droit communautaire, une simplification du travail des administrations qui se résoudrait en une diminution effective de cette liberté pour les agents économiques ne serait pas justifiable. En conséquence, lorsqu'il ne peut pas y avoir de doutes sur l'authenticité d'un produit portant une appellation protégée et sur sa conformité à la définition légale, le fait de continuer à exiger un certificat, que le commerçant communautaire pourrait avoir des difficultés à se procurer, serait contraire au critère général qui — nous l'avons vu — régit l'application des clauses dérogatoires. D'autre part, même lorsque l'authenticité d'une marchandise pourrait ne pas apparaître évidente (ce qui peut avoir des causes tout à fait indépendantes du comportement de l'importateur, comme, par exemple, lorsqu'il s'agit de produits non confectionnés à l'origine) l'intéressé, dans l'impossibilité éventuelle, indépendante de son comportement, de se procurer un certificat, doit être admis à prouver par tout moyen raisonnable la conformité de la marchandise aux exigences de la loi. Le cas dans lequel le droit communautaire lui-même exigerait le certificat d'origine pour l'importation de marchandises déterminées dans la Communauté serait différent. En effet, dans cette hypothèse, il ne pourrait en résulter aucun inconvénient pour la circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun, une fois qu'elles auraient été régulièrement admises en libre pratique dans un État membre. En conclusion, et de toute façon sans préjudice de la possibilité de protéger les intérêts publics et privés contre les fraudes par le recours aux règles générales relatives à la contrefaçon des marchandises et à la concurrence déloyale et sans préjudice également de la force probatoire, conformément à la législation interne, du certificat d'origine dans les cas où l'importateur peut en disposer, les importateurs qui n'ont pas reçu les marchandises directement du pays d'origine doivent être admis à en prouver l'authenticité par tout moyen propre à la démontrer. |
8. |
En ce qui concerne l'interdiction de discriminations arbitraires, il suffit d'ajouter que le fait de demander à un importateur d'un État membre un certificat d'origine, qu'il n'est pas en son pouvoir effectif de se procurer, du moment que pour l'obtenir il a besoin de la coopération improbable de tiers, outre qu'il constitue un obstacle sérieux à la circulation des marchandises dans la Communauté, est également susceptible d'avoir une portée substantiellement discriminatoire dans le cas où cette exigence vaudrait pour la mise dans le commerce des marchandises correspondantes de production interne, étant donné que, pour ces dernières, les commerçants communautaires ne rencontrent généralement pas de difficultés sérieuses pour se procurer le certificat d'origine auprès du producteur local. Cette restriction n'étant pas nécessaire pour atteindre l'objectif légalement admis de la protection des produits portant une appellation d'origine, elle se résoudrait de toute manière en une discrimination arbitraire, sinon entre marchandises étrangères et marchandises nationales, du moins entre agents économiques de la Communauté quant aux possibilités effectives de vente d'un même produit dans un État membre déterminé. Pour cette raison également, une limite infranchissable que l'article 36 met expressément à la possibilité de dérogation prévue serait donc franchie. |
9. |
Puisque, par conséquent, le traité ne permet pas à un État d'interdire l'importation de produits portant une appellation protégée, admis en libre pratique dans un autre État membre de la Communauté, pour le seul fait que l'importateur ne dispose pas du certificat d'origine, même s'il n'y a pas de doutes sur l'authenticité des marchandises ou lorsque celle-ci peut être prouvée de manière quelconque, la seconde question concernant l'interprétation de l'article 85 en fonction de l'appréciation du contrat d'exclusivité passé entre le concessionnaire exclusif belge et le producteur britannique revêt une importance tout à fait secondaire. Observé de façon réaliste, le procès qui a provoqué cette procédure préjudicielle nous fait cependant apparaître que l'intérêt en jeu était moins lié à la protection de l'appellation d'origine que, et peut être plus étroitement, à la protection d'une situation anticoncurrentielle. C'est précisément sous cet angle qu'il faut examiner la deuxième question posée par le tribunal de Bruxelles, à laquelle il est facile de donner une réponse qui entre dans le courant univoque de votre jurisprudence. Aucun autre intérêt que le maintien d'une position d'exclusivité ne peut avoir poussé les concessionnaires belges à invoquer une règle qui touche à la protection d'une appellation d'origine pour un produit dont, en réalité, on ne met pas en doute l'origine et dont on ne discute pas qu'il soit parfaitement conforme à la définition légale. L'absence dans le texte du contrat d'exclusivité d'un engagement pour le concessionnaire ou l'agent de ne pas se prévaloir de son droit national pour interdire des importations parallèles ne pourrait certainement pas rendre ce contrat incompatible avec l'article 85 du traité. Nous savons que le contrat d'exclusivité passé entre le concessionnaire belge et le producteur n'est pas, en Belgique, juridiquement opposable aux tiers, importateurs éventuels, et, qu'en outre, l'initiative du concessionnaire exclusif visant à faire jouer la répression prévue par la loi belge citée plus haut relative à la protection des appellations d'origine des marchandises n'est pas nécessaire. Puisque cette loi pénale est applicable d'office, sur l'initiative du ministère public, l'obstacle au commerce entre les États et, par conséquent, à la liberté de concurrence, découle essentiellement et directement de la législation nationale elle-même, alors que la constitution éventuelle de partie civile par des concessionnaires exclusifs, dans un procès pénal de ce genre, ne peut qu'aggraver, sur le plan économique, la position des accusés éventuels, mais non pas déterminer la restriction au commerce résultant directement d'une interdiction légale. Toutefois, le comportement du concessionnaire exclusif en Belgique, bien qu'il soit juridiquement indifférent pour l'application de l'interdiction établie par la législation belge relative à la protection de l'appellation d'origine, peut également revêtir de l'importance dans le cadre du droit communautaire de la concurrence en tant qu'indice du caractère anticoncurrentiel d'accords ou de pratiques concertées concernant le commerce des produits en question dans la Communauté. Les contrats d'exclusivité passés entre concessionnaires installés dans des États membres et producteurs d'États tiers pourraient donc avoir un effet restrictif de la concurrence et des échanges entre les États membres, en raison de la situation qui en résulte et qui doit être appréciée dans son ensemble. Ce pourrait être le cas, en particulier, lorsque les concessionnaires non seulement se sont obligés envers l'unique producteur à ne pas réexporter directement dans d'autres États membres, mais encore adoptent un comportement qui a pour effet de décourager en fait ces exportations. Une situation de répartition de fait des marchés nationaux, jointe à l'isolement de certains de ceux-ci du commerce intracommunautaire de ces produits pourrait apparaître grâce également au concours de lois internes, telle, par exemple, qu'une loi exigeant à l'importation un certificat dont la possession dépend du bon vouloir de tiers ayant un intérêt contraire à la création d'une concurrence réelle pour certains produits. C'est dans cette perspective que pourrait s'expliquer le défaut de coopération de la part des concessionnaires français devant la demande des accusés visant à obtenir une copie du certificat d'origine du lot de Scotch whisky. Lorsque, par son comportement d'ensemble (dont la constitution de partie civile et plus encore peut-être la dénonciation au procureur du roi, afin de le prier d'engager une action pénale contre le concurrent, même si l'authenticité du produit et la régularité de sa mise en libre pratique dans la Communauté ne sont pas en cause, constituent des éléments non négligeables) un concessionnaire montre qu'il veut empêcher ou éliminer les importations parallèles pour s'assurer ou conserver un monopole de fait du produit de sa marque sur le territoire national et éviter toute concurrence même licite dans le cadre de cette marque, et lorsque le comportement d'autres concessionnaires du même producteur dans le Marché commun facilite la réalisation de cette intention, il sera possible d'en déduire l'existence d'une pratique concertée visant à assurer la protection territoriale absolue du marché national considéré: pratique qui, en rapport étroit avec le contrat d'exclusivité du concessionnaire ainsi protégé, peut le rendre illicite. Considéré sous cet angle et dans l'ensemble du contexte économique et juridique dans lequel il a joué concrètement, le contrat d'exclusivité auquel se réfère le juge belge pourrait donc être interdit par l'article 85, paragraphe 1. Mais une décision de cette espèce ne peut être rendue que sur la base d'un examen des faits; par conséquent, dans le cadre de la présente affaire, elle est de la compétence du juge belge. |
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Nous concluons donc en vous proposant de répondre comme suit, aux questions posées par le tribunal de Bruxelles:
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( 1 ) Traduit de l'italien.